manières vivre passé armurier
VIKADJE DO PASSÉ
Manières de vivre du passé
ÂRMURÎ
Armurier

ârmurî (armurier)
(in: La Belgique Illustrée, 1890)
Georges Laport, la fabrication des canons de fusil (en damas), La Vie W., n° 11-12, 15/7/1931, p.461-519
Des baguettes pour fabriquer les DAMAS (esp. de canon de fusil)
Les phases de la fabrication:
APONTIÈDJE (soudage de baguettes laminées: tordues, assemblées puis martelées de façon à former un ruban)
FÔRDJÈDJE (action de forger)
FORÈDJE (alésage)
DRÈSSÈDJE (intérieur des canons)
SÈMIÈDJE (blanchissage): passer le canon à la meule
FROTÈDJE (décapage)
Georges Laport, LA FABRICATION DES CANONS DE FUSIL EN DAMAS, in : VW, 11-12, 1931, p.461-473 ; 507-519
(p.461) La renommée des armes liégeoises s’étend dans le monde entier. Aujourd’hui, nos puissants ateliers métallurgiques fabriquent des canons de fusils d’acier d’une seule pièce, alors qu’autrefois on tournait à la main des canons connus sous le nom de damas (wallon : damas). Lorsqu’éclata la Grande Guerre, cette industrie était encore florissante au pays de Liège ; depuis lors la difficulté de recruter les ouvriers et les hauts salaires réclamés par ceux-ci, ont fait abandonner ce genre de travail, qui avait porté jusqu’aux contrées les plus lointaines le renom de l’antique cité mosane.
La fabrication des canons de fusils dans la vallée de la Vesdre est loin d’être récente. Au XVIIIe siècle déjà, on produisait des canons en fer forgé, destinés aux armes de guerre. La méthode employée à cette époque était des plus simples. On ployait, dans le sens de la longueur, une forte bande de fer autour d’un mandrin. Il ne restait plus qu’à souder longitudinalement les deux bords et à dresser le canon obtenu. Ce genre de canon s’appelait muskète, l’arme finie mousquet (1).
(1) Dans la suite on fit d’une façon analogue des canons de petit calibre, très légers, destinés au Brésil. On les nommait les kènons di platène ou cadèts. Ce modèle comprenait les cadèts ronds, c’est-à-dire ayant le tonnerre rond ; les cadèts tîse di qwårt, au tonnerre ayant la forme d’un octogone coupé en trois ; les cadèts qwårt oute, canons octogonaux sur toute leur longueur ; les cadèts à boulon, ayant au tonnerre un carre de métal qui servait de percuteur, l’arme se chargeant par la bouche ; les cadèts à résèrve, dont le percuteur se trouvait sous la culasse même.
(p.462) Il y a plusieurs siècles, les Arabes se servaient d’un alliage de fer et d’acier pour forger les lames d’épées. Cette industrie, née à Damas, porta le nom de son lieu d’origine. Ces lames, d’une grande souplesse et d’une solidité à toute épreuve, eurent une très grande vogue (2).
Une tradition, répandue chez les anciens fabricants d’armes liégeois, prétend que ce procédé fut usité en Perse pour fabriquer des canons de fusils et que les Arabes auraient importé les premiers damas en Europe, au début de leur séjour en Espagne, au XVe siècle.
(1) Le fusil et ses perfectionnements, par W. GREENER (en anglais); traduction française de G. Bonjour,1881.
(p.463) En 1804, Clonet fut le premier en France à produire des damas (3). D’après les souvenirs des plus anciens canonniers et notamment de M. Heuse-Lemoine, de Nessonvaux, c’est vers 18(…) que la fabrication des canons en damas s’implanta au pays de Liège. Elle prit rapidement une grande extension et, l’habileté des ouvriers aidant, elle permit aux arquebusiers mosans de de vendre jusqu’en 1914, des damas à des prix si modiques qu’ils déconcertaient les producteurs étrangers.
Cette industrie s’était localisée sur les bords de la Vesdre et de ses affluents. Olne, Nessonvaux, Fraipont, Trooz, La Brou(…), Forêt, Chaudfonfaine, Vaux-sous-Chèvremont retentirent du martellement des canonniers. Ajoutons que des forges s’écrémèrent le long du ri de Vaux (Nessonvaux), du ri de Mosbeux (Go(…), Forêt) et du ri de Havegnée (Fraipont). Une quantité de maisonnettes basses et étroites, noircies par la fumée, à demi en ruines et converties en remises, en poulaillers, attestent encore de nos jours de l’intensité du travail des damas dans cette région.
