gilles folklore belge wallon

DJÎLES

Gilles

JÈNÈRÂLITÉS

Généralités

Lès Djîles: folklôre bèlje walon / Les Gilles : folklore belge wallon (1500 pâdjes / 1500 pages)

Plan

0.   Introduction / Introdwîjadje

0.1   Origine / Orijine

Le gille: in: Jean Lefèvre, Traditions de Wallonie, éd. Marabout 1977, p.280-282

 

D’abord, en 1850, un costume en simple toile grise où l’on coud des motifs de drap rouge, laissés à la totale imagination de chacun.

Un costume bourré de paille, chaussé de sabots, portant une ceinture de grelots (l’apertintaye: la sonnaille), sur la tête: une espèce de shako avec un modeste PLUMA, prenant le panier à salade de la maison, en simple fil de fer: le KÈRTIN: ils y mettent des noix, des marrons, des pommes, des oignons, … pour les jeter à la gribouillette.

Au 19e s., Binche devient une ville de confection de vêtements pour hommes.  Elle prospère.

Dès 1870, les gilles lancent des oranges.

 

COSTUME: En 1890 apparaissent le chapeau de gloire en plumes d’autruche et le costume avec des armoiries.

DANSE: Depuis 1877 environ, les 26 airs de gilles, échelonnés depuis la fin du 18e s. (Lion Belgique; …) sont fixés en un corpus.  Le dernier date de 1877.

 

LEGENDE: Elle se crée et se popularise: celle du Gille-Inca sorti des fêtes à Mariemont en 1549 par la régente Marie de Hongrie et où l’on aurait exhibé des Incas emplumés.

 

 

Duquesne Francis, Si Laetare m’était conté, Le carnaval louviérois, 1991

 

LA MUSIQUE QUI FAIT DANSER LE GILLE

 

La danse du Gille n’a rien d’une chorégraphie de salon, elle est soutenue par les battements du tambour. Le rythme du pas de Gille, étudié par les ethnomusicologues, paraît bien indiquer son caractère de très lointaine antiquité; antérieur au moyen-âge, il remonterait à la préhistoire.

(p.20) Cet “avant-dinner” battu par les seuls tambours constitue le fondement même, sur lequel, à une époque très récente, sont venus se greffer les 26 airs dits de Gilles.

Contrairement à l’avant-dinner, les plus anciens airs de Gille remontent à la fin du 18ème, début du 19ème siècle. L’un des plus anciens est “le petit jeune homme de Binche”, alors que le plus récent est “l’air des marins” composé en 1877. Citons également “l’aubade matinale” morceau joué à la flûte et tambour qui date de la même période que l’air des marins.

 

L’origine des gilles, in : MA, février 1976, p.36-40

 

En ces semaines qui annoncent déjà le carnaval, « El Mouchon d’Aunia » a le plaisir de présenter à ses lecteurs, le texte d’une causerie radiophonique. Ce texte a été lu par feu Alphonse Parent, au micro de l’I.N.R., station de Houdeng. Il porte le n° 58 et sa lecture a été prévue pour le samedi 2 mars 1946. Son auteur est surtout connu et estimé comme l’animateur de ce noyau d’organisation culturelle provinciale qui allait devenir, après lui, le Centre culturel du Hainaut. A. Parent aimait l’histoire locale et régionale ainsi que le folklore de notre terroir. Il s’est révélé un excellent vulgarisateur. Quoi d’étonnant à ce qu’il se soit laissé séduire par le problème de l’origine des Gilles de Binche. La solution proposée est celle de la légende. On y reprend une fois de plus l’origine espagnole et inca du personnage binchois.

Cette causerie radiophonique a le mérite d’exposer avec clarté l’état de la question tel qu’on pouvait l’appréhender en 1946. Les source de l’auteur sont classiques. On devine qu’il se fonde sur les textes publiés à la suite du congrès archéologique et historique d’Enghien de 1898. A la suite de ce congrès il y eut une discussion enflammée entre le tenant de la légende, le sénateur bruxellois Van den Corput, et ses adversaires les historiens Matthieu et de Raadt.

A. Parent a lu aussi le livre d’Alfred Labrique qui est écrit avec beau­coup de verve et de talent, mais qui est un ouvrage superficiel et léger en ce qui concerne sa partie historique. Bref, A. Parent reprend le fameux parallèlle tant de fois repris entre les Incas et les Gilles, que le tourisme, la presse et l’école ont contribué à ancrer dans l’esprit des populations. On connaît le syllogisme qui fonde l’argumentation : « Les Gilles ont des plumes ; or, les Incas ont des plumes ; donc les Gilles sont des Incas ». En l’absence de toute preuve historique, voilà une piètre argumentation.

Depuis la causerie d’A. Parent, on a proposé une autre solution. Elle présente notre Gille comme un personnage très complexe qui réunit, en les fusionnant en une synthèse harmonieuse, des éléments d’époques et de significations très diverses. La légende du Gille inca et espagnol, naïve et simpliste, faisait appel à l’imagination. Elle faisait du Gille un pasticheur, un imitateur d’un exotisme de pacotille. La théorie actuelle tend à la considérer, au contraire, dans sa complexité ethnologique, comme un type vivant, accu­mulant et fondant en lui des éléments issus de tous les horizons.

Rappelons tout d’abord ce qui est essentiel : la légende ne se fonde sur aucune tradition locale. On connaît son promoteur. Il n’est pas binchois pas plus que le seront, dans la suite, ses principaux « supporters ». Celui qui l’a lancée, c’est un Tournaisien et un chansonnier, journaliste à ses heures, Adolphe Delmée. Ce dernier a soin de l’offrir à la dégustation de ses lecteurs comme une fantaisie — j’allais dire, une facétie — et non comme une théorie sérieuse : « Dans ce domaine, la fantaisie a le pas sur l’histoire… » (17 février 1872). Mais notre chansonnier a été pris au mot. Sa galéjade, sa facétie s’est enrichie, au fil des décennies, d’autres élucubrations plus étonnantes les unes que les autres. Les enrichisseurs successifs ont témoigné d’une fertile imagination mais pas d’esprit critique. Ils ont oublié de contrôler et de vérifier les fondements de cette « fantaisie ». Ils n’ont pas pris la peine de relire les textes et les archives, de procéder à une enquête approfondie, de solliciter les témoignages de manière systématique. Ils ont omis — et c’est une autre lacune méthodologique étonnante — de comparer avec les usages similaires du folklore européen qui offrent pourtant — on l’a constaté lors de l’exposition de Binche sur « Le Masque dans la tradition européenne » — bien des points communs ou apparentés.

(p.36) La réalité folklorique est très complexe. Le Gille de Binche réunit en lui des éléments populaires et bourgeois ; des traits fort anciens de valeur culturelle, à lointaine signification magico-religieuse, qui se retrouvent dans le monde carnavalesque européen, et qui s’imbriquent avec d’autres plus ou moins récents, à valeur esthétique, décorative ou pseudo-historique. Mais ceci requiert une longue démonstration et nous risquerions de lasser nos lecteurs.

 

Samuel GLOTZ

Conservateur du Musée International du Carnaval et du Masque.

 

 

Ran, ran, ran, plan, plan ! Ce sont les tambours qui battent le rappel ! C’est que nous voici à la veille des trois « Glorieuses » du Carnaval de Binche : demain dimanche gras, lundi et mardi-gras : jour de gloire, de triomphe, d’apothéose pour le Gille, roi du Carnaval.

Je considère que je manquerais à mes devoirs les plus élémentaires de folkloriste si je ne venais — non pas vous donner une description du carnaval binchois que vous connaissez tout aussi bien que moi — mais apporter ma très modeste contribution à l’étude des origines du Gille, question qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, mais qui n’est pas encore résolue d’une façon définitive.

On sait que plusieurs thèses sont en présence. Selon les uns les plus fervents, les plus « binchois », il faudrait faire remonter cette origine aux fêtes somptueuses qui furent données à Binche, en août 1549, par la Reine Marie de Hongrie, sœur de Charles-Quint et gouvernante des Pays-Bas espa­gnols, à l’occasion de la « Joyeuse Entrée » du prince Philippe, fils de notre monarque à cette époque et qui était présenté aux Pays-Bas comme futur roi.

Cette thèse n’a, en sa faveur, qu’une vague tradition, non sans valeur bien entendu, et d’après laquelle, au nombre des festivités organisées à Binche en août 1549, il y aurait eu un cortège, une sorte d’exhibition d’hommes représentant censément, en costumes d’apparat, des Incas, nouveaux sujets de Charles-Quint dans les Amériques découvertes cinquante ans plus tôt. Les Incas constituaient, à la fin du XV* siècle, un royaume important où s’était développée une curieuse civilisation.

Voilà, en raccourci, l’origine qui est défendue, je crois, par les Binchois eux-mêmes.

A ma connaissance, cette prétention n’est étayée par aucun document historique. On a produit, à l’appui de cette thèse, la traduction d’une descrip­tion, faite en italien, des fêtes du mois d’août 1549, dans laquelle on lit : « On vit arriver aussi des pèlerins faisant de la musique devant les dames, des enfants et des hommes en sauvages, d’autres sous forme de serpents cra­chant du feu, enfin une foule de farces amusantes et jolies, de sorte que la lice ne resta jamais vide ».

Les Binchois allèguent que ces hommes déguisés en sauvages parais­sent être les ancêtres de leurs gilles. Comme argumentation c’est peu de chose. Nous verrons tantôt si personne ne dit mieux.

Les partisans de l’autre thèse — ce sont surtout les historiens qui exigent des documents authentiques — prétendent qu’il s’agit d’une coutume relevant à proprement parler du carnaval romain et qui se serait implantée à Binche, progressivement, au cours du XIX’ siècle, après la constitution du Royaume de Belgique. Le lion qui parsème le costume des Gilles serait le lion belge, consacré comme emblème national en 1830.                                           

Comme le Carnaval est fêté dans de nombreuses villes et villages de Belgique et de l’Etranger, et que notre lion est national, on pourrait peut-être embarrasser les tenants de cette seconde thèse en leur demandant pourquoi, dès lors, il y a des gilles seulement à Binche ? Et les traditionnalistes binchois marqueraient un point.

(p.38) Mais il importe ici d’examiner si cette coutume qui aurait pris naissance à Binche en 1549 — si on adopte la première thèse — s’est implantée immé­diatement et a été répétée chaque année régulièrement, sans éclipse de longue durée, comme c’est le cas pour d’autres manifestations folkloriques : Doudou, Caudia, etc…

A la vérité, il faut bien reconnaître que la situation politique, militaire et surtout économique de la Ville de Binche, à partir de 1554 et jusqu’à la fin du XVIII= siècle, a toujours été des plus précaire, sauf quelques rares éclair-cies ; et cette situation a dû avoir une très grande importance pour l’objet qui nous occupe.

Dès 1554, après le siège et la prise de la Ville, après l’incendie et le pillage par les troupes de Henri I!, roi de France, ce fut, et pour longtemps, la ruine à Binche ; la ville fut désertée ; en tous cas, il y eut exode des industries de luxe, notamment de la dentelle, qui s’étaient installées là uniquement en raison de la présence de la Cour. — Ensuite ce furent les troubles et les guerres religieuses pendant toute la deuxième moitié du XVI’ siècle. Au début du XVII° siècle vinrent quelques années de répit lorsque, en 1606, Albert et Isabelle firent réparer le château de Mariemont et y vinrent faire quelques séjours en bonne saison, et à l’époque de la chasse, leur personnel étant logé à Binche. — Puis, dans la seconde moitié du XVII” siècle, ce furent les inter­minables guerres de Louis XIV ravagant tout le Hainaut ; Binche change de maître plusieurs fois, après des sièges et des pillages. On n’ose plus y rien entreprendre ; en 1714, on change les acteurs et on recommence. Les Espagnols s’en vont, bon débarras, mais sont remplacés par les Autrichiens : plus cela change et plus c’est la même chose. Traité de la Barrière : garnisons, charges écrasantes ; nous connaissons tout cela ! Il y eut bien quelques années de tranquilité et de prospérité au temps de la reine-impératrice Marie-Thérèse et de son gouverneur le grand duc Charles de Lorraine, qui fit de Mariemont un palais royal. Mais c’était déjà fini en 1788 grâce à Joseph II et l’époque troublée ne prit fin qu’en 1831, après la proclamation de notre indépendance.

Allez donc faire le gille dans une pareille margaille, et surtout, y élever des générations de gilles ! Cela nous parait impossible. S’il y eut des gilles à Binche entre 1450 et 1830, se ne put être que d’une façon intermittente, par exemple vers 1606 et vers 1750-1775. Nous avons vécu, en deux fois, neuf années de guerre ; pendant ces neuf années, avons-nous vu des gilles à Binche ?

Toutefois, on me signale qu’un rapport de police du 11 février 1795 mentionne le gille. Je n’ai pas vu ce rapport, mais, de toute façon, c’est une exception qui confirme ma thèse ; car le fait qu’on produit un seul document pour une période de 250 ans ne peut permettre d’autre conclusion ; réserve faite de la découverte d’autres documents, ce qui est peu probable en raison des recherches qui ont été faites jusqu’ici.

 

Il est temps maintenant que je verse au débat quelques petites particularités ; je les grouperai en trois points :

1° Le nom de « Gilles » : II est certain que ce nom était déjà utilisé avant le milieu du XVII’ siècle, époque où il commence à désigner un acteur niais et poltron, rival, malheureux, interprète subalterne dans la comédie bouf­fonne. « Faire le gille » cela voulait dire, selon toute vraisemblance, faire le sot, le fou.

Mais il paraîtrait que c’est en Espagne qu’il faut trouver la bonne inter­prétation du mot « Gille » qui, dès le XVIe siècle, donc en 1549, était l’ap­pellation générique donnée aux jeunes paysans qui, au début de l’automne, allaient par le village, offrant oranges, figues, noix nouvelles et galettes de la dernière récolte, comme le faisait encore, le mardi-gras, il y a quelques lustres, le gille binchois. Bref, il y aurait beaucoup d’espagnol dans ce nom comme il y eut beaucoup d’Espagnols à Binche en 1549 ; et c’est encore un bon point à marquer pour les traditionalistes.

 

(p.39) 2° Le Costume du Gille : Ici, il semble y avoir accord unanime pour dire que le costume du Gille est un complexe constitué progressivement au cours des âges. En effet, chacun comprendra que, s’il y avait, aux fêtes de Binche en 1549, des figurants soi-disant sauvages représentant des Incas, ancêtres du Gilles, ils ne pouvaient pas être costumés comme nos Gilles du XX” siècle.

Les sauvages de 1549 ne pouvaient être vêtus — en mettant les choses au mieux — qu’ainsi que l’étaient les Incas authentiques que les Conqui­stadores, Pizarro et ses compagnons, avaient fait prisonniers lors de la conquête du Pérou. Comme certains de ces prisonniers furent ramenés en Europe, il ne fut pas difficile d’imiter leur costume.

Ce costume a donc dû évoluer fortement et on s’en aperçoit facilement si on l’examine pièce par pièce. Les sabots étaient la chaussure du peuple au XVIe siècle ; on a enjolivé ceux du Gille en les rehaussant d’appliques de dentelles appelées « Renoms ».

Les pantalons — anciennes braies gauloises — ne sont pas impossibles au XVIe siècle, mais plutôt rares ; ils ne reviendront en usage courant qu’à la fin du XVIIIe  siècle. Les lions noirs et rouges qui ornent les panta­lons et la veste du gille sont évidemment des lions héraldiques, mais pas le lion belge de 1830 ; nous pensons qu’ils viennent plutôt des armoiries adoptées par les comtes de Hainaut, de la Maison d’Avesnes, dès le XIIIe  siècle : écu écartelé aux lions de sable, placés 1 et 4, aux lions de gueule placés 2 et 3.

Les deux bosses, devant et derrière, nous paraissent imitées du polichi­nelle, personnage bouffon des farces napolitaines. Quant aux grelots et apertintaille, que certains traduisent « porte-en-taille », ne sont-ils pas les accessoires obligés du fou de cour au Moyen-âge, ainsi que la marotte que le gille a transformée en un ramon ? Le masque est connu depuis le théâtre grec antique et on l’a retrouvé dans toutes les opérations magiques accom­plies par les sorciers chez toutes les peuplades primitives des deux hémis­phères. Il fut d’ailleurs rajeuni et consacré par le Carnaval  de Venise. Tout cela existait déjà et aurait donc pu être utilisé dès le milieu du XVIe siècle. Mais pour le surplus de l’accoutrement de notre Gille, il y a mieux : et c’est ici que j’ai à verser au débat une note personnelle : Voici : il y a une quarantaine d’années  — alors que je commençais à m’inté­resser à notre folklore régional et à ses origines, — il  m’est tombé, par hasard, sous les yeux, un numéro d’une revue illustrée de l’Amérique latine, écrite en Espagnol ;  cette revue s’intitulait :  « El  Mundo ». Un  article qui attira mon attention — je lisais l’espagnol assez couramment — traitait des mœurs et des coutumes des Péruviens et une illustration montrait quelques indigènes vêtus à peu près comme des sorciers chez les peuplades du Congo, sauf qu’ils étaient couverts de vêtements des pieds à la tête. Ces personnages exécutaient une espèce de danse rituélique devant un groupe de spectateurs formé en cercle autour d’eux.

Ce qui est intéressant dans cette illustration, c’est le costume des danseurs dont j’ai gardé une image fidèle, parce qu’elle m’a frappé. Voici sommairement, en allant de bas en haut : jusqu’à la poitrine, rien de parti­culier : sorte d’escarpins et longs pantalons, blouse flottante. Mais autour du cou et sur les épaules, une ample pèlerine en étoffe très ajourée, ressem­blant fortement à de la dentelle. Un masque cachant complètement le visage et, sur la tête, une espèce de tube rond, de même hauteur que la figure, approximativement, épousant la forme du crâne et s’y adaptant et, attachées extérieurement, tout autour de ce tube, des plumes de condor formant un chapeau de gille tel que nous le voyions il y a une cinquantaine d’années, c’est-à-dire moins haut et moins touffu que ceux que nous admirons aujour­d’hui en général. Il parait qu’au siècle dernier, il n’y avait pas un Péruvien qui n’eut au moins deux plumes de condor à son chapeau.

(p.40)

Pour un Wallon du canton de Binche, cette illustration était vraiment frappante. A tel point que je me suis écrié : « Voilà l’ancêtre de nos Gilles ». Bien entendu aux sabots, aux bosses et aux lions près. — Et je marque encore un point — un fameux point — à l’actif des traditionnalistes !

Bref  il semble qu’on puisse dire que les Gilles de Binche sont nés en principe, en effigie, lors des fêtes de 1549, mais qu’ils ne reparurent régulière­ment qu’après 1830, pour s’incorporer aux festivités du carnaval. Sur cette synthèse, chacun pourra greffer tous les détails à sa connaissance.

 

3°   La Musique :

 

Il me resterait à vous parler des « airs » de gille. Que pour­rais-je en dire ? A ma connaissance, l’exégèse de cette musique n’a pas encore été expliquée correctement. Peut-être, comme le Doudou de Mons, est-elle  une  adaptation  des  chansons  de  marche  ou  des  pas-redoublés militaires des « Bandes wallonnes » régiments des XVIe  au XVIIIe siècles composés exclusivement de Wallons ?

Cette musique est comme la Ville de Binche : I n’d-a fok yeùne au monde ! Elle est d’ailleurs « indansable » pour tout Belge ou étranger en dehors de Binche même.

Les airs de gilles joués dans les communes voisines sont souvent dé­formés et orchestrés de façon plus ou moins fantaisiste. Il n’est pas éton­nant dès lors que le rythme et le pas de leurs gilles ne soient pas com­parables à ceux des gilles de Binche même. Une comparaison objective ne laisse aucun doute ; et comme les Binchois se gardent de faire de leurs gilles un article d’exportation, il en résulte que, pour voir de vrais gilles, il faut aller a Binche.

 

Alphonse PARENT

 

S(amuel) Glotz, Gilles, in: Philapost, 1/1995

 

Cité pour la première fois dans un texte de 1795, le Gille demeure une figure énigmatique ayant donné lieu à de nombreuses légendes.  On prétend toujours qu’il est en quelque sorte un descendant des Incas.  Scientifiquement parlant, il existe des types européens analogues. 

 

Le carnaval de Binche il y a plus de 100 ans, in : MA, 2, 1978, p.22-23

 

En 1859, en annonçant le carnaval, le « Journal de Charleroi ». écrivait :

” Le carnaval de Binche doit dépasser en merveilles tout ce qu’il a produit jusqu’ici. Plus de 2.000 étrangers ont fait retenir des places dans les hôtels et les cafés de la ville. Partout, dans les environs, on se prépare à de joyeux ébats. C’est une preuve de l’état d’aisance dont jouissent les cantons industriels de notre pays “.

Quelques jours plus tard, le journal relatait longuement cette belle fête. De cet article, nous extrayons l’essentiel :

« Outre la troupe nombreuse de Gilles qui resplendissait de rubans, de plumes et de bijoux, il y avait, le lundi, deux magnifiques chars représentant un train de chemin de fer encombré de voyageurs, de toute espèce.

Des soldats en congé, des vieilles femmes alarmées, des bonnes d’enfants, des coupeurs de bourses et, par dessus tout cela, une excellente compagnie de chanteurs. Cette idée a été accueillie par des bravos répétés.

Le mardi, c’était le grand jour… Imaginez-vous vingt musiques différen­tes, marchant en tête de chaque groupe de Gilles, de Pêcheurs, Cortège de mariage, Chiffonniers, Raccomodeurs d’assiettes, et tout cela se croisant, se heurtant, se mêlant en sautant et en dansant. Les Gilles, comme de raison, ont toujours le pas dans ces sortes de promenades, car ils sont beaux, fiers, ont la plus belle musique et sont généreux de leurs bonbons et de leurs oranges.

Une société de jeunes gens eut la bonne idée de composer un char reproduisant les miracles de la Fontaine de Jouvence. Mais, cette fois, c’était par la chaudière qu’on opérait les heureuses transformations. Je soupçonne même un peu que cette idée de chaudière serait en provenance dé Charleroi ou de Marchiennes.

Lorsque l’orateur de la troupe avait fait son annonce en bons termes, aux grands ébahissements d’un délicieux pierrot qui avait délaissé son caractère naturel pour faire plus d’impression, une multitude de vieux décré­pits et de vieilles ratatinées, voulaient prendre le char d’assaut pour entrer dans la chaudière mais, tout doux, on n’acceptait que les plus laids et les plus caducs. Bientôt, ils se trouvaient métamorphosés qui en lion du beau monde, qui en incroyable, voire même en lindor et toutes les vieilles trem­blantes reparaissaient en rosé pompon ou en Rosine ».

 

Et, à la fin de son article, le correspondant ajoutait :

« Le carnaval de 1859 a été le digne émule de celui de 1858.

En 1861, l’article relatant le Carnaval de Binche n’est pas moins intéressant :

« Troupes de Paysans, aux allures de pâtres des montagnes, distribuant à foisons des oranges et les dragées ; deux brillantes sociétés de Gilles, tambours et musique en tête, agitant l’air de leurs immenses plumets et de leurs rubans aux milles couleurs, gambadant, sautant et répandant à pleines mains les friandises. Mais ces flots de rubans qui pavoisent la tête des Gilles pendant le jour, seront disputés, le soir, par plus d’un gentil minois qui voudra s’en parer à son tour et c’est alors, qu’à la lueur de mille flambeaux, ces distributions sont charmantes ».

En 1862, il est toujours question des :

« Gilles aux chapeaux vraiment pyramidaux et phénoménaux, couverts d’une profusion de dentelles, de rubans, de plumes… Il y avait aussi des sabots d’une dimension à se faire une idée de l’Arche de Noé.

On parle aussi des « vessies qui servent aux Gilles à donner des coups sur la tête des personnes non masquées » ainsi que du « balai que les Gilles lancent à la tête des gens ».

L’auteur de l’article ajoute :

« Mais ne croyez pas que les Gilles ne pratiquent pas la galanterie. Ils ont le cœur tendre ; ils n’oublient pas les jolies Binchoises auxquelles ils offrent leur cœur et des oranges et, le soir, ces jeunes personnes se disputent les dentelles et les rubans qu’ils leur distribuent gracieusement ».

Voilà ce que l’on pouvait lire dans les colonnes du « Journal de Char-leroi », il y a plus de cent ans. Si nous devons remercier les rédacteurs de l’époque de nous avoir donné tant de curieux et savoureux détails, il convient de dire merci également à ceux qui ont conservé ces journaux, ce qui permet de nous faire une idée assez exacte de la façon dont nos ancêtres prenaient leurs plaisirs.

 

 

Henri LEFEBVRE

 

Nd.l.R. — Cet article est extrait du « Journal de Charleroi » du 9 février 1964. Le regretté Henri Lefèbvre était un excellent fouilleur d’archives et un excellent amateur d’histoire régionale. Il a laissé un grand vide parmi ses très nombreux amis.

 

Pol Rectem, CHARLEROI / Gilles, Prêts pour le carnaval, VA 11/02/2002

 

Soumonce vient du latin subimonēre : annoncer, avertir.

 

Cécile Vandenbyvang, Approche de certaines manifestations folkloriques, Inst. de Musique d’Eglise et de Pédagogie musicale, Namur, Mémoire, 1988

 

(p.13) La danse

Aux rites de fécondité des sociétés agricoles

primitives s’associent un peu partout dans le monde, des danses simples symbolisant le foulage de la terre (“stomping dances”) ou représentant les différents travaux agricoles, des semail­les aux moissons. Elles sont généralement accompagnées par la flûte et le tambour ou bien le tambour seul, instruments qui, dit P. COLLAER, matérialisent respectivement l’élément mâle et 1’élément femelle de la musique . Curieusement, elles sont tou­jours supportées par un rythme asymétrique appelé aksak par les ethnomusicologues, c’est-à-dire “boiteux” en turc ; ce rythme est caractérisé par un rapport longue – brève où la longue vaut 1,5 fois la brève et non le double comme dans notre musique occidentale. (…)

A Binche, la danse du Gille est bien un ‘stomping dance’ jambes pliées, les pieds appliqués à plat sur le sol.

 

Les violes

Apportées à Binche (p.15) vers 1880 – 1890 par des familles flamandes. Elles étaient fabriquées à Berlin, à Paris ou en Belgique même par quelques artisans, forains pour la plupart, qui s’associaient pour l’occasion à des “moteurs de cylindres”. Le problème était complexe  : lorsqu’on faisait venir une viole d’Allemagne, le cylindre comportait toujours huit airs d’opéra ou d’opé­rette et l’on s’empressait de le remplacer par un cylindre piqué de huit airs à la mode ou typiquement binchois. Des compositeurs et des arrangeurs locaux s’attelaient dans un premier temps à fixer sur partition – et en quarante mesures – les airs qu’on leur sifflait ; le propriétaire de l’instrument envoyait alors cette partition chez un’monteur de cylindres et, quelques semaines après, recevait un cylindre au calibre de sa viole. Les propriétaires possédaient souvent plusieurs instruments et ils engageaient des joueurs pour les trois jours de carnaval ou lors des danses, concours, mariages, etc…

Entre les deux guerres mondiales, Binche comptait entre tren­te et quarante violes qui, pour la période de carnaval, jouaient chacune entre cinquante et septante heures. Le prix des instruments, la difficulté du jeu lui-même due au poids de la viole (entre trente et quarante kilos) et la concur­rence d’autres moyens de production musicale (disques, radio, ont presque éteint la tradition binchoise puisqu’aujourd’ hui, au carnaval, seules trois ou quatre violes égrènent encore leurs mélodies suaves.

 

Les airs des Gilles

Les airs sur lesquels dansent, le mardi gras, gilles, paysans, groupes de travestis, masques, sont actuel­lement fixés par la coutume binchoise. En musique, comme dans les autres domaines carnavalesques, usages ou coutumes, un code oral inflexible arrête toute déviation, interdit toute addition ou fantaisie.

On compte vingt-six airs joués effectivement. Il faut y joindre le célèbre avant-din.ner que battent les tambours, sans accompagnement d’orchestre.

 

In:  EM 3/1984, p.50-51

 

(p.51) Un des accessoires de dérision, le RAMON ou le HAPE-TCHÂR, était utilisé anciennement à Binche contre les non-masqués.

 

in : Adelson Garin, Binche et le carnaval, éd. IP, 1998, p.181

 

(…) Quant au gamin, l’année où l’on fait sa communion, l’Eglise ne permet pas de faire le Gille.

 

Christian Quinet, Le cortège du Laetare à La Louvière a 125 ans, in: MA, 2, 2007

 

2. L’éclosion

 

Une première cavalcade sera improvisée en 1868 par une société de jeunes, dénommée Les Sans Noms. L’année suivante, en 1869, l’impor­tance du hameau étouffant celle de la cité mère de Saint-Vaast, le rêve d’Amand mairaux se matérialise: La Louvière devient commune à part entière et englobe sous son nom les quartiers que nous connaissons aujourd’hui. L’industrie et, complémentairement, le commerce, vont favoriser le développement et l’épanouissement d’une «cité-champignon» qui se transforme à la faveur de la création, notamment, du périmètre de Maugrétout et l’érection de l’église Saint-Joseph. Tout naturellement, les groupes folkloriques disparates vont se discipliner, inclinant progressivement vers l’uniformité.

Alors que l’acte de naissance des Gilles de Bouvy, nous l’avons vu, est déjà établi depuis 1862, c’est après 1869 qu’apparaissent les sociétés de Gilles de Hocquel, Mitant-des-Camps (1878) et Boute-en-train (1886), cette dernière étant l’émanation des Clowns et Paysans puis Paysans lonviérois chers à Alfred pourbaix. Nous noterons aussi, à Baume, l’existence des Zouaves et des Arlequins sous la houlette des cousins lecat, potiers et rivaux, ce qui provoquait parfois des bagarres quand les deux groupes se croisaient.

La tenue du Gille commence timidement à se standardiser. Le chapeau « à ramponeau »J est porté par les Gilles de Bouvy jusque vers 1900, avant que ne triomphe définitivement le haut chapeau.

La création de l’Association des commerçants louviérois, en 1877, chez Madame veuve MERCKX2 constitue le déclic pour le futur carnaval louviérois. En fait, le carnaval existe déjà mais son authenticité dépendra de l’organisation d’un cortège. Sous la présidence de Romain dubois (actuel café Le Mansart), il est décidé, lors du mardi-gras de 1881, d’établir une Commission des fêtes. Celle-ci décidera l’organisa­tion, en 1882, d’un cortège centralisé sur la commune de La Louvière. Le programme de ces premières festivités officielles laisse rêveur et provoque le sourire quand on le compulse aujourd’hui:

1.      Samedi soir: grand bal masqué des commerçants.

2.    Dimanche matin: sortie des sociétés locales.

3.    Après-midi: sortie du carnaval des enfants avec orchestre.

4. Le soir: bal masqué populaire sur la place Maugrétout, et carnaval de nuit dans les cafés.

5. Lundi matin, sortie des Gilles et des violes, arrivée des sociétés régio­nales. Départ du cortège à 11 heures (jusqu’en 1884) – dislocation
vers 15 heures puis… carnaval de rue (!)

Le soir, bal populaire masqué sur la place Maugrétout, et carnaval de nuit dans les cafés.

Autres temps, autres mœurs, qu’importé ! Le cortège du Laetare existe désormais; il va croître et embellir, attirer chaque année des dizaines de milliers de spectateurs et ne sera interrompu que par les deux guerres mondiales pour renaître ensuite chaque fois plus tonique. La Louvière peut maintenant brandir sa devise comme le meilleur label publicitaire: « Cum Lupis, LaeLare ! », « Avec les Loups, réjouis-toi ! » Le dernier loup rescapé de la Forêt charbonnière est aperçu aux abords de la commune au début du xx*™’ siècle. Les Gilles, à leur tour, vont se multiplier…

 

(1)    en wallon ramponau: filtre à café dans lequel s’introduit le saclot. De forme conique, ces chapeaux étaient le plus souvent rehaussés d’un plumet de marabout. Celui-ci est porté jusque vers 1930 à Chapelle-lez-Herlaimont.

(2)   Café situé au coin de la rue du Commerce, actuellement Albert Ier.

 

Bibliographie: Francis duquesnE, Si Laetare m’était conté – le carnaval louviérois, 1991.

 

in: MA, 1, 2003, p.5-14

 

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,

Le renouveau du carnaval louviérois en 1946

 

Jacques UÉBIN, licencié en histoire, directeur honoraire de l’Écomusée régional du Centre

El djoû dou Laetarè

On ravise pa l’fèrnièsse

Si l’soley’s’a moustrè

On dit « Ah ! Que bêle fièsse » ‘

Septembre 1944. La région du Centre est libérée. Partout, c’est la joie… même si le ravitaillement est maintenu, même si l’angoisse subsiste quant au sort des prisonniers encore de l’autre côté du Rhin, là où la guerre perdure.

