L' abatadje do pourcia / L' abatèdje dè pourcê en Bèljike walone, picarde, gaumèse (L'abattage du porc en Belgique wallonne, picarde, gaumaise)

PLAN

0 Présintâcion / Présentation

1 Tradicions pa réjions / Traditions par régions

1.1 L’ ouwès’-walon / L’ouest-wallon

1.2 Li Picardîye / La Picardie

1.3 Li cente-walon / Le centre-wallon

1.4 L’ ès’-walon/ L’est-wallon

1.5 Li sûd-walon / Le sud-wallon

1.6 Li Gaume / La Gaume

2 Tradicions gastronomikes / Traditions gastronomiques

3 Tradicions musicâles / Traditions musicales

4 Tradicions dès djeûs / Traditions ludiques

5 Scrîjadjes / Littérature

6 Ôte paut en Bèljike, … / Ailleurs en Belgique, …

7 Ôtès-afaîres / Divers

0 Présintâcion / Présentation

La fête du Cochon, in: Nadine Crétin, Dominique Thibault, Le livre des fêtes, 1991, p.54

Dans beaucoup de régions, on tue encore le cochon, le jour de la “Saint-Cochon” ou de la “ Saint-Boudin ” par temps froid et sec: le sang se fige plus vite et la viande, mise à saler, se conserve mieux. Une semaine après l’abattage, quelquefois le soir même, tout le monde se réunit pour un grand repas.

Fête d’abondance, comme la moisson et les vendanges, la fête du Cochon occasionne bonne humeur et plaisanteries.

L' abateû d' pourcias (L'abatteur de porcs)

(in: EMVW (Enquêtes du Musée de la Vie Walonne), 1924-1930, p.285)

Lès-ostèyes do touweû (Les outils de l'abatteur)

(in: EMVW, 1924-1930, p.286-289)

L’abattage du cochon, in : EMVW, 1924-1930, p.284-301

 

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, dans la plupart de nos communes rurales, le porc était tué et dépecé dans la rue, près de la demeure de celui qui l’avait engraissé. Cette besogne était accomplie par un ouvrier spécialisé : le tueur de cochon.

C’est un petit métier de la campagne qui tend à disparaître. Dans beaucoup de villages, on mange moins de salaison qu’autrefois; on lui préfère la viande fraîche. Des charcutiers se sont établis dans les agglomérations de quelque importance d’où ils desservent les villages voisins. D’autre part, les abattoirs se sont multipliés. Le paysan n’a donc plus besoin d’avoir un porc au saloir. Les frais d’élevage ont d’ailleurs considérablement augmenté.

Dans certaines parties de Wallonie, notamment en Ardenne, nombre de villages ont encore leur tueur de cochons. Nous invitons nos correspondants à nous fournir tous les renseignements qu’ils pour­ront recueillir sur la manière dont s’exerçait ou s’exerce encore celte profession. Quel est ou quel était le costume de l’abatteur? De quels outils se servait-il? Comment découpait-il la bête? A.quelles époques tuait-on le-cochon? Comment en utilisait-on la chair? Fai­sait-on à cette occasion des cadeaux? Organisait-on un repas spécial et quelles en étaient les particularités ?

 

1 A Fraiture (Comblain-au-Pont), XIXe siècle

 

Il y a une cinquantaine d’années, chaque village avait son tueur de cochons. Parfois il n’existait qu’un seul abatteur pour deux ou trois bourgades. En tout cas, chaque tueur avait son territoire nette­ment délimité dont il ne pouvait franchir les .bornes, sauf s’il en était requis par l’un de ses confrères momentanément empêché.

Voici quelques renseignements qui nous ont été fournis sur ce vieux métier par M. Joseph Requiert, tueur de cochons de Fraiture-sur-Amblève (Comblain-au-Pont). Il opérait à Fraiture, à Chanxhe, Presseux, Le Halleux, Liotte, Douxflamme et Rivage. Il a succédé (p.285) dans ce métier à son parrain, Joseph Laurent. En 1924, il n’a abattu qu’un animal, le sien!

Presque toujours, le touweû d’ pourcês exer­çait un autre métier, celui d’abatteur étant accessoi­re. C’est ainsi que M. Re­quiert est garde-chasse. Le tueur n’avait d’ailleurs à remplir son office qu’à certains moments de l’an­née. Généralement, les paysans n’abattaient le compagnon de saint An< toine qu’aux environs de la Noël et de la nouvelle année. C’est pendant le mois de décembre que les abatteurs avaient le plus de besogne. En novembre, ils commençaient à aller de demeure en demeure accomplir leur tâche qu’ils, avaient terminée vers la. mi-janvier. Pendant le reste de l’année, ils n’intervenaient qu’en cas d’ac­cident, lorsqu’il fallait abattre un cochon d’ur­gence, ou encore à la fête de la paroisse ou à Pâques, lorsqu’un censier se décidait à sacrifier l’un des habitants de sa porcherie.

Le tueur, était coiffé d’un bonnet, li bonète en laine ou en coton, orné à la pointe d’un gland, li flotche. Un court sarrau, li såro, lui moulait le torse.

Des manchettes de cuir, les mantchètes, lui serraient les poignets. Un pantalon de velours, des guêtres Souvaroff, des souliers ferrés complétaient son accoutrement (1). La taille était serrée par une

 

(1) Les guêtres Souvaroff sont de forme spéciale. Une patte en cuir recouvre la partie lacée  du soulier et un morceau de cuir  arrondi préserve le  genou. Le  lueur de cochons exerce surtout sa profession  au cœur de l’hiver.  Il  est amené à répandre des seaux d’eau et la patte recouvrant le dessus du soulier empêche l’eau de pénétrer à l’intérieur de la chaussure. D’un autre côté, comme il est appelé à s’agenouiller souvent, la genouillère protège le pantalon.

 

(p.286) ceinture en cuir où pendait un affiloir, li rafileû, servant à aiguiser les couteaux, et un étui en cuir, li fôrê, d’où sortaient les manches de deux couteaux. Sur l’épaule, il jetait une corde longue d’un mètre vingt-cinq centimètres. En route, il laissait reposer la hache, li hèpe, dans l’angle du bras plié. Il avait en poche une pierre à saler (li pîre à saler), un crochet qui l’aidait à arracher les soies et deux autres servant à ouvrir le corps lors du découpage.                      

(p.287) Le tueur opérait le plus souvent de grand matin ou à la vesprée, ‘avant ou après son travail ordinaire.

Il se rendait à l’étable, å stå d’ pourcê, faisait un noeud coulant avec sa corde, emprisonnait la mâchoire supérieure de sa victime dans le lasso. S’il avait affaire à un cochon d’humeur sauvage et belliqueux, il l’amarrait au moyen de deux cordes : l’une à la mâchoire supérieure, l’autre à l’une des pattes de derrière. Il amenait la bête devant la maison, soit sur la route, soit sur la pavêye, le trottoir. Il répandait une botte de paille, ine djåbe di strin, et arrêtait (p.288) le cochon dessus. Le propriétaire du porc ou une femme y maintenait l’animal par la corde. Au revers du tranchant de la hache s’effilait une pointe d’acier. L’homme levait son arme et, en pous­sant un « han », plantait ‘la pointe au milieu du front, un peu au-dessus des yeux. Le cochon s’affalait. Il devait tomber sur le côté droit. S’il faisait mine de ne pas choir de ce côté, l’homme l’y aidait quelque peu.

Le tueur ahorèt le porc : il le saignait. D’un coup de couteau, il le traversait d’outre en outre pour lui couper les carotides, un peu sous les oreilles. Un flot de sang jaillissait qu’on recueillait dans un crameû (terrine, platole). Bientôt l’écoulement cessait et pour faire arriver de nouveau le sang, le tueur était obligé de plier la patte de l’animal, de façon à lui relever l’épaule. Il dépliait la patte et recommençait son manège jusqu’à ce que le sang cessât de s’épandre.

Après cette opération, l’homme couchait le porc sur la poitrine et sur le ventre. Il se plaçait devant la tête, à genoux et arrachait les soies. Il se servait d’un crochet, un peu plus gros et plus fort qu’un crochet à bottines, renforcé au manche par une bague en cuivre. Le tueur relevait les soies, les pliait légèrement à rebrousse-poil avec l’une de ses mains et les arrachait avec le crochet. Il était obligé d’enfourcher la. bête pour arriver jusqu’à la’queue.

Le porc était alors culbuté sur l’un des flancs et le tueur arran­geait la paille pour qu’elle arrivât jusqu’au milieu du dos; puis il l’enflammait : il flambait le cochon, i broûléve li pourcê. Autrefois, on le brûlait à l’aide de fougères sèches. Le tueur frictionnait ensuite le dos et les parties brûlées, au moyen d’une- torche de paille, pour faire disparaître les derniers poils. Puis il étendait une nouvelle botte de paille et soumettait l’autre côté du porc à l’action du feu.

(p.289) Il arrachait alors les ongles des quatre pattes, i råyîve lès-onguês répandait quelques seaux d’eau claire sur le cochon et lui frottait le corps avec un balai de genêt ou de bouleau,  étrenné à cette occasion (2).

Maintenant, l’abatteur havait le cochon : il grattait la peau à l’aide d’un couteau pour enlever toutes les impuretés qui pouvaient s’y trouver. Dans certaines maisons, lorsque l’animal était havé, on dépendait la porte de la porcherie et l’on renversait la bête dessus. Seulement quand il y avait un autre porc dans le stå, on ne pouvait pas en enlever la porte. On culbutait alors le cochon sur une botte de paille fraîche. Après cela, le touweû coupait les pattes aux ge­noux et aux jarrets. Il remettait la bête sur le ventre, lavait le dos et le passait au balai. Comme le couteau avec lequel le tueur avait havé ne coupait plus, il prenait son second couteau et traçait une ligne qui suivait le milieu de l’épine dorsale. Il rayait ensuite l’en­droit où les côtes se rattachent à la colonne vertébrale. Le tueur plantait l’un de ses crochets dans l’épine dorsale, l’autre dans le lard, écartait les chairs, puis donnait un coup de hache afin de séparer les côtes de la colonne vertébrale. Finalement, il fendait la tête à la hache.

I vûdîve li pourcê, c’est-à-dire qu’il en extrayait les viscères. Autrefois, on les déposait sur de la paille, plus tard on les plaça clans une cuve. Saisissant un couteau, il fendait le’milieu du ventre., Le cochon, divisé en deux parties, était déposé sur une table située à côté du saloir, où l’homme achevait de le découper et de le saler.

 

(2) A Ensival, les ongles de l’animal étaient jetés, encore chauds, aux gamins qui assistaient aux opérations. Ils s’en garnissaient les doigts comme de dés. (Note de M. J. Wilkin-Charlier, Verviers.)

 

(p.290) Il frottait longuement la couenne des jambons et des bacons de lard avec une pierre à saler chargée de gros sel gris, jusqu’au mo­ment où apparaissait une espèce de mousse. On les disposait alors dans les saloirs, grands récipients en pierre ou en bois, mis dans la cave. Les saloirs en bois étaient fabriqués à la façon des baquets.

Le tueur recevait jadis un salaire de 9 patars ou 48 centimes, rétribution qui atteignit dans la suite fr. 1.50 et 2 francs. En plus, il recevait un morceau de la bête. C’était souvent dè l’ tchèrbonåde (carbonnade). Son principal profit consistait dans la vente des soies qui lui étaient abandonnées. Il en recueillait environ un demi-kilo par bête et les vendait à un prix qui atteignait parfois 80 francs le kilo (3), On lui offrait également une mèseure di pèkèt, une roquille de genièvre. Si la besogne s’achevait à l’heure du’souper, on invitait le tueur à partager le repas, surtout s’il habitait un autre village.

Telle était la coutume suivie autrefois dans la plus grande partie du Condroz.                                          

 

1925 George laport

 

 

2 A Chièvres (Hainaut), XIXe siècle 

 

Ces notes nous furent remises, quelque temps avant   sa   mort,   par   notre  regretté confrère, M. Daubechies, juge de paix à Çhièvres.

L’unique souci d’aider à conserver le souvenir d’un ancien usage qui disparaît excusera, je l’espère, mon prosaïque récit.

L’Almanach dit de Liège, édité depuis plus d’un siècle par les établissements Casterman, de Tournai, publie chaque année d’an­ciennes gravures dont l’une, relative aux travaux du mois de novem­bre, porte pour titre : On a tué le cochon, et montre le charcutier procédant à cette opération.                      

L’abattage du porc m’est resté vivace dans la mémoire. Enfant, j’attendais, comme les gamins de mon âge, cet événement promet­teur d’émotions et de jouissances gastronomiques.

L’engraissement d’un des porcs de la ferme était commencé de façon à faire coïncider son sacrifice avec les derniers mois de l’an­née, propices à la conservation des viandes, et, si possible, avec un événement marquant de la vie à la campagne : une ducace tardive,

 

NB Les soies servaient à faire le ligneul, tchètê, destiné à coudre les chaussures, qui étaient alors toutes cousues à la main. On en fabriquait aussi des brosses. (Note de M:. J. Wilkin-Charlier, Verviers).

 

(p.291) par exemple, ou même un mariage et, à tout le moins, une réunion de famille.                                       

L’abattage du cochon était donc attendu avec d’autant plus de plaisir qu’il procurait une alimentation carnée abondante – à une époque ou la viande fraîche, au village, était rare et coûteuse – et qu’il permettait de recevoir avec prodigalité les parents et amis convoqués pour la circonstance.                   

Au jour choisi s’amenait le charcutier itinérant qui exerçait ses fonctions au village. Il était armé de sa scie et de  ses coutelas, grands et petits, les petits contenus dans une gaine en cuir attachée à la ceinture.          

Le saloir, généralement en bois cerclé de fer et, plus rarement, en grès, avait été préalablement lavé à grande eau pour recevoir les gros morceaux de l’animal cher à Monselet.

Le porc, dérangé dans sa quiétude, et poussant des cris perçants, était amené dans un endroit propice des dépendances de la ferme, une patte fortement entravée par un lien solide (longe). Une ou deux bottes de paille de seigle s’y trouvaient apprêtées.  

Un aide  tirait alors violemment le lien pendant que le tueur, d’un mouvement brusque, renversait l’animal sur le flanc et, posant le genou sur le cou ou la tête, enfonçait son large coutelas dans la gorge. Le sang giclait en abondance, tandis que l’animal se débattait et poussait des cris qui, bientôt s’atténuaient à mesure que s’éteignait la vie de la victime. Ces cris annonçaient aux voisins la fin du sacrifice … et les prochaines ripailles.

Le sang s’échappant de la gorge largement ouverte était en partie (p.292) recueilli pour servir à la confection de nombreux et excellents bou­dins, blancs ou noirs, selon la recette.

Aussitôt que la vie avait abandonné le corps dodu du porc, le charcutier coupait les longues soies de la peau convenant pour la fabrication de pinceaux. La paille de seigle couvrait alors le corps de l’animal, flambait, et avait tôt fait de le débarrasser de ses der­nières soies.

La tête était ensuitç tranchée, pattes et oreilles coupées, pour aller cuire dans l’eau bouillante après avoir été raclées au moyen d’un coutelas.

Du corps largement ouvert, les entrailles étaient arrachées. Les boyaux convenant pour les saucisses et boudins étaient mis à part ainsi que la graissç destinée à être fondue.

La vessie, gonflée par le souffle puissant du charcutier, se balan­çait bientôt à un clou pour sécher et servir ultérieurement de blague à  tabac, aux bords garnis d’un lacet auquel pendrait un os de lièvre ou de lapin devant servir à déboucher les pipes.             

Le gros de l’animal, divisé en deux parties, gagnait alors la cave, afin d’acquérir la consistance convenant à son débit.          

Le lendemain, le charcutier, aidé de la fermière, revenait con­fectionner la tête pressée, les boudins, les saucisses, le tout haché à la main. Il procédait à la mise en saloir des grosses pièces à con­server : le lard (à rôtir pu destiné à la soupe) et les jambons qui, après un séjour dans la saumure, étaient fumés dans la cheminée du four.                                     

C’était ‘le moment où la fermière, consultant son calepin où étaient mentionnés les cadeaux reçus d’autres fermières à la même occasion, faisait les parts de tripes et côtelettes destinées à être envoyées à titre de remerciement ou offertes en cadeau à des amis.

Les invitations au « repas des tripes » avaient préalablement été adressées aux parents et amis.

Au jour fixé, tous les invités présents prenaient place.à la grande tfeble, dressée à cette occasion dans la pièce de la ferme appelée la « salle ».

Les appétits n’avaient pas besoin d’être aiguisés par des apéritifs et le cochon faisait tous les frais de la table : excellent potage con­fectionné avec les os, bouilli, pieds et oreilles, rôti, côtelettes, bou­dins blancs et noirs et, pour terminer, la tête pressée, ayant les dimensions d’un gros pain, et que l’on présentait protégée par une chemise blanche, ouvrage au crochet destiné à figurer plus tard sur,. Je jambon. Tous, ces mets étaient découpés à table même.