Seul un fabricant d’armes de Nessonvaux, M. Jean Delcourt-Dupont, a rassemblé quelques vieux canonniers et bravant les vicissitudes de la situation économique, continue à produire des canons en damas. C’est dans ses forges et ateliers que nous avons-pu nous livrer à l’étude suivante.
La fabrication d’un canon comprend différentes opérations. On devait d’abord fé lès masses di damas’ ou disposer le fer (et) l’acier dans les masses ; fé tirer lès masses : po çoula, on minéve lès masses à l’ vèrerèye, on conduisait les masses au laminoir afin de les faire réduire en baguettes ; l’ apôtièdje ou apprêtage ; li fôrdjèdje ou forgeage ; enfin l’ ouhinèdje, l’usinage, qui comprenait le forèdje : le forage ; li drèssèdje : le dressage ; li blankihèdje : le blanchissage et li frotèdje : le décapage. Reprenons en détail chacune de ces opérations.
I Fabrication des baguettes
De nos jours, il n’existe plus dans l’agglomération liégeoise de laminoirs confectionnant les baguettes qui servent de base aux damas. Aussi M. Delcour doit-il envoyer ses masses à damas dans le Hainaut, à Monceau-sur-Sambre, pour le soudage et
(1) Guide des amateurs d’armes et armures anciennes par Auguste DEMMIER; Paris, 1909.

(p.464) des lopins. Jadis certains industriels s’occupaient uniquement de la fabrication des masses à damas et de la vente du fer à damas, dont il existait une grande variété.
Autrefois le laminoir le plus connu était celui de La Rochette (Chaudfontaine).
On constitue des lopins (masses) de fer et d’un acier puddlé, demi-dur, ayant une résistance variant entre 55 et 60 kilogrammes. On superpose le fer et l’acier en plaques laminées ayant de 12 à 14 mm d’épaisseur et dans les proportions suivantes : 60 % de fer, 40 % d’acier. La disposition des deux métaux permet de multiples combinaisons dont certaines sont traditionnelles. C’est de l’arrangement et de la qualité du fer et de l’acier que dépendent les dessins variés qui apparaissent sur le canon terminé et en font le prix. Nous reproduisons une niasse et trois coupes se rapportant à quatre types bien connus de damas. Les parties blanches représentent le fer ; les hachures représentent l’acier.
On peut y voir que le damas « étoilé » se compose de 9 fers et 6 aciers, plus 48 fers et 30 aciers carrés. Le « Bernard 81 double » comprend 41 fers et 40 aciers; le « crollé extra fin » 8 fers et 7 aciers ; le « Washington » 8 fers et 7 aciers augmentés de 20 fers et 20 aciers carrés.
Un tour de force consistait à disposer les deux métaux de manière à obtenir une inscription ou un nom se répétant au milieu des lignes ornementales.

(damas)
(p.465) Pour certains canons les arquebusiers avaient des secrets de fabrication. Ils envoyaient alors les masses préparées au laminoir.
Dans ce cas, le travail du lamineur se bornait à en sonder les différentes parties et à les réduire en baguettes de coupe carrée ayant de 5 à 8 mm d’épaisseur, sans en altérer la disposition. Cru-la section de chaque baguette devait reproduire exactement la disposition des fers et des aciers composant la masse primitive.
Il existe des baguettes de section rectangulaire, les rubans qui servent à faire des canons Washington ordinaires dénommés torches (wallon : tôtches), ne subissant pas l’opération de 1’apprêtage

(baguète Wahington / baguette Washington)
II La forge – Li fôdje
Certaines forges composées seulement d’un rez-de-chaussée, s’alignent en série dans le voisinage d’une usine à canons. D’autres se situent au rez-de-chaussée de bâtiments dont les deux étages supérieurs, les plantchîs, constituent l’habitation de l’armurier. Enfin, il y a des canonniers qui ont leur forge attenante à leur demeure. Leur métier se transmettait jadis de père en fils.
