li sirôpe d’ Lîdje à Åbe / le sirop de Liège à Aubel

Alain Jennotte, Le sirop du pays de Liège dans tous ses états, in : LS 08/08/1998

 

Impossible de pen­ser aux produits du terroir provincial sans citer le sirop, qui se tartine chez nous depuis le XVIIe siècle.

Notre vénérable si­rop charrie derriè­re lui quelques siè­cles d’histoire loca­le. Dans un inventaire notarial de 1615, on trou­ve la trace de «deux pots à la syrope» et un autre document d’époque mentionne «un noir pot avec un peu de cirobbe». Belles variations pour un mélange de jus concentrés de poires et de pommes cuites. La présence d’une petite quantité de pommes est destinée à appor­ter la pectine, qui fait se gélifier le sirop. C’est le rapport entre”f pommes et poires, les variétés utilisées et la cuisson qui déter­mineront à la fois le caractère sucré ou plus sur du produit et son aspect plus ou moins filant.

Dans les fabrications industriel­les, on ajoute souvent du sucre (jusqu’à 35 pour cent) pour don­ner au sirop une saveur plus adaptée au goût du jour, de quoi faire hurler les gastronomes.

Il y a moins d’un siècle, une [ ferme sur trois disposait de sa propre siroperie, fabriquant à façon. Les producteurs appor­taient leur récolte de fruits et emportaient tout le sirop pour le consommer et le vendre au dé­tail. Durant la guerre, de nom­breuses cuves furent saisies par les Allemands qui man­quaient de cuivre. Nombre de ces siroperies fermières ne s’en sont pas relevées. Aujourd’hui, il n’en reste qu’une poignée. Et les deux siroperies industrielles en activité sont les dernières de Belgique.                                  

Chez Lambert, à Blégny, on trai­te la production d’une cinquan­taine de fermiers locaux mêlée aux fruits de second choix reje­tés par les criées. Cette entre­prise familiale qui emploie six personnes traite par an 1.500 à 2.000 tonnes de fruits dont 30 à 40 pour cent seront exportés. Son cheval de bataille, un produit sans addition de sucre qui utilise sept kilos de fruits par kilo de sirop. Soucieuse de di­versifier ses activités, la sirope­rie commercialisera dès l’au­tomne une sauce au sirop pour les «boulets» à la liégeoise.

L’entreprise fabrique aussi à l’ancienne sur commande et ou­vrira bientôt un musée vivant du sirop qui présentera aux visi­teurs la fabrication artisanale.

 

VERS UN LABEL POUR LE SIROP ?

 

Plusieurs producteurs aime­raient obtenir une «Indication géographique protégée» (IGP), mais la route vers un tel « label européen» est semée d’embû­ches. En effet, une appellation «Sirop de Liège» ou «du Pays de Liège» n’enchante guère le poids lourd du secteur, la siro­perie Meurens. L’entreprise au-beloise, qui occupe aujourd’hui trente-cinq personnes et traite 9.000 tonnes de fruits l’année, à popularisé la marque «Vrai Sirop de Liège» aux quatre coins du globe. Pour Martine Meurens, /’utilisation d’un nom proche par d’autres produc­teurs nous porterait un sérieux préjudice. « Le Vrai Sirop de Liè-“l ge » a la particularité de contenir des dattes. Une recette familia­le qui remonte aux années cin­quante, une époque de grande pénurie de poires dans les ver­gers. Les prix offerts aux fer-” miers à cette période d’après-guerre étaient particulièrement attractifs, au point qu’on n’hési­te pas à dire que certains d’en­tre eux ont payé leur ferme grâ­ce à la fameuse poire Légipont, une variété toujours très popu­laire dans les vergers du Pla­teau.

 

ALAIN JENNOTTE

 

Derrière son chaudron, un des derniers artisans siropiers

 

A Aubel, Claudy Nyssen est l’un des derniers siropiers de la région. Et il peut compter ses confrères sur les doigts d’une main. Son atelier de fabri­cation artisanale attire depuis des années de nombreux visiteurs curieux, lui permettant de vivre de sa passion en alliant tourisme et gourmandise.

Mais au fond, qu’est-ce qui différencie ‘ un sirop artisanal des productions in­dustrielles? Pour M. Nyssen, c’est qua­si toutes les étapes de la production qui séparent le produit artisanal du

sirop d’usine. Tout d’abord, sa produc­tion est exclusivement réalisée avec des poires et des pommes douces d’arbres en haute-tige, c’est-à-dire les grands arbres du verger hervien tradi­tionnel, par opposition aux basses-ti­ges, les arbres de petite taille cultivés par les arboriculteurs fruitiers. Les poi­res de hautes-tiges offrent un bien meilleur rendement pour la fabrication du sirop car si elles sont plus petites, elles sont cependant moins chargées en eau. Et de citer d’anciennes variétés de fruits répondant aux noms pitto­resques de poire des malades, double Philippe, camberlin, poire de Pâques, beurré clairgeau…

Le sirop artisanal est constitué de 80 pour cent de poires pour 20 pour cent de pommes douces. Sans aucune ad­jonction de sucre ni d’aucun autre pro­duit. La récolte des fruits ne se fait pas par cueillette, mais en secouant les branches. Il est donc impératif d’utili­ser les fruits très rapidement, dans les jours qui suivent le ramassage. Chez Nyssen, on ne fabrique que pendant la saison de récolte des fruits, soit de la mi-septembre à la Toussaint.              