Cette série de plats, assaisonnés chacun de façon différente, con­stituaient une espèce de revue des utilisations du cochon, et les convives, habitués à vivre .au grand air, y faisaient largement honneur. (p.293) Il va sans dire que ces mets étaient arrosés d’excellente et abondante bière et, parfois, de bons vins, selon les ressources de la maison.                                        

Ces repas devaient  quelque  peu  ressembler   aux  festins dont Teniers nous a conservé le souvenir en ses tableaux.  

La coutume des repas de tripes disparaît en ce siècle; les fermiers font plus rarement tuer leurs cochons, se contentant de les vendre en ville en se réservant parfois quelques pièces, de lard, un jambon ou deux et une partie des tripes dont l’utilisation ne peut tarder.

 

1925 Fernand daubechies

 

 

3 A Crupet (Namur), XIXe siècle 

     

Dans sa remarquable élude sur la Vie traditionnelle à Crupet, M. Goztn, premier, prix du M. V. W. pour 1925, décrit comme suit la mise à mort du cochon.  

 

On a tué le porc — d’un coup de coutelas au cœur. Il hurle et « sonne son glas », i sone li transe. On arrache ses plus belles soies pour le cordonnier ou le bourrelier et l’on brûle les autres au moyen d’une torche de paille enflammée. Tous les gamins et gamines des environs sont accourus aux cris du supplicié; ils assistent impassibles, si pas souriants, à l’agonie atroce de l’animal. Celui-ci est éventré, vidé, lavé à grande eau; sa peau est râpée à la pierre ponce. , Il est ensuite suspendu à une échelle, tête en bas, pour égoutter. Après séchage, le tueur de porcs revient, le lendemain ou le surlendemain,  pour le dépeçage, po discôpè.  

Ce qu’on ne consommera pas immédiatement est pétri dans le sel et disposé dans un tonneau où se trouve de la saumure, sau mwâre. Les jambons et jambonneaux sont détachés, les pans de lard sont enlevés à part. Après un séjour de six semaines, la viande, le lard et le jambon ont pris sel ; ils sont retirés, on les laisse égoutter. Les pans de lard sont pendus à dés, barres ou à des crochets fixés aux poutres de la cuisine; les jambons aussi, mais après avoir fait un séjour dans la cheminée pu on les a suspendus pour les fumer. Veut-on les aromatiser? On brûle en-dessous du bois de genévrier ou d’autres essences odorantes.        

Quelques  jours après l’exécution, on célèbre le «service du cochon »,  on faît l’ sèrvice do couchèt  (1), dans les ménages bien calés.

 

(1) Dans la région de Metz, on va (ou qn invite quelqu’un) à l’enterrement du cochon », M. le Dr de Westphalen, de Metz , a bien voulu nous confirmer l’existence de l’expression « l’obit du cochon», qui s’emploie plaisamment pour parler du régal offert aux  amis et aux parents quand on a tué un  cochon. : J’ailans fare l’obit de note pohhé. (Note de M. T. Frécaut, Liocourt, Moselle.)

 

(p.294) Les amis sont invités à manger les carbonådes (déchets des beaux morceaux), de la firtouye (les tripes à la mode de chez nous), etc. Le porc fait tous les frais de la réunion. C’est un prêté pour un rendu ; les invites agissent de même et cela crée des liens de solide amitié (2). On enverra même un bon morceau de viande à qui aura fait plaisir, rendu un service (3).         

Le porc, d’ailleurs, est une très précieuse ressource alimentaire.

On l’utilise tout entier, jusqu’aux pieds, aux oreilles, aux entrailles.

Il est la base de l’alimentation carnée (4).

 

1925 Armand GOZIN

 

 

4 A Gembloux (Namur), XIXe siècle

 

Notre  correspondant de  Gembloux,  M.   Joseph Laubain, a décrit de façon vivante dans un   roman wallon, Solia d’amoûr, un repas de tripes. Il a bien vpulu nous communiquer ces quelques pages inédites que nous faisons suivre d’une traduction due à notre confrère M. Lucien Maréchal. Cette  peinture,  prise  sur  le  vif,   montre combien la gloutonnerie de nos aïeux s’étalait sans retenue à l’occasion de ces bombances familiales.

 

C’èst l’ grande rachonéye à l’ maujone da Djan à l’ocâsion dès tripes.      

On d’vise gaîyemint autoû dè l’ tauve, tèrchèdon qui l’ papa Gusse pûje avou one loce di stamé dins l’ bouyon à l’ crène èt sièt s’feume,

 

Il y a grande assemblée clans la maison de Jean, à l’occasion des tripes. On devise gaiement autour de la table, pendant que le papa Auguste puise avec une louche de fer étamé dans le bouillon à l’échine et sert sa femme, sa

 

(2) Un spot liégeois dit : Quî m’ tripe, djè l’ ritripe. Ces deux verbes n’existent que dans cette locution. Une autre locution proverbiale fait allusion à la  même coutume : Is n’ si pwèrtèt nin dè l’ tripe, ils ne se portent pas du boudin, c’est-à-dire : ils ne se fréquentent pas.

(3) A Ville-en-Hesbaye, quand on tuait un cochon, on en portait parfois la tête, calée, au pied de la statue de saint Antoine. Après les vêpres du dimanche, le sacristain mettait à prix les têtes offertes. L’argent recueilli servait à faire dire des messes en l’honneur du saint. (Note de M. René Wanet, Ville-en-Hesbaye.)                                                                                                      

(4)  Les porcs élevés dans notre pays au siècle dernier ne ressemblaient guère à ceux de notre époque. Ils étaient, plus hauts sur pattes, portaient des soies plus  longues et, surtout,  avaient la  crinière  mieux  fournie.  Ils n’avaient pas la peau uniformément rosé, comme ceux d’à présent, mais étaient plutôt fauves, avec des taches noires. Les progrès de l’élevage en ont fait des bêtes presque rondes,  sur  de courtes pattes,  d’un  rendement  certainement  supérieur.   (Note de M. J. Wilkin-Charlier, Verviers)

 

(p.295) si fèye, li bia-fis, li gamin, Djan èt l’ gaîy mononke Louwis qu’ èst v’nu po “s’ rimpli lès boyas” come à l’ grande fièsse (5).    

 –  Mès-amis… atakans !                            

Lès couyîs montenut èt diskindenut: pèrson.ne ni lache one parole; tant qui lès-assiètes ni sont nén vûdes.

– Cor one locîye, Mononke Louwis?        

– Oyi don! dè bouyon parèy !..,.on mwârt si r’lèvrot po-z-è sayî…

Tot 1′ monde è r’prind, sins sondji à tot c’ qu’ i faurè mindjî: dès crènés, dès skinéyes (9), dès saucisses, dè clape-à-l’-gueûye (10) …èt dès tlripes à l’ djote !.

– Mins tortos sont bons mindjeûs : is skètrin.n pus rade qui dè lachî di s’ribobiner d’tot. I gn-a qui Djan qui n’ èst nén gaîy.

– Lès crènés avou dès canadas, on-è mindjerot todi, di-st-i, Mononke Louwis ; i gn-a d’ alieûr à mutan rin su lès-ouchas…

– Alez, d’abôrd, Mononke… cor on bokèt… Et vos, m’ fèye…

 

fille, le beau-fils, le gamin, Jean et le gai rnon-onrle Louis qui est venu pour « s’emplir le» boyaux » comme à la. grande fête (5).                                

– Mes amis, attaquons! 

Les cuillers montent et descendent; personne ne lâche une parole tant que les assiettes ne sont pas vides.

– Encore une louche, Mononke Louis)                            

– Oui, n’est-ce pas!  un bouillon pareil!.,, un mort se relèverait pour en goûter (essayer).                 

Tout le monde en reprend, sans songer à tout ce qu’il faudra manger : des crènés, des skinêyes (6), des saucisses, du clape-à-l’gueûye (7) et des tripes au chou !

Mais tous sont bons mangeurs : ils éclateraient plutôt que de renoncer à s’empiffrer de tout. Il n’y a que Jean qui ne soit pas gai.

— Les crènés avec des pommes de terre, on en mangerait toujours, dit Mononcle Louis; il .n’y a d’ailleurs presque rien sur les os.

Allez, alors, Mon-oncle…- encore ,un morceau… Et vous, ma fille, servez

 

(5) On distingue la grande fête, anniversaire de la consécration de l’église paroissiale, des petites fêtes locales de moindre importance. (Note de M. L. Maréchal.)  

(6) Le porc tué pour un particulier ne se découpe pas comme le.porc de boucherie:  l’épine, dorsale est détachée, de même le filet, alors que chez le boucher on en fait des côtelettes.   Chaque partie de l’épine dorsale forme un crèné; les bouts des côtes font les skinéyes. (Note de M. J. Laubain.)   

(7)  Ce plat se prépare, comme on l’indique plus loin, en hachant les pieds, les oreilles, le gros intestin, le cœur, le poumon et l’estomac. On y ajoute du sucre, des raisins de Corinthe, du poivre et un filet de vinaigre. On obtient de la sorte un ensemble gélatineux qui colle aux lèvres. D’où son nom de clape-à-l’-gueûye. (J. L.)   

La firtouye dont parle M. Gozin page 294 se prépare à peu près de la même manière.

 

(p.296) Sièrvoz voste ome, savoz… Alez, Djan !… come nos-èstans véci, i faut qui l’ pourcia î passe, di-st-èle Fifine.

One miète après, èle apwarteûve, sur on grand plat, on long bokèt d’ filé, bin cût a mèseure, qu’ on-aleûve mindjî avou dès canadas rostis.                    

–  Hum! qu’ il èst tinre èt blanc, di-st-i Mononke Louwis. On dîrot dè poulèt! C’ èst l’ cas d’ dîre qui, quand on sogne bin s’ pourcia, on ratrape ça aus tripes!

Lès skinéyes sûvenut avou on côrin aus pomes. Sont-èles apétichantes, avou l’ maîgue bin rosti… èt l’craus qui glète à fé v’nu l’éwe à l’bouche!

Pwis, volà lès saucisses rimplîyes à churer lès boyas qui tinkîyenut télemint qui l’ vîye moman lès-a rimpli di boune tchau. Et avou lès saucisses, on grand plat d’ djote aus tièsses di sprautche (8) !

—  Alons, Mononke… il è faut deûs po l’cope!

—- Qu’ èst-ce qui vos fioz là, don, m’ fèye?… vos n’ purdoz qu’one cawéye di djote!

Mononke. Mononke Louwis a lachî, sins l’fé vôy, on cran dè l’ blouke di s’ culote…

—  Ça chone-t-i bon?            

— Si ça chone bon? dijoz!                  

 

Notre homme, savez-vous.,. Allez, Jean!  Comme  nous sommes ici  (disposés),  il faut que le porc y passe! dit Joséphine.

Peu après, elle apportait, sur un grand plat, un long morceau de filet, cuit à point, qu’on allait manger avec des pommes de terre rôties.

—  Hum! qu’il est tendre et bon, dit Mon-oncle Louis. On dirait du poulet!   C’est bien le cas  de  dire que, lorsqu’on  soigne  bien  son  cochon,  on  le trouve aux tripes!                                 

Les skinéyes suivent, avec une compote aux pommes. Sont-elles appétissantes, vec le maigre bien r6ti, et le gras qui jute à vous faire venir l’eau à la louche!

Puis voilà les saucisses remplies au point de déchirer les boyaux qui se tendent, tellement la vieille maman les a remplis de bonne viande. Et avec les saucisses, un grand plat de têtes de choux de Bruxelles (8).

—  Allons, Mort-oncle, il en faut deux pour (faire) la paire!

—  Qu’est-ce que vous faites donc là, ma fille?… vous né-prenez qu’un rien ie chou!

Mon-oncle Louis a lâché, sans le faire voir, un cran de la bouclé de ta :ulotte.

—  Cela semble-t-il bon?

—  Si cela semble bon! 

 

(8)  Touffe de feuilles au sommet de la tige qui a porté les petits choux de Bruxelles. (L. M.)                      

 

(p.297) Lès mintons qui t’ècrauchenut, mausenut todi è s’ abachant à l’  môde d’ ne galoche qui clape au pîd…

—  Mindjîz,  savoz !…   Quand  i-gn-a  pus,  gn-a   co,  di-st-i l’ gârde (9)…          

— Alezl… Fioz  toûrner l’ plat, porsût-èle, li vîye moman; après ça, c’ èst come tos l’s-ans, i gn-a pus qu’dès tchîyerîyes.

Li plat toûne… tot l’ monde li r’ssièt..

Li pot à l’ bîre faît l’ toû dè l’ tauve po l’ trwèsyin.me coûp…

 

Li vîye moman apwate on grand blanc plat..

Mononke Louwis douve sès narènes :   

— Fèrdouche ! qui vosse plat sint bon ! 

— Ça, c’ èst « la spécialité » dè l’ maujone… I gn-a là-d’dins lès pîds, lès-orèyes, one miète di craus boya, saquants bokèts d’ keûr èt d’ peûmon, dè l’  panséye… .nin d’ trop… tot ça machî avou d’ suke, dès côrintines èt on filé d’ vinégue, èt co dè pwève !

—  Alezl sièrvoz-vos; ni wétiz nin à one couyî, i gn-a ! 

On faît oneûr au plat; Mononke Louwis, sins s’catchî ci coûp-ci,lache cor on cran di s’ culote.                 

— Alez, cor on p’tit coûp di hèna !… i n’ nos faut pont-z-è lèyî…

—  Lèyîz-me one miète sofler, d’abôrd…   

 

Les mentons qui se graissent, mâchent  toujours  en  s’abaissant  à  la  façon d’une galoche qui claque au pied…

— Mangez, savez-vous ! … Quand il n’y en a plus, il y en a encore, dit le garde (9).                       

—  Allez!   Faites  tourner  le plat,  poursuit la  vieille  maman; après  cela, c’est comme tous les ans, il n’y a plus que des rogatons…

Le plat tourne… tout le monde se ressert.

Le pot à bière fait le tour de la table pour la troisième fois.

La vieille maman apporte un grand plat blanc.    

Mon-oncle Louis ouvre ses narines :    

– Fichtre, que votre plat sent bon !                    

—  Ça, c’est la spécialité de la maison… Il y a là-dedans des pieds, les oreilles, un peu de boyau gras, quelques morceaux de cœur et de poumon, de l’estomac, pas trop…  tout cela mêlé avec du sucre, des raisins de Corinthe et un filet de vinaigre, et enfin du poivre!       

—  Allez!  servez-vous ! ne regardez pas à une cuillerée, il y en a !

On fait honneur au plat; Mon-oncle Louis, sans se cacher cette fois, lâche encore d’un cran son pantalon…

— Allez, encore un petit coup de collier !… nous ne devons pas en laisser…

—  Laissez-moi un peu souffler alors …

 

(9) Dicton qui signifie : Il y en a en abondance. (L. M.)

 

(p.298) — Man ! … èco d’ ça?

— Oyi… èt vos sèroz malade!

— Boutez-lî è todi, m’ fèye… quand ça lî chone bon, c’ èst l’ principâl!            

Tot l’ plat d’atchis’ î passe; on s’ ralètche lès lèpes, pace qui c’èst l’ vraî qu’ ça clape!…

Mins on-aute gout rimplit d’djà tote li place : c’èst l’ tripe rèstchauféye au sapin dins l’ grande péle di scru fièr.

Li vîye moman ritoûne li nwêr boya qui s’ crèvaude èt crakeler dizos l’ fwârt feu; li sauce pète pa momint è spitant li stûve.

Maugré zèls, pwisqu’ is sont r’guèdés jusqu’au gosî, i gn-a qui mausenut d’avance, télemint qu’ ça sint bon!

— Por mu, djon.ne ome, vos vos-avoz aurdé po ç’ plat-ci !

— Alez, Papa!… discôpez l’ tripe!… vos causeroz après! Li pêle èst su l’ tauve; li coutia faît dès gros bokèts; li crauche grusîye co…

Totes lès-assiètes sont tindeuwes.

Ci coûp-ci, lès mintons vont glèter! Jamaîs, on n’a rén mindjî d’ si bon !                                                                              

[Ici se place une vive discussion entre convives.]

Li dîner d’ pourcia, si bin comincî, a fini come bran.mint pa les p’titès miséres di famile, qui sont po l’ bouneûr ci qui lès nûléyes èt l’ mwaîs timps sont-st-au solia!

 

Joseph LAUBAIN

 

Maman, encore de ça ?

—  Oui… et vou» serez malade.

—  Donnez-lui en toujours, ma fille… si cela lui semble bon, c’est le prin­cipal !

Tout le plat de hachis y passe; on se lèche les lèvres, car c’est bien vrai que cela colle…

Mais un autre fumet remplit déjà toute la pièce : c’est la tripe réchauffée au saindoux dans la grande poêle de tôle.

La veille maman retourne le boyau noir qui se crevasse et se craquelle bous l’effet du feu vif; la sauce pétille par moment en tachant le poêle.

Malgré eux, puisqu’ils sont bourrés jusqu’au gosier, il y en a qui mâchent d’avance, tant cela sent bon!

– Pour moi, jeune homme, vous vous réservez pour ce plat-ci !

– Allez, Papa!… découpez la tripe… vous parlerez après!                         

La poêle est sur la table; le couteau fait de gros morceaux;  la graisse gré­sille encore…

Toutes les assiettes sont tendues.

Cette fois-ci, les mentons vont baver !  Jamais on ,n’a rien mangé de si bon! [Ici se place une vive discussion entre convives.]