Huit mai 1945. L’Allemagne capitule. Commencent alors le retour des prisonniers et le procès de la collaboration. Celui de la Werbestelle 2 se déroule, au moment du carnaval, à Charleroi, dans les lo­caux de l’Université du Travail. Des fêtes de la Libération se déroulent presque dans chaque com­mune. À Bois-d’Haine, à la ducasse du Thiriau-Station, du 20 au 23 juillet, c’est l’occasion de faire le gille3 et l’éphémère société « Les Sans Repos » arpente les rues du quartier. Comme les oranges sont pratiquement inexistantes, les gilles offrent de petites pommes et des prunes…

Le premier carnaval de Binche de l’après-guerre a lieu, sous la neige 4, les 3, 4 et 5 mars 1946 ; à Morlanwelz et Haine-Saint-Pierre, les 10,11 et 12 mars ; à Leval-Trahegnies, les 17 et 18 mars.

À La Louviène, les sociétés carnavalesques, qui connaissent des défections depuis 1939 5, se refor­ment dès le mois de juin 1945. Il s’agit de fêter le renouveau du Laetarè les 31 mars, 1er et 2 avril 1946. « … Nos gilles ne le voudront céder en rien à leurs aînés de Binche dont ils auront les plus bel­les parures, les plus beaux chapeaux, le meilleur de leurs orchestres et… l’émulation des mêmes gé­nérations puisque La Louvière va célébrer, ces 31 mars et 1er avril 1946, le 63e anniversaire de son cortège carnavalesque »6. Pour cette occasion, le Collège échevinal interdit le port du masque sur la voie publique7.

 

1 Dans La Nouvelle Gazette, 30-31 mars 1946, p. 2.

2 Service du travail obligatoire (office d’embauchage).

3 Voir J. LIÉBIN, Après la Seconde Guerre mondiale, le renouveau des ducasses. Un exemple : la ducasse du quartier Thiriau-
Station à Bois-d’Haine,
dans Nos ducaces. Ducasses dans la région du Centre d’hier à aujourd’hui, Écomusée régional du Cen­
tre, La Louvière, 1997, pp. 189-200.

4 Des prisonniers allemands embarquent la neige par camions et nettoient les rues et trottoirs.

5 Parmi les sociétés disparues, notons : « Les Marins du Cras-Culot » (ils reviendront, l’année suivante, sous le nom de « Les
Gais matelots » et ce, jusqu’en 1961), « Les Verts Ryons du Mitant des Camps », les gilles « Les Rinlis » (qui, pourtant, obtien­nent du Collège échevinal l’autorisation de collecter à domicile pour assurer leur participation au carnaval de 1946, A.V.L.L.,
registre des délibérations du Collège, 11 janvier 1946).

6 Dans La Nouvelle Gazette, 30-31 mars 1946, p. 2.

7 Archives de la ville de La Louvière (A.V.L.L), registre des délibérations du Collège, 18 janvier 1946.

 

(p.6) Les sociétés de gilles se plaignaient de la longueur du cortège d’avant-guerre. Le Comité des Fêtes revoit celle-ci à la baisse, avec l’accord du Collège échevinal8. De plus, pour éviter un long stationne­ment des gilles, rue J. Jaurès9, pendant que les sociétés de fantaisie présentent leurs ballets devant l’Hôtel de Ville, le cortège se scindera à hauteur de la place Maugrétout et adoptera des itinéraires différents 10.

Dès le début de mars, de grands panneaux « Gille » ont été placés à Bruxelles pour annoncer le car­naval. Des trains spéciaux sont programmés au départ de la Capitale n, mais aussi de Rongy, He-mixem, Nivelles, Erquelinnes, Braine-l’Alleud 12. Des trams spéciaux et à circulation plus tardive sont prévus à partir de Charleroi, Le Rœulx, Bracquegnies, Familleureux, Manage, Binche… °. Des parcs de stationnement pour les automobiles sont réservés rues F. Ferrer, R. Milcamps et A. Warocqué14.

Grâce aux souscriptions des commerçants louviérois : « Donnez-nous, nous vous rendrons !», le Co­mité des Fêtes peut engager trois nouvelles sociétés de fantaisie : « Le soutien de Molenbeek », « Les Canards de Saint-Médard » d’Anderlues et « Le Cercle royal Le Laurier » de Verviers. Les affiches du carnaval sont recherchées par les soldats américains qui souhaitent en ramener dans leur famille. Le journal Indépendance tient à souligner15 : « Savent-ils, ces grands gosses, que le gille vient de chez eux ? », perpétuant la légende de l’origine inca du gille de Binche 16.

Dans le mois qui précède le Laetare, le journal Indépendance va à la rencontre des responsables des sociétés carnavalesques dans une chronique intitulée « Dix minutes avec… ». C’est l’occasion de rap­peler l’origine, le développement de quelques groupes comme « Les Algériens et Alsaciennes du Hoc-quet ».

En prélude au Laetare se tient, le samedi 30 mars, à l’hôtel Excelsior (rue Albert Ier), le Bal des Amitiés françaises, où se mêlent toilettes du soir et costumes divers. Les danses sont rythmées par l’orchestre de jazz Liberty-Swing 17.

Le dimanche 31 mars, dès 6 h du matin, le ramassage des gilles commence avec l’aube. « L’ambiance du carnaval 1946 est créée et rien ne pourra plus freiner le flot immense de musique, de danse et de joie qui va déferler, trois jours durant, à travers la vie louviéroise » 18. Dix heures, les sociétés locales se dirigent vers le Drapeau blanc, où la foule, venue en tram des communes environnantes, com­mence à se masser. Elles gagnent ensuite l’emplacement qui leur est assigné au bas de la rue Sylvain Guyaux. Le départ a lieu à 10 h 45, d’abord les sociétés de fantaisie : « Les Joyeux Moufflus » de Baume et « Les Algériens et Alsaciennes » du Hocquet, suivies des sociétés de gilles « Les Boute-en-

8 A.V.L.L., registre des délibérations du Collège, 9 mars 1946.

9 Ce sera finalement la rue des Forgerons qui sera choisie.

10 Dans Indépendance, 10 et 17 mars 1946, p. 2.

11À Bruxelles Midi, on compte déjà 5.000 inscriptions le mercredi 27 mars (dans La Nouvelle Gazette, 29 mars 1945, p. 2).

12  Dans La Nouvelle Gazette, 20 mars 1945, p. 2.

13  Dans La Nouvelle Gazette, 30 et 31 mars 1946, p. 5.

14  Dans La Nouvelle Gazette, 30 et 31 mars 1946, p. 2.

15  Les 10 et 17 mars 1946, p. 2 ; dans La Nouvelle Gazette du 14 mars 1946, p. 3.

16  Voir Samuel GLOTZ, Le carnaval de Binche, coll. Wallonie, Art et Histoire, 26, Gembloux, 1975, pp. 31-35. Conçu par A.
Delmée en 1872, le mythe du gille inca revient en force en 1931 avec l’ouvrage d’A. LABRIQUE, Le carnaval de Binche, qui, tiré
à dix mille exemplaires, influencera bien des gens jusqu’après la Seconde Guerre mondiale !

17  Dans Indépendance, 1er avril 1946, p. 2.

18  Dans Indépendance, 1er avril 1946, p. 2.

 

 

(p.7) train », du Mitant des Camps, de Bouvy, du Rieu de Baume et du Hocquet. Le cortège contourne la place Mansart, puis défile dans les rues Albert Ier et de la Loi, noires de monde, pour gagner la place Communale où, un à un, les groupes s’arrêtent devant l’Hôtel de Ville pour interpréter soit un ballet, soit un petit rondeau pendant qu’au centre de la place, de joyeuses bandes de jeunes gens et de jeu­nes filles dansent en se tenant par la main. Le cortège remonte alors le boulevard Mairaux jusqu’à la place Maugrétout, où un dernier rondeau se tient.

L’ambiance est intense dans les cafés, d’autant plus que la Royale Association Athlétique Louviéroise (R.A.A.L.), alors en promotion C, a vaincu, par 2 à 1, l’Union de Haï qu’elle recevait l’après-midi sur son terrain du stade Triffet, rue du Hocquet19. Plusieurs cafés se sont assuré le concours d’un orches­tre soit de jazz, soit musette. Ainsi, la taverne Stella, place Maugrétout, propose le quatuor Pierre Vaessen et le comique danseur Darius 20. De son côté, l’Administration communale s’est préoccupée de veiller à l’approvisionnement des commerçants en Champagne. Les cafetiers, hôteliers, restaura­teurs et habitants sont avertis des noms et adresses des grossistes locaux où ils pourront trouver du Champagne à des prix normaux, soit 200 frs la bouteille. Dans les cafés et restaurants, la bouteille

19    L’équipe de la RAAL comprenait M. Braeckevelt ; M. Joniaux et C. Dauw ; F. Vanassche, A. Hellemans et L Chaput ; A. 3ans-
sens, 3. Sauvage, A. Alleweireldt,  M. Verqualie et R. Vivey (voir A. ALLEWBRELDT, 3. UÉBIN et 3. VANHESE, Si la K.A.A.L.
nous était contée…,
La Louvière, 1977, pp. 73-92.

20   Dans La Nouvelle Gazette, 30 et 31 mars 1946, p. 5.

 

(p.8) sera vendue 250 frs aux gilles et 275 frs aux particuliers ; la coupe en dégustation sera affichée à 30 frs (notons qu’à ce moment, le journal coûte 1 fr.)21.

Des attractions foraines sont installées sur les places Mansart et Maugrétout : autos-skooters, tirs à pipes, chevaux de bois, diseuses de bonne aventure, baraques à frites…

Vers 19 h, la rue Hamoir devient le pôle d’attraction des sociétés locales pour la formation du cortège aux lumières à 19 h 30. La foule paraît plus dense que le matin. Le cortège défile dans le même ordre, cette fois par les rues Hamoir, de Bouvy, des Amours, place Mansart, rue Albert Ier, place Maugrétout, boulevard Mairaux pour s’acheminer vers l’Hôtel de Ville, avant d’assister au feu d’artifice 22. Celui-ci est varié et allumé électriquement : diadèmes pailletés, bataille multicolore, aigrettes magiques, ri­deau scintillant, mosaïque merveilleuse, bataille éblouissante, grande cascade, intermède de feu et bouquet final23.

Des bals, travestis ou non, se tiennent au Théâtre wallon (place 1 Mansart), à l’hôtel Exceteoir (rue Albert Ier), au Théâtre de La Louvière (rue Ch. Nicaise), à l’hôtel des Mille Colonnes (rue S. Guyaux), au Monico (place Maugrétout)24, pendant qu’au cinéma, on joue Casablanca 25 au Royal et La ruée sauvage26au Kursaal.

Le lundi du Laetare tombe un 1er avril… Jour du Poisson ! Très sérieusement, La Nouvelle Gazette annonce : « Un honneur inespéré. En toute dernière minute, il nous est confié que grâce aux influen­ces que l’on devine au sein de notre édilité, la formation gouvernementale toute entière de M. Achille Van Acker, conduite par Monsieur le Premier Ministre en personne, inaugurera son avènement à La Louvière même. Une courte cérémonie officielle sera organisée en la vaste salle de l’Institut Saint-Joseph, bien que le nouveau gouvernement soit plutôt orienté à gauche, peu avant le départ du cor­tège du Laetare, à 3 h. Le public y sera admis sur présentation de la dernière convocation électorale et jusqu’à concurrence des places disponibles. La salle s’échauffera d’elle-même. Ajoutons que Mes­sieurs les nouveaux ministres seront amenés à La Louvière par te « Mitropa » 27 détourné pour la cir­constance et qui fera l’arrêt nécessaire à La Louvière centre, à 14 h 32 ». Gageons que de nombreux Louviérois se rassemblèrent devant la gare !

Le lundi matin, à 10 h 45, les sociétés étrangères prennent possession de la rue S. Guyaux, à proximi­té de la faïencerie Boch Keramis 28. On trouve ainsi : 1. Le Réveil disonais », de Dison (Liège) ; 2. « Les Papillons merveilleux », d’Ath ; 3. « Les Amis de la Picardie », dTEvere ; 4. « Les As-Soiffés », d’Ampsin (Amay) ; 5. Le Cercle « Denrées Attractions », de Bruxelles ; 6. « Les Canaris de Saint-

21   Dans La Nouvelle Gazette, 31 mars-1er avril 1946, p. 5.

22   Dans Indépendance, 26 mars et \” avril 1946, p. 2.

23  Dans La Nouvelle Gazette, 17 mars 1946, p. 3.

2/1 Dans La Nouvelle Gazette, 30 et 31 mars 1946, p. 5.

25  Rlm de Michael Curtis, 1942, avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman.

26  Western non déterminé.

27   Dans le contexte d’image gauchisante donnée dans l’article au nouveau gouvernement, l’idée de détourner un train d’Europe
de l’Est est ainsi avancée. Une société privée de wagons-lits et de wagons-restaurants, la Mitropa, était née en Europe centrale
en 1916, avec l’appui de la monarchie austro-hongroise. D’abord proches économiquement de la Compagnie internationale des
Wagons-lits (CIWL) après 1918, les voitures rouges de la Mitropa s’affirmèrent dans l’Europe de 1’entre-deux-guerres avec le
développement du Reich allemand. La nationalisation des société ferroviaires dans les zones d’occupation soviétiques permettra
à la Mitropa de se redéployer tout en se restructurant à Berlin-Est à partir de 1949.

28  Dans Indépendance, 26 mars 1946, p. 2.

 

(p.9) Médard », d’Anderlues ; 7. « Les Gais Lurons de Rongy » ; 8. « Le soutien de Molenbeek » ; 9. « De Vollendammers », de Gand ; 10. Le Cercle royal « Le Laurier », de Verviers ; 11. « De Vereenigde Vischmijnvrienden », d’Ostende.

Le cortège se rend à la place Communale où des ballets sont exécutés devant l’Hôtel de Ville. Chacune
des sociétés délègue deux de ses membres pour être reçus par le bourgmestre Victor Ghislain, ac­
compagné des membres du Comité des Fêtes 29. Deux gilles jubilaires sont congratulés : Paulin Gau­
friez, 67 ans, et François Dessiméon, 71 ans, pour leurs cinquante ans de participation au carnaval en
qualité de gilles30.                                                                       *

 «Atmosphère de Laetare.

Foule, foule jeune, gaie, foule en laquelle s’exprime le soulagement de toute une région d’en être revenue aux beaux jours d’autrefois. Il y a de tout dans cette foule, des dominos, des pierrots, des arlequins et des grands-mères, des casquettes, des foulards, des chapeaux en papier, des confettis et des serpentins, des harmonicas et des violes. Les marchands de frites font des affaires d’or, les mar­chands de pistolets fourrés ont mal calculé l’appétit dévorant de tout ce monde qui crie, chante, danse, a soif et a faim.

29   Dans Indépendance, 26 mars 1946, p. 2.

30   Dans La Nouvelle Gazette, 2 avril 1946, p. 3.

 

 

(p.14) (…) Vers 16 h., les personnalités sont reçues à l’Hôtel de Ville. Parmi elles, on trouve : le colonel Defrai-teur, ministre de la Défense nationale 49 ; Collard, ex-ministre de l’Instruction publique ; Vervaeck, directeur général au Ministère du Travail ; Rolland, chef de cabinet du ministre de l’Instruction publi­que, Jules Cornez, gouverneur du Hainaut ; Decooman, président du Conseil provincial ; Liénard, gref­fier provincial ; Vanderoost, commandant de gendarmerie ; Willy Frère, député (La Hestre) ; Alexan­dre André, député permanent ; M. Burtin, de la Maison des Champagnes (Épernay) ; M. Brancart, contrôleur principal des Contributions (La Louvière) ; les Échevins et Conseillers communaux. Le bourgmestre V. Ghislain prononce un discours de bienvenue auquel répond le colonel Fraiteur. Le Champagne est alors offert aux invités. .Vers 18 h, du haut du balcon, ils assistent au défilé du cor­tège et au rondeau final50.

Le mardi, dès le matin, les sociétés de gilles recommencent à circuler dans la ville, au rythme des tambours, allant de café en café. « Les gilles ont-ils donc des muscles spéciaux pour être encore ca­pables, après deux journées comme celle d’hier et de la veille, de recommencer de garder la cadence et… de danser correctement ? » 51. Le soir a lieu le traditionnel brûlage des bosses. « Accroupis au­tour du bûcher, les gilles et leurs supporters contemplèrent le feu ravageant la paille et le foin qui s’évanouissaient en fumée, montant toute droite, dans le ciel embrasé. La paille crépita et siffla, des reflets furtifs, des ombres vacillantes passèrent sur les visages attentifs, voilés d’une légère mélanco­lie, penchés autour du feu » 52.

C’est la fin du Laetare… Déjà on songe au carnaval de 1947. Le comité des « Boute-en-train » se ré­unit et prépare le prochain carnaval. Il est temps, déjà, d’assurer les dépenses et de verser dès main­tenant à la cagnotte 53. Un receveur, ou coureur, pourra se présenter chaque mois chez le candidat ou celui-ci verse dans l’un des cafés retenus à La Louvière ou, à Bruxelles, au « Tabora », rue Guétry54.

 

 

*   Après l’échec du gouvernement Spaak renversé le 20 mars 1946 dans le cadre de la Question royale, et de longues tracta­
tions entre les partis, un nouveau gouvernement a été formé le dimanche 31 mars par Achille Van Acker, Premier Ministre et
ministre du Charbon. Ce gouvernement comprend six socialistes, six libéraux, quatre communistes et trois techniciens (dans
Indépendance, 1er avril 1946, p. 1).

50  Dans Indépendance, 3 avril 1946, p. 2 ; dans La Nouvelle Gazette, 2 avril 1946, p. 3.

51  Nadar, dans La Nouvelle Gazette, 3 avril 1946, p. 3.

52  Dans Indépendance, 4 avril 1946, p. 2.

53  Voir S. GLOTZ, op. cit., p. 12. Celui-ci distingue la « soumonza », cotisation mensuelle due pour l’inscription dans une société,
de la « cagnotte », c’est-à-dire de l’épargne que fait chaque gille pour les frais des festivités carnavalesques.

* Dans Indépendance, 6 et 7 avril 1946, p. 2.

 

www.carnavalnivelles.com

 

Si les origines du carnaval remontent au plus ancien des âges, nous tenons simplement par ce site à vous faire découvrir les débuts de l’histoire du gille dans notre ville et par ce fait, les bribes de ce qui allait devenir ce qui est aujourd’hui notre Société Royale « Les Gilles Nivellois ».

Si les articles de presse ne sont guère légion pour nous prouver l’existence de gilles au début du siècle à Nivelles, certains nous en donnent cependant une vague idée.
Et on peut donc considérer ceci :

En 1852, La Gazette de Nivelles annonce le 15 février le carnaval de Nivelles.
En 1902, « Piètre carnaval » mais aucune mention de gilles.
Entre 1904 et 1907, les informations sur le carnaval sont diverses, sans commentaire bien précis sur l’éventuelle présence de gilles ou même d’un cortège carnavalesque.
En 1911, dans l’union libérale du 12 février, le mot « Gille » fait une timide apparition, on parle alors de « Jolis Gilles ».
En 1912, sur une somptueuse affiche carnavalesque du 25 février, les gilles apparaissent au premier plan.

Il n’y a plus de doute possible une société aussi petite soit elle battait déjà les pavés de la Grand Place à Nivelles.
On peut donc affirmer que le premier groupe de gilles digne de ce nom fut formé à Nivelles entre 1908 et 1911.

En 1993, Le 7 juillet, après avoir introduit auprès du Cabinet du Roi une demande de reconnaissance des 50 ans d’existence de la Société « Les Gilles Nivellois », le titre de Société Royale nous est accordé.

C’est l’année 2002 qui fut choisie officiellement pour fêter les 80 ans de la société, plusieurs activités ont été organisées à cette occasion, et notamment un souper pour nos membres ; ce qui voudrait dire que la société existe effectivement depuis 1922.

Les rites folkloriques du gille ont pris racine dans la préhistoire

(Maurice Denuit, in: El Mouchon d’ Aunia, 1985, p.142-145)

1795 - à propos des gilles

(11 février 1795, in: Frédéric Ansion, Carnaval de Binche, s.d.)

1850 - djîle (gille)

(in: Cocorico, 17, 2011)

1865 - lès djîles à Binche (les gilles à Binche)

(in: Frédéric Ansion, Carnaval de Binche, s.d.)

1875 - djîle (gille)

(in: Frédéric Ansion, Carnaval de Binche, éd. Luc Pire, 2013)

1877 - Binche: carnaval

(Léo Van Elliot, in: Le Monde Illustré, 03/03/1877)

(Ansion, op.citat.)

1879: Binche - carnaval

(Ansion, op.citat.)

1886 - Binche : carnaval

(in: Frédéric Cordier, Binche, 2000 ans d’histoire, p.121)

(1886, in: Ansion, op.citat.)

1887 - on djîle (un gille)

(Ansion, op.citat.)

1889 - Binche: carnaval

(Ansion, op.citat.)

1890s - djîles (gilles)

1891 - Binche: carnaval

(Ansion, op.citat.)

1892 èyèt 1894 - Binche: carnaval

(Ansion, op.citat.)

1894 - Binche: carnaval: èl programe (le programme)

1895 - djîle (gille)

(in: Cocorico, 17, 2011)

1895 - Binche: carnaval

(Ansion, op.citat.)

                                                                1899

1899 - Binche: afiche / affiche

1899 - Binche: carnaval: cârte postâle (carte postale)

(Garin, op.citat.)

1900 - djîle èyèt s' tamboureû (gille et son tambour)

1900s - djîles (gilles)

(in: Dietz-Rüdiger Moser, Fastnacht-Fasching-Karneval, Ed. Kaleidoskop, s.d.)

1903 - Binche: lès housârds (les hussards)

(Ansion, op.citat.)

1904 - Binche: carnaval

1909 - Binche : carnaval

1910 - Binche: carnaval

1910 - Binche: djîles (gilles) (in: garin, op.citat.)

1920 - Lièrne (Leernes) - sôcièté d' djîles (société de gilles)

(s.r.)

1920s ou 1930s - Binche: carnaval

(Ansion, op.citat.)

1930 - Binche / Payisans (Paysans)

1930s - Binche / djîles èyèt tamboureûs (gilles et tambours)

                        (in: Hubert Boone,  Wim Bosmans, Instruments populaires en Belgique, éd. Peeters, Leuven, 2000)

1937 - Binche / lès Pirots (les Pierrots)

(Ansion, op.citat.)

1943 - djîles èyèt musicyins (gilles et musiciens) (prîjenîs d' guêre / prisonniers de guerre) (au Kommando 1263)

(Ansion, op.citat.)

1980 - Binche: carnaval: 431e anivèrsaîre (/ anniversaire)

(Ansion, op.citat.)

L'origine du mot 'soumonce'

(Samuel Glotz, Soumonce et soumon’za, deux mots du lexique carnavalesque binchois, in: Tradition wallonne, 7, 1990, p.53-88)

Samuel Glotz - Le carnaval de Binche et les archives communales

(in: El Mouchon d’Aunia, 1975, p.34-40)

réjion do Cente / origine do mot "feûreû" (région du Centre / origine du mot 'feûreû')

(in: Samuel Glotz, La signification originelle de notre appellation carnavalesque régionale “èl Feûreû”, in: El Mouchon d’ Aunia, 1987, p.172-174; 176-178)

Samuel Glotz - Carnaval et rites printaniers

(in: El Mouchon d’ Aunia, 7, 1976, p.132-137)

Djîles di Binche èyèt Incas / Gilles de Binche et Incas: on faus raprotchemint / un rapprochement erroné

(Robert Dascotte, Les gilles de Binche et les Incas, in: El Mouchon d’ Aunia, 1986,p.100)

(Carole Corso, La fin de la légende des Incas, in: Le Soir, 07/11/1991)

(Patrick Haumont, Il était une fois à Binche une légenkde qui devint réalité, oin: LB, 04/02/1994)

(èreûr / erreur / vergissing: “optreden van de Gilles waarvan de oorsprong teruggaat tot de inka’s”, s.r., 1990s) (vêci / ici – hier: tijdens de Ommegang van Brussel)

Patrick Haumont, Un polichinelle, le gille?

(in: LB, 04/02/1994)

Djîles / divant l's-oranjes, do pwin èt d's-agnons (avant les oranges, du pain et des oignons)

(in: LB, 04/02/1994)

0.2   Organisation actuelle / Ôrganisâcion asteûre

0.2.0   Généralités / Jènèrâlités

(in: Touring Club Magazine, février, 1988)

Samuel Glotz, Un accessoire du danseur carnavalesque binchois : l’ apèrtintaye / étude lexicologique et ethnologique, Tradition wallonne, De Malmedy et d’ailleurs, 11, 1994, p. 139-179

 

Le carnaval, dans ma petite ville /de Binche/, commence par deux dimanches de répétitions de batterie, que suivent quatre dimanches de soumonces. Les deux premières de celles-ci sont dites en batterie ; dans ces deux sorties préparatoires, seuls les tambours battent le rythme de la danse, que scande et ponctue la mailloche de la grosse caisse. (…) Beaucoup de danseurs ont ceint l’ apèrtintaye et brandissent èl ramon (le balai). Dans cette tenue vestimentaire quotidienne, ces danseurs, par ces deux éléments auxquels s’ajoutent parfois les sabots, appartiennent déjà au monde festif, au rituel carnavalesque.

 

in:  EM 3/1984, p.50-51

 

(p.51) Binche:

Début vers la mi-janvier par les répétitions de batteries dans le local de la société; on danse: on fét in toûr dè biliârd.

Ensuite, 4 soumonces (étalées sur 4 semaines, comme à Malmedy (pvocine de Liège: les 4 jeudis gras):

(1) d’abord en batterie; (2) puis en musique.

 

(NB On peut se masquer dès le 2/2, jour de la Chandeleur).

Le lundi précédant le dimanche-gras, on va fè lès trouyes (dè Nouye) (= lès mascarâdes), la nuit des Trouyes.

 

Ensuite, 3 jours gras:

– dimanche: lès mamesèles ou autres travestis masculins (à l’ viole = orgue de Barbarie)

lindi, à l’viole, d’ ène méso à l’ôte,

– mârdi, lès djîles avè lès marins, lès brigands, lès pièrots, lès payisans;

finale: èl rondau.

 

http://www.carnavallalouviere.be/ > Ièsse Djîle … (choûtez / écoutez)

 

Francis Duquesne, Si Laetare m’était conté, Le carnaval louviérois, 1991

 

(p.28) LE MOUSQUETAIRE CONDUCTEUR DE SOCIETE

 

Anciennement, un mousquetaire conduisait les sociétés de la région.

Certains avaient des costumes fastueux. Arthur Deguitte fut mousquetaire chez les Gilles “Amis Réunis” et par après chez les Gilles du Hocquet.

A l’heure actuelle ce personnage est remplacé par un “champète”. Il est très utile à la société car il a entre autres pour mission de surveiller les Petits Gilles.

 

0.2.1   Soumonces / Soumonces

Soumonce

(in: El Mouchon d’ Aunia, 1973, p.171)

Binche - soumonce

(A. Garon, op.citat.)

èl Louviére - Soumonces

(in: El Mouchon d’ Aunia, 2012)

(s.r.)

0.2.2   Trouille-de-nouille(s) / Trouyes-guènouyes

in : EM 2/1984, p.30-33

 

En ce qui concerne Binche, comme dans tous les carnavals traditionnels, c’est-à-dire d’implantation ancienne, la mascarâde, à savoir le port d’un déguisement avec les usages qui s’y lient, constituait encore à la fin du 19e siècle et au début du 20e, l’un des éléments carnavalesques de nos usages. Les semaines précédant les jours gras, aussi bien que durant les trois journées terminales, on voyait déambuler les trouyes guènouyes (12). Le ton étant donné par les Binchois, les étrangers, c’est-à-dire les non-indigènes, prenaient plaisir à venir chez nous, masqués, déguisés, travestis. Pour sanctionner la loi carnavalesque, une police bénévole et bon enfant régnait et taquinait les non masqués. Les pierrots de Bruxelles ou pièrots d’ son vous glissaient dans le cou ou vous lançaient au visage quelques poi­gnées de son. Les confetti, les plumes de paon, les zigzags, les tubes lance-parfum équipaient d’autres masques ou travestis. Mais la vessie restait bien l’arme de dissuasion locale, le nucléaire carnavalesque. La menace de cette bombe atomique planait sur les gibus, hauts-de-forme, jugés comme endeuil­lant l’ambiance. Nos grands-parents connaissaient la règle et la coutume. Si, par malheur, quelque bon bourgeois avait méconnu la décence vestimentaire, le savoir s’habiller à la mode du jour, la vessie menaçante ou imprévue le rappelait à l’ordre. Le chapeau buse ou le melon une fois trépassé, il ne res­tait plus au quidam qu’à passer chez le costumier, par exemple, chez Fondu, pour louer ou acheter le couvre-chef, le travesti, le masque adéquats. Dura lex, sed lex !

Les comptes rendus des journaux locaux de l’époque révèlent bien cet aspect de mascarade générale du Mardi gras. Ainsi d’ailleurs que certains dé ails d’affiches, de photos, et dessins anciens ! « A Binche, on ne fait pas tapisserie. Pas de spectateurs si ce n’est les cloisons et les grillages qui blindent les fenêtres. Tout le monde gambade…, jette des confetti et traque à coups de vessie les imprudents qui s’aventurent dans les rues sans être masqués… Le carnaval de Binche comporte le masque obligatoire.» (13). Une autre description lyrique raconte : « Et l’on voit dans les airs des quan­tités inimaginables de « vessies » s’agiter et retomber à coups redoublés sur le dos des malheureux qui se sont aventurés dans cette qalère sans avoir pris la précaution de revêtir un domino ou un autre déguisement. Et, du milieu (p.31) de cette foule qui danse, des milliers d’oranges sifflent, volent dans la direc­tion des fenêtres où les curieux sont cachés… » (14).

Longtemps subsista la coutume. Avant 1914, et dans l’immédiat après-guerre, des Binchois guettaient les victimes dans les alentours de la gare, sur le parcours obligé qui menaient les visiteurs vers le centre de la ville. On disait bien que la place E. Derbaix était une sorte de “zone neutre” dans laquelle on laissait le temps d’arborer un quelconque signe de folie carnava­lesque. Mais quelques coups de vessie, déjà là, rappelaient à l’ordre les ignorants, les hésitants, les récalcitrants. On s’affublait d’une coiffure de papier ou de tissu léger qui enveloppait le melon ou le feutre infâme. La plupart descendaient du train, travestis ou déguisés. Des échoppes permet­taient d’acquérir, pour un prix modeste, la trompe bruyante, le masque de carton, le loup de velours, le faux-nez grotesque, le lance-parfum aguichant. Certains retournaient leurs manteaux et entraient dans la lice carnavalesque. Ainsi affublé, le pékin ou le civil échappaient à la vindicte binchoise. En théorie, il était préservé du coup de vessie qui, pendant une large partie de la journée, menaçait de lui rappeler la « décence » vestimentaire.

Une fois hors des alentours immédiats de la gare, sévissait la « police ». Les binchois qui ne participaient pas au carnaval dans les rangs d’une société prenaient plaisir à devenir de vigilants gardiens de l’ordre ou du désordre. Souvent, ils revêtaient un domino. Cet ample surtout de satin noir, diffusé depuis l’Italie dans une large partie de l’Europe du 19e siècle, était peu onéreux à réaliser. La mère, la sœur de l’épouse, le frère, taillait, cousait la satinette, le satin noir, d’un prix léger. On doublait le capuchon de satin bleu ou rouge et on n’oubliait pas de pendre un gland d’or, une floche, à la pointe du capuchon et aux deux extrémités de la ceinture. Le domino se masquait volontiers d’un loup noir, auquel, pour cacher le bas du visage, s’ajustait un rectangle de satin noir, que nous dénommions èl bavète.

Au fil des années, par une évolution lente, la situation en arriva à se transformer. Les jeunes Binchois dansèrent au sein ou derrière les sociétés. Occupés à d’autres plaisirs, ils perdirent le goût d’assumer cette fonction de police carnavalesque. Peu à peu, les bandes de porteurs de vessie devinrent de plus en plus composite. De moins en moins d’autochtones, de plus en plus d’étrangers à la ville et à l’esprit bon enfant en usages locaux ! Les Binchois ne firent plus la loi- D’autres s’en chargèrent. Ce qui était divertis­sement, facétie, jeu naïf et amène, devint top souvent, pour des fiers-à-bras, le prétexte de déployer force et violence, grossièreté et vulgarité. Les bâtons auxquels s’attachait la corde de la vessie blessaient volontairement ou non. Sans doute, ces scènes agressives étaient-elles rarissimes. Les rues de Binche ne se sont jamais muées en terrains de lutte ou en rings de boxe. Mais cette brutalité accidentelle, qui n’existait guère jadis, finissait par gâcher des heures dévolues à la danse, à la camaraderie, à l’amitié, au plaisir. Nous avons vu, vers 1930, emmener au commissariat un boxeur professionnel. Feignant de distribuer des coups de vessie, il assénait, en réalité, des coups de poing. La méchanceté et la vulgarité tuent la fête. Certes nous ne nions pas que l’une ou l’autre sévissent au carnaval comme dans n’importe quelle manifestation publique. Toutefois, elles n’en constituent pas, contrairement à ce que l’on affirme parfois, des éléments caractéristiques, spécifiques, nécessaires.

Les quelques excès commis par des forcenés ou des voyous qui cher­chaient la rixe, violence d’autant plus facile que les dés étaient pipés et qu’ils s’attaquaient volontiers aux plus faibles, amenèrent l’Administration com­munale à arrêter des mesures de police. Dès avant 1940, on réglementa la longueur des bâtons Ceux-ci ne purent plus dépasser vingt puis quinze centi­mètres. On finit par interdire les bâtons eux-mêmes.