La cuisson se fait en cuve de cuivre, en conservant la queue et la mouche pen­dant dix heures à feu doux. Les fruits sont ensuite pressés pour en extraire le jus. Celui-ci est alors cuit à feu vif pour évaporer l’eau. Vient enfin le raffi­nage qui dure deux heures et impose de mélanger soigneusement pendant la dernière demi-heure. Le sirop est prêt. Il faut environ huit kilos de fruits de qualité pour produire un kilo de sirop artisanal, qui pourra se garder sans problème pendant dix ans. Avec l’âge, il va foncer et surtout se bonifier en dégageant tous ses arômes. Aussi, les connaisseurs ne mangent qu’un sirop d’au moins quatre ans d’âge, laissant le sirop nouveau vieillir dans des pots de grès. Avant de déguster le célèbre « strô d’paye » : une tranche de pain complet avec du sirop et du fromage blanc.

 

Je.

La fabrication du sirop à l’ancien système au Pays de Herve

in : EMVW, T.13, 149-152, 1973, p.129-162

 

Le Musée de la Vie Wallonne a acquis récemment et installera prochainement dans ses salles d’exposition l’appareillage d’une siroperie de Mortier.

Il a semblé intéressant, au moment où les dernières presses parti­culières, autrefois si nombreuses dans la région, disparaissent devant la concurrence industrielle, de décrire l’activité telle que traditionnel­lement elle se pratiquait dans tout le Pays de Herve. En fait, la terminologie, qui n’est ni très riche ni très spécifique, n’a guère évolué à la suite de l’industrialisation, et il faut noter que plusieurs des siropiers artisanaux avaient eux-mêmes adopté certains perfection­nements techniques1. La différence fondamentale entre le vz sistême et les méthodes modernes porte sur le mode de cuisson : cuisson à feu vif dans le premier cas, à la vapeur dans le second. Cela suffit-il seul à expliquer la supériorité du sirop à l’ancien système, si commu­nément reconnue que l’industrie elle-même trouve dans cette dénomi­nation la meilleure réclame pour ses produits? Ne doutons pas qu’il s’y ajoute d’autres ingrédients, presque philosophiques. (…)

 

1 A Mortier, le pressage pouvait se faire mécaniquement par un moteur entraînant une chaîne attachée au levier du pressoir; le jus était pompé dans un réservoir installé au-dessus du pressoir; le refroidisseur consistait en six palettes de cuivre tournant autour d’un axe mû électriquement…

 

(p.131) 1. Del sirôpe3, f., en fr. local « du sirop », désigne chez nous une sorte de mélasse, du jus de poires, de pommes ou de betteraves, cuit et raffiné sans addition de sucre3a. Le sirôpî, siropier, fabrique le sirop

 

3 Pour les noms du « sirop » en Belgique romane, v. Atlas linguistique de la Wallonie, t. 4, notice 173. On y ajoutera, d’après Pierre gillet, Le patois de Bouillon et de la Semais, le type magamyo, syn. de mich’trole”, et pour Volaiville, hameau de Witry [Ne 50], la dénomination plaisante plake al panse (commun, de M. J. Madam). — II n’existe pas de mot fran­çais qui corresponde exactement à ce que nous appelons « sirop », et le terme « sirop », protégé par la loi, ne peut s’appliquer en France qu’au con­centré liquide de fruits. Aussi les fabricants belges qui exportent leurs pro­duits en France sont-ils obligés de recourir à des équivalents. Une impor­tante siroperie hervienne, par exemple, a adopté la marque « Poiret de Liège », reprenant le nom namurois du « sirop » : l’étiquette précise qu’il s’agit d’une « spécialité liégeoise à tartiner » et indique la composition «jus concentré de poires cuites, de pommes / sucre 35 %».

3a. L. pirsoul, dans son Diction. … de Namur, s. v° sirope, note qu’il entrait encore dans sa composition du sang de bœuf. Cette curieuse recette est inconnue au Pays de Hervé; et on souhaiterait que des lecteurs nous la confirment pour Namur.

 

(p.132) dans la sirôperêye, siroperie. L’expression habituelle pour « faire du (ou le) sirop » est une expression figée, sans article devant le nom : fé sirôpe, en fr. du cru « faire sirop ».

Le fabricant travaille pour lui-même et aussi à façô (L 56, 71, 95), al façô (Ve 27), à (la) façon, c’est-à-dire sur commande, à partir des fruits livrés par ses clients.

 

  1. Les fruits utilisés ordinairement sont les poires et les pommes, souvent un mélange des deux. On peut aussi faire du sirop avec des pranes, prunes, a-t-on noté à Olne et à Trembleur (fiche de H. Stas, 1924); et M. Franssen, de Mélen, nous dit qu’il pouvait arriver, bien que très rarement, que l’on ajoute dans la chaudière des prennes au-dessus des autres fruits, en ayant bien soin de les envelopper èn-eune sitamène, dans une étamine, po racoyî lès pîr’hètes, pour rassembler les noyaux.

Au Pays de Hervé, région fruitière, le sirop de pétråles, betteraves, était inexistant ou exceptionnel. Sa fabrication exigeait, d’ailleurs, une autorisation spéciale des accises. Certains fermiers en ont fait, notamment pendant la guerre 4. Ce sirop réclamait plus de soins que celui de fruits, car il fallait laver les betteraves. On trouve qu’il provoque plus facilement le brûlant, pyrosis.

 

2.1. Avec des peûres du Pâke seules, on fait, estime-t-on à Aubel, un excellent sirop, et on obtient un très bon rendement. Les lédjipôt aussi ont la réputation de donner un produit de qualité, mais leur rendement est faible. A Mortier, pourtant, Mme Garsouet M. Leruth jugent ce sirop trop mousseux et trop strègne, amer; à Soumagne, on trouve que les lèdjîpôt conviennent bien, mais mêlées à d’autres poires, car, seules, ci n’est pus sirôpe, c’est côfitûre; à Wegnez, on n’utilise pour le sirop que les léjipôt de second choix, celles qui avaient dès tètches come dès pîres du feû, celles qui étaient tachées comme des silex. A Charneux, on estime que le meilleur sirop est celui de lédjipôt ou de trintches. Le fabricant de Xhendelesse préfère, quant à lui, lès-èspéces, avec éventuellement un faible pourcentage de

 

4 A Mont, de même, pendant la guerre de 1914-1918, le siropier fabriqua souvent dèl sirôpe di pétråles di souke (E. detaille, Les Echos de Comblain, novembre 1956, p. 85a).

