Lès plantes dins l' culture walone, picarde, gaumèse (Les plantes dans la culture wallonne, picarde, gaumaise)

Plantes

0 Jènèrâlités / Généralités

1 Plantes sins fleûrs / Plantes sans fleurs

2 Plantes à fleûrs / Plantes à fleurs

3 Aubes èt aubèkèts, pitits-aubes / Arbres et arbustes, arbrisseaux

Elisée Legros, Légendes chrétiennes  en rapport avec la botanique,  in : EMVW, 1931-48, p.170-172

 

Dans son beau livre sur Les Plantes dans le parler, l’histoire et les usages de la Wallonie malmédienne (1), le regretté abbé J. bastin signale quelques légendes mettant en rapport l’une ou l’autre plante avec la vie du Christ.

 

(1) Collection Nos Dialectes, n° 8, Liège, Vaillant-Carmanne, 1939. — Les citations suivantes t>e rapportent aux pages 62, 65, 67 et 175.

 

Ainsi, pour le coudrier (ou noisetier), il note qu’on dit à Robertville : ô n‘  côrt nou risse d’ èsse twé do l’ tonîre qwand qu’ ô hourit d’zos ô bouhyo(n) d’ cône : ca lè p’tit Jésus a houri lu-même dèzos ôk (1).

Le sureau à grappes, « sureau rouge » ou « sureau sau­vage ». s’appelle aussi saw du Djudas « sureau de Judas », car : « Le traître, suivant la légende, s’est pendu à cet arbrisseau (de là également le nom « auricule de Judas » donné à un champignon qui pousse sur son tronc). Et même, primitivement, cet arbre était une vigne. Dieu l’a frappé de malédiction et lui a fait produire de mauvais fruits au lieu de raisins ».

A propos du prunellier ou « épine noire », l’abbé Bastin écrit : « i fét ô timps d’ neûrès spènes (Waimes) « il fait un temps d’épines noires ». On désigne ainsi le refroidissement de la température que l’on constate souvent vers la mi-mai. C’est l’époque des saints de glace et, chez nous, l’époque de la fleuraison du prunellier. Suivant une légende recueillie à Robertville, la Couronne d’épines de Nôtre-Seigneur était faite avec des rameaux de cet arbrisseau : cèst po çoula qu’ ile nè fleurit jamaîs à do bon timps » (â).

Enfin, « suivant une légende recueillie à Malmedy…, il y avait des persicaires au pied de la croix du Christ sur le Calvaire. Des gouttes de sang du divin Crucifié tombèrent sur leurs feuilles et voici pourquoi celles-ci sont maculées ».

La première et la troisième de ces légendes ne nous sont pas autrement connues. Toutefois l’expression i fêt on timps dneûrès spènes est connue à Jalhay ; — à Durbuy, on parle aussi du refroidissement de la température (distinct de celui qu’on attribue aux saints de glace et antérieur à lui) amené par li florihâye [= floraison] dès neûrès spènes ; — à Liège, le « Dictionnaire des Spots » enregistre le dicton : Qwand lès neûrès spènes florihèt, i fêt todi-måy mâva (3).

La dernière légende est attestée dans le folklore wallon et flamand (4). Quant à la seconde, elle a dû se dire aussi à

 

(1)  Traduction : On ne court aucun risque d’être tué par le tonnerre quand on s’abrite sous un buisson de coudrier : car le petit Jésus s’est abrité lui-même sous l’un d’eux.

(2)  Traduction : C’est pour cela qu’elle [= l’épine noire] ne fleurit jamais par bon temps.

(3Bull Soc. Lit. Wall., 31,1892, p. 68. Trad. : Quand les pru­nelliers fleurissent, il fait toujours mauvais. — Voir aussi rol­land, Flore populaire, t. 5, p. 404-5.

(4) rolland, Flore pop., t. 9, p. 194 et 273, où on signale éga­lement une variante : il s’agirait du sang menstruel déjà Yie

 

(p.172) Liège, puisqu’une pièce en wallon liégeois datant de 1632 écrit à propos d’un chef de soudards espagnols, coupable du massacre des habitants de Quadmechelen, dans l’actuelle province de Hambourg :

44 ni sés-se à pârler d’ Salazâr,

qu’ a vinou sorprinde lès Flaminds

insi qui fit Diè â djârdin

ci Djudas què l’ vina bâhî ?

48 Mins i fout pûni di s’ pètchî :

i s’ alit pinde à on sa-ou.

Salazâr èl pout fé, s’ i vout… (1)

 

Elisée Legros, Légendes chrétiennes en rapport avec la botanique, in : EMVW, 1948-52, p.239-241

 

Nous avons signalé, dans les Enquêtes, t. 4, p. 170-172, en partant de l’ouvrage de feu l’abbé bastin sur les plantes-de la Wallonie malmédienne, des légendes religieuses concernant le coudrier, le sureau à grappes, le prunellier et la persicaire (1).

Du prunellier ou « épine noire », disions-nous, aurait été faite la couronne d’épines du Christ. Or, de la même source, nous pouvons encore tirer une légende qui a trait au même objet, mais concerne l’épine-vinette, âbèspine ou spine-vinète en malmédien : on dit au hameau de Bernister [com­mune de Bévercé: My 2] que la couronne que les Juifs mirent sur la tête du Christ était tressée avec les branches les plus épineuses du vinettier (2). J. feller a noté à Fraipont [L 110] et Lambermont [Ve 21] la même croyance qu’il pense inspirée par la couleur vineuse des feuilles et de l’écorce de la variété la plus répandue de cet arbuste, ou encore provenant de ce que les épines, à l’aisselle de? feuilles, sont tripartites et figurent, assez mal du reste, trois branches d’une croix (3) ; il en rapproche justement les appellations sancta spina en 1591,-espirce benoiste [= bénite] en 1650, ainsi que épine-croix dans le Haut-Maine et spin ffalla croce « épine de la croix » à Trévise, en Italie (4).

 

(1) A propos de la légende du sureau à grappes ou « sureau de Judas » connue également ailleurs que chez nous (voy. aussi rolland, Flore popul., t. 11, p. 175, pour le champignon dit «oreille de Judas »), comparer pour le saule Judasboom «arbre de Judas » au nord du Limbourg hollandais, parce que, dit-on, Judas s’y est pendu (16., p. 21).

(2)  J. bastin, Les Plantes de la Wallonie malm., p. 70.

(3Bull, de Folklore, 1, 1891, p. 206.

(4) Voir rolland, Flore popul., 1, p. 137 et suiv. — J. feller rapproche aussi les formes nobépéne, noblépéne de Valenciennes, mais il faut surtout y voir une confusion avec le nom de l’aubépine.

 

(p.240) Généralement cependant, en France comme chez nous, c’est de l’aubépine ou « épine blanche » qu’on dit faite la couronne de Jésus crucifié, et c’est une des raisons qu’on invoque pour prétendre que la foudre ne frappe pas l’aubépine : harou atteste pour Godarville [Ch 16] ces croyances, signalées notamment aussi à Houtaing-Iez-Leuze [A 28] (1). La légende est très ancienne, puisqu’au Ve siècle Marcellus Empiricus parle de l’« herbe du salut » (salutaris herba) comme étant l’épine blanche avec laquelle fut couronné le Christ ; c’est elle aussi qui a favorisé, par étymologie populaire, l’altération du nom de l’aubépine en noble épine, appellation fréquente en France (2).

Il y a du reste une autre manière d’expliquer cette appel­lation, et aussi celle de bénites ronhes « ronces bénites » qu’E. monseuh lui donne (sans localisation) : « on dit que les fleurs de l’aubépine sentent bon, parce que la Vierge y mettait sécher les langes de Jésus » (3). Cette explication, également recueillie en France, a été notée chez nous pour Les Eneilles [commune de Grandhan : Ma 14] par J. felleR (4).

Plus souvent, cette croyance est attestée pour l’églantier ou « rosier sauvage ». De là provient sa dénomination de « ronce bénie » : bènèye ronhe à Durbuy [Ma 9] et Trembleur [L 43], bènèye ronhe à Villers-Sainte-Gertrude [Ma 12] et Dalhem [L 32], bénîye ronche à Winenne [D 94] ; ce qui éclaire la citation de « roinsse bénite » qu’on trouve dans un manuscrit du XVe siècle provenant de la Wallonie (5).

A Durbuy toutefois, d’après une communication reçue par J. haust — dont les dossiers d’enquête nous fournissent aussi les noms cités ci-dessus —, il ne s’agirait pas en réalité de l’églantier ordinaire ou «rosier de chien» (Rosa canina), mais de l’églantier odorant ou rosier rouillé (Rosa rubiginosa ou R. eglanteria) et on précise : dj’ a oyou dîre ås vîyès djins qui lès fouyes di ç’ rôsî-là sintint si bones dispôy qui la sinte Vièrje aveût mètou souwer so cès bouhons-là d’ rôsîs lès lignerês da si p’tit fis «j’ai ouï dire des vieilles

 

(1) haRou, Folkl. de Godarville, p. 24 ;   —   A. HOTTEQUIN, Folkl.  d’Houtaing (manuscrit).

(2)  rolland, ifc., 5, p. 143 et suiv.

(3)  monseur, Quest. de Folkl., p. 20 ; — FolM. wall., p. 22.

(4)  rolland, ib., 5, p. 163.

(5)   Cité par rolland, ife., 5, p. 228. — Sur ce manuscrit, voyez M. wilmotte, Notes de philol. wall., p. 240 et suiv.

 

(p.241) gens que les feuilles de ce rosier sentaient si bon depuis que la ste Vierge avait mis sécher sur ces buissons de rose les langes de son petit fils » (Mlle A. Bozière). Il s’agit de même de cette variété odorante à Ërezée [Ma 19] pour la bènêye ronhe, et la même explication en est donnée (d’après feu V. Collard).

Dans sa liste des noms wallons des plantes à Coo [hameau de Stavelot : Ve 40], Jules defresne, qui ne cite aucune des légendes précédentes, mentionne une autre légende qui se rapporte, chose assez étonnante, à une plante non indigène, importée d’Europe méridionale pour être cultivée dans les parcs : le sumac (Rhus coriaria) (l). Le sumac est, d’après cet auteur, désigné sous le nom wallon de bâbe dâ bon Diu « barbe du bon Dieu », expression que nous n’avons jamais entendue que pour le bédegar ou gale che­velue poussant sur l’églantier (2), ainsi qu’à Stavelot et à La Gleize (3), pour une joncacée, la luzule du printemps. A Coo, pourtant, la légende prétendrait que le sumac est « l’arbre qui aida Jésus à descendre de la croix ; ainsi à chaque branche remarque-t-on une poignée recouverte d’un duvet fort doux ».

Nos correspondants nous obligeraient en nous communi­quant tout ce qu’ils savent ou peuvent recueillir autour d’eux au sujet de ces légendes ou dé légendes analogues.

 

Serge Fontaine, Nos plantes qui portent des noms de saints, in : Les Amis de Logbiermé, 1, 1991p.66-74

 

Parmi la longue nomenclature vernaculaire des plantes, on trouve beaucoup de prénoms de saints.

Il m’a paru amusant de faire un relevé que ces appellations et d’en chercher éventuellement les raisons qui peuvent être en rapport le plus souvent avec les vertus médicinales,les qualités alimentaires l’époque de la floraison,mais encore avec un usage quelconque comme l’habitat,le symbolisme végétal ou autre chose.Précisons d’emblée que ma quête est souvent restée infructueuse.

Disons également que ceci ne constitue pas une étude dialectologiqt Lorsque j’utilise le wallon de La Gleize.par exemple, c’est parce qu’il est le mien, mais cela ne veut pas dire que les noms cités sont spécialement connus comme tels à La Gleize, ni même dans la région.

Voici ces noms, par ordre alphabétique de saints.

 

ALBERT: Herbe de saint Albert – Vélar fausse giroflée.

 

ANTOINE: Laurier de saint Antoine – Epilobe en épi.

Fleur du sint-z-Antône. Sint-z-Antône.

Fleur du sint-z-Antône – Auricule des jardins.

Jèbes ou foyes du st-z-Antône – Renouée bistorte

– Renouée persicaire -Pétasite blanc – Pulmonaire officinale -Euphorbe fétide -Scrofulaire noueuse.

 

Certaines de ces plantes sont comestibles en salade (renouée, épilobe). Auraient-elles nourri  saint Antoine pendant son ermitage? Les porcs sont friands des jeunes feuilles, d’épilobe, y-a-t-il un rapport avec le cochon du grand saint ? On fête la saint Antoine l’Ermite le 17 janvier et Antoine de Padoue le 13 juin. A l’ermitage de Bernister, on bénissait, le 17 janvier ,des petits pains et à Harre , on lui offrait ,1e 13 juin , une tête de   cochon. Représenté1 avec un cochon,ce saint est invoqué pour beaucoup de choses mais surtout pour retrouver les choses ou les personnes perdues.

 

APOLLINE : Herbe de-sainte Apolline – jusquiame noire.