(p.32) Dans l’entre-deux-guerres et dans les deux décennies qui suivirent le second conflit mondial, les étudiants des facultés universitaires assurèrent la relève. De plus en plus nombreux, ils déferlaient sur la ville, gouailleurs, chahuteurs. Coiffés de la flate académique, de la toque d’astrakan de Louvain, de la casquette à longue ou courte pène ou visière, ils arboraient qui la toge aux parements rouges ou verts selon les facultés, qui le cache-poussière blanc de leurs laboratoires. Ou encore de simples trench-coat. Bientôt, il est vrai, le blanc prévalut et déferlèrent les pseudo-étudiants des « facultés universitaires » des environs. Le cache-poussière blanc noirci d’inscriptions ad hoc, spirituelles, humoristiques ou sans originalité, devient la tenue aristocratique d’une jeunesse qui plagie fort mal, souvent dans la vul­garité, ses aînés. Les jeunes filles étaient rares sur les bancs des facultés, entre les deux guerres. Au temps de notre adolescence universitaire, les louveteaux que nous étions étaient nombreux à épier, contempler, admirer les rarae aves, les merles blancs, les phénix qu’elles représentaient. Raris­simes étaient par ailleurs les jeunes filles assez émancipées pour oser pré­férer la liberté dans le vagabondage d’une journée folle au sein d’une bande de camarades, à la docte moiteur des auditoires académiques. Lorsque le nombre s’accrut de ces pseudo-étudiants, les jeunes filles, même des gamines, se multi­plièrent, elles aussi, sans jamais atteindre la foule des jeunes gens. Par ailleurs, on ne les vit guère, sauf exception, se mêler aux homériques combats que se livraient les vrais étudiants. Une magnifique photo de feu Emile Legrand (15), de 1928, est un des rares documents photographiques que nous possédions sur ces batailles joviales (16). Une jeune femme masquée coiffée d’une flate, juchée sur les épaules d’un étudiant de l’université de Bruxelles, brandit sa vessie. Tout autour, les étudiants, casquette à courte pène ou flate, se battent amicalement à coups de vessies. La mimique de chacun est signifi­cative. On tente de s’abriter et on est prêt à lancer la contre-attaque. Il n’y a encore, dans le groupe, aucun cache-poussière blanc maculé d’inscriptions. La mode n’en florira que plus tard, surtout après 1950.

 

Samuel GLOTZ

 

Membre de la Commission Royale Belge de Folklore,

Conservateur honoraire du Musée International du Carnaval et du masque.

 

(12) On emploie aujourd’hui, sans doute à tort, la forme trouilles-de-nouille. Mea culpa, maxima culpa : la prononciation ancienne serait, malgré ce que j’en ai dit erronément, trouilles-guenouille (en wallon: trouyes-guènouyes). Battons notre coulpe !

(13) Le Binchois, hebdomadaire local catholique, 26 février 1892.

(14) La Constitution, hebdomadaire local libéral, 23 février 1896.

(15) Emile Legrand appartenait à une famille foncièrement libérale. Il était un instrumentiste, un bombardon, de la fanfare binchoise  Les Chasseurs. Il anima longtemps de ses lazzi et de ses chansons un groupe de musiciens qui allait (p.33) jouer les airs dits de Gilles dans maints carnavals des environs et, parfois même, à l’étranger. Vers la fin de sa vie, lorsque sa santé défaillante ne lui permettait plus de porter un instrument de cuivre aussi lourd que le bombar-don, il se reconvertit. Au lieu du fifre traditionnel, èl sife, il adopta la flûte sans doute plus facile pour lui qui commençait à manquer de souffle. E. Legrand et sa flûte faisaient partie du Mardi gras binchois. Il prenait plaisir à siffler l’air de l’Aubade matinale, si chère à nos coeurs, et qui commençait, faute de sifes, à n’être plus entendue dans le matin du Mardi gras. On crai­gnait que l’usage ne s’oubliât. E. Legrand reprit le flambeau. Il courut d’une société de Gilles à l’autre au hasard de ses amitiés et de ses rencontres, pour que, à nouveau, l’Aubade matinale retentisse dans les rues de Binche. Dans les dernières années, si son esprit demeura vif et son caractère jovial ou joyeux, il commença à ‘Se paralyser, la marche lui devint pénible. Malgré ces handicaps physiques, son plus grand plaisir resta d’attendre le passage, en face de chez lui, d’un groupe de Gilles, de travestis de fantaisie, et surtout de ces Paysans du Collège qu’il aimait tant et à qui il avait donné, malgré ses convictions philosophiques athées, beaucoup de son cœur. Alors quand pas­saient ses chers Paysans du Collège, les Arlequins de l’Athénée Royal, les Récalcitrants, les Incorruptibles où dansaient ses petits-enfants et arrière-petits-enfants, et n’importe quelle société, il se faisait sortir de sa maison, avenue Jean Derave. Sur le bord du trottoir, entouré de ses proches et de ses amis, il sifflait la mélodie que nous attendions. Et les larmes perlaient sur la peau fripée par l’âge. Voilà une image plus révélatrice de la vraie face du carnaval que la violence ou la grossièreté de rares individus qui sont sans aucun lien avec la ville et ne connaissent pas l’esprit de nos coutumes, l’affa­bilité de notre accueil, la chaleur « castillane » de nos amitiés, la tendresse, à fleur de cœur, de notre sociabilité.

(16) Les batailles à coups de vessie n’étaient pas faciles à photographier. Les caméras perfectionnées ne se répandirent que, peu à peu, après la se­conde guerre mondiale. Le temps était souvent pluvieux, sombre. Le peu de sensibilité des films ne permettait pas, sinon qu’avec une ouverure maxi­male du diaphragme, la prise de vues. Les combats se déroulaient très rapi­dement En quelques dizaines de secondes, tout était fini car les vessies s’échappaient des mains, volaient dans les airs, ou se crevaient car d’astu­cieux pseudo-bourgeois garnissaient leurs provocants mèlons ou feutres, d’aiguilles meurtrières. Les scènes étaient, en outre, très mobiles. La victime fuyait. Les traqueurs se lançaient à la poursuite. Les combats étaient mou­vants. A peine s’était-on installé et avait-on mis au point que c’était derrière vous, et derrière un rempart de spectateurs goguenards, que la scène se déroulait;. Tout cela explique la rareté des photographies alors que les des­sins, eux, sont anciens et nombreux. Cf. S. Glotz, Le Carnaval de Binche. Mons, Fédération du Tourisme du Hainaut, p. 36, 38, 41.

0.2.3   Les jours gras / Lès cras djoûs

(in: Touring Club Magazine, février 1988)

(A. Garin, op.citat.)

Adelson Garin, Binche et le carnaval, éd. IP (check), 1998

(p.88) Le Dimanche gras

 

Carnaval ! Comme pendant les jours qui précèdent le Carême, on peut « manger gras », on appelle ces trois jours : Dimanche gras, Lundi gras et Mardi gras.

Au siècle dernier, les Gilles lançaient des fruits de la terre (marrons, noix) ou des petits pains pour fêter le retour du printemps. N’oublions pas qu’à l’époque, le prix des oranges était prohibitif. D’où, cette chanson que rappelle René Légaux :

 

Djîle, t’ âras fangn

Dè pangn, dèmangn.

Alècsite, Marîye Tafa,

Èlle a ‘ne bosse come in sèya

Djîle, done m’ in in morcha.

 

qui se traduit :

Gille, tu auras faim / De pain, demain. / Alexite, Marie Tafa /

Elle a une bosse comme un seau / Gille, donne-m’en un morceau.

Lès groupes do carnaval di Binche (Les groupes du carnaval de Binche)

Payisans (Paysans)

Payisans (Paysans)

(in: Carnaval de Binche, Office du Tourisme, s.d.)

Arlèkins (Arlequins)

(in: Carnaval de Binche, Office du Tourisme, s.d.)

Pièrots (Pierrots)

(foto / photo: Patricia Arcq, 2017)

Pièrots (Pierrots)

(in: Carnaval de Binche, Office du Tourisme, s.d.)

Pièrots (Pierrots)

(in: Bulletin d’information du service de presse de la Ville de Binche, 55, p11-21)

nos djîles (nos gilles)

(foto / photo: Benjamin Biolay)

(èl rondau / le rondeau)

Pourquoi à Binche, lors de la clôture du carnaval, les Gilles ne pratiquent-ils pas la coutume dite du "brûlage des bosses"?

(in: El Mouchon d’ Aunia, 1987, p.32-33, 44-46)

1.   Composition / Compôsicion

1.1   Gilles / Djîles

1.1.1   Le costume & le matériel / Li costume & li matériél 

1.1.1.0   Généralités / Jènèrâlités

Léon Duriau, Le gille de Binche, la confection de son costume, la fabrication du chapeau, accessoires, et tambour

(in: El Mouchon d’ Aunia, 1974, p.172-175)

(foto / phto: Benjamin Biolay)

vocabulaîre do djîle : pârtîyes en langue walone (vocabulaire du gille: parties en langue wallonne)

(è francès, in: Cocorico, 17, 2011; è walon: Johan Viroux, 2020)

Au départ de: « Le vocabulaire du gille dans quelques communes du Centre » par Robert Dascotte, annales du Cercle archéologique et folklorique de La Louvière et du Centre -1969-.

Adaptation: David André.

-avant-din.ner: s.m., avant-dîner, avant-midi. Se dit de l’air lancinant et répétitif, rythmé exclusivement en batrîye, soit par un (ou des) tamboûrs, éventuellement accompagnés d’une kèsse. Notez qu’il existe, selon les batrîyes, différents types de « jouage », soit de manières d’exécution. Ce « jouage » est tantôt enlevé, tantôt plus « décomposé », sorte de « marque de fabrique » de telle ou telle batrîye. En fait, il n’existe pas, à proprement parler, de seule et « bonne » manière d’exécuter l’ avant-din.ner. A l’image de notre société, le « jouage » évolue. Certaines baterîyes peuvent cependant se distinguer, encore aujourd’hui, par un caractère pouvant être considéré comme très « typique », car issu d’une tradition ancienne, souvent familiale.

Cf. baterîye, késse, tamboûr, tamboureû.

-apèrtintaye: terme adapté au départ du français apertintaille. Synonyme de colé d’sounètes. Cf. sounète.

-balot: s.m., costume comprenant la bloûse et la marone. Il est confectionné à partir de toile de lin sur laquelle sont cousus des lions héraldiques découpés dans de la feutrine rouge et jaune ainsi que des étoiles et couronnes aux couleurs nationales. En fonction du louwajeûr (ou louwadjeû) qui les réalise, ces derniers éléments sont de forme et de nombre variable. Notez que balot désigne également le costume de travail de l’ouvrier. Cf. louwajeûr, louwadjeû.

-barète: s.f., coiffure de coton blanc ; le gille qui ne porte pas de chapeau est appelé djîle à barète. Ce terme désigne également: 1°-le bonnet de nuit ; 2°-le bonnet de toile (ou bèguin dans ce cas) destiné à protéger le crâne du houilleur des rugosités du casque de cuir bouilli.

-baterîye: s.f., ensemble des tambours et de la caisse, dont le nombre est variable. Auparavant, les batteries étaient composées de membres d’une même famille. Ce n’est plus forcément d’actualité aujourd’hui, bien que les membres d’une batrîye respectent un même « jouage » ou manière d’exécution, afin d’en uniformiser l’ensemble.

Cf. avant-din.ner, kèsse, musique (musike), tamboûr, tamboureû.

-binde: s.f., société: il-avoût sakants (ou sakantès) bèlès bindes dè djîles au carnaval (carnèval) dèL Louviére.

-bloûse: s.f., blouson. Cf. balot, marone.

-bossâdje: s.m., 1°-action de bosser: pindant l’bossâdje, èl djîle dwat léchî pinde ses bras ; 2°-résultat de cette action: pou fé in bia bossâdje, i faut yèsse dok (adroit).

-bosse: s.f., bosse faite (généralement) de paille d’avoine (è)strangn’ d’avène, bourrée sous la bloûse ; la paille d’avoine est utilisée, entre autres, pour ses propriétés d’absorption de la transpiration. Deux bosses égales, l’une devant, l’autre derrière, donnet un aspect rebondi au torse et au dos du gille ; elles ne doivent être ni trop grosses ni trop basses: pou fé dès bèlès bosses, on-aprèsse dès tortchètes (ou torkètes) dè strangn’.

-brûlâdje dès bosses: s.m., brûlage des bosses qui a lieu le mardi soir du carnaval, en face du local de la société (binde). Un bûcher de fagots (et/ou paille) est surmonté d’un mannequin bourré de paille, revêtu d’un vieux costume de gille. On y met le feu et les gilles dansent autour. L’orchestre joue des airs de circonstance puis, sans transition, des airs mortuaires: à ce moment, les gilles s’agenouillent et font semblant de pleurer. Puis, brusquement, les airs de gilles reprennent et alternent avec les airs funèbres. Jadis, lorsque le brasier était sur le point de s’éteindre, les gilles l’alimentaient avec la paille de leurs bosses. Ce fait est notamment rapporté par Fernand Liénaux, à l’occasion de souvenirs d’enfance (Histoire et Petite Histoire de La Louvière – Tome 2- Huwé/Mengal/Liénaux, 1984). Le Dictionnaire du Wallon du Centre (p 207), appelle cette coutume èl passion. Ce terme n’a plus été relevé lors d’enquêtes ultérieures. Il s’agit très probablement d’un archaïsme.

Précisons qu’à La Louvière, si certaines sociétés brûlent les bosses, d’autres préfèrent à ce cérémonial un rondeau final, accompagné de feux de bengale ou d’un feu d’artifice.

-brûler les bosses: brûler les bosses.

-bosser: constituer les bosses du gille: c’ èst nî n dou promî n coûp qu’on sét bosser in djîle su l’indroût.

-bosseû: s.m., personne qui bosse les gilles: èl min.me bosseû bosse in sakant djîle tout timpe au matin.

-brîde: s.f., bride de cuir, clouée sous le sabot, entre la semelle et le talon du sabot. Elle est serrée vers l’extérieur à l’aide d’une boucle (blouke). Cf. chabot. -passe dèl brîde, s.f., rectangle de cuir ouvragé dans lequel coulisse la bride.

-bridon: s.m., mouchoir blanc, plié dans le sens de la longueur, passant sous le menton et noué sur le dessus de la tête pour fixer la barète. Notez que ce terme désigne aussi le mouchoir que les hiercheuses (et parfois d’autres ouvrières) placent sur la tête. Cf. barète, parau.

-capia: s.m., chapeau. Il est composé d’une coiffe entoilée de blanc, sur laquelle sont cousus des fleurettes blanches, des épis d’avoine et de blé dorés. Des étoiles dorées sont accrochées au rebord de la coiffe. Des rubans blancs sont attachés à l’arrière de la coiffe et une jugulaire (gourmète), serrée à l’aide d’une boucle (blouke), maintient le chapeau sur la tête. Des plumes (pleùmes ou plomes) d’autruche ornent la coiffe. Leur nombre est variable. Notez que l’on emploie la forme picarde capia dans tout le Centre, et que le wallon tchapia est très rarement employé dans la partie wallonne du Centre.

-carnaval: s.m., carnaval. Certains anciens disent encore à carnèval mais le terme au carnaval est plus généralement usité. On dit: daler à lès carnavals, fé lès carnavals. Cf. carnèval.

-carnèval: s.m., terme tendant à devenir archaïque . Variante de carnaval.

-caskète dè swa: s.f., casquette de soie noire dont se coiffe le gille à l’occasion des soumonces.

-cauchon: s.m. (Haine-Saint-Paul, Haine-Saint-Pierre, Houdeng-Goegnies, Houdeng-Aimeries, La Louvière). Variante de tchausson.

-chabot: s.m., sabot en peuplier (pouplî), ou en saule (sau), fumé pendant toute une nuit dans une infunkrîye où se cousume de la sciure de bois ; une lamelle de cuir renforce le talon et l’empeigne. La paire pèse environ 700 grammes. Cf. brîde, tchausson.

-col-tombant: s.m., collerette. Ce terme (synonyme de pèlèrine) peut être considéré comme un archaïsme. Il est fort peu usité de nos jours, ce qui était déjà le cas avant la dernière guerre, malgré son caractère savoureux. Il pouvait également être usité comme terme général de toilette.

-colé: collier (d’sounètes). Cf. sounète.

-colèrète: s.f. Synonyme de pèlèrine (et col-tombant). Terme adapté au départ du mot français, par des gilles de classe aisée qui ne parlent pas souvent le wallon, nous dit-on! Au départ, ce mot désigne plus particulièrement la collerette du « Pierrot ».

-djîle: s.m., gille. On dit: i fét lès djîles. On voit rarement des gilles fardés, qui ont mis du roûdje su leûs machèles (joues), ou gantés de blanc (édition originale!). D’un gille qui ne sait pas danser convenablement, on dit: c’ èst n’ fumèle dè djîle ou c’ èsst-in djîle à botines ; d’un gille qui relève les genoux trop haut en dansant, on dit: i fét l’arlèquin.

-ér dè djîle: s.m., air de musique de gille ; ces airs sont au nombre de 26 (non compris le célèbre avant-din.ner, le Mitan dès Camps -typiquement louviérois- et variante de l’air « Eloi à Charleroi », ainsi que « l’Aubade matinale ». -pas d’djîle: s.m., danse du gille: fé l’pas d’djîle.

-djîle dè késse: s.m., gille qui «se colle» à la baterîye: èl djîle dè késse va toudi à bache-dos (à dos voûté), èt in dalant dou cu.

-(è)rnon: s.m., rosace faite de rubans plissés, ornant le dessus du sabot. Cf. chabot.

-feûreû: feu du premier dimanche du Carême ; le 1er dimanche du Carême.

-garlot: s.m., grelot agrafé à la partie supérieure de la bosse qui gonfle la poitrine. Cf. sounète.

-gourmète: s.f., jugulaire de cuir qui maintient le chapeau sur la tête du Gille. Cf. capia.

-guète: s.f., parement du pantalon en rubans plissés. Cf. manchète, pèlèrine.

-kèrtin: s.m., panier en osier (ojére), contenant les oranges. Il était anciennement enrubanné de blanc.

-késse ou grosse késse: s.f., grosse caisse, couverte généralement d’une peau de veau (pia d’ via) ou de poulain (poulagn’), plus rarement. Cf. baterîye, mawote.

-djweû (bateû) d’ késse: s.m., personne qui frappe sur la caisse: èl bateû d’ késse rambusse (de rambuskî, frapper) su l’grosse kèsse avû s’mawote. -porteû d’ késse: s.m., personne qui porte la caisse: èl porteû d’ késse fét toudi dès p’tits-apas.

-Létâré: Laetare: au ou à l’ Létâré ou èl djoû dou ou dè l’ Létâré.

-louwajeûr ou louwadjeû: s.m., loueur, personne qui loue les accessoires du gille, confectionne le chapeau (capia), le costume (balot) et le colè d’sounètes (ou apèrtintaye). Il s’agit d’une profession très particulière dont les représentants sont peu nombreux. Notez que chaque louwadjeû possède son propre « savoir-faire », perceptible à certaines différences dans la réalisation des accessoires précisés ci-dessus (réalisation du chapeau, forme des lions et autres motifs du costume…).

-makète: c.f., baguettes, longues de 40cm environ, avec lesquelles on joue du tambour ; la paire pèse 250 grammes. Comme terme général, désigne également un petit marteau ainsi que la fleur du trèfle. Tourner à makètes, se gâter (en parlant du temps ou d’une situation). Cf. batrîye, tamboûr, tamboureû.

-mamesèle: s.f., ce terme emprunté à Binche, désigne les travestis, généralement riches, de certaines sociétés (bindes) à l’occasion des soumonces générales. « On veut faire comme à Binche, dirait-on », écrivit Fernand Liénaux dans son Carnaval louviérois.

Il était en effet de bon ton (encore aujourd’hui?) pour les gilles qui font les soumonces en tenue traditionnelle de critiquer ceux qui se déguisent en mam’zèles, car estimant qu’il s’agit d’une coutume copiée sur Binche…

-manchète: s.m., manchette en rubans plissés, cousue au bout de la manche de la bloûse. Cf. guète, pèlèrine.

-marone: s.f., pantalon. Cf. balot, pèlèrine.

-masse: s.f. ou s.m., masque traditionnellement constitué de toile et recouvert de cire, montrant des lunettes vertes, des favoris et une moustache et une petite barbichette. Il est porté rituellement à Binche, la matin du Mardi-Gras. Précisons que certaines sociétés de La Louvière ont également adopté ce masque (bien que de constitution ou d’aspect différent), porté le dimanche matin du Laetare. D’une certaine manière, on peut considérer que le masque, porté par tous les gilles d’uen même société, préserve un temps l’anonymat et de fait, l’abolition de toute classe sociale. Avant 1914, à Haine-Saint-Pierre, on a connu un masque en toile metallique, à mailles très serrées, les traits du visage étant vaguement coloriés. Ce masque était porté dès le matin, par le gille, à la sortie de son domicile. Il était enlevé au moment où la société quittait le local. Des renseignements plus complet sur ce masque ancien sont malheureusement indisponibles…

-mawote: s.f., mailloche servant à frapper sur la caisse. Ce terme désigne également le gros marteau du forgeron (marichau). Cf. kèsse.

-mouchwâr dè cou: s.m., mouchoir blanc noué autour du cou, sous la bloûse, et fermé à l’aide d’uen épingle de sûreté ; ce mouchoir protège contre les morsures de la paille. -roûdje mouchwâr: s.m., mouchoir rouge que porte le gille autour du cou lors des soumonces ; celui-ci est apparent au-dessus du sauro.

-musike: s.f., ensemble des musiciens, batrîye non comprise: èl baterîye s’ in va quer l’ musike au local.

-oranje (orandje): s.f., orange lancée par le gille en guise d’offrande: sudjî (jeter) ou (è)rwer dès-orandjes. -porteû d’ orandjes: s.m., personne portant les oranges destinées à un (ou plusieurs, organisés en « cagnotte ») gille(s).

-parau: s.m., (Haine-Saint-Pierre). Synonyme de bridon.

-pèlèrine: s.f., collerette en rubans plissés, bordée d’une frange dorée ou de dentelle (plus courant à Binche) et nouée à l’aide d’un cordon blanc. Cf. col-tombant, colèrète.

-pleume ou plome: s.f., plume d’autruche ornant le chapeau. Cf. capia.

-ramon: s.m., balai à l’origine. Faisceau de baguettes séchées, de bouleau (boulî) ou de noisetier (nonjî), longues d’environ 25cm (variable…) et fagotées dans trois brins d’osier (ojére). Le gille s’en munit lors des soumonces et le dimanche matin du Carnaval. Notez que certaines sociétés en disposent également le lundi matin.

-ruban ou riban (arch.): s.m., ruban attaché à la coiffe du chapeau. El riban sert également à confectionner la colèrète, les guètes, les manchètes, les rnons ainsi que le noeud disposé au-dessus du garlot.

-rondau: s.m., la matinée du dimanche du Laetare s’achève par un rassemblement de toutes les sociétés sur la place de la localité. Elles forment, en dansant,une ronde appelée rondau, au centre de laquelle sont réunies toutes les musikes et batrîyes.

-sauro: s.m., sarrau de toile bleue que revêt le gille à l’occasion des soumonces. Expression: c’èst tout pùre twale parèye à m’sauro, c’est chou vert et vert chou.

-soumonce: s.f., sortie préliminaire au carnaval. Elles sont au nombre de trois à La Louvière, la dernière étant intitulée jènèrale. On dit: fé lès soumonces ou fé soumonce. Le gille porte alors généralement la caskète dè swa, le roûdje mouchwâr, le sauro, le ramon, le colé d’sounètes et les chabots. Notez que les soumonces jènèrales de La Louvière voient plusieurs sociétés opter pour un travesti. Pittoresque: à Leval-Trahegnies, d’une vache qui donne des avertissements avant de vêler, on disait èl vake done dès soumonces.

-sounète: s.f., sonnette. -colé d’sounètes: s.m., ensemble de sonnettes accrochées à une bourre de crin végétal recouverte de grosse laine rouge et jaune et retenu à la taille par une boucle (blouke). Son poids varie de 2 à 3 kg. Arlicoter (secouer) s’ colé d’sounètes. Dans tout le Centre, le colé d’sounètes est appelé « apertintaille » en français, désormais « wallonisé »: apèrtintaye. Bien qu’au sens propre, le terme colé signifie « collier » et qu’ici il soit placé autour de la taille, ce sens spécial s’explique par la ressemblance avec la grelotière qui était placée autour du cou des chevaux.

-tamboûr: s.m., tambour, anciennement recouvert d’une peau de veau (via) ou chèvre (gâde). Pour des raisons pratiques, ce sont aujourd’hui des peaux en matière synthétique qui sont utilisées. Le tambour est accroché à la ceinture et soutenu par un baudrier.

-tamboureû: s.m., joueur de tambour. Cf. tapin.

-tapin (arch.): s.m., joueur de tambour, ainsi appelé à La Hestre où le terme subsistait comme sobriquet.

-tchausson: s.m., (Carnières, Chapelle-lez-Herlaimont, Haine-Saint-Pierre, Haine-Saint-Paul, La Hestre, Manage, Fayt-lez-Manage, Morlanwelz), chausson de laine blanche à la trame serrée, sans couture ou de coton, destiné à protéger le pied dans le sabot. Cf; cauchon, chabot.

-torkète ou tortchète: s.f. petite torche de paille d’avoine servant à bosser les gilles. Cf. bossâdje, bosser, bosseû, torkète.

Le vocabulaire wallon du Gille, in: MA, 3, 2017

À l’origine, à notre connaissance, tout ou pratiquement tout le vocabulaire du folklore qui nous est cher, était wallon. Le français en a d’ailleurs récupéré une partie tandis que certains mots étaient utilisés dans les milieux miniers ou artisanaux. Les mots que nous vous proposons ci-dessous trouvent leur définition précise dans l’ouvrage de feu Robert Dascotte dont la référence bibliographique figure en dessous de cet article. Comme cet ouvrage a été édité en 1969, certains changements, le plus souvent mineurs, sont apparus depuis : le carnaval, tout en conservant son rituel ancestral n’exclut, pas pour autant la notion d’évolution, pour autant que celle-ci soit cohérente. L’article qui suit présente donc la norme classique traditionnelle des diffé¬rents éléments et accessoires qu’il cite. Les puristes ne manqueront pas de noter les changements intervenus depuis à certains niveaux.

Quand on vous parle de balot, vous songez au costume de travail de l’ouvrier qui fut le plus souvent bleu, et vous avez raison. Cependant, le balot désigne aussi le costume du Gille, soit l’ensemble bloûse + marone. Il sera confectionné de toile de lin et garni de lions héraldiques découpés dans de la feutrine rouge et jaune, d’étoiles ainsi que de couronnes aux couleurs nationales cousues sur le balot. Le nombre et la disposition de ces différentes garnitures peuvent varier d’un louageur à l’autre. Un connaisseur vous dira sans mal que tel costume vient de La bouvière, un autre de Binche, chez le louageur X… ou Y…
La barète est le bonnet en coton blanc que coiffe le Gille. Celui qui ne porte pas le chapeau est tout naturellement appelé : djîle a barète. Ici aussi, le terme désigne deux autres pièces n’ayant rien à voir avec le carnaval :1. le bonnet de nuit ; 2. le bonnet de toile (ou béguin) destiné à protéger le crâne de nos regret¬tés houilleurs contre les rugosités du casque de cuir bouilli (èl cawote).
Parfois imparfaitement confondu dans le langage avec le mouchwâr dè coû, ce bridon est le mouchoir blanc, plié dans le sens de la longueur, passant sous le menton et noué sur le dessus de la tête pour fixer la barète. Il est important de bien centrer le bridon en l’alignant sur la couture de la barète. S’il est mis trop bas ou trop haut, c’est laid et il glissera en arrière ou en avant de la tête. Certains privilégient une largeur mince, d’autres une plus généreuse dans le pliage ; ce point est laissé à l’appréciation de l’indi¬vidu. Notons que, à Haine-Saint-Pierre, on utilisa jadis le synonyme parô, devenu désormais un archaïsme.
Le mouchwâr dè coû, parlons-en. Il s’agit du mouchoir blanc noué autour du cou, sous la bloûse, et fermé par une épingle de sûreté ; ce mouchoir protège contre les morsures éventuelles de la paille. Quant au roûdje mouchwâr, c’est celui que porte le Gille autour du cou et au-dessus du sauro (sarrau) lors dès soumonces.
Un élément important et intéressant à définir est le garlot. Nous avons plus d’une fois été interpellés par des peronnes en désaccord sur le sens donné à ce mot, alors que les uns et les autres avaient raison = match nul ! En effet, le garlot est bien sûr le grelot attaché à la partie supérieure de la bosse qui gonfle la poitrine. Mais c’est aussi un broc ! In garlot d’ lét, in garlot d’ café, in garlot d’ bière…Enchaînons avec le colé d’sounètes aussi appelé apèrtintaye ou pèrtintaye. Il est composé de toile rembourrée recouverte de grosse laine rouge et jaune et retenu à la taille par une blouke (boucle). Son poids varie de 2 à 3 kilos et le nombre de sonnettes varie, quant à lui, en moyenne de 8 à 10 : l’âge et la corpulence du Gille sont des critères entrant en ligne de compte.

La pèlèrine ou colèrète est une parure essentielle pour la beauté du costume. Il est important de s’assurer, à l’essayage, qu’elle n’est ni trop grande ni trop petite. Si elle est à bonne dimension, il importe néanmoins de bosser convenablement, sinon cette pèlèrine/colèrète ne se posera pas uniformément et/ou gondo¬lera. Elle est composée de rangées de ruban (autrefois : riban) plissé, bordée de franges dorées et nouée par un cordon blanc. Elle sera fixée à la blouse par des épingles de sûreté dissimulées – et donc invisibles – sous le ruban. Certains Gilles, surtout à Binche, préfèrent la dentelle à la frange dorée. Dascotte nous fait remarquer à propos de pèlèrine : « (…) est parfois employé par des gilles de classe aisée qui ne parlent pas souvent le wallon ; il désigne surtout la collerette du pierrot. » Aujourd’hui les deux termes restent utilisés – sans distinction de classe ! – mais nous regretterons leur francisation trop fréquente : pèlerine, collerette. Commeparô pour bridon, nous retrouvons la trace d’un synonyme archaïque, tombé en désuétude durant l’entre-deux-guerres : col-tombant.
Les oranges remplissent le kèrtin (panier) en ojére (osier) qui fut jadis enrubanné de blanc mais cette pratique, pourtant esthétique mais sans doute jugée trop ostentatoire, est prohibée depuis longtemps, à de très rares excep¬tions près dans certains villages.
Pour se déplacer et danser avec aisance, le Gille doit être bien dans ses chabots autant qu’il l’est dans ses solés en autre temps ! Voici la définition du chabot que nous donne Dascotte : « sabot en peuplier (pouplî) ou en saule (sau) fumé pendant toute une nuit dans une infunk’rîye où se consume de la sciure de bois ; une lamelle de cuir renforce le talon et l’empeigne. La paire pèse environ 700 grammes. ».
Dans notre édition d’avril, nous parle¬rons du capia ainsi que de l’essentiel du vocabulaire supplémentaire. Cependant, en pleine période carnavalesque, nous terminerons par une note humoristique à propos des chabots. Il fut un temps où certains fêtards, sur l’air « Quand m’grand-mé a mis s’ roûdje cote », chantaient
Is-ont yeû dès coûps d’chabots,
is d-âront co, is d-âront co…(bis)

Sources : « Le vocabulaire du Gille dans quelques communes du Centre – Robert DASCOTTE – 1969 – Annales du Cercle archéologique et folklorique de La Louvière et du Centre.