Le dîner de porc, si bien commencé, a nui, comme beaucoup, par les petites misères de famille qui sont au bonheur ce que les nuages et le mauvais temps

sont au soleil.                                        

 

Traduit par Lucien marechal

 

 

(p.299) 5 Condroz, XVIIIe siècle.

 

– C’est une de nos plus vieilles coutumes que, celle qui consiste à tuer un cochon à l’occasion de la Noël. Mme Ghislaine Hénaux, de Bois-et-Borsu, a bien voulu nous communiquer des notes, établies en partie d’après  des manuscrits inédits du feu Ferdinand Hénaux, l’historien liégeois, et de ton frère Etienne Hénaux.

Nous en extrayons les renseignement suivants concernant l’abattage et la préparation du porc tels qu’ils se pratiquaient il y a deux siècles, et se pratiquent encore,  en Condroz, à l’occasion de la Noël.

 

Le troisième jour précédant la Noël, on recevait la visite du boucher qui venait tuer le cochon. Après avoir cimplètement vidé l’animal, le tueur le portait dans la cave, ou il le déposait sur une grande table en ais de chêne servant de couvercle au saloir. Li touweû d’ pourcês, après-avu ajusté l’ bièsse, èl pwèrtéve è l’ câve so l’ tâve dè salû.

On laissait reposer la viande jusqu’au lendemain soir avant de la découper. Quant à la dépouille, on la faisait cuire sans tarder, après d’avoir lavée, et on la laissait refroidir pour en faire du pâté. Le foie, le cerveau, la viande fibreuse et le pancréas étaient cuits dans la poêle immédiatement pour que le boucher pût en manger avant son départ. C’était souvent aussi ce dernier qui raclait les boyaux et les donnait aux femmes pour la préparation des boudins. On cûjéve li dispouye â pus vite po l’ lèyî r’frûdi èt ‘nnè fé dè hatchis’. Li féte, li cèrvê, li nisse èt l’ sote tchâr èstint fricassés tot drût po qui l’ botchî sayahe dè pourcê divant d’ènnè raler. C’èsteût sovint l’ botchî ossi qui havéve lès boyês èt qui lès d’néve âs feumes po fé lès tripes.

Le même jour, on hachait la dépouillé en y amalgamant des oignons et du persil, sur la planche à hacher, à l’aide du hachoir qui pendait au râtelier de l’âtre. Une fois recuit, cet amalgame était moulé dans de grands plats où on pouvait ïe conserver jusqu’à deux ou trois semaines. On hatchéve li dispouye avou dès ognans èt dè pièrzin, sol plontche à hatchî, avou l’hatchâ qui pindéve â  fièr di coulèye. Après l’ avu faît r’cûre, on l’mètéve divins dès plats po l’ fé prinde; èt, grâce à çoula, on l’ wârdéve djusqu’à quinze djoûs treûs samin.nes.

Le lendemain, le four était allumé pour la cuisson des cougnous, des pans d’ djama (pains de Noël), des tartes aux pommes et des gozâs (grands chaussons). Après la seconde fournée, si le boucher avait dépecé le cochon, on mettait cuire au four, dans de grandes (p.300) casseroles en terre, les carbonâdes, tranches de filet coupées très fines. Quand l’ deûzin.me fornêye estût foû dè for, èt qui l’ botchi avût k’tèyî l’ pourcê, on hèréve è for lès casseroles avou lès carbonâdes po lès cûre come i fât.

Le même jour, à la soirée, la viande fraîche était hachée avec du poivre et du sel, puis introduite dans les boyaux bien nettoyés pour former des tripes, boudins aromatisés à la marjolaine, ou des sau­cisses que l’on suspendait dans l’âtre pour les y laisser sécher. Toute famille condrusienne eût rougi si, à cette occasion, elle n’eût pu , montrer une douzaine d’aunes de saucisse et de boudin (10).

 

1925 Ghislaine hénaux

 

 

6 La découpe du cochon.

 

Parmi les renseignements que nous serions heureux de recueillir; . signalons ceux qui se rapportent à la manière de dépecer l’animal. Celle-ci varie selon les endroits et même selon que la viande doit être livrée au commerce ou consommée” par le particulier.

A titre d’indication, nous reproduisons un dessin représentant la

 

(10) Un très ancien noël liégeois s’exprime comme suit :

Qwand n’s-årans stu à deûs’ treûs mèsses,

Nos vêrans cial magnî dès cwèsses,

Si magnerans-ne ine aune di tripe…

Quand nous aurons été à deux ou trois messes. Nous viendrons ici manger des côtes Et nous mangerons aussi une aune de boudin…

Cf, Aug. doutrepont, Les Noëls wallons, p.16, tradition liégeoise d’après Ch. Semertier,  Vocabulaire de la Boucherie et de la Charcuterie. (Bulletin de la S.L.W. t. 35).

Ajoutons enfin que tout ce qui touche au folklore culinaire du cochon peut faire l’objet d’intéressantes communications. La ma­nière de manger se transforme constamment et il est désirable que !es- anciennes recettes de cuisine ne tombent pas dans l’oubli.

 

 

7 Sorciers voleurs de boudins. 

   

Notre fidèle correspondant M. Henri Stas, de Sougné-Trembleur, nous signale une croyance populaire, relative à la confection des boudins. Nos confrères ont-ils connaissance de croyances analogues ?

 

Au début du XIXe siècle, à Trembleur et dans les campagnes voisines, on croyait que, certains sorciers avaient le pouvoir de fé ‘nn’ aler lès tripes (faire disparaître les boudins). Le macrê se ren­dait à minuit avec ses invités près de l’habitation dont les occupants avaient tué un cochon. Il étendait au pied du mur un drap blanc en faisant des gestes et en prononçant des formules magiques. Les invités se tenaient accroupis à une certaine distance. On voyait bientôt les boudins sortir de la cheminée et descendre le long du mur.

Le sorcier s’emparait du premier boudin et le jetait loin derrière lui, en criant : « Volà t’paurt » (voilà ta part). C’est au diable qu’il s’adressait. Les autres boudins étaient répartis entre les personnes présentes. Le lendemain, on trouvait la marmite sans boudins. L’eau où ils avaient cuit était souillée de suie…

On ne parle plus, aujourd’hui, de ces tours de sorciers, mais une coutume subsiste qui s’y rapporte peut-être : aucune fermière ne mettrait cuire ses boudins sans laisser tomber dans la marmite quel­ques gouttes d’eau bénite.

 

1926 Henri STAS

On toûwe li pourcia / On towe li pourcê. (On tue le porc.)

On son.ne li pourcia (/ li porcê). / On saigne le porc.

On coûtche li pourcia su do strin. (On couche le porc sur de la paille.)

On-z-aprèstéye li pourcia po brûler sès pwèls. Insi, on pôrè scrèper l’ coyène. (On prépare le porc pour le brûler. Ainsi, on pourra râper la couenne.)

On brûle li pourcia. (On brûle le porc.) (in: Constantin Chariot, Mémoire en images, Le pays gaumais, s.d.)

Après-awè scrèpé l’ coyène po r’tirer lès pwèls, on lâve li pourcia. (Après avoir râpé la couenne pour enlever les poils, on lave le porc.) (in: Clairière dans la forêt, Histoiez, Coutumes et Traditions des villages de Vlessart, Louftémont, Behême et Anlier, s.d.)

On discôpe li pourcia. (On découpe le porc.) (in: Le Sau(t) dans la ruralité, Souvenirs imagés de la vie à Sart-Risbart, Cultura Nostra Incout, 2004: chez Mauroy)

(s.r.)

(s.r.)

On r’nètîye li place. (On nettoie l’endroit.) (s.r.)

L' abatadje do pourcia (L'abattage du cochon)

(in: Albert Marinus, Le folklore belge, tome 3, 1940)

1 Tradicions pa réjions / Traditions par régions

1.1 L’ ouwès’-walon / L’ouest-wallon

Au payis d’ Châlèrwè (Au pays de Charleroi)

in : E. Yernaux, F. Fiévet, Folklore montagnard, s.d., p.325-326

ON TUE LE COCHON

 

(p.325) C’était un événement. Il attirait la foule des gosses qui ne perdaient aucun détail des opérations. On élevait des porcs non seulement dans les fermes, mais encore chez des particuliers, notamment chez les cafetiers. (p.326) Tous les fonds de verres de bière constituaient une excellente base pour les mélanges de nourritures. Le porc était tué par un boucher, peut-être aux temps anciens le fut-il par un tueur professionnel. C’est possi­ble, mais nous ne pouvons l’affirmer n’ayant rencontré aucun document sur lequel nous puissions compter pour affirmer cette thèse. La tradi­tion orale ne nous a pas permis davantage de nous éclairer sur ce sujet. Le porc était tué à l’endroit où il avait été engraissé.

Jadis, les cochons étaient plus hauts sur pattes, leur soie plus lon­gue et leur peau couverte par endroits de taches noires. Les soies étaient recueillies par rabatteur au moyen de son crochet, du moins les soies les plus belles. Il les revendait à bon prix pour en faire des pinceaux ou pour être utilisées par le cordonnier ou le bourrelier. Les soies de la crinière étaient particulièrement longues.

Le porc abattu était immédiatement saigné. On conservait une gran­de partie du sang pour confectionner des excellents boudins. On en fai­sait tant qu’on disait dj’ é mindji ène aune di boudin.

Le cochon était flambé avec le lit de la paille, sur laquelle il repo­sait; cette opération avait pour but de faire disparaître les soies. Celles-ci étaient enlevées en dernière opération par une bonne friction avec un bouchon di strin.

On faisait de la tête pressée que l’on appelait dè l’ grogne. Le porc découpé était placé au salwè. Les abats constituaient ldispouye ou en­core èl babâwe.

La vessie était gonflée et séchée pour en faire une bonne blague à tabac. Celle-ci était fermée par un lacet auquel était attaché un os de lapin. Celui-ci était utilisé pour déboucher les pipes.

On hachait les bas morceaux de viande pour en faire des saucisses.

On invitait parents et amis au repas des tripes. En même temps que l’invitation on leur faisait parvenir une part de boudin, de saucisse et de viande. Le curé était rarement oublié.

Le cochon était généralement tué pour les fêtes de la fin de l’an­née; mais, aussi à l’occasion de la dicasse. Le jambon était souvent man­gé en carbonates. Le terme est resté dans notre patois, de nos jours en­core, on demande au boucher dèl carbonate au djambon.

1.2 Li Picardîye / La Picardie (rin trové / rien trouvé)

1.3 li cente-walon/ le centre-wallon

dins l’ Brabant (dans le Brabant)

(à Djaucelète (Jauchelette), in: Jean-Jacques Gaziaux, Des gens et des bêtes, Traditions et parlers populaires, 1999)

in: Jean-Jacques Gaziaux, Des gens et des bêtes, Traditions et parlers populaires, 1999

 

  1. L’ABATTAGE

 

  1. GÉNÉRALITÉS

 

  • 51. L’intérêt consacré à l’abattage du porc se comprend aisément quand on se souvient qu’il fournissait naguère encore la quasi-totalité de la vian­de consommée dans les familles paysannes (1). En effet, ce n’est que depuis la Seconde Guerre mondiale que le nombre d’abattages a diminué. Asteûre, n-a pës qu’ saqwantes ‘quelques-uns’ quë toûwenèt co ; d’aucuns conservent la viande dans un congélateur (2).

On tue le cochon d’octobre à avril, de préférence à l’occasion d’une fête, religieuse (Toussaint, Noël ou Pâques) ou profane (la kermesse, lë fièsse, le prèmi dimègne d’ octôbe, ou un mariage, on bankèt). Naguère, la ménagè­re préparait un grand repas auquel on conviait les proches ; on-n-aleûve au  traîtemint d’ pourcia. Dans certaines familles, on abattait deux porcs par an : le premier, avant l’hiver (fin octobre – début novembre) et l’autre au début du printemps, au maus’ à dates plus ou moins fixes. Si le cultivateur constatait qu’il ne possédait pas de porc qui serait bon à abattre à ce moment, il en achetait parfois un ou deux dans ce but. N-avot on pourcia quë sètchëchéve ‘séchait’ (së lplantchi ou dins l’ maujone) èt onk qu’ èstot è l’ sé. On mindjive dëpës d’ tchau qu’asteûre (3), on ‘nn ‘avot po tote l’ anêye.

Parfois, l’abattage était reporté jusqu’au moment où le porc atteignait le poids voulu, lë tape, i nos faurè co ratinde one tape ‘un certain temps’ po touwer nosse pourcia. En moyenne, on tuait des bêtes de 150 kilos, mais certaines truies qu’on avait engraissées, rècrauchi, suralimentées, r’nourë.

 

(1) Après l’abattage d’un porc, certains paysans restaient parfois deux mois sans aller chez le boucher.   Dans l’entre-deux-guerres, on faisait (parfois) exception le dimanche ; on-n-acheteûve dè l’ tchau d’ grosse bièsse ‘bovin’ po ldimègne (voir BOV 19).   Quand on avait consommé toute la viande du porc, on en abattait de nouveau un.

(2) Pour des descriptions de l’abattage du porc en Wallonie, voir e. a. EMVW I, 284-301, Jean lefèvre, Traditions de Wallonie, Marabout, 1977, 157-159.

(3) Pour la présentation du menu, voir porc 84.

(4) Dans les familles aisées seulement.

 

(p.160) après le sevrage, dépassaient quelquefois 250 kilos ; c’èstot dès pourcias à ni soyë r’mouwer ‘remuer’ (1).

Dans la moyenne exploitation, quand on élevait trois porcs, on abattait soit le plus gros, soit le plus petit, après avoir vendu les deux autres. Dans le second cas, si l’animal acceptait de manger seul, on continuait à l’en­graisser de façon intensive, on lë r’nourëcheûve, pendant quelques jours.

Dans certaines familles, quand un porcelet ne se développait pas bien, on le tuait comme cochon de lait. Quand on cachèt n’ aleûve ni bén, on l’ touweûve, on l’ plëmeûve ‘litt. plumait : enlevait les soies’, on l’ vudive èt on l ‘ cujeûve dins one tchudêre.

D’un porc que son propriétaire fait abattre in extremis, alors qu’il est en passe de crever, on dit ironiquement que c’ èst co todë on pourcia qu’ èst touwé à côps d’ pëne dë calote ‘visière de casquette’ (2).

 

  • 52. Dès avant la Seconde Guerre, une autorisation délivrée à la maison communale a été nécessaire pour l’abattage d’un porc à domicile ; on dwèt aler qwêre on passe-avant à l’ comëne. Ce document précise la date de l’opé­ration et le poids de l’animal. Personne n’ignore que des abattages clan­destins ont été pratiqués durant la guerre et que d’aucuns ont profité du même permis pour abattre deux porcs.

Lorsqu’un repas familial est prévu à l’occasion de l’abattage, on fait en sorte que celui-ci ait lieu un lundi afin que la ménagère dispose de la semai­ne entière pour ses divers préparatifs.

D’autre part, on évitait de tuer le cochon quand la femme avait ses règles, sès régues, à moins qu’elle ne vînt pas au contact de la viande, qui ne se serait pas bien salée, trèmint l’ tchau n’ prind ni sé, èle pourët (3).

 

  1. LE TRAVAIL DE L’ABATTEUR
  2. L’abatteur

 

  • 53. Les abatteurs sont des cultivateurs du village ou des environs ; lès-abateûs, lès touweûs d’pourcias, lès pokeûs, pf. lès boutchis. Dins l’ timps,

 

(l) Les photos qui illustrent cette description ont été prises le 22 décembre 1975, chez J. Haumont, à l’occasion de l’abattage d’un porc de cinq mois qui pesait une centaine de kilos.

(2) Se dit aussi d’un autre animal, p. ex. d’un lapin, dans les mêmes conditions. L’expr. est liée au fait que certains pères décochaient des coups de casquette à leurs enfants pour les faire obéir. On dit aussi plaisamment que pour endormir quelqu’un, on li va d’ner deûs, trwès côps d’ pène dë calote.  Ç’ a sti fêt à côps d’ pène dë calote : ô va rade, dë trëviès ‘de travers’.

(3) Les mêmes précautions sont prises pour toutes les conserves.   La femme indisposée n’ira pas chercher de la viande dans le saloir, elle ne fera pas de confiture, …  C’ èst l’ alin.ne ‘haleine’, parèt-ë. N-a dès cës que riyin’ dë ça, mins is-ont d’vë foute leû pourcia èvôye ‘jeter leur porc’. Voir égalt porc 9, note 3.

 

(p.161) n-avot l’ vi Dokîr, Caraman èt s’ fë, Robèrt. En 1976, on fait appel à deux habitants du hameau limitrophe d’Orbais, lë gros Françwès ou Djôsèf dë mon Bacq, qui a pratiqué son art plusieurs années à l’abattoir de Jodoigne.

Dins l’ timps, au momint dès touwadjes, en plin-n-ëviêr, quand c’ èstot vrêmint l’ proche ‘pleine période’ qu’ on touweûve lès pourcias, lès-abateûs n’ fyin’ quë ça tote lë djournêye ; ës touwin’ quëkefîye ‘peut-être’ quate, cénk’ pourcias tos lès djous.

