manières vivre passé scieur

VIKADJE DO PASSÉ

Manières de vivre du passé

SOYEÛ

Scieur

li soyeû d’ long dins l’ culture bèlje walone, picarde èt gaumèse

le scieur de long dans la culture belge wallonne, picarde, gaumaise

0.   Ilustrâcions / Illustrations

(in: EB, 415, 1989)

(in: Bulletin du CEGH, 2002)

1.   Jènèrâlités / Généralités

Matériél / Matériel

(EB, 415, 1989)

(EMVW)

1.1    Tècnike / Technique

Elisée Legros, Le scieur de long, in : EMVW, 1931-1948, p.213-255

 

1 En Ardenne liégeoise

 

Le métier de scieur

 

Avant la diffusion du sciage mécanique, les marchands de bois, charpentiers, charrons et menuisiers devaient scier ou faire scier leurs bois sur une installation spéciale — le hourd — dressée près de leur entrepôt ou de leur atelier.

On devait scier de long, « scier aux planches » comme on dit en wallon, souyi ås plantches (Jalhay), ailleurs générale­ment soy âs plantches, ou soy â haut fièr ou â long fièr « scier au haut (ou au long) fer » ; en malmédien, on dit aussi soy âs trèsses ou al brèsse « scier au(x) bras » (3).

Pour cela, il fallait deux scieurs de long ou « scieurs aux planches », soyeûrs ou souyeûrs âs plantches (Jalhay), ailleurs d’ordinaire soyeûrs âs plantches (à moins qu’on ne préfère dire comme ci-dessus « scieurs au haut fer, au long fer » ou « au(x) bras »).

Beaucoup de scieurs louaient leurs services ; il y en avait cependant qui achetaient eux-mêmes des troncs pour les scier à leur domicile. On sciait aussi en forêt, comme on le verra plus loin.

 

(1) Bull. de la Soc. de Lit. Wall., 8, 1866, notamment v° « houlmain » ou « hourmain », p. 96. — Voir aussi L. remacle, Le Parler de La Gleize, 1937, p. 161-3 ; et J. bastin, Les Plantes de la Wallonie malmédienne, 1929, p. 23.

(2)  On  néglige   certains   détails   de   prononciation,   telles  les dénasalisations et les résonances gutturales. — De même, pour la comparaison avec les formes des autres villages, les variantes de tous les mots n’ont pas été notées (ou n’ont pu être notées) dans tous les parlers.

(3) En malmédien, brèsse, féminin = bras.

 

(p.215) Pour bien scier, il convenait que les deux scieurs fussent à travailler ensemble, de qui prenait parfois une semaine ; aussi n’aimaient-ils pas à changer de compagnon.

Les scieurs ne trouvaient pas toujours du travail dans leur commune ; ils travaillaient alors parfois assez loin de chez eux (ce qui peut expliquer, nous dit-on, qu’il y ait souvent plusieurs noms pour désigner la même chose). Certains ouvriers étaient même namurois ou carolorégiens.

On sciait d’ordinaire de 6 heures du matin à 7 heures de relevée ; vers 10 heures, on prenait une demi-heure pour boire le café ; à midi, une heure pour dîner ; à 3 ou 4 heures de l’après-midi, on buvait de nouveau le café.

Les scieurs se donnaient chaud à scier ; aussi, même en hiver, travaillaient-ils en bras de chemises, ayant soin de se rhabiller dès que le tronc était scié. Le scieur du bas gardait au travail sa casquette à visière, calote à pène, qui le protégeait de la sciure.

Certains scieurs étaient connus pour aimer la boisson ; on le comprend, étant donné l’énorme dépense physique que réclamait leur travail et l’air plein de sciure qu’ils respi­raient.

 

Les opérations principales du sciage

 

Le sciage de long comporte essentiellement quatre grandes opérations :

1° Le tronçonnage: s’il est long, le tronc doit être débité en billes ou tronçons ; même s’il est court, il doit être scié transversalement, à la scie horizontale, pour obtenir deux plans verticaux à chaque bout du tronçon.

2° L’équarrissage : le tronçon (parfois après un nettoyage préalable à la cognée) est équarri sommairement avec la hache à équarrir qui ménage tout le long du tronc, en deux endroits diamétralement opposés, deux surfaces plus ou moins planes débarrassées des nœuds, de l’écorce et même, dans la mesure où c’est nécessaire, d’un peu d’aubier ; ces surface claires vont permettre le marquage ; elles facili­teront aussi l’une la pose stable au tronçon sur le hourd, l’autre le déplacement du scieur du dessus sur le tronc.

3° Le marquage : le tronçon équarri est marqué, au moyen d’un cordeau imbibé de substance colorante, sur les deux plans sciés transversalement et sur toute la longueur du tronc ; les marques apposées d’après les dimensions qu’on désire donner aux planches indiqueront la voie à suivre par la scie.

(p.216) 4° Le sciage de long proprement dit : le tronçon, hissé puis posé en équilibre et calé sur le hourd, est scié sur tout son long à la grande scie verticale, et autant de fois qu’il y a de traits marqués, par les deux scieurs, l’un descendu dans la fosse sous le hourd, l’autre monté sur le tronçon même.

 

Les outils et leur transport

 

Une scie horizontale et une autre verticale étaient donc requises ; d’ordinaire même les scieurs possédaient deux scies verticales, une préparée pour le bois dur, l’autre pour le bois tendre. Engagées dans des sortes de tringles, elles se suspendaient à l’épaule par une corde ; ces tringles s’appe­laient à Jalhay des réyes (à Sart rèyes, ailleurs rèyes) «lattes» ; une réye de scie verticale était naturellement plus grande que la réye de la scie horizontale.

La hache à équarrir, ainsi que le cordeau, un fil à plomb et des compas à pointes sèches nécessaires pour le marquage, un tourne-à-gauche et une lime pour la préparation des scies, des « agrafes » pour caler le tronçon, une chasse en bois pour introduire des coins dans la voie ouverte par la scie et ces coins eux-mêmes, étaient portés dans une mallette de cuir.

 

Le hourd : généralités

 

Le sciage, soyèdje, se pratique sur un hourd. Celui-ci s’appelle, en wallon ardennais, hoûremint (Rahier), hoûlemint (Jalhay, Sart), hoûnemint (La Gleize, …), hoûyemint (Fosse), houyemint (Stavelot, Malmedy, Grand-Halleux, Bovigny, ..,), hougn’mint (Bellevaux, Faymonville, …) (1).

Le hourd est un échafaudage de bois monté au-dessus d’une fosse, fosse ou trô « trou », dont le fond peut être affermi par quelques pierres.

Chez les marchands de bois et les artisans travaillant le bois, le hourd était monté à demeure dans la cour, non loin du hangar ou de l’appentis où le bois était rentré, ou encore adossé à la « grande haie » d’arbres qui protégeait ainsi le hourd avec la maison.

 

(1) Le mot, qui signifie  « échafaudage » en général, désigne aussi les échafaudages des maçons.

 

(p.217) Certains hourds étaient garantis par une petite toiture : à Bilstain, ce toit à deux versants couverts de dossee, est soutenu par trois pannes ou poutres horizontales, viènes, l’une, la poutre faîtière, mêsse-viène, à la crête du toit, à 4 m. 50 du sol, les deux autres à 2 m. 50 ; le bord inférieur des planches descend jusqu’à 1 m. 80 du sol ; le hourd se trouve au fond du hangar constitué par cette toiture, qui le protège entièrement des intempéries et qui garantit aussi un espace deux fois aussi large que lui, vers la cour ; l’espace couvert a 3 m. 80 sur 8 m. 95 entre les quatre poutres sou­tenant la toiture.

Le hourd proprement dit mesure à Bilstain 5 m. 95 de long sur 1 m. 35 de large ; la fosse, naturellement, doit être d’autant plus profonde que le scieur qui y travaille est grand, sa tête devant presque arriver au niveau des tra­verses sans les toucher ; elle mesure ici 1 m. 75 sous les traverses ; les madriers constituant le hourd sont à 70 cm. au-dessus du sol de la cour.

 

(p.218) Le hourd en forêt

 

H. Pottier dit qu’en forêt (c’est-à-dire, pour lui comme pour les scieurs de Jalhay, dans l’Hertogenwald), on utilisait parfois un échafaudage démontable, sans fosse, nommé tréteau, tresse ; quand le bois à scier avait été placé sur les traverses, celles-ci étaient montées à la hauteur voulue à l’aide de chevilles, brokes, qui soutenaient les traverses à chaque extrémité ; on soulevait alternative­ment un bout, puis l’autre, de chaque traverse. Ce travail était lent et l’ensemble manquait de stabilité ; l’échafaudage oscillait sans cesse et le fer, par suite, risquait de dévier de la verticale, d’où un sciage malaisé et fatigant, qui ne pouvait guère se pratiquer que pour des troncs assez minces.

Aussi, la plupart des scieurs, et notamment H. Pottier, ne sciaient-ils que sur hourd fixe, avec fosse, ce qui, pour J. Bodet, J. Zune, etc., est le seul procédé qu’ils aient connu. On montait pareil hourd, même en forêt, si l’importance du travail le justifiait et si l’éloignement et surtout la difficulté d’accéder au terrain empêchaient de ramener les bois au hourd permanent du marchand. Dans les terrains en forte pente, lès hés, point n’était besoin de fosse ; il suffisait de disposer deux tchèrdjeûs ou djéses (voir plus loin) pour amener les troncs du dessus et d’étançonaer les montants par des boutants du côté de la vallée.

Si l’endroit était trop éloigné pour qu’on pût en revenir chaque jour, les scieurs dressaient, tout comme les bûcherons et les toiirbiers, une hutte, lôdje (litt. loge) pour y passer la nuit.

 

Les parties du hourd ordinaire

 

Les deux bois longitudinaux du hourd s’appellent filières, filîres, baguettes, baguètes, lices, lices, ou simplement perches, pîces (Jalhay… ; péces Stav., Malm…) ; à Bovigny, on dit des « chèvres » (au sens de « chevalets »), dès gades. L’une de ces perches peut manquer si le hourd est en contre­bas d’un talus, le sommet du talus en tenant lieu.

Les perches longitudinales sont portées par un certain nombre d’étais, stipes, appelés encore montants ou pikèts ; ce sont six stètches, dit Zune, c’est-à-dire pour lui six pieux fourchus à leur sommet (1). Ces montants, enfoncés dans le sol, assurent la stabilité de l’ensemble.

 

(1) Pour ce sens de  stètche, voir  Le  Parler de La  Gleise de L. remacle, p. 130, 137 et 155.

 

(p.219) Ils sont réunis transversalement par des barres, båres (Jalhay ; bâres Stav., Malm. ; bârèdjes, litt. « barrages » à Rahier ; syn. trivièrs à Bellevaux, travers à Bovigny, litt. « travers » ; manis, litt. « boulins », pour Zune). Une tra­verse est fixe, soit clouée, soit liée ; c’est la tête du hourd, tièsse de hoûlemint, ou barre fixe, båre ficse, ou barre de derrière, båre du drîre ; de l’autre côté, c’est une barre mobile, on corant båre, une barre « qui voyage », on båre qui cotéye. Parfois, il est question 4e trois traverses, mais les scieurs de profession s’accordent pour dire que l’existence d’une troisième traverse complique inutilement le sciage.

A une distance d’un mètre à 1 m. 25 environ de l’extrémité qui porte la traverse fixe, est dressée une petite échelle, one pitite håie, au besoin étayée, comportant des montants fichés dans le sol à leur base et un certain nombre d’échelons cloués sur les montants. Si le hourd est presque à fleur du sol, l’échelle peut être remplacée par un simple chevalet ou gade, qui doit être pourvu d’échelons d’un côté (1).

Ces échelons sont, en effet, destinés à recevoir le bout d’une planche dont l’autre extrémité, l’ ôte bètch, est placée sur le tronc qu’on scie ; on choisit l’échelon d’après la gros­seur du tronc. Cette espèce d’allonge, qui permet au scieur de reculer au delà du tronc à la fin du travail, s’appelle un

 

(1) Le nom de l’échelle serait r’couleû d’après body, maià pour tous nos scieurs, ce nom s’applique à la planche dont il va être question.

 

 

« reculoir », rècouleû (parfois plantche dè rècouleû ; Pottier emploie rè(s)couleû ou rècoulis’, cette dernière forme s’expli­quant par croisement avec plantche du coulisse « planche de coulisse », synonyme de rècouleû, donné par Zune). A Bilstain, la planche a 1 m. 50 de long et 3 cm. d’épaisseur ; à l’extré­mité portant sur le tronc, une fente, on crin, de 30 cm. de long et 15 mm. de large y est pratiquée ; la même extrémité est amincie, atinie, de façon que le scieur, en reculant les pieds, passe sans heurt dxi tronc sur la planche. Parfois on cloue une petite traverse sous le « reculoir » et vers son extré­mité pour former arrêt contre l’échelon sur lequel on le pose.

 

Le hourd simplifié

 

Le hourd représenté par body est un hourd tel qu’on en dressait parfois, avec une seule filîre ; cette dernière elle-même pouvait manquer, si le hourd était adossé à un mur. C’étaient des hourds que nos témoins qualifient de montés avou dès-aguèces, c’est-à-dire « avec des consoles », le mot aguèce correspondant à ce que body appelle trosseû, littéra­lement « troussoir ». body, d’autre part, fait supporter la filîre par des étais, stipes, ou des fourches, fotches ; en effet, nous dit-on, dans les bois ce sont des fourches, on cherche des bois à fourchons, c’est dès fotches : on qwîrt dès bwès à fotche. Enfin, les stipes ou fotches de body sont étançonnées avec des boutants ou étançons, stançons (pôssârds, litt. « poussards » à Bovigny).

Dans les hourds montés avec des aguèces, il n’y a pas de traverses. Au lieu de reposer sur celles-ci, le tronc est main­tenu d’aplomb par les taquets que constituent les aguèces ; celles-ci sont fixées avec des « agrafes » de fer, agrapes, enfoncées dans les « chargeoirs », tchèrdjeûs, ou « gîtes », djéses, c’est-à-dire les deux bois qui servent de hourd, qui chèrvèt d’ hoûlemint, formant le plan incliné qui permet (p.221) de glisser le tronc sur le hourd. Dans ces hourds à une (ou sans) filîre, les tchèrdjeûs sont, à leur partie inférieure, enfoncés dans le sol.

Ce système, entre autres inconvénients, oblige à modifier la position du tronc pour pouvoir scier la partie reposant sur le premier tchèrdjeû.

 

Le tronçonnage

 

Le tronc d’arbre, bodje (sto en stavelotain, malmédien et salmien), atteint parfois, mais c’est rare, 10 mètres de long ; il a d’ordinaire au moins 60 cm. de circonférence (l).

L’arbre en grume ou « bois de bout », bwès d’ bout, doit d’abord être tronçonné (ou billonné), c’est-à-dire scié trans­versalement en une ou plusieurs billes : il faut le « recéper », rucèper, le scier « sur tête », so tièsse, comme on dit encore, contrairement au fil du bois, conte lu filèt, ou foû filèt (Jalhay), conte leu crèhyant (Grand-Halleux).

 

(1) Les troncs inférieurs à 60 cm. sont classés par les bûcherons comme bois de mine, bwès d’ mine ; ceux qui dépassent 60 cm. comme bois de sciage, bwès d’ soyèdje.

 

(p.222) Un tronçon (ou bille) s’appelle one rôle (H. Pottier dit on blok). Si le tronçon doit être scié simplement d’une dosse à l’autre — ce qui est le cas ordinaire —, il est dit boule, boule, ou bois rond, rond bwès.

Pour faire les tronçons, po fé lès rôles, on se sert d’une scie horizontale, appelée chez nous « fer à recéper », fiér (ou fièr) à r’cèper ; syn. côperèce fièr Jalhay, côperèce fièr Sart, fièr côperèce La Gleize, côpreu-fièr Fayinonville, fièr cèperèce Stavelot, fièr rucèperèce Francheville-Stav., reucèperèce Grand-Halleux, ricèperèce Bovigny, etc. ; fièr du r’cèpe Rahier, fier di r’cèpe Bovigny.