Le vocabulaire wallon du Gille, in: èl Mouchon d’ Aunia, 3, 2017

Quand on vous parle de balot, vous songez au costume de travail de l’ouvrier qui fut le plus souvent bleu, et vous avez raison. Cependant, le balot désigne aussi le costume du Gille, soit l’ensemble bloûse + marone. Il sera confectionné de toile de lin et garni de lions héraldiques découpés dans de la feutrine rouge et jaune, d’étoiles ainsi que de couronnes aux couleurs nationales cousues sur le balot. Le nombre et la disposition de ces différentes garnitures peuvent varier d’un louageur à l’autre. Un connaisseur vous dira sans mal que tel costume vient de La bouvière, un autre de Binche, chez le louageur X… ou Y…
La barète est le bonnet en coton blanc que coiffe le Gille. Celui qui ne porte pas le chapeau est tout naturellement appelé : djîle a barète. Ici aussi, le terme désigne deux autres pièces n’ayant rien à voir avec le carnaval :1. le bonnet de nuit ; 2. le bonnet de toile (ou béguin) destiné à protéger le crâne de nos regrettés houilleurs contre les rugosités du casque de cuir bouilli (èl cawote).
Parfois imparfaitement confondu dans le langage avec le mouchwâr dè coû, ce bridon est le mouchoir blanc, plié dans le sens de la longueur, passant sous le menton et noué sur le dessus de la tête pour fixer la barète. Il est important de bien centrer le bridon en l’alignant sur la couture de la barète. S’il est mis trop bas ou trop haut, c’est laid et il glissera en arrière ou en avant de la tête. Certains privilégient une largeur mince, d’autres une plus généreuse dans le pliage ; ce point est laissé à l’appréciation de l’indi¬vidu. Notons que, à Haine-Saint-Pierre, on utilisa jadis le synonyme parô, devenu désormais un archaïsme.
Le mouchwâr dè coû, parlons-en. Il s’agit du mouchoir blanc noué autour du cou, sous la bloûse, et fermé par une épingle de sûreté ; ce mouchoir protège contre les morsures éventuelles de la paille. Quant au roûdje mouchwâr, c’est celui que porte le Gille autour du cou et au-dessus du sôro (sarrau) lors dès soumonces.
Un élément important et intéressant à définir est le garlot. Nous avons plus d’une fois été interpellés par des per¬sonnes en désaccord sur le sens donné à ce mot, alors que les uns et les autres avaient raison = match nul ! En effet, le garlot est bien sûr le grelot attaché à la partie supérieure de la bosse qui gonfle la poitrine. Mais c’est aussi un broc ! In garlot d’ lét, in garlot d’café, in garlot d’bière… Enchaînons avec le colé d’sounètes aussi appelé apèrtintaye ou pèrtintaye. Il est composé de toile rembourrée recouverte de grosse laine rouge et jaune et retenu à la taille par une blouke (boucle). Son poids varie de 2 à 3 kilos et le nombre de sonnettes varie, quant à lui, en moyenne de 8 à 10 : l’âge et la corpulence du Gille sont des critères entrant en ligne de compte.

La pèlèrine ou colèrète est une parure essentielle pour la beauté du costume. Il est important de s’assurer, à l’essayage, qu’elle n’est ni trop grande ni trop petite. Si elle est à bonne dimension, il importe néanmoins de bosser convenablement, sinon cette pèlèrine / colèrète ne se posera pas uniformément et/ou gondo¬lera. Elle est composée de rangées de ruban (autrefois : riban) plissé, bordée de franges dorées et nouée par un cordon blanc. Elle sera fixée à la blouse par des épingles de sûreté dissimulées – et donc invisibles – sous le ruban. Certains Gilles, surtout à Binche, préfèrent la dentelle à la frange dorée. Dascotte nous fait remarquer à propos de pèlèrine : « (…) est parfois employé par des gilles de classe aisée qui ne parlent pas souvent le wallon ; il désigne surtout la collerette du pierrot. » Aujourd’hui les deux termes restent utilisés – sans distinction de classe ! – mais nous regretterons leur francisation trop fréquente : pèlerine, collerette. Comme parô pour bridon, nous retrouvons la trace d’un synonyme archaïque, tombé en désuétude durant l’entre-deux-guerres : col-tombant.
Les oranges remplissent le kèrtin (panier) en ojére (osier) qui fut jadis enrubanné de blanc mais cette pratique, pourtant esthétique mais sans doute jugée trop ostentatoire, est prohibée depuis longtemps, à de très rares exceptions près dans certains villages.
Pour se déplacer et danser avec aisance, le Gille doit être bien dans ses chabots autant qu’il l’est dans ses solés en autre temps ! Voici la définition du chabot que nous donne Dascotte : « sabot en peuplier (pouplî) ou en saule (sau) fumé pendant toute une nuit dans une infunkerîye où se consume de la sciure de bois ; une lamelle de cuir renforce le talon et l’empeigne. La paire pèse environ 700 grammes. ».
Dans notre édition d’avril, nous parlerons du capia ainsi que de l’essentiel du vocabulaire supplémentaire. Cependant, en pleine période carnavalesque, nous terminerons par une note humoristique à propos des chabots. Il fut un temps où certains fêtards, sur l’air « Quand m’ grand-mé a mis s’ roûdje cote », chantaient
Is-ont ieû dès coûps d’ chabots,
is d-âront co, is d-âront co…(bis)

Sources : « Le vocabulaire du Gille dans quelques communes du Centre – Robert DASCOTTE – 1969 – Annales du Cercle archéologique et folklorique de La Louvière et du Centre.

 

André Goosse, Le vocabulaire du gille

(in: La Libre Belgique, 01/03/1976)

costume èt matériél po l' djîle (costume et matériel pour le gille)

Li costume do djîle (La tenue du gille)

(Jean-Claude Mansy, in: Cocorico, 17, 2011) (NDLR C’ èst bièsse di présinter ça avou rin è walon dins one rivûwe … po-z-ècoradjî à causer èt à lîre li walon !)

(in: Odon Genbauffe, Manage et son histoire, s.d.)

(VA, 21/02/2012)

1.1.1.1   Le costume / Li costume

li d'zeû do costume di djîle (la partie supérieure du costume de gille en langue wallonne)

(in: El Mouchon d’ Aunia, 3, 2017)

bloûse di djîle (au 19e siéke) (blouse de gille (au 19e siècle))

Francis Duquesne, Si Laetare m’était conté, Le carnaval louviérois, 1991

 

(p.17) LE COSTUME DU GILLE

 

Le costume du Gille (balot) est composé d’une veste (bloûse) et d’un pantalon (marone). L’ensemble est en toile de lin et sur celle-ci sont cousues des figurines : 20 lions (liyons) héraldiques de feutrine rouge et jaune, 120 couronnes aux couleurs nationales. Le nombre de figurines varie légèrement suivant les différents louageurs. Les chiffres donnés plus haut sont ceux de La Louvière.

Les bosses du Gille sont faites à l’aide de paille d’avoine, la meilleure pour absorber la transpiration. Le bosseur ou bourreur confectionne des torchettes placées l’une après l’autre sous la blouse du Gille.

Sous la veste un mouchoir blanc et carré est plié en diagonale et noué autour du cou. Celui-ci évite les frottements et est appelé mouchwêr dè coû.

Sur la poitrine à la hauteur du sternum, un grelot est attaché avec une boucle (garlot). A la taille une ceinture de sonnettes, elle est appelée apèrtintaye. Celle-ci se compose d’une bande de toile bourrée de crin végétal, cette toile est recouverte de grosse laine rouge et jaune (actuellement, bandes verticales en alternance).

A cette bande de toile se juxtapose une ceinture de cuir dans laquelle sont passés les crochets qui recevront les sonnettes. Leur nombre varie suivant la taille du Gille (en général de 7 à 9). Son poids est d’environ 3 kgs. Sur la tête une coiffure de coton blanc est appelée barète.

Un mouchoir blanc plié plusieurs fois en diagonale, passant sous le menton et noué sur le dessus de la tête fixe la barète et protège le menton de la bride du chapeau. Ce mouchoir plié est appelé bridon.

Sur les épaules on pose une pèlèrine ou collerette, celle-ci formée de rubans de 2 cm de large, blancs ou colorés. Les nuances de couleurs rappellent les tons du chapeau. Le tissu de la pèlerine est actuellement du synthétique. On complète la parure de la collerette d’une frange dorée ou parfois de dentelle. Au dessus du grelot à l’attache de la pèlerine, vient (p.18) s’épingler un nœud de couleur blanche et de même texture que la collerette. Aux poignets et dans le bas du pantalon, des parements identiques à la pèlerine ornent le costume. Les parements sont sertis d’un galon doré et de fine dentelle. Il faut plus de 150 mètres de ruban pour confectionner la collerette et les parements, et leur imprimer un double pli.

Aux pieds, le Gille porte des chaussettes blanches et parfois des chaussons de même couleur. Il est chaussé de sabots en bois de peuplier. Pour le carnaval, des ‘rnons (rosaces de rubans plissés) ornent l’empeigne de chaque sabot. Ces renons comme la pèlerine et les parements rappellent les couleurs de l’éventuel chapeau. Le panier (kèrtin) est actuellement en osier, et permet de recevoir les oranges que le Gille va offrir.

Le chapeau est la partie la plus majestueuse du costume du Gille. Il est composé d’une buse qui pèse environ un kilo, on y adapte en général 12 grandes plumes.

Chaque grande plume nécessite une vingtaine de plumes d’autruche (plumes d’ailes de mâle uniquement). Oui, vous lisez bien, un chapeau a besoin de plus ou moins 250 plumes d’autruche, celles-ci proviennent d’Afrique du sud.

Le chapeau est blanc ou coloré, mais chaque louageur (personnage qui confectionne les costumes et chapeaux de Gille) a son procédé secret. Les teintes sont cependant composées à base d’aniline.

La buse du chapeau est habillée de toile blanche, parsemée de fleurettes au pistil doré. La “passe” ou bord du chapeau, revêtue de toile et bordée de dentelle. Le devant est relevé et forme la “devanture”, celle-ci est décorée assez souvent de médaillons ou d’étoiles. Sur les épaules et le dos tombent de longs rubans attachés au bord de la buse. Le poids total du chapeau varie de 3 à 4 kgs suivant le nombre de plumes.

Le masque, il est porté uniquement le dimanche matin à La Louvière, et pas par toutes les sociétés de Gilles. Il est identique pour tous les Gilles, visage rosé, lunettes vertes, moustache et barbiche à la Napoléon III.

Il est en toile cirée (paraffine).

 

Ramponau, en langue wallonne, est le filtre à café en forme de chaussette maintenue par un cercle de fer-blanc. Par analogie de forme, on a donné ce nom aux coiffures des gilles de Binche et aux bonnets des douaniers

 

colèrètes (collerettes) ou pèlèrines (pélerines) di djîle

(in: Jacques Evrard, Binche, Le carnaval, s.d.)

liyons (lions)

1.1.1.2   Le matériel / Li matériél

masse, tchapia / capia, apèrtintaye, chabot, ramon, kèrtin

li masse do djîle (le masque du gille)

(Le carnaval et le masque, in: El Mouchon d’ Aunia, 1973)

li tchapia / èl capia (le chapeau)

A propos du chapeau de gille, in : MA, 3, 1981, p.44-45

 

(…) Le costume, depuis 1870, est resté en gros pareil à lui-même. Seuls des détails vont changer comme les couronnes qui, à partir de la fin du siècle, vont sommer les lions héraldiques. Le chapeau restera longtemps beaucoup plus petit que l’actuel. Il était, à ce moment, très séant car il n’écrasait pas de sa masse la taille des Gilles. Sa beauté, moins tapageuse que l’actuelle, était plus réelle car elle correspondait mieux aux normes hu­maines. Sa masse, son poids le rendait aisé à porter. Au lieu d’avoir, comme maintenant, un couvre-chef illogique, on coiffait alors un chapeau qui ne contrecarrait en rien la danse et qui contribuait à la beauté de notre person­nage folklorique. On portait longtemps ce chapeau et on le coiffait même avec le masque. Ce dernier était utilisé une large partie de la journée et pas seule­ment quelques dizaines de minutes ou quelques heures.

On sait comment, à la suite des petites vanités personnelles des uns et de l’esprit de concurrence commerciale des autres, ce chapeau, si séant, et si léger qu’il était impossible de voir dans le cortège un seul Gille en barette, est devenu ce couvre-chef si absurdement spectaculaire. Des socié tés presque entières ne prennent plus la peine de le coiffer, même pour les quelques heures du cortège. Notre encombrant chapeau actuel, créé de toutes pièces et de manière artificielle, par la vanité de quelques individus et l’amour du bel ouvrage de nos artisans, est devenu un signe de classification sociale ou de fortune, ce qui est aux antipodes de notre esprit carnavalesque. Et, ce qui est un comble et un autre paradoxe, créé pour le spectacle, il nuit au spectacle puisque les Gilles en barettes sont plus nombreux que les Gilles chapeautés.

Si je me suis étendu, comme je viens de le faire, sur les « avatars » du chapeau, c’est pour avoir l’occasion d’illustrer par un exemple que la tradition doit être défendue. C’est un mythe auquel j’ai cru longtemps, « mea maxima culpa », d’affirmer que les choses doivent évoluer et qu’il faut se garder d’intervenir.

Certes, le monde de nos usages carnavalesques est en perpétuel chan­gement et il faut s’incliner devant cette évolution naturelle inéluctable qui est signe de vie. La société qui nous entoure évolue et le folklore qui appartient à cette société doit lui aussi s’adapter aux conditions nouvelles. Mas il est des changements aberrants, c’est-à-dire qui n’ont rien de naturel, qui sont dus à des fantaisies particulières et qui se voient encouragés par des circons­tances momentanées par exemple d’ordre économique.

Ce sont ces changements artificiels – qui ne sont pas le fait de la communauté dans son ensemble – contre lesquels il faut lutter. Une tradition doit se défendre. Elle doit se défendre contre les vanités, les incompréhen­sions, les anarchies et fantaisies individuelles, contre l’esprit de commerce ou de lucre poussé à l’extrême. Il n’est pas indifférent que l’on remplace une matière noble par des matières vulgaires. Autrefois, le bas du chapeau, ce que nous dénommons la « buse », était orné de magnifiques fleurettes de toile de lin raidie par l’apprêt et qui s’ornaient, au centre d’un pistil d’or. Les fleurettes couvraient toute la buse. Actuellement, la rentabilité veut que le plastique remplace le lin : les admirables fleurettes de notre enfance, celles des louageurs Boudart-Deltenre, Jongens, Collart, Philippaért et Kerstens père, sont devenues des pièces rares et schlérotiques, sans aucune beauté artisa­nale. Il y aurait d’autres exemples à donner, comme par exemple, lès armoi­ries dorsales du costume ou les lions.

 

Je souhaiterais, quant à moi, que la protection de la tradition locale soit confiée à un groupe de travail dans lequel seraient représentés les « carna-valeux » aussi bien que l’administration communale. Il est temps de crier « casse-cou » et de sonner l’alarme. Une tradition ne se défend pas toute seule et le tort que nous avons eu est de croire que tout se garderait et se protége­rait de soi-même.

Les gens de Binche ne sont pas fabriqués d’autres molécules que leurs voisins. La fantaisie, le laisser-aller, le libéralisme si facile et si tentant, les guettent et, avec eux, la ruine de notre patrimoine. Je forme le vœu que ce cri d’alarme, qui est celui de quelques Binchois clairvoyants, soit entendu et que nous puissions encore répéter longtemps cette devise de Charles-Quint qui est devenue un peu celle de notre ville « PLUS OULTRE ».

 

Samuel GLOTZ

 

N.d.l.R. — Ces lignes, extraites du discours prononcé par notre ami S. Glotz dans les locaux de la CGER de Binche, lors de l’inauguration d’une exposition de photos carnavalesques qui s’est tenue du 23 décembre 1980 au 10 janvier 1981, ont été publiées dans « Bulletin de la Société d’Archéologie et des Amis du Musée de Binche », janvier 1981, pp. 6-11.

 

(djîle au r’pôs (Arel / Arlon) (gille au repos))

èl garlot èt l' apèrtintaye (le grelot et l' "apertintaille")

èl garlot

l’ apèrtintaye

On-acsèswêre do danseû au carnaval di Binche / Un accessoire du danseur carnavalesque binchois: l'"apèrtintaye"

(Samuel Glotz, in: De Malmedy et d’ailleurs, Traditions Wallonnes, 11, p.139-179)

(Joêl Poliart, avou s’n-apèrtintaye à ène soumonce)

 

lès chabots (les sabots)

(Steve Viroux, djîle à Gotegnî, pratike au “Floche” (Binche) / gille à Gottignies,  client au “Floche” (Binche))

Chabots, brîdes èyèt cauchons, in: MA, 4, 2012

Sabots

Fini les cognée, cuillère, paroir, coutre, fendoir, tarière, rouanne, encoche ou établi des sabotiers, maillet qu’on appelle renard, essette, etc…

Spécial’mint fabriquî pou lès djîles, èl chabot est dèsvûdi, dins du pouplî ou bîn dins du sô, pa dès machines dins lès-Ardènes. I n’ demeure pus qu’a li d’nér s’ couleur. Pou ça, i s’ra infunkî pindant 7 a 8 eûres dins… l’infunk’rîye.

Le gille martèle le sol avec ses sabots pour chasser l’hiver.

 

Brides.

La bride sert à maintenir le sabot au pied. Il en existe deux sortes : la bride simple, qui passe uniquementau dessus du pied, (la plus utilisée) et la double, qui s’attache au pied et à la cheville (peu utilisée). La bride est clouée, en dessous (semelle) et sur chaque côté du sabot, avec des clous de sabots (eh oui !). Les brides sont faites en cuir ainsi que la rosace qui vient garnir le coup de pied. Cette rosace est découpée avec un emporte-pièce dans une feuille de cuir. Une pièce en cuir, en forme de demi-lune, est clouée à l’arrière du sabot afin de consolider celui-ci et l’empêcher de se fendre en deux parties. Il est possible d’acheter des sabots montés avec les brides, ou sans

Chaussons

Dins sès chabots, l’ djîle a bîn seûr dès cauchètes à sès pîds, més pou iète tout-à fét a s’-n-ése, i mèt dès cauchons pa-d’zeûr, pou n’ nîn avoû mau à sès pîds, pusdit qu’in d’dins, in chabot èst foûrt rispeûs. Nos-avons djustèmint stè vîr, pour vous, ène tricoteuse dè cauchons. Nîn quèstion d’ vîr, come dins l’ temps, vo grand-mé achîse dins-n-in fonteuy avû l’ tchat qui doûrt su sè scoû, pace què l’ progrès a passé par là ètou. C’ è-st-ène machine qui mèt lès pwints iun pa-d’vant l’ôte tout mètenant. Ça n’ impéche qu’ i faut co branmint s’ chèrvi d’ sès mangns ètou. Nos l’ ascoutons nos splikî comint ç’ què ça s’ passe.

MA : D’ intind toudi d’viser dè cauchons sans cousture, vos povèz m’ in dîre ène miyète dèpus là-d’ssus ?

Les chaussons sont effectivement tricotés sans couture, pour la raison très simple que celle-ci, mal placée dans le sabot, ferait endurer, à celui qui l’a au pied, les pires douleurs au fil du temps. C’est pour ça qu’il est tricoté comme une chaussette, tout d’une pièce.

MA: Comint ç’ què vos fêtes pou l’s-è fé à ‘l bone grandeûr ?

T : Il y a des codes de grandeur établis bien sûr. Par exemple, pour un pied de 22cm, la taille sera : 34/35.

(pouplî : peuplier / sau : saule / infunkî : enfumer / infunkerîye : endroit où l’on fume les sabots)

 

Comme chacun connaît la sienne, je les tricote par tailles, sans me soucier de ce détail. Ça commence au 19 et ça se termine au 47. Je mets entre 10 et 20 minutes par paire terminée. J’en tricote entre 6 et 800 paires tous les ans, pour le même magasin. Je tricote beaucoup d’autres accessoires aussi, principalement pour les enfants : moufles, échappes, bonnets, cagoules, toujours en blanc.

Pou iète seûr d’ avoû tout bîn compris.

Come nos-avons in djîle dins no binde, nos dalons li d’mandér dè nos d’nér saquants-èsplicâcions d’ su lès chabots èt tout ç’ qui va avû.

 

MA : ‘Yèt vous, Rémond, vos l’zès candjèz tous l’s-ans, vos chabots ?

RH : Mi, way. Dju l’zè mèt l’ prèmîn coup au carnèval èy’ après, co à lès twâs soumonces dè l’ anéye d’après, s’ is sont co t’t-intiér’.

 

MA : Comint-ce què vos l’zès chwasissèz ?

RH : I faut bîn raviser qu’ i n’ avisse pont d’ neûds pace qu’ is skètetèt pus éjîlemint adon. I faut passer s’ mangn dèvins pou sinti s’ i n’a pont d’ arnokes dèvins l’ bos pace què c’ èst ça qui fét què vos-avèz dès clokètes à vos pîds.

MA : Vos l’zès rôdez avant l’ carnèval ? Par ègzimpe, in l’zès lèyant à vos pîds pou fé lès bidons ?

RH: Vos-avèz ‘ne bone mémwâre vous, in ! Nonfét, dju l’zès mèt in coup ou deûs pou vîr s’ i n’a rîn d’ contrére, èt c’ èst tout.

 

MA : ‘Yèt lès brîdes, i faut l’zès candjî souvint ?

RH : Ça dèpind dè ‘l qualité du cûr èt du temps qu’ i fét pindant lès soumonces èt l’ carnèval. S’ il a plût, èles skètetèt pus éjîlemint in sèkichant èy’ èles s’ atènistèt pus rade ètou.

MA : Pou lès cauchons, vos-avèz ‘ne préfèrince ?

RH : Mi, dju n’ din mèet pont més i d-a branmint qui din mètetèt pou souladjî leûs pîds ‘yèt c’ èst pus éjîle à candjî quand i plût, pou toudi avoû sès pids bîn sèks.

MA : In clér, c’ èst foûrt utîle d’ avoû sès pîds bîn infardèlès.

RH : Tafètemint, pace què i fait bîn sondjî qu’ on-a sès pîds d’dins pindant twâs djoûs èt qu’ i vaut mèyeû iète dèvins come dins sès pantoufes.

 

(l’ èrnon (le ‘renon’))

(Patrick Haumont, Carnaval de Binche, éd Reporters, 2004)

 

li ramon

Francis Duquesne, Si Laetare m’était conté, Le carnaval louviérois, 1991

 

(p.20) LE RAMON

 

Celui-ci est tenu en main à l’occasion des “soumonces”, le dimanche et le lundi matin du carnaval. Le ramon est un petit balai de bois, destiné à chasser symboliquement l’hiver. Il est lancé par le Gille à une connaissance en signe d’amitié. L’acteur du carnaval récupère son bien et, par la même occasion, embrasse la personne.

Le ramon est l’assemblage de fines branches ramassées l’hiver, taillées et séchées. Le bois servant à sa composition est généralement du saule, ses branchages sont maintenus ensemble à l’aide de 3 ligaments en rotin.

Au siècle dernier le ramon était long et léger. Fait de paille de riz, il disparut vers 1900-1910 pour faire place progressivement à l’ustensile actuel.

li ramon èt l' èvolucion do djîle (le 'ramon' et l'évolution du gille)

 

li kèrtin

(difèrin.nès sôrtes / différentes sortes)

1.1.2   Les fabricants de costumes et de matériel / Lès fieûs d’ costumes èt d’ matériél

1.1.2.0   Généralités / Jènèrâlités

 

Adelson Garin, Binche et le carnaval, éd. IP, 1998

(p.117-) A l’image d’une ville, une industrie d’art

 

Binche, dans le domaine économique, au XXe siècle, est encore la ville de l’industrie de la confection et plus particulièrement de la fabrication de costumes pour hommes. Une main-d’œuvre hautement qualifiée, préparée dans un établissement d’ensei­gnement spécialisé, l’Institut provincial Charles Deliège, peuple les ateliers où l’on réalise un travail très soigné. Certes, le nombre d’entreprises en activité en ce domaine s’est singulièrement réduit ces dernières années car les habitudes vestimentaires des jeunes générations n’ont pas favorisé le développement de cette industrie, loin s’en faut. Toutefois, il nous plaît de mettre en évidence certains aspects d’un artisanat qui fait honneur à notre cité.

 

Les Kersten, fabricants du costume et du chapeau des Gilles

II est important de savoir que le Gille ne possède ni son costume ni son chapeau du Mardi gras mais que chaque année, il le(s) loue chez un «louageur1» de son choix, autrement dit dans l’une ou l’autre des maisons Kersten.

Dans son édition du 6 février 1997, le journal «Le Rappel» a consacré une page entière réservée aux «Kersten, tailleurs à la cour du roi Gille» à l’occasion de cent années d’activi­tés dans le domaine de la fabrication des cos­tumes et des chapeaux des Gilles et dont un membre de cette famille d’origine hollandaise, Emile, s’est installé à Binche, «ville réputée pour son industrie textile » et dont les descen­dants, eux aussi, ont pris racine dans la Cité des Gilles qu’ils servent avec dévouement. Nous avons rencontré Karl Kersten, un des membres de la famille, lequel nous a fourni les renseignements qui étoffent ces pages.

Une fois les fêtes de Pâques passées, les maisons Kersten se remettent au travail pour préparer les costumes en vue des carnavals de l’année suivante. Il faut savoir, en effet, qu’après le Carnaval de Binche, les costumes de Gille sont loués aux participants des carnavals qui se déroulent dans toute la région du Centre et même au-delà de ces frontières, jusqu’au jour de Pâques. En outre, un costume est loué pendant une ou deux années consécutives, voire trois années successives et puis, compte tenu des intem­péries qu’il subit parfois, il est retiré du circuit. Le costume est fait de toile de lin et nécessite un métrage de cinq mètres cinquante pour une taille adulte. Sur ce costume sont cousus vingt lions (quatorze rouges et six noirs) en drap surmontés chacun d’une couronne de la même couleur. Quatre-vingts étoiles environ sont réparties sur l’ensemble du costume (blouse et pantalon). Le devant de la blouse est décoré d’un plastron en drap fait d’étroites bandes rouges et noires. Sur le dos de la blouse, nous trouvons une grande couronne, quatre drapeaux, un blason central marqué d’un petit lion, un masque et sur les côtés, deux petits lions. A cela, il faut ajouter les galons qui soulignent les côtés des jambes du pantalon et des manches de la blouse.

 

(p.118) Quant aux rubans de la collerette qui couvre les épaules, ceux qui garnissent le bas des manches et des pantalons, il en faut plus ou moins deux cents mètres par costume. Lesquels une fois plissés, se réduisent à plus ou moins vingt mètres.

Le chapeau est constitué de douze plumes qui forment un très beau panache. Pour «fabriquer» ces plumes, on utilise deux cent quarante plumes blanches d’autruches de sexe mâle exclusivement, les plumes provenant des femelles étant grises. Ces plumes sont fixées sur une buse en carton d’une hauteur totale de nonante centimètres, décorée de soixante fleurs, d’épis dorés et de dentelle. Quant à la décoration de la partie faciale de la buse, elle varie d’une maison de location à l’autre ; tantôt on note un papillon et deux étoiles ; chez l’autre, un lion, une étoile et un galon. A la coiffe du chapeau sont attachés sept longs rubans de plusieurs centimètres de largeur.

Au total, sur l’ensemble du costume, on compte quatre cents motifs dont la découpe se fait à partir de Pâques pour le Carnaval de l’année suivante. Il est impossible de déterminer le temps de travail nécessaire pour la réalisation d’un costume. Quant à l’apertintaille, il est composé de toile de lin, de laine rouge et jaune et de sept à huit cloches selon la dimension du tour de taille du personnage.

N’oublions pas le grelot accroché sur le devant de la poitrine du Gille. La réalisation d’un nouveau chapeau nécessite une dizaine de jours de travail comprenant le triage, le nettoyage, le blanchi­ment, le montage et le frisage des plumes. Alors, amis, lorsque vous admirez nos Gilles le jour du Mardi gras, ayez une pensée respectueuse pour le travail de ces hommes et de ces femmes qui, pour la gloire des Gilles, exercent un métier d’art dont ils sont tous légitimement fiers !

 

Les servants du dieu Gille à Binche: les louageurs (suite 1), in : MA, 3, 1981, p.42-43

 

Le frère d’Emile Kersten, Armand possède une véritable entreprise familiale, lorsque reçu en ami il me fit visiter « son atelier » je fus frappé par le nombre impressionnant de salles remplies de costumes, appertintailles, sonnettes et grelots, de plumes et chapeaux.

 

Q. Monsieur Armand Kersten, comme toute votre famille vous êtes louageur, nous nous trouvons ici dans la pièce où vous nettoyez les plumes, combien de chapeaux fabriquez-vous par année ?

R.    Il faut compter deux cents.

 

Q. Nous ne sommes qu’au mois de juin et vous êtes déjà occupé au travail des plumes ?

R. J’ai commencé à travailler sur celles-ci depuis le mardi de Pâques, on ignore souvent le temps pour faire un chapeau, pour en faire un il faut près d’une semaine, heureusement nous sommes une grande famille et nous nous aidons mutuellement.

 

Q.   Le chapeau en lui-même, de quoi est-il composé ?

R. La bûse comme nous l’appelons est en carton à laquelle nous ajoutons une armature de fer pour y attacher les plumes.

 

Q.   Combien mettez-vous de grandes plumes sur le chapeau ?

R. Douze, nous en avons toujours mis douze, j’ai essayé une fois d’en mettre seize, mais cela n’était pas beau et ensuite trop lourd.

 

Q. Combien de petites plumes rassemblez-vous pour faire une de ces gran­des plumes ?

R.  Entre 25 et 30, il faut environ 3 kilos de plumes pour faire un chapeau.

Iil faut enlever la partie du bas que nous appelons busiau, regardez comme ceci, pesez ceci, la partie enlevée est plus lourde que ce qui reste, c’est la côte qu’il faut jeter et pour vous donner une idée, nous achetons un kilo de plumes 450 dollars et le plus fort c’est que nous en jetons les trois quart.

 

Q.   Vous faites encore en plus les costumes ?

R. Non, je ne fais que les chapeaux, c’est déjà un fameux travail. Les costumes, c’est mon fils Louis qui les faits avec ma femme et le reste de la famille.

 

Q.  L’entretien des plumes, l’avez-vous toujours fait vous même ?

R. Il y a des années, cela se faisait à Bruxelles, maintenant je fais tout moi-même comme les teinter.

 

Q.   Je suis indiscret, mais pour les teindre, vous avez un secret ?

R. Oui bien sûr, mais ce que je peux vous dire, c’est avec de l’alinine. Il existe 7 tons différents, il n’y a que moi qui sais la dose exacte qu’il faut mettre pour avoir les teintes voulues, mais cela est mon secret.

 

Q. Une autre indiscrétion, les sonnettes des apèrtintayes, d’où viennent-elles ?

R. D’Angleterre. Il y a des maisons à Binche qui nous en fournissent, mais mes commandes viennent d’Angleterre.

 

Q.    Et vos plumes ?

R. Du Cap, directement d’Afrique du Sud. A votre avis, combien de kilos me faut-il par année ?

 

Q.   Je ne sais, vu le poids d’une plume…

R.    Cent kilos par an ! Incroyable vous ne trouvez pas ?

 

Q.   Lorsque la pluie tombe sur les chapeaux, cela est-il grave pour vous ?

R. C’est notre cauchemar, le prix d’un chapeau revient terminé à près de 60 mille francs, rendez-vous compte que quelques minutes de pluie et tout le travail disparaît, quelle perte, et nous ne pourrions plus les louer aux environs, car si nous n’avions que Binche, nous ne pourrions pas rentrer dans nos frais et pour refriser un chapeau il faut une journée, regardez on les travaille comme ceci, avec un petit couteau.

 

Q.   Maintenant les collerettes sont faites à la machine ?

R. Oui, mais le nombre de mètres varie avec la demande du client, certains veulent des plissés plus serrés.

 

Q.    Les dentelles viennent de quel endroit ?

R.    Elles viennent de Calais et les franges dorées de Lyon.

 

Q. Autre chose, je me suis laissé dire que l’on vous avait imposé un dessin de lion ?

R. Juste, mais nous, avec papa, nous avons toujours refusé, nous avons toujours maintenu le même que celui de notre grand-père ; dans notre famille nous n’avons pas changé, sauf le bas des pantalons, suivant la mode, mais c’est tout.

 

Q. Revenons au chapeau, si je vous demandais avec quels produits et de quelle façon vous lavez les plumes ?

R. Je ne vous répondrais pas, c’est mon secret, même les personnes qui travaillent ici ne connaissent pas tout.

 

Q.   Avez-vous connu d’autres louageurs ici en ville ?

R. Il y avait Deltante à la rue de Mons. C’est moi qui ai repris le commerce il y a 22 ans. Il y a eu aussi Collaert, Jongens sur la Grand-rue, avant la guerre Oscar Demars, maintenant il y a encore Basselier qui est aussi parent avec nous puisque sa mère était une sœur à mon père.

 

Q. Je vous ai demandé d’où venaient vos fournitures, c’est-à-dire sonnettes, plumes dentelles, franges mais, le reste, les toiles, les fleurs, les motifs de feutre, etc… Combien vous en faut-il ?

R. Pour ma toile, il m’en faut énormément, pour les motifs, il me faut facilement mes 10 à 12 pièces par année, quant aux fleurs pour les cha­peaux j’en utilise 40.000 par année ; elles se font à Bruges et cela fait travailler une ouvrière un an complet, les épis sur le devant de la coiffe sont fabriqués aussi à Bruges, vous voyez que le gille fait travailler énormément de personnes.

 

Q.    Les plumes des chapeaux étaient plus courtes dans le passé ?

R. Oui, c’est mon père qui a commencé à les faire plus longues et ce n’est pas plus mal, mon père était le plus têtu de la famille, un jour n’a-t-il pas inventé de faire un costume et chapeau bleu, blanc, rouge et sortir avec ! Les anciens Binchois s’en souviennent peut-être ; lui est mort depuis et je puis en parler maintenant, on l’a menacé, on l’a empêché de sortir en ville ! quel scandale à l’époque, vous vous rendez compte, des lions bleus, blancs, rouges, quelle histoire !

 

Q. Il n’y a pas longtemps dans le cortège j’ai remarqué un chapeau entière­ment rouge et un autre bleu, c’est vous qui avez créé cela ?

R. Non, pas moi, quand j’ai vu cela dans le cortège, j’ai pensé que c’était un chapeau qui prenait feu, de cela il vaut mieux ne plus en parler, les gens ont beaucoup réclamé car les couleurs des chapeaux, il ne faut pas les changer.