Le propriétaire du porc fixe rendez-vous avec rabatteur ; on va veûy l’ abateû : « Djë vénrè à one téle eûre, on djou quë dj’ so libe. » Asteûre, lë touweû vént sovint d’ l’ après-l’-dîner ou à l’ vièsprêye ‘après le goûter’. D’habitude, rabatteur vient deux jours : le premier, pour l’abattage et le découpage ; le lendemain, pour l’achèvement du découpage et la mise au saloir. Néanmoins, quand la chaleur a déjà ramené des mouches, surtout après Pâques, toutes les opérations se pratiquent le même jour, le matin et le soir.

 

  • 54. Tout doit être prêt pour l’arrivée de rabatteur. On-n-aprèstêye sès-êwes : on mèt tchaufer d’ l’ êwe bolante po r’laver sès-ostèyes ‘outils’ ; one tchudêre ‘chaudière’ dë frwède êwe èt dès sèyas d’ êwe èt, po bén fé, on sèya à busète ‘bec’ ; one rwède broche dë cou ‘une brosse raide de cour’ ; one djaube dë strins d’ blé ou on plastëk.

Caraman èst là ! L’abatteur porte sur le dos un gros sac de cuir avec deux planches latérales parfois garnies de cuir, one ârmwêre ‘litt. armoire’. Lë queû ‘pierre à aiguiser’ pind d’ on costé à one lache ‘sangle’, l’ atchau ‘hachoir, large couteau’, d’ l’ ôte costé. Dans le sac sont rangés une petite scie, one sôliète, et les autres couteaux, lès coutias : un grand pour égorger l’animal et des petits pour le nettoyer et le découper. Sous le bras, il a glis­sé le gros marteau de bois, le mayèt, avec lequel il assommera le cochon. Asteûre, Françwès boute tot dins on grand satch.

L’abateû pind s’-t-armwêre à on clau à l’ mërâye. Il se prépare, i s’ apwinte ; il troque sa veste contre un tablier et des manchettes de toile pour se proté­ger, i tère së camësole dë v’loûrs ou d’ cu po mète on bloûw cèdri d’ twèle à bavète ‘plastron’ èt dès mantchètes en twèle po s’ garantë.

 

  1. Le travail à l’extérieur – Les préparatifs

 

  • 55. Avant la sortie du porc, on répandait de la paille de seigle pour en faire une litière, one payasse. (1) Dë ç’ timps-là, Caraman chumive ‘aigui­sait’ së grand coutia dèssër one queû èt i l’ bouteûve së l’ payasse.

 

(1) D’aucuns ne répandaient cette couche qu’après l’abattage. De nos jours, on se conten­te d’un sac en plastique.

 

(p.162) D’habitude, l’abattage se déroule près de la porcherie, dins l’ cou dès rans, à proximité d’une fosse à fumier qui recueille les eaux usées, po fé courë lès man.nètès-ëwes (1).

L’abatteur et le propriétaire de l’animal pénètrent dans la porcherie et le maîtrisent en lui attachant, par un noeud coulant, une forte corde, one londje, à une patte postérieure. L’ abateû va l’ alachi dins l’ ran, i fêt on cou­rant las’. Lorsqu’il s’agit d’un porc très lourd, on lui lie une seconde corde à une patte antérieure. On l’ amin.ne jësqu’ à l’ payasse en lë t’nant pa l’ pate. Quand c’ è-st-on pourcia quë n’ èst ni abëtouwé dë sôrtë, n-a dès côps qu’ c’ èst malaujë : i faut l’ satchi pa l’ orèye, l’ bourer padri.

Pour renverser l’animal, l’ foute djës, il suffit de tirer sur la corde ; par­fois, rabatteur le fait glisser par terre, lë rèvelêye à l’ têre, en lui saisissant les oreilles. Lorsque le porc gît sur la litière, il convient, si possible, que deux personnes aident rabatteur : une femme continue à tirer sur la corde, un homme maintient la bête à terre en appuyant le genou sur son flanc et lui immobilise la patte antérieure (2). Le cochon se débat, s’ cotape, remue vivement les pattes, tèchët, se défend, së r’vindje. Ç’ n’ èst ni rén, l’ pour­cia wénkèle ‘crie’ /

Une loi de 1935 ordonne d’assommer l’animal avant de l’égorger. Lë touweû li fout on côp d’ mayèt së s’ front ; ë faut dè l’ place po hauspler ‘sou­lever pour frapper’ lmayèt.

 

La mise à mort

 

  • 56. L’abatteur saisit le groin du cochon et l’égorgé ; i li sêre lë grognon èt li done lë côp, i done së côp d’ coutia à l’ gârguète ‘gorge’ ; i lpoke ‘il lui donne un coup mortel’, i l’ pëke au keûr. Lë pourcia a bén sti poké ; lë pokeû a bén rèyëssë po l’ touwer. Quand, par maladresse, il rate son coup, le porc qui n’a pas été assommé au préalable crie très fort ; on-n-ètindeûve criyi l’ pourcia ! Quén mau-adrwèt ! N-avot dès côps qu’ l’ abateû d’veûve taper deûs, trwès côps po l’ zigouyi ; ‘l a bén ralé ‘retourné, replongé’ trwès côps d’dins, ni moyén dè l’ veûy pèrë ! Quand n-avot ni bén sti djondë ‘touché’, qu’ n’ avot ni bén l’ côp, c’èstot crèver qu’ ë fiéve jèsqu’à tant qu’ ‘l èstot djës d’ song ‘exsangue’, i stoféve ‘étouffait’. On-n-ètind quë s’ crë d’mënoûwe todë ; c’ èst ça : ‘l èst iëte ‘mort’ ! On n’ lache ni lpourcia tant qu’ ë frapîye ‘fait des mouvements convulsifs’ : sès niêrs vont co ‘il est encore parcouru de spasmes nerveux’,

 

(1) Toutefois, par crainte que les flammèches (voir porc 58) ne provoquent un incendie, notamment dans une meule de fagots proche, les aînés insistaient parfois pour qu’on abatte le cochon près des étables, dins l’ cou dès stauves. Mais cela perturbait le bétail ; lès bièsses avin’ peû, ça sintéve lë song ‘sang’, èles èstin’ ègarêyes dëdins lë stauve.

(2) Avec un seul aide qui tenait la corde, rabatteur tirait sur la patte antérieure du côté où l’animal devait tomber et il le maintenait lui-même au sol pour l’égorger.

 

(p.163) vos vèyoz sès flancs quë vont ‘bat­tent’ co, i djèmët ‘litt. gémit : râle’ (1).

Pour bien saigner l’animal, on a placé sa tête en contrebas, en pindant. Dès que l’abatteur retire son couteau, le sang gicle, lë song about fou, ça vént à flots ; ë faut ièsse là avou on bassén, one casserple po l’ ramasser, po l’ rascoude ‘recueillir’. On boute dè sé dins l’ fond dè l’ casserole èt on toune dèdins l’ song avou s’ mwin po ni qu’ ë blètîye ‘caille’. On pourcia, po ièsse bén touwé, i faut qu’ ë tèchîye ‘remue vivement les pattes’ bran.mint, po son.ner ‘saigner’ lpës possëbe po quë l’ tchau seûye blanke. On pourcia qu’ n’ èst ni bén son.né, i n’ prind ni bén sé ‘il ne se sale pas bien’. Pour que le sang gicle fort, il est préférable que l’animal produise des efforts pour crier, qu’ ë boute po criyi. Aussi certains abatteurs regrettent-ils l’ancienne mise à mort qui leur permettait de ne pas assommer le porc. Ils estiment que le coup sur la tête fait que le sang se caille ; lë song blètë, i s ‘ glace dèdins, i s’ pwate à l’ tièsse, il èst mouwé ‘remué’. Lë pourcia n’ èst ni bén son.né. De là à courir le risque d’égorger l’animal sans l’assommer …

Après la mort du cochon, rabatteur lave son grand couteau à l’eau chau­de et l’essuie avec un drap bien propre, avou on prôpe drap d’ mwin ‘essuie-main’.

Les cris de l’animal ont évidemment attiré les enfants du voisinage et parfois ceux de l’école lorsque l’endroit du sacrifice en est proche ; n-a dès côps qu’ lès-èfants v’nin’ veûy avou l’ mêsse quand on touweûve lë pour­cia.

 

Le nettoyage et le découpage

 

  • 57. Dès que le porc est tué, certains abatteurs commencent à le décou­per ; is côpenèt lès-orèyes èt lès pates, à l’ prèmi ployant ‘articulation’, lès cënes dë d’vant à ras’ dè gngno èt cènes dè d’dri à ras’ dè djèrèt (fig. 57). Sur demande, ils nettoient les pieds ; quand on l’zi d’mande, is r’nètenèt lès pids, ça va byin pës rade quë vos ! On lès boute o miète dins dè l’ bolante êwe po ië lès-ongues djës, on lès plëme ‘enlève le poil’ à l’ bolante êwe dins one bassëne ou one tchôdêre (2).

Gare aux âmes sensibles : më, djë n’ p’léve mau d’ i aler m’ froter !

 

(1) De la sorte, les pieds restaient bien blancs, sinon ils étaient brûlés avec le corps (voir porc 58).

 

(p.164) § 58. On renouvelle la litière, on r’tëre lès man.nèts strins avou one fotche (1) èt on staure ‘étend’ dès grands strins d’ blé prôpes, et l’on y dépo­se le cadavre déjà mutilé.

Jadis, on lui arrachait les plus grandes soies de l’échiné, lès grantès swèyes (2). Ensuite, le corps était couché sur le côté et éventuellement recouvert de paille.

Traditionnellement et pratiquement aussi longtemps qu’a duré la culture du seigle (3), l’abatteur a flambé le porc avec un brandon ; i blameteûve (4)

 

(1) Les années où l’on manquait de paille, on la récupérait pour la litière du bétail.  Quand n’ avin’ trop pô d’ dinrêyes (nourëtëre, strins èt tot), on fouteûve on sèya d’ êwe dëssës lès strins po lès r’laver, po stièrnë lès vatches avou.

(2) Les cordonniers et les bourreliers les utilisaient comme aiguilles.   Lès cwamejis èt lès gôrlis findin’ lë swèye pa l’ copète èt lë r’colin’ avou d’ l’ aurpwè ‘poix’ ; ça remplaceûve lès-awîyes po keûse ‘coudre’.  Quand les soies étaient particulièrement grandes (së lès vis vèrauts, lès vîyès trôyes), on en faisait des brosses.    Wête ë pô quén lêd pourcia !  Là dès grantès swêyes ! C’ è-st-on pourcia bén mau nourë !

(3) C’est-à-dire jusqu’aux environs de 1955 ; voir cér 342.

(4) Blameter, v. tr., ‘flamber (un porc)’ ; égalt une volaille (anim 83). Autre sens : v. intr., ‘flamber, flamboyer, étinceler’.

 

(p.165) pourcia ; n-avot dès flamauches ‘flammèches’ quë volin’ tos costés. Quand n-avot pës qu’ one pëtëte pougnîye dë strins, i l ‘ fouteûve astok dè l’ pourcia èt i ralëmeûve one ôte twatche à l’ prëmëne (1). Quand lpourcia èstot brûlé d’ on costé, on lë r’tournéve së l’ ôte en lë t’nant pa sès pates. Quand il èsteût tot rostë, on lbrocheteûve avou on ramon bén r’bot ou one broche dë cou bén r’nètîye ‘on le brossait avec un balai particulièrement usé ou une brosse de cour bien nettoyée’ èt on suveûve avou l’ sèya à busète ‘bec’, on tapeûve dès sèyas d’ frwède êwe dëssës po chover lès man.nèstés èt lès clokètes ‘pour balayer les saletés et les ampoules’. Lorsque le flambage a été excessif, le porc est roussi, hapé ; i n’ faut ni brûler lpia, nom dë diô !

Ensuite, rabatteur raclait complètement le corps avec un petit couteau ; ë scrèpeûve lès mëséres ‘saletés’ djës (2) : lès stos ‘bases, racines’ d’ swêyes, lès tètes ‘mamelles ; boursouflures’. Lë coyin.ne ‘couenne’ èst bén r’nètîye. Èt lès tchèts sont là autou, is ratindenèt po-z-oyë lë p’tët bokèt ; faut tchèssi lès tchéns èvôye.

 

  • 59. Depuis que la culture du seigle a disparu, rabatteur enlève les soies à l’eau bouillante. On plëme lë pourcia avou on coutia à l’ êwe fwârt bolante ; on vude à fêt ‘au fur et à mesure’ lbolante êwe quand on scrèpe ‘racle’. Cette opération s’appelle lë plëmadje. Lë pourcia èst hapé ‘ébouillanté’ pa l’ bolante êwe. Pas mal de paysans reprochent à cette méthode d’amollir la viande ; lë tchau èst pës mofiasse, èle est chôdêye ‘échaudée’.

 

  • 60. Après ce nettoyage, on replace le corps sur le ventre et on le cale bien (3); on boute lë pourcia plat së s’ panse, së sès quate sportons ‘moi­gnons’, on l’ astoke bén avou quate brëkes peû qu’ ë n’ rëde ‘de peur qu’il ne glisse’.

L’abatteur lui tranche d’abord la tête ; i côpe lë tièsse à rés’ dè l’ cô, i tape avou s’-t-atchau pa casser lcrèsse ‘colonne vertébrale’. Avec le même instrument, il fend, find, la tête en deux et en extrait le cerveau, lë cèrvia (4).

Il importe de bien dégager le sang de chaque morceau (5). On cheût l’ song fou, on passe lë bokèt deûs, trwès côps dins on sèya d’ êwe po-z-oyë l’ pës gros ‘l’essentiel’ dè l’ song fou, adon on lpasse dins one tëne ‘cuvelle’ po bén lë r’laver à (ou dins l’ ) grande êwe. Adon on lboute së l’ costé së dès strins po l’ lèyi d’goter ‘égoutter’ po ni qu’ ë d’meûre dè song d’dins, d’vant dè l’ rapwârter po souwer së l’ tauve dins lmaujone.

 

(1) Lë pës sovint, ça soke ‘cela ne brûle pas bien en se consumant lentement’, lès bokèts dë strins. Aussi prenait-on la peine de bien les éteindre.

(2) Expr. ironique : djë m’ va scrèper l’ pourcia ‘me raser’.

(3) Naguère, on renouvelait encore une fois la litière avant de procéder au découpage.

(4) Le cerveau est recueilli dans une tasse où on le lave. On cujeûve lë cèrvia po soper avou dès-agnons ‘oignons’, dè pwève èt dè sé, èt dè bure.

(5) Il en sera de même pour tous les morceaux découpés par la suite.

 

(p.166) De nos jours, d’aucuns aspergent les morceaux de viande saignante au moyen d’un tuyau en caoutchouc.

 

(p.167) § 61. L’abatteur pratique ensuite une incision de part et d’autre de l’épi­ne dorsale, sur toute sa longueur ; i crin.ne lès deûs costés dè l’ crèsse (dë dos), i fêt deûs rin.nûres. Avec son hachoir, il dégage alors les vertèbres, lès crans-os, pf. lès crins d’ crèsse (fig. 58). Depuis peu, pour faciliter le découpage, on s’aide de crochets, dès-avèts ; auparavant, on tirait avec les mains. Tos lès crans-os s’ dësclapenèt ‘se détachent’ ; l’ abateû satche lë crèsse dè dos (fig. 59).

 

  • 62. Le moment est venu pour rabatteur d’ouvrir le corps ; lë pourcia èst drouvë. Il enlève le foie, lë fwète, qu’il dépose dans une terrine, one têle, après en avoir ôté la vésicule biliaire, l’ amér, qu’il jette. Il extrait les intes­tins et les organes attenants, i satche lès-abayes (1) fou, tot ç’ qu’ èst dins l’ twèle ‘litt. toile: péritoine’ quand on drouve lë pourcia : les intestins, lès boyas, le gros intestin, l’ andouye (2), lë gros boya, la rate, lë nësse, l’esto­mac, lë satchot, lë magot. L’ abateû fout lès-abayes së l’ costé ; il s’en occu­pera en terminant son ouvrage.

Certains abatteurs découpent lë lîve : il s’agit d’un morceau de viande avec du cartilage attenant aux côtes et au saindoux, de la forme d’un lièvre (fig. 60) ; on bokèt avou dè crokant, dè coriant ‘nerf. Ensuite, vient le moment d’enlever le saindoux, dont il existe en fait trois sortes ; n-a trwès bokèts d’ sayén. On bokèt bén spès : lë bon sayén, ‘l èst blanc. Lë chèmisète, lë mouchwè ‘litt. mouchoir’, lë vwèle ou lë vwèlète, avou dès places totes tènes : ce fin voile entoure le saindoux proprement dit, les reins et la rate y sont attachés ; ce beau morceau sèche vite, i d’vént ‘t-ossë rwèd ‘tout raide’. Lë frase ou frasète, lë frësêye, lë colorète : la fraise ou le mésentè­re est une petite membrane de la grosseur du doigt, toute dentelée et à laquelle sont fixés les intestins, c’ èst ç’ quë lès boyas tënenèt autou, ce qui lui donne mauvais goût (3). L’abondance de saindoux permet d’apprécier la valeur du porc ; n’ avans bén on bon pourcia : wête lë sayén qu’ n’ avans. L’ abateû fêt deûs traus dins l’ vwèle dè l’ sayén èt il èfële ‘litt. enfile : perce de part en part’ lë bôrd sër on prôpe cayèt èsprès, il èmantche one vèdje ‘il introduit une verge’ dëdins po l’ pinde à l’ êr po r’ssouwer. Parfois, on

 

(1) Abayes, s. f. pl., ‘intestins du porc abattu et organes attenants’ ; de même pour la volaille (anim 84) et les bovins.