(p.466) Le bâtiment n’est pas bien grand une porte et une fenêtre trouent la façade. La chaleur est telle que les ouvriers doivent tenir les fenêtres ouvertes et établir un courant d’air continu. Autrefois, les fenêtres n’étaient pas garnies de carreaux. Il y avait des volets en bois plein que le tâcheron fermait sitôt la journée terminée.
Une chemise, un pantalon, un solide tablier de cuir, tel est l’accoutrement du forgeron.
Le foyer se compose d’une petite voûte, haute de 0 m. 90 environ et qui s’adosse à un mur : li murê. On comble l’interstice compris entre le murê et la voûte de fâhins (fraisil) sur lesquels repose le charbon du feu. Devant le foyer, s’étale à hauteur de la main une dalle de pierre, li pîre d’ êstri, jouant le rôle de table.
Le canonnier emmagasine sa provision de charbon sous la voûte. Au-dessus du brasier une hotte en tôle, li mantê, conduit la fumée à la fowî (cheminée). A la hotte l’armurier suspend une planchette verticale appelée måråsse et destinée à préserver la figure du travailleur de la chaleur, un long baquet à eau, souvent en pierre, li batch, fait suite à la pîre d’ êstrî.
La tuyère ou touwî est une brique en fonte creuse, incrustée dans le murê. Elle amène le vent du soufflet dans le feu. La touwî communique par deux tuyaux avec un baquet à eau, placé derrière le murê. L’un des tuyaux part du haut de la tuyère et pénètre dans le récipient par le dessus ; l’autre part du bas de la (p.467) tuyère et entre dans le baquet par le dessous. Cette disposition constitue un thermo-siphon. La circulation d’eau est établie afin de refroidir la touwî.
Le soufflet, soflèt, est maintenu au moyen d’un échafaudage en bois, dont la poutre principale s’appelle li hådinèle . Un autre support, li gade, soutient une pièce en bois, li rôlê, sur lequel se meut la pîce, perche, commandant le soufflet au moyen d’une corde appelée quawiron. De li pîce descend une corde métallique ou une chaîne, terminée par un bois, le lamê, qui sert de poignée.
La partie inférieure du soufflet est nommée cou-d’-tchåsses, la partie supérieure: montèye. Li vinta est une soupape qui permet à l’air de s’engouffrer dans le soufflet.
Sous le soufflet, à un crok ou crochet pend un pavé, le coyon, qui le maintient toujours bien ouvert.
Devant le foyer se dresse l’ ècame, l’enclume, dont la tablette est rayée dans le sens de la largeur, de rigoles parallèles, les rôyes d’ ècame, des lådjes et des streûtes, suivant le calibre du canon, destinées à soutenir celui-ci.
(p.468) Dans un coin s’amoncelle le charbon maigre lavé, auquel on ajoute un peu d’ arzèye, argile — surtout chez les apprêteurs — pour qu’il soit plus compact. Autrefois on remplaçait l’argile par du fwêrt tchèrbon (charbon gras).
Voici comment un vieux canonnier nous expliqua la façon dont il préparait son charbon : Jadis les houillères ne vendaient pas de charbon lavé; alors les ouvriers de forge ou canonniers prenaient deux espèces de charbon pour faire leur mélange. Ils mêlaient un tiers de bas-bwès (charbon gras), deux tiers de quawe dè bwès avec de l’argile humidifiée. Ce mélange leur donnait une bonne température. Presque toutes les canonnières achetaient le charbon eux-mêmes au marchand. Le forgeron et son aide devaient passer le charbon au tamis. Ils jetaient les pierres et écrasaient les blocs de houille à l’aide d’une dame (demoiselle) avant de faire le mélange définitif.
Le canonnier charge le feu à l’aide d’une palète, minuscule palette d’acier, montée sur un long manche.
Dans chaque forge, il y a deux ouvriers : le forgeron, kènonî et son aide, li fèreû.
Le canonnier ne se rendait jamais à l’ouvrage sans emporter un ou deux pinsons en cage. Ces prîhenîres (prisonnières) étaient accrochées au-dessus de la porte de la forge ou près de la fenêtre.




III L’apprêtage – L’ apontièdje
Les baguettes sont apportées à la forge où elles subissent (…).
Le premier stade de l’apprêtage est la torsion, li twèrdèdje.(…)
(p.470) Un baquet en tôle, li batch d’ apontieû, contenant de l’eau et une pète (pinte) pour puiser le liquide.