 

(p.133) pommes douces; à Soumagne aussi, on dit que les spéces, cueillies dures et mûries en sacs, sont d’un bon rapport… Parmi les autres sortes de poires utilisées autrefois, on a cité les Tch’hâ Nicolas (L 56), les malades (L 56, 95, Ve 4), les côfèrince (L 56), les sucètes (L 56 L, 71, Ve 27), les peûres du rotche (L 56 L), les bârbou et les grîses (Ve 27), ou encore les câburlé (L 56 L, Ve 27), cambèrlé (Ve 4)…4b On évite les Bon-Présent et les Saint-Remy, qui réclameraient une addition de sucre.

C’est, on le voit, une affaire où le goût personnel et les disponibilités locales ont leur mot à dire. Indépendamment de la saveur, ènn’aveût dès cis k’in.mît mî llôgue sirôpe, certains préféraient le sirop long, filant, qui s’enroule autour du couteau : les poires procurent cette consistance.

 

2.2 Les amateurs d’un sirop moins liquide partent d’un mélange, aux proportions variables, de poires et de pommes. Les pommes, en effet, ont la propriété, grâce à la pectine qu’elles contiennent, de rucôper lsirôpe, de la rendre pus coûte (L 43, 56, 71, Ve 4), plus courte, pus loyante (L 56 B), plus liante, c’est-à-dire plus solide, plus épaisse.

On ne distingue pas les variétés de pommes. Parmi celles qui existaient autrefois, on rappelle les gueûyes di moutô (L 71,95), les Labèye (L 71), les foyètes (L 56 L, B), les Dj’lémôt (L 56 L), les Califice (L 56 L), les Bouliène (L 43, 56 L; -riène L 95), les blâkès douces (Ve 27), les rôzètes, les Belles-du-dimanche, les douces Belle-fleur (L 43)…

L’essentiel est qu’il s’agisse de doûcès (-zès) pomes. Les pommes sures (sârès, seurès p.) se déferaient trop fort, se transformeraient en bouillie, colleraient au fond de la chaudière et brûleraient. Si l’on souhaitait obtenir un goût un peu suris’, suret (L 56 L, 71, Ve 27), on en ajoutait toutefois quelques-unes, mais en veillant à les placer al copète, au-dessus, ou en les isolant dans un sac léger. Avec un peu de pommes sures, li sirôpe èsteût pus r’lûhâte (L 95), le s. était plus luisant.

 

  1. 46. L. remacle, dans son Glossaire de La Gleize (2e éd., inédite), signale qu’on utilisait pour le « sirop » de petites poires appelées dès p’tits poutîs.

 

(p.134) 3. Le rapport varie de 12 à 20 % d’après la nature et la qualité des fruits et de la saison. Selon le témoin de Mélen, une chaudière contenant un mélange de 250 kilos de légipont et 150 kilos de pommes douces donnera environ 13 %. Le fabricant d’Aubel trouvait que le mélange qui rapportait le plus était celui de pommes douces et de malådes. Les meilleurs fruits sont, bien sûr, des fruits bien secs, gorgés de suc et contenant peu d’eau. Cela dépend des conditions atmosphériques. Lors de notre enquête à Mortier, en 1973, nous avons pu constater qu’une chaudière de 400 kilos (pommes douces, Jean (p.135) Nicolas, malades, conférences) produisait 70 kilos de sirop, résultat très estimable.

 

  1. Å vî sistême, on cuit les fruits à feu nu. Le fornê, fourneau, est souvent situé en contrebas et l’on y accède par un petit escalier de quelques marches : la chaudière est ainsi de plain-pied, et d’abord commode.

« Le fourneau se compose d’un cendrier et d’un foyer. Le cendrier peut être construit en briques ordinaires, le foyer doit être en briques réfractaires et entières placées boutisses sur les quatre premières lignes et sur cresses pour la dernière couche de façon à ne pas s’arracher quand on enlève la cuve. Le cendrier doit avoir une hauteur d’environ 80 cm et le foyer 40 cm environ en prenant la hauteur du foyer sur les grilles à l’extérieur du foyer. Le foyer et le cendrier sont munis d’une porte en fer.» (L 43 Rem.) 5.

Pour éviter les poussières, le foyer se charge parfois à partir d’une autre pièce — J. Lambert, dans ses Rem., note que la tokerêye, endroit où l’on soigne le feu et où l’on remise le charbon, doit être séparée de la siroperie par une porte — ou même de l’extérieur.

 

5 A Mortier, le four avait 50 cm de hauteur, 50 de larguer, 130 de profondeur.

 

(p.136) On active le feu avec un tisonnier : ô hèm’neû (L43). ô tchèfneû (L 56), ô tchèfna (Ve 25), ô crok (L 56 L, Ve 4), ô fourgô (Ve 19), ô fier (L 71, 95 grâd~). Tisonner : tchèfner (L 56, 71, Ve 4, 25); tchèm’ner (L 95).

L’aération, assurée par une fenêtre, une porte à claire-voie, peut être améliorée par la suppression des poupes, torchettes de paille, sous les tuiles (à Wegnez), ou, plus efficacement encore, par l’aména­gement d’une ouverture dans chacun des versants du toit.

 

4.1. La cuisson des fruits exige un feu assez violent au début, jusqu’à ce que le jus soit sorti et monté au sommet de la chaudière, c’est-à-dire pendant environ une heure. On allume avec fagots et bûches, et on chauffe ordinairement avec des brikètes de charbon.