Cette plante nommée,”tue-poule”, est si vénéneuse qu’il suffirait de siester près de celle-ci pour être incommodé. Apolline était consacrée à Belen ,dieu celte.Invoquée pour des rages de dents parce qu’on lui brisa les dents lors de son martyre au 5ème siècle.

 

BARBE: Jèbe du sinte Bâbe – Barbarée vulgaire.

 

BARTHELEMY: Herbe de saint Barthélémy – Sporalier glanduleux .

 

BENOIT: Jèbe du sint Bènwèt – Benoîte commune. -Benoîte officinale.

La Benoîte est aussi une herbe du bon soldat, une herbe bénite.

 

CATHERINE:Sinte Caterine – Chrysantème.

Fleûr du ste Caterine – Potentille tormentille.

– Balsamine des bois.

Sainte Catherine est fêtée le 25 novembre. La Chrysanthème pourrait avoir été ainsi nommée parce qu’elle arrive tardivement en floraison.

 

CHRISTOPHE: Jèbe du sint Cristofe – Actée en épi.

 

CLAIRE: Herbe de sainte Claire – Chélidoine.

La Chélidoine est souvent nommée Eclaire, ce qui pourrait être en rapport avec Claire.De plus, cette plante guérit la taie des yeux. Elle est aussi souveraine pour les verrues.

 

CLOUD: Orèye du sint Cloud – Bouillon blanc.

Plante aux propriétés adoucissantes. Servait peut-être pour soigner les clous ou furoncles.

 

CUNEGONDE: Herbe de sainte Cunégonde – Eupatoire officinale.

On représente Cunégonde avec une couronne dans les mains.

 

ELISABETH : Herbe de sainte Elisabeth – Hélianthème commun.

 

ELOI: Jèbe du sint-z-Elôy – Renouée persicaire.

 

ETIENNE: Herbe de saint Etienne – Circée de Paris.

 

FELIX: Herbe de saint Félix – Scrofulaire noueuse.

Saint Félix aurait-il soigné ses hémorroïdes avec cette plante.

 

FIACRE: Herbe de saint Fiacre – Héliotrope d’Europe – Bouillon blanc.

L’héliotrope qui est aussi une “Jèbe d’ amoûr”, était utilisée contre les verrues.

 

GEORGES: Herbe de saint Georges – Valériane rouge – Polémoine bleue

-Gesse (?) – Clandestine (esp. d’Orobanche).

 

GERARD: Bwès d’ sint Djèrâ – Epine vinette.

 

GERMAIN: Foye du sint Djèrmin – Renouée persicaire.

 

GUILLAUME: Jèbe du sint Guiliaume – Aigremoine officinale.

 

INNOCENTS: Jèbe dès sint-z-Inocints – Renouée traînasse.

 

JACOB: Herbe de Jacob – Séneçon jacobée.

Jacobée est un diminutif de Jacob.

 

JACQUES: Lis de saint Jacques – Amaryllis.

Croix de saint Jacques – Amaryllis. Fleûr du sint Djâke – Séneçon jacobée,

–          Petite pervenche

Bordon d’ sint Djâke – Guimauve officinale.

La haute tige de cette guimauve, tout comme sa racine pivotante d’ailleurs, ressemble a un bâton.

 

JEAN: SintDj’han- Reine marguerite.

Fleûr du Sint Dj’han -Reine marguerite

– Armoise Absinthe – Gaillet croisette – Joubarde des toits – Lierre terrestre  

Millepertuis perforé – Sauge des prés, -Scrofulaire noueuse – Verveine officinale – Thym serpolet.

Et d’autre encore qui. toutes,ont en commun de posséder des vertus médicinales et d’être en floraison à la saint Jean-Baptiste, le 24 juin, au solstice d’été.Ce jour là, selon un cérémonial précis, on récoltait les 7 plantes sacrées (qui variaient d’une région à l’autre) pour réaliser le fameux thé d’saint Jean ou “té d’ sèt’ sôres”.Plantes sacrées que déjà ré­coltaient les druidesses celtes pour les jeter les flammes rituelles de la saint Jean d’été. Ce feu purificateur ou en l’honneur du dieu soleil, ne portait pas encore le nom de saint Jean, bien sûr.

Cheveux de saint Jean – Cuscute.

Corone du sint Dj’han – Joubarde des toits.

Pan d’sint Dj’han – Caroube.

Pommes du sint Dj’han – baies de cotoneaster.

Parce qu’elles ressemblent à de petites pommes miniatures et qu’elles persistent jusqu’à la saint Jean d’hiver.

 

JOSEPH: Sint Djôsèf  – Perce neige.

– Jonquille. – Narcisse  – Lilas – Primevère des jardins.

Parce qu’elles ont en commun de fleurir à l’époque de la saint Joseph, le 19 mars.

Fleur ou foye du sint Djôsèf – tussilage.

Âbe du sint Djôsèf – bois gentil.

Deux plantes qui fleurissent aussi aux premiers beaux jours.

Fleûr du sint Djôsèf – Lis –

– Iris des marais

– Cinéraire hybride

– Succise des prés.

 Bâbe du sint Djôsèf – Luzule.

Crâs lârd du sint Djôsèf – Porcelle.

 

JULIEN: Jèbe du sint Julyin – Sarriette.

Parce que découverte sur le mont Saint Julien en Etrurie.

Fleur ou foye du sint Julyin – Tussilage, pas d’âne.

Herbe de saint Julien – Barbares vulgaire.

LAURENT: Jèbe du sint Lorint – Menthe pouillot,

– Bugle rampante,

– Sanicle d’Europe,

– Asclépiade dompte-venin.

 

LOUP: Orèye du sint Leûp – bouillon blanc.

Serait-ce à cause d’un de ses noms vulgaires: Queue de loup?

 

LUC:Herbe de saint Luc – Arnica des montagnes.

 

LUCIE: bois de sainte Lucie – cerisier mahaleb.

Parce qu’il est très commun dans les Vosges aux environs de sainte Lucie.

 

MARC: Herbe de saint Marc – Tanaisie commune.

 

MARIE: Lacia d’sinte Marie – Chardon Marie,

– Chèvrefeuille des bois. Herbe de sainte Marie – Chénopode bon-Henri,

– Menthe-coq ou coq de jardin,

– une espèce de serpentaire

– Andromachie du Pérou.

Oriliète du l’Vierge – Diélytre remarquable. Herbe à la Vierge – Marrube commun,

– Narcisse.

Fleur du 1’Vierge Marie – Millepertuis. Us d’avièrge – Myosotis. Cheveux de la Vierge – Cuscute.

Epi de la Vierge – Ornithogale pyramidal .(importé du Portugal), (ou épi de lait). Il faut aussi citer toutes les Notre-Dame.

Jèbe du Nôtrû-Dame – Achillée millefeuille,                                                

– Valériane officinale

-Pariétaire officinale.

Fleur du Nôtru-Dame – Millepertuis perforé.

Cotrê d’ Nôtru-Dame – Alchémille commune.

Gobelet de Notre-Dame – Liseron des haies.

Chemise  de Notre-Dame  – id.

Manchettes de Notre-Dame – id.

Clé d’ Nôtru-Dame – Digitale pourpre ?

Wan d’ Nôtru-Dame – Digitale pourpre ?

Cierge de Notre-Dame – Bouillon blanc.

Sceau de Notre-Dame – Lamier commun. (Herbes aux femmes battues)

 

OTHILEE: Herbe de saint Othilée – Pied d’alouette des champs.

 

PAUL: Herbe de saint Paul- Primevère.

 

PHILIPPE: Herbe de saint Philippe – Pastel des teinturiers.

 

PIERRE : Clé d’ sint Pîre – Orchis maculé

– Primevère.     

 Jèbe du sint Pîre – Bouillon blanc

– Lierre terrestre.

Fleur du sint Pîre – Digitale pourpre,

Foye du sint Pîre – Balsamine ou menthe coq. (Pour boissons alcoolisées)

 

QUIRIN: Jèbe ou foye du sint Qwirin – Tussilage

– Renouée persicaire

– Podagraire – Brunelle vulgaire

– Bugle rompante

 

La podagraire aurait été consommée en potée et la bugle est une nourriture pour les boeufs.

 

QUITERIE: Herbe de saint-Quiterie

– Mercuriale.

On devine peut-être un rapport basé sur un jeu de mots: hiteroûle (nom wallon de la plante), hite (diarrhée) > hiterie.

 

ROCH: Herbe de saint Roch – Puli-caire dysentérique.

 

ROBERT: Herbe à Robert – Géranium herbe à Robert.

Altération de ruberta, ruber, rouge.

 

ROSE: Herbe de sainte Rose – pivoi­ne officinale.

 

SIMEON: Herbe de Siméon – Rosé trémière. – Mauve alcée.

 

SIMON: Herbe de saint Simon – Mau­ve sylvestre.

 

ZACHARIE: Herbe de saint Zacharie

– Bleuet. (Peut-être en rapport avec le mal de saint Zacharie qui était muet).

 

Il convient aussi de citer les suivantes :

CROIX: Herbe de sainte Croix – Tabac.

Ainsi appelée parce qu’un cardinal de la Sainte Croix aurait contribué à son introduction en Italie.

bwès du l’ Sinte Creûs – Gui des chênes.

Parce que dans 1’antiquité, on accordait des tas de qualités à cette herbe des druides.

DIABLE: Herbe du diable – Potentille tormentille.

En wallon, on appelle cette potentille: “rècène quu l’ djâle rutèye”,en raison de ses formes. Herbe du diable vient,peut-être, de cela.

ESPRIT: Herbe du Saint Esprit – Angélique officinale. Rècène do sint-Èsprit – Angélique officinale.

En raison de diverses propriétés qu’elle aurait contre de très graves maladies.

JUPITER:Herbe de Jupiter – Valériane rouge.

Barbe de Jupiter – Joubarde des toits. Gland de Jupiter – Noyer. (les noix en fait).

SAINTE: Herbe sainte – Tabac.

– Sauge sclarée.

– Bétoine officinale.

 

On prêtait énormément de vertus médicinales à ces trois plantes et notamment à la sauge, nommée encore “toute bonne”. De là à dire qu’elles était saintes il n’y avait sans doute qu’un tout petit pas.

TRINITE: Fleûr du 1’ rinité – la pensée.

 

Elisée Legros, En marge du livre de l’abbé Bastin sur les Plantes / Les noms de quelques plantes herbacées des Fagnes, in: PSRM, 1, 1962, p.39-51

 

En 1939, dans la collection « Nos Dialectes », fondée et dirigée par Jean-Haust. paraissait le beau livre consacré par l’abbé Joseph Bastin à décrire Les Plantes dans le parler, histoire et les usages de la Wallonie malmédienne (258 pages, une carte).

Quelques jours à peine après sa publication, Haust recevait des appréciations élogieuses de W. von Wartburg, alors professeur à l’Université de Leipzig, de Ch. Bruneau, professeur en Sorbonne, et de J. Jud, professeur à l’Université de Zurich. Il les faisait aussitôt reproduire en prospectus, et je vois encore la joie un peu étonnée de l’abbé Bastin venu remercier Haust de ce prospectus où il avait découvert ces appréciations spontanées et con­cordantes.

 

Tandis que F. Krüger, alors professeur à l’Université de Hambourg, jugeait très favorablement l’ouvrage dans Volkstum und Kultur der Romanen, tome 12, en 1939, j’en rendais compte dans le Bulletin de la Commission Royale de Toponymie et Dialectologie, tome 14, en 1940. Mais déjà l’abbé n’était plus là, et la guerre était venue…

Celle-ci a empêché le volume de se répandre comme il l’aurait mérité. On ne peut plus citer qu’un excellent compte rendu détaillé d’A. Franz, en 1942, Rheinisches Vierteljahrsbliitter, tome 12 (1). Comble de malheur, lea misères de la guerre ont mis à mal le stock des volumes conservé à Stavelot…

 

Ce qui explique, sans le justifier tout à fait, que plus d’un travail consacré à l’étude linguistique des plantes, notamment en France, ignore ce que le supplément à la bibliographie des dictionnaires patois de la Gaule romane de W. von Wartburg qualifie d’« œuvre importante », muni de « 7 précieux index » (dont Franz remarquait qu’ils ne donnaient eux-mêmes qu’une idée partielle de la richesse du livre) –

En replaçant les noms dans leur ensemble naturel wallon, spécialement pour l’Ardenne liégeoise, je voudrais ci-après reprendre en les complétant quelques alinéas du livre consacrés à des plantes des fagnes. On verra qu’il n’est pas dénué d’intérêt, pour comprendre les faits malmédiens, de leur joindre les données du voisinage wallon, spécialement celles des villages de Jalhay et de Solwaster-Sart que j’ai le plus prospectés.

 

(1) J’ai rappelé les appréciations des savants étrangers dans mon hommage à 1 abbé Bastin en septembre 1959 lors de l’inauguration d’une plaque à l’Athénée Royal de Malmedy; voir La Vie Wallonne, 33, p. 271-272 (n° 4 de 1959).