La baguette roupie est empoignée par l’ apontieû, qui en fixe une extrémité dans la pougnêye (étau rudimentaire) et, soutenant la baguette du marteau, du fourgon ou de la picète (pince), introduit l’antre bout dans l’axe du molinê. Actuellement l’ apontieû utilise surtout la picète. Il s’en sert aussi pour débarrasser la baguette de ses hamuslådes (battitures). Vite le fèreû, l’aide, tourne le moulinet. L’apprêteur maintient la pougnêye de la main gauche et de (p.471) la main droite empoigne la pinte. Il surveille l’opération et assure la régularité de la torsion en refroidissant par endroits, an moyen d’eau, la pièce rougie. La température de la baguette n’étant pas la même partout, certains endroits se tordent plus vite que d’autres et le grand art de l’ apontieû consiste à refroidir les places où l’acier sère (serre) trop fort. L’apprêteur place derechef la barre dans le feu et tord de la même façon l’autre partie de la baguette.
Le fèreû actionne le soufflet tandis que le canonnier conduit son feu : i mène li feû. De temps en temps il saisit une petite barre ronde, le fourgon, la plonge dans le batch, puis l’introduit dans le foyer. Comme des scories encrassent continuellement la tuyère, le fourgon sert à la déboucher : on distope li feû. Le fourgon repousse la scorie légèrement sur le côté. Toute l’habileté d’un apontieû consiste à introduire dans la touwî enfouie sous le charbon, le fourgon du premier coup, sans modifier la compacité du combustible, de façon que le vent active toujours le feu, pour que le métal rougisse dans le moindre laps de temps. La scorie ne tarde pas à se reformer, on l’écarte derechef, mais chaque fois elle se soude à celle qui a été éloignée précédemment, A la fin, ces scories forment un bloc compact, le lêtin, le laitier de forge, de forme bien caractéristique. On utilise ce lêtin pour construire des murs de soutènement aux jardins en pente. On les joint avec de la (p.472) molêye, boue provenant des meules lors du sèmièdje. (Voir chapitre VII.) Les cendres sur lesquelles repose le charbon s’appellent des fåhins. On les crûle (tamise) et elles vont alimenter le foyer domestique. Le crûle sert aussi à tamiser le fwêrt tchèrbon, avant de le concasser à l’aide de la pilote, espèce de pilon de bois. Les vieilles touwîs servent à faire des pilotes.
Vient alors l’assemblage, l’ assimblèdje, ou la confection d’une masse d’ apontieû. Les baguettes tordues sont assemblées par 2, 3, 4 ou 6 selon le cas. On les chauffe au blanc soudant (tchåfer blanc), puis l’ apontieû les fait marteler par le fèreû pour les souder ensemble. Il joint d’abord les extrémités de la masse, avant de passer au corps.



(p.473) L’ apontieû a un tout petit marteau, le fèreû un gros marteau, frappe sur le métal pour indiquer à son aide l’endroit qu’il doit marteler. Son geste donne également l’amplitude du coup que l’aide doit imprimer à son outil. Le forgeron choque l’enclume pour prévenir le fèreû que l’opération est terminée.
Devant l’enclume existe une barre d’acier, li supôrt, destiné à soutenir la masse.
Quand l’ apontieû martelle le ruban, il jaillit des gerbes d’étincelles : ce sont les salêyes ou hamuslådes, battitures.
L’enclume de l’ apontieû est différente de celle du fôrdjeû. Elle n’a aucune rainure au milieu de la tablette et est munie d’un crochet mobile.
La masse devenue le ruban, passe ensuite à l’enroulement, l’ èrôlemint. Elle est enroulée sur un mandrin, l’ indjin, longue barre ronde d’acier. A sa base, l’ indjin est traversé transversalement par une barre servant à le faire tourner. On attache un bout de ruban au doguin, sorte de crochet fixé à l’ indjin, qui maintient le ruban. Celui-ci doit passer sous le crochet fixé à l’enclume. Le fèreû tourne le mandrin pendant que l’ apontieû force le ruban à épouser la forme de l’ indjin, à coups de marteau. Le mandrin est revêtu d’une tchîmîhe ou fôremint, chemise en tôle servant à donner plus de rigidité au canon et à empêcher le fer d’être brûlé à l’intérieur, dans la suite. Le canon se présente maintenant sous la forme d’une spirale allongée terminée par un bout de ruban non enroulé. C’est sous cette forme qu’il sera soumis au forgeage.