Cette scie horizontale (appelée en France « passe-par-tout ») doit être maniée par les deux scieurs. Elle mesure environ 1 m. 50 et est munie de deux poignées verticales, pougnies (ailleurs pougnées, pougnèyes).

On lui donne de la voie avec un tourne-à-gauche, hêyeû, le même qu’on emploie pour la scie de long. On la lime dif­féremment pour le bois tendre et le bois dur, comme la scie de long (voir ci-dessous). On ne la graisse pas.

Pour bien « recéper », i fât sorpwèrter l’fiér, èl fé prinde tot lidjîr « il faut supporter le fer, le faire prendre légère­ment » ; d’ailleurs, les scieurs s’épuiseraient vite à hagni trop reûd « en mordant trop brusquement » dans un bois dur.

Si c’est possible, on tire plusieurs rôles d’un même tronc.

 

L’équarrissage

 

Les deux scieurs doivent ensuite équarrir, qwårer (malm. qwârer ou aqvârer). L’équarrissage se fait au besoin après que la partie saillante des nœuds pouvant déparer le tronc a été enlevée à la cognée, cougnie, ou hache, hèpe, propre­ment dite (de bûcheron abatteur ou émondeur).

(p.223) Les équarrisseurs, qwåreûrs, posent le tronçon sur deux cales épaisses, ablos, courts madriers couchés à terre for­mant chantier. Il s’agit de poser le tronc de manière telle qu’on puisse scier le plus de planches possible. Pour cela, si le tronc n’est pas absolument droit, il faut que la partie bombée soit en haut, de façon que les côtés du tronc appa­raissent comme formant des droites et non des courbes aux yeux du scieur qui s’est placé dans l’axe du tronc ; ainsi on pourra scier le plus grand nombre de planches possible sur toute la longueur de l’arbre. On doit, dit-on, qwiri l’ dreûte vôye dè bwès « chercher la voie droite du bois » ; i fåt qu’on mète lu bwès so s’ dreûte vôye ou so s’ pus dreûte vôye « il faut qu’on mette le bois sur sa voie droite » ou « sur sa voie la plus droite» (1). L’un des scieurs manie et lève le tronçon, kutoûne èt lîve lu rôle, soit à la main, soit en se servant d’un levier en bois, livi ou tin-cawe (Jalhay ; ailleurs lèvî), poussant au besoin quelques coins, cougnèts, ou quel­ques éclats de bois, èstales, sous le tronc, si le bois est trop pesant à soutenir ; l’autre, se tenant dans l’axe du tronc, juge du moment où l’arbre est « sur sa voie droite ». S’il s’agit d’un arbre à section ovale, on notera qu’il peut avoir sa voie droite « sur plat », so plat, ou « sur haut », so hôt, c’est-à-dire sur le long ou le petit axe de l’ovale. Manier ainsi le tronçon s’appelle « tourner le bois sur les cales », toûrner l’ bwès so l(è)s-ablos.

Ensuite les scieurs prennent leur hache à équarrir, hèpe qwårerèce (on dit plus rarement cwôr’rèce seul, souvent aussi hèpe à buse «hache à douille»). Ils commencent par niveler

 

(1) Le français technique appelle cette opération  :  « mettre une pièce de bois sur son raide (ou sur son fort) ».

 

(p.224) avec elle un des flancs du tronc en deux endroits, près de chaque ablo, pour que ces surfaces nivelées puissent servir d’assises au troue : on fêt one pitite hatche (ou one fåsse hatche) po rassîr lu blok so s’ costé, po l’ poleûr qwårer « on fait une petite entaille (à la hache), ou fausse entaille [dite ainsi parce qu’elle sert uniquement à placer le tronc], pour rasseoir le bloc sur son flanc, pour pouvoir l’équarrir » ; on fêt deûs-assîses, one vis-à-vis d’ chaque ablo, bin d’ climpe (ou bin d’climpeure, ou bin d’aplomb ; bin d’plomb à Grand-Halleux), adompwis on lêt r’toumer l’ rôle so lès-assîses « on fait deux assises, une vis-à-vis de chaque cale, bien d’aplomb, plus on laisse retomber le tronçon [en lui faisant faire un quart ou trois quarts de tour] sur les assises ».

Les assises faites et l’arbre calé, ablokené, au moyen de coins, cougnèts, ou d’éclats de bois, estâtes, on équarrit, on ctodre, le tronçon de chaque côté, à droite et à gauche, avec la hèpe cwdr’rèee. Les deux scieurs peuvent y procéder simultanément, si le tronc est assez long pour qu’ils ne se (p.225) gênent pas ; souvent aussi, pendant que l’un équarrit, l’autre rulime, « relime », la grande scie.

Il n’est pas nécessaire d’obtenir, en équarrissant, une surface absolument plane; on suit la courbe du bois, en aplanissant juste assez pour permettre un marquage visible et pour permettre également, d’un côté, le déplacement du scieur sur le tronc, de l’autre, la pose stable du tronc sur le hourd ; s’il subsiste des bosses ou des restes gênants de nœuds, on les réduit au préalable à la hèpe qwårerèce (au besoin à la cognée encore) ; de toute façon, on enlève le inoins de bois possible pour perdre le minimum de marchan­dise : on l’ qwåre lu mons possibe, mins qu’i sîhe bin so l’ hoûrmint èt quu l’ ci qu’èst d’zeûr åhe èssez dèl plèce èt qu’on veûhe lès trêts « on l’équarrit le moins possible, pourvu qu’il repose bien sur le hourd et que celui [= le scieur] qui est au-dessus ait assez de place et qu’on voie les traits ».

Les côtés une fois équarris, on fait faire de nouveau au tronc un quart de tour sur lui-même ; il repose ainsi sur une des deux faces équarries. Le plan supérieur est alors complè­tement nettoyé ; on enlève ce qui peut rester d’êcorce, ainsi (p.226) que les parties trop foncées où la marque n’apparaîtrait pas suffisamment ; c’est peler (ou écorcer) et nettoyer le bois, pèler èt niti l’ bwès, ou encore le laver : on péle èt on nètéye (= on léve) avou l’ hèpe (Jalhay) « on pèle et on nettoie (= on lave) avec la hache » ; on l’ pèle à blanc « on le pèle à blanc », dit Zune.

 

La préparation du marquage

 

Le marquage, markèdje, se fait avec un cordeau, cwèrdê (1). Celui-ci est fait de longs brins de laine tordus entre eux comme une cordelière de chausson d’enfant.

Il est parfois enroulé sur une bobine, boubène (BoDY), boubine (Grand-Halleux). J. Bodet se sert d’un petit mor­ceau de bois percé d’un trou dans lequel on passe un bout de cordeau ; on l’y maintient en nouant le bout, puis on roule, on ravôtéye, le cordeau autour du bois. Zune replie le cordeau en une espèce de coiirt écheveau qu’il forme en le passant autour du pouce et de l’index, puis qu’il noue. Pottier le replie simplement en long écheveau.

Le cordeau est noirci, par les scieurs de Jalhay, au moyen de suie, dèl sive du fouwîre ; — ou de noir animal, de neûr lidjîr « du noir léger », acheté à la droguerie ; — ou d’un produit d’origine allemande, de la «schwarze», dèl swarce, de couleur bleue, mais marquant noir (*). On dilue le noir dans un bassin avec de l’eau savonneuse ou du genièvre ; faute de quoi, la swarce ou le neûr lidjîr flotterait à la surface de l’eau. On ne verse que la quantité d’eau tout juste néces­saire pour diluer la pâte que forme alors le noir, mins qu’ènn’ åhe èssez po l’ amouyi tot « pourvu qu’il y en ait assez pour le délayer entièrement ». En cas de gel, il arrive qu’on doive ajouter du sel ou tiédir l’eau sur le feu, mais généralement le genièvre suffit à empêcher l’action de la gelée.

D’après body, on se sert, suivant les lieux, de craie ; de

 

(1)  body donne également cwèrdê, ainsi que ligne pour Stavelot.

(2)  Un peu partout, les mots  swarce, swèrce et naturellement chwarts’ appellent, chez les témoins, la remarque  :  «C’est  un mot allemand ». Notons qu’à Jalhay, la swarce était un des deux produits   qu’on   allait   traditionnellement   acheter    à    Nèyow (= Néau,  Eupen), le second étant Vole du macrale « huile de sorcière », liquide   à   odeur   forte   qui   écartait   les   taons   des bœufs et des chevaux. — On se servait aussi de swarce a Jalhay pour teindre en noir les plinthes dans les maisons et en Wallonie malmédienne de chwarts’ pour les murs intérieurs des maisons.

 

(p.227) warsèle, noir de fumée délayé dans de l’eau encollée et pétrie en pâte, à Stavelot swarse ; d’une pierre schisteuse, onctueuse, semblable à la plombagine, qu’on trouve à Spa, Francorchamps, appelée pyrophyllade bitumeuse. Ces détails sont corroborés par nos scieurs de Stavelot ; les uns allaient chercher à Parfondruy (Stav.), au ruisseau même de Parfondruy, â ru d’ Porfonru, une terre noire analogue à celle dont parle body ; les autres se servaient do swarce ou swèrce (certains disent dul ou dol swarce ou swèrce) ; ils l’achetaient dans le commerce et le diluaient dans l’eau savonneuse ou le petit lait.

En Wallonie malmédienne, on se servait dol (à Bellevaux on dit do) chwarts’, fournie par le commerce ; ou bien on marquait en bleu avec la poudre de tournesol, dol lakmoûse.

A Gr’and-Halleux, on se servait également do neûr ou dol swarce achetée au magasin local et délayée avec de l’huile de lin. A Bovigny de même, on achetait le « noir », appelé do chwarts’ par un charron, do swarce par l’autre ; celui-ci signale aussi l’usage de bleu, do bleû, ou de craie» dèl crôye.

Zune se servait de neûr, suie récoltée dans les fours à pain chauffés au bois : la suie de houille « mange » davantage le taillant du fer ; on scie trois fois, dit-il, avec la suie de bois tandis qu’on ne scierait que deux fois avec la suie de houille. A Rahier, on trempait aussi le cordeau dans de neûr « du noir », constitué par de la suie ou du noir de fumée, dèl warsèle.

Pour tremper le cordeau déroulé, duvôti, on le plie d’abord en deux sur la longueur, puis en accordéon dans une main. On le plonge alors dans le mélange préparé : c’est tremper le cordeau dans le brouet, trimper l’ cwèrdê è brouwèt, ou dans le récipient, è potikèt. On l’y remue à l’aide d’un morceau de bois pour bien imbiber la corde.

Mais si le cordeau doit être imprégné convenablement, il ne doit pourtant pas l’être trop. Aussi, saisissant une de ses extrémités et faisant glisser la corde entre le pouce et l’index de l’autre main, on le retire en le passant dans la main, tot /’ rivant, de façon que la corde ne reste pas trop mouillée.

Puis les scieurs tendent le cordeau en l’air, chacun le tenant par un bout ; l’un d’eux, avec sa main libre, le tire alors latéralement, puis le lâche brusquement tandis qu’il est toujours tendu ; la corde fouette l’air et laisse échapper le noir qu’elle avait en trop. On répète l’opération une foi» ou deux, en ayant soin de diriger la corde du côté opposé (p.228) au tronc pour ne pas éclabousser celui-ci. C’est secouer le cordeau ou la corde, heûre li cwèrdê ou lu cwède ; on l’ brisséve on pô « on le faisait éclabousser un peu », dit Zune.

 

Le marquage du premier trait horizontal

 

On commence alors à marquer le tronc.

Le point de départ et le point d’aboutissement du premier trait de cordeau, de la prumîre vôye, à chaque extrémité du tronc, peuvent être déterminés au jugé — on pårtit l’ bwès à l’ oûy « on partage le bois à l’œil » — surtout pour des bois minces, à fendre en deux sans plus. Pour des sciages (p.229) plus importants, on calcule avec un compas, qu’on fait pivoter sur lui-même d’un côté à l’autre du p’tù bout, «petit bout », du tronçon, le nombre de planches de l’épaisseur désirée qu’on pourra obtenir : on compasse po vi k’bin d’ plantches qu’on pout fé « on compassé pour voir combien de planches on peut faire ». Alors, si on a constaté, par exemple, qu’on peut scier une dizaine de planches, on revient en arrière de cinq mesures de compas pour déterminer (p.229) l’emplacement du trait de base et on repère cet endroit au moyen d’une marque, tèsse, imprimée sur l’arête du bois.

Si on établit la ligne au jugé, elle ne doit pas être néces­sairement au centre ; on l’établit à la place la plus avanta­geuse pour débiter l’arbre, d’après l’épaisseur des planches à obtenir. De cette ligne de partage dépendra tout le marquage. L’un des scieurs tient la corde à une des extrémités du bloc et il la déplace suivant les indications que lui donne son compagnon, qui tend également la corde au-dessus du bois en la tenant à l’autre bout. Tout l’art de bien marquer un tronc réside dans le tracé de ce premier trait. C’èst là tot l’ mistîr « c’est là tout le métier », expliquent les scieurs de Jalhay.

Lorsque la place de la corde est bien déterminée, alors que les scieurs en maintiennent les deux bouts sur les extré­mités du tronc, l’un d’eux, saisissant le cordeau à environ un mètre de son extrémité, l’étiré vers le haut verticalement, ce qui est possible grâce à l’élasticité de la corde ; il ne faut naturellement pas dévier. Arrivé à une certaine hauteur, le scieur lâche le cordeau alors que la main montait encore ; ‘ la corde retombe et vient frapper violemment le bois tout en y imprimant une trace noire. Avant de déplacer la corde, on répète l’opération si c’est nécessaire ; toutefois, avec un bon cordeau, une fois suffit. On soulève au besoin la corde aux deux bouts, si le tronçon est trop long pour que le trait se marque suffisamment sur toute sa longueur. C’èst taper l’frèt, « jeter le trait », ligner ou tringler (1).

 

La suite du marquage

 

Cette première ligne tracée et la corde enlevée, les scieurs se réunissent à un même bout du tronc. L’un d’eux tient la corde sur l’extrémité de la ligne de partage horizontale en écartant le poing pour ne pas gêner la vue de l’autre ; celui-ci, agenouillé devant le bloc et tenant delà main droite — la plus assurée — le fil à plomb, lu plomb (corde de coto:n attachée par un bout à uu bois par lequel on le tient et supportant à son autre bout un petit bloc de plomb), de la main gauche le cordeau, détermine la position que doit prendre ce dernier pour marquer la première ligne sur cette face verticale du bloc. Lorsque la position du cordeau est trouvée, le trait est tracé de la même manière que l’a été

 

(l) body emploie bate li trêt « battre le trait », correspondant du français : « battre la ligne ».

 

(p.230) la ligne de partage horizontale. Puis l’aplomb est soigneu­sement vérifié ; au cas où il ne serait pas tout à fait exact, on « rejette » le trait un peu sur le côté, on r’tape lu trêt on pôk è costé ; on biffe alors le trait défectueux de marques transversales, ou bien une trace noire au bas du trait pour indiquer dans quelle mesure il corriger ; lors du sciage, le scieur du bas rectifiera la position de la scie en conséquence. Déterminer ce trait vertical (et, par extension tracer tous les traits verticaux), c’èst ploumer l’ bwès « plomber le bois » (à Grand-Halleux plonker, à Bovigny plonkî, pour Zune plomber) ; quant au premier trait vertical, c’est le blazon (Jalhay), litt. « blason » : on plome po fé /’ blazon « on plombe pour faire le blason ». Les autres lignes à tracer sur cette face, qui doivent être parallèles au blason, sont repérées au compas, puis tracées avec le cordeau aux distances convenables (celles-ci mesurées sur la face et non, naturellement, sur la boule),’ suivant (p.231) l’épaisseur des planches à obtenir ; si on désire des planches d’épaisseurs différentes, on se sert de plusieurs compas à pointes sèches (d’ordinaire deux, parfois quatre pour que les deux scieurs puissent travailler de chaque côté). Dans cette opération, on tient compte de l’épaisseur de la scie, donc de la largeur de la voie que tracera la scie, laquelle est de 3 mm. à 3 mm. 5 ; pratiquement on compte 4 mm. en plus, de manière à permettre par la suite un léger rabotage des planches et aussi en prévision du retrait lors du dessèchement, dè swèdje, du bois : en effet, lès plantches rutirèt tot swant « les planches se retirent en séchant » ; pareille précaution, qu’on ne prend plus aujourd’hui dans les scieries mécaniques, conserve aux pièces les dimensions voulues après rabotage. Repérer et tracer les lignes secondaires, c’est mettre à épaisseur, mète à spèheûr, ou partager les épaisseurs, pårti les spèheûrs.