 

(p.40) Toutes les plantes caractéristiques de la flore des fagnes n’ont pas un nom wallon. Comme le remarquait Bastin, nos pères n’ont donné des noms aux plantes herbacées que si elles ‘leur sont utiles ou nuisibles, ou bien il faut qu’« elles présentent une particularité remarquable dans leur consti­tution, leur habitat, l’époque de leur apparition, etc.» (Plantes, p. 10).

Si les arbrisseaux et arbustes ont été dénommés, il est pourtant deux arbustes nains de la Fagne qui ne sont même pas distingués : l’andromède (Andromeda polifolia), sous-arbrisseau de 10 à 40 centimètres, de la famille des bruyères et myrtilles ou airelles (c’est-à-dire une éricacée) qui fleurit deux fois en mai et août; et la camarine (Empetrum nigrum), unique représentant dans notre flore d’une famille voisine, sous-arbrisseau de. 20 à 40 centimètres, ressemblant à une bruyère, très rameux, à baie noire d’une saveur désagréable.

 

Mais tenons-nous en aux plantes herbacées.

On n’a pas distingué la trientale d’Europe (Trientalis europaea), jolie primulacée (c’est-à-dire de la famille de la primevère) à fleur solitaire en forme de petite étoile blanche, fleurissant en mai et en juin, plante « arctique-alpine » (-). La pédiculaire des bois ou pédiculaire naine (Pedicularis silvestris) est connue du malmédien (sucète du brèyîre ou sâvadje sucète : Plantes, § 258), comme elle était de Victor Lezaack pour les environs de Spa (ièbe à pious), mais non la pédiculaire des marais ou pédiculaire géante (Pedicularis palustris), formant en juin de petites pyramides florales pourprées dans les fagnes (3).

Quelques plantes qui nous intéressent particulièrement sont classées par Bastin dans le chapitre des plantes médicinales, subdivision : plantes sauvages.

 

Mais la gentiane d’automne (Gentiana Pneumonanthe) elle-même, « qui est l’ornement de nos fagnes à la fin de l’été, passait inaperçue; elle doit sa vogue actuelle comme stomachique à l’ouvrage de Kneipp, Ma cure d’eau». (On a d’ailleurs attribué à notre gentiane bleue les vertus que le prêtre guérisseur bavarois attribuait à la gentiane jaune..) C’est l’attention récente apportée à cette plante qui explique en malmédien l’emprunt du nom allemand Enzian (èntsiyân, et aussi celui du nom français, d’origine savante, jenciane (Bastin, Plantes, § 228) (4). Pour le reste de la Wallonie, je ne lui connais que le nom vague de dés, cité sans localisation par la Flore populaire du Français Eugène Rolland d’après Jules Feller (de Ver-viers).

 

(2) Léon fRédéricq, Guide du Promeneur et du Naturaliste dans le District de Malmedy, 2″ édition, 1924, p. 22. Voir aussi J. bastin et Ch. dubois, Guide du Touriste sur le plateau, de la Baraque Michel et du Signal de Botrange, 1923, p. 24 : « petite fleur remarquable par sa corolle blanche s’échappant de feuilles en rosace ».

(3) Voir bastin et dujiois, p. 13. La liste des noms wallons des plantes des environs de Spa par Victor lezaack a paru en 1885 dans le Bulletin 20 (= 2° série, t. 7) de la Société de Littérature wallonne.

(4) Le dictionnaire inédit de l’abbé pietkin signale janciane.

 

(p.41) On attribue aussi des vertus spéciales à la violette des marais (Viola palustris), violète du fagne en malmédien (5). Mais l’abbé Bastin nous dit que la violette en général, représentée par une demi-douzaine d’espèces, n’est entrée dans la thérapeutique populaire que, grâce à l’abbé Pietkin (Plantes, § 231). Ce qui explique sans doute que je n’ai pas entendu parler ailleurs de cette plante « arctique-alpine ».

 

Le ményanthe trifolié (Menyanthes trifoliata), dit trèfle d’eau, mais qui n’est pas apparenté scientifiquement au trèfle (c’est une gentianacée, donc un parent de la gentiane), est connu traditionnellement pour ses pro­priétés médicinales. L’abbé Bastin les détaille au paragraphe 221 consacré à la trimblène du fagne (ouest de la Wallonie malmédienne : donc à Xhoffraix notamment) ou au pîd-d’-âwe « pied d’oie » (est, y compris Robertville et Sourbrodt), paragraphe, où il est dit du reste que la plante se fait rare (6). La Flore populaire de Rolland dit que la tisane de la trimblène d’ êwe, trimblène du marasse) ou trimblène du fagne, appelée également pîd-d’-âwe, mange le mauvais sang et fait revenir le bon. Lezaack citait non seulement le second de ces noms, mais aussi « triforium » ( = trifôriom’ ou plutôt trifôriyom’?), qui, altéré, est le nom latin du trèfle, trifolium. Comme « souveraine pour le sang », on connaît bien la trimblène du maras’ (ou marasse, car le mot a effectivement les deux genres) à Jalhay et à Sart-lez-Spa (7). A Coo, d’après Defresne (Bull. Soc. Lût. wall, 49, p. 193), on distinguerait la trimblène du jagne, qui serait une variété de trèfle, le trèfle fraisier (Trifolium fragiferum), du trifôliyom, ményanthe trifolié.

Il n’est pas fort nécessaire de redire les vertus de l’arnica des mon­tagnes (Arnica rnontana) (8). Voir les Plantes, § 181, pour l’arnica, dont un synonyme malmédien est sâvadje toûbak. On dit aussi arnica à Stavelot et ailleurs, mais arnica à Coo d’après Defresne (Bull. Soc. Litt. Wall., 49, p. 170, où, en plus de son usage, distillé dans du genièvre, po r’wèri lès côps, on le fume pour raveûr dès bons-oûys « ravoir de bons yeux »), et arnica à Jalhay comme à Verviers. Lejeune, dans sa Flore des environs de Spa, comme Lezaack, signalent oûy-du-boû « œil de bœuf » ; de même parfois oûy du boù à Coo, d’après Defresne, oûy-di-boû d’après les Recherches statistiques sur

 

(5) Voir bastin et Duuois, p. 12 : Au printemps, « apparaît la petite violette des marais, timide, pâle, inodore ».

(6) Le Guide du, touriste, p.  13, dit qu’en juin, « dans les marais, le ményanthe dresse son thyrse blanc-rosé rappelant la fleur du marronnier ».

Voir, d’autre part, la mention dans un remède « pour une bête qui a froid » de « pi d’aoie » à Bellevaux, glosé pîd-d’-âwe ou trimblène du fagne par H. cunibert, Folklore Eupen-Malmedy-Saint-Vith, 4, p. 20.

Le lexique de pietkin cite pîd d’âwe, synonyme de trimblène du fagne. Pour Malmedy même, bastin fournit pld d’âwe comme désignant Fépogode podagraire (§ 239), dorme aussi pour cette « herbe-aux-goutteux » par Lezaack (synonyme pate d’âwe » et par Defresne ; le synonyme pîd-d’-gade — qui correspond au grec égopode — est employé « aux villages » d’après Bastin. J’ai relevé pîd-d’-âwe pour Sart-lez-Spa.

(7) Nous rendons par é romain dans l’italique le son bref intermédiaire entre i et é de Jalhay et de Sart-lez-Spa, dans trimbléne  (prononcé trébléne, avec é long dans la première syllabe, à Jalhay, et trêbléne, avec ê pur, à Sart-lez-Spa), dans bosséne, etc.

 

(p.42) la province de Liège de Courtois, oûy-di-boûf dans le Dictionnaire français-liégeois de Haust, etc. Le Guide du touriste de Bastin et Dubois attribuait ce nom d’« oeil de bœuf » au grand capitule de l’arnica, mais le volume des Plantes ne corrobore pas son emploi pour le malmédien (8). Dans notre documentation, d’ailleurs fort fragmentaire, il faut descendre jusqu’au sud de l’arrondissement de Bastogne, à Vaux-lez-Rosières, pour rencontrer le type « tabac à Jacques », toubak à Djâke, qui doit exister aussi en gaumais. Une seule autre dénomination m’est connue : « fleur de tonnerre », fleûr di tounîre, relevé par Haust à Grandménil.

 

Ce n’est pas le latin des pharmaciens qu’il faut invoquer, comme pour trifolium et arnica, à propos du nom local du méon athamante (Meum athamanticum). Cette « ombellifère à odeur pénétrante qui, avant l’intro­duction des engrais chimiques, formait le fond de beaucoup de prairies maigres » et qui trouve plus d’un emploi dans la médecine (y compris la médecine vétérinaire) s’appelle bêrwis’ en malmédien (connu déjà de Villers, pour Malmedy, en 1793, sous la forme bêwris’; cf. Plantes, § 197) et bêrwis aussi de la région spadoise (Lezaack) à la région salmienne (Bovigny, où un lieu-dit ozès bêrwis’ a été relevé) et même à Gouvy-Limerlé (9). C’est un emprunt à l’allemand Bärwurz « racine d’ours ». Cette plante de montagne qui manque dans le Nord de l’Europe, n’est, d’après Léon Fre-déricq, pas très commune au plateau de la Baraque Michel — ce qui expliquerait que je n’en ai pas entendu parler à Jalhay et Solwaster —, mais elle abonde dans les vallons herbeux des bois d’Elsenborn, du Losheimer-wald, des environs de Saint-Vith, etc., — ce qui explique aussi l’emprunt du terme germanique. (10). Lejeune, Lezaack et Defresne lui donnaient le nom de rècène du fagne, c’est-à-dire « carotte de fagne », que citaient aussi Bastin et Dubois dans le Guide du touriste, mais que le. livre sur les Plantes ne confirme pas non plus pour le malmédien (11).

 

Au chapitre des plantes fourragères (§ 133), l’abbé Bastin oppose au bon foin, bon foûre, le foin des fagnes, foûre du fagne, dit « sur foin » (foin aigre), sor foûre dans l’ouest de la Wallonie malmédienne (communes de Bévercé, Malmedy, Bellevaux-Ligneuville), seur foûre à l’est (Robert-ville-Sourbrodt, Waimes, Faymonville) ; ce dernier, recueilli dans les par­ties marécageuses, était jadis la nourriture principale du jeune bétail, des bœufs et des moutons.

 

(8)  Cf. bastin et dubois, p. 13 :  La linaigrette « est à peine défleurie que la Fagne se colore d’un jaune vif, du jaune orangé des arniques. Toute la plante, mais spécialement son grand capitule, que le Wallon appelle oeil-de-bœuf (û, ou oûy-du-boû), dégage une odeur forte qui provoque l’éternuement ».

(9)   Le lexique de Pietkin cite bêrwis’.

(10)  L. frédéricq, ouvrage cité, p. 20.

(11) Cf. bastin et dubois, p. 13 : L’odeur de l’arnica « se marie avec l’arôme puissant du méon ou rècène du Fagne : ainsi le nomment les paysans à cause de ses feuilles découpées en lanières et de sa racine pivotante qui les font penser à la carotte». lejeune parle aussi de « galante », qui est le nom de la bryone dioïque, (galante), inconnue en malmédien, mais Lezaack entend par là l’inule aunée.

 

(p.43) Plus loin, l’abbé Bastin revient en détail sur la sore wêde, « sure herbe» ou le sor jours (§ 142). Ce foin, constitué notamment de carex, de scirpe et de jonc, est fourni par les fonds marécageux à l’intérieur du pays, mais surtout par les hauts marais. L’abbé rappelle alors le rôle d’immense pâturage pour moutons et bêtes à cornes joué naguère par la fagne propre­ment dite. Les troupeaux ont disparu de la Fagne, les résineux ont envahi les parties les plus sèches, la transhumance — ou plutôt l’estivage — n’existe plus que dans le souvenir des vieux. « Cependant les riverains de la Fagne vont encore y recueillir chaque année quelques charretées de mauvais foin, afin de s’assurer contre un printemps tardif ou suppléer à l’insuffisance du bon foin » : « S’ i n-a rârité d’ foûre, qwand même queu l’ fâ n’ rapwètereût qu’ one gueûlée d’ moton, i vât l’ soy (Longfaye) (12) ; lu foûre du fagne su sôye à dobe andin, ô nu l’ prind nin à rés’ du tère, à câse do mossê, ô l’ sopetô (on l’étête) pus vite et on teûse («toise») lâdje (Xhof-fraix) (13).

 

Le sor foûre est naturellement connu au-delà de la Vecquée et de la Remouspine, mais si l’on prononce ainsi à Stavelot, on allonge normalement la voyelle o à Francorchamps et La Gleize, tandis qu’à Sart-lez-Spa et Jalhay, on dit seur (et dès seurès wêdes y équivalent à dès seurs foûres). Plus loin des Hautes-Fagnes, voyez on sor pré « un pré dont l’herbe est sure et drue, mauvaise pour le bétail, ce qui est ordinaire dans les terrains fangeux; le contraire est on bon pré » à Erezée, dans le Vocabulaire du faucheur par Victor Collard (Bull, de la Soc. de Litt. wall, 55, p. 449).