(p.137) Il faut veiller à recharger régulièrement le foyer, et, surtout, au moment où le jus est obtenu, à ralentir la cuisson. On laisse alors mitonner — stoûfer (L 43, 56 L, 71, 95), cût’ner (Ve 9) — pendant toute une nuit.

« Une demi-heure avant la fin de la cuisson, on peut charger avec des braisettes, qui durent moins longtemps. A la fin, on ramène le feu dans la porte de chargement, de façon qu’il n’en reste plus sur la grille; on couvre ce feu d’un mélange mouillé de cendres et de poussières; on ferme complètement la porte du cendrier, puis celle de chargement et la cheminée de façon que le feu reprenne tout doucement » (L 43 Rem.).

 

4.2. Pour résister à l’acidité, la tchôdî, chaudière, servant à la cuisson doit être du (di) rodje keûve, en cuivre rouge. Elle est souvent munie de deux poignées — pougnêyes (L 56 L, 95, Ve 27), orayes (L 43, 56) — et parfois d’un robinet à cou, au fond, pour vider le jus. Elle contient de 400 à 1000 kilos de fruits (800 à Mortier).

Pour éviter que les fruits ne collent aux parois, on verse deux ou quatre seaux d’eau dans la cuve, ou encore on dispose les fruits sur une cleûye, claie (L 43, 56), sur un fâs-cou d’ keûve, faux-fond de cuivre (L 95), qui les isole. Surtout, on prend garde, comme on l’a dit plus haut, que des pommes sures n’entrent pas en contact avec le feu. D’habitude, on met au fond les poires, qui donnent du jus tout de suite, et au-dessus les pommes, qui cuisent plus vite que les poires.

  1. Le pressage des fruits cuits a commencé à Mortier à 5 h 30 du matin, après une cuisson à feu doux toute la nuit. Le pressoir — stwèrdeû L43, 95, Ve 13, 19; prèsseû Ve 19; presse L43, 56, 71, Ve 4, 6, 9, 27 — est le pressoir traditionnel, semblable à celui des vignerons

(p.139) hutois (v. Enquêtes 5, pp. 44 sv.). La charpente en bois, formée de deux montants réunis au sommet par une forte traverse, la tchèsse, tête (L43, 56 L, Ve 4, 13, 27), d’où part la vis fixée dans la mère (L 43, Ve 4, 13) dans une bûz’lâre (Ve 27), supporte la table, tåve (L43, Ve 13; batch, bac L 56 L, Ve 4), ronde ou carrée, recouverte d’une feuille de cuivre aux bords relevés, et percée d’un trou pour l’écoulement du jus, plus souvent munie d’un bec verseur en forme d’entonnoir — le titturô L 43, Ve 13, tûturô L 95, la tûturète L71, 95, la trûtchète Ve 27. Sur la table repose la cuve du pressoir, appelée prihèle (L 43, 71, 95, Ve 4, 13 ou -hièle, 27), prihièle (L 56 L, Ve 13)6.

 

6 M. Lambert avait donné à G. Belleflamme, comme synonymes de prihèle pagné, panier, et beûstê, diminutif de beûsse, afr. boiste, boîte. Ce dernier mot est noté par le Dictionnaire liégeois de J. haust comme terme rural, connu à Jupille, Roclenge, Hervé, au sens ‘corbeille ajourée du pressoir à « sirop »’ avec l’exemple hoper lbeûstê, remplir cette corbeille jusqu’au-dessus des bords. Aux endroits explorés, le terme habituel est partout prihèle, sur lequel v. D.L. prèhale.

 

(p.140) On y verse la compote de fruits en couches minces (un ou deux seaux à la fois), on l’étend uniformément au moyen d’un égalizeû (Ve 4), d’un ståreû (Ve 27), d’une mahète (L 56 L, 95), sorte de spatule en bois; et l’on sépare les couches les unes des autres par des sacs, sètch (L 43, 95, Ve 13, 19), balots (L 43, Ve 27), balots d’prèsse (Ve 4, 13). Çoula fève passeû (L 71), cela faisait office de passoire. Lorsque la prihèle était pleine, on recouvrait le tout d’un couvercle de bois (en deux ou trois parties), puis de blocs (Ve 4), blokês (L 43, 56 L, Ve 13). La vis du pressoir était actionnée manuellement au moyen d’un levier — haminde (L 43, 71, Ve 4, 13), lèvî (L 56, Ve 19)7. Le

 

7 G. Belleflamme a encore noté de J. Lambert le mot djîsse, au sens de grande haminde. C’est peut-être une survivance des anciens types de pressoirs : v. Enquêtes, 5, p. 44.

Parfois, on se contente de dire rgrand fer n (L 95), rbarre de fer”1 (Ve 27).

Le procédé le plus moderne, utilisé dans certaines usines, est la presse horizontale, dont l’avantage est de renforcer la pression, qui s’exerce dans les deux sens (de gauche et de droite), et de faciliter les manipulations.

 

(p.141) jus, djus (L 43, 71), brouwèt (L 56 B, L), sortait d’abôrd corne eune cwède, pwis come ô gros cotô (Ve 27), d’abord de la grosseur d’une corde puis d’un gros coton; il était recueilli dans des côpés (L 56, 95, Ve 13), cuves en bois, tonneaux coupés en deux, dans des tènes, cuviers, ou dans des tonneaux. Chez certains siropiers qui se sont modernisés, il est dirigé dans une citerne aux parois de cuivre rouge enfouie à proximité de la presse : à Mortier, il était propulsé par une pompe électrique dans un réservoir d’une contenance de 250 litres installé au-dessus des pressoirs.