Le même tracé de la ligne d’aplomb est fait à l’autre extrémité du tronc, avec autant de soin que le premier ; on détermine ensuite au compas, en haut et en bas de cette (p.232) tranche, de chaque côté de la ligne d’aplomb, des points correspondants aux points d’aboutissement des lignes tra­cées sur la première face. Ces points sont réunis à l’autre extrémité par (Jes lignes parallèles à la ligne de partage horizontale, marquées au cordeau de la même manière qu’elle. On retrempe le cordeau, s’il ne marque plus suf­fisamment.

Le premier long côté du tronc étant ainsi marqué, le tronc est retourné par un demi-tour sur lui-même. Son aplomb est soigneusement recherché de nouveau ; il doit être exactement l’inverse de l’aplomb précédent ; il est lui aussi déterminé au fil à plomb en se fondant sur les deux lignes ploumées tracées sur les deux tranches et actuellement renversées ; le tronc est ensuite bien calé, ablokené, à l’aide de coins, cougnèts. Cette nouvelle mise d’aplomb permet de tracer les lignes horizontales sur le deuxième long côté du tronc. Ces lignes doivent naturellement se superposer exactement aux premières, et cela devient de plus en plus important à mesure qu’elles s’éloignent de la ligne de partage. On marke po l’ci du d’zos « on marque pour celui [== le scieur] de dessous », de la même façon que po l’ci du d’zeûr « pour celui de dessus ». Avant de tracer les lignes sur la seconde face horizontale, on retrempe d’ordinaire le cordeau.

(p.233) En principe, il ne convient pas de marquer par temps humide : lu neûr su va èwaler, on n’arè no trêt, « le noir va s’étaler, on n’aura aucun trait »; naturellement, en cas de menace de pluie, on s’empresse de mettre à l’abri ou de recouvrir les bois. Si le hourd est surmonté d’un toit, on peut aussi marquer sous ce toit, sur les tchèrdjeûs dont il va être question.

 

La pose du tronc fur le hourd                                    

 

Pour hisser le tronc sur le hourd, tchirdji l’ bwès so l’hoûlemint (à Bovigny, rôlî l’ bwès so l’ houyemint) «charger [ou rouler] le bois sur le hourd », on se sert de deux gros bois nommés tchèrdjeûs « chargeoirs » ou djéses (djîses à Rahier, Stavelot, Bellevaux, Bovigny, etc.) « gîtes » (le mot est féminin). On les appuie d’une part sur une filîre et d’autre part sur le sol, en formant ainsi un plan incliné. Les tchèr­djeûs ont 3 m. 50 à 4 m. de longueur suivant la grosseur du bloc et surtout la hauteur à atteindre et la pente du sol.

On fait rouler le tronc sur d’autres bois, disposés comme des rails, jusqu’aux tchèrdjeûs, en se servant d’autres bois encore comme leviers, livis ou tin-cawe (lèvîs Stavelot, etc.).

On pousse alors le tronc à la main sur le plan incliné constitué par les tchèrdjeûs. Cette opération, parfois pénible, est facilitée par l’existence des faces équarries, qui forment (p.234) arrêt : on s’ pout r’haper « on peut reprendre haleine ». Il faut du reste agir sans brusquerie, pour ne pas faire tomber le tronc dans la fosse. Quand le bois est trop lourd, on pousse d’abord quelque peu un de ses bouts, on le cale, puis on pousse l’autre bout qu’on cale aussi, avant de se remettre à pousser le premier, et ainsi de suite. Parfois aussi on se sert d’une chaîne terminée aux deux bouts par un anneau ; on forme avec cette chaîne un nœud coulant qui enserre l’arbre entre les deux tchèrdjeûs ; l’anneau libre, ramené vers le bas des « chargeoirs », reçoit l’extrémité d’un bois formant levier, qui sert à pousser le tronc vers le hourd. Après chaque déplacement du tronc, la chaîne doit être replacée dans sa position de départ.

Dans le système représenté par body, avec les tchèrdjeûs enfoncés dans le sol à leur extrémité et appuyés de l’autre côté sur la filtre unique, le tronc est calé vers le haut des (p.235) tchèrdjeûs eux-mêmes, sur les aguèces «consoles » (que body appelle trosseûs « troussoirs ») ; celles-ci sont maintenues sur les « chargeoirs » par des agrafes de fer, agrapes.

Plus généralement, le tronc est hissé sur le plan horizontal formé sur le hourd par les traverses ou båres « barres ». Comme on l’a dit, il y a une traverse fixe et une traverse mobile ; quelquefois, on croise de plus sur le hourd, près de la traverse fixe, un gros bois destiné à soutenir et à former levier au cas où le tronc glisserait, s’i hipéve « s’il échappait ». On fait glisser le tronc dans l’axe longitudinal sur les tra­verses, en s’aidant d’un gros levier, souvent un madrier réservé à cette action ; on peut aussi s’aider des tchèrdjeûs eux-mêmes, si le tronc est fort gros.

Le tronc doit être placé de telle sorte qu’il affleure avec la traverse fixe, du côté du gros bout ou cou de bwès « partie inférieure du bois », qui constitue une base plus solide pour clouer le tronc. Pour régler le déplacement, celui des deux scieurs qui est descendu dans la fosse utilise un levier ou sa hache à équarrir, en prenant comme point d’appui la tra­verse mobile. Pendant ce temps, son coéquipier, hors de la fosse, près de la traverse fixe, pousse l’arbre à pleins bras. C’est mettre le bois en place, mète lu bwès so plèce, ou le faire affleurer avec la tête du hourd (ou avec la barre), èl mète à fleûr avou l’ tièsse dè hoûlemint (ou avou l’ båre).

 

Le réglage et le calage du tronc sur le hourd

 

Le bloc doit encore être mis d’aplomb. L’aplomb est vérifié au fil à plomb en utilisant la ligne ploumée tracée sur la tranche de l’arbre se trouvant du côté de la traverse fixe. On cale le tronc à l’aide de coins, cougnèts, disposés sous le tronc aux traverses, souvent d’unâseul côté, car il suffit d’ordinaire de redresser le bois pour qu’il repose bien d’aplomb, po qu’i sîhe bin d’aplomb (à Grand-Halleux, po r mète ddè plomb). Cette opération s’appelle à Jalhay troussi l’ bwès « trousser le bois » (parfois rutroussi ; à Bellevaux trosser [cf. body, trossi] (1) ; on dit plonker à Grand-Halleux, plomber pour Zune). On a vu que sur les hourds à filîre unique (ou sans filîre), on se sert dans ce cas d’aguèces (= les trosseûs « troussoirs » de body).

 

(1) On emploie aussi le verbe « trousser » pour « mettre d’aplomb une pierre en la relevant » dans le langage des maçons (cf. Bull. Soc. Lût. W., 11, 1868, p. 120 et 129 : trossî ou ritrossî).

 

(p.236) Une fois d’aplomb, le tronc est attaché à la traverse fixe à l’aide de 4, 5 ou 6 happes nommées agrapes « agrafes », d’après les uns, dames « crampons », d’après les autres (clames ou grifes « griffes » à Boyigny) : ce sont de doubles crochets ayant la forme d’un !__! à  large base ; les deux branches verticales, généralement à angle droit par rapport à la base, forment les pointes. Il arrive que deux agrafes tordues, twèrtchi-ès-agrapes (Jalhay), ayant une pointe dans une direction et l’autre dans la direction opposée, soient clouées latéralement, une de chaque côté du tronc, avec leurs pointes dans l’axe de la traverse. Les agrapes ordinaires sont enfoncées derrière le tronc, dans la base du bois, è cou de bwès, et dans le flanc de la traverse, ayant leurs pointes dans l’axe longitudinal du hourd, et placées entre les traits de façon à ne pas toucher la scie : on lès tchisse inte lès trêts po n’ nin lès k’seûre avou l’ fiér « on les chasse entre les traits pour ne pas les atteindre avec le fer ». La traverse fixe des vieux hourds conserve les traces des happes nombreuses qui y ont été clouées. Mettre les agrapes ou clames, c’est « clouer le bois », clawer l’ bwès (à Bellevaux adamer, verbe formé sur clame).

On place ensuite le « reculoir », rècouleû, d’une part sur l’extrémité de l’arbre à scier, au-dessus de la barre fixe, d’autre part sur un des barreaux de l’échelle fixe. Cette allonge est posée sur l’échelon, hayon, correspondant, de manière à être à peu près horizontale.

(p.237) Le « reculoir » peut être maintenu en place sur l’arbre, surtout quand celui-ci est un tronc petit ou mal conformé, bossu, boussou, ou de travers, houle, avec une chaîne tendue au moyen d’un bois accroché sous les extrémités en saillie des deux filtres du hourd. On met la planche avec la chaîne pour consolider l’ensemble, on mèt’ lu plantche avou l’ tchinne, po rinde l’ afêre pus solide. Pour les troncs suffisamment gros et droits, cette chaîne est inutile, le poids du scieur empêchant à lui seul l’ensem­ble de bouger ; à la fin du travail, on doit du reste l’enlever pour pouvoir changer la planche de place, de façon à scier jusqu’au bout chaque trait. Notons que plusieurs témoins ne se souviennent pas d’avoir vu employer une chaîne.

 

La scie de long : description

 

La scie de long s’appelle « fer aux planches », fiér ås plantches (Jalhay ; fièr ås p. Sart, La Gleize, … ; fièr ås p. Stavelot, etc.) —- Synonymes : « haut fer », haut fièr Stavelot, Bovigny, …, haut fièr, Rallier, Grand-Halleux, … ; «long fer», long fièr Bellevaux,…, long fièr Waimes ; ainsi que « fer aux (ou au) bras » fièr âs (ou al) brèsse(s), par­tout en malmédien.

La scie mesure, sans la poignée supé­rieure, 1 m. 80 à 2 m. ; elle pèse de 10 à 15 kilos.

Elle est munie de deux poignées, pougnies (pougnèyes Rahier, pougnées Bellevaux, etc.) (1).

 

(1) body appelle les poignées sabots.

 

(p.238) La poignée supérieure, nommée fotche « fourche » d’après les uns, quawe « queue » d’après les autres, comporte un fin manche en fer dirigé dans l’axe de la lame et courbé en forme de sabre vers l’avant (de façon que la scie garde un mouve­ment de va-et-vient vertical quand le scieur abaisse les bras) ; une traverse en bois, d’une cinquantaine de centimètres, passe dans la douille, bûse, horizontale formée par le manche à son extrémité supérieure ; cette traverse est amovible. Le manche lui-même est fixé à demeure sur la lame dans cer­tains types ; il est amovible dans d’autres, et peut même être boulonné ou fixé avec des clavettes en deux endroits diffé­rents, la seconde encoche servant après que l’usure de la lame a trop rapproché les dents de la première. Le manche mesure environ 60 cm., y compris les pattes enserrant l’extré­mité de la lame. Les rebords de ces pattes s’appellent botons « boutons » ou r(u)toûnes « retours » (1).

La poignée inférieure, mènote (manote à Grand-Halleux, pougnète «poignette» pour Zune), est en bois et amovible. Elle s’adapte vers le bas de la scie, grâce à une fente prati­quée en son milieu, et se serre contre la lame par une mortaise pratiquée d’un côté de la.fente ; pour « clouer » la poignée, po clawer l’ mènote, on se sert de la tchèsse dont il sera ques­tion plus loin. La mènote se met tout en bas de la scie pour les bois assez gros ; pour les bois plus petits, on peut la fixer plus haut, ce qui raccourcit la partie travaillante de la scie en épargnant la peine de l’ouvrier. Naturellement, l’emplace­ment dépend aussi de la taille du scieur.

On distingue encore dans la scie — outre les dents, dints, et le dos, hoûr — la partie inférieure, qui va en se rétrécissant de plus en plus, appelée rassise « rassise » (voir plus loin).

La scie à châssis n’était pas utilisée dans la région ; « c’est une scie française », dit H. Pottier (2).

 

(1)  Certains réservent le nom de botons pour les rebords aux extrémités des autres scies, avec lesquelles on peut scier du boton à boton « de bouton à bouton ».

(2)  Ou n’aurait su s’en servir sur nos hourds ; elle ne convient que pour des tréteaux (cf. Larousse Universel, Planche «Bois »). Cependant,   d’après   M.   Liégeois,   ancien   scieur   de   Bressoux (lez-Liège),  originaire   d’Heure-en-Fanienne  (né  en   1862),  on. l’aurait utilisée primitivement. Ce « fer armé » permettait à un scieur, s’il le désirait, de. travailler  tout  seul  (Enquête  d’Ed. Remouchamps, 1938). On sait d’autre part que la scie à châssis, figure sur les armoiries de l’ancien bon métier des « soyeurs » de Liège.

 

(p.240) La préparation et l’entretien de la scie de long

 

La voie de la scie, lu vôye dè fiér, c’est-à-dire l’écartement des dents par rapport à l’axe longitudinal du fer, doit être réglée suivant l’essence des bois à scier (1). Pour les bois tendres, à la sciure plus grosse, il faut beaucoup de voie; pour les bois durs, il en faut moins. Aussi, les scieurs tenaient-ils prêts uu fer au bois dur, on fiér à deur bwès, et un fer au bois tendre, on fiér à tinre bwès. On donne de la voie à une scie en pliant légèrement les dents vers l’extérieur à contre­sens, c’est-à-dire alternativement l’une à droite, l’autre à gauche. Ecarter les dents, c’est hêyi l’ fiér (hêyer à Belle-vaux, hyêyer à Grand-Halleux) ; syn. li rinde dul hêye à Stavelot, dèl hyêye ou chêye à Bovigny, « lui rendre de l’écartement». Cette opération se pratique avec un hêyeû (une hêye à Rallier, hyêye à Grand-Halleux, comme pour Zune, hyêye ou chêye à Bovigny), tourne-à-gauclie d’une espèce plus grande et plus solide que les hêyeûs pour scies ordinaires (2).

En outre, il faut limer la scie, limer l’ fiér (syn. lu r’mète o tèyant «le remettre à taillant»). La lime employée est la demi-ronde, lu n’mée-ronde, le rond pour évider la dent, lu rond po vûdi l’ dint, le plat pour faire le biseau, lu plat po fé l’ bîhê, pour faire le plat de la dent, po fé l’  plat dè dint, à la partie supérieure de cette dent. On commence par limer le fond de la dent, puis on poursuit le travail jusqu’à la pointe de la dent. On lime’chaque dent à contresens de celle qui la précède, en biseau à l’intérieur, c’est-à-dire du côté inverse à l’inclinaison de la dent, de façon que chaque dent présente à l’extérieur le long côté du biseau qui fait tranchant.

(1) Voir une deuxième acception du mot, ci-dessous, p. 243.

 

(1) Le mot hêyi « écarter », encore terme général à Liège (cf. Dict. Liêg., s. v.), est aujourd’hui en Ardenne confiné dans des emplois techniques, tels que celui-ci.

 

(p.241) En limant, si on veut donner du mordant à la scie, ce qu’on appelle d(u)ner dè crama « donner de la crémaillère », fé l’ crama « faire la crémaillère » (d’où cramer ou d’ner do cramèdje à Bellevaux), ou encore monter l’ fiér « monter le fer », on rend les dents plus crochues et plus pointues. Cette opération est nécessaire pour le bois tendre tel le sapin, où il faut « plus de crémaillère », pus d’ crama : la scie « moins [fort] montée » glisserait « en s’étranglant », tot s’ sutronlant, la sciure étant plus grosse ; pour le bois dur, tels le chêne ou le hêtre, il faut « fort peu de crémaillère », fwért pô d’ crama : la sciure s’évacue mieux, su nètéye mis  « se nettoie mieux » ; il faut au besoin r(u)tirer l’ crama « retirer la crémaillère ». Su /’ fiér èst trop monté, s’i hagne trop reûd, i fåt radouci l’ plat dès dints, i ‘nnè fåt r’prinde po quu l’ dint n’ seûhe pus si bitchou, qu’i seûhe mons è bihêr (ou è bîhê), qu’i n’ fasse pus si fwért lu crok  « si le fer est trop monté, s’il mord trop fort, il faut radoucir le .plat des dents, il faut en reprendre pour que la dent ne soit plus si pointue, qu’elle soit moins en biais, qu’elle ne fasse plus si fort le crochet ».