On dit aussi certes foûre du fagne, opposé à Jalhay à foûre du pré (le pré étant normalement dans la région la prairie des fonds humides, servant de prairie de fauche, opposé au tchamp, pâture sèche), mais il faut noter qu’à Jalhay la première expression, par un raccourci remarquable, se dit foû d’ fagne : on va â(s) foû(s) d’ fagne; lès seurs foûres, c’ èst lès foûs d’ fagne.

 

Les gens de Jalhay ne se contentaient pas des fagnes de leur com­mune; avant le boisement systématique de la forêt sur Membach, ils y louaient des cantons d’ foûre pour plusieurs années; certains ont conservé longtemps le nom des habitants de Jalhay qui les louaient pour la fauche pendant plusieurs années successives (cf A. boileau, Enquête dialectale sur la toponymie germanique du Nord-Est de la Province de Liège, p. 380, note). Le foin de fagne, moins dru, ne se. fane pas sur tout le terrain fauché : on le ramène en « plaques étendues » dites hognes : dj’ a co deûs hognes à r’lèver, dit-on à Jalhay et à Solwaster-Sart. Le mot est l’équivalent du malmédien hougne signifiant notamment : « lit de foin ramassé sur la prairie : quand le foin est peu dru, au lieu de l’éparpiller sur tout le terrain, on le groupe en une hougne » (cf. Bastin, Plantes, § 134).

Deux graminées caractéristiques de la Fagne portent un nom wallon, dit l’abbé Bastin, la molinie et le roseau.

 

(12) Pour l’emploi de « valoir » et l’infinitif (de même ailleurs en Ardenne r i vât l’ lîve, ci lîve-là, etc.), voyez littré, valoir: 3°: «tournure excellente, peu usitée aujourd’hui, mais qui mérite de l’être beaucoup ».

(13) Infinitif teûser « toiser, mesurer »  (Malmedy : villers;  Faymonville, etc.).

 

(p.44) La molinie bleue (Molinia caerulea) est dite wêde dè boû « herbe de bœuf » à Sourbrodt, wêde du torê « herbe de taureau » à Bernister, ailleurs simplement fènèsse du fagne; au pays de Stavelot, on l’appelle pouf (14). Les touffes épaisses qu’elle forme à la longue dans les endroits non exploités •et qui empêchent une marche aisée, ont reçu le nom de tièsses « têtes » du boû ou tièsses du torê. Les tiges ont été recherchées comme fènèsses du froumadje et, plus récemment, utilisées à Botrange, pour la confection de petits paniers de luxe. D’avance lès p’titès djins ripint lès bètchètes djus dès slos po lès sièrvi èzès lèts o l’ plèce du payes (Bernister)

 

(14) (Bastin, Plantes)

 

Pouf — qui est identique, au franc, pouf « gros tabouret » — est glosé aussi pour La Gleize « grosse touffe d’herbe raide et sèche qui croît surtout dans les fagnes » : aler qwèri dès poufs po fê dès payîs, pour faire des matelas; leû tchamp est plin d’ poufs (L. remacle, Bulletin du Dictionnaire wallon, 18, p. 101).

Les termes de Jalhay et de Sart sont différents. La molinie s’appelle dans la première de ces communes la burnie wêde, tandis qu’à Solwaster-Sart on dit beurnée wêde (plutôt que burnée wêde, comme a transcrit Wisimus) : lès pièces quu l’ foûre n’èst né si clér (est plus sombre), c’est dèl burnie wêde (Jalhay). Les touffes de molinie s’appellent à Jalhay tièsses du mwérts « têtes de morts » : dju ma trèbouhi so ‘ne tièsse du mwért ; en parlant de la mode féminine des cheveux coupés, un homme m’a dit un jour : qwand ‘le nu sont né pégnies, tu direûs tot tièsses du mivérls du so l’ long-tchamp (du lieu dit Longchamp, sur Membach). Les feuilles séchées de l’année pré­cédente, lès fanes, de la molinie s’appellent fégnons à Jalhay, fêgnons (ê pur, non teinté de a) à Sart-Solwaster, ce qui représente un type fingnon dénasalisé (diminutif de fin.ne, qui sous la forme jéne, désigne à Jalhay le feuillage des graminées, « le bout — lu cwérp — de l’herbe », qui porte l’épi) : les bûcherons, scieurs de long, charbonniers ou tourbiers, qui logaient en fagne ou dans les bois dans des huttes dites lôdjes, dormaient sur des fégnons aussi bien que sur des herbes de l’année.

Reste à expliquer burnie ou beurnée wêde. S’il n’y avait que la pre­mière forme, on songerait à burni (Jalhay), beurni (Sart-Solwaster) appliqué à une couleur passée, défraîchie, souillée (d’un chapeau de paille, faux-col, tablier, tapis, papier, etc.), littéralement « bruni ». Mais burnie, dans le nom de la molinie, doit être pour burnée, qui représente vraisemblablement un type «brené, brané », de la couleur du son, «bren» ou «bran» (16).

 

(14) Le Guide du touriste sur le plateau du la Baraque Michel et du Signal de Botrange par les abbés J. bastin et Ch. duBois, 1923, p. 13, signale comme en pleine croissance, au mois de juin, parmi les graminées Je la flore fagnarde, la molinie bleue, aux particules bleuâtres, violacées même, donnant « une herbe abondante, qui est très recherchée du bétail passant la belle saison en Fagne ».

(15) Remarquer « servir qch.» emploi transitif courant en malmédien, équivalent à « se servir de qch. ».

(16) Voir Bull. Commiss. Roy. Top. et Dial, 8, p. 430, et 22, p. 457, corrigeant le Bull, du Dict. wall., 18, p. 17, et le Dictionnaire verviétois de wisimus.

 

(p.45) A propos de l’emploi des tiges de molinie dans la fabrication du fromage, voyez S. Randaxhe (BuU. Dict. wallon, 5, p. 53) : le fond du baquet où l’on verse le lait caillé est garni de f’nèsses (herbe aux pipes, Molinia caerulea), dont les tiges longues de plus d’un mètre et sans nœud facilitent l’écoulement du ‘petit lait. Noter la forme f’nèsses du pays de Hervé, oriental, usitée aussi à Sart-lez-Spa en parlant des hautes graminées en général, d’où s’nèfes à Jalhay : au lieu de paille, on employait aussi des s’nèfes po fé dès papes po mète à lès tûlès, pour faire des torchettes pour mettre aux ( = sous les) tuiles; on-z-è met avou d’vés lès boûkèts, dans les bouquets (Jalhay). Les fènèsses « hautes graminées des bois » remplaçaient parfois également la paille pour la confection des paniers et autres récipients, à La Gleize (L. remacle, Le Parler de la Gleize, p. 188) ; le paysan se sert des f(è)nèsses pour déboucher son tuyau de pipe, et quelquefois les tisse, disait A. Body (Bull. Soc. Litt. watt., 20, p. 75) ; c’est sans doute surtout de la molinie qui entre dans la confection des paniers en graminées exécutés à Stoumont pour le Musée de la Vie Wallonne.

L’autre graminée citée par Bastin (Plantes, § 144) comme caractéris­tique de la Fagne est le roseau, mais en fait il est plutôt rare, nous dit-on. On lui donne le nom de boulâr-règon à Sourbrodt, boulâ-r’gon, boulé-r’gon, broûlé-r’gon à Longfaye. Ces noms s’appliquent surtout à l’alpiste roseau (Phalaris arundinacea L ou Baldingera arundinacea Dum.), mais également au phragmite commun (Phragmites communis), lequel foisonne dans les étangs de Stavelot, où on l’appelle nunu.

 

Les dénominations de Sourbrodt et Longfaye font allusion au nom du seigle, r’gon. Mais que signifie la première partie de l’appellation ? Je ne trouve à comparer que boulârd « goinfre, glouton » à Jalhay (comparer boulavale « id. » relevé par Haust à Malmedy, croisé avec l’ordinaire gala-vale) ; il s’agirait donc d’un seigle gourmand.

 

Dans le voisinage, le roseau est mal connu, hormis nunu (d’êwe) à Stavelot et nunu à Francorchamps, terme d’origine enfantine (les enfants vendent les roseaux en botte comme plante ornementale). On répond parfois cladjot ou clèdjot, mais il doit s’agir en général de l’iris ou de la grande berce. Lezaack disait rosê « Phalaris arundinacea ».

Dans le dernier chapitre de son livre, intitulé « Autres plantes », l’abbé Bastin a groupé six autres «plantes de la fagne » (§ 320). Passons-les en revue.

 

Le jonc rude (Juncus squarrosus) est en malmédien — au moins dans les villages où l’on fréquente régulièrement la Fagne (restriction qui vaut aussi pour la plupart des noms suivants, noms qu’on chercherait en vain dans les glossaires de Malmedy) — le rèton : ô s’ è siêrt po dèstoper lès tuwês d’ pupe (Sourbrodt) (17) ; à Ovifat, un endroit est dit so lès rètons (18) — L’abbé Bastin séparait ce jonc des fagnes du jonc en général (§ 264), dit

 

(17) Remarquer ici  « se  servir de  qch. »,  non « servir qch. », comme plus haut.

(18) Le Guide du touriste par bastin et dubois, p. 14, mentionne comme la plus remarquable des joncées le jonc rude « dont les tiges arquées, terminées par un paquet de fleurs brunes, refoulent les autres plantes autour d’elles et forment comme une corbeille ronde largement ouverte ».

 

(p.46) djonc, « la plante la plus mal famée de nos prairies humides à sous-sol imper­méable », dont tout le mérite — outre son emploi autrefois pour la con­fection sur place de chapeaux — consistait à amuser les vachers ou « her-diers », qui en faisaient des cannes, fouets, pipes, tresses, chaises (tchèyîres du tchèt), etc., et en fumaient les tiges.

 

A Jalhay et à Solwaster-lez-Spa, on parle aussi de rèton, mais plutôt que le jonc rude (comme je l’ai laissé dire dans le Dictionnaire français-liégeois sous l’influence des Plantes de Bastin), on doit désigner par ce mot la laîche ou carex, dont les flores signalent plusieurs variétés dans nos Hautes-Fagnes, en précisant d’autre part que l’espèce présente de nombreuses variétés formant entre elles de nombreux hybrides (19). Voyez aussi Albin Body, Vocabulaire des agriculteurs (Bull. Soc, Litt. wall., 20, [= 2e série, tome 7], 1885), p. 158 : « reton, herbe courte et fine qui croît dans la bruyère, et sert de fine litière », avec localisation à La Reid ; — et Victor Lezaack, Noms ivallons des plantes des environs de Spa (ibid.), p. 228 : « retton », carex palustris, jonc des marais»; mais cf. p. 222, djonc rendu par carex (en latin), jonc (en français), comme, p. 241, «jonc» français rendu par djonc jon »).

 

Il faut ajouter qu’à Jalhay et à Sart-lez-Spa, on distinque deux sortes de joncs : les « vides » et les « pleins », lès vûs djoncs, lès plins djoncs (20) : les vaches, dit-on, préféreraient les premiers (alors que, § 138, l’abbé Bastin cite le jonc parmi les rares plantes des prairies humides auxquelles les vaches ne touchent pas).

Le terme rèton n’apparaît pas ailleurs.

La racine du mot se trouve, à mon avis, dans un nom de roseau dans les parlers germaniques : riet. On notera que l’allemand luxembourgeois ritt, m. « roseau commun » a pour synonyme lösch, qui signifie aussi « carex » et qui est d’ailleurs le même mot à l’origine que le français laîche « carex », bien connu aussi sous la forme lèche au pays gaumais et parfois dans le pays de Neuf château.

 

La linaigrette est « la plante cocarde des Fagnards » (une main pieuse en avait déposé une sur le lit mortuaire de l’abbé Bastin, qui l’emporta dans la tombe). On note qu’elle se conserve en bouquet d’une année à l’autre et même plusieurs années (mais il faut demander aux amateurs de ne pas en dépouiller trop avidement nos fagnes). C’est en malmédien le tchètou : i n-a l’ simpe (Eriophorum vaginatum) et l’ dobe (Eriophorum angusti-

 

(19)  bastin  et dubois,  dans leur Guide du touriste, p. 12, citent parmi les cypéracées les plus caractéristiques le carex précoce  (avec le scirpe gazonneux et la linaigrette uniflore) : « Quand l’hiver a été clément, dès la fin de mars, les plateaux tourbeux de la Baraque se couvrent d’une végétation de carex ou laîches au teint ocreux (Carex  praecox).   Elle  passe  rapidement,  comme  un   coup  de  cloche,  annonçant  le retour du printemps. » Remarquons que la flore de Goffart remplace la dénomination de Carex praecox Jac. par Carex caryophyllea Lat.