(2) Andouye, s. f., ‘gros intestin (du porc abattu)’, arch. et pf. utilisé au pl. On ne désigne ici que le contenant.

Plin come one andouye ‘ivre mort’ ; syn. crèvé sô.

(3) On nettoie soigneusement la fraise en enlevant le petit bord rosé auquel adhèrent les intestins, où-ce quë lès trëpes sont-st-alachîyes, ainsi que les morceaux de diaphragme qui l’en­tourent, c’ èst dè l’ mwate tchau.  Ensuite, on fond ce saindoux ; on l’ fond à paurt èt on l’ boute dins on bëdon ‘récipient’ sins saler. On s’en sert pour préparer de la pâte de tarte (cér 321), pour s’en enduire les mains pour faciliter un vêlage (bov 57, n. 1) ou pour soigner les crevasses du pis d’une vache (bov 332).

 

(p.168) le dépose d’une part sur le dossier d’une chaise, d’autre part sur une table; quand il fait chaud, on le suspend dans la cave, devant le soupirail, dëvant l’ rayèle dè l’ cauve.

 

  • 63. Après avoir vidé le corps, rabatteur le découpe en deux. Quand l’ pourcia èst tot vudi, i l’ côpe è deûs ; i côpe lë laurd ‘lard’, lë panse : c’ èst l’ panse, lë laurd ! Quand c’ è-st-on mauvês pourcia, lë d’zos dè l’ panse, lë panselêye (1) c’ èst come one pèlake ‘pelure’. I côpe lë pés ‘pis’ ; lë laurd dè pés d’meure avou llaurd. I côpe lès lèpètes dë pia ‘languettes, petits lambeaux de peau’ po foute po l’ tchèt. Il tranche le nombril ; jadis, il ser­vait à huiler les scies, on windeûve lès sôliètes avou lboteroule ; asteûre, on l’ pind à l’ ëch po lès mouchons ‘oiseaux’.

 

(l) Panselêye, s. f., ‘partie inférieure du ventre (du porc)’ ; pf. d’un bovin ; ‘panse qui traî­ne par terre (d’une lapine, d’une chatte pleines)’.  Sens voisin : ‘gros ventre’.

 

(p.169) Le corps est donc divisé en deux parties dans le sens de la longueur. Celles-ci sont rapportées dans une pièce et déposées sur une table sur laquelle on a disposé une bonne couche de paille de seigle ou deux mor­ceaux de bois. On fwârt ome rapwate on pan së së spale ‘épaule’ (1); ou bén on lrapwate à deûs, à tch’vau së s’ brès. Les deux « pans » sont pla­cés en travers de la table sur leur support, de sorte qu’ils bénéficient d’une bonne aération qui facilite le séchage et l’égouttage, po qu l’ êreû ‘air’ passe dèzos po r’ssouwer l’ tchau èt come ça, ça d’gote bén (2). On met la colonne vertébrale entre ces deux « pans » et la tête sur un trépied garni de paille.

Certains paysans frottent bien la viande avec des draps pour l’essuyer ; quand i djale ‘gèle’, c’ èst tot d’ sute rèssouwé.

 

  • 64. Il ne reste plus à rabatteur qu’à vider les intestins et à les laver. Lë touweû wête après l’ coron dè l’ trëpe ‘cherche le bout de l’intestin’ po lès dësfé one èri d’ l’ ôte po lès rô1er, po fé on tchapelèt avou. I done on côp d’ coutia d’dins po lès vudi, i lès r’nète avou sès mwins (fig. 61 ) èt i lès r’lave. Adon on lès boute trimper dins on sèya d’ frwède êwe.

Naguère, il mettait égale­ment tremper l’estomac, lë satchot, après l’avoir ouvert et vidé (3). Jadis, on récupé­rait aussi la vessie, lë vèssîye. Après l’avoir lavée et

 

(1) L’abatteur perce la viande à la hauteur de l’os du jambon pour qu’on puisse mieux sai­sir le « pan » pour le porter.

(2) D’aucuns déposaient la viande par terre, sur une couche de paille, mais cela s’égouttait moins bien.

(3) Pour sa consommation, voir porc 76.  Dins l’ timps, on n’ tapéve rén èvôye ; de nos jours, l’estomac est jeté sur le fumier.

 

(p.170) nettoyée, on la gonflait avec un fétu de paille pour la mettre sécher à l’ex­térieur, contre un mur, hors d’atteinte des chats ; on lfieûve sètchë mwârt ‘tout à fait’ on-an, on-an èt d’mê à l’ ëch. Pour rendre son maniement plus facile, po l’ frôyi, on y introduisait un peu de son. Les fumeurs s’en ser­vaient souvent comme blague à tabac ; po fé one blague à l’ toubak , on coseûve one ganse dëssës lvèssîye, on l’ gansetreûve ‘gansait’ po lsèrer ‘fermer’. D’aucuns l’emplissaient d’eau froide et l’appliquaient en com­presse sur le front d’une personne qui souffrait d’un mal de tête. En outre, des ménagères utilisaient cette vessie pour recouvrir les pots de haricots en conserve, po rascouvrë lès pots d’ grès avou dès pwès d’ Rome à consèr­ver. Enfin, des garçons s’amusaient, sur le chemin de l’école ou même au catéchisme, avec des vessies de porc qu’ils gonflaient, avou dès pètârds dë pourcias ; po l’ gonfler, on bouteûve on strin d’dins èt on sofleûve.

Lorsque la ménagère ne fait pas usage du gros intestin, on l’enterre profondément dans le tas de fumier ; lès tchéns vénrin’ trin.ner ça tos costés !

Quelques seaux d’eau et quelques coups de brosse suffiront pour effacer les traces du sacrifice.

 

  • 65. Le découpage du porc s’opérait parfois d’une autre façon : en sus­pendant le corps par les pattes postérieures sur une petite échelle. On pro­cédait de la sorte quand on tuait un porc pour un mariage ou un grand dîner. Comme on ouvre le corps par le ventre, on obtient le filet entier et de plus beaux morceaux de la découpe (2). Depuis que les agriculteurs conservent la viande au congélateur, des abatteurs ont repris cette méthode pratiquée par les bouchers. Come ça, on côpe lès crans-os ‘vertèbres (avec viande)’ è deûs po-z-oyë dès côtelètes. Par contre, ce sont ces vertèbres qui consti­tuent un des morceaux de choix lorsqu’on découpe le porc par le dos.

 

  • 66. Lorsque cette première partie du découpage est terminée, parfois dès que le porc est tué, son propriétaire sert à boire à rabatteur ainsi qu’aux personnes présentes ; on done à bwêre one gote ‘un verre de genièvre’.

 

(1) Outre ‘vessie de porc’, j’ai relevé plusieurs sens pour pètârd dë pourcia.  Pour certains de mes témoins, il s’agit de l’extrémité du gros intestin : c’ èst l’ kë, l’ tiyau ‘litt. tuyau’ dè kë, lë d’bout dè boya qu’ on côpe fou (avou on bokèt d’ boya) quand on toûwe lë pourcia. Le gamin qui jouait avec cela se faisait morigéner : « Man.nèt gamin quë s’ promin.ne avou lpètârd ! »

Pour un abatteur de Jodoigne-Souveraine, c’est l’œsophage du porc ; de même à Jodoigne, la muqueuse très résistante de cet oesophage (A. marinus, Le folklore belge, t. III, p. 49).

Enfin, J. Decossaux, originaire de Noduwez, me signale le sens de ‘boule de graisse adhé­rente à la vessie du porc et de la forme d’une poire’.

(2) Peu de témoins se souviennent d’avoir vu ce découpage. Voir houziaux 94-95.

 

(p.171)

  1. La mise au saloir

 

  • 67. Le lendemain, rabatteur revient pour achever le découpage de la viande, le dëscôpe, et pour la saler. D’ l’ ëviêr, l’ abateû r’vént todë saler l’ lendemwin quand l’ tchau èst bén r’ssouwêye. I vént avou sès coutias po dèscôper sès tchaus. I boute on d’mé pourcia së ltauve.

Il détache d’abord les côtes du lard ; i satche, i dësclape lès skènes djës dè l’  laurd ; on pan dë skënes. Il enlève l’aloyau, l’ alwèyau, des jambons anté­rieurs.

Ensuite, il découpe les jambons en commençant par les postérieurs ; lë boutchi c’mince pa dëscôper lès djambons dë d’dri en rond, avou on grand coutia pwintè. Certains prennent la peine de bien les arrondir pour les rendre plus beaux, on lès rondje ‘rogne’. Evidemment, les rognures en sont d’autant plus nombreuses ; lès r’tâyes, lès rondjûres ou rondjêres, lès lèpètes ; i lès fout totes dins on scadia ‘cuvelle’. Après quoi, il nettoie la couenne ; i r’nète lès strins djës èt l’ coyin.ne. Adon i pèle lë djambon po qu’ ça seûye plat. On-n-èpèle lès djambons sër one tchiyêre ‘on empile les jambons sur une chaise’. Ajoutons que, lorsqu’on tue le porc en automne, il n’est pas nécessaire d’enlever l’os du jambon ; ça n’ èst ni sëdjèt’ dë sinte dë l’ ëviêr. Par contre, cette précaution est indispensable au printemps : ça sint co bén ‘litt. encore bien : parfois’ quand on-n-arëve à l’ oucha. Cet os sur lequel reste toujours un peu de viande servira pour donner plus de goût à la soupe. L’omoplate, lë platëne ; l’os iliaque, on gros rond oucha.

Notons qu’à l’occasion d’un mariage, on découpait parfois des rôtis, dès rostës, dans les jambons ; mins lès djambons sont-st-abëmés, n’ a pës dès bèlès trintches ‘tranches’, tot lmèyeû dè pourcia è-st-èvôye ‘parti’.

L’abatteur place la colonne vertébrale sur un billot, on blo, ou sur le tré­pied, lë trèpid, et la sectionne avec son hachoir ; i côpe lë crèsse à trwès, quate crans-os, i côpe lès crans-os à bokèts, i lès casse avou s’-t-atchau.

Pour finir, il découpe le lard ; adon n’ a pës qu’ lès laurds. Il rogne les « pans » de lard ; i côpe dès lèpètes djës, dè craus. Ces rognures seront salées comme du lard ou fondues avec le saindoux du mésentère.

Un abatteur maladroit émiette parfois la viande et les os en frappant mal avec le hachoir ; ël a tot d’botcheté lpourcia, c’ è-st-on fameûs pourcia ‘mauvais ouvrier, peu soigneux’ / N-a dès touweûs quë sont pës prôpes.

 

  • 68. Quand la viande est découpée, on descend à la cave pour la mise au saloir. Celui-ci était d’ordinaire une grande cuve en bois. Nosse salwè, c’ èsteût one grande tëne dë tchin.ne ‘chêne’, fête pa l’ vi Zande, on toneli ; le témoin se souvient des dimensions : 1,50m de diamètre, 60 cm de hau­teur, 6 cm d’épaisseur ; la cuve était munie de deux grandes anses, deûs grantès pougnètes.

(p.172)

Comme le sel provoque la rouille, on protégeait les cerceaux avec du minium ; on bouteûve dè miniom’ së lès cèkes. Lë sé, ça pleûre ‘suinte’ todë, n-a todë dès gotes fënes rodjes dëssës l’ tëne. Environ un mois après la mise au saloir, la rouille apparaît surtout sur les cerceaux ; n-a d’ l’ èronëchûre, ça pousse ‘ressort’ fén blanc. Lë sé à l’ péke èst plin ltëne ‘une croû­te de sel de saumure s’attache à toute la paroi de la cuve’. Jadis, pour empê­cher tout écoulement de saumure, on tapissait le fond de la cuve de farine de seigle, on bouteûve one pougnîye dë farëne dë blé dins l’ fond.

Une fois que toute la viande entreposée dans la cuve était consommée, on la remontait pour la laver à l’eau chaude avec du sel de soude, dè l’ lèchîve. On l’ bouteûve së crèsse ‘de biais’ po bén lfé r’ssouwer. On l’ fieûve rô1er po l’ dèskinde è l’ cauve.

Lë tëne à saler, ça s’ prëstéve ‘se prêtait’ : on lë v’neuve qwêre à bèrwète ‘brouette’ d’ one maujone à l’ ôte.

Ajoutons que quelques cultivateurs possédaient un saloir en maçonnerie, on salwè fët en brëkes èt cëmenté. Depuis les années septante, certains se servent d’un congélateur, on conjélateûr (ou conjëlateûr).

 

  • 69. La mise au saloir peut commencer. La ménagère a mis à la dispo­sition de rabatteur une quinzaine de kilos de sel, achetés pour la circons­tance, un poivrier bien rempli, du vinaigre, et une ou deux chaises. Pour descendre les jambons postérieurs, plus épais et qui seront placés au fond du saloir, on les dépose sur le siège d’une vieille chaise protégé avec du papier ; on porte les jambons antérieurs dans les bras ; les rognures sont dans une cuvelle. Jadis, toutes ces opérations se déroulaient à la lumière d’une lanterne.

D’abord, rabatteur couvre le fond du saloir avec du sel, avou one boune coutche dë sé’, de préférence avou dè gros sé po lès grossès pîces ‘mor­ceaux’. On boute trwès djambons dins l’ fond ; i frote l’ oucha ‘os’ dè l’ djambon avou dè pwève èt dè vënêgue, èt ossë tout ldjambon avou dè sé, à pougnîyes. Quand cet os est enlevé, il remplit la cavité avec du sel, du poivre et parfois du vinaigre, pour la protéger des vers, po qu’ lès viêrs në s’ boutenèche ni d’dins ; adon, i r’plake ‘applique de nouveau’ lë bokèt d’ssës.

Les creux entre les jambons sont remplis avec des rognures ; on bouche lès traus avou lès r’tâyes. Faut bén ètassi l’ tchau ! Notons qu’au préalable, la ménagère a trié, rèli, les morceaux qu’elle ne veut pas voir saler (1) ou qu’elle réserve pour la préparation de boudins ou de saucisses. Il s’agit sur­tout de viande maigre qu’elle dépose dans l’un ou l’autre récipient.

 

(1) Quand c’ èst salé, ç’ n’ èst pës lmin.me, ç’ n’ èst pës dè l’ douce tchau.

 

(p.173) Pour bien conserver la viande, rabatteur y fait des entailles dans les­quelles il verse du sel et du poivre. Il recouvre d’une couche de sel tous les morceaux qui occupent le fond du saloir. Là-dessus, il déroule, à côté du quatrième jambon, les « pans » de lard^ au milieu et dépose les demi-têtes sur le bord, avec des rognures ainsi que le cou, le golé (qui porte la trace du coup mortel).

Ces petits morceaux, de même que les côtes et les vertèbres, ne sont salés qu’avec un peu de sel fin, de fén sé. On done on côlp d’ coutia inte chake crans-os ‘vertèbre’ èt on frote dè sé inte lès-ouchas. En hiver, on se conten­te même de les déposer tels quels au-dessus du saloir ou de suspendre les côtes avec une corde devant le soupirail, d’vant lrayèle, à l’ êr. C’est là qu’on accroche aussi les filets, lès fëlés, lès flaches, qui fourniront soit le rôti, on rostë à l’ fëlé, soit les « carbonnades » rôties de la fête familiale.

 

  • 70. Lorsque la viande est abondante, rabatteur assemble un tas qui dépasse du saloir ; n-a dès côps qu’ ça monte fou dè l’ tëne, à hopète. Parfois, les espoirs sont déçus : nosse pourcia n’ s’ a ni bén touwé, n’ a wêre dë tchau. Il va de soi que certains abatteurs ont mieux l’art d’arranger les morceaux que d’autres ; n-a dès cës qu’ ont mia l’ alûre po arindji ltène. Une der­nière couche de sel recouvre l’ensemble. Au printemps, on protège la vian­de des mouches avec le semoir en toile que l’on dispose au-dessus des anses.

Faut one eûre po mète on pourcia à place. Lorsque l’ouvrage de bouche­rie était terminé, on servait souvent à souper à rabatteur. On li fieûve à soper avou on bokèt d’ fëlé ‘filet’ ou d’ alwèyau ; l’ ome sopéve avou dè pwin d’vant d’ è raler ‘retourner’.

 

  1. LE TRAVAIL DE LA MÉNAGÈRE

 

  1. La semaine après l’abattage

 

  • 71. Toute la semaine qui suit l’abattage est consacrée à diverses prépa­rations. Lë samin.ne dè l’ touwadje, on n’ sét rén fé qu’ ça ; c’ èst d’ l’ ovradje, one lêde samin.ne. Tot ç’ qu’ on djont ‘touche’ èst craus, ça sint lès crauches, lë dous-cras ‘douceâtre’. On-n-a bran.mint dès bëdons èblavés ‘on utilise beaucoup d’ustensiles’. La maison connaît une grande activité qui provoque désordre et saleté ; on ‘nn ‘a one dë maujone !