La scie, dont les dents supérieures sont d’ailleurs plus longues avec un champ inférieur plus incliné — cette incli­naison diminuant de haut en bas •—-, doit être « montée » plus fort au-dessus qu’en dessous ; sinon, on ne la descendrait qu’avec peine, lu fiér s’èclowereût, i s’êcrokereût è bwès avou sès croks, « le fer s’enclouerait, il se coincerait dans le bois (p.242)

avec ses crocs ». Lès d’zeûtrins dints, c’èst po-z-èdamer, lès d’zotrins, c’est po hagni «les dents supérieures, c’est pour entamer, les inférieures, c’est pour mordre ».

Le limage a pour conséquence d’approfondir, de « re­descendre », rud’hinde, un peu les dents qui gardent ainsi leur longueur. On peut d’ailleurs spécialement d(u)foncer l’ fiér, « défoncer le fer », pour lui rendre du mordant : on pout co monter l’ fiér duvins lu d’foncèdje, tot-z-alant pus bas « on peut encore monter le fer dans le défoncement, en allant plus bas », accentuant ainsi le caractère pointu des dents.

Il arrive enfin qu’on régularise à la lime les pointes des dents pour supprimer le morfil, lu mwért tèyant ; d’ordinaire, toutefois, on ne parle guère de morfil.

L’affûtage de la scie, avant le sciage et, éventuellement, s’il s’agit de rendre à la scie plus de mordant ou de voie au cours même du sciage d’un gros tronc, sa rectification se font, comme pour les autres scies, en calant le dos de la lame dans les rainures d’un limeû, littéralement «limoir » (c’est l’« en­taille » des scieurs français). Le limeû de la scie de long est en proportion de la scie. Il est constitué par deux pieux ou montants verticaux qu’une base réunit ; une rainure où on place la scie, les dents en l’air, traverse le sommet des (p.243) montants ; un bois appuyé perpendiculairement à la scie sur celle-ci et reposant d’autre part sur le sol, empêche l’en­semble d’osciller. En forêt, on cale le fer entre des arbres, souches ou bois coupée qui s’y prêtent.

Généralement, on dit que la scie de long n’a pas besoin d’être graissée. Cependant, à Grand-Halleux, pour éviter réchauffement, on l’oignait de temps à -autre avec une couenne de lard ou on la frottait avec un pinceau huilé. Parfois, ailleurs, s’il s’agissait d’une essence, tel le chêne, qui encrasse la scie au point que celle-ci en vienne à sèrer, « serrer », on la décrasse en jetant un peu d’eau dans la voie où elle manœuvre ; sitôt l’eau versée, on scie, et l’eau coulant tout le long de la lame, le fer « se récure, de lui-même », su hère du lu minme.

 

Le sciage : généralités

 

La scie est maniée par les deux scieurs, l’un se tenant sur le tronc, lu ci du d’zeûr « celui de dessus », lu d’zeûtrin soyeûr «le scieur supérieur», et l’autre dans la fosse, lu ci du d’zos « celui de dessous », lu d’zotrin soyeûr « le scieur inférieur ». Ils se font face, celui du haut reculant, celui du bas avançant. Ils guident la scie en suivant les traits mar­qués au cordeau, sciant sur le trait, so l’ trêt, qui, pour bien faire, doit disparaître. Le passage qu’ouvré la scie en coupant le bois, appelé en français trait ou voie de scie, c’est égale­ment « la voie du fer », lu vôye dè fiér.

Quand la scie dévie, il faut la redresser en actionnant plus fort le bras correspondant au côté vers où elle doit appuyer ; la déviation résulte d’ordinaire de ce que la scie ne va plus assez, ou qu’une ou plusieurs dents sont faussées : qwand [i] vôsse, i fåt r’limer « quand on gondole, il faut relimer ».

Le début du sciage est très important, car la scie, une fois mise convenablement en place, se guide presque d’elle-même à cause de sa largeur. Engager la scie dans le tronc et com­mencer à scier se dit èbitchi (Jalhay), c’est-à-dire mète lu fiér è bètch « mettre le fer dans le bec [= le bout] » pour donner les premiers coups de scie (!). Lu ci du d’zeûr pose lu fiér so l’ trêt tot lidjîr, lu pus lidjîr possibe ; lu ci du d’zos mèt l’ fiér bin d’ climpére d’après /’ trêt dè bout èt l’ trêt so l’long; adon

 

(1) Comparez èbitchi (Jalhay) ci-dessous pour l’introduction des coins ; il signifie aussi à Jalhay « entamer en quelque partie, écorner » (par ex. un champ de pommes de terre en arrachant quelques plants).

 

(p.244) lu ci du d’zeûr aspôye « celui [= le scieur] du dessus pose le fer sur le trait, tout légèrement, le plus légèrement pos­sible ; celui du dessous met le fer convenablement dans le plan formé par le trait [vertical] du bout et le trait longitu­dinal [inférieur] ; alors celui du dessus appuie », Après ce début au ralenti, le sciage rapide et régulier commence.

On côp d’ fiér = « un coup de fer », et aussi, les traces parallèles laissées sur la plancbe sciée par chaque coup de scie. L’avancement à chaque coup varie d’après la dureté du bois et la largeur du tronc.

Scier jusqu’auprès de la traverse mobile ou « barre » — dusk’â prumî bârèdje « jusqu’au premier barrage », dit-on à Rahier —, ce qui correspond souvent au tiers du tronçon, c’est èbârer à Jalhay, bârer pour Zune, bârî à Bovigny, c’est-à-dire littéralement « embarrer » et « barrer » (1). Po souyî, lu tot c’est d’ bin èbitchi et d’ bin èbârer « pour scier, le tout c’est de bien entamer et de bien poursuivre jusqu’à la barre ».

On commence par horener (au sud hyorner ou chorner), c’est-à-dire scier les deux dosses, horons (au sud hyorons ou chorons ; syn. lès d’foûtrin.nès plantches « les planches exté­rieures »), puis on scie les autres planches alternativement à droite et à gauche, en se rapprochant du milieu.

Pour faciliter la pénétration de la scie, à mesure qu’elle avance, on introduit des coins de plus en plus gros dans la fente ouverte à l’extrémité du tronc. Ces coins, cougnèts (syn. cougn à Bovigny), en élargissant la fente, rendent le sciage plus aisé. Ils sont introduits à la main par le scieur inférieur, puis poussés au milieu des planches au moyen d’une espèce de palette en bois, amincie à la pointe pour pouvoir être introduite entre les planches ; parfois, pour les grosses pièces, on les pousse avec le dos de la hèpe cwårerèce. L’opération s’appelle « ouvrir la voie », drouvi (Jalhay; drovi Bellevaux, douvri Grand-Halleux) l’ vôye, ou, pour Zune, «jeter au large», taper â lâdje. La palette, c’est une tchèsse « chasse » (d’après body et la plupart de nos scieurs ; H. Pottier dit tchèssète) (3). Lu ci du d’zos tchisse lès cougnèts

 

(1) La sémantique de ces formations verbales est curieuse ; comparez plus loin, rubârer et dubârer.

(2) body appelle le coin du scieur de long « bondiet », c’est-à-dire bon-diè, équivalent de « bondieu », qui a ce sens d’après les dictionnaires et les vocabulaires techniques français.

(3) En français, « chasse-bondieu ».

 

(p.245) avou l’ tchèsse po sordrouvi (ou po-z-intelårdji) l’ bwès « celui d’en dessous chasse [= pousse] les coins rvec la chasse pour entr’ouvrir le bois » ; lu tchèsse è-st-atinie po poleûr èbitchî l’ cougnèt «la chasse est amincie pour pouvoir introduire le coin dans le bout ». Le scieur supérieur commande au scieur inférieur de les introduire, de les pousser ou de les remplacer par de plus gros : droûve-lu, ca i sére « ouvre-le, (p.246) car il serre ». C’est aussi le scieur du. bas qui les enlève quand on retire la scie pour passer d’une voie à l’autre.

On scie jusqu’à la traverse mobile, successivement pour toutes les voies : on-z-èbâre po totes lès vôyes « on scie jusqu’à la barre pour toutes les voies » ; puis, on enlève la mènote et on retire la scie ; on soulève alors un peu la tête du bois pour pouvoir retirer la traverse mobile, puis la replacer sous la partie du tronçon déjà sciée : cwand totes lès vôyes sont èbârêyes, on lîve lu bàtch de bwès po rèscouler V corant bâre après T bètch « quand toutes les voies sont sciées jusqu’à la barre, on soulève le bout du bois pour reculer la barre mobile vers le-bout ». On a soin de ne soulever que légèrement le tronçon ; sinon on pourrait arracher les ogropes ou déranger l’aplomb du tronc.

 

Recommencer à scier après avoir déplacé la traverse et, scier ensuite jusqu’au bout, se dit parfois à Jalhay r(u)bârer « rebarrer » ; à Grand-Halleux r(œ)bârer est bien connu : dj& djans r’bârer «nous allons ~ », disent alors les scieurs.

Pour passer d’une voie à l’autre, quand on scie entre les deux traverses, on enlève la mènote, ce qui permet de glisser la scie dans la partie antérieure sciée avant le déplacement de la traverse mobile.

 

Le va-et-vient de la scie

 

Le déplacement de la scie dans le plan vertical n’est pas un simple mouvement alternatif. Le scieur du bas, quand la scie remonte, la tire d’abord un peu eu arrière, puis à la fin de la remontée, la rapproche du bois. Pendant ce temps, le scieur du haut l’écarté jusqu’à ce qu’elle soit arrivée à son point haut. Quand la scie redescend, le scieur du bas com­mence par tirer fort en poussant la scie contre le bois ; celui d’en haut rapproche la scie de lui dès le début de la descente et il ne pousse fort qu’à partir du moment où le fer arrive au milieu de sa course. Le fer mord ainsi progressivement de plus en plus de bois au cours de la descente, et il ne scie pas (p.247) pendant la remontée. D’autre part, l’effort de chaque scieur atteint son maximum à un moment différent, mais ces efforts — qui, s’ils étaient produits en même temps, pourraient arquer le fer sous la double poussée et aussi épuiser rapide­ment les scieurs — se complètent et animent la scie d’un mouvement régulier et presque constant.

Voici comment les scieurs de Jalhay décrivent en wallon ce mouvement de va-et-vient :

 

On côp d’ fier bin relevé èst bin d’hindou « un coup de fer bien relevé est bien descendu » ; on côp d’fier qui n’est nin bin r’ièvê nu sareût dja esse bin d’hindou « un coup de fer qui n’est pas bien relevé [= remonté] ne saurait être bien descendu » ; po r’monter, on-z-assitche lu fier èrî de bwès « pour remonter, on écarte le fer du bois » ; tôt r’montant, i n’ fat nin qu’on l’ôhe haver « en remontant, il ne faut pas qu’on l’entende racler » ; cwand V fier est tôt r’ièvé, lu ci du d’zos rassit l’ côp d’fiér, èl rumèt’ à bwès « quand le fer est tout relevé, celui d’en bas rassied le coup de fer, le remet au bois » ; s’i n’est nin bin rassis, i s’ècrâke, on nèl sareût d’hinde « s’il n’est pas bien rassis, il s’accroche, on ne saurait le descendre » ;

(p.248) adon, l’ ci du d’zeûr s’îreût maker l’ tièsse conte, lu fiér « alors, celui d’en haut irait se frapper la tête contre le fer » ; lu ci du d’zeûr nu sareût nin fwèrci adon qu’on rassit l’fiér, ca il a lès brès’ è l’ êr « celui d’en haut ne saurait forcer quand on rassied le fer, car il a les bras en l’air » ; po l’ duhinde, on l’ duhint tos deûs’ èssonle « pour le descendre, on le descend tous deux ensemble » ; lu ci du d’zos siteche tot dè long, tant qu’i seûhe à botons « celui d’en bas tire tout du long, tant qu’il soit à boutons » (voir ci-dessous) ; i deût fé atincion po n’ nin fé prinde lu fiér trop reûd, po qu’i n’ s’ècroke nin « il doit faire attention pour ne pas faire prendre le fer trop brusquement, pour qu’il ne se coince pas ». — A Bellevaux, on dit que le fer mal dirigé randèle « remue bruyamment » en descendant ; Zune dit de son côté que su l’ rassièdje â bwès èst mâva, i croketlèye tot d’hyindant « si la remise du bois est mauvaise, il [= le fer] accroche en descendant ».

Le scieur d’en haut doit soutenir et guider la scie, et aussi garder son équilibre, tout mal planté qu’il est, avec un pied devant l’autre ; il se sert de la scie à cet effet, un peu comme le danseur de corde, de son balancier. Celui d’en bas doit également suivre la marche de la scie dans la voie, mais il ne peut le faire constamment, courbé qu’il est — avec la tête sur le côté du fer pour le laisser passer — quand la scie descend au plus bas de sa course, cwand l’ fiér duhint (ou va) à botons « quand le fer descend (ou va) à boutons », c’est-à-dire quand les pattes de la poignée supérieure avec leurs rebords formant arrêts arrivent jusqu’au tronc qu’on scie, marquant ainsi la fin de la descente ; le scieur d’en bas ne peut regarder vers le haut qu’un court moment, sinon il aurait les yeux pleins de sciure ; il ne regarde le trait qu’au moment où i rassît l’ côp d’fiér « il rassied le coup de fer », où il remet « au bois » la partie inférieure de la scie ou rassise.

Le scieur d’en haut recule le pied droit quand la scie va à botons, le pied gauche quand le corps est redressé ; le scieur d’en bas, avance quand la scie remonte. Ces mouvements ne se produisent naturellement qu’après quelques coups de fer.

 

La fin du sciage

 

A la fin du sciage du tronc, le scieur d’en haut est arrivé sur le rècouleû, l’allonge disposée pour lui permettre de se tenir au delà de l’arbre. Lorsqu’on scie le trait du milieu, la scie entre directement dans la fente de cette planche. Pour (p.249) les autres traits, le scieur pousse du pied la planche à droite ou à gauche (éventuellement après avoir desserré la chaîne) aussi longtemps qu’il dispose d’un espace plat sur le tronc, de façon à scier dans la fente de la planche ; les planches latérales se scient à côté du rècouleû.

Comme on ne peut scier dans lu traverse fixo sur laquelle repose la base du tronc, les planches ne sauraient être sciées à fond : il reste toujours un point d’attache ayant, sous le tronc, au inoins la largeur de la traverse fixe et affectant plus ou moins une forme triangulaire, vu l’obliquité prise par la scie à la fin du travail ; en effet, le scieur d’en has,; pour ne pas scier dans la traverse, a maintenant reculé un peu lui aussi dans sa fosse, en sens inverse de celui du haut. Les derpiers coups se donnent au ralenti, les scieurs s’aver­tissant.

Quand on en est arrivé là pour tous les traits, les scieurs tirent les agrapes ou clames. C’est déclouer le hois, d(u)-clawer l’ bwès.

Alors, en se servant de la hache à équarrir introduite successivement dans les fentes et en exerçant une pression latérale sur la hache, tot brouyant (l) avou l’ hèpe qwårerèce,

 

(1) Sur cet emploi du v.  « broyer », voir  Mélanges  Haust, p. 264, n° 2.

 

(p.250) on fét sclater (ou on sclate) lès plantches (Jalhay), « en broyant, on fait éclater (ou on éclate) les planches » ; on k’hyire lès plantches « on déchire les planches », dit Zune ; de même on hyire (ou chire) lès pèces, « on déchire les pièces », à Bovigny. On commence par les deux dosses, lès fierons, puis les autres planches, en évitant de laisser basculer le tronc avant la fin de l’opération.