Les pulpes retenues entre les sacs de jute s’appellent dès passins (Ve 13, 19) ou, généralement, avec la dénasalisation habituelle, dès passés6 (L43, 56, 71, 95, Ve 4, 6, 9, 27); à Aubel, on les appelle

 

8 D’après une fiche de haust, on dit de même passins à Liers, passègn à Vottem. Je n’ai jamais entendu passêyes, fém., que detaille signale pour le Pays de Hervé (Les Echos de Comblain, nov. 1956, p. 84a) : ce doit être une erreur pour passés. A Mont, on dit dès stwèrsins. — V. aussi Enquêtes, 5, p. 48, n. 2.

 

(p.142) aussi dès kètches (nom habituel des fruits tapés), nom que l’on retrouve dans le patois germanique local (v. enquête de J. Weyns, citée dans la bibliographie). Elles serviront de nourriture au bétail9.

  1. Le raffinage du jus se fait dans la chaudière qui a servi à la cuisson des fruits. Sitôt qu’elle est vide, on s’empresse donc de la laver, à l’eau froide, avec une brosse, à Mortier, avec des cendres,-à Blégny. Dans ses Rem., J. Lambert note qu’il faut « frotter le fond avec ses sabots et des cendres, ou à la brique tendre, puis, après avoir

 

9 Em. vliebergh et R. ulens, La population agricole de la Hesbaye au 19e siècle, notent, aux pp. 150-152 consacrées à la fabrication du sirop, que les pulpes de pommes, trop acides, ne valaient presque rien; celles de poires se vendaient de 5 à 7 F les 1000 kg et servaient de nourriture aux porcs; celles de betteraves se vendaient de 20 à 25 F les 1000 kg et étaient réservées aux bovidés. — Au Pays de Herve, où il n’y a pas de betteraves, toutes les pulpes sont estimées excellentes pour les vaches.

 

(p.143) lavé et essuyé soigneusement, humecter le fond avec une éponge trempée d’huile ».

On réinstalle la chaudière sur le foyer, en répandant un peu de cendres tout autour pour empêcher la fumée de sortir (L 43 Rem.) ; on y verse le jus à raffiner, on le filtre à travers un passeû (L 95, Ve 4, 27), on le cole avec un coleû, une sitamène (L 56 L); on rallume un feu, qui doit être très vif, po sètchî l’êwe èt mète à spèheûr (Ve 27), pour assécher et épaissir.

Généralement, on raffine en deux fois, c’est-à-dire que la quantité de jus est divisée en deux : pour que le sirop soit bon, il ne doit pas cuire trop longtemps, et si la première cuisson n’est pas satisfaisante, on peut rectifier à la deuxième. Avant d’avoir obtenu la consistance souhaitée, il faudra environ quatre heures. On doit surveiller constam­ment la chaudière, pour que le jus ne hatihe pas (ne brûle pas) et ne déborde pas. Il suffit, selon le témoin de Wegnez, de régler judicieu­sement l’ouverture du four, ou, selon un témoin de Mortier (L), de verser progressivement le jus (une dizaine de seaux pour commencer, (p.144) puis quand c’est descendu, deux ou trois seaux à la fois jusqu’au remplissage total). La plupart, cependant, se contentent de mélanger de temps à autre avec une palette en cuivre à long manche, parfois percée de deux ouvertures triangulaires pour faciliter le remuement, appelée palète (L 56, 71, 95, Ve 9, 27), mahète (L 56 L, 71, Ve 4, 13, 27), sapule (nom donné à G. Belleflamme par le témoin de L43; déformation de « spatule »). Ils prélèvent encore avec une grande louche — pêlot (L 71), poûheû ou maheû (Ve 27) — un peu de jus, de façon à refroidir le contenu de la chaudière et, ainsi, à l’ fé d’hinde, à le faire descendre. Plus rare et plus perfectionné, un instrument spécial, appelé « anti-monte-sirop », est utilisé par certains fabricants (à Thimister, à Cornesse) : c’est une sorte de bouclier fortement bombé, au centre duquel s’élève une cheminée surmontée d’un cha­peau conique; l’appareil, déposé au fond de la chaudière, est fixé au bord par trois tringles. Beaucoup de siropiers mettent leur point d’honneur à mériter totalement la» réputation de «produit naturel» de leur sirop en refusant tout additif, quel qu’il soit : néanmoins, certains n’hésitent pas à jeter dans la chaudière, au moment où (p.144) l’écume menace de déborder, une cuillerée d’un corps gras (beurre, graisse, oléine, margarine), ou même, plus récemment, à recourir à des produits chimiques, achetés à la pharmacie (notamment, à Mortier, de la cire de lanette, dont le nom est déformé par le témoin en « tire-lanette »).

Ces produits, enfermés dans une petite boîte percée de trous à sa partie supérieure, que l’on accroche à peu de distance du sommet de la chaudière, font retomber immédiatement le liquide qui les atteint; selon M. Meurens, de Hervé, on donnait à ce dispositif le nom de macrale, sorcière.

Il y a d’autant plus de same, écume, que les fruits sont plus maigres; plus le jus est crås, moins il bouillonne, puisqu’il y a moins d’eau à évaporer. Les bulles, petit à petit, diminuent de volume, le liquide s’épaissit et toûne à sirôpe. De nombreux prélèvements permettent

(p.146) de suivre cette évolution. Lorsque la consistance et la couleur 10 sont jugées satisfaisantes, à vosse sôlåce, à votre estimation, on enlève la chaudière du foyer, ô lsètche èrî (djus) dè feû (L 71, Ve 13), ô ltape djus (Ve 9). La potence mobile à laquelle est fixé un palonnier, trèp’sin, muni d’un crochet à chaque bout, qui sert à tous les dépla­cements de la chaudière, est rarement désignée et ne porte pas de nom particulier en patois : s’il le faut, on lui donne un des noms de la barrière — bårîre (L 56), håhê (L 56 L, 95), tournikèt (Ve 27).