 

(1) On plôye ‘plie’ lès laurds è deûs po lès pwârter dins lcauve.

(2) Èblaver, v. tr., ‘utiliser (des récipients et donc les salir)’.

 

(p.174) – Le saindoux

 

  • 72. La ménagère fond le saindoux dès qu’il est bien séché ; c’est déjà parfois le cas le lendemain de l’abattage pour le fin voile qu’est la chëmizète (1). Nosse sayén èst d’djà bén aské ‘à demi séché’. Cand ‘l èst souwé, l’ sayén è-st-ossë rwèd ‘raide’ qu’ on pèkèt.

Pour commencer, elle détache la peau qui enveloppe le saindoux (sauf celle du mésentère qui est très fine et qui est fondue avec son contenu) ; èle dèsclape lë pia, lë twèle avou sès dwèts. Jadis, on gardait cette toile bien séchée pour divers usages on l’ pindeûve sètchë së lguërni. Hermétique, elle servait à boucher les bocaux de conserves ; on ltinkive ‘tendait’ së lès bocaus d’ pwès d’ Rome ‘haricots’ avou dè sé ; ça n’ a pont d’êr. On y enve­loppait divers produits (du pain, de la pâtisserie, de la pâte, du mastic) pour conserver leur fraîcheur, po ténre wime ; on toûrneûve dès târtënes dins on papi au bûre èt après dins one pia d’ sayén. Cette toile protégeait un panse­ment de l’humidité. Quand on-n-avot bouté one loke sër one cwachûre ‘cou­pure’, sër one ac’sûre ‘blessure’, on toûrneûve lë twèle autou po qu’ ça n’ frèchëche ni ; ça n’ pèrcéve ni.

Adon, on côpe lë sayén à tos p’tëts bokèts avou on coutia sër on blo ‘billot’. On les met fondre à feu doux, sur le tuyau du poêle ; on lès boute dins one marmëte au d’bout dè l’ bûse, ni à tchôd fè, ça fond tot doucemint. Quand n-a trwès centëmètes dë crauche au fond dè l’ marmëte, on l’ raproche së l’  couviète ‘couvercle’ po qu ‘ ça vauye pës rade. On toune dèdins avou lchëmerèce ‘écumoire’ : faut lmachi ; en effet, si la ménagère est distraite, le saindoux brûle et brunit, i d’vént tot brën’. On llêt boûre on bon côp po-z-afënë ‘faire diminuer à force de bouillir’ l’ êwe. Fêt-à-mèsêre quë l’ sayén fond, on pouje avou one loce ‘on puise avec une louche’ èt on l’ passe dëssës l’ chëmerè­ce dins one têle ‘terrine’ ou dins on pot en grès (lë pot au bon sayén ; fig. 62), on bocau, on vêre. Dëvant qu’ ë n’ prin.ye, on boute o miète dè sé. De petits morceaux de saindoux ne fondent pas et sèchent ; on les appelle lès crètons dè l’ sayén. Avec le saindoux d’un porc

 

(1) Pour les diverses sortes de saindoux, voir porc 62.

 

(p.175) de bonne qualité, ces lardons sont peu abondants. Lorsqu’ils sont mélangés au saindoux fondu, ils le brunissent. Aussi, d’habitude, la ménagère les garde-t-elle pour la préparation – toute proche – du boudin.

Le lendemain, la ménagère fond le saindoux de seconde qualité, celui du mésentère. On fond à paurt lë sayén dè l’ frâse, dè l’ dëspouye (1) lë man.nèt sayén. On l’ boute à place ‘de côté’ dins on plat, dins one vîye jate po quand lès vatches vêlenèt (2).

Lorsque la ménagère coupait le saindoux en morceaux, elle le fondait en plusieurs fois ; on-n-è bouteûve o miète alfîye po qu’ ça fondëche tot doucemint. Depuis qu’elle le moud dans le hachoir, dins l’ machëne à hatchi l’ tchau, elle peut en fondre une plus grande quantité en une fois ; de plus, le saindoux fond plus vite et laisse moins de crètons.

 

  • 73. Pour éviter toute moisissure, il importe que le saindoux soit bien sec ; i tchamosse dins lpot quand ‘l èst frèch, l’ êwe dèskind d’dins. Nosse sayén est bén adièrci ‘réussi’ : on le conservera longtemps. Naguère enco­re, les paysans le consommaient sur leurs tartines po s’ è sièrvë, on lcôpe à trintches ‘tranches’. Les ménagères l’utilisaient dans la préparation des galettes, qui sont rendues plus grasses, et surtout des crêpes, avec du beur­re ; on-n-a lès mèyeûses dès vôtes, èles fondenèt dins vosse bouche (3).

 

Le pâté de foie

  • 74. D’habitude, on consomme le foie le lendemain de l’abattage ; on cut l’ fwète lë lendemwin po diner, on l’ côpe tot à bokèts (4).

Cependant, certains villageois préfèrent préparer du pâté, dè paté d’ fwète ou d’ fwè. L’opération a lieu le même jour ou le surlendemain de l’abatta­ge. La ménagère moud une livre de foie, une de viande maigre et une troi­sième de viande plus grasse (5); elle mélange le tout avec deux ou trois poi­gnées de farine et l’assaisonne : èle boute dè pwève, de se, dès-agnons ‘oignons’, dès fouyes dë lorier, dë pëlé ‘thym’, po doner gout. Elle enve­loppe la préparation dans le fin voile de saindoux qu’est la chëmisète et la met cuire dans une terrine (6). On obtient un pâté à grumeaux, à grësias.

 

(1) Voir porc 76.

(2) Voir bov 53 et porc 62, note 3.

(3) Notons ce spot : dè sayén … tièsse dë m’ vét (voir TER 77, n. 1).

(4) La cuisinière enrobe les morceaux de foie de farine ou, après cuisson, elle lie la sauce. Jadis, le foie était souvent partagé avec les voisins (voir porc 83).

(5) Amon Valëre, on choisit la viande grasse de la gorge, lë gorlêye.

(6) Le pâté est cuit soit au four, soit dans le coffre du poêle, contre le pot ; dans ce dernier cas, la ménagère veille à le faire cuire de tous les côtés.

 

(p.176) – Le boudin

  • 75. Lorsque l’abattage a lieu le matin, les femmes nettoient les tripes le jour même. Cette opération exige une grande patience ; c’ è-st-on ovradje dë nèti lès trèpes (1) ! Po c’minci, on lès r’toune avou on cayèt po satchi lès p’tëtès trëpes fou. Ensuite, débute le nettoyage proprement dit. On s’ achit sër on chame ‘on s’assied sur un petit siège pour traire’, on boute one plantche sër one vîye tchiyêre ‘chaise’ èt on pèle lès trëpes dëssës avou on coutia, on lès scrèpe ‘racle’, on grète lès mèséres ‘saletés’ djës. On racle minutieusement les deux côtés, en veillant bien à ne pas les trouer. Quén passemint d’ timps ‘passe-temps’ /

Après quoi, les tripes sont mises à dégraisser, un jour ou deux, dans de l’eau salée que l’on change plusieurs fois ; on lêt lès boyas, lès cwârdias on djou ou deûs dins l’ êwe po qu’ ça tëre ‘se dégraisse’ come ë faut, po lès blankë ‘blanchir’, po lès fé radèrë ‘endurcir’. On lès dëstchandje (1) po tërer lmauvês gout fou.

La ménagère qui manquait de tripes lors d’un abattage s’en procurait chez le boucher ; on-n-aleûve qwêre saqwants cwârdias, saqwants mètes ‘mètres’. C’ èst salé, tot ratchëtchi ‘recroquevillé’ ; faut lès bouter deûs, trwès djous dëstrimper ‘à la détrempe’ dins d’ l’ êwe po polë s’ è sièrvë (3).

Traditionnellement, la paysanne découpe les tripes dégraissées en aunes, èle fêt dès-on.nes (de deux fois la longueur de l’avant-bras). Elle les gonfle pour s’assurer de leur propreté et de leur étanchéité. On toune on d’bout dè l’ trëpe autou dë s’ dwèt èt on sofèle dins l’ ôte po veûy s’ ë n-a pont d’ trau. Po fé d’naler l’ vint ‘air’ fou, on frote së dwèt d’ssës. On côpe lë place où-ce quë l’ trëpe èst trawêye. Effectuer ce contrôle se dit r’passer lès trëpes.

 

  • 76. D’habitude, c’est le jeudi que la ménagère prépare, aprèstêye, le contenu des tripes.

Elle choisit de beaux morceaux de rognures dans la cuvelle ; èle prind dès bias bokèts dë r’tâyes, ni dè craus, dins lë scadia. Mais elle peut fort bien utiliser aussi les petites rognures, totes lès fèrdouyes, lès p’tëtès r’tâyes qu’on n’ sét rén fé avou. Jadis, elle coupait la viande et les morceaux de lard dans le bac à couper le cerfeuil (fig. 63), dins l’ batch à côper l’ kèrf, dins l’ hatchau ‘hachoir’ ; elle se servait d’un grand couteau, on hatchau, parfois

 

(1) Il arrive d’ailleurs que certains abatteurs effectuent cette besogne à la demande de la ménagère.

(2) Dëstchandji, v. tr., ‘changer (d’eau)’. Autres sens : ‘échanger’ ; së d. ‘changer de vête­ments’.

(3) La préparation de tripes n’est donc pas liée nécessairement à l’abattage d’un porc domestique.

 

(p.177) même de celui qui servait pour décolleter les betteraves (fig. 63). Asteûre, on mout tot dins l’ machëne à l’ tchau.

A cette viande crue, elle va mélanger de la cuite. En effet, le même jour, elle a cuit divers organes qui constituent la fressure, lë dëspouye (lë keûr, lès peûmons, lë nësse) ‘rate’ (1)(2) de même que les reins, lès r’nos, ainsi que les pieds et les oreilles. Seuls, pour le boudin, le reste étant utilisé pour la préparation du hachis (3). Lorsque les pieds se fissurent, c’est que la viande est cuite ; quand lès pids sont pétés, le dêspouye est cute. Comme ils sont déposés au fond de la marmite, la ménagère astucieuse attache à l’un d’eux une ficelle qu’elle fixe à l’anse du récipient ; po ni d’vë trëpoter dins l’ marmëte, èle alache on pid avou on fëlé ; èle lë lève fou po veûy s’ ël èst cut. Ça cut dès-eûres èt dès-eûres. Èt ça poûwe. One pèsse ! A la viande, la ménagère ajoute des lardons de saindoux, dès crètons d’ sayén (4). Comme ils se présentent sous la forme d’un bloc cimenté par le saindoux refroidi, elle les décolle en les passant un instant sur le poêle, avant de les moudre ; on lès dëscole, on lès dësc(r)aote.

 

  • 77. La ménagère qui dispose de sa préparation à base de viande va maintenant y mélanger divers autres aliments en fonction de la variété de boudins qu’elle désire obtenir.

 

(1) Après avoir enlevé la fressure du bouillon de cuisson, on porte la marmite dans la cave pour le faire refroidir. Quand l’ crauche èst prîje à l’ copète, on l’ prind avou one chëmerèce ‘écumoire’ ,- on l’ lêt r’cûre dins one casserole jësqu’à tant qu’ ë n-a pëpont d’ êwe dëdins, trëmint on nè l’ sarot aurder ‘conserver’, ça tchamosse ‘moisit’.   Pour une utilisation de cette graisse, voir PORC 32.

(2) Le foie est consommé à part (voir porc 74). L’estomac est également cuit avec la fres­sure.   Lë satchot, ça s’ tchëtchelêye ‘se ratatine’ quand ça cut ; c’ è-st-one saqwè d’ coriant ‘coriace’.  Dins ltimps, n-a dès cës qu’ l’ implëchin’ dë djote ‘chou vert’ èt on l’ côpeûve à trintches. Le plus souvent, il entre dans la préparation du hachis (voir PORC 84).

(3) Jusqu’au moment de la cuisson, ces organes sont mis à dégraisser dans des seaux dont on renouvelle l’eau plusieurs fois ; on lès boute tërer, ça d’vént bén blanc ; on r’tchandje totes lès-êwes saquants côps.

(4) Voir porc 72.

 

(p.178) La spécialité de la région de Jodoigne consiste dans le boudin vert, dè l’ vète trëpe, à base de chou vert cuit, dè l’ djote cute, assaisonné de poudre de clou de girofle, dè claweçon.

L’appellation rodje trëpe désigne deux préparations. La première, plutôt rare, contient du chou rouge cuit, dë rodje cabës ; c’ èst dè l’ trëpe au cabës. Dans le second cas, de loin le plus fréquent, il s’agit de boudin noir fabri­qué avec du sang et éventuellement du chou rouge ; c’ èst dè l’ trëpe au song (1). On passe on p’tët côp lsong dins lbolante êwe qu’ on-n-a cut ldjote, on mache avou lchëmerèce ‘écumoire’ ; quand i c’mince à cure, on l’ boute së on passwè ‘passoire’, on vude o miète dë frwède êwe dëssës ; ensuite, on presse un peu le sang, pour en dégager cette eau, avant de l’uti­liser.

Pour faire du boudin blanc, dè l’ blanke trëpe, on prend une tranche de pain, one tâye dë pwin, du persil, dè pêrzén, et éventuellement du chou blanc cuit, dë blanc cabës. Le pain est légèrement trempé, po qu’ ça n’ seûye ni së rwèd ‘rèche’ dins l’ trëpe, trëmint lpwin rinfèle ‘renfle’ trop fwârt èt ça fêt chërer lboya ‘déchirer l’intestin’.

La ménagère assaisonne le tout à volonté avec du sel et du poivre, du thym séché, dè pëlé, ou de la noix de muscade, d’ l’ amoscâde, et, à l’occa­sion, une poudre spéciale, dè l’ poûre dë trëpe ; elle y coupe des oignons. Le mélange obtenu est une sorte de pâte qu’elle garde dans une petite cuvelle jusqu’au lendemain.

 

  • 78. Le vendredi, a lieu la cuisson du boudin. Po c’minci, on fêt lès trëpes. La ménagère introduit la préparation dans les tripes à l’aide d’un entonnoir ; on rimplët lès cwârdias avou on trêtwè, on cwârnèt ‘cornet’ à l’ trëpe. Elle les remplit avec le pouce, avou s’ pôce, mais pas trop, de peur qu’elles ne se déchirent en cuisant. Pour la même raison, il en est qui pré­fèrent ne pas nouer, nèker, les extrémités du boyau, surtout lorsqu’il est fort rempli.

Avec les doigts, la ménagère façonne le boudin en forme de saucisses. Elle les dépose dans la marmite en les enroulant, avec les extrémités à l’in­térieur, pour pouvoir les en extraire facilement avec l’écumoire. Elle évite de les entasser, car le poids ferait se déchirer les boudins d’en dessous. Ajoutons qu’on en cuit séparément les différentes sortes. N’ avans cut combén d’ marmëtêyes dë trëpes !

 

(1) Evidemment, la ménagère a tendance à introduire une note personnelle dans l’applica­tion de la recette. Voici celle pratiquée amon Valêre po fé dè l‘ trëpe  au song. La ménagère ajou­te à la viande hachée, choisie parmi des morceaux de rognures bien gras, et aux lardons de saindoux, le cœur, les poumons, un peu de chou vert cuit et des couennes, dès coyin.nes, cuites, sans oublier le sang, bien entendu.

 

(p.179) § 79. Les boudins sont d’abord plongés dans de l’eau froide que l’on chauffe à petit feu pour qu’ils ne se déchirent pas (1). Jadis, pour la bonne réussite de la cuisson, certaines ménagères laissaient couler quelques gouttes d’eau bénite dans la marmite.

Les boudins cuisent une vingtaine de minutes dans l’eau bouillante. On l’écume de temps à autre. La cuisson dégage une bonne odeur, ça sint bon. On pique les boudins avec une fourchette ou une aiguille à repriser pour empêcher les grandes déchirures. En cujant, lès trëpes rinfèlenèt ‘renflent’ ; on pëke avou one fortchète ou one awîye à rassèrci dins lès soflètes ‘poches d’air’ po qu’ èles në chërenëche ni së rade. Quand on trawe, ça sprëtche, ça fële fou ‘cela gicle’. Le contenu du boudin déchiré se répand ; lë trëpe së dësfqflote ‘se décompose en petites particules’, n-a pës qu’ dès faflotes ; wête quëne marmalâde ‘sorte de bouillie’ ! Tot èst dësfêt onk dins l’ ôte, c’ èst jësse bon po d’ner aus pourcias. On brêrot ‘pleurerait’ bén !

 

  • 80. Jadis, certaines ménagères utilisaient aussi le gros intestin pour faire du boudin. Elles le préparaient de la même façon, mais, comme il est plus dur, il ne se déchirait pas lors de la cuisson. Pour le manger sur sa tartine, on le coupait en petites tranches d’un centimètre.