Au fur et à mesure qu’on détache les planches, on r’nètéye lès sclats è bout, lès båbes, lu mwèrhon qui n’meûre « ou nettoie les éclats dans le bout, les barbes [== bavures], la saillie [litt. trognon] qui reste » (ce que Zune nomme lès sporons « les éperons », comme le témoin de Bellevaux). Cette opé­ration s’appelle parer l’ bwès « parer le bois ».

Détacher les dosses, c’est duhorner (Jalhay) : lès soyeûrs su r’moussèt duvant du d’horner l’boule « les scieurs se rhabillent avant d’enlever les dosses de la boule ». — (Fé) sclater lès plantches et parer l’ bwès, c’est en un mot dubârer l’ bwès (Jalhay), « débarrer ».

Ajoutons qu’après avoir scié, il faut vider la fosse de la sciure qui s’y est accumulée. On tape lu soyore foû avou one hope « on jette la sciure dehors avec une pelle ». S’il s’agit d’un bois fort gros, on la retire déjà après avoir èbâré, scié (toutes les voies) jusqu’à la barre.

 

La mesure des planches sciées

 

Les scieurs travaillaient à la pièce, al pèce, d’après la longueur et la largeur des planches obtenues, ainsi que d’après l’essence du bois.

Jusqu’en 1914, le salaire journalier d’un ouvrier était de 4 à 5 francs. J. Bodet se souvient de l’époque où on sciait le bois dur (chêne, frêne, hêtre…) à 5 centimes le pied carré ; pour le sapin, c’était à 3 centimes ; par la suite, les prix furent augmentés. Zune a scié le bois dur pour 4 cen­times et demi (deux francs cinquante de cint d’ pîs « du cent de pieds »).

Le principe pour le payement du scieur est de faire entrer en ligne de compte tous les traits de scie. . Après le sciage, exactement après lu d’hornèdje « après l’enlèvement des dosses », on mesure la largeur des planches avant de les déposer successivement s’ir le sol. La largeur de la première planche qui suit la dosse est mesurée sur la face contiguë à la dosse (qui, elle, n’a pas été mesurée), puis on mesure la largeur de la planche suivante sur la face apparue après l’enlèvement de la première planche (qu’on a (p.251) déposée en un endroit convenu couchée sur sa face mesurée) ; et ainsi de suite pour les autres planches mesurées chaque fois sur la face qui était contiguë aux planches précédem­ment enlevées (planches qu’on a continué de déposer sur la première, couchées comme celle-là sur la face mesurée et formant ainsi une boule renversée où seules les dosses manquent). Quand toates les planches ont été mesurées, on mesure une seconde fois sur la boule reconstituée la dernière planche, mais cette fois sur son autre face, celle qui était, lors du sciage, contiguë à la dosse. Ainsi tous les traits de scie longitudinaux ont été comptés. Reste à faire intervenir le tronçonnage préalable, qui n’est pas mesuré tel quel, mais qui est compensé par le fait que l’on compte double le dernier trait mesuré sur la boule reconstituée. On additionne les dimensions obtenues ; on multiplie le tout par la longueur du tronçon et on obtient la surface en pieds carrés, pîs cwârés.

Ainsi se calcule le pî soyeûr, litt. « pied scieur », comme dit Bodet (Zune dit pî d’ soyeûr « pied de scieur »). Autre chose est le pî [d’] martchand « pied [de] marchand », qui tient compte, lui, de la valeur marchande des pièces en rai­son de leur épaisseur, comme de leur longueur et de leur largeur; de plus, le pî [d’] martchand se mesurait toujours au côté étroit, à streût caste, de la plancha, les chanfreins à fås bwès « à faux bois », c’est-à-dire les excédents d’un côté sur l’autre, devant être rabattus pour obtenir des arêtes à angle droit (1).

 

Les débits simples

 

Parfois on se bornait à scier l’arbre en deux sur son fil ; c’est fendre (ou jeter) la boule en deux, finde (ou taper) l’ boule è deûs’.

Avec des troncs peu épais, on pouvait encore taper one rulave (Jalhay) à droite et à gauche — une rulave (litt1 « relave ») étant une mince dosse —, puis scier une voie, one vôye, au milieu.

Scier uniquement les deux dosses, c’est jeter bas les dosses, taper lès horons djus, ou en un mot horner.

Le plus souvent, on sciait l’arbre « sur boule », so boule, ou « sur rond bois », so rond bwès, c’est-à-dire entièrement dosse à l’autre, comme on l’a décrit ci-dessus.

 

(1)Telle était la pratique ancienne ; aujourd’hui, les marchands mesurent jusqu’au milieu du chanfrein, du fås bwès.

 

(p.252) Il arrivait qu’après ce sciage, on jugeait bon de scier en deux sur la largeur l’une ou l’autre planche trop large, spécialement celle du milieu, qui, renfermant le cœur, lu coûr, est sujette à se fendre, à bîler, en cet endroit ; une planche trop large, d’ailleurs, gondole, vôsse, souvent ; trop’ du lârdjeûr, c’est mâva po V vôssèdje et po V bîlèdje « trop de largeur, c’est mauvais pour le gondolage et le fenaillage ». Scier de la sorte des planches au centre, c’est refendre, rufinde.

On peut aussi désirer des planches sciées des quatre côtés, plantches hornées, qui ont vive crèsse ou vîve ruyèsse « arête vive » de tout côté, qui n’ont n6 fâs bwès « aucun faux bois ». On plôme « plombe » (= on mesure au fil à plomb) pour déterminer un blazon à chaque bout, mais à droite et à gauche de cette ligne centrale, on laisse sans le marquer un espace égal au total à la largeur que doivent avoir les plantches hornées ; on ne marque que l’excédent à droite et à gauche, lequel est alors scié. On fait faire ensuite un quart de tour au tronc, qu’on marque sur les deux plats obtenus ; de la sorte, on peut scier les plantches hornées dans, un sens perpendiculaire aux planches latérales (non hornées) sciées tout d’abord.

 

Débits particuliers                                                    

            

Des débits particuliers ont été recherchés pour mieux tirer parti de la qualité des’planches, surtout de celles du chêne. Ces planches ont en effet d’autant plus de valeur qu’elles ont plus de part à la maille, au camelot (syn. al fleûr « à la fleur ») du bois, ce qu’un spécialiste apprécie tout de suite en examinant sur le bout de la planche l’affleurement des (p.253) rayons médullaires partant du centre qui ont étô trandién par la scie ; leur disposition lui révèle la position qu’occupait la planche par rapport au cœur de l’arbre : lès pluntches qui t’nèt dreût ou à pô près dreût l’ camelot èt mostrèt fwért bin l’ camelot, c’èst dès plantches so qwårtî ou so bê qwårtî « les planches qui tiennent droit ou à peu près droit [ = verti­cale] la maille et montrent fort bien la maille, ce sont des planches sur quartier ou sur beau quartier » (1) Les planches qui font apparaître au contraire les rayons médullaires pres­que horizontaux sont dites so mèspåte par Pottier, par Zune (qui prononce naturellement mèspâte) et par d’autres, so mèscwåte par Bodet et par d’autres aussi (1). Certains dis­tinguent bê qwårtî « beau quartier », d’mé qwårtî « demi-quartier » et mèspâte ou mèscwâte.

Le débit en quatre quartiers, qui est proprement le sciage so qwårtî, n’a guère été pratiqué en Ardenne, vu son carac­tère compliqué et difficile pour des scieurs obligés de décaler, de recaler et de remettre d’aplomb les quartiers après chaque changement dans le sciage. Cela ne pouvait même se faire dans certains cas que si on disposait de grosses cales en bois sciées de façon à pouvoir donner aux quartiers la position voulue.                                           

 

(1) Distinguer le camelot ou fleûr « maille » (ou « rayon médul-. laire ») du pôre dè bwès, litt. « pore du bois », cerne concentrique formé annuellement par l’apport d’une couche génératrice et caractérisé par une zone poreuse, ainsi que du filèt (Jalhay), crèhyant (Gd-Halleux) ou «fil», constitué par les fibres longi­tudinales ou montantes.

 

(p.254) Ce qui se pratiquait, c’est qu’avec des troncs particuliè­rement gros, qui donnent des planches trop larges, donc sujettes à se fendre et à gondoler, et qui, d’autre part, se prêtent mal au débit so boule parce que leur largeur laisse trop peu de jeu, pô d’ djowe, à la scie qui avance malaisément, on sciait une première fois tout le tronc en deux, puis successivement chacune des deux moitiés posées sur son plat. Pottier et Zune appellent ce débit so mèspåte, taudis que Bodet (qui ignore le débit précédent) l’appelle so qwårtî, encore qu’il convienne lui-même qu’il n’y ait ainsi que deux quartiers (si on prend le mot dans son sens fractionnaire) et que, d’autre part, il y ait de chaque côté par rapport à la maille des planches qui méritent le nom de planches so mèscwåte (2).

On voit que les renseignements sont bien moins précis et concordants pour les débits spéciaux que pour le débit so boule décrit ci-dessus en détail. Preuve que celui-là seul était vraiment le débit habituel de l’Ardenne liégeoise.

 

L’abandon du sciage de long

 

Pottier a cessé de scier de long en 1935. C’est aussi vers cette date que les derniers scieurs de long ont abandonne-le travail à Jalhay.

Plus au sud, il semble que l’ancienne méthode de sciage a disparu plus tôt encore. Pour les régions malmédienne, stavelotaine et salmienne, on scie mécaniquement depuis le début du siècle. A Cheneux-La Gleize et à Rahier, toutefois, l’usage du sciage sur hourd a persisté jusque dans l’entre-deux-guerres.

Dé-ci dé-là, même quand on avait pris l’habitude de scier mécaniquement, on sciait encore de long des troncs situés dans des parcelles de bois dont la vidange était difficile.

Quelques-uns avaient aussi repris le sciage de long pen­dant la guerre de 1914-1918. Dernière réapparition, j’ai vu, en 1946, à Lodomez-Stavelot, un hourd de fortune recons­truit par un menuisier (qui n’avait jamais scié) décidé à

 

(1)  mèscwåte est altéré de mèspåte (par influence de qwårtî et aussi de  cwåteler   « écarteler »).   Pour   mèspåte,   voir  le   Dict. Liég., ë. v.

(2) L’ancien scieur de Bressoux originaire de la Famenne, dont il est question plus haut, appelait le  débit 1.  bê cwårtî ; 2. fås qwårtî « faux quartier » ; 3. qwårtî (Enquête d’Ed. Remouchamps.)

 

(p.255) tenter avec son frère (qui l’avait fait jadis) le sciage à la main de pièces de bois dont le sciage mécanique lui coûtait trop cher, vu les dommages à payer à la scierie pour le bris des dents dû aux nombreux éclats de shrapnell cachés dans les les troncs (conséquence inattendue de l’offensive de von Rundstedt !) ; il paraît que cette tentative n’a pas réussi.

 

Emile-Joseph Pire, L’oûrd dès soyeûs, in : MA, 6, 2009, p.31-34

 

Introduction (in: EB, 415, 1989, p.42-47)

 

Dans ce petit texte en prose, l’auteur (1886-1959) nous décrit brièvement une activité qui a complètement disparu dans nos régions, le sciage de long; il situe les faits dans son village natal, Franchimont (Philippeville) à la fin du XIXe  siècle.

Le métier de ces scieurs était particulièrement pénible et requérait une grande habileté technique; indépendants, ils travaillaient souvent en équipe et se rendaient de hourds en hourds pour débiter des planches à la demande des menuisiers.

Emile-Joseph Pire , avec sa vivacité habituelle, nous décrit les grandes opérations qui   menaient du fût aux planches : le tronçonnage, l’équarrissage, le marquage et le sciage  proprement dit.

 

(p.31) Odjoûrdu, lès munusiérs achèteneut leûs plantches dins lès grossès soye’rîyes ou bén amon dès mârtchands d’ matériaus pou 1′ batimint; més, i gn-a d’ ça cénkante ans, il achetént leûs bos en grumes èt is lès fiént soyî pa d’s-ouvrîs qu’ c’ èsteut leû mèstî.

À no vilâdje, lès soyeûs avént èn-oûrd monté t’t-asto dè l‘ goufe.

Savez bén çu qu’ c’ èsteut qu’ èn-oûrd?

Pou couminci, on fieut in trau dins l’ têre, d’ in bon mète di fond, su deûs mètes di long èt in mète di laudje. Aus deûs d’ bouts dè l‘ tranchéye, on planteut quate gros pikèts r’loyis deûs à deûs, dins lès deûs sins pa dès solidès travèrses… èt l’ oûrd èsteut prèt’.

Lès soyeûs cominchént lès tronces avou l’ atche à sqwèri*.

Après ça, is tracént lès spècheûs dès plantches à soyî avou ène ficèle trimpéye dins dè l‘roudje couleûr. Is tinkyént* 1′ ficèle come u faut au d’zeûs dè l‘ place à mârker, is soulevént 1′ côde èt is l’ lèyént r’tchèy bon-z-èt reud* èt 1′ trét èsteut bén mârké.

Adon, i faleut mète li tronce su l’ oûrd. Pou çoula, is clincént* deûs bos qu’ alént dès travèrses àtêre èt poûssént l’ tronce djusqu’à l‘ coupète, en-eûchant bén sogne di mète lès traces au d’zeûs èt d’ caler 1′ tronce (p.32) come u faut pou qu’ èle ni boudjiche nén en soyant…

Lès soyeûs d’ lon vènént d’ Vilé*. On lès lomeut 1′ Gâye* et 1′ Titi.

Li Titi, astampè su 1′ tronce, poûsseut su 1′ sôye; li Gâye satcheut di d’ pa d’zous. C’ èst co li qui stitcheut lès cougnèts quand i gn-aveut dandji. C’ èsteut toudi 1′ Titi qui sqwèricheut. Il aveut l’ oûy pou ça.

Il èstént toudi djintis avou l’s-èfants. Après li scole, gn-aveut toudi ‘ne drigléye tout-autoû d’ zias.

Avons-dje sitî djouwer dès toûrnéyes dins l’ oûrd dès soyeûs!

Après ça, is tracént lès spècheûs dès plantches à soyî avou ène ficèle trimpéye dins dè l‘ roudje couleûr.

 

oûrd, n. m., hourd; la description que nous donne l’auteur correspond à un modèle assez courant qui était installé à demeure, généralement aux abords de l’atelier d’un menuisier; ce hourd était souvent recouvert d’un toit en planches qui permettait de travailler malgré les intempéries. On peut aussi signaler les dérivés oûrdâdje, n. m., ‘échafaudage’ et oûrdia, n. m., ‘fenil, grenier à l’étage d’une étable ou d’une grange’ et aussi ‘échafaudage’.

goufe, n. m., lit.: gouffre; ce terme désigne généralement un endroit particulièrement profond d’un cours d’eau ainsi que ses abords; à Franchimont, ce lieu-dit était situé dans le bas du village, aux rives de la Chinelle.

(p.83) tronce, n. f., tronçon, bille; la grume était tronçonnée en deux ou plusieurs tronçons à l’aide d’une scie – li p’tit r’ cèpe – qui était maniée par les deux scieurs. L’adjectif p’tit ne doit pas nous tromper car cet outil mesurait plus ou moins 1,50 m mais elle doit son appellation au fait qu’elle était plus courte que la scie qui servait à débiter les planches.

 

sqwèri, v. tr., équarrir; cette opération réalisée avec l‘ atche à sqwèri, ‘hache à équarrir’, permettait de préparer le tronc de façon à scier le plus de planches possible; on réalisait ce travail à proximité du hourd en posant la bille sur deux transversaux.

spècheû, n. f., épaisseur; la technique de marquage à l’aide d’une ficelle enduite de couleur est très simple et très efficace; elle est encore utilisée par les maçons et les carreleurs.

bon-z-èt reud, loc. adv., litt.: bon et raide; sans hésitation, prestement.

Vilé, toponyme, Villers-le-Gambon; village voisin de Franchimont.