On incline la chaudière en la posant sur un blokê (Ve 4) ou sur un trèpîd (Ve 13), et on verse le contenu dans un récipient plus petit placé en contrebas (marmite, cuvier, autrefois même bac en pierre). On peut aussi transvaser le sirop en puisant avec la grande louche de cuivre, le pêlot (L 43, 56 L, 71, 95, Ve 4, 9, 13). La chaudière est

 

10 Beaucoup aiment un sirop noir. Pour ceux qui désirent un sirop plus rouge, il faut cuire moins longtemps (L 56 L), mélanger sans arrêt pendant la cuisson et le refroidissement (Ve 13).

 

(p.147) vidée soigneusement à l’aide de la palète (L 56) ou de la mahinète (Ve 4).

Lorsque la cuisson s’effectue en deux fois, ce qui est régulier, on réinstalle la chaudière sur le foyer, et on recommence l’opération. Dans ce cas, certains siropiers (L 56) mêlent au liquide à raffiner un seau de jus prélevé à la première chaudronnée environ une heure avant la fin de la cuisson.

  1. Parfois on se contente de laisser refroidir le sirop dans la chau­dière (L 95) ou dans un seau plongé dans un grand bac d’eau froide (Ve 4). Mais souvent, on a recours au refroidissoir, r’freûdiheû (L 43, 56, 71, Ve 6, 27), r’freûdjeû (Ve 13), tåve à sirôpe, table à sirop (Ve 19) : bassin plat de cuivre posé sur trépieds. Le sirop y est versé et mélangé (p.148) avec la mahète, la palète ou le coûté al sirôpe n. Ce battage, en même temps qu’il refroidit et épaissit le sirop, élimine l’écume, same, et empêche la formation de grumeaux, nokètes ou groubotes.
  2. Il ne reste plus qu’à mettre en récipients. Aujourd’hui, ce sont souvent de petites boîtes en fer blanc verni ou en carton paraffiné de I ou de 5 kilos; autrefois, c’étaient des pots en grès — moûdeûs

 

11 A Mortier, le système était modernisé : v. n. 1.

 

(p.149) (Ve 4, 19), moûssîs (Ve 19, 27), treûs fleûrs (Ve 27) —, des cuvèles de chêne 12 (L 43, 56, 95, Ve 4, 6, 13, 19, 27), des tonês (Ve 4, 9), des pîces (L 56 L) pouvant contenir jusqu’à 300 kilos.

 

12 Ces cuvelles, dit-on à Mortier, étaient fabriquées à Fouron-Saint-Martin. Elles ont été délaissées à cause de leurs inconvénients et du travail qu’elles nécessitaient. Le sirop trèyéve po lès crèvâres, filtrait par les rainures (L 95). Il fallait ritchèssi et r’hôder les cuvelles, resserrer les douves et les réchauder, nettoyer (L 56).

 

(p.150) 9.  Bien conservé dans un endroit sec, frais, à l’abri des poussières, le sirop, surtout de poires, se conserve longtemps. Plus il est vieux, meilleur est-il, déclare-t-on souvent. Mais l’humidité, l’utilisation d’un mauvais récipient, le manque d’hygiène (comme de prélever le sirop avec un couteau auquel restent accrochés des mies de pain ou surtout des grains de sel) le font fermenter. Adô, l’ sirôpe su r’mowe, ode sâre, duvét tote clére (Ve 27), alors, le sirop se remue, a une odeur aigre, devient tout clair. Èle tchante (-å-, -â-), chante : telle est l’expression consacrée. Il faut alors recommencer le travail.

 

  1. Gn’a rin d’ rnèyeû èt d’ pus hêtî qu’ine bone fwète sirôpe! Cet axiome que Marcel remy met dans la bouche de son parrain (Les ceux de chez nous, 6 Quelle bonne sirôpe!, éd. 1941, p. 127), est malheureusement contrarié par un autre, de sa tante : On n’ magne nin dèl sirôpe al nut’! Pour le petit garçon, le sirop est la friandise par excellence : malgré les taloches, il est bien résolu à continuer à en chaparder chaque fois qu’il le pourra. Rien n’exprime mieux, de façon plus forte et plus émouvante, l’intensité de son goût que son (p.151) souhait : « Mais moi, d’abord, si je serais riche, j’aurais de la sirope au matin et au soir aussi » 13.

Dans l’armoire, « le pot à la sirope était sur la planche juste à côté de la frisse makaye [makêye, fromage blanc] ». C’étaient là, partout, avec le pain, les deux nourritures essentielles, qui, dans la

 

13 Les rêves de richesse sont presque toujours alors des rêves de nourriture, d’une modestie éloquente. Dans Babette d’A. quernol (p. 173), Lisa déclare : «Si j’étais riche, ce serait seulement pour aclèver des poyètes et avoir des frisses œufs toute l’année», et «Badjène, elle, c’aurait été seule­ment pour avoir un morceau de saucisse tous les jours au matin avec une fricassée… ». V. de même ces deux vers d’A. bernis, de Montignies-sur-Sambre, dans Banseléye, p. 8 : Avou ‘ne târtène, on fét bombance Si grand-mère a mis du sirop.

 

(p.152) plupart des familles paysannes, accompagnaient chaque jour chaque repas14. L’absence de choix, la nécessité seule n’explique pas qu’on ne s’en lassait pas, mais la qualité, la simplicité, le naturel de ces mets, et des mœurs.

Par souci de variété, ou davantage peut-être par gourmandise, on combinait souvent autrefois les deux saveurs, de la sirôpe et de -la makêye. On disait alors, par une de ces plaisanteries scatologiques dont la cuisine populaire est riche, qu’on mangeait de strô d’ paye ‘fiente de poule’ (L 71, 95, Ve 27; et wisimus, Dict. verviétois, p. 424), dè l’hite d’ aguèce ‘foire, diarrhée de pie’ (L 56)15.