 

Q. Louis, vous êtes le fils d’Armand, à votre tour vous travaillez ici dans la maison familiale, il y a déjà combien de temps ?

R.    J’ai 39 ans, cela fait 25 ans.

 

Q.   Vous continuerez à faire les mêmes costumes que vos parents ?

R. Certainement ! Avant, les louageurs possédaient leurs propres modèles, mais chez nous, nous ne changerons rien même pas un lion.

 

Q.   Combien de temps pour faire un costume ?

R. Seul, près d’une journée ; attention nous ne faisons pas des journées de boutique, pour nous une journée c’est souvent 12 heures, et c’est ainsi pour tous les membres de la famille et nous sommes une dizaine.

 

 

Marc LEFEBVRE

 

Les servants du dieu Gille à Binche: les Louageurs (suite 2),

in : MA, 4, 1981, p.62-63

 

Q.    Monsieur Collaert, vos parents étaient louageurs, quel âge avaient-ils ?

R. Papa est né en 1868 et maman en 1870, elle a fait des costumes de gille jusqu’en 1962.

 

Q.    Quand a-t-elle commencé les chapeaux de paysans ?

R. Après son mariage, ce que je sais, c’est qu’elle les a faits pour le Collège à l’occasion des fêtes de l’Indépendance en 1930, c’est à ce moment-là que les sociétés étrangères sont venues lui demander de faire les leurs.

 

Q.    La forme actuelle des chapeaux est-elle toujours la même ?

R. Oui, ce n’est pas la même chose que pour les chapeaux de gille, ici nous avons toujours connu 9 plumes, les autres les ont augmentés après 1962, la hauteur aussi à changé.

 

Q.    Vous avez encore des souvenirs de votre maman ?

R. Oui, voici une photo de maman avec ma sœur, ma femme et moi-même (voir dans ce livret), ma femme travaillait aussi avec maman surtout pour faire les chapeaux de gille, car les chapeaux de paysans, c’était surtout l’affaire de maman, la femme de mon frère et ma sœur aussi travaillaient ici.

 

Q.    Les formes des coiffes, les faisiez-vous vous-même ?

R.    Non, nous les achetions faites, c’était une paille spéciale.

 

Q.    Une paille spéciale ? Qu’entendez-vous par là ?

R. Oui mon père était chapelier, il venait, ainsi que ses parents de la province de Liège, les pailles venaient de Verviers, mon père avait appris son métier à Paris ; ensuite il a travaillé avec son père qui était aussi chapelier. Mon papa est venu s’installer ici à Binche et c’est ainsi que le sénateur Derbaix est venu lui demander de faire les chapeaux et ma mère a ainsi continué à les faire ju’squ’à sa mort à l’âge de 97 ans ; cette année-là elle les avaient encore fait, elle est décédée au mois de mai.

 

Q. Quand elle est décédée, vous n’avez plus continué à faire les costumes et les chapeaux de gilles ?

R. Non, nous ne faisions plus que les chapeaux de paysans, ma sœur n’était plus en très bonne santé et nous n’avions plus beaucoup le temps de nous en occuper, nous avons remis les « paysans » à Clovis Kertens ; il a repris toutes les formes et les pailles.

 

Q.    Les chapeaux de gilles, que sont-ils devenus ?

R.    Nous avons tout vendu à un couple de Quaregnon.

 

Q. Avez-vous eu des formes imposées pour les costumes, chapeaux, lions, etc…?

R. Non, sauf pour les lions, il y avait en effet des louageurs qui faisaient des formes de fantaisies, c’est ainsi que le peintre Mallet a dessiné un lion ; vous savez à l’époque on les faisait différents, c’était une façon de les différencier.

 

Q. Avant les lions qui représentent la Belgique actuelle, vos parents se rappelaient-ils autre chose ?

R. Non, je ne saurais le dire ; quant à moi j’ai toujours connu les lions et même lorsque nous avons vendu les vieux costumes aux hommes qui allaient au « charbon » pendant la guerre de 14, il y avait déjà des lions sur les costumes.

 

Q. Sur les costumes, il y avait des différences, mais sur les chapeaux ?

R. Non, sauf sur la « visière » l’on mettait de chaque côté une étoile et au centre un papillon, en ce temps-là on cousait à la main des fleurs autour de cette forme, maintenant on en met de moins en moins, il faut dire que l’on coud actuellement les fleurs sur des bandes « prête à mettre ». Il y a toujours eu une différence entre les chapeaux « Kersten » et les nôtres, ils ne faisaient pas les mêmes garnitures que nous; pour les chapeaux de paysans c’est la même chose, nous restions près de deux heures pour en garnir un et cela sans relever la tête.

 

Q.   Combien de temps pour confectionner un chapeau de gille ?

R. Nous, à l’époque, nous ne pouvions toucher un chapeau, c’était l’ouvrage de maman, elle passait des nuits pour les faire, mais c’était toujours elle, pour lier les plumes on lui enfilait les aiguilles au fur et à mesure, car, à l’époque, on faisait tenir les plumes par des points dit de « boutonnière » tous les trois ou quatre centimètres, quand cela était fait, mon frère les reliait avec du fil de laiton, nous mettions 9 plumes, jamais plus, et non comme on fait maintenant.

 

Q.    Pour les couleurs des plumes, comment faisiez-vous ?

R. Les plumes arrivaient prêtes de Bruxelles et après le carnaval, on les renvoyait à Bruxelles pour les nettoyer, sauf lorsqu’il pleuvait. Alors, il fallait les arranger nous-même pour la semaine suivante; pour les autres carnavals, on les faisait sécher près du poêle ensuite on les « recrolait » avec un couteau spécial, regardez, nous l’avons encore !

 

Q.    Les collerettes, qui les faisait ?

R. Ma sœur, à l’époque, elle allait à l’école à Brugelette, et on lui portait des rubans à plisser le soir quand elle avait terminé ses devoirs, elle faisait cela à la main, c’est bien longtemps après que les machines à plisser sont apparues. Chez nous nous n’en avons jamais eu, ma maman et ma sœur “ruchinetèt”, comme nous disions, toute l’année.

 

Q.   Encore une question. Qui avait créé les chapeaux des paysans ?

R. C’était mon grand père puisqu’il était chapelier, mais comme je vous l’ai dit tout à l’heure, tout cela s’est détruit avec les années, pourtant c’était du solide d’avant 14. Que voulez vous ? Tout n’a qu’un temps.

 

 

Marc LEFEBVRE

 

Les servants du dieu Gille à Binche: les Louageurs (suite 2), in : MA, 5, 1981, p.94

 

Terminant mon enquête sur les louageurs, j’ai rencontré le fils de Clovis Kersten, Carl lui aussi depuis peu dans le métier.

 

Q.   Il y a peu de temps que vous êtes dans le métier ?

R. Oui, je commence à travailler, mes parents, eux, ont été élevés là dedans, pourtant papa, lui, faisait des boutonnières pour les tailleurs à domicile, seulement ce métier-là disparaît de plus en plus de notre ville, et lors­que Madame Colaert est décédée, mes parents ont repris les chapeaux de Paysans, ensuite ils ont fait le costume de Gille et maintenant, je continue avec eux.

 

Q. Les chapeaux de Paysan n’ont pas changé ? Et les fleurs où les com­mandez-vous ?

R. A Bruges, c’est les mêmes que celles se trouvant sur les coiffes des Gilles ; nous travaillons toujours d’une manière artisanale c’est long de faire un costume.

 

Q.   Les formes des motifs vous ont-elles été imposées ?

R. Non, c’est toujours les mêmes que ceux de mon grand-père, nous n’avons rien changé.

 

Q.   Pour le travail des plumes, qui s’en occupe ?

R. Pour le blanchissement et les teintures des plumes, c’est moi qui m’en occupe, ainsi que la préparation des couleurs, c’est-à-dire que je possède les couleurs de base, et je cherche moi-même les couleurs à donner, je ne fais jamais les mêmes, je cherche encore à les améliorer.

 

Q.   Combien de plumes à vos chapeaux ?

R.    Grand-père en mettait 9, nous 12, c’est plus joli, ils sont plus fournis.

 

Q.   C’est votre grand-père qui vous a appris ?

R.    Oui, un peu, le reste nous l’apprenons avec le temps.

 

Q.   Vous êtes nombreux à travailler sur les costumes ?

R. Non, mes parents, moi, et les parents de ma fiancée qui aident aussi. (Entretemps la maman de Cari est entrée et je lui ai posé cette question)

 

Q.   Que représente pour vous, madame, de faire des chapeaux ?

R. C’est beaucoup d’ennuis, beaucoup de mal, ceux qui nous les louent ne se rendent pas compte de cela, c’est comme les chapeaux de Paysans, les plumes reviennent quelques fois toutes détruites nous sommes parfois découragés et surtout pour le prix que nous les louons, ils ne sont faits que pour eux, enfin c’est difficile.

 

Marc LEFEBVRE

 

1.1.2.1   Les fabricants de costumes / Lès fieûs d’ costumes

Les servants du Dieu Gille à Binche: la modiste, in : MA, 12, 1981, p.230-234

 

Dans cette série sur « Les servants du Dieu Gille » je ne pouvais ne pas parler de la modiste ; actuellement elle est la seule à encore pratiquer le métier dans notre ville. J’ai trouvé Madame Daneau, née Roberte Blas et son mari Charles Daneau qui parlaient « métier » avec un jeune couple de Binchois venant leur demander de leur inculquer cet art des coiffes du carnaval.

 

  1. Quand avez-vous commencé à faire des chapeaux ?
  2. C’est tellement loin. Je crois qu’il y a bien sûr 30 ans. C’est une très ancienne personne de Binche qui est venue me demander une année pour lui faire un bonnet pour aller au carnaval. C’était un bonnet en den­telle et je lui ai fait ça comme un petit bonnet ordinaire, c’est ainsi que j’ai commencé. Donc, cette année-là, j’en ai fait un et puis après on en a fait 2, peut-être 5. En ce temps-là, les jeunes filles de Binche de bonnes familles faisaient un beau chapeau pour aller à leur premier bal qui avait lieu au carnaval. On faisait 5 ou 6 très beaux chapeaux. Beaux chapeaux pour ce temps-là, maintenant cela le dépasse de loin et cela a toujours monté, monté et maintenant ça n’a plus de limite.

 

  1. Avez-vous toujours travaillé seule pour faire vos chapeaux ?
  2. Oui.

 

  1. Vous avez toujours travaillé à domicile avec votre mari ?
  2. Oui, c’est ça. C’est-à-dire que la mode a changé dans ça aussi, on a, au début, travaillé le feutre. On tirait le feutre à la main. Avec le temps, le feutre est tellement devenu dur que c’est lui qui le faisait car moi je ne savais plus arriver à le tirer. Maintenant on ne sait plus arriver à le tirer du tout.
  3. (Monsieur) Non, maintenant, c’est fini. Il faut des presses car ça devient trop dur.

(Madame)  On a du changer de matière. Les besoins ne sont plus au feutre ordinaire comme on l’a fait.

 

  1. Le feutre n’était pas fabriqué ici à Binche, par exemple ?
  2. Non. En général c’étaient en Belgique ou en France. C’était du lin qui était tissé d’une certaine façon, mais maintenant il n’y a plus de lin alors le feutre lui-même n’a plus la même qualité et nous ne savons plus le tirer à la main. Il y a déjà 5 ou 6 ans.

 

  1. Ce sont des feutres synthétiques qui ont remplacé les feutres de lin ?
  2. Oui, et puis les besoins du carnaval sont trop beaux pour employer le feutre. Cela n’est plus joli assez, il faut de plus en plus beau, plus compliqué, c’est toujours la même chose.

 

  1. L’an dernier, j’ai eu l’occasion de venir voir lorsque vous avez fait une exposition. Qui vous donne ces modèles. Vous les créez vous-mêmes ou vous avez des maquettes ?
  2. Non, toujours une gravure. Je ne veux jamais le faire sans gravure. Je vais vous dire pourquoi. La personne qui le voit en gravure, ça va, mais si c’est moi qui le vois sans gravure je ne le vois pas de la même façon. Et quand il va arriver : désillusion ! parce que c’est quelque chose un chapeau il faut que ça tienne car on danse avec. Il ne faut rien qui gêne parce que un homme c’est pas la même chose qu’une femme. Il faut que ça tienne et que ça ne gêne pas. Ça, c’est le problème. Il y en a déjà pour cette année-ci et ce n’est pas des petits,

 

  1. Vous avez déjà commencé pour cette année ?

R, Je n’ai pas encore commencé. Je n’ai même pas encore donné ma réponse que je commençais mais on a déjà des gravures.

 

  1. Et comment allez-vous faire ?
  2. Souvent, je ne le regarde pas à fond.

 

  1. Vous le redessinez avant de le faire ?
  2. Non, jamais. Je vais bien l’étudier et ça ira tout seul. Il faut rendre la gravure comme vous la voyez. Vous ne sauriez pas beaucoup redessiner, ce n’est pas possible. Je regarde les proportions et je me base sur la grandeur de la figure, si par exemple la figure fait 20 cm, le chapeau fait disons 15 cm.

Maintenant, il faut le faire sur un moule et être sûr que ça tient bien. C’est le grand problème car on danse toute une journée avec, on rentre dans les cafés avec. Donc, il faut qu’il soit bien beau mais avec toute la facilité pour le danseur.

 

  1. Vous demandez toujours pour avoir la gravure avec ?
  2. Ou alors j’en ai. J’en ai à moi aussi. (Monsieur) Oui, parce que sans gravure… (Madame) Sans gravure, je ne travaille pas. (Monsieur) En général, ils viennent avec une gravure car ils ont choisi le costume, alors, il faut faire le chapeau.

 

  1. Il y a parfois des chapeaux simples mais comme celui-ci c’est un chapeau extrêmement compliqué.
  2. Il y a encore pire que ça.

 

  1. Qu’est-ce qui vous a semblé le plus difficile jusqu’à maintenant ?
  2. Jusqu’à maintenant, je ne saurais pas vous le dire, je ne sais plus. Je lui dis : à ton avis lequel est-ce que j’ai fait le plus beau ou le plus difficile jusque maintenant ? Je ne saurais pas vous le dire et lui non plus. (Monsieur) Ça change tous les ans donc tous les ans il y en a toujours un compliqué. (Madame) Un ou plusieurs. (Monsieur) mais l’année d’après, c’est un autre modèle, donc on ne sait jamais dire : j’ai eu plus de mal pour celui-là. (Madame) Le plaisir c’est de le créer. Alors quand vous le créez, il est le plus beau parce que vous l’avez créé et que vous l’avez réussi, c’est le plus beau. Celui que j’ai fait l’année dernière était très beau mais à côté de celui que je vais faire cette année-ci, il sera encore plus beau pour moi.

 

  1. Mais vous faites énormément de chapeaux car quand je suis venu à l’exposition, il y avait plus de 60 chapeaux. Je crois que c’est à peu près la moyenne de ce que j’ai vu.
  2. Mais ici vous n’en voyez toujours qu’un.

 

  1. Oui, il y a les groupes.
  2. Donc si vous n’en voyez qu’un et que c’est un groupe de 30, il y en a 29 de cachés.

 

  1. Oui, évidemment. Vous travaillez avec votre mari et votre fille aussi ?
  2. Quelquefois, elle vient me donner un coup de main.

 

  1. Votre fils a déjà travaillé aussi ?
  2. Oui, oui.

 

  1. Cela ne t’a jamais rien dit de continuer le métier de tes parents ?
  2. (Le fils) Non. (Madame) Non au contraire et lui c’est le même, ils voudraient tous les deux que j’arrête. (Monsieur) Oui, car c’est pas que ça devient long mais avant on ne faisait que Binche mais maintenant les étrangers viennent et ça fait carnaval pendant 6 mois. (Madame) Attention, il y a des expositions un peu partout. Vous savez on vient se recommander d’un tel et vous êtes presque obligé de lui faire plaisir et voilà, c’est un enchaînement.

 

  1. Vous faites des expositions en dehors de Binche ?
  2. C’est la première année qu’on me le demande pour le dehors et je le fais d’un bon cœur pour Binche.

 

  1. Et vous l’avez fait où ?
  2. Au Passage 44 à Bruxelles.

 

  1. C’est la première année que vous avez fait une exposition à l’extérieur de la ville ?
  2. Mais oui, parce que les chapeaux que j’ai faits, ils ne m’appartiennent pas. Ils appartiennent au client et le client m’a payé et il le reprête à condition de le lui rendre.

 

  1. Vous n’avez pas de collection privée ?
  2. Non.

 

  1. Vous n’avez jamais loué un chapeau ?
  2. Non. (Monsieur) D’ailleurs, on ne saurait pas.

Cela a toujours été à l’appartenance de la personne, car la personne qui le fait, elle y tient.

(Monsieur) C’est difficile d’avoir un chapeau à prêter.

 

  1. Même pour le prêter pour une exposition ?
  2. Oui, c’est difficile. Ils le font pour faire plaisir et encore. D’ailleurs, voyez Monsieur Glotz, pour avoir des costumes il doit se mettre à genoux. Ils y tiennent un point c’est tout. (Monsieur] Cette année-ci, on a encore eu de la chance car nous en avons reçu quelques-uns à prêter. (Madame) Mais c’est difficile.

 

  1. Combien d’heures passez-vous à peu près sur un chapeau ?
  2. (Monsieur) Je ne saurais pas le dire. D’ailleurs on ne compte pas les heures. (Madame) Moi, je vous assure que j’ai des chapeaux que c’est des milliers d’heures. J’en suis certaine. Il y a celui de Cléopâtre et bien bien des milliers d’heures. Mais il ne faut pas compter ça. C’est ce que j’ai dit à ce garçon-ci (un jeune couple venu demander pour ap­prendre le métier) : si vous voulez apprendre ce métier-là, moi, j’ai beaucoup de satisfaction mais il ne faut pas le faire pour gagner de l’argent. Il faut le faire parce que vous aimez bien et après peut-être gagner de l’argent mais c’est pas le but de ça. Le but, c’est de créer quelque chose de magnifique et d’être content de vous, d’avoir réalisé ça, et mon Dieu si vous gagnez de l’argent tant mieux mais c’est après.

 

  1. Je crois que vous êtes la seule modiste ici à Binche et aux environs qui crée encore des chapeaux de carnaval.
  2. Oui, c’est unique. On est venu de France pour les voir. J’ai demandé quelques chapeaux pour leur montrer car ils ne se rendent pas compte de ce que c’est et j’ai eu une dizaine de chapeaux à montrer.

 

  1. Je crois que l’Ecole Industrielle va ouvrir un cours de modiste et c’est vous qui allez donner cours ?
  2. Oui.

 

  1. Croyez-vous que les élèves vont suivre ? Est-ce qu’ils auront le courage de suivre ?
  2. (Monsieur) Ça va être difficile. (Madame) Ça c’est autre chose, mais je me dis : il faut une moyenne de 9 élèves disons 10, mais dans les 10 s’il y en a un c’est toujours ça.

 

  1. Un qui résiste ?
  2. C’est juste. Bon, ce garçon-ci, il a l’air fort bien disposé. Je vous assure que c’est pour lui que je recommence ça, je ne vous mens pas car il a l’air d’avoir beaucoup envie de le faire et je me dis, c’est un Binchois, c’est un jeune.

 

  1. C’est un Binchois ?
  2. Je ne sais pas. (Monsieur) II est allé à l’Ecole des Frères et au Collège.

 

  1. Personnellement, je sais que sa femme est Binchoise.
  2. Oui, il vient de le dire maintenant. Alors, vous ne trouvez pas que ça vaut la peine ? J’ai beaucoup hésité car lui, il en avait son compte et moi aussi, mais maintenant je crois que mon devoir, il est là. Je dois essayer de le lancer parce que c’est dommage de laisser tomber.

 

  1. Je crois que s’il n’y a plus personne après vous, c’est terminé et il n’y a plus rien, et où va-t-on trouver la continuité du carnaval ?
  2. Nulle part. (Monsieur) Ou alors, il faut qu’ils aillent ailleurs, à Charleroi où à Gerpinnes louer des costumes. (Madame) Oui, mais ils n’auront pas les chapeaux. (Monsieur) Mais oui mais…

(Madame) Parce qu’à Gerpinnes, ils louent les costumes mais ils n’ont pas les chapeaux. Gerpinnes vient me demander pour les faire.

 

  1. Vous faites aussi les chapeaux pour Gerpinnes ?
  2. (Monsieur) Non, on a refusé. (Madame) J’ai la demande mais je fais ceux de Binche. J’ai ceux du « Gaspillage ».
  3. (Monsieur) Ils sont déjà venus à la charge plusieurs fois. (Madame) Mais ça, non.

 

  1. Je croyais que vous faisiez aussi les chapeaux pour l’extérieur ?
  2. Non, ce n’est pas possible. Moi, j’aurais voulu pour moi-même rien que Binche. Ça, il y a des années que je le dis. Seulement, on a certaines obligations ; on doit quelque fois travailler pour ailleurs par plaisir, mais vous savez j’aime mieux faire Binche. Je ne sais pas expliquer ça. (Monsieur) Oui, car pour finir, ça devient énorme, maintenant voilà que les marcheurs de Thuin et de Saint-Roch et ainsi de suite viennent ici pour faire leurs chapeaux. (Madame) Je suis obligée de refuser car ce n’est pas possible. (Monsieur) L’année passée on a refusé 350 chapeaux. Rendez-vous compte 350 colbaks en fourrure. (Madame) Regardez, j’en ai qui partent pour Beaumont. L’année dernière, j’en ai fait 25 et il en faut 30 pour cette année-ci. Mais tout ça, c’est le même, je vais vous expliquer la situation. L’année passée, un monsieur se présente et il me dit : « Vous voulez bien faire des chapeaux ? » Et il me raconte son histoire, je lui dis : « Non, monsieur, je ne fais plus que Binche ». Il me dit : « C’est dommage, Madame, car en même temps j’allais vous de­mander si vous ne connaissiez pas un tailleur qui savait me faire 25 manteaux de Cour». Mais moi, ça n’a fait qu’un tour : 25 manteaux de Cour c’est de l’ouvrage pour un tailleur chez lui combien de temps ? Là-dessus je lui dis « Je ne sais pas, je vais me renseigner ». Je trouve un tailleur et il a eu les 25 manteaux à faire, cela valait la peine et j’ai fait les 25 chapeaux. (Monsieur) Le Doudou à Mons, c’est encore la même chose, 40 chapeaux seulement il fallait faire 40 costu­mes à Binche. Si l’on ne faisait pas les chapeaux, on ne faisait pas les costumes, mais le tailleur a téléphoné en demandant de ne pas le laisser tomber.

 

  1. Donc les costumes du Doudou ont été faits à Binche l’année dernière avec les chapeaux ?
  2. Oui, 40 l’année dernière.

 

  1. Et vous étiez obligée de faire les chapeaux ?
  2. Oui. Et beaucoup de choses comme ça. L’année dernière je me suis beaucoup défendue, j’ai parlé avec le bourgmestre et le directeur, je trouve que, même, il y a moyen de faire plus encore à Binche.

 

  1. Oui, mais il faudra du temps ?
  2. Oui mais il y a moyen de faire plus, d’amener les gens de l’étranger à faire des costumes. Si j’avais 10 ans de moins, je vous jure que je travaillerais encore autrement, maintenant, je suis trop vieille, je trouve que j’ai fait ma part, je ferai encore le plus possible, mais bon, parce que l’année passée, pendant des mois, j’ai discuté ainsi, j’en ai attrapé la fièvre, ça me met hors de moi de sentir qu’il y a moyen de travailler et qu’on ne sait pas.

 

  1. Je dois dire qu’il n’y a plus de bonne volonté non plus.
  2. Non, bien sûr. Attention, ce que je fais ici n’est pas facile ! C’est une privation de tout. C’est ce que j’ai dit à ces enfants-là, avant de

l’entreprendre, il faut réfléchir : plus de samedi, plus de dimanche, plus de week-end, plus de sorties, plus de dîner assuré.

 

Q En période de carnaval, c’est normal.

R Ça ! (Monsieur) Nous sommes en période de régime, c’est bien simple. (Madame)  Vous voyez, tout ça, c’est vrai, il faut penser à ça.  Il faut vraiment aimer pour le faire. Alors, maintenant je m’aperçois qu’il faut être spécial pour faire ce métier.

 

Q Il faut aimer d’abord.

R Il faut aimer, c’est ce que je vous dis, j’ai dit à ce garçon-là : la pre­mière chose de tout, il faut aimer votre métier et le réaliser, il ne faut pas penser que vous aller gagner, ça, cela vient après, mais seulement, les jeunes, il faut tout de même qu’ils mangent. Il faut être logique.

 

Q Les jeunes n’ont plus le même esprit que les gens de votre âge ?

R Non, Ici, il a l’air qu’il comprend, il a l’air d’être bien parti et je l’espère de tout mon cœur, je vais l’aider.

 

Q Donc vous allez vous remettre encore au travail cette année ?

R Oui, je vais m’y remettre. Il n’y a pas d’avance. J’ai beaucoup hésité. Ils sont venus il y a bien 2 mois et j’ai dit : « Je ne vous donne pas un faux espoir je ne vous dis pas oui ni non, laissez-moi réfléchir ». Et ils viennent de revenir en me disant : « Qu’est-ce que vous en pensez ? ». Les voilà en plein centre de Binche, donc dans le fond ils seraient bien placés.

 

Q Souhaitons leur bonne chance et bon courage. Merci d’avoir bien voulu me recevoir.

R Ce n’est rien, m’ fis, c’est quand vous le désirez, j’aime tant tout ça pour Binche !!!

 

 

Marc LEFEBVRE

                                                                    (Garin, op.citat.)

Eugène Chapuis, louweû d' costumes èt d' tchapias d' djîles à 'l Louviére (louageur de costumes et de chapeaux de gille à La Louvière)

(Grégory Machiels, in: El Mouchon d’ Aunia, 1994, p.19-29)

1.1.2.2   Fabricants de matériel / Fieûs d’ matériél

 

li masse (le masque)

Les servants du dieu Gille à Binche / Le fabricant de masques,

in : MA, 6, 1981, p.106-107

 

Le masque était fabriqué avant la guerre en Allemagne ensuite à Saumur en France, cette usine s’étant convertie dans la fabrication   de masques en plastic il fallait trouver une solution pour Binche.

Monsieur Jean-Luc Pourbaix, jeune peintre et céramiste Binchois s’est intéressé à ce problème.

 

  1. Qui vous a donné l’idée de fabriquer des masques ?
  2. Cela m’est venu tout seul, j’ai dit : « Il n’y en a plus, je vais essayer de les faire », les derniers venant de Saumur, je me suis rendu sur place, j’ai fait le tour de l’usine, mais comme elle fabrique tout en plastic, cinq minutes après je suis sorti, ils m’ont dit : « Vous êtes sur la bonne voie, continuez », c’est tout.

 

  1. Comment avez-vous fait après ?
  2. Par tâtonnement pendant 6 mois, j’ai démonté un masque, j’ai cherché des matériaux, fait des essais, fait des moules en plâtre que j’ai démolis car ils ne me donnaient pas satisfaction et enfin j’ai réussi, je crois.

 

  1. Avez-vous été aidé par quelqu’un, des conseils ?
  2. Non, j’ai simplement recopié les anciens masques, parce que les der­niers n’étaient pas très baux, il n’y a que pour le masque des Paysans que j’ai rencontré Monsieur Glotz et l’abbé Thomas du Collège, et nous avons mis au point le modèle qui est le même que le Gille, mais, étant porté par des enfants, nous avons seulement enlevé les favoris et le petit bouc.

 

  1. Les couleurs du masque ont changé ?
  2. C’est-à-dire que les derniers n’étaient déjà plus les mêmes qu’avant la guerre, j’ai refait les mêmes couleurs, les favoris sont un peu plus foncés.

 

  1. Comment faites-vous pour faire un masque ?
  2. Il faut tout d’abord faire l’encollage de couches de tissus différents placé sur un moule mâle en aluminium, ensuite pressé dans un moule femelle à chaud ; quand cela est fait, il faut le colorier à la main ensuite le cirer.

 

  1. Vous avez une exclusivité avec la ville de Binche pour la fourniture des masques ?
  2. Oui, bien sûr, mais cela est secondaire, car le contrat, je l’ai fait avec moi-même, je suis un acharné Binchois, il est certain que je ne vendrais pas un masque hors de Binche. Au départ, je le répète, la ville ne m’avait rien demandé, je les ai faits de moi-même, parce que vous savez, entre l’inertie d’une administration et le dynamisme d’un artisan, c’est deux choses bien différentes.

 

  1. Vous êtes aussi peintre, céramiste et potier, vous avez traité le Gille et les Carnavals de toutes les manières, avez-vous déjà exposé hors de la ville ?
  2. Non jamais, il y a eu une fois un article dans « Hainaut Tourisme » c’est tout.

 

  1. Revenons au masque. Combien en fabriquez-vous par année ?
  2. Ce que la ville me commande, c’est-à-dire 500.

 

  1. C’est beaucoup !
  2. Oui et non, un masque se défraîchit lorsque le Gille l’a porté ; la cha­leur, la transpiration cela détruit le masque.

 

  1. Les Gilles sont propriétaires des masques, même défraîchis ne peu­vent-ils pas le donner à des amis ?
  2. Je vois ce que vous voulez dire, pour qu’ils partent à l’étranger ? non, les sociétés étrangères emploient des masques en plastic et ils ne sont pas beaux.

Au départ, j’ai eu un petit différend avec Fernand Derval qui était bourgmestre à ce moment-là, parce que lui, ignorait qu’une maison de masques de la ville vendait des masques de Gille en plastic, il en a même fait acheter un pour le voir, mais il ne sera jamais le vrai masque en cire.

Mes premiers masques, je les ai faits pour ma société de gille, les

« Réguénaires ».

 

Marc Lefèbvre

 

N.d.l.R. — On consultera aussi l’article de S. Glotz, Le masque du gille de Binche dans « Hainaut Tourisme», avril 1977, n° 181, pp. 43-47 (repris dans « El Mouchon d’Aunia », janvier 1978, pp. 10-12) : on y trouve de très belles photos de la fabrication du masque de gille fait par J.-L. Pourbaix. Au sujet de ce masque, on relira l’article d’A. Garin, Protégeons notre masque de Gille, dans « Tavau Binche », n° 1388, juin 1974 (repris dans « El Mouchon d’Aunia », janvier 1975, pp. 6-7.

 

li tchapia / èl capia

 

(M. Karl Kersten à l’ bèsogne (M. Karl Kersten au travail))

fabrikadje do tchapia d' djîle (fabrication du chapeau de gille)

(in: Bulletin d’informations du service de presse de la Ville de Binche, s.d., p.18-24)

(in: Garin, op.citat.)

li garlot èt l’ apèrtintaye

 

li chabot (le sabot)

http://gille.skyrock.com/2.html: les marchands de sabots:

 

 

Madame Brichot est un artisan bien connu des binchois. Dans son petit magasin de la route de Mons, elle accueille entourée de sabots les futurs Gilles qui viennent y chercher ces indispensables accessoires.

C’est en 1920, au lendemain de la Grande Guerre, que les grands-parents de Lucie Brichot décidèrent d’ouvrir un magasin de sabots. Depuis, et ce sans interruption, excepté durant la seconde guerre mondiale, le petit magasin de la route de Mons offre aux narines des clients cette odeur typique, envoûtante et enivrante de sabot fumé.

Les sabots, qui à cette époque étaient faits mains, provenaient de sabotiers habitants la région : Eugies, Anderlues, Buvrinnes, … On pouvait également en trouver dans un petit village non loin de la frontière belgo-hollandaise nommé Retie. Actuellement, ils sont fabriqués dans les Ardennes où le plus gros du travail est réalisé par des machines.

Il faut tout d’abord débiter les troncs de saule ou de peuplier en tranches d’une cinquantaine de centimètres d’épaisseur.

Les pièces de bois sont installées dans une première machine ayant pour but de donner au sabot sa forme extérieure.

L’esquisse de sabot est ensuite placée dans une seconde machine qui creuse l’intérieur du sabot et définit grossièrement l’emplacement du pied.

Manuellement de façon à maintenir une parfaite symétrie des deux pieds, le sabotier finit l’aspect extérieur et intérieur du sabot.

Il reste à donner aux sabots la teinte que l’on connaît. Pour ce faire il séjournera durant 7 à 8 heures dans un séchoir-fumoir activé par les copeaux que l’on extrait de leur ventre.

Nus, les sabots reposent désormais sur les étagères du petit magasin. En période de carnaval, celui-ci et la maison attenante sont envahis par les paires de sabots qui attendent que les pieds d’un Gille viennent les choisir.

C’est alors au tour notre artisan d’entrer en action. Première de ses tâches et non la moindre, découper les garnitures dans des plaques de cuir naturel au moyen de couteaux et d’emporte-pièces.

La garniture complète du sabot est constituée de la talonnette, en forme de demi-cercle et clouée sur l’arrière, d’une petite sangle de cuir qui sert à consolider l’avant du sabot en cas de bris, d’une bride se glissant dans un morceau de cuir rectangulaire et soigneusement dentelée pour tenir le pied.