Gâye, anthroponyme; nous avons orthographié ce spot ‘surnom’ -, comme l’auteur; gâye désigne une noix et aussi la pomme d’Adam; tandis que gay est un adjectif qui qualifie un personnage qui est ridicule d’apparence. Il n’est pas facile d’être précis à propos des spots qui étaient si nombreux autrefois.

 

ricèpe (grand _), loc. nom., grande scie à débiter les planches; cette scie, munie de deux poignées (celle qu’utilisait le scieur du bas étant amovible), mesurait de 1,80 m à 2 m et pesait de 10 à 15 kg. Le scieur qui montait sur le tronc tirait la scie vers le haut ; celui qui était dans la fosse la faisait redescendre; c’était pendant cette dernière opération que la scie mordait le bois. On pourrait croire que ce dernier avait le travail le plus pénible car il était, en outre, saupoudré de sciure (il s’en protégeait par une casquette à forte visière ou des lunettes en treillis) et il devait introduire les coins – cougnèts – dans la voie de la scie; ce serait oublier que le scieur du dessus travaillait dans des conditions d’équilibre précaire.

cougnèt, n. m., coin; ces coins étaient introduits par le scieur de la fosse (cfr. supra) afin d’élargir la voie de la scie et faciliter le passage de celle-ci.

 

avons-dje sitî, 1ère personne du pluriel de l’indicatif présent du verbe avoir avec postposition du pronom personnel de conjugaison; lit. : avons-je été; on constate, en effet, que si le verbe est à la première personne du pluriel, le pronom personnel postposé est de la première personne du singulier. Il s’agit d’une tournure assez courante en ouest-wallon dans certaines expressions. Outre avons dje plus participe passé, signalons : î èstons-dje ?, (d)alons-dje ? (y sommes-nous ?, allons-nous ?).

 

Lès soyeûs d’ long (1/2), in : Singuliers, 4, 2005, p.29-33

 

Dins lès grands bwès d’Ârdène, i gn-avot in pô d’tous lès mustîs : dès bokions ki côpint lès ôbes su pîd, lès roûlîs ki lès trin.nint a tchmins avu leûs trikbales et ki lès mon.nint a dèstinâcion, avu dès tchôrs et lès tchfôs. I gn-avot lès cwârduleûs ki fjint lès cwâdes du bwès d’ tchôfadje, lès fôdeus ki f jint l’tchèrbon d’ bwès, lès mèrindîs ki fjint lès mèrins pou lès tounês ; i fjint ossi lès clapètes, pou lès bardadjes dès môjons. Lès mèrindîs et lès clapètîs avint lès min.mes ustîs, et anfm i gn-avot lès soyeûs d’long.

Twène èstot soyeû, il avot apris 1′ mustî avu s’ père. In bê djoûr, Twène s’avot rtrovu tout seû, in môvês mô d’ dos avot rutnu s’ père al hute, et Gus’ 1′ avot ramplacé. Twène avot adon pris pièce corne soyeû du dzeû. On djot : lu soyeû dzeu trêt ; lu « dzeu trêt » soyot a rculon. Gus’ astot soyeû « dzous trêt ». Duvant d’ ataker 1′ soyadje, la roûyète èstot mârkée ou cordé, padzeu corne padzous.

An jènèral, lès soçons soyeûs s’ atindint fwârt bin ; kand i n’ s’ atindint nin, 1′ asoce nu dèrot nin longtimps, mes Twène et Gus’, s’ ont toudi bin atindu, ku s’ seûje ou fier, û bin al rucèpe, c’ èstot corne deûs lîves a 1′ avon.ne, et ça, môgré la difèrance d’ âdje. Twène avot vint-cink ans tandis’ ku Gus’ ènn-avot a pon.ne sêze, mes i wèyot vite clér, et il è sté vite dusgrochi. En-an après, i savot skwâri ène roûyète al hèpe come in vî soyeû.

In lindi al pikète du djoûr, i falot rdrovu in nouvê chantier. Lu tchôr vinot d’ ariver avu lès-ustîs et lu houle dusmonté, lès coulètes et la chalète.

 

Tt-afwêt avot sté dusmonté la smwin.ne du d’vant. Kand F tchôr è-st-arivé avu tout F barda, Twène et Gus’ avint dja pioché la tranchée su ène longeûr d’ a pô près 15 pîds et 2 pîds d’ parfondeûr. Pou la lôrdjeûr i mètront in pô mwins’ ku 2 pîds, i mètront al parfondeûr jusse, kand lu houle srè monté, pwîsku c’ est Gus’ k’ est dzous trêt, c’ est li ki régulrè sa parfondeûr. I dvrè passer padzous lès bâres du traverse sins lès toutcher avu sa calote.

Duvant d’ monter lu houle, i vont mète lu chantier d’ nivô, et corne lu tèrin k’ on l’zî è wârdé est fwârt pantché, i profîtront du 1′ pante et insi gangner dul hôteûr pou n’ nin fwârcer trop a monter lès roûyètes su 1′ houle. Kand i gn-è moyin du n’ nin su hoder inutilmint i fôt 1′ fwêre.

Asteûre ku lès coulètes du chantier sont bin d’ nivô, nos deûs soçons ont rtaper ène partie dès tères su 1′ duzeû intèr lès coulètes ; lu rèsse, i lès tapront dins 1′ duzous. Du tchèke costé du 1′ fosse, i vont fwêre lès trôs pou mète lès montants du houle. I fôt k’ tous lès montants soyinche a 1′ min.me hôteûr, d’ in costé corne du F ôte.

Pou émincer, i vont mète lès deûs potôs d’ tiêsse bin d’ nivô, pwîs i vont mète lès deûs du pîd avu ène cwâde sutindûwe d’ in montant a F ôte. I vont vèy ou côp d’ oiiy s’ i sont bin a F horizontal ; lu trwâsin.me cwin mètu, i vont mète lu katrin.me cwin. Ène cwâde sutindûe su lès deûs ôtes montants va Izî indiker s’ i n’ gn-è pont d’ gôtche. Lès kate cwins estant bin d’ nivô, lès cwâdes estant bin stindûwes, i n’ ont pus k’ a mète lès montants d’ intérieur. Lès montants an pièce, i vont poser lès londjrons, loumés ossi fïlîres. In ptit côp d’ ouy su F nivô, ça va, i gn-è pus k’ a lès tchfîyer.

Asteûre on z-instale la bâre, k’ est la traverse du tiêsse. Come lès londjrons sont st-a nivô, ça srè ôjî, i gn-è k’ a rmète lès boulons dins lès vîs trôs. La bâre foie, on la mètre al bone distance, kand on mètre ène roûyète su F houle, avu in stip a tchèke cwin, et via lu houlmint dressé.

-1 m’ san.ne ki manke co yôk, sés-s’ Gus.

– Ayi, dju vu bin crwâre va Twène, c’ est la chalète d’ alondje. Lès trôs sont fwêt, i gn-è k’ a la mète dudins.

T’t-ossi vite dit, t’t-ossi vite fwêt, et via la chalète campée.

–   A bin nous via prêt’, wê Gus’. T’t-ossi vite ku F roûlï nos amon.nrè du bwès, on pore soyer.

 

Dj’ èstans ou mwès d’ aous’ mile nûf çant katôrze, i fwêt ène tchaleûr nin supôrtâbe. Lès cinsîs ont rintré leûs dinrées, i gn-è pus k’ lès avon.nes su lès tchamps, ki dmèrèt a fôtcher. La sêzon è sté fwârt bone, lu patron da Twène è rnètu floter dès bêles culées d’ tchin.nes dins la Masblète, ça fwèt trwâs mwès k’ èles trimpèt dins l’êwe courante. Gus’ k’ èstot djon.ne dins 1′ mustî, su dumandot poukwè ç’ k’ on trimpot lès tchin.nes, et c’est Twène ki lî è dné la rusponse :

–  Vous n’ duvinez nin poukwè ç’ k’ on trimpe les tchin-nes ? Vous savez bin ç’ k’ on fwêt avu lès scwâsses ?

– Ayi, èles vont dins lès molins a scwâsse pou lès tan’rïes.

– Et bin c’ est pasku dins F tchin.ne i gn-è brâmint d’ tanin, mes si 1′ tanin est bon pou lès tan’rïes, çu n’ est nin parèy pou 1′ bwès. Çu n’ est nin ku F tanin pa H min.nie est mwès, mes il aspêtche lu bwès d’ souwer normalmint. C’ est pou ça, k’ ou moumint dès grosses êwes, on tape lès bêles culées dins la rivîre, lu timps d’ in mwès û deûs. Pus’ ku F êwe est courante, mî k’ ça va. Kand lès roûyètes sont bin sêwées d’ leu tanin, on put lès amon.ner pou lès soyer. Kand 1′ bwès srè soyé, dju 1′ mètrans a souwer. Dj’ alans lever lès madriers conte ène gade, lu pîd ô hôt, et kand 1′ êwe ôrè piché fû, dj’ lès mètrans dsu cales et a l’ombrîre. Kand l’tanin est vôye, i fôt brâmint mwins’ du timps pou souwer.

– A bin Twène, dju su bin contint ku v’ m’ apurnez 1′ mustî, dju n’ ôro jamwês cru k’ ç’ astot si malôjî d’ fwêre souwer du bwès. Choûtez Twène, on z-atind èn-atèladje ki vint par ci.

– Ayi, c’est probâblemint l’tchèrtî. Dins dîj minutes, on sôrèt cwè.

Lu Tchèrtî è st-arivé, i va mète lu tchôr lu pus près possibe du houle. Lès pîds dès bwès sront an avant, du costé d’ la tiêsse du houle. Vou 1′ la a bone pièce, i sère lu mècanike su lès rûwes d’ padri, i brake lès rûwes du dvant pou fwêre rintrer 1′ moyû ; corne ça kand lès bwès tumront a 1′ valée du tchôr, i rouiront su 1′ bindadje sins mète lu moyû a damadje.

I dustèle lès tchfôs, an trin.nant lès péronés padrî zês. Lès tchfôs vont su rpachner su F ourlé, mes F tchèrtî va Izî dner F picotin. Lès muzètes sont pindûwes al londje du tchôr, i lès duspind pou lès mète os tchfôs. C’ est corne a F armée : lu tchfô dvant Fome ! Lès tchfôs sont plin d’ souweûr, adon, lu tchèrtî Izî tape ène coviête su la chine. Gus’ avot fwêt in bon feu ô

 

matin, asteûre i gn-è in bon bréjis’ pou rtchôfer lès bidons. Lu tchèrtî è mètu rtchôfer 1′ sin.ne dins la cène.

Lès trwâs ornes sont st-a gngno su dès vis satchs adlé 1′ bréjis’ ; Gus’ î è mètu tchôfer 1′ êwe dins 1′ marabout avu la chicorée. Gus’ et Twène nu buvèt k’ ça a longueur du djournée. Du leû costé, lès tchfôs, bin pôjîrmint croustièt leur avon.ne a F cadance d’ in balancî d’ ôrlodje. Du timps in timps, i dnèt in côp d’ sabot, û bin c’choyèt leû crignére pou ctchèsser lès tayans. Les ornes ont dusbalés leûs faguées, dès bêles trantches du grand pwin du spête, ossi grandes ku dès rûwes d’ bèrwète.

Lès pèles sont su F bréjis’ avu lès curtons d’ lord ki roussichèt an v’ rimplichant lès nèsês d’ ène du ces bones odeurs la, a v’ drovu in stoumac d’ èlèfant. Ène odeur parèy ça v’ dumeûre dins la mémwâre tout F restant d’ vos djoûrs. Dins ène bwasse du blanc fier, lès us k’ èstint ratortchés dins du F gazète, sont dusbalés et sont cassés s’ lès curtons brûlants. I n’ manke rin dins la grande malète, min.me lu pwâve et F se î sont. Ène û deûs pîcées d’ tchèkes, toûyer ène miète, et via F cayèt fwêt. In minisse nu sôrot mougner d’ si bon keûr an payant brâmint pus tchîr. Asteûre ku lès soçons sont bin guèdés, lès pèles sont rchoûrbûes avu ène crousse du pwin. Èles sront rpindûwes ou hayon, la ce du tchèrtî srè ratortchée dins dul gazète, et rprêrè s’ pièce dins la grande malète.

Lès omes vont rprinde F ovradje ; ène goulée d’ café, dvant du rdèmarer. Rutirer la muzète os tchfôs et pwîs on pore dustchèrdjer. Gus’ et Twène lêchront F marabout dins la cène, la chicorée dmeûr’rè tiède, lès soyeûs ô brès buvèt brâmint, mes jamwês frèd. Cand on dit k’ lès soyeûs sont dès buveûs, on put dîre ku c’ èstot dès buveûs d’ chicorée, i falot bin companser la souweûr.

Lu tchèrtî est d’dja a F ovradje, pou dustchèrdjer, i dvrè rtirer la grande rûwe du tchôr. Pou ça fwêre, i va mète lu cric padzous F chamê pou fwêre lever la rûwe d’ kèkes çantimètes. Kand la rûwe srè anlvée, i va fwêre jigler F bouc su F moyû. C’ è-st-in bokèt d’tronce avu in trô du F grocheûr dès moyûs du tchôr al hôteûr du rèyon dul rûwe. Kand F bouc srè an pièce, i lêchrè duschinde lu cric et F moyû pôsrè su F bouc. Ça fwêt, i va mète lès coulètes : la ce dud padrî pôsrè su F bouc et la deûzime pôsrè su F bindadje

 

du F rûwe du dvant. I gn-è k’ deûs bwès su l’tchôr : lu pus ptit, on pôrèt l’fwêre tumer an djîstant et an fjant dès pesées su l’pus gros. Lu deûzime, k’ est pus gros, i foré chûrmint F cric. Mes dvant d’ fwêre tout ça, lu tchèrtî è dusclapé lès brès du tchôr ; pwîs i va dusbrayer F sera ki rassère lès deûs bwès an fjant in côp F tour dul londje. La tchin.ne est tinkyiée avu in splingue, in djon.ne tchènê k’ on passe dins la tchin.ne an lî fjant ène twatche. Lu dbout du splingue est rloyé a ène tronce avu ène ôte tchin.ne. Ène pesée su lu splingue pou duscrotcher la tchin.ne, et tout bin doucmint lu brayoû est dustindu. La tchin.ne est tirée, i gn-è pus k’a djîster in ptit côp, l’prumï bwès tum’rè ôjîmint. Pou l’deûzime, i va falu F cric. Lu plat du F froutche aspêtche lu bwès d’ toûner. In ptit côp d’ cric pou fwêre riper la houpe, la mitan du F froutche bascule ; asteûre in ptit côp pou riper l’pîd a l’min.me hôteûr, co in côp d’ manivèle, i gn-è manke pus wêre, lu cric est a stok, ène pitite pesée avu la djîse et vou F la ki dèmâre et patatra, vou F la al valée du tchôr.                                             (a suivre)

Ernest BENOÎT

(wallon de Villance)

Malêjîs mots

alondje = reculée ou allonge, madrier prélevé dans une dosse de pied ; celui-ci était posé d’un côté sur le pied de la bille à scier, et de l’autre sur l’échelle se trouvant en bout de hourd, à +/- 1 m – 1,30 m ; la reculée permettait au scieur du dessus, de reculer en dehors du tronc et ainsi scier au maximum en inclinant le fer vers lui tandis que le scieur du dessous retenait le fer pour ne pas scier dans la barre fixe. / amayé = ennuyé. / asoce = association. / avon.ne = avoine. / bègnon = tombereau. / bôker = regarder à la dérobée. / bokion – bûcheron. / bouc = pièce de bois qui soutient le chariot quand on a enlevé une roue arrière. / bréjis ‘ = brasier. / cène = cendre. / chalète = échelle placée en bout de hourd, qui soutient la reculée / chanté = sellette supérieure de Favant-train du chariot. / chine = échine, dos. / clapète = planchette de bois, dont on recouvrait les mûrs de torchis. / coulète = rondin de chêne ou de sapin ; on en posait plusieurs sur le sol pour former le chemin de roulement sur lequel ont faisait avancer et tourner les grumes ou les billons. / cordé = cordon fait avec de la laine de réemploi servant à marquer les traits sur la longueur du tronc. / culée = tronc. / cwâde du bwès = corde de bois, équivaut à 2 stères. / cwârduleû = celui qui débite les

 

arbres en bûches. / djîbî = gibier. / djîse = levier en bois. / djîster = déplacer a l’aide de la djîse. / èssan.ne = ensemble. I fier = scie utilisée par les scieur de long, dont la lame s’élargi vers le haut. / fôdeu = charbonnier, fabricant de charbon de bois. / guèdé = repus / hèpe = hache dotée d’un manche court, au fer allongé et courbe. / hoder = fatiguer. / houle, houl ‘mint = hourd ; châssis dressé au dessus d’une fosse, composé de deux longerons de +5 mètres de long, fixés sur des piliers, d’une hauteur de 70 centimètres, hors terre ; les quatre coins du hourd sont étançonnés, afin qu’il ne balance pas durant le sciage. Sur les longerons, il y avait deux barres de travers ou bras de +/- 1,30 m. de longueur, le bras de tête était fixe, tandis l’autre était mobile et réglable suivant la longueur du bois à scier, ils recevaient l’assise de la bille à scier. Sous le hourd, se trouve la fosse, de la longueur du hourd et d’une largeur de +/- 80 cm, la profondeur était creusée d’après la hauteur du scieur du dessous, la tête du scieur devait passer sous les bras sans les toucher. / lîve = lièvre. / mècanike = frein du chariot. / mèrindî = fabricant de planches de tonneaux. / mète a damadje = faire des dégâts. / moyû = moyeu. / mustî = métier. / ourlé = talus. Ipéroné = palonnier. / rculoû = voir alondje. / roûlî = débardeur. / roûyète = portion d’un tronc d’arbre. / rucèpe = grande scie sans monture, à deux poignées. / scwâsse = écorce. / sêwer = évacuer, vider. / skwâri= équarrir. / soyeû d’ long= scieur de long, scie les troncs dans le sens du fil. / s(u)pête = épeautre. / s(u)plinke = tordoir que l’on passe dans une chaîne. / tayans = taons. / twatche = torsion. / trikbale = chariot à deux roues qui transporte les troncs.

