VIKADJE DO PASSÉ
MANIÈRES DE VIVRE DU PASSÉ
DJON.NÈSSE
JEUNESSE
E. Yernaux, F. Fiévet, Folklore montagnard, s.d.
JEUNESSE
Jeunes gens et jeunes filles se recherchent. C’est l’époque où les garçons renouvellent la vieille plaisanterie : « Si c’t’èle là vouleut n’ téreut qu’à mi ». Mais ce n’est là que broutille, en réalité le jeune homme sans jamais l’avouer désire l’entrée de la maison. Bien peu osaient s’adresser franchement aux parents. Ils craignaient de se voir répondre :
— Mès-amis, vos-avèz co bén l’ timps, vos n’ astèz nén co r’ssuwè padri vos-orayes ! ou bien
— Vos brayes sont co d’ssus l’ âye !
— Vos n’ avèz nén co tous vos dints !
Généralement, quelqu’un qui tindeut sès filèts après ène fîye, même s’il s’était dit qu’ i gn-a qui l’ preumî pas qui cousse, préférait employer les méthodes en usage depuis des temps immémoriaux. C’était plus commode, plus facile, plus simple. Jugez-en.
Sous l’ancien régime, le jeune homme entrait chez sa future et demandait à pouvoir allumer sa pipe. Il s’approchait du tikwè pour prendre une braise avec la pincette ou pour prendre sur la cheminée, dans le brocalî, espèce de récipient en cuivre, une brocale. C’était un mince bâtonnet de bois pour allumer sa pipe. La chose faite, si les parents ne voyaient aucun inconvénient à l’accepter, ils l’invitaient à s’asseoir et la cour commençait, timidement, toujours avec beaucoup de réserve. (p.34) Il y a trois quarts de siècle, on employait encore ce procédé ou l’on se contentait plus simplement de demander une allumette pou alumer s’ pupe. Si elle était donnée, cela équivalait au consentement.
Une autre façon, c’était d’assister à un bal de jeunesse. Le garçon invitait la demoiselle pour la danse. Après celle-ci, il la reconduisait près de la mère, à qui il demandait s’il pouvait passer la soirée en leur compagnie.
On était très sévère en ce qui concerne les amours. On ne les prenait pas à la légère. Elles étaient la base sur laquelle s’édifierait la famille avec tout ce qu’elle a d’important tant dans le domaine des affections que dans le domaine social ou économique. Les mésalliances étaient critiquées, les gens d’un même état social devaient s’allier entre eux. Les fréquentations étaient parfois de très longue durée en dépit du dicton que nous avons rappelé plus haut. On a vu des jeunes gens courtiser pendant vingt ans avant de se marier. C’était cependant l’exception, car ces longues fréquentations étaient souvent la conséquence de situations exceptionnelles. Par exemple, on attendait que meure le père ou la mère qui mettait opposition irréductible au mariage. Il s’établissait ainsi des faux ménages, l’amoureux allant voir sa bonne amie chaque jour ; mais rentrant le soir chez ses parents, semblables situations en amenaient d’autres plus compliquées, plus bizarres du fait de la naissance d’enfants illégitimes. Ceux-ci n’étaient point regardés comme des bâtards au sens populaire du mot, surtout si le prétendant appartenait à la classe aisée. On savait que la situation serait réglée plus tard, dès que l’obstacle aurait disparu. Pour le peuple, la situation était légitimée et l’on considérait que c’était normal, que c’était le droit des jeunes gens de vivre maritalement, avec toutes les conséquences.
Ces unions exceptionnelles, ces mariâdjes dt pidjons, n’étaient admises cependant que pour autant qu’il ne puisse en être autrement et que la légitimation future soit un fait assuré. Les acouplâdjes étaient sévèrement jugés, on n’avait que mépris pour les gens qui vivaient en marge de la légalité et surtout des principes sacrés de l’Eglise. Une jeune fille devait épouser celui qu’elle avait choisi et que ses parents avaient agréé. Au besoin, l’opinion publique admettait encore qu’elle eût, après une première rupture à son avantage moral, un deuxième galant ; mais si elle en avait un troisième, on avait tôt dit : c’ è-st-ène fîye di rén, une fille qu’un homme sérieux ne peut épouser.
Jusque vers 1900, on ne pouvait obtenir l’entrée de la maison pour courtiser une jeune fille si on n’avait pas fait son terme di sôdârt. C’était là une mesure souvent cruelle, le temps de service allant de 3 à 4 ans et même 5 ans dans les armes spéciales, mais c’était une sage précaution. A cette époque, il y avait assez bien de bâtards. Si le jeune homme ne (p.35) reconnaissait pas l’enfant, pendant plusieurs jours on allait le pêleter. Cette opération consistait à rassembler de nombreuses personnes munies de vieilles casseroles et qui menaient un tintamarre de tous les diables devant la maison du récalcitrant. Celui-ci trouvait difficilement une autre bonne amie. C’est que parents et jeunes filles se méfiaient des djon.nes omes qui min.nenut la vîye.
Le mot pêletadje ou charivari est un mot dérivé du mot pêlète qui signifie poêlon. On pêletèt encore quand il y avait une trop grande différence d’âge entre les futurs conjoints.
Les remariages entre veufs étaient admis, voire même encouragés. Mais il semblait que les mariages entre veufs et célibataires constituaient une atteinte aux droits des jeunes, qui voyaient diminuer leurs chances de se marier. Dès lors, le pêletadje entrait en action. Cependant, si une amende avait été payée « aux membres de la jeunesse », le charivari pouvait être évité. Du moins c’est ce qui se passait généralement mais nous n’oserions affirmer que cette coutume fût observée à Montignies.