Le sabot, ainsi garni, est prêt à la vente mais pas encore à la danse. En effet, le futur Gille devra d’abord les garnir de renoms, pièces de tissus formées de ruban plissé.

Lucie Brichot, spécialisse do chabot d' djîle (Lucie Brichot, spécialiste du vrai sabot de gille)

(in: Vie Féminine, févr. 1996, p.12-13)

 

li ramon (le ‘ramon’)

L' ârt dè fé in bon ramon (L'art de faire ujn bon ramon)

(Augustin Beelaert, in: El Mouchon d’ Aunia, s.d.)

1.1.3   Les auxiliaires / Lès-aîdants

1.1.3.1   Les femmes / Lès feumes

(VA, 23/02/2019)

1.1.3.2   Les bourreurs / lès boureûs

(LS, 12/02/1994)

(Garin, op.citat.)

Les servants du Dieu Gille à Binche: le bourreur, in : MA, 11, 1981, p.210-211

 

Q.  Monsieur Lefèbvre, comment se passe une journée de bourreur ?

R. Un bourreur doit d’abord se lever très tôt, car le gille n’aime pas attendre et partir trop tard, car c’est aux premières heures qu’il s’amuse le mieux car à ces heures-là, il est encore seul avec son tambour, il danse pour lui, fier comme un dieu dans ce jour qui naît et qui fait de lui un roi. Voyez-vous, c’est un peu aussi grâce à nous, les bourreurs, lorsque je pars à 3 h. du matin, un peu fatigué, dame ! la veille on a fait comme les autres, c’est carnaval.

J’arrive chez mon premier gille vers 3 h. 15 et déjà il m’attend sur le pas de la porte, il est déjà in train de pèstèler; le premier travail est de préparer la paille, enlever les herbes qui pourrait lui donner des dé­mangeaisons, ensuite on cherche les pailles les plus longues, il faut dire qu’actuellement nous avons du mal à en trouver car les balots sont fait mécaniquement. On emploi de la paille d’avoine, avène, ou d’escourgon, sicoron.

Nous mettons pour commencer le mouchoir de cou qui empêchera la paille de piquer la gorge et qui protégera aussi celle-ci du frottement de la toile, ensuite, on passe la veste que l’on serre à l’encolure et l’on commence le travail.

Il faut d’abord faire les torkètes qui serviront de bâtis on en met une horizontalement et ensuite deux autres verticalement comme si vous bâtiriez une maison, ensuite on met un peu de paille et l’on procède de la même façon dans le dos tout en regardant si les bosses sont bien rondes. Ensuite sur le devant on continue à remettre de la paille, mine de rien, il faut demander au gille s’il a déjeuné, et en le bourrant, passer la main sur son estomac pour voir s’il n’est pas trop gonflé de la veille, ceci pour s’assurer que le gille ne soit quelque temps après oppressé, étouffé par la paille qui ne doit pas être trop serrée, ni trop peu, pour que le grelot qui sera ajouté sur la poitrine ne « rentasse » pas. Après cela, on serre avec une ceinture ou une corde, moi personnellement lorsque je fais le gille, je préfère une cordelette ou un large pansement, cela fait moins mal avec la ceinture de sonnettes, apèrtintaye ou importintaye.

Ensuite je fais assoir le gille pour lui attacher la collerette aves des èsplinkes, souvent aidé par la mère ou la femme du gille qui est plus fiére que potière de « son gille ».

C’est ensuite la pose de la barrette et du mouchoir de cou que je pré­pare au début avant de bourrer, il faut le plier d’une façon spéciale pour ne pas qu’il blesse le gille et que cela tienne bien ; c’est donc un triangle, vous étendez le mouchoir, vous placez la pointe vers le plus grand bord et ensuite vous pliez plusieurs fois, pas trop large pour que cela prenne bien place sous le cou. Lorsque vous avez posé le mouchoir, vous faite un bon nœud au-dessus de la tête en demandant à votre gille de bien serrer les dents, cela se détend toujours un peu après. Il vous reste à placer l’importintaye à l’endroit, c’est-à-dire les têtes des sonnettes au-dessus.

Je n’ai pas parlé du grelot à placer car souvent, et c’est la coutume à Binche, vous le donnez à mettre à la maman, la femme ou la fiancée, ainsi que placer le nœud de la collerette.

Et voilà le travail terminé, il vous reste à boire la petite goutte tradition­nelle, et prendre congé in courant, pour se rendre chez un autre gille qui trouve que vous avez traîné en route, et ceci jusque 8 h. du matin. C’est un travail assez fatiguant, mais on est fier de ses gilles.

 

Q.   Combien faites-vous de gilles ?

R. Personnellement 6 ou 7, c’est suffisant. Il faut en moyenne 25 minutes pour en faire un.

 

Q.   Vous êtes payé pour ce travail ?

R. C’est-à-dire que je ne demande rien on me donne ce que l’on veut. Vous savez souvent ce sont des amis, et demander autant, non, et puis cela ne se fait pas chez nous, les Binchois savent ce qu’ils ont à faire, nous, nous sommes heureux d’aller bourrer, vous savez c’est la base même du carnaval, alors nous, nous le vivons intensément, car comme je vous le disais tout à l’heure, en le fabriquant nous mettons un peu de notre cœur dans cette paille et avec eux nous faisons aussi le gille, bien que moi personnellement lorsque j’ai terminé, je rentre chez moi où m’attend mon père qui est bourreur aussi et qui à son tour, me bourre car je suis aussi un gille et fier de l’être.

 

 

Marc LEFEBVRE

 

Françoise Zonemberg, le faiseur de gilles, LS 12/02/1994

 

Carnaval va déployer ses fastes à Binche. (…) Incontournable : le  bourreur.

Sans lui, le roi du carnaval ne serait pas.

Ou si plat.  Attendu dès la fine pointe de l’aube par celui qui dans la journée forcera l’admira­tion de milliers de touristes comme des « Binchous », le bourreur participe en premier rang à la naissance du gille.  J’ai souvent l’impression quand je sonne chez un aille que je dois bourrer c’entendre derrière la porte son soupir de soulage­ment, confie Marc Wattremez.

 

C’est que cinq minutes de re­tard sur l’horaire convenu suffi­sent à faire basculer des famil­les entières dans l’angoisse, un mardi gras, à Binche.  Et s’« il »ne venait pas ! ?…

 

Voilà vingt-dnq ans que de 4 à 7 heures du matin environ, Marc Watremez parcourt les rues en­core obscures de Binche d’une maison de gille à l’autre pour remplir son indispensable mis­sion.  Au total, avec son fils qui marche dans les traces carna­valesques paternelles, il assure­ra cette année le bourrage d’une trentaine de gilles.  Durée moyenne d’intervention : sept àhuit minutes.  Un « temps de tra­vail – raccourci au maximum grâce à une organisation san s faille; quelques jours avant celui de l’apothéose, le bourreur, à la tête d’une entreprise d’aména­gement de parcs et jardins dans le civil, prépare la paille livrée par son voisin fermier.  Il sépare les quelque 200 kilos en – tor­quettes », les torches dont l’as­semblage formera les célèbres bosses, fait les parts de chacun de « ses » gilles, qu’il livre àdomicile.  Tous appartiennent àla même société, ce qui me permet dinfluer sur le déroule­ment du ramassage en faisant par exemple traîner un peu le tambour si j’ai pris du retard, explique le « faiseur de gilles ».

 

FORMER LA RELÈVE

 

Les bosses du roi du carnaval peuvent être constituées de paille d’avoine ou de froment, mais Marc Watremez préfère l’escourgeon, plus résistant à la transpiration.  L’avoine est en principe plus doux mais s’il fait beau et, que la paille transpire beaucoup, il y a risque de le voir ­virer au fumier.  Quant à la paille de froment, très dure, elle a tendance à piquer.

 

Un grand sac suffit en principe aux besoins d’un gille adulte, mais certains préfèrent être bourrés plus serrés et récla­ment davantage.  L’essentiel est qu il se sente à l’aise pour toute la journée, souligne encore Marc Watremez, déconseillant au passage le port de sous-vête­ments thermolactyl trop… brû­lants.

 

Bourrer un gille est donc tout un art, souvent abandonné d’ail­leurs dans les communes péri­phériques où l’on fête aussi le carnaval.  Mais le métier – au fil des ans tend à se perdre; les bourreurs, âgés pour la plupart, se font de plus en plus rares.  Pour pallier la désaffection, les épouses de gilles ont pris la relève.  Pas de problèmes, elles opèrent au moins aussi bien que leurs “collègues” masculins; Marc Watremez cependant se console mal de la disparition d’un métier du carnaval. Aussi a­t-il eu l’idée l’an dernier d’organi­ser une formation de bourreurs. A sa grande surprise, après une annonce sur les ondes de la radio locale, 40 personnes avaient répondu à l’appel pour la première séance, 70 pour la seconde.  Cette année, les cours ont été réédités avec le même succès, fréquentés par des Binchoises surtout mais aussi par quelques virils habi­tants de la cité de Marie de Hongrie ayant depuis pris à coeur leur activité « grasse ».

 

Peu visible, le travail,du bour­reur n’en est pas moins riche de grandes satisfactions.  Entendre Marc Watremez évoquer le petit pincement de fierté qui lui chavi­re le coeur, chaque mardi gras, à la vue de ‘ses’ gilles suffit à s’en convaincre.  Jamais d’ail­leurs l’idée d’abandonner son rôle pour se glisser sous une barrette ne l’a torturé.

 

 

les bourreurs

 

La veille, il est rentré plus tôt que la normale et n’a pas profité des bons moments d’euphorie qui suivent le feu d’artifice de la Gare.

Il est le premier à servir le Gille à l’aube du Mardi Gras et déjà, il se concentre pour que ce moment soit un bon départ pour la fête préparée depuis tant de mois.

“Le Bourreur doit se lever très tôt (3h30) car beaucoup de gilles partent bien avant le lever du jour.

Généralement, le bourreur prend en charge plusieurs Gilles mais pas nécessairement au même endroit. Il doit donc veiller à ne pas faire attendre les différents départs de chacun d’eux en planifiant judicieusement sa tournée.

Pour ma part, je ‘bourre’ 6 Gilles : les premiers se trouvent assez loin du centre et doivent donc être ‘bourrés’ vers 4h, les derniers le seront vers 6h30.”

Au ‘Bonjour Jean-Jacques !’ , il répond hâtivement et, afin de vérifier si tout est prêt, se dirige rapidement dans la pièce où le Gille sera bourré.

“Le premier travail consiste à préparer la paille d’avoine et d’esturgeon, enlever les chardons et autres herbes qui pourraient piquer ou provoquer des démangeaisons, ensuite les ‘torquettes’ – petites torches de paille – que l’on place sur le dessus des bosses devant et derrière. Auparavant, on met le ‘mouchoir de cou’ qui protègera le cou des frottements de la toile et empêchera la paille de piquer la gorge du Gille.

On passe ensuite la veste et on serre l’encolure pour commencer à mettre en forme la bosse avec les ‘torquettes’ en bourrant littéralement de paille cette blouse ample en veillant à ce que les bosses soient bien régulières, bien rondes, ni trop serrées ou trop peu, en laissant les bras libres de se mouvoir sans aucune gêne.

La blouse est alors serrée à la taille par un cordon en passement. On essaie alors d’accrocher ‘l’appertintaille’, le ‘grelot’ ainsi que la ‘colerette’ qui doit poser naturellement sur les épaules et les bosses. Celle-ci est fixée par de petites épingles.

Ensuite, c’est la pose de la ‘barette’ et du second mouchoir de cou qui est plié d’une façon spéciale pour qu’il tienne fermement mais sans trop de gêne.

Ce travail est, par tradition, toujours réalisé par la mère ou l’épouse du Gille très fière de mettre sa touche personnelle à l’habillage de son Gille.

Je me sauve, car les autres attendent.”

Et c’est avec le dernier Gille bourré qu’il prendra enfin le temps de savourer LE verre bien mérité.

Tout s’est très bien passé; je perçois sur son visage l’énorme satisfaction d’avoir pleinement accompli son rôle.

Son service terminé, il revient déjeuner puis, repart de suite pour apprécier totalement ‘ses’ Gilles qui dansent désormais dans leur ‘Société’.

Là encore, d’un oeil critique, il observera les bosses, l’allure fière et imposante du personnage et pourra penser que lui aussi, il ‘fait’ le Gille.

http://www.carnavaldebinche.be/page.phtml?rub=contenu&div=6&id=30

 

èl bosseû, strangn èt torkètes (le 'bosseur' / bourreur, paille et 'torchettes')

(in: El Mouchon d’ Aunia, maîy 2012)

2 èfants bossenut leû preumî djîle. / 2 enfants 'bourrent' leur premier gille

(in: DH, 22/02/2012)

1.1.3.3    Cagnottes, “cagnotteurs” et “coureurs” / Cagnotes, cagnoteûs, coureûs

(in: El Mouchon d’ Aunia, 3, 2012)

li coureû (le "coureur")

Les servants du Dieu Gille à Binche: le « coureur », in : MA, 4, 1982, p.75

 

Q. Monsieur Debast vous êtes « coureur » depuis combien d’années  ?

R. Depuis 10 ans. Avant on n’allait pas à domicile, la cagnotte se faisait au local parmi les membres, maintenant bien sûr pour la caisse de la société on se rend au domicile non seulement des membres mais aussi des sympathisants.

Le bénéfice des intérêts entre en partie pour payer la musique des gilles, cela coûte très cher.

 

Q.   Votre travail à vous commence quand ?

R. Il commence juste après la semaine du carnaval, je vais à domicile, les membres versent ce qu’ils désirent, chacun suivant son budget.

 

Q.   Vous devez beaucoup vous déplacer pour votre travail ?

R.    Oui et tout à pieds, dans toute la ville, dans les faubourgs et même aux environs, et par tous les temps.

 

Q.    Il faut une bonne constitution ?

R.    Oui, heureusement j’en ai une bonne sinon ?

 

Q.    Une cagnote comprend plus ou moins combien de membres ? R.    Cela dépend des sociétés, moi, je travaille pour deux cagnotes différentes, j’ai plus ou moins 300 membres, plus les mises.

 

Q.   Qu’il faut voir toutes les semaines ?

R.    Oui, ou alors il ne faut pas être coureur, je commence le jeudi et je termine le mardi soir, quand j’ai terminé, je fais mes comptes avec le président.

 

Q.   En fin d’année comment faites-vous ?

R. Nous nous réunissons et remettons aux gilles et membres la somme économisée sur l’année, moins bien sûr une petite quote-part pour le coureur, ils la reçoivent au local, mais c’est une fameuse responsabilité pour moi, mais pourtant nécessaire pour la société et pour le gille. De toute façon on sait toujours contrôler la somme versée, le membre possède une carte sur laquelle j’indique la somme versée, je reporte cette somme dans mon carnet avec un double, donc vous voyez que cela est très sérieux.

Et le mardi gras, lorsque je fais le gille, je le fais encore d’un meilleur cœur parce que je l’ai bien mérité.

 

Marc LEFEBVRE

 

1.1.3.4   Les marchands d’oranges / Lès mârtchands d’ oranjes

Lès-oranjes au sang (les oranges saignantes ou sanguines), in: MA, 2, 2012

 

Dè què ? 220 tones ? Bîn, ça fét 2.480.000 oranjes ou bîn 62.000 kèrtins, ça !

Qui a pris un jour l’autoroute a croisé ou suivi un camion de la société houdinoise Michel logistics. Didier Michel en est le patron et, à ce titre, il a décidé de mettre à la disposition des sociétés de la région, son professionnalisme et ses contacts privilégiés. Ses camions ramènent, chaque année, plus de 200 tonnes d’oranges d’Espagne, pour différents carnavals de l’Entité. Il ne fait pas ça pour l’argent, mais par passion pour le folklore local. Les oranges sanguines, « Sanguinelli », originaires d’Alicante, sont prisées pour leur qualité exceptionnelle. On compte en général dix à douze oranges au kilo, mais cette année, 2011, elles étaient d’un calibre supérieur, et on n’en comptait que neuf par kilo. ( Source « La Nouvelle Gazette »]

 

Més, à pârt ça, qui-ce qu’ astèz, Didier Michel?

In dèwoûrs dè s’-n-ouvrâdje, no Didier, c’ è-st-in-amoureûs du carnèval. I fét lès djîles à Gougnére dèspûs 50 ans ‘yèt il èst présidint dè ‘l société « Les Sans Rancunes » dèspûs 15 ans.

‘ll-a plési à dîre que, grâce à ça, on l’ a spotè dins l’ intourâdje dès djîles : « èl Sint-Nicolas dès-oranjes », ‘yèt nous-ôtes, nos pinsons què ça lyi va fin bîn.

 

Et pour les gilles, comment ça marche ?

À Houdeng justement, et dans de nombreux carnavals, les sociétés sont suivies par une camionnette qui contient toutes les oranges, ce qui n’est pas du plus bel effet, mais chacun est libre de faire comme il l’entend.

La société commande toutes les oranges, le gille paye à celle-ci le nombre de fruits qu’il souhaite pour son carnaval. Il reçoit, en échange, des tickets d’une valeur de 20 oranges, qu’il échangera auprès du préposé dans la camionnette, sachant qu’un panier d’adulte contient +ou- 40 oranges.

 

Et à ‘L Louviére, d’aboûrd ?

L’offrande du gille

 

À ‘L Louviére, pont d’ camionètes més dès tchèrètes à bras. Saquants djîles dè ‘l min.me cagnote ès’ rabindèletèt inchène pou in porteû.

Lès porteûs n’ sont nîn padrî l’ société més vont à l’avance pou ratinde èl passâdje dès djîles. Quand i d-a iun qui vût rimpli s’ kèrtin, il invouye ène saqui dè s’ famîye pou l’ fé rimpli. I d-a d’s-ôtes qui font tout seû, ‘yèt l’ porteû d’meûre dèssus l’ costè avû in sa d’ssus s’ dos. I d-a qui roûletèt avû deûs kèrtins : linsi, quand iun èst vûde, i d-a in plangn su ltemps qu’ on rimplit l’ ôte.

Le gille présente son panier au specta­teur, et ce geste est d’une grande valeur pour celui qui la reçoit, car il s’agit bien là d’une véritable offrande. Toute la symbolique du gille est représentée dans ce geste.

Évidemment, comment résister à une fenêtre laissée ouverte, ou à un groupe de spectateurs juché en hauteur, les mains tendues vers la précieuse agrume ? À ce moment, plus question d’offrande, mais on flaye comme on dit, afin que l’orange atteigne son but, et si pas ce n’est pas grave, il y aura toujours bien un ou l’autre « petit malheureux » avec son sachet en plastique, qui ne quitte pas les sociétés, afin d’en récolter un maximum, qu’il reportera chez lui et fera ainsi des heureux à moindre coût. Ainsi, tout le monde en profite, et c’est très bien comme ça.

Un petit avertissement quand même : N’essayez jamais d’attraper une de ces oranges avec votre arcade sourcilière… ça laisse des traces !…

 

Inspiré d’un article de la Nouvelle Gazette

 

1.2   Musiciens / Musucyins

1.2.1   Les instruments et leurs fabricants / Lès-instrumints èt leûs fabrikants

1.2.1.1   La viole / Li viole

(Garin, op.citat.)

Francis Duquesne, Si Laetare m’était conté, Le carnaval louviérois, 1991

 

(p.20) LES VIOLES DE BINCHE

 

Contrairement à Binche où le dimanche et le lundi gras plusieurs groupes de danseurs sortent à la viole, à La Louvière cette tradition est presque disparue. La viole est portée en bandoulière et munie d’une quille porteuse.

La viole binchoise est un orgue de barbarie jouant 8 airs populaires, tous écrits par des musiciens binchois. L’instrument est originaire de Berlin (Harmonipan Frati et compagnie) ou de Paris (Gavioli) parfois aussi d’artisans belges. La viole fut introduite à Binche par une famille flamande qui comptait 8 filles dont Marie Boon. Elle était la mère d’un joueur de viole nommé Auguste Pruniaux. Cette viole existe toujours et porte le nom de “La petite bonne”. Elle est la propriété de René Petit, joueur de viole à Binche.

Jocelin Lebon, Binchois de pure souche, construit actuellement ses propres violes pour pallier à la rareté de cet instrument aux sons aigrelets.

Le joueur de viole porte le nom de manikeû. Cette appellation est issue d’un terme wallon désignant le tourneur à l’ manike, c’est-à-dire à la manivelle. Le joueur de viole doit être costaud car l’instrument pèse près de 30 kgs.

 

(in: Bulletin du service de presse de la Ville de Binche, 48, 1981)

1.2.1.2   Le tambour / Li tambour

Les servants du Dieu Gille à Binche: le fabricant de tambours, in: MA, 5, 1982, p.100

 

Q. Monsieur Jocelin Lebon, votre famille fabrique des tambours depuis com­bien de temps ?

R. Mes grands-parents qui habitaient à la rue St-Paul à Binche, fabriquaient des « tamis », pour la pratique du jeu de balle en vogue à cette période (vers 1868). Ils fabriquaient aussi des soufflets en cuir de fonderie, ce qui, naturellement, allait leur permettre de construire des tambours. Les fûts de ceux-ci étaient achetés chez Maillon, Panny ou Van Engelen à Bruxelles.

Fernand Lebon, mon oncle, achetait des peaux irlandaises. Une peau à ce temps-là coûtait déjà plus de 300 francs, c’est mon père ensuite qui a repris le commerce.

 

Q.   Vos fûts sont-ils toujours achetés ?

R. Non, depuis 1966, notre famille les a construits elle-même et je continue la tradition, mes tambours sont toujours construits d’une façon artisanale. Pour vous donner une idée dans les années 60, les tambours se vendaient entre 1.200 et 1.300 francs.

 

Q.   Le tambour de Binche a-t-il été transformé ?

R. Au point de vue hauteur oui, avant 1914 la hauteur était de 18 cm, ensuite parfois de 16 et même de 14. Aujourd’hui, le fait est que plus le fût est aplati, plus le son est sec, mais la caisse de résonnance en est diminuée. Mais on revient de plus en plus aux fûts de 18 cm. Il y a toujours des familles de tamboureurs qui n’ont jamais joué sur d’autres que des 18 cm, comme les « Clara », « Brûlez ».

 

Q.   Quelles sont les principales parties d’un tambour ?

R. Le fût en laiton, de 13 tirants de cuir qui donnent l’angle du serrage, de cordages (environ 10 m. par tambour), d’une corde de timbre en boyau de bœuf, calibré et séché, appelé aussi boyau de chat, de plus ou moins 2 millimètres et demi, 2 cercles en bois de hêtre cintré et bien sûr, deux peaux actuellement de plastique que nous recevons serties et pré­formées ce qui facilite les montages.

Pour les grosses caisses nous employons toujours des peaux de veaux, sauf en cas de mauvais temps, le propriétaire utilise du plastique afin de ne pas détériorer la peau qui coûte quand même un prix appéciable.

 

Q.   Et les baguettes ?

R. Les baguettes, elles étaient en ébène, maintenant depuis la venue du plastique, on emploie des baguettes plus légères et plus grosses venant d’essences différentes.

 

Q.   Vos grands-parents et vos parents, où trouvaient-ils les peaux ?

R. Avant cela, c’était facile, ils se rendaient en outre à la tannerie Lefèbvre, qui se trouvait dans la rue de Fontaine et qui est disparue aujourd’hui ainsi que les autres tanneries de Binche.

 

Q.   Construisez-vous des tambours uniquement pour Binche ?

R. Non, j’en construis pour des groupes de majorettes, pour des groupes napoléoniens, pour des orgues de foire aussi (les grosses violes) et je fournis aussi en France, Allemagne, Suisse, etc.

 

Q. En parlant de viole, vous les construisez aussi ?

R. Oui, depuis quelques années. La situation à Binche devenait grave pour la coutume du dimanche gras où le matin les groupes ne trouvaient plus de violes pour leur sortie, car il faut rappeler qu’à une certaine époque, situons-la depuis 1880 jusque dans l’entre deux guerres, les sociétés, le dimanche matin ne sortaient pas en tambours, mais bien avec des violes (orgue de barbarie).

 

Q.   Comment avez-vous fait pour reconstruire une viole ?

R. Je vous en ai déjà parlé lors d’un précédent interview (voir «Les violes de Binche» du même auteur), mais j’ai pris contact avec un constructeur allemand, elle est la reconstitution d’une « Wrede » de 1919, la plupart des violes de Binche étaient de marque «Harmonipan Frati et Compagnie» et « Gavioli » de Paris.

Actuellement j’en ai déjà construit plusieurs et je crois maintenant qu’elles sont au point.

 

Q.    Pour la notation avez-vous eu des problèmes ?

R. Au début, oui bien sûr, car je ne possédais pas de partitions et il fallait des airs de Binche connus.

Savez-vous qu’il faut placer sur un1 cylindre plus de 900 à 1.100 pointes en laiton pour inscrire la musique, rien que le piquage de leur emplacement demande une journée de travail.

La notation se compose du chant normal, de la basse, de l’octave et l’accompagnement, ce n’est pas une mince affaire et les airs de Binche ne possèdent que 40 mesures alors que les violes allemandes en com­prennent 64.

Mes violes sont construites comme à leur origine avec 64 mesures, elles possèdent 25 touches doppel-pan, c’est-à-dire double tuyau, la difficulté a été de pouvoir les mettre sur 40 mesures, aussi c’est parfois un air de 32 mesures que l’on reprend deux fois.

 

Q.   Avez-vous le sentiment que l’on revient à la viole ?

R. Oui bien sûr et ce malgré bien des difficultés rencontrées, car si cer­taines violes sont en très mauvais état ici à Binche, certains propriétaires refusent de me les laisser voir, peut-être ont-ils peur que j’en connaisse un peu plus sur la tonalité ou la notation ?

Q. Monsieur Lebon, merci de m’avoir répondu avec tant de gentillesse et je vous souhaite de tout cœur de persévérer et de réussir à nous sortir des violes qui animeront longtemps encore nos rues et nos ruelles de leurs accents aigrelets.

 

 

Marc Lefèbvre

 

Francis Duquesne, Si Laetare m’était conté, Le carnaval louviérois, 1991

 

DESCRIPTION DU TAMBOUR

 

Le fût métallique du tambour est en laiton. La peau du dessus est appelée “peau de batterie”. Celle du dessous est la “peau de timbre”. Dans le passé les peaux étaient de veau, celle du dessous devait être de préférence d’un animal mort-né, car le nerf en gardait plus de souplesse. Actuellement, les peaux animales sont remplacées par des (p.22) peaux synthétiques. Celles-ci sont enroulées sur deux petits cerdes en hêtre.

Deux grands cerdes également en hêtre sont appelés “cerdes de tirage”, ils sont cintrés à la vapeur et sont percés de trous pour passer la corde de chanvre. La plupart des tambours neufs sont équipés de cordes de nylon, mais certains tamboureurs restent fidèles à la corde de chanvre.

Des noeuds de cuirs servent à tendre les deux peaux, ce sont les “tirants”.

Leur nombre varie suivant les tambours (11,13 ou 16). Les cordes de timbres ou cordes harmoniques sont placées sur la peau de timbre. Le réglage des cordes fait varier la sonorité de rinstrument. Au nombre de deux ou trois, ces cordes sont en boyaux.

Des bandes de coton ou caoutchouc placés sous la peau de batterie, brisent les vibrations de celle-ci. Les baguettes du tamboureur peuvent être de bois différents, tel que le charme, le cornouiller, le frêne, l’accacia, le pallisandre. Les baguettes sont tournées spécialement pour la circonstance, en raison de la taille et du poids. Actuellement le bois le plus employé est le hêtre. Andennement on employait aussi l’ébène.

 

http://tambour001.skyrock.com/11.html

 

Les marques de fûts

Il existe plusieurs “marques” de fûts pour les tambours de gille. En général, le nom de la “marque” est le nom du fabricant lui-même. Cliquez ici pour voir les différentes marques que l’on peut trouver ou retrouver tout au long de nos carnavals dans la région de Centre.

L’ancienneté du fût

D’une manière générale, la majorité des tamboureurs s’accorde pour dire que les vieux fûts vont mieux que les nouveaux parce que les vieux ont déjà “pris l’air”. L’intérieur est bien oxydé, ce qui influence le son. Un fût de tambour c’est comme un vin, plus il vieillit, plus il bonifie.

La hauteur du fût

Il existe, pour les tambours de gille, à l’heure actuelle, 3 hauteurs de fût bien connues :

les 14 cm

les 16 cm

les 18 cm

14 cm de hauteur
son sec
sonorité très claire
facile à monter et à régler
léger à porter
de plus faible résonance et pas beaucoup de puissance
—————————————————————————————–

16 cm de hauteur
le standard actuel, le parfait compromis son gras (pour jouer gras)

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18 cm de hauteur

Ce sont les meilleurs, disent certains : bien montés, ils offrent une sonorité exceptionnelle, plus lourde, plus marquée et offre une résonnance puissante.
Rendent mieux que les autres, portent le son plus loin
On retrouve avec ces tambours une sonorité plus proche de celle d’antan (peau de veau).
tambour de marqueur (selon J. Lebon)
———————————————————————————

Outre les 3 hauteurs de fût expliquées ci-dessus (14, 16 et 18 cm), il faut savoir que certains fûts sont “hybrides” :

En effet, il n’est pas exclu qu’un tamboureur ayant un tambour de 18 cm de haut par exemple, ait voulu le faire rescier à 16 cm pour jouer sur un 16 (car la sonorité du 18 ne plaît pas/plus par exemple). De ce fait, en resciant un fût Lebon 18 cm à 16 cm par exemple, on se rend compte qu’il faut encore faire le bourrelet et l’on perd encore 1 cm de hauteur en réalisant ce bourrelet. Ainsi, on arrive à un fût qui mesure +/- 15 cm de hauteur et qui a une épaisseur de 7 dixièmes (7 dixièmes étant l’épaisseur d’un 18 cm soit 1 dixième de plus que les 14 et les 16 qui eux, font toujours 6 dixième pour un tambour F. Lebon).

Cependant, certains tamboureurs demandent parfois des hauteurs telles que 14,5 cm ou 15 cm et le fabricant réalise le tambour aux mesures demandées par le client. Il faut savoir également qu’auparavant, on ne faisait pas très attention aux mesures et que l’on construisait les fûts de tambour sans vraiment tenir compte d’une hauteur exacte.

“Les anciens tambours de gille étaient certainement plus proches de 20 ou 22 cm de haut plutôt que de 16 ou 18 cm comme à l’heure actuelle” (J. Lebon).

Le diamètre du fût

Il existe, pour les tambours de gille, différents diamètres de fût :

*

les 36,3 cm (en passe de devenir un nouveau standard selon certains)
*

les 36,0 cm (le plus répandu pour l’instant)
*

les 35,6 cm (la norme vers laquelle on devrait tendre si l’on veut encore trouver des peaux à long terme d’après beaucoup de tamboureurs)
*

les 35,0 cm
*

les 34,4 cm (mi enfant, mi adulte)
*

les 33,0 cm
*

les 30,0 cm (pour enfants)
*

les 27,0 cm (pour enfants)
*

les 25,0 cm (pour enfants)
*

En fait, il existe énormément de diamètres car cela dépend des désidératas de l’acheteur lors de la demande de fabrication du fût. Il faut quand même dire qu’une certaine uniformisation s’est faite ces dernières années et que, pour un tambour adulte, les trois diamètres les plus courants sont désormais 36,3 cm, 36,0 cm et 35,6 cm.

Cette uniformisation est la bienvenue car l’on sait directement quel diamètre de peau il faut et il n’est plus nécessaire d’aller avec son fût au magasin pour essayer les peaux ! Cela facilite également la vie des vendeurs de peaux qui ne doivent plus stocker de nombreux diamètres de peaux différents. Enfin, il faut préciser que les fabricants de peaux (peaux plastiques) essayent d’uniformiser un maximum les grandeurs afin de réduire les coûts (pas de réglages à faire sur la machine pour fabriquer un autre diamètre de peau).

La couleur du fût

D’une manière générale, le fût de tambour de gille est de couleur dorée (dû au fait que la matière est normalement le laiton). Cependant, il arrive de voir des tambours de gille montés avec un fût de couleur argentée (fût nickelé). La couleur n’a normalement rien à voir avec la qualité du tambour (il existe des Mahillon et des Lebon qui sont nickelés).

Tambour F. Lebon avec fût argenté (nickelé). Source: Collection privée

Les bords du fût et l’épaisseur de la feuille de laiton

Certains tambours “usinés” sont faits d’une feuille le laiton très mince dont les bords sont simplement pliés vers l’intérieur. La majorité des tambours artisanaux sont beaucoup plus épais (mais aussi plus lourds), les bords sont roulés, renfermant une fine tige métallique faisant tout le tour.

L’épaisseur de la feuille de laiton est souvent de 0,6 mm, parfois de 0,7 mm (pour les 18 cm de hauteur par exemple). Certains nouveaux tambours vont même jusqu’à 0,9 mm d’épaisseur d’après Mr Conters de chez Sonorus.

L’entretien du fût

Au niveau de l’entretien du fût, il existe deux ‘écoles’ dans le milieu du tambour :

1. Ceux qui ne le nettoient jamais car ils pensent que le fait de nettoyer le fût change la sonorité du tambour. C’est principalement vrai pour l’intérieur du fût que très peu de tamboureurs nettoient mais certains trouvent également que le fait de nettoyer l’extérieur du fût change la sonorité également.