L’ apontieû se sert d’un hanchon pour hanchoner (vérifier la largeur et l’épaisseur des rubans. Le hanchon est une lame de fer découpée en dents. Sur l’une des longueurs la dentelure indique la largeur du ruban, sur l’autre l’épaisseur.
L’apprêtage est terminé.
Dans certaines forges les canonniers ne se livrent qu’à l’opération de l’ apontièdje, dans d’autres au forgeage.

IV Le forgeage – Li fôrdjèdje
Le fôrdjèdje (…)
(p.509) Sur l’un des côtés de l’enclume et faisant corps avec elle, s’avance un cône d’acier, c’est la bigwègne ou bigorne. Quand le forgeron arrive à l’une des extrémités, il pousse le canon dans la bigorne et frappe sur les parties qui lui semblent trop épaisses.
(p.510) Pour les canons fins on recommence deux ou trois fois les opérations dites tchôdes : plaquer di treûs tchôdes. La dernière fois c’est pour parer ou ripasser le canon, c’est alors qu’on se sert du cèpê. Tout près de l’enclume se dresse un outil en forme de V, le cèpê, sur lequel l’ouvrier have le canon, c’est-à-dire enlève les scories et battitures qui se trouvent sur le canon, et cela dès qu’il l’a mis au calibre définitif.
Si par hasard il y a un défaut au milieu du canon, le fôrdjeû enlève la partie mauvaise, par exemple il coupe une ou deux spires à l’aide d’un hèrpê. Au moyen d’une baguette spéciale dite baguète à djonde, il comble le vide.
Le hèrpê sert aussi à faire disparaître les djondèdjes (chevauchements). Le djondèdje n’est pas un défaut. Pour tourner le canon, l’apôtieû utilise deux ou trois rubans. Où l’un des rubans finit et où l’autre commence se trouve un r’doblèdje (doublement). Si le tâcheron forgeait le canon sans faire disparaître le r’doblèdje, celui-ci s’apercevrait dans le damas : il y aurait un placard. Aussi le fôrdjeû coupe le r’doblèdje à l’aide du hèrpê de façon à obtenir les rubans bouts à bouts.
Le fèreû porte à celle de ses mains la plus rapprochée du canon chaud, la droite en général, un cûrê, petit morceau de cuir qui lui évite les brûlures.
Parmi les outils dont se sert le forgeron citons : 1 Le hanchon pour calibrer les canons. Les diamètres extérieurs se prennent å cou, å golé à l’aide des rôyes di l’ ècame, å mitan et à l’ gueûye, c’est-à-dire à la culasse, à la fin du plat ou à 7 cm. de la culasse à l’aide des rainures de l’enclume, au milieu et à la bouche ; le tonnerre s’appelle li fachêre. 2 Le rûle, barre d’acier servant à mesurer en pouces liégeois la longueur des canons. 3 La chasse (p.313) ou dégorgeoir puis 4 la stampe (étampe) utilisées pour façonner l’une le plat, l’autre le golé. 5 Autrefois une lème, lime, avec laquelle il ècrènéve, creusait une entaille dans le métal pour faire disparaître les crikes ou payes (défauts). 6 Une marke, sorte de poinçon possédée par chaque forgeron et dont il revêt chacun de ses travaux ; on peut dire que c’est la signature de son œuvre.
Avant d’envoyer le canon à l’usine, le fôrdjeû procède à la visite du canon. Les défauts les plus apparents sur un canon forgé sont : li finte, lès crikes, li tchôde di crasse, lès tètches di damas. Le forgeron les note à la craie.
La finte provient d’un djondèdje mal soudé. Elle doit disparaître. On la coupe hors du canon et on comble le vide à l’aide de la baguète à djonde.
Les crikes proviennent de spires non soudées. Elles ne nécessitent qu’une tchôde très courte.