(20) En cette position, prononcé plé djon à Jalhay, plê (-ê pur) à Sart.

 

(p.47) folium ou polystachum), selon que l’épilobe terminal est solitaire, ou non (21). Les pousses tendres qui apparaissent dès le mois de mai s’appellent nâlis à l’ouest de la Wallonie malmédienne, lânîs à l’est (comme les lanières de cuir des gros, souliers, etc.) ; elles «s’extraient du gazon tourbeux comme des asperges. Cerfs et chevreuils en font leurs délices. »

Le terme tchètou est connu dans les environs : Louis Remacle l’a relevé à La Gleize : on buskèt d’ tchètous (Bull. Dict. Wall,, 18, p. 109). Mais Sart-Solwaster emploie une forme féminine : tchitoûle, à Jalhay tchitchoûle. Comparez Lezaack, p. 241 : « Linaigrette, tchètout et tchi­toûle », ces deux mots figurant déjà, p. 230, rendus par « Eriophorum angus-tifolium, linaigrette ». La pousse tendre s’appelle également nålî (ou nåli, avec l’abrègement normal de la voyelle longue à la pause) à Jalhay, où j’ai pu constater que certains ne paraissaient pas savoir que nålî et tchitchoûle s’appliquaient en fait à la même plante (22).

 

Faute d’avoir eu l’attention attirée sur la forme tchitoûle, Haust, dans le Dictionnaire Liégeois, classait tchitchoûle avec un homonyme ardennais signifiant «pleurnicheuse» (variante tchâtchoûle). Mais en fait tchi­tchoûle, nom de la plante, est altéré de tchitoûle, diminutif de tchète « chatte », avec passage de è à i comme dans bètchou, tchènou, etc., devenus bitchou, tchinou,… à Jalhay et à Sart. Le correspondant masculin attendu serait *tchètou, (comparez fiyoû, fiyoûle «filleul, filleule»), mais tchètou est formé comme minou « minon, (jeune) chat; chaton (de noisetier,…); etc. ». Quant à tchètrou employé par Henri Bragard pour nommer l’héroïne de sa pièce On djoûr ol fagne… Tchètrou (Ârmonac Walon <£ Mâm’dî, 1939, édit. Chantecler), c’est une variante (altérée) de tchètou, comme l’indiquent bien les linaigrettes représentées devant la croix sur le dessin de la page 7. Mais tchètou assimilé à minou et tchitoûle « petite chatte » n’ajoutent-ils pas au charme de la fleur des Fagnards ?

 

On connaît peu d’autres noms. A Bihain., on m’a fourni du l’ blanke ploumée « de la blanche plum-ée », allusion aussi au plumet de la fleur; comparer dès cotons, que, d’après le curé Jacquet (interrogé par l’entremise de l’abbé R. Maréchal), on emploie à Vance (au pays gaurnais) (23) ; certains témoins de Vance diraient aussi « tchavous d’ bon Dieu », assurant qu’en Ardenne luxembourgeoise on connaîtrait de même « tch’veûs d’ bon

 

(21) Cf. bastin et dubois, Guide du touriste, p. 12-13 : « Les linaigrettes n’ont pas attendu si longtemps [c’est-à-dire juin’) pour inonder le haut plateau de leur couleur blanche. L’espèce uniflore domine ici, alors que, ailleurs, on doit la chercher parmi les linaigrettes à plusieurs houppes ».

(22) Parce que Le Dictionnaire Liégeois, tchitchoûle, a renvoyé pour l’étymologie (de tchitchoûle « pleurnicheuse ») à tchâtchoûle « femme pleurarde » et à tchitchà « homme puéril », M. dahmen, Les Noms Wallons des Plantes, 1937, p. 39 (Extrait du Bull, des Botanistes Liégeois), fait de ces deux noms des synonymes de tchitchoûle « linaigrette » !

(23) Vance, dont les habitants sont blasonnés lès troufîs, est bien connu pour ses tourbières.

 

(p.47) Dieu, », cette appellation  « cheveux de bon Dieu »  étant à rechercher sur place (24).

 

Le nard raide (Nardus stricta) est à Sourbrodt le sêron et à Faymon-ville et Bernister, la bâbe du gode « barbe de chèvre ». L’abbé Bastin remar­que que cette graminée aurait pu être rangée parmi les plantes mal famées; car, outre qu’elle donne un fourrage très médiocre, elle glisse sous la faux et se relève après son passage. (24).

 

A Jalhay, le nard raide est dite la bosséne; à Solwaster-Sart, c’est le blanc po. Dans cette dernière expression, po a le sens de « brin (d’herbe) » bien connu en Ardenne liégeoise : on po d’ wêde. Le terme précédent est identique à bosséne qui, à La Gleize, désigne une herbe des bois et des prairies que les vaches dédaignent et qui doit être la canche gazonnante (Deschampsia caespitosa) dont parle l’abbé Bastin (§ 256) : celle-ci est l’a d’ tore « œil de taureau » de. Malmedy, Bernister, Xhoffraix et Belle-vaux (et de même à Beaumont et Francheville, sous Stavelot), le bossèt d’ tchén « touffe de chien » à Waimes et Sourbrodt, auquel correspond houssèt d’ tchin à Pont-Ligne.uville ; c’est la tièsse du tore à Robertville, le dorèt « dur-et » à Burnenville. Mais Lezaack (ouvr. cité), p. 215 et 238, rendait bosséne par « fétuque » (Festuca uliginosa : désignation que je ne trouve pas dans nos flores), la fétuque étant, d’après l’abbé Bastin (§ 138), comme le pâturin et la flouve odorante, une composante des prairies natu­relles donnant un excellent pâturage, mais qui n’a pas reçu de nom wallon, du moins au pays de Malmedy ; elle, est toute différente de la canche gazonnante, qui « non seulement se rencontre dans les bois humides, mais constitue une peste aux environs des habitations », des prairies entières en étant infestées, si bien qu’on essaye de détruire à l’eau bouillante ou même à la kaïnite cette plante dédaignée par le. bétail à cause de sa dureté.

 

Le type bosséne, bossine, dérive de bosse, comme bossèt « touffe (d’herbe) ». Il est attesté en toponymie dans ozès bassines à Thirimont, èzès bassines à Meiz comme dans èzès bossénes à Francorchamps, et aussi dans so lès bossénes à Esneux, plus d’autres encore (et un diminutif èl bos-sinète à Sprimont). L’abbé Bastin était tenté de voir dans les attestations de la toponymie malmédienne le souvenir d’un ancien nom local de la canche gazonnante, ce qui est possible, mais on a vu que les noms de ce type peuvent passer d’une espèce, à l’autre. (Pour l’ensemble du domaine wallon, il faut aussi tenir compte de sâ-bossène « saule aquatique » dans Courtois, Grandgagnage, Lezaack, etc., sâ-bosséne à Conthuin.)

 

(24) Exceptionnellement, citons ici les noms de Rob. Boxus, La Flore médicale wallonne, 1939 : Un d’ maras” pour Eriophorum angustifolium, et pwate-lin.ne pour Eriophorum latifolium. Mais, comme toujours, Fauteur est avare de précisions qui nous apprendraient quels Namurois (au sens large) savaient si bien distinguer ces variétés. Ce qu’on sait des procédés de l’auteur n’est pas pour inspirer confiance.

(25) Le Guide du touriste, de bastin et dubois, p. 13, cite le nard raide comme l’une des deux graminées spéciales à la faune fagnarde en pleine croissance en juin : « reconnaissable à ses épillets unilatéraux », elle « forme des touffes dans lesquelles la faux du paysan, glanant les herbes de ces hauteurs, aura de la peine à mordre ».

 

(p.49) On retrouve le type « œil de taureau » dans û d’ torê à Bovigny («dans les fagnes»), à Burnon-Hollange (Hollange même employant l’équi­valent û d’ gayèt) et à Hompré («dans les prés»), oûy di torê à Erezée (synonyme seûs d’ pourcê « soies de porc ») ; on connaît la variante, cou d’ torê « cul de taureau » à Grandménil comme à Sprimont. A Erezée, cette plante est décrite comme poussant dans les prés où elle « ennuie fort le faucheur » : avec ses touffes aux brins serrés comme des pinceaux, très dure, elle glisse souvent simplement sous la faux (V. collard, Bull. Soc. Lût. Wall., 55, p. 429 et 446-7). A Erezée, on la distingue de la bâbe di gade, plante « qui se suspend à ses voisines » et qui gêne le faucheur en s’enrou­lant autour du pleyon de la faux ; celle-ci, rappelant la garance, serait le gaillet (Galium) (cf. ibid., p. 429 et 441). Cependant, à La Gleize, bâbe du gade et bossène seraient synonymes (cf. L. remacle, Le Parler de La Gleize, p. 142).

On notera que sêron de Sourbrodt reste isolé et inexpliqué (lire sêron ou cêron ?).

 

Le narthécie ossifrage ou brise-os (Narthecium ossifragum) s’appelle d’ordinaire en malmédien le brakèt et quelquefois le lis’ dès fagnes (c’est une liliacée). Sa présence est l’indice d’un endroit très marécageux, d’one poûrie fagne, dit-on à Sourbrodt : wice què l’ brakèt crèt, l’ boû n’ î va nin, et à Xhoffraix : wice quu l’ brakèt crèt, i-gn-a dol troufe. Cette plante est vénéneuse et elle a déjà été fatale au bétail, dit-on à Thirimont (26).

Il s’appelle, aussi brakèt à Jalhay et à Solwaster (Sart-lez-Spa) : wéce quu l’ brakèt crèt, i n’ fåt nin aler avou l’atèlée, dit-on à Jalhay. Il porte ainsi le même nom que le « braquet », petite scie à main (et aussi, à Jalhay, arme du pêcheur al loumîre, espèce de latte qui sert à maker lès treûtes, assommer les truites). Scius, à Malmedy, signale brakèt « braquemart, ancienne épée courte et large ».

Notons le seul autre nom wallon connu du narthécie : djène djacinte (ou jacinte ?) d’après Courtois.

 

Le rossolis à feuilles rondes (Drosera rotundifolia) ne porte un nom wallon qu’à Ovifat : ièbe du torê « herbe de taureau ». Ce nom s’explique par la réputation de provoquer le rut : cette herbe su dène azès vatches po lès fé louzi (ce qui permet à Bastin de suggérer une explication d’une dénomination flamande loopigkruit; voir aussi taurelière, torleysse dans les Vosges, etc.) (27).

 

(26) Cf. bastin et dubois, Guide du, touriste, p. 13 : Au milieu de cette mer de verdure émergent les hampes fleuries de jaune du narthécie ossifrage, le lis des Hauts-Marais. Le paysan sait que là où pousse cette plante, lu brakèt, en wallon, il ne doit pas s’aventurer avec son attelage. » Voyez aussi Léon frédéricq, Guide du Prome­neur et du Naturaliste dans le District de Malmedy, p. 20 et 22 : « Petite liliacée à tige dressée, portant un épi de fleurs jaunes, très commune dans les endroits les plus humides de la fagne, fleurissant en juillet. Plante arctique-pyrénéenne, manquant dans les Alpes. »

(27) dahmen (cf. ci-dessus pour la linaigrette) traduit « rossolis, rosée du soleil » par rozêye dè solo, ce qui rend simplement le nom latin ou transpose son corres­pondant français.

 

(p.50) Le silence de l’auteur sur les propriétés carnivores de la plante (absorp­tion d’insectes emprisonnés par les poils des feuilles) montre qu’on les ignore sur place, comme dans les environs, où je n’ai pas enregistré de nom wallon (28).

 

Le scirpe gazonneux (Scirpus caespitosus) se dit en malmédien la brène du fagne, avec pour synonyme, à l’ouest, le porê d’ fagne, à l’est, la porète du fagne. Le terme brène (variante brèle à Meiz, breune à Longfaye) désigne proprement la ciboulette (type ancien brittula du wallon, d’une partie du picard et de l’est de la France). Quant à porê et porète, il ne faut pas s’étonner de les trouver comme pendants, puisque l’un et l’autre dési­gnent en malmédien le « poireau », soit à l’ouest, soit à l’est (plus porète du pré pour les feuilles du colchique à Ondenval; voyez Bastin, Plantes, § 126, 236 et 320) (29). Comparer sâvadje porê chez Lezaack, traduit par « scirpe des marais ».

 

Une graminée dite brène à Lodomez-Stavelot doit être aussi le scirpe gazonneux. Mais celui-ci est appelé porète à Jalhay, où ce mot n’est pas la traduction de «poireau», mais celle de «ciboulette» (synonyme pour cette dernière brène à Jalhay, brèle à Sart). Cependant, à Sart, à tout le moins au hameau de Solwaster, le scirpe gazonneux s’appelle la breûsse « brosse », tandis que le nom de la porète « ciboulette » s’applique à une autre graminée, la canche flexueuse (Deschampsia flexuosa). Comparer porète à Coo, d’après Defresne : « herbe des bois non fleurie : on va riper (couper à la main) lu porète â prétins (Bull. Soc. Lût. Wall., 49, p. 189).