2. Ceux qui nettoient annuellement (voire plus) leur fût avec du ‘sidol’ ou un apparenté ou même carrément avec de la crème pour polir et qui fixent alors une brosse sur une foreuse pour polir le fût et le rendre aussi brillant que lorsqu’il était neuf. Toutefois, il faut noter que la majorité des tamboureurs ne nettoie jamais l’intérieur du fût (seulement l’extérieur donc). Au contraire, lorsque le tambour est démonté, certains vont même jusqu’à salir ostensiblement l’intérieur du fût avec de la bière par exemple car au plus l’intérieur du fût est oxydé, au plus la sonorité du tambour est bonne. Il n’est pas rare non plus de voir des tamboureurs laisser leur fût à l’air dans le jardin pendant quelque temps afin de le laisser vieillir et s’oxyder un peu.

 

(lès tambours Lebon, lès mèyeûs qu’ on-z-a jamaîs faît) (les tambours Lebon, les meilleurs jamais fabriqués)

1.2.1.3   La grosse caisse / Li grosse caîsse – Èl grosse kèsse

Francis Duquesne, Si Laetare m’était conté, Le carnaval louviérois, 1991

 

(p.22) DESCRIPTION DE LA GROSSE CAISSE

 

Contrairement au tambour, le fût de la caisse peut être de plusieurs matières. Dans le passé il était uniquement de bois. A l’heure actuelle il est encore composé de bois mais aussi de métaux divers tels que l’aluminium ou la tôle inoxydable. Les tirants, les cerdes, et les cordes sont identiques au tambour, mais bien sûr à l’échelle de l’instrument. Les peaux peuvent être synthétiques comme sur les tambours modernes, mais la plupart des “joueurs de caisse” sont fidèles aux peaux de veau pour leur sonorité.

Cet instrument ne possède pas de corde de timbre. Pour frapper la caisse, l’instrumentiste se sert d’une mayoche*. Elle est de bois plein, ou de bois terminé à son extrémité par un recouvrement de feutre (voir dessin).

 

1) Manche en bois plus étroit à son extrémité, terminé par une plaquette métallique avec vis de serrage.

2) Des épaisseurs de feutre sont intercalées.

3) Après serrage de la vis, on effectue un ponçage pour arrondir les angles.

Jacques Mansy, ancien chef de batterie des Gilles “Amis Réunis” nous raconte qu’après la guerre 40-45, la peau de tambour synthétique n’existait pas, il en était de même pour le fin plastique. De ce fait quand la pluie faisait son apparition, il fallait protéger la peau de veau qui n’était pas imperméable.

(p.23) Les tamboureurs étalaient alors de la chandelle sur la peau, celle-ci était de ce fait à l’abri des intempéries.

Ce tamboureur-né nous narre encore une autre anecdote. Les baguettes du passé devaient être plus solides, car il fallait frapper plus fort sur les peaux qu’actuellement. Alors l’ami Jacques se rendait au charbonnage voisin dans le but de recevoir un peu de bois. Ce bois, paraît-il, d’une solidité à toute épreuve, servait à l’étançonnement des galeries et cages de la mine, et était appelé “bois de fer”.

Arthur Denis, tamboureur aux “Amis Réunis” et par après chef de batterie chez les Gilles “Maugrétout” nous remet en mémoire qu’après le deuxième conflit mondial, certains tarnboureurs tannaient eux-mêmes leurs peaux de tambour.

 

* Ou mawote, ce mot désigne aussi dans notre région un gros marteau de forgeron.

 

mayoche = mawote

(in: La Louvière, Gilles, s.d., p.22)

1.2.1.4   Les instruments de la fanfare: clarinette, trompettes, sousaphone, … / Lès-instrumints dè l’ fanfâre: clarinète, trompètes, sousafone, … 

(li clarinète, l’ instrumint do chèf di musike, qui comande lès-aîrs à djouwer) (la clarinette, l’instrument du chef de musique, qui commande les airs à jouer)

(li sousafone) (le sousaphone)

1.2.2   Les musiciens / Lès musicyins

1.2.2.1   les joueurs de viole / lès djouweûs d’ viole
1.2.2.2    Les tambours / Lès tamboureûs

Adelson Garin, Binche et le carnaval, éd. IP, 1998

(p.160)

 

Une école de tambours

 

Pendant des décennies, c’est de père en fils, ou plus généralement de famille en famille, que s’apprenaient les subtilités des «ra» et des «fla» qui constituent la structure du jeu des tambours.

A partir de 1987, un local a été mis à la disposition des apprentis tamboureurs qui suivent les cours organisés à l’initiative de l’Asbl Atelier Théâtre, en collaboration avec l’A.S.A.M. (Amis et Sympathisants des Arts de la Musique), association sœur du Conservatoire Marcel Quinet.

Une cinquantaine de jeunes suivent ces cours par groupes de dix ou douze, à raison de deux séances par semaine, sous la direction d’Odilon Clara, un orfèvre en la matière, lequel estime la durée de la formation à une moyenne de quatre années. Ces élèves sont Binchois ou originaires de la région toute proche.

Comme nous l’a confirmé Jean Bouffioux, l’animateur du Centre d’expression et de créativité reconnu par la Communauté française, cette formation répondait vraiment à un besoin. Trois animateurs assument ces cours : Odilon Clara, Albert Lefèvre et Thierry Lapaille.

Cette formation nous donne une garantie de la qualité des tamboureurs qui feront danser les futures générations de Gilles.

Dans un article du journal «Le Soir» du 16 février 1996, que Françoise Zonemberg a consacré très justement à cette école de tambours, notre journaliste binchoise signale qu’à cette date, trois jeunes filles suivent les cours de l’école de tambours, et d’ajouter que «c’est un coin dangereusement enfoncé dans la mâle tradition».

C’est pourtant armée de l’autorisation du président de l’A.D.F. (Association pour la Défense du Folklore) qu’Edwige Paradis avait effectué, le Mardi gras, une sortie remarquée, et d’ajouter que «la qualité incontestable de son jeu est à l’origine de cet exploit folklorique». Et notre Binchoise de se poser la question : «Qui sait si, dans dix ans, on ne trouvera pas parfaitement archaïque cette drôle d’époque où seuls les hommes étaient autorisés à jouer du tambour ?»

 

Une leçon de patience et de sagesse

Nous ne pourrions pas assez insister sur l’importance du rôle des batteries dans le Carnaval de Binche.

Odilon Clara, dont le grand-père Désiré était un maître en la matière, qui a formé plusieurs tamboureurs, a écrit, avec la collaboration d’Albert Lefèvre, un répertoire des vingt-six airs de Gille ainsi que l’avant-din.ner. Ce travail, commencé au printemps 1988, a été achevé en novembre 1993 et, à le consulter, on devine les nombreuses heures de travail et de patience qu’il a nécessitées.

Nous sommes émerveillés devant la précision de ce message réalisé uniquement par l’amour passionné qu’Odilon a toujours témoigné à l’égard du tambour et en mémoire de son grand-père qui serait, à coup sûr, légitimement fier de son petit-fils, fierté partagée par tous les tamboureurs du Carnaval.

 

Francis Duquesne, Si Laetare m’était conté, Le carnaval louviérois, 1991

 

(p.21) LA BATTERIE

 

La batterie qui fait danser le Gille est tout à fait spécifique. Le nombre de tambours et de grosses caisses varie suivant que l’on se trouve à Binche, Morlanwelz, ou La Louvière.

A Binche selon Monsieur Samuel Glotz, le nombre de tambours va de 5 à 8.

Une seule caisse accompagne chaque société. A La Louvière, cela diffère, à de rares exceptions tous les groupements sont suivis de 2 grosses caisses. Le nombre de tambours est souvent tributaire des finances de chaque société. Ainsi une petite société sera accompagnée de 5 ou 6 tambours alors que les plus importantes en auront jusque 10. Il y a aussi une question de prestige, car, les sociétés louvièroises, à l’occasion de croisement, effectuent souvent des “sur place” pouvant durer plusieurs minutes. On a pu assister lors de rencontres entre deux sociétés dont les batteries étaient de même valeur, à des “duels” dépassant les 20 minutes.

 

Les servants du dieu Gille à Binche: le tamboureur Ursmar Graux dit Mémé, in : MA, 7 , 1981, p.124=125

 

Q.   A quel âge avez-vous débuté au tambour ?

R. A 10 ans et cela sans que mon père ne me montre un seul coup de baguette, pourtant il était un des meilleurs tamboureur de la ville avec les « Clara » et les  Pètits Cos », il jouait pour la société des

« Chas­seurs », il allait dans les rues de la ville pour annoncer la sortie de la société, on avait même écrit une chanson sur lui dans une revue.

 

Q.   Vous avez de nombreux souvenirs à nous conter ?

R, Des tas, oui. Je me souviens qu’avant la guerre de 1914, j’ai conduit pour la première fois un petit gille c’était un dénommé Dupire Fernand je pense, la société des petits gilles se trouvait au café du « Congo » près du Musée actuel et comme mon père habitait dans la rue dèl pine Daneau comme l’on disait, la rue Houssière si vous préférez, et Dupire père qui habitait sur le coin et qui vendait du tissu, j’allais donc le chercher, lui et son fils, pour les conduire à leur société, je ne jouais pas encore pour une société, je n’avais que 9 ans.

J’ai acheté mon premier tambour au fils Vital Deprez, Joseph pour 21 frs, c’est ainsi que j’ai débuté.

Il faut vous dire que j’ai été élevé chez ma grand-mère, donc mon père ne venait jamais m’apprendre à jouer.

Un beau jour, je suis parti à Haine-St-Pierre avec le tambour sur le dos, le prix du train était de 2 frs 35 pour le trajet. Arrivé là, je ne savais où aller puisque je n’étais pas engagé, j’entends au loin une batterie arriver, aux coups de baguettes, je me disais « ça, c’ èst m’ papa », en effet m’ap­prochant, c’était bien cette société.

Lorsqu’il m’a vu, tambour sur le dos, il m’a dit d’un drôle de ton,

« Astèz là ? Alèz, r’ssèrèz vo tambour », je ne me suis pas fait prier et je me suis mi à côté de lui, les gilles venaient me demander et à papa : « C’ èst vo garçon, ça, Blanc ? », un autre dit : « , vo vérèz m’ èrmin.ner èt din.ner à no méson èyèt dormi ». J’avais gagné, j’étais engagé. Cet homme tenait un café dans la rue Neuve, là, j’ai dîné j’ai touché 2 frs, je l’ai reconduit, encore 2 frs, ramené, toujours 2 frs, résultat, j’avais gagné plus que mon père car le lendemain, cela a recommencé ; en tout, j’avais gagné 14 frs sans compter une dringuêye à la société.

 

Q.    Quel âge avez-vous maintenant ?

R. J’ai eu 82 ans, maintenant je ne sais plus jouer, sauf de temps en temps pour un enterrement, mes jambes deviennent vieilles, que voulez-vous !

 

Q.   Votre père jouait pour quelle slociété ici à Binche ?

R. Il jouait pour les « Récalcitrants », ensuite la guerre est arrivée et papa décédé, avec mon frère nous avons joué chez « Naveau » sur la place ensuite les enfants de mon frère grandissant (entre nous, mon fils, je n’ai jamais voulu qu’il joue du tambour, c’est une vie d’esclave), donc les enfants de mon frère Marius, Georget, Michel nous avons formé notre propre batterie, nous étions cinq avec moi comme chef de batterie. Ensuite Noël du P’tit Co père, le fils et le plus vieux des fils de mon frère, Marius son prénom, ont voulu instaurer 6 tambours ; je me suis dit, cette fois je suis de trop et je suis parti.

 

Q.    Les P’tits Cos ce sont les Hamaide ?

R. Non, ce ne sont pas les mêmes P’tits Cos. Ensuite, j’ai été jouer au Cadet, aux « Sans nom » à la rue du Cygne tout de suite après la guerre de 40. Le président était Châles Pierre, son vrai nom Bourgois. Ah ! vous le savez bien, vous avez fait le gille là aussi avec toute votre famille, père, grand-père, oncles et cousins, et c’est dans cette même société qu’un jour je n’ai pas joué mais que j’ai fait le gille pour la première fois sous le même président.

Ensuite, l’année qu’il a fait si froid, qu’il est tombé de la neige si fort, je ne sais plus l’année, les instruments gelaient. C’est cette année-là que j’ai cessé mes activités, j’avais joué plus de 50 ans.

 

Marc Lefèbvre

 

Les servants du Dieu Gille à Binche: les tamboureurs,

in : MA, 8, 1981, p.150-152

 

Des tamboureurs ils y en a toujours eu et il y en aura encore, c’est ce qui se dit à Binche. Comment devient-on tamboureur ?

 

Q.    Monsieur René Hamaide, autrement dit l’ pètit co, quel âge avez-vous ?

R. J’ai 80 ans et je suis le plus vieux de la famille, nous sommes 4 frères et jouons tous les 4 du tambour ainsi que nos petits-enfants, nous avons cela dans le sang, c’est eux actuellement qui repr nnent la relève.

 

Q. Comment êtes-vous venu à jouer du tambour ? qui vous a appris ?

R. J’avais 7 ou 8 ans. Lorsque je revenais diner à la maison, je retournais les assiettes et avec les couverts je jouais parfois tellement fort que je les brisais et de ça, mon grand-père a dit, pas d’avance, on va lui acheter un tambour, il a été à Mons, tenez vous bien, il a eu le tambour, les baguettes, la ceinture pour 24 francs, attention je vous parle d’une affaire de 73 ans, je sais encore le prix, car il était inscrit dessus.

 

Q.    Qui vous a appris à jouer ?

R. Personne, mais mon oncle Léon qui jouait m’a montré quand même un peu et puis je suis parti ainsi, cela m’est venu tout seul, à l’oreille, parce qu’aucun de nous ne sait la musique comme par exemple pour l’avant din.ner, c’est un air qui vient tout seul à l’oreille et pas avec une partition, il faut que cela soit propre, sans fantaisies, c’est dommage, actuellement on en fait trop.

A part cela, après moi, cela a été au tour de Georges, Henri Efrène qui ont joué, et petit à petit nous avons eu notre batterie, nous nous som­mes toujours bien entendus et jamais quittés.

Lorsque la batterie était en route, nous commencions à 4 ou 5 heures le matin et c’était sans arrêt jusqu’au lendemain vers 6 ou 7 heures et aucun de nous ne faiblissait.

 

Q.   Combien de tambours dans votre batterie ?

R. Quatre, toujours nous quatre, notre batterie est venue d’un parent à nous, Wanberchies, qui jouait pour le « Café du Congo » à la rue de l’Eglise, juste avant d’arriver à l’Athénée (Musée] là se trouvait le local des petits gilles, à ce moment-là, il ne fallait qu’un tambour et un gamin, il m’a pris avec lui, c’est ainsi que j’ai commencé.

 

Q.    C’est donc ainsi que vous avez joué pour la première fois ?

R. A la bonne heure, oui, avec mon cousin Noël et je vais vous dire com­bien j’ai gagné pour la première fois, j’ai reçu 2 pièces de 5 francs, j’ai joué pour ça avec en plus les répétitions 5 jours pour 10 francs, je suis revenu tout heureux avec ça chez moi, puisque c’était moi le plus âgé et qu’il n’y avait que papa qui travaillait, voilà comment cela a com­mencé et je vais dire comme celui-là : c’ èst-insi què ça s’ a in.manchî. De fil en aiguille, j’ai attrapé la société chez « Paul Hoyaux » sur la place, car entretemps mes frères étaient devenus de bons tamboureurs sur 4, 5 ans, et nous avions notre batterie. Nous avons peut-être joué 15 ans pour eux, ensuite pour les « Indépendants », nous avions hésité à l’épo­que entre les

« Indépendants » et les « Récalcitrants », la société de chez « Paul Hoyaux » s’étant dissoute, les deux autres sociétés voulaient nous avoir, moi jouer pour les « Indépendants » ou bien pour les « Récalcitrants » c’était la même chose, donc moi je leur dis : « Puisque vous le demandez à deux en même temps, je ne veux pas déplaire à un pour faire plaisir à l’autre, il faudra que vous veniez chez moi au Faubourg St Jacques vers 19 heures, le premier qui sera là, je signerai pour lui », à 18 h. 45 les « Indépendants » sont arrivés, j’ai dit non attendons 19 h. comme convenu. A 19 h. 15 les « Récalcitrants » (c’était un dénommé Mamâr qui s’en occupait) sont arrivés, je leur ai dit : « C’est trop tard, l’heure c’est l’heure, l’affaire est réglée avec les « Indépendants ». C’est ainsi que nous avons toujours joué pour eux.

 

Q.   Et à l’extérieur de la ville ?

R. Nous avons joué à La Louvière pour la société du « Hocquet » après nous avons joué pour les « Commerçants » et on joue encore, du moins les petits. Eux aussi, c’est à croire qu’ils sont venu au monde en jouant du tambour, faut dire aussi que ma fille joue de la caisse comme un homme sans l’avoir appris, sans fausse note, à l’oreille. Les musiciens actuels c’est la même chose, il y en a certains qui jouent en faisant trop de chichi (fantaisies) cela n’est pas beau du tout. Je ne vais pas déprécier les musiciens « étrangers », il y en a de fort bons, mais certains ne jouent pas comme cela doit se faire ils n’ont rien d’un avant-din.ner, il y a trop de fion (fioriture) pour certains on ne comprent même pas quand ils stoppent l’air tellement ils chipotent.

 

Q.   Votre cadence à vous n’a jamais été la même que les autres ?

R. Non, nous avons toujours joué plus vite, pas pour courir à vélo non, mais. rè… rè… rè.., nos reprises sont plus belles.

 

Q. Lorsque vous avez commencé, qui avez-vous connu comme autres tamboureurs ?

R. D’autres, il y avait le papa de Même (Graux Ursmar) qui jouait à la fanfare des « Chasseurs ». Entre nous, sans connaître la moindre note, il était là surtout pour jouer les « pas redoublés ». Ses garçons aussi ont joué, il y avait aussi Charles à cornes, un Hamaide, èl gauchî, comme on l’appelait, l’ pètit colonel qui jouait pour la société du café Chevalier sur la place ; Clara aussi avait son équipe dont Odilon qui est un fin joueur ; aussi les Même, ‘l roucha Deprez qui était aussi de la fanfare des « Chas­seurs » (fanfare née en 1838). Après, il y avait des tamboureurs qui venaient d’Haine-St-Pierre ; voyez-vous il n’y avait pas assez de tambou­reurs à cette époque, bien qu’en ce temps-là, il n’y avait que trois à quatre tambours par société, maintenant il en faut six, mais il faut dire aussi qu’il y avait beaucoup moins de gilles qu’actuellement. Une belle société comptait trente à quarante gilles pas plus, il y avait même une société de gilles le lundi et qui sortait sans chapeaux, elle était installée chez Camille Dehon sur la Grand-rue, on les appelait dans la ville la société des Maus-contints, parce qu’ils disaient qu’ils voulaient être tranquilles et ne dépendre de personne.

 

Q.    Combien louait-on un costume de gille à ce moment ?

R. Pour dix francs, vous en aviez déjà un beau, mais en parlant de Dehon, je vais vous en dire une qui n’a rien avoir avec vos questions mais écoutez quand même.

Dehon qui en même temps qu’il tenait son café, faisait aussi des vête­ments, un jour il voit entrer un « étranger » de Buvrinnes avec sa patron­ne une fermière, il venait pour acheter un costume bleu «Nom dè djous’», dit Camille, il ne faut pas qu’il me demande pour en montrer un autre je n’en possède qu’un.» La fermière lui demande de lui faire essayer, ce que fit Camille tout en disant : « Regardez ce tissu, ce n’est pas de la tripe, mais la fermière fait la moue et lui demande d’en montrer un autre. Camille bien ennuyé lui dit qu’il en avait encore un autre à l’étage, seulement celui-là coûtait beaucoup plus cher ; «Je vais vous le chercher. Il monte et prend le costume qu’il avait essayé, le met dans une belle boîte avec du papier de soie et redes­cend le montrer à la fermière qui lui dit : « Ah, on voit bien que celui-ci est meilleur, vous avez essayé de me tromper avec l’autre ». C’est ainsi que Camille a vendu son dernier « bleu » pour plus cher qu’il n’avait prévu.

 

Q. Reparlons encore un peu de carnaval. Maintenant que vous ne jouez plus, lorsque vous entendez les tambours en ville, quel effet cela vous fait-il ?

R. J’ai mal au cœur, surtout quand je vois les premiers gilles passer, bien que déjà à quatre ou cinq heures je suis déjà debout pour les regarder, c’est simplement parce que mes jambes ne sont plus ce quelles étaient, sinon je jouerais encore mais à 80 ans…; mais la relève est là, et ils joueront encore bien des années par tous les temps, malgré les cloches aux mains, parce qu’ils ont cela dans le ventre.

*    *    *

Q.    Monsieur Georges Birck, quel âge avez-vous ?

R.  84 ans.   

 

Q. Depuis quand jouez-vous du tambour ?

R. Depuis l’âge de 8 ans, j’ai appris à jouer à l’école, au pensionnat, là il y avait une petite’fanfare, c’est ainsi que j’ai commencé… au trom­bone, mais ensuite j’ai pris le tambour, cela me convenait mieux, j’ai joué après à Binche pour la société Paul Hoyaux lorsqu’il a commencé sa société, au « Café des Trois Portes » sur la place, il y avait une trentaine de gilles, mais avant la guerre de 14-18 il y avait même une société qui sortait le lundi, il y avait aussi d’autres sociétés de fan­taisie, des « Bouchers », des « Cordonniers », des « Chics types », même certains habillés de sacs qui allaient à la viole et que l’on appelait les « Méli-mélo ».

 

Q.    Qui étaient les autres joueurs de tambour ?

R. Aux « Trois Portes », les P’tits cos (Hamaide) ensuite j’ai joué pour Fernand Graux qui habitait à la rue de Robiano où se trouve aujourd’hui le boucher Parmentier, il vendait du tissu et avait décidé de créer une nouvelle société, mais ensuite je me suis désisté car cette société s’est éparpillée, j’ai été tambour chez les « Pélissiers » (autre fanfare binchoise née en 1856). Pour les Gilles, j’ai joué au Faubourg avec èl roucha Deprez, Hamaide (non pas un p’tit co) le beau-frère de Georges Vienne, mais encore une fois cette société là est disparue et je suis retourné aux « Indépendants », j’ai formé des jeunes comme Jean Michel, Jacky et Henri Piette, Roger Chevalier qui ont commencé sous le nom lès Gamins, ceux-ci jouent encore actuellement. Un souvenir, je me rappelle le mercredi des Cendres, pour une société du Faubourg, nous sommes allés pour recevoir, on nous avait promis 500 frs, c’est-à-dire pour les Gamins, comme ceux-ci avaient bien joué, ils en ont reçu 1000, ce que j’ai été heureux pour eux, c’était la scoiété des « Splendides » ; en­suite ils ont été jouer des années pour les « Supporters ». J’ai appris à jouer à plus de cent tamboureurs, j’en ai gardé la liste, ils en est resté de bien bons musiciens et j’en suis fier et malgré mon âge « dj’ in skète co bîn ieune ».

 

 

Marc LEFEBVRE.

 

Rencontre avec Noël Wamberchies, chef de batterie de la Société « Les Réguènéres » de Binche (suite et fin), in : MA, 11, 1983, p.204-207

 

M. Uylebroeck : Et pour modifier la tension de la peau ?

N. Wamberchies : La tension, il faut toujours serrer comme ça… et auto­matiquement, les peaux se placent et vous descendez le cuir le long des cordes… Celui-ci, il n’est pas serré, parce qu’il a été monté tout récemment, c’est un Mahillon.

Celui de mon père, il a passé cent ans, il est là en haut, il est plus lourd, hein ! Je vais vous le montrer…

Mme Wamberchies : Eric Dupuis, du café « Maison Colombophile », sur la place, c’est parent avec lui, eh bien, il joue à Morlanwelz et puis, quand son tambour ne va plus, il dit à Noël : « Je vais chercher le tambour de votre papa, hein ! ». Malgré qu’il est lourd, il aime bien jouer dessus. Il y a des jeunes, il leur faut des tambours blinquants, mais il y en a, par contre, non, ils aiment bien de montrer qu’il y a longtemps qu’ils jouent…

N. Wamberchies : Ça, c’est le tambour de mon père, je joue encore dessus… Il est un peu plus large que celui-là, sinon, c’est le même système. Mais les cercles n’ont pas cent ans, vous savez, on les a déjà rem­placés… Ça casse aussi, ça. Le fût reste toujours le même, c’est du cuivre-laiton.

 

M. Uylebroeck : Et pourquoi quatre tambours ?

N. Wamberchies : Avant, avec les peaux de veaux, il fallait plus de tam­bours, hein, c’est-à-dire, une peau cassait plus vite. Mais maintenant, elles sont toutes prêtes ; celui qui n’a qu’un tambour, il prend une peau de batterie et une peau de timbre, il est tranquille. Pour changer la peau, dix minutes de temps et c’est terminé. Avant, ça prenait quatre ou cinq jours.

 

M. Uylebroeck : Quelle différence entre la peau de timbre et la peau de batterie ?

N. Wamberchies : La toute fine, c’est la peau de timbre et la peau de bat­terie, c’est en dessous du fût…

 

M. Uylebroeck : Et quand un jeune vient chez vous pour apprendre, par quoi commence-t-il ?

N. Wamberchies : « Papa, maman ! ». Comme ça… alors de plus en plus vite régulier, et après, on apprend à faire des petits roulements… et puis… gauche-droite, gauche-droite, ça, ça s’appelle des « fla ».

Mme Wamberchies : Parce qu’il y en a encore beaucoup qui ne jouent que d’une main !

N. Wamberchies : Je suis parfois obligé, quand ils arrivent, de le montrer à des gauchers, alors, c’est encore une autre méthode ! Je sais le faire, mais naturellement, j’ai moins de force…

 

Oh, j’en ai déjà vus combien ! Il y en a un, il est venu apprendre ici… Qu’est-ce qu’il a souffert ! Et un jour, je crois que c’est son frère qui est parti de la société, je lui ai dit : « Emile, si vous voulez, il y a place pour vous ». Il est bien resté cinq ou six ans, il jouait très bien, mais seulement, ce garçon-là, il était tellement crispé que pour bien faire, pour jouer du tambour, il aurait fallu lier ses bâtons, ils partaient ainsi… Il a dû arrêter, mais il ne veut pas vendre son tambour… Parce que si vous serrez le bâton trop fort, vous allez être pris ici, hein, il faut que ça reste souple. Il y a une façon de tenir les baguettes ! Alors, il y a aussi une question de retour, il faut que le bâton revienne ! Mais si vous le tenez trop là, plus bas, c’est fini ! Donc, il faut prendre tou­jours l’équilibre de votre retour. Et il faut tout le temps jouer au milieu de la peau, parce que le son est plus gras là que là ou là…

 

M. Uylebroeck : Les bâtons, c’est du hêtre ?

N. Wamberchies : (En riant) : Ce sont des rayons de charrette qu’on appelle ça, que j’ai récupérés ! Maintenant, on ne sait plus en avoir. Je les ai fait tourner par quelqu’un, je donne mes dimensions. Ça, c’est de l’acacia, parce qu’un bâton doit avoir une certaine résonance lui-même, tandis que si vous prenez un manche de brosse, ce n’est pas la même tonalité ! En général, moi, je joue toujours avec de l’acacia. Avant, on jouait avec de l’ébène. C’est un bois qu’on utilise encore dans les cliques de St-Roch, etc. J’ai encore des bâtons avec un morceau de cuivre au-des­sus, qu’ils mettent à leur ceinture ainsi.

Mme Wamberchies : Mon père, il tournait ça lui-même et il était tout rouge avec la couleur du bois… C’était du bois rouge, très dur.

N. Wamberchies : Mais avant, on jouait avec des bâtons de 250-300 grammes, suivant les peaux… Maintenant, avec ces peaux-ci, ça va tout seul ! Il faut des bâtons moins lourds.

 

M. Uylebroeck : On a dû se réadapter ?

N. Wamberchies : Oui, Odilon Clara au début, il jouait encore avec des bâtons anciens… Oh ! Il cassait des peaux à tire-larigot ! Et un jour, il y a un type qui me donne deux morceaux de bois, je les fais tourner et je dis à Odilon : «Tenez, jouez avec ça ! ». « Oh ! qu’il dit, ça n’ira pas ». Je lui réponds : « Essayez… ». Et maintenant… c’est toujours une question de métier comme on dit et alors, connaissance d’un petit peu de tout…

 

M. Uylebroeck : Et quel est le rôle du chef de batterie ?

N. Wamberchies :  C’est une fameuse responsabilité !  Premièrement, il doit gérer tous ses hommes. Il y a une question… comment dire… d’homo­généité.

 

M. Uylebroeck : C’est vous qui choisissez ?

N. Wamberchies : Ah oui ! Il ne faut pas qu’on vienne m’imposer un tam­bour ! Je dis : « Ah non ! C’est moi le chef, ou alors, vous en nommez un autre… ». J’ai été nommé par la société. Déjà du temps où le père de ma femme jouait, c’était déjà moi qui devais être chef de batterie, mais comme son père était plus âgé, je lui ai laissé la place. Oh ! J’ai déjà remis ma démission combien de fois et on ne veut pas l’accepter… Sinon, c’est une grande responsabilité. D’abord, il faut créer une bonne camaraderie, deuxièmement, l’homogénéité pour la société, avoir des gens très polis, très corrects, parce qu’on va quand même dans toutes les maisons, pour dîner, par exemple. Pour tout ça, il faut choisir les gens…

 

M. Uylebroeck : Vous avez déjà eu des problèmes ?

N. Wamberchies : Oui, oui, pas avec des tamboureurs, mais avec des sociétaires. Eh bien, au lieu de dîner aivec eux, on était à la cuisine ! Sinon, en général, je n’ai jamais eu de problèmes et il y a vingt-cinq ans que je suis chef de batterie.

 

M. Uylebroeck : Vous avez joué pour une autre société avant. Et dans d’autres groupes, en dehors de Binche ?

N. Wamberchies : A Binche, j’ai joué aux « Amis Réunis » et puis à Morlan-welz, Haulchin, Givry, Fontaine…

Les carnavals les plus homogènes dans le Centre, c’est La Louvière, Haine-St-Pierre, Morlanwelz… Ça, faut le laisser, hein ! Alors, une fois qu’on arrive à Pâques, ce ne sont déjà plus des carnavals, ce sont des cavalcades, ça, parce qu’il y a des Gilles de ci, des Gilles de là, voyez… A La Louvière, ils ont supprimé les majorettes et tout le bazar pour garder l’esprit de folklore, hein !

A Morlanwelz, c’est le même ; Chapelle-lez-Herlaimont, il y a des ma­jorettes qui viennent et des chars fleuris, comme à La Louvière avec la Louve, et ci et là, mais pas par ici…

 

M. Uylebroeck : Comment a-t-on réussi, à Binche, à préserver le carnaval traditionnel ?

N. Wamberchies : Oh ! Il a beaucoup changé depuis un certain laps de temps ! Premièrement, question de cortège, ce n’est plus régulier, il y a trop de monde dans les sociétés, derrière, qui suit… Et alors, quelque chose qu’on ne fait plus à Binche non plus, enfin nous autres, nous remarquons ça : avant, le matin, on éteignait toutes les lampes… alors, à la lueur du jour, on voyait apparaître les costumes, les collerettes… tandis que maintenant, on les voit déjà tout de suite… Et puis, maintenant, il y a beaucoup de sociétaires qui veulent partir très tôt le matin, je me demande pourquoi ! Ce sont des paris. Il y en a un ici plus bas, il est parti à 3 heures du matin ; où il a été, je me le demande ! Pour moi, il a fait le tour de Binche, tout seul !

Mme Wamberchies : C’est pour montrer l’endurance, mais l’après-midi, il va dormir ! Et après, il s’y remet au soir…

N. Wamberchies : Alors, le plus beau moment aussi, c’est après le cortège. Le cortège, c’est rien, hein ! Chapeaux, tout le bazar… Vers minuit, là… on commence à voir les Gilles… le reste de la nuit, ça, c’est bien…

 

M. Uylebroeck : II y a de vrais Gilles et de faux Gilles ?

N. Wamberchies : Ah oui ! Et justement maintenant, avec l’entité, c’est in­croyable ! Attention qu’il y a de bons Gilles à Binche, mais il y en a des mauvais aussi, beaucoup !

Mme Wamberchies : Mais oui, mais pourquoi, Noël ? Parce que c’est déjà une autre génération… ce n’est plus la génération de papa…

N. Wamberchies : Non, c’est la question des rythmes trop accélérés ! Ça, il n’y a rien à faire ! D’ailleurs, vous pouvez demander à dix personnes qui me connaissent : « A quoi reconnaît-on la batterie ? ». Ils vont dire : « Oh ! La batterie Noël, elle arrive là-bas… » Rien qu’au rythme, hein ! Maintenant, je ne vais plus reconduire les Gilles ; pendant la nuit, je dois rester comme chef de batterie, eh bien, à les entendre de loin, je reconnais la batterie : « Ah, ils sont par là… ». C’est pour ça, que vous allez avoir du mal à calibrer toutes ces choses-là, du fait qu’il y a trop de changements de rythmes de batteries. Si vous allez voir la notation des

« Incorruptibles », par exemple, ça, c’est la même façon que Birk, ce sont ses élèves… Lui, c’est à la liaison qu’il joue, hein ! Je vais vous montrer, je vais prendre celui de mon papa ! Voyez, eux, ils enchaînent tout, il n’y a pas de marquage, tandis que nous autres, nous jouons comme ça… on appelle ça : jouer au marquage.