La tchôde di crasse est un corps étranger qui s’est glissé entre deux baguettes et qui les a empêchées de se souder. Le fôrdjeû (p.512) commence par nettoyer la crasse au moyen d’une lime très fine, une pitite bèdène. (…)




(p.513). La roue à aubes était fixée dans des coussinets en pierre appelés plouma. Une vanne, li vinta, permettait d’amener l’eau sur la roue. Le flot glissait sur une petite pente, li coûrsî, pour s’introduire dans les
alètes, alichons de la roue. A côté du vinta se trouve li fås vinta (syn. li pèherêye), qu’on lève quand le vinta est fermé, pour permettre à l’eau de s’écouler. L’ensemble s’appelle li vinteurerèye.
Le foreû, ouvrier aléseur, était généralement un apprenti, un vieux forgeron on encore un apprêteur que l’âge avait rendu incapable de travaux délicats. C’est par là qu’on débutait et c’est également par là qu’on terminait la carrière de canonnier.
Le forèdje consiste à enlever une partie du métal à l’intérieur .lu canon pour mettre celui-ci au calibre voulu. C’est alors que disparaît la chemise en tôle qui s’était soudée à l’âme du canon et dont nous avons parlé lors du forgeage.
Le canon est monté sur le banc d’ forèdje, qui est composé de deux longerons en chêne, séparé par un baquet en tôle rempli d’eau. Chaque longeron est muni d’une glissière destinée à recevoir le chariot, sur lequel le canon est maintenu par une espèce d’étau, li cèpê. A l’une des extrémités du banc, une poulie fait tourner la moflète, mouffle. Celle-ci est percée d’un trou qui reçoit le tèrê, (p.514) foret carré servant à roder l’âme du canon. Chaque banc possédait une vingtaine de tèrês qui étaient suspendus à un bois, li djubèt. Tos lès tèrês èssonle, c’ èsteût li trosse di tèrês. Le foreû amène le chariot de façon à introduire le tèrê dans l’âme. Un des longerons est garni de distance en distance de chevilles en fer, les clås d’ forèdje. L’ouvrier fait avancer ou reculer le chariot au moyen d’une tige d’acier, courbée en deux endroits et de forme spéciale, la cråwe. Le crochet a entoure l’une des chevilles, située du côté opposé à celui du tâcheron. La partie ab s’appuie contre le cèpê et l’ouvrier fait avancer le chariot en se servant du bras r comme d’un levier. Pendant l’opération, le foreû verse constamment de l’eau sur le canon pour l’empêcher de s’ èshandi (s’échauffer).
L’usine de M. Delcour marche au gaz pauvre. Les bancs de forage sont très perfectionnés, le chariot avance ou recule mécaniquement. Le forage est fait au moyen d’ alizwêrs (alésoirs, forets coniques ; de l’huile soluble sert de réfrigérant).
Dès que le canon est alésé, le calibre est vérifié à l’aide d’une jauge, le molê.
Les calibres ne s’indiquent pas à l’usine en centimètres ou en pouces, mais en bales. Ainsi le calibre 12 devient pour les canonniers, li bale à dîh-ut’, parce que l’on pouvait faire dix-huit balles pour ce calibre avec une livre de plomb. Le calibre 16 est li bale di 22 et le calibre 20 li bale à 27.


VI Le dressage – Li drèssèdje
Après avoir subi toutes les manipulations précédentes, les canons ne sont pas droits intérieurement. C’est à l’ouvrier dresseur, li drèsseû, qu’il appartient de faire disparaître les pleûs (plis, inégalités). Autrefois on dressait, on drèssîve, le canon au marteau, opération délicate qui nécessitait des ouvriers très habiles.
De nos jours on emploie une machine. On pose le canon entre deux crochets situés à deux hauteurs constantes ; entre ceux-ci glisse un coussinet que l’on peut abaisser ou relever en faisant tourner un volant.
Le drèsseû examine l’ombre projetée dans l’intérieur du canon. Si à un certain endroit les ombres ne sont pas rectilignes, le canon n’est pas droit à cette place. L’armurier l’amène entre les deux (p.515) crochets à hauteur voulue, puis manœuvre le volant. Le coussinet monte, plie le canon, le redresse jusqu’à ce que l’ombre ne présente plus aucun pli.
VII Le blanchissage – Li sèmièdje
Chaque usine possède quelques grandes meules : des pîres di sème. Il y en a trois à Nessonvaux. Comme ces meules s’usent très rapidement, le fabricant de canons en a toujours quelques-uns en réserve, appuyées contre l’un des murs de l’usine.