 

14 V. notamment Francine tasset, L’alimentation traditionnelle en 1900 [dans la vallée du Geer], mémoire de licence inédit, Liège, 1973, pp. 8, 10, 11,81.

15 Dans la région du Centre, on appelle brin d’agacé la gomme qui s’écoule du cerisier, du pommier ou du prunier (R. dascotte, La vie forestière dans le Centre, pp. 91 et 106).

 

(p.153) 10. Quelques usages et expressions. — Des jeux : A Aubin-Neuf-château (Ve 2), selon Martin lejeune (Bull. Soc. Lin. wall., 39, 1899, p. 202), un des jeux, le lundi de la fête, consistait à qwèri dès çans’ duvins on plat d’ sirôpe. L. nissen cite parmi les jeux pratiqués, en 1923, à la fête as Brouwîres (hameau de Bois-de-Breux), le jeu du houp’là : « prendre une pièce dans le sirop et souffler dans les plumes» (v. La Vie Liégeoise, août 1977, p. 21). C’est sans doute le même jeu que celui que décrit, avec plus de précision, Pierre ruelle, évoquant son enfance boraine et notamment la ducace au Trî (ha­meau de Pâturages [Mo 42]) : « Pour l’assiète au chiro, il s’agissait, pour les participants, d’aller chercher avec les dents des pièces de monnaie au fond d’une assiette de mélasse, puis d’en chercher d’au­tres de la même manière, au fond d’une assiette remplie de plumes de poulet» (La Vie Wallonne, 51, 1977, p. 76).

Au milieu du 19e s., les Gilles de Binche maniaient «une perche d’où pendait un bout de pain, in cougné ou in rondlin trempé dans du sirop » (S. glotz, Le Carnaval de Binche, Ed. du Folklore brabançon, p. 56); une des farces du carnaval, à la fin du 19e s., était d’enduire de sirop la figure des passants (/Y/., p. 53).

Un remède populaire : Selon Mme Mormont-Funken, de Hodister, le sirop utilisé comme baume en cas de brûlure procurait un soula­gement immédiat.

Une friandise : Dans la région du Centre, autrefois, les enfants raffolaient des tamblètes à carte, cartes à jouer emplies de sirop (R. nopère, in Panorama de la litt. dialectale du Centre, p. 229).

Expressions : à Verviers, d’un homme mou, paresseux, on dit qu’il est ossi vigreûs qu’on limeçon [lire -ô] d’vins lsirôpe (v. wisimus. Diction, vcrviétois); — dans le Centre : c’èst dou sirop (c’est un plaisir) dè d’morer au Fayit (in El Mouchon d’Aunia, 60, 1972, p. 97); — à Tournai: « Te vas attraper eine décoctieon d’ chireop d’ bett’rafes», une tripotée (E. ponceau, Petit Glossaire tournaisien).

On accueillera avec gratitude tout complément d’information, pour quelque région que ce soit.

 

(p.154) ANNEXES

  1. Plans et coupes

Siroperie de Malempré. Elle est d’un type plus artisanal que celle de Mortier. Le bâtiment est une simple baraque couverte de horons (dosses), avec une double porte et une seule fenêtre; le sol est dallé de plaques de schiste.

A propos du matériel et de son utilisation, on note également des archaïsmes. Les cuves fixes 1 et 2 sont maçonnées sur des foyers 3; un canal 4 creusé dans le sol d’un foyer à l’autre, aboutit de part et d’autre aux cheminées 5; il donne le tirage nécessaire aux foyers; de plus il permet, lors des arrêts de cuisson, de retirer les braises des foyers.

Après pesée sur une bascule décimale 6, les fruits sont cuits dans la cuve de droite 7; puis ils sont écrasés dans le grand pressoir 7; le jus recueilli dans des seaux en cuivre est transvasé au fur et à mesure à travers une étamine filtrante, dans la cuve de gauche 2 où il cuira le temps nécessaire pour devenir du sirop.

 

(p.156) Siroperie Oury à Mortier. Les fruits sont cuits dans une cuve chauf­fée sur le foyer de droite 1 (11 = les cheminées des deux foyers); ensuite, les fruits cuits sont écrasés dans les pressoirs 2 et leur jus s’écoule à travers des filtres 3 pour être recueilli dans une cuve-citerne 4; une pompe électrique 5 transfère le jus dans un réservoir suspendu 6; ce dernier est muni d’un robinet qui permet de vider le jus dans une cuve 7, déposée sur le foyer 8; dans celle-ci, le jus est cuit et transformé en sirop. Après cette opération, la cuve à sirop est déplacée au moyen d’une potence 9 et transvasée dans une cuve à refroidissement 10.

 

(p.159) 4. La fabrication du pwarè dans la région namuroise.

A Custinne [D 73], On reproduit ici, sous une forme légèrement condensée, une description envoyée au Musée en 1928 par Ghislain lefèbvre. Cette note inédite est intéressante par quelques détails originaux — raffinements propres au tout petit artisanat, et surtout fête, déjà désuète au moment de la description, qui célébrait, à la façon communautaire et simple d’autrefois, la fin et la réussite du travail.

La fabrication du pwarè, qui n’est pas tout à fait le « sirop » liégeois, est, dans le village, un petit événement dont on cause, les jeunes surtout (on verra pourquoi), huit jours à l’avance.

Comme son nom l’indique, le pwarè se fait normalement avec des poires, mais on utilise aussi, plus rarement, des pommes douces. Il arrive que l’on ajoute, pour le rendre plus sucré, un peu de betteraves (p.160) sucrières ou de prunes; cela était inutile si l’on avait pu mêler aux poires ordinaires des poires d’espalier.