 

  • 81. Le jour de la cuisson du boudin, naguère encore, les paysans buvaient le bouillon. On mindjive (ou bèvéve) lë bouyon d’ trëpe (2) lë prëmi djou qu’ èle èstot cute. Les épices lui donnent un goût épicé ; il a on gout spécial : c’ èst lès spécerîyes qu’ on boute dëdins. On en portait un peu aux voisins avec du boudin, on fiéve lë tour dès vwèséns èt dè l’ famële avou l’ bouyon d’ trëpe, on l’zi pwartéve on pot d’ bouyon ; s’il en restait, on le distribuait aux cochons.

La ménagère enlève les yeux du bouillon refroidi et utilise cette graisse pour réchauffer le boudin. On ramasse lë crauche prîje dëssës lbouyon po r’tchaufer l’ trëpe avou dins one pêle ‘poêle’. Elle y ajoute parfois un peu de saindoux. Le boudin rôtit bien mieux qu’avec du beurre ; lë trëpe rostët ossë brëne ! N-a ni dandji dë tërer l’ pia. Jadis, dans les familles pauvres, on appréciait beaucoup cette graisse ; on përdeûve lë crauche dë trëpes po bouter së s ‘ târtëne, po r’tchaufer dès canadas, po fé dès galètes ou dès coukes.

Nos-ôtes, nos-èstans dès mindjeûs d’ trëpe ! On l’ mindje novèle. Djë m’ rqfîye ‘je me réjouis à l’avance’ d’ è mindji ; mins ltrëpe au song, ça n’ më va ‘goûte’ ni. De nos jours, étant donné la besogne que cela représente,

 

(1) Rappelons que le cultivateur qui engraisse un porc pour son ménage évite de lui servir de la nourriture trop chaude : en effet, celle-ci amollit les intestins et, de ce fait, ils sont sujets à se déchirer.

(2) Pour désigner ce bouillon, j’ai noté le terme dè l’ broûwe à Piétrain et à Hamme-Mille.

 

(p.180) rares sont les villageoises qui préparent encore du boudin elles-mêmes. Elles se contentent d’en acheter au boucher (1).

 

– Les saucisses

  • 82. Parfois, la ménagère prépare des saucisses en même temps que le boudin. Elle moud la viande à la machine : dè l’ boune tchau ‘de la viande de bonne qualité’, dès bokèts dë r’tâyes ‘rognures’ (po ièsse quëte dès r’tâyes quand n-a bran.mint), ni bran.mint dè craus (2).Elle assaisonne le tout avec du sel, du poivre et un petit filet de vinaigre, on p’tët fëlé d’ vënêgue. Lorsque les tripes sont remplies, elle les façonne en saucisses ; on fêt dès djambes dë saucësses (3).

Les chapelets de saucisses sèchent pendant environ deux mois. On pind lès tchapelèts d’ saucësses à on-havèt ‘crochet’ dins l’ maujone ‘litt. maison : pièce de séjour (avec le poêle)’ ou dins on courant d’ êr po lès lèyi d’goter ‘s’égoutter’, po souwer, po sètchë. Ça së r’tëre ‘rétrécit’ en sètchëchant. I n’ faut ni lès lèyi trop longtimps, trèmint ça s’ rècrauche ‘cela subit une dégé­nérescence graisseuse’ inte lès saucësses. Le moment est venu de couper les saucisses pour les consommer sèches ou cuites ; adon on lès côpe èt on lès cut à saucësses, ou bén on lès mindje sètches.

 

Echanges et repas familiaux

  • 83. Jadis, à l’occasion de chaque abattage de porc, le voisinage fami­lier en profitait également. Le jour même, la ménagère partageait le foie ; on dèspaurtajive lë fwète, on-z-è pwârtéve on bokèt à trwès, quate vwèséns. Ensuite, on leur portait soit un morceau de côtes ou de vertèbres pour agré­menter du bouillon ou de la soupe, soit un morceau de « carbonnades » à rôtir. A la fin de la semaine, on leur réservait un pot de bouillon avec un morceau de boudin. Lès vwèséns së r’ssintin’ dè l’ touwadje dë pourcia.

En fait, il s’agissait d’un prêté rendu : lès vwèséns ‘nè rapwârtin’ quand touwin ‘, c’ èstot dè pwin prëstë. De la sorte, les villageois étaient en mesu­re de varier quelque peu leur menu ; insë vos-aviz on côp one saqwè d’ ôte. Lorsque la ménagère ne disposait plus que de viande salée, elle gardait pour le dimanche ce morceau de viande fraîche, lë bokèt d’ novèle tchau qu’ on vwèsén apwârteûve. Come ça, on n’ aleûve ni au boutchi po l’ dimègne. Mais ces échanges réciproques ont disparu depuis belle lurette ;

 

(1) Devinette. Qu’ èst-ce quë mougne së trëpe èt quë sëce së song ? – Lë quénkèt ‘quinquet’.

(2) Sauf si l’on affectionne la viande grasse.

(3) L’expr. djambe dë saucësses ‘litt. jambe de saucisses’ désigne aussi bien un chapelet de saucisses que chaque saucisse qui en fait partie.

 

(p.181) n-a longtimps qu’ c’ èst pièrdë, tot ça … Ajoutons que certains paroissiens faisaient également bénéficier le curé de l’abattage du porc^X

A l’occasion d’un mariage, il est déjà arrivé qu’une famille qui ne possé­dait pas de porc bon à abattre pour la circonstance, emprunte de la viande à une autre, en s’engageant à lui en rendre dès que possible. D’autre part, cer­tains éleveurs qui tuaient un porc en vendaient parfois des morceaux aux villageois.

 

  • 84. Une fois par an, l’abattage du porc, jumelé à la kermesse ou au nou­vel an, fournissait l’occasion d’une fête familiale où l’on faisait bomban­ce (2). On-n-invëteûve lë famële, dès camarades au trêtemint d’ pourcia. On v’neûve diner èt c’ èstot dès-aprèsses ‘apprêts’ ; on bouteûve tos lès bias bëdons ‘services’.

Voici un menu type, y compris quelques variantes. La maîtresse de mai­son servait d’abord du bouillon, dè bouyon, préparé avec un morceau de vertèbres, dès crans-os, ou/et de côtes, dès skênes (3). Ensuite, les convives mangeaient cette viande (4) avec du chou vert, dè l’ djote, ou des choux de Bruxelles, dès sprautes, de la moutarde, dè l’ mostaude, et des pommes de terre. Celles-ci accompagnaient aussi les deux plats suivants : dès côtelètes avou dès carotes, dè rostë avou dès poumes (5). Le régal se terminait avec du hachis, d’ l’ hatchës’,  dè l’ babawe. Dans cette préparation, entrent de nom­breux morceaux de viande, totes lès fërdouyes (6) : oreilles, pieds (7), esto­mac, reins, cœur et éventuellement poumons. La ménagère les coupe en petits morceaux et les cuit avec du sel, du poivre et de la noix muscade. La coutume est d’y ajouter de grosses prunes, dès prënes, au préalable ramol­lies par un trempage, ainsi que des raisins, dès rêséns, dès corintënes ‘rai­sins de Corinthe’. On boute dè sayén ‘saindoux’ au fond dè l’ casserole, on boute lë tchau, adon lès prënes èt lès rêséns èt on rascouve ‘recouvre’ dë tchau. Ça d’mènoûwe ‘diminue, se réduit’ fwârt en cujant. Après la cuisson, d’aucunes y mélangent un peu de farine avec une cuillerée ou deux d’eau, un peu de vinaigre, de la cassonade, dè sëke dë pot, et parfois de la confiture

 

(1) Voir porc 43.

(2) D’ordinaire, ce repas avait lieu un dimanche, mais, à la suite d’un empêchement, par ex. le mauvais temps, il pouvait être reporté au lundi.

(3) La plupart des paysans prenaient leur bouillon avec une biscotte, one bëscôte.

(4) C’ èstot dès skënes rostîyes avou o miète dë tchau d’ssës. A ne pas confondre avec les côtelètes.

(5) Variante au lieu du rôti : on fieûve dès carbonâdes avou l’ fëlèt, avou one pëtëte brantche dë pëlé ‘tige de thym’ ou one pëtëte chalote ‘échalote’.

(6) Fërdouyes, s. f. pl., ‘petits morceaux de viande, y compris des éléments de la fressure’ (voir porc 76) ; autre sens : ‘déchets, restes d’aliments (après un repas)’.

(7) Lorsque la ménagère n’utilise pas les oreilles et les pieds pour le hachis, elle les cuit à l’étuvée, èle lès rëstëve.

 

(p.182) aux groseilles rouges, dè l’ rodje confëtëre. Po rëstëver ‘étuver’ l’ hatchës’, faut machi ‘mélanger’ pace quë ça cole au kë dè l’ casserole, c’ è-st-one saqwè d’ vrêmint glëmiant ‘gluant’. Faut sièrvë ça fwârt tchôd. Le hachis se mange avec un morceau de pain. Enfin, les invités goûtaient avec du bou­din vert étuvé et donc plus léger; on r’cëneûve avou dè l’ vète trëpe rëstëvêye.

Durant 1’entre-deux-guerres, dans ma famille maternelle, six repas de ce genre se succédaient au cours de la saison. Chaque membre de la famille s’y rendait à son tour ; on-n-aleûve au trêtemint chake à l’ toûrnêye. De nos jours, il ne reste plus grand-chose de ces agapes (2)(3).

 

  1. Plus tard – Les salaisons
  • 85. Durant le mois qui suit l’abattage, la famille consomme au jour le jour d’abord les morceaux de choix, lès bons bokèts, les filets, lès flaches, (rarement salés), ensuite les divers petits morceaux de la découpe (ver­tèbres, côtes, etc.), lès r’tâyes (légèrement salés et disposés au-dessus du saloir). Quand on fêt l’ trêtemint d’ pourcia, lès r’tâyes, c’ èst rade èvôye ‘parti’.

De la sorte, on se rend déjà compte si la viande est bien salée ; nosse tchau prind bén sé, n’ èstans trankëles. Parfois, elle l’est trop ; ‘l a co salé ça à l’ péke ‘trop (salé)’. Avant de la manger, la ménagère doit alors la mettre tremper dans de l’eau tiède ou parfois même dans du lait écrémé ; on lboute dëstrimper dins dè l’ tiène êwe ou dins dè cramé lacia, po mia satchi l’ sé fou. Lë tchau èst radjon.nîye ‘litt. rajeunie : dessalée’, mins èle në cut ni bén : ça n’ s’ arwèdët ni, ça d’meûre flotche come dè l’ flote ‘ça ne se rai­dit pas, ça reste mou comme de l’éponge’.

Avou lès novèlès farènes, lë tchau në s’ sale pës, èle në s’ consèrve pës. On-z-a d’vë foute dè l’ tchau èvôye ‘en jeter’ : c’ èstot fén bloûw à l’oucha ‘os’ èt ça pouwéve. A la suite de ces mésaventures, certains éleveurs ont décidé de ne plus abattre de porcs.

 

(1) Dans certaines familles, le boudin suivait de près le hachis.  Ajoutons qu’au cours du repas, on buvait de l’eau ou de la bière, selon ses moyens.

(2) Sauf, peut-être, que certaines villageoises, lorsqu’elles invitent leur famille lors d’une fête, lui préparent un repas qui compte de nombreux plats de résistance …

(3) En 1925, Le Folklore brabançon (n° 26, pp. 68-70) a publié « une vieille chanson wal­lonne » recueillie par Oscar Duchesne à Jodoigne, intitulée Lë bankèt d’ nosse pourcia, que l’on chantait à cette occasion. Albert Marinus l’a reprise, avec la même orthographe impréci­se, dans Le folklore belge, t. III, p. 49.

 

(p.183) § 86. Quand presque tout le sel est fondu, il arrive que la ménagère doive puiser un seau de saumure pour éviter qu’elle ne déborde ; on dëspouje on sèya d’ saumwêre, trèmint ça monte fou.

Il faut habituellement un bon mois pour que la viande – surtout les jam­bons – soit bien salée, sauf lorsque rabatteur n’a pas lésiné sur la quantité de sel, quand l’ boutchi a bouté par kë d’ trop ‘vraiment trop’ d’ sé. Quand on juge la viande salée à point, on la retire du saloir ; on tëre lë pourcia (ou tote lë tchau) fou dè sé. On vide la saumure dans la cour pour brûler les mau­vaises herbes ; on vude lë saumwêre fou dins l’ cou ou avaur-là ‘dans les parages’ : c’ èst brûlé mwârt ‘tout à fait’. Lë saumwêre èst tote rodje : lë sé, ça satche, tot l’ song è va fou dè l’ tchau. Quant au sel qui s’est déposé, qu’est rassi, au fond du saloir, il est parfois semé sur une terre destinée à des bet­teraves. Il ne reste plus à la ménagère qu’à rincer, rëspaumer, le saloir dans la cave.

Notons que les familles grandes consommatrices de viande la mangent toute sans la sortir quelque temps du saloir ; n-a dès cës quë mindjenèt tote leû tchau è sé.

 

La tête pressée

  • 87. La ménagère prépare la tête pressée (1) dès que la viande a été sor­tie du saloir, et même parfois auparavant, car il s’agit de morceaux plus dif­ficiles à conserver quand il fait chaud ; ça s’ rècrauche ‘c’est atteint de dégé­nérescence graisseuse’.

La tête de porc n’est pas égouttée, mais mise à la détrempe durant une journée avant d’être cuite ; on lboute dëstrimper dins on tchôdron ‘chau­dron’ d’ êwe po-z-oyë l’ saumwêre ‘saumure’ fou.

Après avoir cuit les demi-têtes dans une marmite d’eau, on les désosse, dësosse ; lë tchau bén cute vént djës dès-ouchas. Notons qu’on mange la gencive, lë djinzi, et les cartilages, lès crokants. Jadis, les enfants profi­taient de l’aubaine pour chiper un petit morceau de viande tendre ; lès-èfants èstin’ là po acsèper on p’tët bokèt d’ tinre tchau, come padri lès-ouys.

Naguère encore, la ménagère coupait la viande en petits cubes avec un hachoir ; on l’ hatchive bén à p’tëts dés, on l’ fieûve en frëmadje ‘litt. en fro­mage’. Par la suite, elle a utilisé lë machëne à hatchi l’ tchau.

Certaines ménagères ont remplacé une demi-tête par la viande d’un bon jarret, on djèrèt, cuit à part dans une soupe ; cette viande est mélangée à celle de la tête après avoir été moulue. D’autres ont parfois utilisé les pieds et les oreilles.

 

(1) En France, on parle de fromage de tête.

 

(p.184) § 88. A la viande cuite moulue, la ménagère mélange diverses plantes aro­matiques. Des rameaux de thym, dès brantches dë pëlé ; on lêet souwer l’ pëlé au d’bout dè l’ bûse dë lë stûve ‘au bout du tuyau du poêle’ sër on p’tët blanc papi au bûre ; on rëvelêye ‘égrène’ lès p’tëtès fouyes djës dè l’ brantche. De la sauge séchée avec le thym : on strile ‘émiette’ dès fouyes dë sadje bén sètches dins sès dwèts. Du persil haché, dè pêrzén hatchi. Beaucoup d’oi­gnons, dès-agnons, d’abord coupés pas trop fins, ensuite moulus à la machi­ne. Elle y ajoute de la gélatine, dè l’ jélatëne ; o miète dë jélatëne d’ êwe dë cujon, un peu de gélatine qui se répand dans l’eau de cuisson des pieds et des oreilles. Enfin, elle assaisonne le tout et l’épice avec un mélange pré­paré ; èle boute one pougnîye dë comachêre.

Ce dernier terme désigne aussi l’ensemble de la préparation de la tête pressée. On boute rètchaufer l’ comachêre dins one casserole téle qu’ èle èst ; on toune dèdins po quë l’ crauche vauye fou.

 

  • 89. Anciennement, la ménagère versait alors la préparation dans une étamine ; on vudive lë comachêre dins one sëtamëne qu’ on loyeûve tot coût : ça fieûve on p’tët rond pakèt. Elle la déposait dans un plat et la pres­sait avec une planche à trous : elle y plaçait un poids sur lequel elle appuyait pour exprimer la graisse. Ensuite, elle laissait refroidir et durcir, radèrê, la tête pressée.

Par la suite, la pression s’est opérée au moyen d’un moule, avou one ronde foume (ou forme). On boute on pwès d’ cénk’ këlos së l’ platëne dë d’zeû. De la sorte, la tête est mieux pressée et l’on obtient de plus belles tranches. Lorsque la préparation contient du jarret, les oreilles ou la vian­de des pieds et qu’elle est donc moins grasse, la ménagère se contente de la déposer dans un plat, sans la presser ; on l’ lêt prinde ‘prendre en gelée’, adon on pout lë r’tourner sër one assiète.

N’ alans fé one tièsse prèssêye, dè frëmadje dë tièsse ‘litt. fromage de tête ; arch.’. La tête pressée était souvent proposée à des invités au goûter ; n’ arans one saqwè po bwêre lë cafè po r’çûre ‘recevoir’ dès djins. D’ordinaire, on en mangeait pendant une semaine, sur sa tartine, avec de la moutarde.