 

Lès soyeûs d’long (2/2), in : Singuliers, 1, 2006, p.30-34

 

Nos deûs soyeûs ont du pwin s’ la plantche. Il ont avancé in bwès s’ lès coulètes, Twène fwêt in trêt ou grifèt a tchèke place du rcôpadje : lu prumî trêt pou métier 1′ pîd, ça i fôt k’ ça seûje bin plat pou marker les trêts. Lu deûzime trêt srè marké a pô près a 13 pîds. Après i gn-ôrè co ène longueur d’ ène dîjin.ne du pîds. Duvant du rcèper, Gus’ va planter ène agrape du tchèke costé du tchin.ne pou 1′ aspêtcher d’ balancer timps k’ i vont rcèper.

Pou émincer 1′ trêt, la rcèpe est a pô près al hôteûr dès brès pindants. Lès deûs trwâs prumîs côps, i rutnèt la rcèpe pou z-adômer ; après, 1′ pwèd dul rucèpe fwêt s’ travaye. I gn-è nin dandjî d’ pousser dsus corne èn-aradjé : yink ki hatche, 1′ ôte ki mintint, ziiin-ziiin, ziiin-ziiin… La rcèpe côpe fwârt bin, lès via dja oûte du 1′ mitan, ène pitite pose, et pwîs i s’ mètront a gngno pou spôrgner leus dos. I scratchèt dins leûs mwins, c’ est duvnu ène abitude, et pwîs ziiin-ziiin – ziiin-ziiin… Il è falu a pô près trwâs cârt d’ eûre pou fwêre lès trwâs trêts. Via l’tchin.ne rucèpe, i vont 1′ aprèter pou 1′ soyer. Pou émincer, i vont lu scwârcer, prumîrmint pou spôrgner 1′ tayant du fier et deuzim’mint pou faciliter 1′ mârkadje. Su la scwâce, lu cordé n’ mârkrot nin.

Lu tchin.ne bin pelé, Gus’ va 1′ fwêre toûner, tandis’ ku Twène su met ou pîd pou vîser la bone pôsicion du soyadje. Lu tchin.ne fwêt ène lèdjîte bosse, i fôt la mète ô hôt.

–       Toûne co in pô, et co, et co in pô…

 

– Ôwe ! Il est bin.

Alors’ Twène va mârker la partie du dzous, c’est a dîre lu costé ki va poser s’ lès brès du houle. Pou ça fé, i va prinde in bokèt d’ tchèrbon d’ bwès et mârker 1′ bwès os deûs dbouts. Lu bwès mârké, Gus’ va lî fwêre fé in cârt du tour pou awèr lu costé mârké a 45°.

Twène va mârker 1′ assîze. Pou awèr ène assîze bin plate, i prind 1′ plomb et va 1′ placer ou pîd du bwès ; Gus’ prind in bokèt du cordé k’ il è trimpé dins 1′ brouwèt, i 1′ passe intèr lu peûce et 1′ indècse, pou anlver 1′ trop d’ brouwèt, et 1′ va placer dins l’align’mmt du plomb. La drète mwin asployée su 1′ dubout du bwès, i mintint 1′ cordé et du 1′ gôtche mwin i lu stind. Kand i srè bin dins 1′ align’mint du plomb, i va caler sa gôtche mwin conte lu dzous du bwès, adon Twène apice lu cordé intèr ses deûs dèts, tire lèdjîrmint dsu et lu rlôtche ; via in dbout mârké. La min.me opèrâcion s’ fwêt a l’ôte bout dul roûyète. L’assîze mârkée, Twène et Gus’ vont tayer avu la hèpe, corne dès trantches du pwin, lès èstèles du blanc bwès, ki volet d’ tout lès costés. Timps k’ la roûyète est bin mètûwe, i vont ossi duscrèsser lu dzeûs, ça c’ est pus ôjî pou mârker lès longs trêts, kand i gn-è in plat ; lu soyeu « dzeû trêt » srè mî a s’n-ôje su 1′ plat ku s’ 1′ arondi.

In côp k’ 1′ assîze est tayée, Gus’ rufwêt fé in cârt du tour pou awèr 1′ assîze bin a plat su lès coulètes, ki d’ avance ont sté mètuwes d’ nivô. Via 1′ tchin.ne prêt’ pou 1′ mârkadje. Twène va prinde lu plomb, et avu lès min.mes jèsses ku pou mârker 1′ assîze, i va mârker 1′ prumî trêt jusse su 1′ keûr, ou pîd pou émincer. Pwîs, jusse su 1′ keûr al’ ôte dubout, 1′ prumî trêt mârké, Twène va s’ sièrvu du compas a pwintes sètches pou mârker lès êtes supècheûrs. Adlé 1′ trêt du keûr, i va rtirer lès ptites supècheûrs pou awèr la mâye du kôrtî. Avu 1′ compas i va prinde la mzère su ène late graduwée an î adjoutant la spècheûr du trêt et la rporter a costé du trêt du keûr. Twène pwinte in côp a gôtche du trêt, pwis in côp a drète. Padzeû pwîs padzous, i fwêt la min.me opèrâcion a 1′ ôte dubout ; pwîs avu ène late bin drète et ène tûle a 1′ mine du plomb bin afiyantîe, su lès rpéres du compas, i va tracer lès trêts du dzeû ou dzous ; et pou tchèke trêt, i rucmince lu min.me cayèt, et d’ timps in timps, i rmèt 1′ plomb, simpe contrôle, on n’ set jamwês.

Lès deûs dbouts sont mârkés, asteûre i fôt mârker lès longs trêts. Gus’ è dja aprèté 1′ cordé k’ è trimpé dins 1′ brouwèt et 1′ è nètié intèr su peûce et

 

1′ indècse. Twène prind in dbout du cordé, lu place ou dzeu du trêt du coeur, ou pîd du 1′ roûyète ; Gus’ va avu l’ôte dubout su 1′ trêt d’an face. I tinkièt 1′ cordé d’ ène mwin, pwîs avu 1′ ôte mwin, lu soulvèt, et ou signal du Twène i 1′ lôtchèt tous lès deûs. Via 1′ prumî long trêt mârké. Et du 1′ min.me façon, i mârkèt tous les trêts d’ drète. Et pwîs après, i front tous lès trêts d’ gôtche. Dud’ timps in timps, i fôt rtrimper 1′ cordé et lès mwins sont bin machèrées.

Lu dzeu du 1′ roûyète est mârké ; i vont toûner 1′ bwès d’ in dmi tour pou mârker 1′ costé assîze. Pou mârker lès dzous trêt, c’est 1′ min.me cayèt, i vont émincer su 1′ trêt du keûr ann-alant in côp a gôtche, in côp a drète et insi jusk’ a 1′ donse.

– Bin via co ène opèrâcion d’ fwête, i nous va falu fwêre monter la roûyète su 1′ houle. Eûreûsmint, lu houle è-st-in pô an contrebas du chantier, et avu la bone supècheûr dès coulètes, i n’ foré nin fwârcer d’trop.

Deûs coulètes sont posées su 1′ houle, Gus’ est avu 1′ crotchèt, et Twène avu ène djîse : on toûne, on ripe. I fôt fwêre avancer la roûyète du façon ku 1′ pîd du bwès pose a pô près cate dèts s’ la bâre ficse. Ça î est, il est dins l’align’mint. La bâre mobile srè avancée a pô près a in gros pîd du dbout du 1′ roûyète (+/- 40 cm). Via 1′ bwès ou dzeu dès coulètes. Co in cârt du tour et i srè an place. Si on ripe in pô an-arîre, 1′ assîze tumrè jusse a plat.

–  ‘la, corne ça vos plez toûner Gus’. Et hop, ça i est, vou 1′ la bin ou mitan du houle. On 1′ ôrot fwêt èsprès, on n’ 1′ ôrot nin mî fwêt, sés-s’ Gus’ ! On va r’mète lu plomb ou keûr, ça va z-èsse bon, i gn-è pus k’ a agraper. Dj’ alans mète lès agrapes ou pîd, deûs drètes su lès costés, et deûs twârdûes su 1′ dubout. Al houpe dju n’ è mètrans k’ su lès costés, on pôrèt z-è mète an dbout kand on z-ôrèt tchandjé d’ place la traverse mobile.

Su 1′ timps k’ Gus’ met lès agrapes, Twène est ocupé a ficser 1′ alondje ki pose d’ in costé su 1′ pîd du bwès, et d’ 1′ ôte, su in boûsson du 1′ choie, ki s’ trouve a pô près a cate pîds an-arîre du houle. In bokèt d’ tchin.ne toûne ôtoûr du 1′ alondje et du boûsson, i fôt lécher in pô du 1′ lâche pou passer lu splingue k’ î srè acrotché ou montant du 1′ choie, avu in bokèt d’ rond fil du fier, in côp tinkié.

 

Lu bwès estant prêt’, on put ataker a soyer. Pou émincer, in ptit côp d’ oûy su 1′ fier, et 1′ acracher in ptit côp avu ène coyine. Twène zoubule su 1′ houle pwîs s’ la roûyète. Gus’ duschind dins la fosse, c’ est li ki passe lu fier a Twène et ki 1′ aligne an face du trêt. Pou z-adômer 1′ trêt, il î vont tout doucmint avu lu dzous du fier, la partie k’ lès dints sont pus coûtes et n’ont nin tant d’ crama. Pwîs on alondje lu mouvmint a fwêt k’ on avance. Asteûre il î vont, i plèt prinde leû cadance pou s’ arèter a 1′ bâre mobile, k’ est a pô près a in pîd et dmi. Tous lès deûs rwêtèt si 1′ fier chût bin 1′ mârkadje. Arivé a 1′ bâre mobile, lu dzous trêt ratind 1′ fier tandis’ ku lu dzeû trêt continûwe a soyer an pantchant 1′ fier après li. C’est pou fé place ou fier pou 1′ deûsime passadje. Tous lès trêts vont z-èsse adômés du 1′ min.me façon jusk’ al bâre mobile. Jusk’ asteûre, i n’ gn-è nin co ‘yu dandjî d’ cougnèt.

Asteûre ku tous lès trêts sont adômés, on put boudjer la bâre. Twène duschind du houle, pwîs avu ène djîse va fwêre ène pesée pou soulver la roûyète du deûs çantimètes. Su ç’ timps la, Gus’ va avancer la bâre pou l’amon.ner ô d’vant du 1′ roûyète du façon k’ çute cile nu pôsrè ku dul lôrdjeûr du trwâs dèts. In côp ça fwêt, on va mète lès agrapes ou dbout, et on srè prêt pou z-ataker lès longs trêts.

– Dj’ alans bwâre ène lârmète du chicorée, hin Gus’ !

– On z-è dja souwé ène bêle tchumîje…

– À ! Ça fwêt du bin du s’ rafrèchi, alez on ratake, hin Gus’ !

Pou passer 1′ fier dins 1′ trêt, a l’intérieur du 1′ bâre, Gus’ va dusmantcher la poungnète. Alors’ c’ est Twène ki lèche duschinde lu fier dins 1′ trêt, et Gus avu in ptit côp d’ mayèt, va rcaler la pougnète. On scratche in côp dins ses mwins et pwîs èvôye : crrrr-crrrr—crrrr-crrrr— crrrr… In trêt a gôtche et pwîs in trêt a drète. Kand Twène arive ou dbout du trêt, i continûwe a soyer an rculant su lu rculoû an pantchant 1′ fier et insi soyer lu pus Ion possibe tandis’ ku Gus’ ratind 1′ fier pou n’ nin soyer dins la bâre ficse. Kand 1′ trêt srè djus, i dmeûr’rè in talon d’ trwâs dèts d’ lôdje su chîs dèts du hôt, k’ on frè sôter ou cougnèt, kand tous lès trêts sront djus.

Pou 1′ soyadje su boule, on fwêt pou c’mincer lès trêts su donse, seûy t-i a gôtche, seûy t-i a drète, an s’ ramon.nant s’ la mitan du bwès, in côp d’ in costé et in côp du 1′ ôte ; corne ça, lu soyeû dzeu trêt est sgueur su ses pîds jusk’ a 1′ fin du soyadje. Après tchèke trêt, lès soyeûs vont rbwâre ène

 

gordjée d’ chicorée, c’est normal pask’ i souwèt brâmint. Il arive co souvint ku 1′ fier sère dins 1′ bwès, alors’ lu soyeû dzous trin, è prévu in cougnèt k’ i tchèsse a côps d’ mayèt, estant d’ côps k’ i gn-è dandjî.

Cand tous lès trêts sont djus, i n’ sont pus mintnus k’ pa in ptit talon k’ on va fwêre sôter avu in cougnèt. Et pwîs lès baveûrs sront rnètiées a 1′ hâwlète. Afwêt k’on dustatche lès madriers et lès agrapes, i sont dressés conte èn-ôbe, lu pîd ô hôt, c’est corne ça k’ i vont sêwer 1′ mî. Kand i sront bin sêwés, on lès rmètrè su cales pou lès lécher souwer dins ène pièce bin aérée, mes nin an plin sole. Lès dbouts sront min.me rucatchés, ça i fôt awèr sougne du n’ nin fwêre dès jèrces et lès crôyes. Kand lès madriers sront bins latés, on rcatchrè la boule avu ène donse.

-Et bin Gus, on s’ è bin fwêt chandi ! Asteûre dj’ alans bwâre ène pitite goûte ? Bin çu n’est nin du rfus, et pwîsku la djoûrnée est oûte, ça nous va rkinker. Alez a vosse santé !