La veille, ou parfois même l’avant-veille, du grand jour, la femme du fabricant et quelques voisines et voisins réunis al chîje ‘à la veillée’ autour d’une cafetière et d’une bouteille de genièvre, pèlent, mais sans les couper en morceaux, les fruits les plus beaux.

Le premier jour de travail, on fait cuire dans une vaste chaudière en cuivre les pèlakes ‘épluchures’ et les poires les moins belles, que l’on n’a pas épluchées (la proportion habituelle est de 4 à 5 paniers de fruits non épluchés pour 3 paniers de fruits épluchés). La cuisson terminée, la caboléye ‘chaudronnée’ est versée dans le stwardè ‘pres­soir’. Dans une partie du jus obtenu, on cuit ensuite les fruits épluchés, que l’on passera, pour terminer, au tamis, à la main, pour enlever les pépins et les mouches.

Le lendemain, on verse dans la chaudière ce qui a été tamisé et le jus provenant des caboléyes de fruits de second choix, et on cuit le tout sur un feu lent et régulier de bûches bien sèches. Pour éviter qu’il ne colle et ne brûle, on remue continuellement le jus avec un machwè ‘mélangeoir ‘. On arrête la cuisson lorsque le brouet est estimé assez consistant. A l’aide de louches, on emplit les pots de terre ou de grès que l’on couvrira de papier le lendemain et que l’on conservera au sec. Avant la guerre de 1914, le kilo se vendait 50 ou 60 centimes; en 1928, il oscillait entre 3 et 4 francs.

Pour fêter la fin du travail, le soir du dernier jour, les éplucheurs, les amis sont conviés à un repas spécial, la trîléye. Dans la chaudière, où on a laissé un peu de pwarè, on verse de la bière, du sucre, des morceaux de pain, et on mélange le tout. On sert dans un grand plat profond auquel, à défaut d’assiettes, chacun peut puiser à volonté. Des jeux suivent ce repas : cartes pour les plus vieux, pigeon-voie pour les plus jeunes. On chante, on danse jusque tard dans la nuit.

A Schaltin [D 14], on procédait à peu près de la même façon qu’à Custinne : fruits pelés au cours d’une soirée qui se terminait par des chansons et des danses, cuisson sur feu de bois, nécessité de mélanger pendant toute la durée de la cuisson. On ne retiendra de la descrip­tion versifiée que H. Famerée a publiée dans le journal Vers l’Avenir, (10-1-1961) que quelques termes — l’expression on pèleûve li pwarè, « on pelait » pour « on faisait », le poiret, les noms prèsswè, pressoir, (p.161) tchaudîre et cabolia, chaudière, pwâres di grîches, espèce de poires qui convenait le mieux — et quelques détails montrant le caractère communautaire et archaïque du travail. De même que les habitants du village s’aidaient mutuellement, les instruments indispensables étaient prêtés par leur propriétaire à chaque famille et étaient, en quelque sorte, banaux. Pour s’assurer que le pwarè ne brûlait pas dans la chaudière, on mettait souvent une ou deux grosses clés au fond : le bruit qu’elles produisaient contre le cuivre quand on mélan­geait était le signe que les opérations se déroulaient sans encombres.

 

Dans la région de Houyet [D 80] (Résumé de la lettre d’une corres­pondante dont on n’a pu déchiffrer le nom).

A Houyet, on distinguait le sirop proprement dit, appelé michtrole, que l’on achetait au magasin, et le « poiret », pwarè, que l’on faisait à domicile, et dont la fabrication a cessé peu après la dernière guerre.

Pour le pwarè, il fallait des poires bien mûres. Les meilleures étaient les poires de Cardinal, mais d’autres espèces convenaient également : les « beurré gris », les djupsènes, les pucèles, les tûtins, les pètias, les cathons, les poires de saucisses, de céleri, de bon chrétien, de rodje monseû, etc., poires pour la plupart immangeables crues.

Les fruits les plus petits servaient à faire la caboléye, chaudronnée. On pendait le grand chaudron de cuivre à la crémaillère de la « vieille maison», de l’ancienne cuisine [?]; on plaçait dans le fond, pour éviter les brûlures, une poignée de paille de seigle tournée en couronne ; on versait les fruits, quelques seaux d’eau; et on allumait un bon feu de bois de fagot bien sec. Les poires cuites étaient pressées, et le jus était recueilli dans une grande Une, cuvier, en bois.

On faisait ensuite une deuxième caboléye identique, sauf qu’au lieu d’eau, on versait dans le chaudron le jus de la première caboléye.

Les poires les plus belles avaient été mises à part; on les coupait en deux, on enlevait la queue et la mouche, au cours de la soirée, avec la collaboration des voisines.

Le deuxième jour, les morceaux de fruits — il en fallait deux mannes — étaient mis à cuire dans le jus des caboléyes. A feu doux, la cuisson durait, sous une surveillance continue, jusque bien tard dans la soirée : cela s’appelait chîjelè lès bokèts16.

 

16 Emploi transitif direct de chîjelè passer la soirée, veiller.

 

(p.162) Le troisième jour, on tamisait la chaudronnée « en frottant avec la main » (?), et on obtenait une compote brune. Alors commençait la seconde cuisson, sur feu lent; on remuait le jus avec une grande palette de bois appelée machote. Petit à petit, le liquide s’épaississait, des bulles se formaient : i sèrè bintôt cût, i comince à vèssi, il sera bientôt cuit, il commence à «vesser»17. Lorsqu’il ne se détachait plus de la machote, il était à point, on arrêtait la cuisson. Il ne restait plus qu’à emplir les pots. Le pwarè pouvait se conserver deux ans.

 

Jean lechanteur.

 

17 Cf. L. léonard, Lexique namurois, p. 528 fè vèssi lpausse triturer la pâte pour évacuer l’air.

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