 

C’est la canche flexueuse qui est appelée à Sourbrodt bâbe dè gade, seul nom fourni par Bastin (§ 140) pour la canche dans une énumération de graminées (non spéciales à la fagne : la canche. flexueuse, disent les flores, pousse dans les «bois, rochers, pelouses siliceuses»). On peut voir ainsi que l’expression « barbe de chèvre » a pu être jugée convenir pour une graminée « flexueuse » comme pour le nard « raide » et pour la dure canche gazonnante (outre le gaillet sans doute à Erezée; et voyez encore bâbe du gade à Coo d’après Defresne pour l’Aruncus silvester ou « barbe de bouc » ordinaire, et bâbe du gade en spadois d’après Lezaack pour la spirée ulnaire ou reine des prés.) (30)

 

(28) Le Guide de L. frédéricq, p. 22, notait : « Les plantes carnivores, Drosera rotundifolia et intermcdia sont communes sur la fagne», mais la flore ds Goffart, après celle de Crépin, dit la seconde variété de cette espèce croissant dans les marais tourbeux, ordinairement sur les sphaignes, plus rare que la première. De même le Guide de bastin et dubois, p. 14, mentionne comme herbacées à rechercher le rossolis à feuilles rondes «et surtout la rossolis à feuilles dressées (D. intermedia), deux petites plantes insectivores assises sur la mousse ».

(29)  Le Guide de Bastin et Dubois, p. 12, signale, après la floraison du carex, la sortie du sol, « raides et drus comme les poils d’une brosse », des « tiges vert-pâle du scirpe, que termine un épillet brunâtre », mais « ce n’est qu’en juin que le scirpe gazonneux — lu brène  (la ciboulette)  dès Fagnes, disent les paysans — atteint tout son développement ».

(30)  Cf.   bastin,   Plantes, § 274 (parmi  les plantes ornementales de   jardin). Spirée aruncus,  bâbe-du-bo (mais la flore de Goffart distingue l’espèce Aruncus de l’espèce Spirée).

 

(p.51) Moins imagée, mais peut-être plus adéquate est l’appellation de la canche flexueuse à Jalhay : le doûs « doux ». Ce sont, y dit-on, lès s’nèfes dè doûs qui constituent ce qu’on dénomme « le brun foin », lu brô(n) foûre.

Sur le scirpç gazonneux, comme sur la canche flexueuse, c’est tout ce que je puis citer. Mais il faut dire qu’on est bien loin d’être renseigné ailleurs comme pour le pays de Malmedy. A l’intérêt d’une flore riche et parfois spéciale, celui-ci a ajouté la chance d’être exploré par un dialec-tologue qui était venu de la botanique à la linguistique et au folklore, un de ces rares spécialistes que ne déroutent pas trop les « pattes de chat » et les « langues de bœuf » et autres appellations plus ou moins interchangeables qui font renoncer tant d’autres à explorer la flore populaire.

 

Elisée Legros, De quelques plantes dénommées par rapport au diable, in: PSRM, 2, 1963, p.51-68

 

Il n’y a pas de région wallonne pour laquelle on possède sur Torchis autant de renseignements que la région de Malmedy prospectée par l’abbé Bastin (Plantes, § 314). Il s’agit surtout de Torchis taché (Orchis maculata) et de Torchis à larges feuilles (Orchis latifolia), plantes des prairies et bois humides, à feuilles maculées, à « fleurs lilas ou rosées, parfois blanches, ponc­tuée? de pourpre », à odeur faible, pour la première, ou à 4 fleurs purpurines ou violacées, rarement carnées ou blanches, pour la seconde; ces variétés, fleurissant respectivement en juin-juillet et en mai-juin, sont d’ailleurs, d’après les flores, les plus communes avec l’orchis bouffon (Orchis Morio) et l’orchis mâle (Orchis mascula).

Bastin a relevé les noms clé-d’-sint-Pîre « clé de Sl-Pierre » à Ondenval, d’après l’époque de la floraison, clé (ou fleûr) dè Sacrèmint, ‘clé’ (ou ‘fleur’ ) ‘de Sacrement’, à Sourbrodt, vu l’emploi en jonchée devant le St-Sacrement porté en procession, et sîsète ou « fleur des veillées » (sîses) à Ovifat, ce qui ne se comprend que par comparaison avec le colchique d’automne, véritable sîzète devenue à Ovifat sîsète dè wayén ‘s. de regain’ (Cf. Bastin, § 230). Pour l’image « clé », voir ici Tan dernier, p. 78 : ‘clé-Dieu’ et ‘clé de paradis’.

Il faut surtout retenir le nom de Faymonville, Waimes et Bellevaux, min-do-bon-Djû [à Bellevaux, Dju] èt pîd-do-diâle ‘main du bon Dieu et pied du diable’.

 

Bastin explique bien la dénomination : « Les gamins déterrent la plante pour s’assurer de la présence de deux tubercules, celui qui a donné naissance à la plante de l’année, et celui dont sortira la plante de l’année prochaine. Le premier est ridé et de couleur foncée : c’est lpîd do diâle; le second est plein et de couleur claire : c’est l’min do bon Djû. Ces appellations s’appli­quent surtout à Torchis taché et à Torchis à larges feuilles, dont les tubercules sont palmés. Les Allemands donnent au premier le nom de Muttergotteshändchen ‘menotte de la mère de Dieu’.

Pour l’Ardenne liégeoise proche, je ne connais qu’un pendant : min-dâ-bon- Dju-èt-pîd-do-diâle qu’on m’a fourni à Logbiermé-Wanne, plus, en raccourci, pate-dè-diâle « patte du diable » donné avec un peu d’hésitation à Stoumont. Rien de semblable dans Lezaack pour la région de Spa; rien, même absolument, dans Defresne pour Coo (Stavelot) et ses environs.

 

(p.78) Lezaack (Bulletin Société Littérature Wallonne, 20, 1884, pp. 217 el 243) men­tionnait côkêcoûk, c’est-à-dire « coquerico », pour l’orchis maculé dans la région spadoise, ce qui est encore fourni par Wisimus pour Verviers. Ce doit être aussi le sens donné au mot chez Michel Pire, originaire de Stembert, dans une pièce de vers du 11′ Annuaire du Caveau verviétois, p. 260.

 

Ailleurs, en Wallonie, signalons quelques dénominations rappelant le terme le plus typique de nos régions. Pour une partie du Brabant (Dion-le-Val, Tourinnes-S’-Lambcrt et environs), les papiers de feu l’abbé Massaux indiquent : pîd-d’-bon-Diè, pate-dè-diâle ‘pied de bon Dieu, patte du diable’ (cf. Enquêtes Musée Vie Wall., 9, p. 234), avec dédoublement de ‘pied’ en ‘ patte’, celle-ci pour le diable naturellement; remarquez aussi l’absence de la conjonction; avec persistance de rmain ‘ au premier terme, on a cité, égale­ment en Brabant, — pour Chaumont-Gistoux : « magn [man.gn ou man.y?] dèl bon Diè èt pate dèl diâble» [= diàle; dèl pour de «du» est courant dans la région]. L’expression plus courte, que nous avons vue pour Stoumont, revient dans l’ouest du Hainaut : « patte du diable » [fourni en français] pour Ormeignies et Esplechin.

 

On s’attendrait à trouver assez souvent ailleurs le nom et la croyance. En fait, j’ai peu de documents comparatifs à alléguer.

En Savoie, les bergers parlent de la main de Dieu et de la main du diable (Revue des Traditions populaires, 4, p. 90). (…) Isidoor Teirlinck (Flora diabolica, pp. 75-76) mentionne de même pour l’orchis taché et l’orchis à larges feuilles Teufelshand en Allemagne (Teufels-handl en Silésie, Teufelsklaue dans l’Allmark), Devil’s Claws en Angleterre. En Allemagne el en Suède, dit-il, si l’on pose les tubercules sur l’eau, l’un s’enfonce: c’est la «main de Satan» (on dit aussi Satansfinger en Allemagne), et l’autre flotte : c’est la « main de Marie » ou la « menotte de Notre-Dame ». (…)

 

(p.79) (…) Ce qui nous retiendra surtout, c’est ce que fournit Bastin (Plantes, § 207) comme s’appliquant au pays de Malmedy à une rosacée, la potentille sylvestre ou dressée, dite tormentille (Potentilla erecta ou silvestris), et sou­vent aussi à la variété voisine, la potentille rampante, dite quintefeuille (Potentilla reptans). Ces plantes à fleurs jaunes poussent dans les « bruyères, prés et bois humides surtout siliceux », fleurissant de juin à septembre, pour la première, ou dans les « chemins, fossés, lieux humides », fleurissant de juin à août », pour la seconde (qui a des feuilles à 5 folioles, tandis que celles de la précédente sont à 3 folioles). On en fait un « amer » (amér) qui passe pour souverain dans les maux d’estomac et les coliques, Bustin ajoutant que la couleur rouge que cette liqueur acquiert au soleil lui vaut la faveur aussi des gens « pauvres de sang », c’est-à-dire anémiques. La racine macérée guérit la rate, dit-on à Steinbach, les racines d’avâ lès brèyîres (des plantes poussant dans les bruyères) étant les meilleures pour cet usage; on dit aussi à Sourbrodt qu’avant d’aller dormir, rien ne serait plus sain pour les hommes et pour les femmes que d’en boire « une petite goutte ». Le manuscrit de Sébastien \Vibin, de Stavelot, manuscrit commencé en 1789, qu’a consulté Bastin, recommandait son usage en médecine vétérinaire pour les porcs ayant lès seûs (le soyon).

A propos de tormentille même, il vaut la peine de transcrire ici — et d’examiner d’un peu près — ce que dit de la plante le dictionnaire étymologique du français de Bloch et von Warlburg, d’autant plus qu’il invoque le wallon: « tormentille », plante, 1314. KmprLuntél du latfin] médiéval tonnenlilla (de turmentum (= tourment], ‘ainsi di(t)e de ce qu’elle appaise le tourment des dents’ (O[livier] Je Serres); d’après d’autres, parce qu’elle calme les douleurs causées par les poisons, de là son nom de serpent, morsure ou racine du diable, en wallon ».

 

Notons que la seconde explication était celle de Henri de Mondeville (citée par Littré) : « Kn France est esprouvée communément racine de tourmentille » [contre les venins]. Mais Dodonée (cilé par Teirlinck, Flora diauolica, p. 116) y voyait la plante apaisant toutes peines et douleurs (alle pijnen en smerten). Exemple de la pluralité des explications de ce genre en folklore.

 

(p.81) Revenons au malmédien, qui appelle la tormentille, et parfois la quinte-feuille, ‘racine que le diable retaille1, récène quu l’ diâle rutèye (prononcé rècine à Ligneuville, Xhoffraix, etc., … què l’ diâle rètaye à Robertville, … queu l’ diâle reutaye à Faymonville, … queu l’ diâle reutaye à Waimes, etc.). (On m’a fourni personnellement d’abord à Malmedy… quu l’ diâle rutint ‘… retient’, mais le témoin a rétracté cette forme par la suite; je la signale parce qu’elle peut montrer comment les vieilles dénominations sont susceptibles de se déformer). Le manuscrit stavelotain Wibin, de Stavelot, déjà cité, parlait « des racines que le diable a recoupées », transposition s’écartant en fait de l’expression régionale qui emploie bien le verbe « retailler » (cf. ci-après).

 

Feller avait communiqué à Rolland (Flore Populaire, 5, pp. 218-9) des dénominations pour les « environs de Stavelot » assez mal reproduites (avec ritôye pour ritèye, y compris dans une expression raccourcie diâle-ritôye[ !]) et d’autres, pour la commune de Waimes, pour Lorcé (ici rècène qui l’ diâle a r’tèyi «… a retaillée») et La Reid (ici rècinète «petite racine») qui [lire quu] l’ diâle a r’tèyî (*). Defresne, pour Coo-Stavelot et les environs, citait aussi rècène quu l’ diâle rutèye « potentille sauvage » (Potentilla silvestris), nom de variété correspondant à la tormentille (voyez le synonyme morsure do diâle).

 

Je connais pour la tormentille à Stavelot rècène (à Beaumont et Franche-ville rècine) quu l’ diâle rutèye. J’ai noté à Logbiermé-Wanne la même expression, avec rècine (alors que le mot ordinaire pour « racine » comme du reste à Beaumont et Francheville, à Grand Halleux, etc., — surtout pour un arbre — est rayé[e] ; cf. rècine ou rayé[e] «racine» à Ligneuville. Comme Ernest Natalis à Stoumont, Louis Remacle connaît bien pour la tormentille à La Gleize la dénomination rècène quu l’ diâle rutèye; de même à

 

(3)   rolland,  t.  5, p.  218,  transcrit  à  tort  le  terme  fourni   par  Grandgagnage [d’après Lobet],  « tuurmantinne »,  car -en  correspond  à in  non  à  an.