 

Ernest BENOÎT

 

(wallon de Villance)

 

Malêjis mots (les mots expliqués à la suite de la première partie de l’article Singuliers n°4, année 2005 — ne sont plus repris ici), agrape ou agripe = gros crampon, agrafe qui servait à maintenir le tronc sur le hourd ; il y avait des agrafes droite, que l’on enfonçait en bout de bille, et des agrafes tordues, que l’on enfonçait sur le côté. / brouwèt = teinture que le scieur fabriquait lui même en mélangeant du noir de fumée, du péquet et du savon noir ou de l’huile de lin. / compas a pwintes seiches = compas a pointe sèche qui sert a marquer les épaisseurs sur les extrémités / cougnèt = coin en bois ou en fer utilisés pour fendre le bois, caler le tronc dans une position voulue, ou pour écarter la planche afin d’éviter le coincement du fer. / crôye = fente. / duscrèsser = mettre à plat la partie supérieure du tronc avec « la hèpe ». / èstèle = éclat de bois coupé par la hache. / grifèt –instrument en forme de griffe, pour maquer les bois / hâwlète = herminette à équarrire, le scieur s’en servait à la manière d’une houe pour enlever la partie supérieure du tronc, /plomb = fil a plomb. / riper = glisser. / roûyète = tronçon du tronc d’arbre. / scwârcer = écorcer. / souwer = sécher. / tûle = craie rouge à l’usage des charpentiers.

 

Elisée Legros, Les deux types de manches, in: EMVW, 1948-1952, p.297-308

 

Les manches de pelles ou escoupes, houpes, comme aussi ceux de râteaux, ristês, et parfois ceux de pioches, piyoches, sont fabriqués so rond bwès « sur rond bois » (syn. so rondin « sur rondin »), c’est-à-dire en façonnant un rondin d’un diamètre légèrement supérieur à celui que doit avoir le manche. Les pelles sont en aune, platane, frêne, bouleau ou saule, les râteaux en frêne et en coudrier, les pioches en frêne.

Les manches des haches de houil-leurs, hèpes di houyeûs, ainsi que des mas « gros marteaux (de mines) », des pics et des haverèces de houil-leurs, des marteaux dits marteaux de frappeurs (aides-forgerons), [mår­tês d’] bouheûs-d’vånt (l), ainsi que de la plupart des pioches, sont faits de frêne so qwårtî « sur quartier », c’est-à-dire en façonnant des «quar­tiers» obtenus en fendant des tron­çons de frêne. Les manches « sur quartier » sont plus solides que les manches « sur rond bois ».

La clientèle est aujourd’hui pres­que uniquement industrielle, surtout depuis que les commandes de râteaux diminuent. A noter qu’on fabriquait beaucoup moins souvent des man­ches de faux, et surtout de bêches, fourches, houes, haches de bûche­rons, etc. ; aujourd’hui cette fabrica­tion est pratiquement abandonnée.

 

Le façonnage des rondins

 

Il faut d’abord scier les rondins à la longueur voulue, les [ris]soyî à longueûr, ce qui, il y a quelques années, se pratiquait encore à la

 

(1) Le mot bouheû-d’vant est d’abord en wallon le nom de l’ouvrier, tandis que le français frappe-devant, d’après le Larousse, est le nom de l’outil.

 

(p.299) scie à main ordinaire, sôye, sur une « chèvre » à scier le bois, so l’ gade. On détermine la longueur au moyen d’un repère sur la chèvre ou de « mesures » en bois.

Il faut dégrossir, disgrohi, les manches sciés, ce qui se dit proprement sbate (1) [pron. zbat’] ås måntches : on sbat’ ås måntches sur un billot, blok, avec une hache légère maniée «à la main» (c.-à-d. à une seule main), la hèpe al min. On commence par dégrossir le gros bout, ou

 

(1) Composé de 6a(e«Lattre» avec le préfixe s-, anc. fr. es-, latin ex- ; cf. sbate, t. de car­rier du Condroz, cité dans le Dict. Liégeois.

 

(p.300) « tête », tièsse, qui s’insérera dans la douille du fer, gros bout par lequel on pose d’abord le rondin sur le billot, puis on retourne le rondin (gros bout en l’air) pour dégrossir le reste du manche de haut en bas et sur toute sa surface.

On doit ensuite tailler, hatchî «hacher», le rondin sur un chevalet, å dj’volèt ; celui-ci est du type de chevalet à pédale, passète, et à coussinet, liesse « tête ». L’outil employé est la plane, le [lådje] coûtê à deûs mins « [large] couteau à deux mains ». On hatche les traces des nœuds et les arêtes, crèsses, qu’on r’passe « repasse » jusqu’à ce qu’on les ait fait dispa­raître ; on drèsse « dresse », cherchant à rendre le manche-lé plus droit possible.

Toujours sur le chevalet, le manche est ensuite raboté avec un rabot [cintré] qui achève de l’arrondir régulièrement. On pousse, tchoûke, le rabot sur le manche, puis on le tire vers soi, on l’ rassètche, sur le manche disposé dans l’autre sens. Le bout antérieur, bout ou bètchète « pointe », n’est pas raboté.

(p.301) Il faut encore rondjî « ron­ger » (ou « rogner », au sens de « biseauter ») (1) ce bout, avec la serpette, sèrpète. On biseaute le bout, en tenant dans la main gaucbe le manche posé verticalement sur le sol. Le biseau— comme le travail du biseautage — s’appelle le rondjèdje.

Le manche, tenu dans la main plus ou moins horizon­talement, est enfin passé au papier verre, papî d’ vêre ou papî såbré.

 

(l) Même acception pour rondjî,Enquêtes, t. 5, p.175.

 

(p.302) La confection des bottes de manches

 

Reste à lier en bottes, loyî à botes ou à fas, chaque botte de manches en comptant 25. Jadis les deux liens étaient des harts, hårts, de coudrier ou d’osier ; aujourd’hui ce sont des fils de fer, fis d’ârca. On forme les bottes dans un bâti spécial où l’on couche les manches, le loyû (litt. « lioir »). Le loyû est constitué par deux pièces de bois horizontales, qui réunissent deux montants obliques (vers l’extérieur) et qui coulissent autour d’une perche, ce qui permet de les éloigner ou de les rapprocher suivant la longueur des manches à lier.

On apporte ceux-ci par poignées de 5, qu’on dépose par terre de part et d’autre du loyû, 10 manches d’un côté, 15 de l’autre. Puis on les place un à un dans le loyû, d’abord dans le fond, puis sur les côtés, puis au centre, enfin au-des­sus. On a eu soin de disposer au centre quelques manches choisis parmi ceux qui présentent une certaine courbure de façon qu’ils dépassent par un bout l’espèce de fagot formé par les manches. L’ouvrier resserre cette botte en formation en la pressant sous le pied et en la frappant de quelques coups de marteaux, pendant qu’il tend les harts ou les fils, qu’il lie successivement. La botte est soulevée puis, tandis qu’on la tient dressée sur le sol, on chasse, tchèsse, au marteau ceux des manches légèrement courbes qui dépassent par le haut, ce qui a pour effet, en les forçant à pénétrer entièrement dans la botte, de serrer complètement, de caler, celle-ci.

 

Les manches à redresser et les manches à courber

 

Dans la description du travail ci-dessus, il n’a pas été question des rondins présentant une courbure trop accen­tuée, qu’il faut au préalable drèssî « dresser » ou radrèssî (ou radrûci) « redresser ».

Certains boisseliers « dressent » les manches à l’eau, à Vêwe, en les laissant séjourner dans des « bacs », batchs, d’eau chaude, mais ce procédé est aléatoire ; quand l’humidité sort, quand l’ crouwin mousse foû, le manche reprend parfois sa courbe. Aussi notre artisan redresse toujours les manches dans le four, è for.

C’est le même procédé qu’il emploie pour donner leur courbure spéciale aux longs manches de pelles destinés aux hauts fourneaux, pour fé l’ courbe «faire la courbe» de ces manches choisis parmi lès tot prumîs måntches di frin.ne « les tout premiers manches de frêne », c.-à-d. des rondins de frênes de première qualité, et, pour cela nécessairement, (p.304) parmi ceux qui ont été coupés au pied de l’arbre. On facilite souvent la courbure en enlevant, avant de chauffer le manche, un peu d’écorce et de bois du côté déjà concave.

On chauffe le four — attenant à l’atelier et ayant son entrée dans celui-ci —, puis on écarte les braises vers les côtés, et on dépose les manches au centre. Au sortir du four, les manches sont courbés -ou redressés dans un bâti dit drèssû (litt1 « dressoir ») (]), composé de deux montants et de deux traverses horizontales clouées l’une derrière les montants, l’autre devant et un peu plus bas ; on passe l’extré­mité entre ces traverses; on appuie sur le reste du manche

 

(1) Il est à remarquer que ce drèssû « dressoir » sert autant, sinon   davantage,   pour   courber   que   pour   [re]dresser.

 

(p.305) (avec les mains protégées par des gants) ; le bois encore chaud est ainsi courbé ou redressé aisément.

Les manches courbes sont mis en bottes avec trois ligatures.

 

Le façonnage des bois de quartier

 

Pour les manches so qwårtî « sur quartier », les tronçons, roles (f.), de frêne ont été sciés à la scie à tronçonner, fier di r’cèpe, maniée horizontalement par deux hommes.

Pour fendre, finde, le tronçon dressé, on se sert de coins, cougnèts, de fer et de bois, qu’on chasse au marteau. On le fend eu un certain nombre de quartiers, qwårtîs, d’après la grosseur du bois. Ceci se fait — comme le tronçonnage — à l’extérieur.

Ces quartiers à leur tour sont fendus, mais cette fois dans l’atelier. Si le bois a commencé à se fendre sous l’action de la bise, il doit être « pris » en partant de la fente naturelle. On suit le fil du bois, filèt dè bwès. On tranche au besoin à la petite hache les filèts qui continueraient à réunir deux quartiers fendus.

Le manche qu’on tient dressé sur le billot est ensuite dégrossi ou s tatou à la hache. Comme les manches des (p.307) haches et des haverèces doivent avoir la « tête » plus large, cette partie doit se raccorder avec le reste du manche plus mince par une courbure dite « échancrure », håvelèdje ; on amorce celle-ci avec la hache, en enlevant beaucoup de bois sur tout le reste du manche.

Naguère, les manches étaient ensuite façonnés å dj’volèt « au chevalet » et — du moins pour les manches les plus courts, ceux des Aau’rèces, des haches et des marteaux notamment — à stoumac’ « à l’estomac », c.-à-d. en étant tenus d’une part sous le coussinet du chevalet et appuyés de l’autre contre le ventre de l’ouvrier. Aujourd’hui, pour travailler les manches «sur quartier», on dispose d’un bâti spécial dit ponte « pointe », où le manche est tenu hori­zontalement — mais de manière à pouvoir tourner — par deux « pointes » de fer dont l’une est fixe et dont l’autre, placée à la distance voulue, se serre à la manivelle.

Le travail est fait à la plane et au rabot comme pour les manches « sur rondin » ; toutefois, pour les haches et les hav’rèces, après avoir « haché » (et aussi « dressé ») le manche proprement dit, comme les côtés plats de la tête, uvec le « couteau à deux mains » ordinaire, dit lådje coûtê, il faut employer une seconde plane, li strût coûtê « le couteau étroit », pour « échancrer la tête », håveler (l) l’ tièsse, c.-à-d. creuser la courbure ou « échancrure », hàv’lèdje. De même, après avoir ensuite raboté le manche avec le rabot cintré, on doit encore racler, racler, 1′ « échancrure », avec un racloir, råclû, pour parachever le creux.

Reste alors à biseauter le bout et à passer le manche au papier de verre (2).

 

Le façonnage des parties spéciales des râteaux et des faux

 

La tête, tièsse, et l’arc, êr (3),  des râteaux de faneurs sont façonnés avec du frêne sur quartier, tandis que les

 

(1) Le w. håveler « échancrer » est connu surtout comme terme de couture.

(2)  Quand on placera le fer de la hache sur la «tête» du manche, on introduira dans la « tête » au centre et sur toute la longueur de celle-ci un long coin de bois qu’on enfoncera pour bien fixer le fer, mais cela n’est pas proprement l’affaire du boisselier qui se borne ordinairement à livrer ses manches non montés.

(3) Le w. êr « arc » est archaïque dans la langue courante. Il se conserve ici comme terme technique.

 

(p.308) dents, dints (m.), sont en saule, essence qui enfle, rinfèle. De même la monture, tchèt, d’une faux armée, est en frêne sur quartier, mais les dents également en saule.

Les dents sont façonnées à la plane, tandis que les deux poignées des faux — la poignée fixe ou pougnêye et la poignée mobile ou cwèrbå « corbeau » — sont obtenues au tour.

L’arc du râteau est fait d’une latte de jeune frêne fort flexible, coriånt, qui a du nerf, qu’ a dè gnêr. On amincit cette latte à la plane sur le chevalet ; elle est ensuite « échancrée », håvelêye, au centre, de deux traits de scie, puis pliée à froid å pôce « au pouce » pour fé li n’mêye cèke «faire le demi-cercle», et suspendue pendant une dizaine ou une douzaine de jours entre deux solives du plafond de l’atelier ; elle gar­dera par la suite la courbure acquise de la sorte.

Les mortaises, hôtes, destinées à rece­voir les dents, le manche et l’arc, naguère forées au vilebrequin, å windê, et sur le ventre, å stoumak, le sont aujourd’hui au tour, å toûr.

Les râteaux sont liés par bottes de 12, à botes di doze, les têtes étant superposées.

 

Lès soyeûs d' long / Les scieurs de long (Yvon Barbazon)

(in: Bulletin du CEHG, 2002)

L'oûrd (Paul Gilles)

(in: Art et Histoire, Culture, Loisirs de Meux et environs, 19, s.d., p.9-14)

Lès sôyerîyes ont remplacé li soyadje di long / Les scieries ont remplacé le sciage de long

(in: Bulletin du CEHG, s.n., 2002, p.3-9)

2.   Scrîjadjes èt musike / Littérature et musique

Lu soyeû (Jean-Baptiste Bastien)

(in: Jules Feller, Jean Wisimous, Anthologie des poètes verviétois, 1928, p.189; 197-198)

"In bon soyeû d' long" (Henri Rouneau) (Borinâje / Borinage - Blaujî / Blaugies)

(in: AO, 13/09/2012)

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Arlon (Arel en arlonais1 et en allemandn 1) est une ville francophone de Belgique située en Wallonie. Il s’agit du chef-lieu de la province belge de Luxembourg, elle est également chef-lieu de son arrondissement administratif. L’ancienneté de la ville remonte à la période gallo-romaine. La langue luxembourgeoise y a longtemps été traditionnelle2,3. La ville est aujourd’hui un grand centre administratif et commercial dans la région. C’est l’agglomération la plus peuplée du Pays d’Arlon. Le secteur tertiaire, notamment l’enseignement, y développe ses activités (faculté universitaire et enseignement secondaire). Arlon (Arel en arlonais1 et en allemandn 1) est une ville francophone de Belgique située en Wallonie. Il s’agit du chef-lieu de la province belge de Luxembourg, elle est également chef-lieu de son arrondissement administratif. L’ancienneté de la ville remonte à la période gallo-romaine. La langue luxembourgeoise y a longtemps été traditionnelle2,3. La ville est aujourd’hui un grand centre administratif et commercial dans la région. C’est l’agglomération la plus peuplée du Pays d’Arlon. Le secteur tertiaire, notamment l’enseignement, y développe ses activités (faculté universitaire et enseignement secondaire). Arlon (Arel en arlonais1 et en allemandn 1) est une ville francophone de Belgique située en Wallonie. Il s’agit du chef-lieu de la province belge de Luxembourg, elle est également chef-lieu de son arrondissement administratif. L’ancienneté de la ville remonte à la période gallo-romaine. La langue luxembourgeoise y a longtemps été traditionnelle2,3. La ville est aujourd’hui un grand centre administratif et commercial dans la région. C’est l’agglomération la plus peuplée du Pays d’Arlon. Le secteur tertiaire, notamment l’enseignement, y développe ses activités (faculté universitaire et enseignement secondaire). Arlon (Arel en arlonais1 et en allemandn 1) est une ville francophone de Belgique située en Wallonie. Il s’agit du chef-lieu de la province belge de Luxembourg, elle est également chef-lieu de son arrondissement administratif. L’ancienneté de la ville remonte à la période gallo-romaine. La langue luxembourgeoise y a longtemps été traditionnelle2,3. La ville est aujourd’hui un grand centre administratif et commercial dans la région. C’est l’agglomération la plus peuplée du Pays d’Arlon. Le secteur tertiaire, notamment l’enseignement, y développe ses activités (faculté universitaire et enseignement secondaire).

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