 

– Le lard

  • 90. Dès que les rognures sont mangées, on se rabat sur le lard, on-n-atake lë laurd. Parfois, il est encore dans le saloir ; n-a dès côps qu’ l èst co dins l’ sé. Il convient en effet de le manger sans trop tarder, car il a ten­dance à rancir. On-n-è mindje lë d’pës possëbe au dèbët d’vant d’ èdaumer ‘entamer’ sès djambons, pace quë l’ laurd, on côp qu’ ça trin.ne, ça d’vént rance, ça rancèt, ça d’vént rodje. Si l’on traîne trop, il arrive qu’on doive en jeter ; faut è foute èvôye. D’ abëtëde, lë laurd èst mindji po l’ bon timps.

(p.185)

A la sortie du saloir, les pans de lard sont suspendus près des jambons, pour sécher. On pind lès pans d’ laurd avou deûs crochèts ; on boute on cayèt inte lès deûs laurds po ni s’ djonde ‘se toucher’ po souwer.

 

  • 91. Quand le pan de lard est encore grand, on coupe les tranches sans le dépendre, en le tenant de l’autre main. On côpe lë trintche dë d’zeû au d’zos, à l’ onë ‘au fur et à mesure’, on mindje lë laurd fêt-à l’ onë. Petit à petit, la partie inférieure du pan se rétrécit ; ça va à chêbiant ‘de biais’ ; n-a deûs lèpètes ‘languettes’ së lès costés. Pour finir, il ne reste plus qu’un petit mor­ceau de lard, au-dessus, dans lequel sont fixés les crochets.

Lorsque le pan de lard est très fin, on dit, en faisant la moue, que c’ èst dè l’ lèpète. Dè laurd quate dwèts laudje.

 

  • 92. A leur tour, les tranches de lard sont coupées en morceaux d’une dizaine de centimètres de long, pour être cuites.

Jadis, on les déposait dans une casserole de fonte, on scrëfiêr, au bout du tuyau du poêle. O miète après, n-avot d’djà o miète dë crauche. Adon, on l’ raprochive së l’ fè ; lë laurd fondéve come së ç’ arot sti dè bûre, n-avot pës one once dë crauche ‘plus la moindre quantité de graisse’ dëdins. Quand n-avot bran.mint dè l’ crauche dins l’ casserole, on l’ vudive fou, trèmint, à bagn ‘baignant (dans la graisse)’, ça n’ fond ni. Les paysans appréciaient le lard sec comme du bois. Lë laurd fondéve come dè bwès, faleûve quë ça seûye come one sëkète ‘éclat de bois’, i câsseûve à p’tëts bokèts quand on l’ pèrdeûve, ça scotchive ‘cassait net’, c’ èstot scotchant.

De nos jours, le lard maigre présente de tout autres caractéristiques : faut bouter dè bûre po l’ cûre ; n-a causëmint pës rén quë fond, pëpont d’ crauche ; ça rëspëte fou dè l‘ pêle ‘ça rejaillit hors de la poêle’.

 

  • 93. Jadis, les paysans mangeaient du lard à de nombreux repas. D’abord au petit déjeuner, mais surtout au déjeuner, vers neuf heures. Po d’djèner, on cujeûve one boune casserolêye dë laurd, dès trintches ossë laudjes quë m’ mwin. On bouteûve dè bûre së s’ târtène, èt on côpeûve lë laurd à p’tëts tch’vaus ‘litt. à petits chevaux : à petites tranches’. On trempait le bout de pain restant dans la graisse. Encore aujourd’hui, le déjeuner consiste souvent en une omelette au lard ; on fêt one frëcassêye au laurd avou dès-ous. Po diner, n-a dès cës quë mindjin’ dès platenêyes ‘platées’ dë laurd. Bien souvent, la ménagère préparait une sauce aux lardons ; on fieûve one sauce aus crètons (1). Elle les faisait fondre avec un oignon ; ensuite, elle y ajou­tait un peu de vinaigre et un peu d’eau. Elle versait cette sauce bouillante sur la nourriture. Au début du printemps, elle la mélangeait avec des pousses de chou vert d’hiver, avou dès djètons (dès côs). D’aucuns en

 

(1) Fondë come on crèton ‘fortement amaigri (de qn ou d’un animal)’ ; voir BOV 91. – Më p’tët crèton, t. d’affection.

 

(p.186) arrosaient la laitue ; on mindjive dè l’ salade chôdêye ‘échaudée’ aus crètons. Dins l’ timps, lès-èfants s’ arin’ batë po ië on crèton ! (1).

 

  • 94. Certains paysans raffolaient de tartines avec de la graisse de lard au lieu de beurre ; on s’ ènn’ arot fêt chërer ‘on en aurait mangé à éclater’. Pour goûter, on cuisait dans la graisse de lard des tranches de pommes, pelées ou non, dont on avait enlevé le trognon, lë tourchon. Po r’cëner, on cujeûve dès trintches, dès rondèles dë poume dins lcrauche dë laurd. On les man­geait sur sa tartine saupoudrées de sucre blanc ou de cassonade, et parfois même avec une tranche de lard. Aussi cette variété proche des reinettes s’appelait-elle poume dë laurd.

D’autre part, les ménagères plongeaient un morceau de lard gras dans la soupe qui était en train de cuire ; èles fyin’ dè l’ soupe au craus laurd. Le lard gras et la viande grasse se mangeaient avec de la moutarde, dè l’ mostaude, des petits oignons blancs en conserve dans du vinaigre avec des épices, dès p’tëts-agnons à l’ adaube, et du chou vert, dè l’ djote.

 

  • 95. De nos jours, l’on consomme plutôt du lard maigre, de trèlârdé (2). N-a co bran.mint dès djins quë mindjenèt dè laurd, c’ èst bon èt c’ èst mèyeû martchi. Më, djë n’ pou pës po m’ keûr …

 

– Le jambon

  • 96. Après avoir sorti la viande du saloir, la ménagère la lave à l’eau tiède pour la débarrasser de la saumure ; on r’lâve lë saumwêre djës ; n-a dès

 

(1) Jadis, le lundi et le mardi gras, avait lieu une quête de carnaval.  Les indigents allaient quémander un peu de lard ; on-n-aleûve à l’ tchèrnêye.   En frappant à la porte, ils disaient : « Tchèrnêye, tchèrnêye ! Lë bon Diè èst së ltchëmënêye ! Et më, dj’ so dins l’ alêye ‘vestibu­le’. » C’étaient souvent des enfants qui procédaient à cette quête, mais on m’a signalé le cas d’un ouvrier nécessiteux qui bénéficiait d’un congé ce jour-là pour profiter de l’aubaine. Encore en 1966, une femme âgée est ainsi venue mendier chez un cultivateur : « One pëtëte tchèrnêye, madame, s’ ë vos plêt. »

Ces pauvres gens allaient surtout quémander dans les villages voisins où ils n’étaient pas connus. Lès-èfants alin’ long èt laudje ‘très loin’ à l’ tchèrnêye. Certains se dissimulaient der­rière les masques qu’ils avaient porté la veille ; lë dimègne dë d’vant l’ Cwarème, c’ èstot lès p’tëts mascarâdes.

D’habitude, ils n’essuyaient pas de refus. Le morceau de lard qu’on leur donnait était fiché sur la pointe d’un bâton effilé ou d’une tige de fer qu’ils tenaient en main. N-a dès cës quë r’vënin’ avou dès pakèts d’ nouf, di këlos d’ laurd.

Voir R. pinon, La coutume de la tchèrnéye en Wallonie, dans Le vieux Liège, 1961, 22-30 ; voir égal’ Atlas linguistique de la Wallonie III, 323-324.

 

(2) Sens fïg. : on grand trèlârdé ‘un grand homme maigre’ ; djë so on trèlârdé, m’a dit plaisamment le maître Bacq, instituteur d’origine villageoise, qui faisait ainsi allusion à son métissage culturel wallon-francophone.

 

(p.187) côps qu’ n-a dès gros plakadjes ‘plaques’ dëssës (1). Ensuite, elle met égoutter les jambons et les autres morceaux restants. N’ irans r’lèver nosse tchau dins ltëne ‘cuvelle’, dins lcauve. On boute dëgoter lès djambons saqwants djous së dès gazètes, on lès drèsse avou ldjèrèt ‘jarret’ è hôt, po lès dës’saler. N-a dès cës qu’ lès mètenët d’goter tot l’ long dè l’ salwè ou qu’ lès pindenèt pa-d’zeû.

Ensuite, on les suspend au plafond de la cuisine, seule pièce chauffée où se tient la famille ; on lès pind dins lplace qu’ on d’meûre po lès fé r’ssouwer. A l’aide d’un couteau bien affilé, on perce un trou entre les os du manche de jambon pour y introduire un crochet. Avou on p’tët coutia

 

(1) Cette opération s’effectuait généralement dans la cave, mais certains préféraient laver leur viande à grande eau dans la cour ; on pompeûve dë l’ êwe dëssës èt on froteûve avou sès mwins.

 

(p.188) fëlant (1), on pèrcêye dins l’ mantche dë djambon ‘manche de jambon : jar­ret (jusqu’au coude)’ inte lès deûs-ouchas. On pind lès djambons avou on-havèt aus baguètes, aus quate ouyèts ‘oeillets’ è plafond (fig. 64). Lès prèmis momints, ça d’gote co, lë sé coûrt co fou ; on boute on satch pa-d’zos avou dè papi pa-d’zos. Quand le jambon est sec, on l’enveloppe dans un sac de toile pour le protéger des mouches ; on l’ lôye dins on blanc satch dë twèle, qu’ on nëkêye ‘noue’ jëqu’à l’ copète po lès moches èt po l’ ër (come ça, ça n’ rancët ni së rade).

D’habitude, à ce stade, on suspend le jambon à l’étage, së l’ plantchi, së l’ là-hôt. Lorsqu’il est bien sec, des plaques de sel ressortent sur la couen­ne, ça r’pousse blanc dins l’ coyin.ne (2). Si ce n’est pas le cas, le jambon risque de moisir ; ça d’vént fén vèt’, tchamossé èt n-a dès côps qu’ n-a dès viêrs ‘vers’ !

 

  • 97. A la ferme de la Ramée, pour bien sécher les jambons, on les entas­sait dans un coffre ou un tonneau contenant des cendres de four refroidies ; on lès-alègnive ‘alignait’ dins dès cènes dë for. De leur côté, certains cul­tivateurs les fumaient dans l’entrée de la cheminée du four, on lès-èfèmeûve avou on fè d’ soyêres ‘feu de sciures’ dins lgueûye dë lë tch’mënêye dë for. Mais la viande ainsi traitée sentait la fumée, ça sintéve l’è.ëgni ‘enfu­mé’.
  • 98. Généralement, on entame le jambon quand la provision de lard a été consommée, à moins que ne se présente une circonstance particulière, en l’occurrence une visite, quand ë vént one saqui. Naguère, dans un premier temps, on réservait le jambon pour le dimanche ; ensuite, on en mangeait chaque jour pour dîner, le lard étant servi au déjeuner. On-n-aleûve qwêre deûs, trwès trintches dë djambon po diner.

On commence d’habitude par les jambons antérieurs, plus gras, pës sëdjèt’ à sinte mauvês avou l’ platène ‘omoplate’. L’ pës malaujë, c’ èst po èdaumer ‘entamer’ ldjambon, po l’ pèrcer, po ië l’ prëmëne trintche fou. Certains le décrochent du plafond, d’autres montent sur une chaise. Il en est qui coupent des tranches comme pour le lard, mais les premières sont fort grasses. Nos-ôtes, nos l’ èdaumans au mëtan, së lë spècheû ‘épaisseur’, dè l’ gros costé ; on côpe dès trintches dë trëviès jësqu’à l’oucha, po dire tot mêgue ‘maigre’.

 

(1) Fëlant, adj., ‘bien affilé’ ; ‘aigu, pointu’ ; voir égal’ anim 125. Ce t. peut aussi qualifier les dents d’une fourche, l’extrémité d’une corne .

(2) Ces plaques grasses tombent lorsqu’on coupe le jambon ; si l’on n’y prend garde, elles peuvent faire pourrir le plancher.

 

(p.189) Ajoutons que certains villageois mangent parfois une fine tranche de jambon cru sur leur tartine pour déjeuner (1).

 

  • 99. Lorsque l’os du jambon est dégagé, on le scie pour agrémenter la soupe ; d’habitude, on le coupe en trois morceaux qui donneront de la saveur à autant de soupes. On fêt dè l’ boune soupe avou lès-ouchas. On mindje lë miyole ‘moelle’ cute së s’ târtëne (2).

La cuisinière enrichit également la soupe en y plongeant tantôt un jarret, on mantche dë djambon, quand i n’ dëmeûre pës quë lë d’zeû dè l’ djambon, tantôt la langue, lë linwe, ou la queue du porc. Quand on tëre lë tchau fou dè sé, on boute dëstrimper on bokèt dërant one nêt : po ldës’saler, on l’ boute dins on plat d’ tiène ‘tiède’ êwe ou dins dè cramé ‘écrémé’ lacia ; adon on l’ lêt d’goter ‘égoutter’ sër one assiète. Lë quèwe, c’ èst ldêrén bokèt dès crans-os ‘vertèbres’. Cet appendice bénéficie d’une réputation flatteuse puisqu’on dit familièrement d’une bonne soupe qu’on sint bén quë l’ quèwe dè l’ pourcia a passé d’dins (3).

Ajoutons que, dans certaines familles, on dessale encore les tranches extérieures du jambon pour les cuire. « Nos-ôtes, on dëstrimpe lès trintches dë d’ssës l’ bôrd dins dè cramé lacia po lès cûre po qu’ èles në seûyenèche ni trop salêyes, pace quë vêcë on n’ in.me ni l’ sé! Come ça, l’ tchau èst pës tinre ‘tendre’ èt pës blanke. C’ èst dès-abëtëdes dë maujone … »

 

La stérilisation

  • 99 bis. Avant la mise en service du congélateur, encore pendant les années cinquante, certaines ménagères stérilisaient une partie de la viande, surtout quand l’abattage avait lieu pendant la bonne saison. On bouteûve one partîye dins l’ salwè : on saleûve lès laurds èt on djambon èt l’ rèsse ‘reste’, on lë stérëlëseûve. On côpeûve lë tchau è trintches èt on l’ rostëcheûve. Mins ça n’ èsteût ni rén ! Nos-ôtes, on-n-aveût deûs stûves ‘poêles’ quë cujin’ èt dès grantès pêles ‘poêles’ avou deûs-anses po qu’ ça èstëche rademint fêt. N’ faleûve ni trin.ner pace quëlès moches, e plin-n-èsté … Et one tchaleûr dë diâle ‘de diable : d’enfer’ è l’ maujone ! Adon on

 

(1) Locutions. Djë m’ va arëver come lë tchèt : djë va crever en wêtant l’ djambon ‘je n’ose pas passer aux actes’.

L’ ocâsion fêt l’ laron èt l’ pourcia fêt l’ djambon ‘on profite toujours de l’occasion’. Voir égal’ porc 8.

(2) Jadis, les villageois réservaient les gros os pour les chiffonniers ; on bouteûve lès gros-ouchas po lès gobieûs, dins lès satchs aus lokes ; on n’ tapeûve rén èvôye, on fieûve façon d’ tot ‘on ne jetait rien, on tirait parti de tout’. En échange, ils en recevaient l’un ou l’autre usten­sile. Parfois les paysans brûlaient ces os dans le poêle et les réduisaient en une poudre qu’ils donnaient à leurs poules (voir anim 69).

(3) Voir bov 20.

 

(p.190) bouteûve lë tchau dins dès bocaus ; ‘nè faleûve one fameûse résèrve : on cint ! Trèmint ‘sinon’ c’ èsteût aujè. Quand on fieûve l’ aous’ ‘moisson’, on rintreûve èt on drouveûve on bocau, on ltchaufeûve : on-n-aveût dè l’ boune viyande ‘viande non salée’ /

 

  1. TERMES DE BOUCHERIE (fig. 65) (1)

 

  • 100. 1.-2. Tièsse ; 3. orèye ; 4. golé ‘cou’ ; 5. craus laurd ‘lard gras’ ; 6. spiringue ou côtelètes au spiringue ou lorier ou côtelètes à l’ loriète ‘côtes à l’épaule, avant-coeur’ ; 7. spale ou djambon dë d’vant ‘épaule ou jambon antérieur’ ; 8. pid ‘pied’ ; 9. laurds ‘lard maigre’ ; 10. prëmënès côtes ‘pre­mières côtes’ ; 11. côtes au fëlèt ‘côtes au filet’ ; 12. fricandau ; 13. djambon dë d’dri ‘jambon de cuisse’ ; 14. quèwi ‘vertèbres caudales’.

On rostë d’ pourcia au fëlé (dans le dos) ou au djambon. Dès carbonâdes dë pourcia avou dè l’ sote tchau ‘viande de qualité inférieure, diaphragme’, ç’ quë tént au sayén ‘saindoux’ ou avou on bokèt d’ mwate tchau. (2)

 

(1) Pour la découpe, voir haust, Dict. liégeois 505 et léonard, Lexique namurois 525 (dont on garde ici l’ordre). Mon témoin a été M. Delgoffe (voir bov 17, note 1).

(2) Mwate tchau, s. f., ‘litt. chair morte : diaphragme (d’un porc, d’un bovin)’ ; voir égalt porc 62, n. 3. Autre sens : ‘chair mortifiée’.

 

dins l’ Condroz èt l’ Faumène (dans le Condroz et la Famenne)

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