(4) De là des formes erronées dans tEirlinck, Flora (…), p.  116, et dans le Französ. Etymol.   Wörterbuch, 10, p.  19a, les auteurs n’étant naturellement pas  respon­sables de ces fautes qu’il recopient.

 

(p.82) Francorchamps. Haust a enregistré rècinî[e] (variante salmienne du type rèciné[e] pour « racine ») qui l ‘diâle ritèye à Bovigny, ce qu’on me fournit aussi pour Petit-Thier (ici avec qucii /’ diâle reutèye). Charles Gaspar a recueilli rècinèye quu l’ diâle rutèye à Bra, Basse-Bodeux (y compris Haute-Bodeux) et Lierneux (y compris Hierlot, Lansival et Odrimont), rèciné[e] quu … à Bergeval-Fosse et Bihain.

 

L’identification n’est pas toujours assurée, et, d’ailleurs, dans certains des derniers points prospectés, le terme semble tomber en désuétude; on en a entendu parler, on sait souvent qu’on en faisait du « thé » ; cependant, à Lansival, on parle bien encore de l’ amér qu’on fait, en laissant macérer la racine dans du genièvre (o pèkèt), avec cette plante croissant dans les bruyères (cf. Bastin : « macérée, elle guérit la rate, la meilleure étant celle d’avâ lès brèyîres ») ; mais à Bra, ce serait une «sauvage plante qui venait dans les champs (avâ lès tchamps), avec, au-dessus des racines (duzeû lès rècinèyes), une petite pousse jaunâtre comme aux salsifis (on p’tit djèton djènâte come azès salsifis)». A Lierneux même, ce serait une plante des fagnes, d’une dizaine de centimètres de hauteur, à larges feuilles, dont on faisait un « thé » pour les brokes, c’est-à-dire les hémorrhoïdes : lès rècinèyes sont totes neûres èt t’nèt câzi èssonle come azès porês. Comparer ci-après les identifications divergentes de Grand-Halleux, etc.

 

Chose curieuse, mon ami Remacle a même noté, auprès d’un témoin de Hockai originaire de Stavelot, que celui-ci faisait, avec la plante qu’il nomme bêrwîs’ (avec ê pur et î long; ce doit être le méon athamante : cf. Pays de s1 Remacle, t. 1, p. 42, et 3, p. 83), ‘de l’amer que le diable retaille’, du l’amér quu l’ diâle rutèye, en la faisant infuser dans l’alcool. Confusion naturellement.

 

Je trouve aussi dans des documents remis au Musée de la Vie Wallonne (où j’ai puisé déjà pour Torchis et où je puiserai encore pour la suite) ièbe qui l ‘diâle ritèye ‘herbe que…’ « tormentille » dans la région entre Durbuy et Érezée. (On me confirme assez vaguement rècine (ou ièbe?) quu l’ diâle rutèye à Érezée, mais sans identification certaine.) On trouverait sans doute d’autres attestations dans le nord de la province de Luxembourg,

Comme synonyme, Defresne déjà cité mentionne morsure do diâle ‘morsure du diable’ pour la « potentille sauvage ». Lezaack — en même temps que rècène du (~ ‘de’ diâle, disait «moirseur» (mwarseure?] du diâle. Je connais môrseûre dè (« du »; ou du « de ») diâle à Jalhay.

 

Manque le renseignement pour Sart-lez-Spa, ce qui m’empêche de dire si l’on retrouve ici nettement l’opposition assez fréquente entre Verviers, Jalhay, Sart, d’une part, et Franeorchamps, La Gleize, Stavelot et la région malmédienne, de l’autre (encore qu’ici la synonymie apparaisse dans Defresne).

 

A Verviers, on omet souvent le complément; Lobet déjà citait simplement « morsur», glosé tormentille; par la suite, on y a relevé d’ordinaire môrsûle, cf. Wisimus, dans son dictionnaire : du l’amèr [lire amer] al môrsûle pour « renforcer l’estomac » et pour faire digérer (plus, v° distûler « distiller » : dustûler dè l’ rècène du môrsûle so dè pèkèt po fé d’ l’ amér) ; de même dans (p.83) son livre Dès Rôses èt dès Spènes (p. 42 ou 44 — suivant tirages —) : po l’ dèvôyemint, pour la diarrhée. Le docteur Thiry, Histoire d’Aywaille, 4, p. 81, cite aussi «morsure di diâle», p joutant qu’« infusée dans du genièvre, celte plante donne l’’amer de Sedoz’ » [Sedoz, hameau de Sougné-Remouehamps]. Il faut sans doute corriger « monsure » en « morsure » dans l’expression m. di diâle fournie par Rolland d’après Feller pour La Roche.

 

A côté de toûrmintène, Forir en liégeois connaît hagneûre dè diâle, avec hagneûre, wallonisation de «morsure». (De même hagneûre dè [= ‘de’] diâle à Vinalmont, d’après Robert Boxus (chez qui je néglige le synonyme pour Moha, aberrant à la manière ordinaire de Boxus).

Notons rècène di diâle chez Semertier, Vocabulaire de l’Apothicaire-pharmacien (Bull. Soc. Lût. Ifall., 29, p. 196), qui se borne à dire en fait que la racine en est astringente (ce qu’on lit partout dans les traités de bota­nique médicale), ajoutant seulement que « les campagnards du Luxembourg, qui la désignent sous le nom d’herbe de feu, l’emploient contre les maux d’yeux ». Je trouve aussi racène di diâle à Profondeville, « racine du diable » [francisé] à Montigny-le-Tilleul; peut-être aussi pour la tormentille, racine doit diâle à Châtelet (mais l’identification ici n’est qu’hypothétique). De plus ièbe do diâle, sans localisation, dans la Flore médicale wallonne de Boxus, seule dénomination que je retienne également dans cet ouvrage très suspect.

 

Comment s’expliquent les noms mêmes du type ‘mors (ou morsure) du diable’?

On dit en pays wallon, rapporte Feller (chez Rolland), que «le diable vient mordre ou recouper la racine de cette plante tous les sept ans. On m’en a montré plusieurs racines finissant toutes brusquement et plus larges à la base qu’au collet. De cette forme est née la croyance ». Le docteur Thiry écrit de son côté : « La racine de cette plante est si salutaire, disent les bonnes gens de chez nous, que le diable la retaille sans cesse afin d’empêcher noire pauvre humanité d’en être soulagée ».

 

(…) (p.84) Somme toute, il y a assez peu d’attestations en dehors de l’Ardenne lié­geoise, de la région verviétoise et de la région de l’Eifel proche au delà de la frontière linguistique. Dans Rolland, seul Feller a introduit des usages populaires pour l’époque contemporaine et pour la Wallonie du nord-est. (…)

 

Cependant à Grand-Halleux et Arbrefonlaine, la rayé[e] (= racine) queu l’ diâle reutèye, c’est bien une autre rosacée, la benoîte commune (Geum urbanum), à fleur jaune vif, plante vivace des bois, haies, chemins herbeux, fleurissant en mai-juin. On en fait un arner contre les indigestions.

Quelques mots seulement des noms de l’Ardenne liégeoise et des environs de Verviers pour cette plante.

 

Bastin ne cite pas la benoîte, que Lezaack appelait « bigonn’»[?] (d’où sans doute bigone chez Semerlier) ou ièbe du jeu «herbe de feu»; de même jèbe du feû dans Defresne, à côté de bènwète; ce dernier terme est connu à Neuville-Francorehamps, Stoumont et Basse-Bodeux. Feller, qui avait relevé bènwèt, masculin, pour Polleur et Jalthay (y compris Surister) et sâiadje frévî «sauvage fraisier» pour Verviers, Dison et Soiron, expliquait (Rolland, Flore pop., 4, p. 221), qu’il s’agit des «feux de toute espèce» à combattre au moyen de cette plante, depuis la fièvre de lait jusqu’aux passions des personnes du sexe. Pour Semertier (Bull. Soc. Lltt. Wall., 29, 1891, p. 113), sa « racine violette intérieurement, à odeur de giroflée et à saveur amère, est usitée connut; astringente et fébrifuge ». (On se souvient, à Hierlot et Lansival, sous Lierneux, qu’on « ramassait » du l’ ièbe du feû autrefois, sans savoir de quelle plante il s’agissait. A Bru, la ièbe du feû, c’est une « fleur de jardin », avec dès grozès vètès bohèyes « de grosses (p.85) touffes vertes»,  poussant  connue  la  rose  trémière,  rôse du  dj’vau.  Mais  l’ellébore  peut s’appeler aussi «herbe de feu», et c’est lui qu’on doit désigner ainsi à Bra.)(s) (…)

 

Ce n’est pas tout, sinon pour l’Ardenne liégeoise, au moins pour la Wallonie liégeoise. A Durbuy, l’ ièbe qui l’ diâle ritèye est synonyme de linwe di tchèt « langue de chat », nom de l’épervière piloselle (Hieracium Pilosella), une composée dont le nom «piloselle» rappelle les poils simples, glanduleux ou étoiles couvrant l’involucre, et le duvet épais feutré-blanchâtre entremêlé de longs poils de la face inférieure des feuilles; c’est une plante des pelouses, coteaux, chemins, fleurissant de mai à l’automne.

Feu Aimée Bozière, qui recueillait avec tant d’attention les traditions de Durbuy pour offrir des notations à Jean Haust, disait de la linwe-di-tchèt : c’ è-st-one ièbe qu’a dès poyowès fouyes èt qui vint so lès hat’s [s. m. ; = d’oû qu’ i fait hat’, où la couche de terre est mince] ; qwand c’ èst qu’one plâye s’ èvèlmih pace qu’ i-gn-a dès crasses di d’morêyes divins, èstihant qu’ [vu qu’] èle s’ a r’ssèré, on mèt dès fouyes dissus po r’drovi l’ plâye èt sètchî lès crasses foû. Mins tot l’ timps qu’ on léreût l’ fouye so l’ må, i n’ si r’freût nin; on loume co cisse plante-là, l’ ièbe qui l’ diâle ritèye, pace qui, qwand c’ èst qu’on l’ råye foû d’ tère, li mêsse rècinêye [la racine maîtresse] è-st-à l’ pus sovint r’côpêye on n’sét k’mint.

 

L’épervière piloselle, d’après Bastin (§ 87) est l’orèye du rut « oreille de rat»; de même pour Defresne à Coo; Lezaack dislingue orèye-du-rat pour l’épervière oreille, Hieracium auricula, de l’ orèye-du-suris ‘… de souris1, épervière des murailles, Hieracium muromiii, sans rien dire de la piloselle, pour laquelle oreille de rat est connu dès le moyen français; à Faymonville, on connaît pilosèye. Pour Henri Cunibert, c’était une ièbe du sârteûr ‘ herbe d’essarteur’, employée donc [à Bellevaux?] pour les blessures et coupures.

 

(5) P. 34 de l’article cité des Études Comblinoises, feLler écrit à propos de l’« aywe de gloria folia » : « Malgré de longues recherches, nous n’avons trouvé nulle part mention de ce gluria joliu ». Comment n’a-t-il pas vu, dans Rolland, t. 5, p. 220, pour la benoîte, gloriafilia, cité d’après J. Camus, Man[uscrit] nam[urois] du XVe siècle’ ? (…)

 

(p.87) Parmi les dénominations — peu nombreuses du reste — attestées ailleurs en Belgique romane, retenons simplement « mors-du-diable » [ = mors du diâle?] à Tintigny (Pays Gaumais), d’après l’abbé Conrotte, expliquant le terme par « la racine noircie à un bout et coupée comme avec les dents ».

Teirlinck ne signale qu’une espèce voisine, Hieracium praemorsa (au­jourd’hui Crépis praemorsa), appelé praemorsa, c’est-à-dire « mordue à l’avant » par Linné à cause de son court rhizome. On la nomme en Silésie Abbis (c’est-à-dire « morsure »).

 

En français, mors-du-diable s’applique le plus communément à l’ancienne scabieuse succise (Scabiosa succisa), dite aujourd’hui succise des prés (Succisa pralensis). Ce nom latin des botanistes succisa, repris au latin médiéval, qui, à côté de morsus diaboli, disait aussi premorsa ou premorsiva, est aussi significatif que ses correspondants du moyen français tremors et tremorsse, remors (ou remors du diable] et remorse, mors-diable, mors de diable, mors du diable (encore dans le Centre, d’après Jaubert; dans l’Anjou, d’après Verrier et Onillon, avec ici la remarque : « La racine de celte plante est tronquée et comme mordue), mors au diable (encore en Normandie, d’après Joret, que je cite d’après Rolland). (A Rolland, Flore popul. 7, p. 6, qui cite ghiab-mor dans l’Aisne, ajouter môr-dyàbyo à Vaux-en-Bugey, dans l’Ain, mot que Duraffour a classé avec môr « mort »).

