VIKADJE DO PASSÉ
MANIÈRES DE VIVRE DU PASSÉ
VARIA
Léa NIVARLET, Souvenirs de la vie quotidienne à Gouvy et Rettigny dans la première moitié du XXe siècle, in : GSHA, 19, 1983, p.36-42
Les mois d’hiver du bon vieux temps à Gouvy
Nos grandes familles d’autrefois sont disparues. Dans nos villages, hélas, combien se retrouvent seuls, parfois deux. La belle jeunesse, jadis, qui, le soir, s’assemblait en bande pour courtiser et chanter des belles soirées qu’on n’oubliera jamais. Au village en hiver, tout est paralysé, les emprunts dorment. Mon père, autrefois, disait à ses enfants : « je ne voudrais pas mourir en vous laissant des dettes ». Que (p.41) faut-il conclure ? Gardons le silence. Autrefois, à 3 ou 4 heures du matin, le coq annonçait le lever du soleil, ceux du voisin l’accompagnaient. C’était la fanfare au village.
Les poules commençaient à pondre. A présent on achète les œufs au magasin. Les poulaillers sont déserts. Vers huit heures le fermier déliait ses bêtes pour boire à la rivière, le gros chien-lion aboyait à plein gosier et au soir, la même chose, les bêtes de retour à la rivière.
A présent elles sont liées pendant cinq ou six mois devant un abreuvoir.
Puis c’était la bande d’écoliers se rendant à l’école. Une grosse cloche sonnait, annonçant l’entrée. Ceux des écarts marchaient une demi-heure et plus. Maintenant, on les charge sur le seuil de la porte et on vous les ramène franco.
Avant le dîner, la maman allait rincer le linge à la rivière, elle retournait les doigts gelés. Pendant la journée, deux ou trois mendiants passaient de porte en porte. Ils vendaient des lacets, des savonnettes, des aiguilles, cela, il en fallait toujours. Après le dîner, le papa attelait deux chevaux au manège près de la grange, qui tournaient des heures en rond pour actionner la machine à battre. Au soir, le papa conduisait le froment au moulin avec sa charrette et son cheval. Ils avaient leurs farine pour faire le pain de la famille. Puis voici Julien, le maréchal-ferrant, qui tape sur l’enclume pour refaire les roues des chariots. Félix, avec ses deux bÅ“ufs et sa charrette de fumier, et qui mange sa tartine en marchant pour ne pas perdre du temps. Joseph M., qui n’abandonne pas sa chique de tabac et son fouet, qui charge le fumier avec une fourche. Christophe, fier d’apprendre ses beaux bÅ“ufs pour atteler et qui chante aussi aux offices et aux soirées. Alors, Louis avec son sarrau bleu avec quatre beaux chevaux, la queue tressée, de la paille et les grelots en cuivre qui reluisent, qui gravit la « haie » de Bellain. Il y avait des filles pour aller travailler aux champs. Pour partir, elles mettaient des beaux souliers, dans les champs, elles mettaient des galoches. Il ne fallait pas aller chez Emile pour avoir un service ou un outil : réponse : « Chez nous, on ne prête rien ». Il ne fallait pas aller demander la permission chez Monsieur le Curé Bastin pour travailler le dimanche. Réponse : « C’est le jour du Seigneur ». Aux premiers rayons de soleil, les abeilles sortaient de la ruche. Le 15 avril, le coucou chante, la procession de Saint-Marc, les rogations. Bernard, qui tondait les brebis pour cinq francs. Le domestique de Monsieur Mathieu, tous les lundis, avec le gros étalon pour la saillie des juments et les mamans avaient bien le soin de faire rentrer tous les gosses à la maison… vous devinez le reste ! Parfois, une dispute, le voisin avait pris l’eau sur le pré du voisin, un gamin avait donné une volée à une petite fille, un autre avait jeté une pierre dans un carreau, un voisin avait pris une « ligne » de terrain à un voisin. On n’avait pas de pharmacien, on ramassait des fleurs de tilleul, de sureau, du chiendent. Que faut-il conclure de cette vie ?
(p.42) Les champs n’ont pas grandi, l’étendue reste la même, rien ne restait à l’abandon. Eh bien voilà , les femmes étaient sans doute autrefois plus fortes et pas trop nourries en comparaison du présent et souvent esclaves. Beaucoup élevaient 10 et 12 gosses. Le père, parfois, un ivrogne. La maman faisait la lessive à la main, cuire tout le pain de la famille, traire les vaches à la main, turbiner sans moteur, aller travailler dans le bois, relever les récoltes après le faucheur, défaire des tombereaux de fumier à la fourche. Tout cela se faisait avec les bras. Point de tracteur, point de voiture, aucune machine. Et à présent plus personne n’est content de son sort, on gémit sur le présent, l’avenir sera toujours la même chose, les jours et les mois s’égrèneront et on arrivera à l’an 2000