 

Mme Wamberchies : C’est le même quand ils font des roulements : beau­coup, ils roulent, on dirait une serinette !

N. Wamberchies : D’ailleurs, moi, j’ai six tambours qui roulent quasiment tous de la même façon…

 

M. Uylebroeck : Vous les avez formés tous les six ?

N. Wamberchies : Non, si un tambour joue bien, je vais le prendre, même s’il a appris avec quelqu’un d’autre, mais en général, ils viennent répéter avec moi ici…

Sinon, je vous dis, j’ai modifié combien de tamboureurs ainsi ! Et je leur dis toujours : « Faut pas compter sur moi pour vous engager ! ». Bon, je vais avoir cinq élèves ; disons qu’ils peuvent apprendre un « avant-din.ner » sur un an, pas même, celui qui veut, sur six mois. Le Mardi-Gras, ils vont arriver à dix tambours ! Ce n’est pas possible ! Je ne peux pas les prendre.

 

M. Uylebroeck : Il faut six mois minimum pour apprendre un « avant-din.ner » ?

N. Wamberchies : C’est-à-dire qu’il faut voir la capacité du gamin… Parce que j’en ai un, il est resté combien de temps sur le même passage ! Pour finir, j’ai dû faire appeler, son père, j’étais gêné de lui demander de l’argent !

 

M. Uylebroeck : Et pour apprendre l’accompagnement des airs de Gilles ?

N. Wamberchies : Eh bien, c’est pour ça que j’ai fait une cassette pour ac­compagner les Gilles… Ils peuvent apprendre chez eux, hein ! (démons­tration de la méthode avec cassette).

Chaque fois, l’air des Gilles est annoncé et suivi du battement de tam­bour qui convient. Après, ils viennent chez moi et le répètent. Voyez, tous les vingt-six airs sont faits comme ça et avec le disque, c’est facile. Parce que vous allez donner des notations à un gamin, il ne saura rien en faire, rien du tout !

 

M. Uylebroeck : Le battement est fort différent d’un air à l’autre ?

N. Wamberchies : Oui, chaque air de Gilles a son battement qui revient en général sur une partie de l’« avant-din.ner ».

 

M. Uylebroeck : Et le rôle de la grosse caisse, il est important dans une batterie ?

N. Wamberchies : Il y a justement un bon joueur de caisse de l’« avant-din.ner » dans le disque que je vous ai prêté… Il y a des doublets à faire et des simples, des « piano » et des « forte »…

L’apprentissage est le même que pour les tambours. Ça, j’en ai « appris » aussi, des joueurs de caisse !

Et maintenant, pour les élèves qui vont venir, j’ai encore une autre idée : faire travailler des deux mains, aussi bien de la gauche que de la droite. Sinon, il y a moyen de faire des élèves… seulement, c’est la volonté qu’il faut !

 

 

Marianne UYLEBROECK

 

N.d.l.R. — Ces propos sont tirés de la Revue d’Arts et Traditions Populaires Soumonces, n° 4, mars 1983, pp. 6-16.

 

tamboureû (tambour)

(Georges Birk, Tambour !, in: Bulletin … de la Ville de Binche (op.citat.), 55, p.22-29)

Binche: audicion dès-èlèves dè l' sicole do tamboureû Pol Canart (2012)

1.2.2.3   La grosse caisse / Li grosse caîsse – Èl  grosse kèsse

http://gille.skyrock.com/2.html:

 

Le coup de grosse-caisse !

Un temps marqué par la mailloche, à l’aide du poignet…,un temps correct, ni trop court, ni trop long, suivi d’un autre temps exactement pareil,…tel un métronome, en gardant toute la maîtrise du rythme, de la frappe, des nuances…voilà le rôle du batteur de caisse ! Mais le plus compliqué est de passer de la mesure 6/8 (type tarentelle) à la mesure 2/4 (type polka) et vice versa…; le 6/8 donne un effet d’accéléré à cause des temps ternaires (3 croches par tps ) tandis que le 2/4 donne un effet de ralenti (temps binaires : 2 croches) et pourtant, le tempo doit rester le même !… il y a les airs de gilles en 2/4 , par ex : “L’aubade matinale”, “Air classique des gilles”, “Em’grand’mère”, “Fanfan la tulipe…”… ceux en 6/8 , par ex : “Arlequin”, “Les arbaletriers”(dgins l’Estenne), “Air du Doudou”…et aussi ceux qui passent de l’un à l’autre dans le même air : “Les brigands”, “Le postillon de Longjumeau”, ainsi que dans “L’avant dinner” (batterie seule le mardi matin à Binche , entre les airs en musiques partout , batterie accompagnant les déplacements des gilles etc…) où le 6/8 domine pendant de nombreuses mesures pour tout à coup se transformer en 2/4. Je peux dire que ces dernières années, j’ai eu beaucoup de difficultés à trouver des batteurs de caisse qui tenaient la route !!, surtout pendant les mesures en 6/8, où la plupart suit le tambour (plutôt que l’inverse) en écrasant le temps “noire – croche” en quelque chose comme +/- “noire – 2 doubles” joué au tout dernier moment pour rattraper le tambour !?! Le batteur de caisse doit être le moteur, celui sur lequel les tambours et les “danseurs ” s’appuient pour se sentir dans une parfaite cadence ! En résumé, je suis déçu du trop grand nombre de mauvais batteurs…., je n’en ai entendu que quelques bons ( à compter sur les doigts d’une seule main)…, pour n’en citer qu’un seul ( au cas où je ne les aurais pas tous entendus !) , … : Robert Walravens (batteur de la société “Les indépendants”à Binche), fils et petit fils de batteur de caisse…., tout y est…, même les nuances, très “musicales”,….. un conseil aux étudiants-batteurs, suivez-le pendant tout un carnaval, écoutez et regardez => la meilleure des Master’s class ! Je me pose une question : comment font les très nombreux bons tamboureurs et les sociétés de gilles ( pour la plupart de bons danseurs) pour accepter cette situation ??????

 

 

(l’ avant-dêrin (l’avant-dernier): li pwârteû dè l’ grosse caîsse (le porteur de la grosse caisse)) (pace qui l’ dêrin musicyin, c’ èst l’ bateû d’ caîsse (parce que le dernier musicien est le joueur de grosse caisse)) (foto avou  / photo avec: Sandy Cleremans)

NB Po s’ foute: djouwer d’ l’ avant-dêrin (‘jouer de l’avant-dernier’): ni pont djouwer d’ musike (ne pas jouer de musique)

1.2.2.4  Les musiciens de la fanfare / Lès mucicyins dè l’ fanfâre

INTERVIEW DE HENRI DUBOIS, in : MA, 9, 1977, p.186

 

Chef d’orchestre lors de l’enregistrement des disques des Gilles de Binche)

Q.: Les société éprouvent de plus en plus de difficultés à s’assurer le concours de musiciens. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

R. : La raison majeure est le manque de musiciens et surtout de jeunes musiciens. C’est ainsi que dans ma formation, je suis à 52 ans un des plus jeunes. La formation est donc vieille et il est très difficile de trou­ver à l’heure actuelle des jeunes qui acceptent d’entreprendre plu­sieurs années de conservatoire. Pour les gros instruments tel le bom-bardon ou encore le tuba, le problème est quasi insoluble. Les autres raisons de ces difficultés ne sont en fait qu’une suite logique de la première.

Le manque de musiciens permet à ceux-ci de monnayer leur talent et par conséquent d’offrir leurs services aux plus offrants : les petites sociétés éprouvent alors d’énormes difficultés et ne sont pas à même de se mettre au diapason des grandes. Il leur arrive alors de disparaître (cf. « Les Indépendants » à La Louvière) ou encore de faire appel à des formations lointaines. Pour exemple, il y a peu, une société de Jolimont a dû se contenter d’une fanfare liégeoise qui jouait en lisant les partitions.

Autre source de soucis pour certaines sociétés : le nombre grandissant de leurs membres, ou encore ce qu’on peut appeler une folie des gran­deurs, les obligent à augmenter le nombre de leurs tambours et par conséquent les musiciens. Faites le compte : d’une part la pénurie de musiciens et d’autre part l’appétit croissant des sociétés.

 

Q. : Quels sont vos rapports avec la batterie ?

R. : Avant toutes choses, il convient de mettre les points sur les « i ». Il y a un chef d’orchestre qui s’occupe de ses musiciens et un chef de batterie qui s’occupe de ses tambours et caisses. Contractuellement, nous n’avons aucun rapport avec le chef de batterie.

Cependant, il est certain qu’au fil des prestations, des liens se nouent entre nous, ne sommes-nous pas complémentaires ?

 

Q. : Entre musiciens, comment vous entendez-vous ?

R. : Dans notre formation, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Depuis de nombreuses années, nous sillonnons la région du Centre et même d’autres pays.

Notre formation a subi peu de transformations et de plus nous sommes tous des vieux de la vieille…

Quant à nos contacts avec les autres formations, on peut dire qu’ils sont sereins. Vu notre petit nombre, nous n’avons pas les mêmes problèmes de concurrence que les batteries qui elles, doivent souvent jouer des coudes vu leur grand nombre.

 

Q. : Quels sont vos rapports avec les Gilles ?

R. : Ils varient de société en société et de carnaval en carnaval. Certaines sociétés sont plus proches des musiciens, plus affables. Tout cela dépend des individus tant musiciens que Gilles. Il est des sociétés où les Gilles se désaltèrent en priorité, ce qui entraîne quelques grince­ments de dents.

Mais en général, les rapports sont bons. Précisons toutefois que le Gille entretient de meilleures relations avec les tamboureurs ; ceux-ci fournissent, en effet, des prestations beaucoup plus longues et de plus, sont en contact dès la première heure avec le Gille. Ce qui est très important.

 

Q. : Lors d’une enquête, j’ai constaté que la majeure partie des Gilles pré­férait la batterie à la musique.

R. : C’est possible dans la mesure où les premières heures (qui se passent en batterie) sont les plus poignantes pour le Gille. De même « rouler en batterie » est plus gai dans la nuit. Mais si vous deviez danser sans arrêt, sur l’air de « l’avant-dîner » qui ne dure qu’environ trois minutes ; vos vérèz, vous en reviendrez ! Vous serez vite lassés, vite fatigués, tout comme les tamboureurs, d’ailleurs !

 

Q. : Comment en êtes-vous arrivé à enregistrer les airs de Gilles ?

R. : Par hasard ! Monsieur Marcel Vansippe, musicien binchois est venu me demander d’enregistrer un disque qui devait sortir pour l’exposition universelle de Bruxelles en 1958 ; ma formation l’avait séduit. Je réunis mes musiciens ainsi qu’une batterie et nous avons enregistré ce disque qui fut le seul à l’être en plein air. Après une réédition en 1963, nous avons décidé, toujours à la demande de M. Vansippe, de « faire un 33 tours ». Cette expérience fut renouvelée en 1970.

 

Q. : Avez-vous trouvé des avantages à faire ces enregistrements ?

R. : Oui. Tout d’abord des satisfactions personnelles  :  enregistrer la mu­sique que l’on aime est toujours passionnant ; de plus, un marin m’a rapporté que lors d’un séjour à Rio de Janeiro, il avait entendu un de mes disques. Cela fait toujours plaisir ! Soulignons aussi que cela fait une bonne publicité à la formation.

 

Q. : Sur les pochettes de ces disques, on peut à chaque fois lire « Le Carna­val de Binche ». Tous les musiciens ne sont pourtant pas binchois ?

R. : Non, ce serait une erreur de croire que les airs de Gilles sont exécutés uniquement par des musiciens binchois car, si Binche foisonne de tamboureurs, au niveau des musiciens ce n’est pas brillant et le recru­tement a lieu aux quatre coins de la région du Centre, pour ne pas dire du Hainaut.

 

Q. : En conclusion, comment se présente l’avenir pour une formation de musiciens ?

R. : II est très malaisé d’y répondre. Disons qu’être musiciens pose d’épi­neux problèmes :

– Apprendre la musique, cela prend du temps et beaucoup de patience.

– Il ne faut pas avoir peur de jouer par tous les temps, (quand il gèle, les lèvres en prennent un coup).                                                              

–  Le salaire n’est pas des plus élevés. Beaucoup préfèrent travailler le dimanche, à double tarif par exemple, plutôt que de jouer par tous temps.

– La femme ! Il est évident que ce n’est pas gai pour elle de voir son mari passer tous les « week-end » en dehors du domicile conjugal! Le mot de la fin serait même pour ma femme, qui avait recommandé à notre belle-fille d’empêcher notre fils de jouer !

 

André BRAIDA

 

N.d.l.R. — Cet entretien est extrait de A. Braida, Le carnaval et la communi­cation sociale dans la région du Centre, Mémoire de Licence en Journalisme, U.L.B., 1976, pp. 132-135. Ajoutons que Henri Dubois est décédé subitement à Haine-Saint-Pierre le 29 octobre 1976 ; comme l’a si bien dit Georges Place, il fut, sans conteste, le plus grand musicien de carnaval de la région du Centre depuis plus de vingt-cinq ans !

 

Les servants du Dieu Gille à Binche: les musiciens, in : MA, 1, 1982, p.8-9

 

Au carnaval de la « Guinguette » a Waudrez, j’ai rencontré Monsieur Alphonse Parmentier, bugle et musicien à la fanfare des « Chasseurs » de Binche.

 

Q.   Vous êtes Binchois ?

R. Oui, je suis né a Binche, mais pendant la guerre j’ai travaillé à Haine-St-Pierre et je suis resté là, je suis un « transplanté ». Actuellement j’habite La Hestre.

 

Q.   Vous jouez depuis combien d’années ?

R. 50 ans, je joue aussi depuis aux Chasseurs ; j’ai joué du petit bugle pendant 20 ans, mon professeur de musique à l’époque était Monsieur Passet, de Carnières.

 

Q    Quand avez-vous formé votre première musique pour gilles ?

R. Comme responsable, j’ai débuté à la formation de la “société de gilles les « Maxim’s » de Binche. J’ai été contacté à l’époque par le fondateur Maxime Baras en 1946 et je suis resté, depuis, responsable et fait assez rare, il faut le dire, j’ai reçu cette année une médaille pour 35 années de participation des mains de l’Administration communale.

 

Q. Dans la composition de votre orchestre, prenez-vous des musiciens Bin­chois ou étrangers ?

R. C’est-à-dire, je ne peux pas dire que j’ai des problèmes, actuellement deux autres plus important ce n’est plus le même.

j’ai une formation très bien équilibrée avec des musiciens de Binche et autres, parce que il n’est pas possible de régler un orchestre, du moins les composants, uniquement à Binche, il faut que je me débrouille pour trouver à droite et à gauche.

 

Q. Avez-vous des problèmes avec les partitions ? Tous vos musiciens jouent-ils comme chez nous ?

R. A ce point de vue-là, je dois dire que je suis assez difficile au point de vue facture de musique pour la bonne raison qu’à chacun de nous je de­mande de respecter le plus possible les morceaux arrangés par Emile Adam et autres Binchois qui ont eu la bonne idée d’arranger les airs de Gille.

 

Q. Pour vous, quelle est la bonne composition d’un orchestre de gilles ?

R. Valable ! Evidemment toujours le système des anciens, à savoir : 1 trompette, 1 piston, 3 ou 4 bugles, une clarinette lorsque cela est pos­sible, 2 tubas, 2 trombonnes et un bombardon, c’est le strict minimum pour sortir quelque chose de valable.

 

Q. Une formation Binchoise est-elle la même à l’extérieur ?

R. Oui, souvent j’ai les mêmes éléments, c’est la bonne façon de s’intégrer et de jouer les airs de gilles dans de bonnes conditions.

 

Q.  Vous jouez à plusieurs autres  endroits ?

R. Je commence à Binche, Morlanwelz, La Louvière, avec d’autres petits carnavals où l’on a intensément de plaisir à jouer entres copains.

 

Q.  Vous jouez d’abord pour votre plaisir ?

R. Oui, oui, uniquement, écoute, j’ai toujours pensé que le musicien”qûTsert le folklore et qui veut le servir à fond, s’il pense à l’argent ne saurait réaliser quelle chose de bien, c’est comme le gille, il doit garder sa fierté.

 

Q.    Vous arrive-t-il de jouer autre part que dans le Hainaut ?

R.    Oui, cela m’est arrivé, mais très peu.

 

Q.   Jouer hors du Hainaut, personnellement pour vous c’est la même chose ?

R. Pas du tout, il n’y a rien qui s’y prête, l’on sent que l’on est pas dans sa place, il faut avouer que lorsque l’on a joué Binche d’abord et les deux autres plus important ce n’est plus le même.

 

Q.    Après Binche, c’est Morlanwelz, pourquoi ?

R. Ecoute, il y a certainement plus d’affinité entre Binche et Morlanwelz, c’est un fait, cela se sent, pour un vieux folkloriste il est certain qu’il est très proche de Binche.

 

Q. Depuis que vous jouez de la musique, voyez-vous une différence entre le carnaval de vos débuts et ceux de maintenant ?

R. Pour moi non, celui qui ressent le folklore, il le ressent encore à plein poumon, la différence qu’il y a, c’est que les gilles sont plus propres, je veux dire que partout, les gilles sont sensibilisés pour imiter Binche le mieux possible tout en gardant sa ligne propre suivant son village, son milieu.

 

Q.    Vous jouez environ combien d’heures par année ?

R. Soumonces comprises, environ 150 heures, depuis le 15 février jusque Pâques à Saint-Vaast pour la société des « Amis Réunis » je crois.

 

Q. Sur le plan Binchois avez-vous trouvé une certaine évolution, un change­ment de mentalité ?

R. Non, d’années en années, je trouve que c’est comme une relique que l’on transmet de père en fils C’est comme la musique, elle doit rester comme elle est.

 

 

Marc LEFEBVRE

 

Lefebvre Jacques, Les chansons de carnaval dans la Région du Centre, p.25-28, in: Ethnie française (sic – revue collabo), 1981

 

(p.26) “Lorsque 2 sociétés /de gilles/ se rencontrent, en effet, les fanfares jouent des airs différents et prennent un malin plaisir à se faire fausser.”

 

li sife po l’ Aubâde matinale (le fifre pour l’Aubade matinale)

Samuel GLOTZ, in : EM 2/1984, p.30-33

 

Emile Legrand appartenait à une famille foncièrement libérale. Il était un instrumentiste, un bombardon, de la fanfare binchoise Les Chasseurs. Il anima longtemps de ses lazzi et de ses chansons un groupe de musiciens qui allait (p.33) jouer les airs dits de Gilles dans maints carnavals des environs et, parfois même, à l’étranger. Vers la fin de sa vie, lorsque sa santé défaillante ne lui permettait plus de porter un instrument de cuivre aussi lourd que le bombardon, il se reconvertit. Au lieu du fifre traditionnel, èl sife, il adopta la flûte sans doute plus facile pour lui qui commençait à manquer de souffle. E. Legrand et sa flûte faisaient partie du Mardi gras binchois. Il prenait plaisir à siffler l’air de l’Aubade matinale, si chère à nos coeurs, et qui commençait, faute de sifes, à n’être plus entendue dans le matin du Mardi gras. On crai­gnait que l’usage ne s’oubliât. E. Legrand reprit le flambeau. Il courut d’une société de Gilles à l’autre au hasard de ses amitiés et de ses rencontres, pour que, à nouveau, l‘Aubade matinale retentisse dans les rues de Binche. Dans les dernières années, si son esprit demeura vif et son caractère jovial ou joyeux, il commença à se paralyser, la marche lui devint pénible. Malgré ces handicaps physiques, son plus grand plaisir resta d’attendre le passage, en face de chez lui, d’un groupe de Gilles, de travestis de fantaisie, et surtout de ces Paysans du Collège qu’il aimait tant et à qui il avait donné, malgré ses convictions philosophiques athées, beaucoup de son cœur. Alors quand pas­saient ses chers Paysans du Collège, les Arlequins de l’Athénée Royal, les Récalcitrants, les Incorruptibles où dansaient ses petits-enfants et arrière-petits-enfants, et n’importe quelle société, il se faisait sortir de sa maison, avenue Jean Derave. Sur le bord du trottoir, entouré de ses proches et de ses amis, il sifflait la mélodie que nous attendions. Et les larmes perlaient sur la peau fripée par l’âge. Voilà une image plus révélatrice de la vraie face du carnaval que la violence ou la grossièreté de rares individus qui sont sans aucun lien avec la ville et ne connaissent pas l’esprit de nos coutumes, l’affa­bilité de notre accueil, la chaleur « castillane » de nos amitiés, la tendresse, à fleur de cœur, de notre sociabilité.

1.3    Autres groupes / Ôtes groupes

Lès Mamesèles (erronément écrit “Mam’zèles”)

 

Un déguisement du Carnaval de Binche la Mamesèle, in : MA, 1, 1982, p.10-13

La petite ville de Binche ne voit pas seulement danser au Carnaval les célèbres Gilles, personnages prestigieux aux costumes ornés de lions héraldiques et portant leurs merveilleux chapeaux garnis de plumes d’autruches, mais aussi bien d’autres déguisements divers.

Nous allons nous intéresser particulièrement à l’un d’entre eux, celui de la Mamesèle.

On en voit un bel exemple dans la figure 8 du petit livre de Samuel Glotz Le Carnaval de Binche (1).

Cette photographie montre un costume luxueux : robe et fichu de soie, corsage, dentelles, chapeau élégant, ombrelle, mais ce qui en fait la caractéristique principale, c’est que ces vêtements féminins sont portés par un homme.

Nous ne savons s”il faut suivre pleinement le folkloriste français Arnold Van Gennep quand il écrit que « la dichotomie sexuelle et psychique est un attribut normal a chacun d’entre nous et que changer momentanément de sexe pendant le Carnaval satisfait l’autre partie de notre être qui est soit féminine, soit masculine mais ne saurait s’exprimer sans honte per­sonnelle ni opprobre public le reste de l’année ».

Par ce déguisement (l’inversement des vêtements d’homme et de femme), « chacun des sexes », écrit Van Gennep, «prend peut-on dire une revanche temporaire sur l’autre, peut se permettre à son égard des libertés et même des licences qui sont l’explosion de tendances erotiques refoulées, tout comme, ainsi que les romanciers l’ont observé souvent, le Carnaval du milieu du XIXe siècle permettait à une honnête femme parisienne d’agir en fille entretenue ou pire » (2).

Mais peut-être, écrit d’autre part Van Gennep, ne fau-il pas construire de vastes théories sur ce changement de sexe vestimentaire et convient-il de le regarder, avec le noircissement du visage et le masque, tout bonnement comme le moyen le plus simple de se déguiser.

Quoi qu’il en soit, l’Eglise, et surtout l’Eglise ancienne par exemple saint Augustin, n’a pas considéré comme innocent que l’homme se déguise en femme, et la femme en homme.

Voici quelques exemples de condamnations de cette pratique, que nous avons trouvées dans le livre de Julio Caro Baroja; Le Carnaval (Paris, 1979).

Au concile Trullanus ou un Trullo au temps de Justinien II fut adopté le canon suivant : « Nous décrétons que désormais aucun homme ne devra plus se déguiser en femme, ni aucune femme en homme, que personne ne devra plus porter de masque tragique, comique ou satirique » (3).

Le pénitentiel du Codex Vigilaus ou Albeldensis (ch. LXV) décrète : « Ceux qui danseront en vêtements de femme, se déguiseront en bêtes et porteront des masques et autres choses semblables : un an de pénitence » (4) .

Dans une homélie de saint Maximin de Turin, on évoque clairement les déguisements féminins, les déguisements animaux et d’autres encore, d’allure fantastique ou monstrueuse : « Tout ce que ces ministres du démon accomplissent en ce jour n’est-il pas pervers et insane, lorsque l’homme reniant sa vigueur virile se transforme en femme, lorsqu’il prend les façons et les manières des femmes, comme s’il rougissait d’être un homme » (5).

Voici encore un texte de saint Isidore de Séville, le père de l’église espagnole : « L’Eglise institua le jeune des calendes de janvier à cause d’une erreur propre au paganisme. Janus fut prince des païens, et c’est pourquoi on a donné son nom au mois de janvier et tous les hommes ignorants l’honorèrent comme un dieu, lui rendirent des honneurs religieux et lui consacrèrent un jour avec des fêtes somptueuses et des réjouissances. Ainsi ces hommes misérables — et ce qui est pire, les fidèles eux-mêmes — ce jour- là, prennent de monstrueuses apparences, se déguisent en bêtes sauvages, d’autres prennent un aspect féminin, féminisent leur allure mascu­line. A l’occasion de cette fête, certains se souillent ce jour-là en observant les augures, font un grand vacarme et dansent, commettant des excès indé­cents, car les individus de l’un et l’autre sexe s’unissent en formant des quadrilles, et la foule dont l’esprit est égaré s’excite avec le vin » (6).

Il est un autre aspect du déguisement en mamesèle qui mérite d’être souligné, c’est le luxe de ce costume qui, par son prix élevé, contredit quelque peu ce que nous avons dit sur le fait que porter des vêtements de l’autre sexe est un des moyens les plus simples et les plus faciles de se déguiser.

En fait, si on examine les déguisements traditionnels usités au Carnaval, et surtout les déguisements anciens, on constate bien souvent une opposition marquée entre les « beaux » et les « laids ».

A Binche, on peut dire que le déguisement en mamesèle a pour con­traste celui de trouille de nouille ou trouille guenouille.

A Malmedy, le costume de la Haguète, bien que moins prestigieux que celui du Gille, comporte un bicorne orné de plumes d’autruches mul­ticolores et est luxueux et coûteux.

Déjà en 1879, une « paskèye wallonne » du journal de Malmedy, la Semaine, disait :

L’ abit d’ haguète cosse bin-z-è-tchîr. II èst faîit d’ sôye, d’ v’loûr ou d’ cachemîr.

Mais à côté de ces haguètes aux habits luxueux, on trouve des allusions à la sâvadje haguète, ceci nous a fait supposer qu’autrefois, des haguètes ont pu avoir un aspect moins soigné, voire négligé ou repoussant.

D’autre part, à Malmedy également, un « masque » aujourd’hui disparu, la marèye-drousse ou mâssî-drouse fut, écrit Henri Bragard dans un article sur le carnaval de Malmedy, l’animateur principal et le masque typique du Mardi-Gras. « II nous souvient, » écrit-il en 1899, « l’avoir vue encore il n’y a pas plus de quarante ans, qui courait éperdue parmi les rues dans un accoutrement déguenillé de salope, avec à ses trousses la haguète qui la chassait à grands coups de balai. Elle se précipitait par la première porte laissée ouverte dans la première maison venue, y bousculait les gens et les meubles en vue de se soustraire aux poursuites et aux coups de la haguète et, sur le point d’être prise, s’élançait par la fenêtre, toujours narguant son poursuivant d’un ironique : aeiou, haguète, dji n’ aî nin paw di vos, débité avec l’accent xhoffurlain » (7).

Toujours à Malmedy, le massî toûr consistait autrefois en une promenade dans un char choisi le plus malpropre possible de quelques drôles déguenillés, hirsutes, armés d’ustensiles les plus inattendus… (8).

Il se pratiquait le dimanche à midi.

Aujourd’hui le cortège appelé mâssî toûr a lieu le Mardi Gras et consiste en une tournée de masques et en joyeuses plaisanteries aux dépens des amis et connaissances.

A Verviers, voici ce qu’on trouve dans le livre de Xhoffer, Verviers Ancien, qui rappelle des souvenirs se rapportant, semble-t-il, au milieu du

 

XIXe siècle : « Le dimanche, le lundi, le mardi et le jeudi (du Carnaval) se passaient en véritables bacchanales; le jeudi était le jour des riches, aussi les masques étaient plus circonspects et les rôles plus convenants. Mais pendant les autres jours, on exerçait des vilenies : des masqués en hommes sauvages, armés de longs bourrelets en guise de massues (qu’on nommait marlins), dans lesquels se trouvait une pierre, en frappaient les passants en hurlant; d’autres se faisaient un ventre énorme avec lesquels ils vous ren­versaient en criant ah! bin vola.. Si l’on regimbait, ils vous flanquaient un coup de canne. Un perruquier couvrait de poudre les personnes les mieux mises; un autre vous soufflait du son aux yeux; des machets (ouvriers teinturiers), portant un baquet, obligeaient une jeune fille à pisser dedans; un boucher lançait le cadavre d’une bête aux dames qui regardaient par la fenêtre. On forçait les portes, on escaladait les croisées et l’on faisait main basse sur ce qui était préparé pour le goûter, ou l’on fouillait les recoins de la maison, saisissant de vieilles nippes sales et délabrées qu’on exposait à la vue du public, simulant une vente à l’enchère. Deux ou trois garnements, affublés dans un même sac, se vautraient dans la boue; enfin je pourrais citer d’autres rôles plus ignobles si la décence ne s’y opposait. Toutefois il y avait ce qu’on nommait les bèlès bânes (bandes) : c’était des jeunes gens qui s’associaient et s’exerçaient pendant l’hiver à apprendre un sujet pastoral dont la représentation avait lieu en pleine rue. Des sauvages-omes (hommes sauvages) de service tiennent les spectateurs à une distance respectueuse (9).

Ce texte peu connu, nous montre, outre le contraste entre les « laids » et les « beaux » que le Carnaval avait autrefois un caractère beaucoup plus grossier que de nos jours.

Si nous passons à l’étranger, nous pouvons faire les mêmes cons­tatations sur ces deux types de masques.

Dans les Ardennes françaises, à Hargnies, on lit ce qui suit dans une étude sur le Carnaval et les feux de Carême en Champagne : « Le mardi était le jour des « beaux ». Les jeunes filles habillaient leurs amoureux de robes blanches, d’oripeaux de toutes les couleurs. Ceux qui étaient revêtus faisaient, sans se faire connaître, des visites d’honneur à leurs amis. Notons cette opposition des « beaux déguisements » du mardi contrastant avec les accoutrements « laids » des autres jours carnavalesques» (10).

En Autriche, au Tyrol, on distingue deux espèces de « Perchten » : les Schönperchten aux masques agréables et les schlache Perchten aux masques grotesques ou démoniaques, souvent hérissés de cornes de bouc (11).

Au Pays basque, dans les célèbres masquerades soulétines, il y a deux groupes qui parfois s’affrontent : les rouges et les noirs. Voici ce que Julio Caro Baroja écrit à leur sujet : « Dans la mascarade rouge interviennent de préférence les bons, les nobles, les gens honnêtes; dans la noire, les méchants, les miséreux, les étrangers. Dans l’une tout est ordre et harmonie, dans l’autre, tout est désordre et confusion; (12) Notons que la masquarade noire comprend des gitans et des chaudronniers qui ont une allure sale et déguenillée.

Peut-être convient-il dans ce contexte de renvoyer à ce que Léopold Schmidt, dans son remarquable livre sur le Théâtre populaire européen, écrit sur l’origine et les caractéristiques des jeux-combats, notamment entre l’Eté et l’Hiver.

Dans un jeu d’Appenzell, en Suisse, par exemple, l’Hiver est vêtu d’habits déchirés et l’Eté est en chemise blanche (13).

On peut penser qu’au Carnaval, période charnière entre l’hiver et le renouveau de la nature, on a pu marquer un peu partout par ces deux types de masques, les « beaux » et les « laids », la même opposition que dans ce théâtre populaire européen dont L. Schmidt donne de nombreux exemples. Très souvent, dans ces jeux, il y a une mort suivie d’une résurrection, qui est certainement symbolique.

Nous renvoyons le lecteur désireux d’en savoir plus au beau livre de L. Schmidt et espérons, dans ce bref article, avoir dévoilé des aperçus nouveaux sur le déguisement de la mamesèle de Binche.

 

Léon Marquet

 

(1)     op. cit,.Collection •< Wallonie, Art et Histoire », Gembloux, 1979

(2)    Arnold Van  Gennep,  Manuel du folklore français contemporain, T. premier

III, p. 933, Paris, 1947.

(3)    Julio Caro Baroja, Le Carnaval, Paris, 1979, p. 178.

(4)    id,p. 178.

(5)     id., citant St Maxime de Turin, Homilia XVI, De Kalendis Januariis dans « Patrologie latine de Migne », LVII, Paris, 1861, col 255-258.

(6)     id., p. 175 citant De ecclesiasticis officiis, IXLi Divi Isidori Hispanensis episcbpi opéra.

(7)     Wallonia, 1899.

(8)     Godefroid, dans « La Vie Wallonne » n°7 du 15 mars 1922.

(9)     Xhoffer, Verviers ancien, p. 33.

(10)   op. cit., p. 117.

(11)  Heinrich von Zimburg, Der Perchtenlauf in der Gastein, Vienne, 1947.

(12)   Julio Caro Baroja, op cit., p. 197.

(13) Léopold Schmidt, Le Théâtre populaire européen, Paris, 1965, p. 23.

 

2.   Endroits / Places

3.   Musique / Musike

4.   Littérature / Scrîjadjes

5.   Varia

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