 

Notons que, dans le recueil de recettes médicales du XV* siècle publié par Feller dans Les Études Comblinoises en 1936, on lit tremorse que l’éditeur assimilait à la tormentille, vu qu’il trouvait le mot à côté de scubieuse; il croyait à tort le terme «inconnu au dictionnaire» et il l’expliquait par « entremorse. = entremordue», alors qu’il s’agit de tré(s)-, latin trans-.

Le texte disait (n° d’août 1986, p. 56) : « Aywe de scabieuse se fait eiisy. Prendez une partie et une partie de trcmoise [à lire Iremorse, comme plus loinl le grande s’en fait aywe par distillation. […]»; et plus loin (p. 57) : « Aywe de tremorse est bonne à laver tous visaiges vesieux [ = boursouflés] au matin […] ».

 

Si Feller s’était reporté aux articles de Jules Camus sur Un Manuscrit namurois du XV siècle (Wilmotte a émis des réserves sur la localisation au pays de Namur de ce manuscrit wallon), il aurait vu (Revue Langues romanes, 38, 1885, p. 203) : «Pour faire buvrage contre l’impedimie [ = épidémie], R[ecipe} tremorsse, plantin, rue et fin blan gengybre sans taiche », et même : « Awe de scabieuse se fait ensi : Prenez une partie de scubieuse et l’autre partie de tremorse la grande, si en faites yawe par distillacion » (6).

Voyez aussi dans le Dictionnaire, de Godefroy lui-même (non compris par Gode-froy): «C’est assavoir pour yauwe de tremorse et diamaron [quel est ce remède?] prins [ = pris] à l’apotikaire en le maladie de le dicte testatresse, XIII d[eniers]» : le texte est de 1283, dans une exécution testamentaire de Tournai.

Rolland même cite encore tremors ancien  [lire : moyen]  français, en  1517.

 

(6) On a déjà vu ci-dessus une parenté évidente entre le recueil publié par Feller et celui qu’a utilisé Camus. Il y a d’autres analogies perceptibles à travers les extraits fournis par le glossaire de Camus. Feller ne les a pas remarquées, quoiqu’il cile en tête de son travail l’élude de Camus étayée « de fragments de citations », comme il cite les Glanures de Tilauder, qui, p. 9, écrivait : « Certaines recettes de cet herbier [de Dresde] se rapprochent de celles du m[anujs[crit] namurois du XVe siècle décrit par J. Camus dans la Revue des langues romanes, 1895 ». (Feller critique pourtant ces Glanures à propos de confierge).

 

(p.87) Bastin disait que la scabieuse succise, vulgairement mors du diable [en français], en allemand Teufelsabbis, aurait mérité l’appellation rècène quu l’ diâle rutèye de la tormentille.

Il n’a pourtant rencontré la plante au pays de Malmedy que comme une espèce de bleu boton « bleu bouton », au même titre que la jasione des montagnes (Jasione mon-tana) ou «fausse scabieuse», pour laquelle Feller (chez Rolland, 7, p. 233) fournit aussi bleu boton aux-environs de Verviers; de même pour la jasione chez Defresne à et aux environs.

Lezaack toutefois citait « moir » [mwar à Spa] de diâle « scabieuse succise» (mais comment en wallon interprétait-il ce mwar?). Lobet enre­gistrait aussi dans ce sens « morsur » du diâle aux additions, alors qu’à la lettre M il avait donné « morsur » pour la tormentille. Tout cela paraît assez suspect pour nos régions de l’est de la Wallonie. Transpositions de botanistes amateurs sans doute.

 

Mais Rolland signale, en Hainaut belge, en francisant les expressions, « herbe que le diable a mangé la racine », remors du diable et aussi herbe du diable (ou à diable? : Rolland mentionne ces dernières expressions à la fois pour l’Anjou et pour notre Hainaut).

Outre Balle, pour Cerfontaine, qui cite lièbe qu’ èl diâle a mougni s’ racène, je puis ajouter, malheureusement de sources assez peu assurées pour la graphie, l’« herbe que l’ diâle a l’ raceune » à Montbliart, … què l’ diâle a manjé lracène à Robechies, mors du diâbe aussi à Montbliart, « remors du diable » à Quevaucamps. De même, au nord de Namur, à Bier-wart, le mors de diâle, ainsi que, dans l’arrondissement de Philippeville, à Walcourt, li rècène quel diâle ritaye, avec la même tournure cette fois qu’on a citée ci-avant pour la tormentille, puis pour d’autres plantes, en Ardenne liégeoise.

 

De la succise, on disait en France vers 1520 : « Cette herbe a la racine à demy couppée; elle est appelée morsus diaboli pour autant que le diable luy mordit la racine pour la cuyder [ = penser] destruire, à raison de la grande vertu qui est en elle » (cité par Rolland, 7, p. 7, lequel dit aussi que, dans la Mayenne, où on l’appelle herbe saint Michel, au temps où l’archange se battait avec le diable, il employait cette herbe pour se guérir de ses blessures; le diable donna un coup de couteau sur la racine, croyant la faire périr, mais il en repoussa tout autour). En Basse-Normandie, rapporte Sébillot, la « scabieuse » est souveraine pour un grand nombre de maux; aussi, fâché que tant de vertus se rencontrassent dans un modeste végétal, Satan enfonça les dents dans la racine; sa morsure est encore visible sur la plante, que par suite on a nommée le « mors » du diable (Le Folk-Lore de France, 3, p. 446).

 

Il existe des témoignages anciens ou récents analogues notamment pour la Flandre, l’Allemagne et l’Autriche, la Scandinavie, l’Angleterre, et chez les Slaves : le diable aurait mordu ou coupé la plante pour empêcher les bienfaits opérés grâce à elle (parfois par la Vierge Marie, par saint Boniface inspiré par un ange, par un guérisseur parvenu à rompre son pacte avec le diable, etc.). On dit quelquefois qu’à la Saint-Jean chaque année le diable

(p.88) vient mordre la plante (la particularité en cause se manifeste surtout pendant la seconde partie de l’année). (…)

 

Voyez Teirlinck, Flora diabolica, pp. 113-4, citant le néerlandais duivels-beet, l’anglais devil’s bit, l’allemand Teufelsabbiss (Teufelsbis, etc…). De même, l’article de Marzell dans le Handwörterbuch der deutschen Àberglau-bens : Teujelsabbis (synonyme Abbis), citant aussi le danois djaevelsbid ou fandensbit, le russe tschertogrys, le piémontais mors del dian.

Ainsi, comme pour les Wallons de l’ouest et contrairement à ce que croient ceux de l’est, c’est, en général, la « succise » qui est le « mors du diable » par excellence. Cependant il y a bien d’autres plantes de par le monde qui portent aussi ce nom.

 

Teirlinck a énuméré encore (pp. 114-7) l’anémone des bois (en Flandre orientale), la renoncule rampante (Flandre occidentale), la renoncule scélé­rate (Hollande méridionale, nord de l’Allemagne), la renoncule acre (Bra-bant, Autriche), la renoncule à feuilles d’aconit (Alpes germaniques), le plantain à larges feuilles (morsus diaboli ou premorsa pour certains bota­nistes), le liondent d’automne (Klein Abbiss, etc…), le marrube commun et la ballote noire (ces deux plantes en moyen-néerlandais), l’orobanche rave (Allemagne), la petite primevère (Alpes allemandes), la valériane officinale (Morsus diaboli au moyen âge), et le roseau commun (Groningue). (…)

Comme pour bien d’autres appellations des plantes herbacées, ces appli­cations diverses peuvent provoquer une observation : ces noms passent aisé­ment d’une espèce à l’autre en raison de quelque caractère commun, ce qui est assez normal; mais comment expliquer que telle plante bien connue dans toute une région passe inaperçue en un point parce que son nom y est passé à une autre espèce? Comment s’appelle en effet la tormentille là où son nom régional ordinaire désigne la benoîte ou la piloselle? Nous n’en savons rien.

 

(p.89) (…) Comme le dit Jean Séguy, dans sa thèse intéressante sur Les noms populaires des plantes dans les Pyrénées centrales (qui, quoique parue en 1953, ignore malheureusement le livre de l’abbé Bastin publié en 1939), en cas de transfert d’un nom d’une plante à l’autre, « fréquemment la spoliation n’est pas réparée, et la plante dépouillée de son identité reste anonyme » (p. 285). De même, comment s’appelle la succise là où le type qui la désigne le plus souvent est -devenu le nom de la tormentille ? Dans ce dernier cas, nous savons qu’on peut lui donner une vague dénomination de « bouton bleu », qu’elle partage du reste avec une autre plante. Pourquoi donc des espèces qui ne doivent pas être moins courantes ici que là passent-elles ainsi dans une ombre plus ou moins épaisse ? Mystère du choix opéré ça et là pour dénommer telle ou telle plante et d’abord sans doute souvent pour user de ces plantes en médecine populaire.

 

Quoi qu’il en soit de cette question générale, remarquons l’importance du chapitre des « morsures du diable » en botanique populaire. Grâce à Bastin, Feller et Haust surtout, nos dialectes et notre folklore peuvent y figurer avec honneur. Quelle différence avec ce qu’a observé Séguy dans les Pyrénées centrales, chez les montagnards gascons mêmes! Là, le diable «est chassé de la botanique» comme Notre-Dame (et comme le bon Dieu), comme les saints aussi (sauf dans deux cas où il s’agit d’une indication de la saison). «Les antiques prestiges mythiques se sont évanouis, et l’on ne connaît plus d’herbes magiques» (p. 377). Les Pyrénéens sont devenus raisonnables et réalistes, leur logique ayant tué l’imagination (p. 378) ; Séguy établit du reste un rapport entre l’effacement des noms religieux des plantes avec l’affaiblissement du sentiment religieux [ou magieo-religieux] (p. 377).

 

Sans doute avons-nous constaté aussi chez nous que la « racine que le diable retaille » tend parfois à devenir un archaïsme. Mais, malgré le déclin général de l’usage des simples, on la retrouve encore en général, au moins à titre de souvenir, alors qu’en 1944, Séguy n’a pratiquement plu» rien relevé de tel. Il y a là une étrange différence, car il ne s’agit pas seulement de l’Ardenne liégeoise s’opposant aux Pyrénées. On trouverait sans doute encore des plantes du diable — ou des plantes anti-diaboliques —, comme des plantes du bon Dieu, non seulement ailleurs en Ardenne (ainsi pîd-d’-bo- Diu pour la luzule à Érezée|, mais même dans notre Hainaut (ainsi pîd-d’-bon-Dieu pour le lotier corniculé, que rne signale obligeamment M. Roberi Dascotte à Fayt-lez-Manage, La Hestre et Seneffe; comparez sabot-du-p’tit-Jésus à Cerfontaine, d’après Arthur Balle). Nos Henuuyers seraient donc ici plus conservateurs que les Gascons des Pyrénées.

 

D’autres constatations peuvent être faites en comparant les résultats de l’enquête de Séguy et les nôtres. Parmi les plantes « qui ne sont pas nommées, simplement parce qu’elles n’ont rien pour attirer l’attention », Séguy range la potenlille (sauf, pour la potentille rampante et la tormentille confondues, ‘fraisier sauvage’ en deux points : pp. 51 et 183-1). Parmi les plantes « qui ne sont jamais nommées directement dans notre domaine » [pyrénéen], alors qu’elles « avaient autrefois partout une réputation médicinale bien assise », oubli dû sans doute à « la décadence de l’herboristerie populaire ». Séguy (p.90) classe la benoîte, anciennement « sorte de panacée irrationnelle »  (nommée seulement une fois par le nom de la renoncule et deux fois par celui de l’aigremoine : pp. 52 et 193). Les métaphores anciennes (du type ‘oreille de…’) qui désignaient l’épervière piloselle n’ont pas non plus été retrouvées. (pp. 82 et 281). Quant aux knauties et aux scabieuses, l’auteur constate que Rolland fournissait des dénominations assez nombreuses « reposant sur des croyances magiques aujourd’hui disparues»; alors que les prairies en sont-« littéralement    couvertes »,    elles    ne    sont    plus    qu’« exceptionnellement nommées »  (pp. 71 et 182). Ces constats de carence ou d’appauvrissement » presque  complet  ne  peuvent   que   renforcer  l’impression   de   richesse   que malgré certaines  lacunes et certaines pertes   (ainsi  l’absence  de  la  benoîte dans la nomenclature malmédienne), procure l’ensemble de notre documen­tation régionale (7).

 

P.-S. Voir aussi L. banneux, L’Âme des humbles, 2e série, réédition 1923, p. 82 : l’ ièbe qui l’ diâle ritèye « la potentille sauvage » (à Dochamps).

 

Notons simplement ici que, d’après Armand delatte, Herbarius, « Recherche sur le cérémonial usité chez les anciens pour la cueillette des simples et des plante magiques ». 3e édit., 1961, p. 109, à Bodeux, on garde les mains jointes en cueillari l’« herbe du diable », et, p. 180, qu’«en Wallonie », on cueille la « plante du diable avec le pouce et l’annulaire (cf. Enquêtes Musée Vie Wall., 10, pp. 13 et 15).

 

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