La chambre clans laquelle tournent les meules s’appelle li sème : li kènon va èl sème.
Le sèmieû ou émouleur passe le canon sur les meules pour les blanchir et pour faire disparaître toutes les inégalités extérieures résultant du forgeage, c’est le blankihèdje ou sèmièdje à l’ pîre. Le canon est maintenu contre la meule au moyen d’un mandrin nommé indjin, du côté du tonnerre, et par un autre mandrin, li dj’vèye (cheville), du côté de la bouche. A la sortie de la forge le canon est noir ; après avoir été sur les meules il est gris-fer ; c’est pourquoi on dit « blanchir » le canon.
On fait une légère application d’acide sulfurique sur le canon pour le visiter : pour rechercher les crikes (défauts). Si la moindre imperfection apparaît, le canon est renvoyé à la forge pour y être retravaillé. Sinon, il est porté au polissage intérieur.
Le banc à polir est à peu près identique au banc à forer. Seulement, ici, une vis sans fin actionne automatiquement le chariot et le banc porte trois moflètes, le chariot trois canons. On monte sur les moflètes de grandes mèches carrées, les mohes di poliheû, composées d’une lame de fer doux montée entre deux lames d’acier et dont les arêtes sont taillées à la façon des limes. Pour le polissage, l’ouvrier cale la mèche dans le canon à l’aide d’une hinelète, morceau de bois de saule sans nœud, long d’environ 50 à 60 cm, (p.516) et arrondi en forme de cône. La mèche est introduite par le tonnerre, la hinelète par la bouche. L’armurier frappe sur la hinelète avec un marteau en bois, li r’tchèssa, pour la forcer à s’introduire entre la mèche et le canon. Par la rotation de la mèche et sous l’action de la limaille arrachée par elle et qui se colle dans le bois tendre du saule, l’intérieur du canon se polit comme un miroir. Pendant l’opération, l’ouvrier, avec un sabot en tôle, arrose continuellement et extérieurement le canon d’eau pour éviter réchauffement ; mais, de plus, il répand de l’huile grasse sur la hinelète chaque fois que le va-et-vient du canon la découvre.
Le canon est alors dressé, puis va de nouveau èl sème pour être mis au calibre extérieur définitif. Le sèmieû a un tel tour de main qu’il arrive à donner au canon des dimensions extérieures à 1/10 de millimètre près. C’est un travail d’une grande délicatesse, d’autant plus que le canon n’est pas un cône régulier comme on (p.517) pourrait le croire. Il va en diminuant du golé au mitan, puis s’évase légèrement jusqu’à la gueûye.
Du côté opposé à celui où se tient le sèmieû, il y a une pièce de bois, li bwès d’ clame, munie d’un crochet mobile en fer. Cette pièce est actionnée par le bådet. On engage li dj’vèye sous le crochet afin d’avoir un point d’appui. L’émouleur maintient le canon de l’autre côté par l’ indjin qu’il laisse tourner dans ses mains en appuyant l’arme plus ou moins fort sur la meule, selon qu’il veut enlever beaucoup ou peu de métal.
Parfois on retaille les meules avec un hatcherê afin de les rendre plus mordantes. Il se peut aussi que la taille ait pont but de les recentrer.
Lors du sèmièdje, la meule projette dans le baquet se trouvant sous elle une boue jaune appelée molêye : mélange d’eau, de (p.518) poussière de grès provenant de la meule, de limaille de fer et d’acier du canon. On se sert de cette houe comme d’un mortier. L’oxydation des particules de fer dans la poussière de grès, rend le mortier très résistant.



VIII Le décapage – Li frotèdje
II faut maintenant décaper les canons. On fabrique des pincês, pinceaux formés de morceaux d’étoffe de laine, enroulés sur eux-mêmes. (p.519) On emprisonne le pincê dans une pince en fer, picète, de forme spéciale et on la plonge dans l’acide sulfurique. La lame est peu attaquée par le vitriol. A l’aide de cet instrument on badigeonne ensuite le canon. Sons l’action de l’acide apparaît le dessin en damas. La masse (lopin) étant formée par la superposition de plaques de fer et d’acier, l’acier de plus forte teneur en carbone, apparaît en noir, le fer, en blanc. Le dessin varie selon le nombre de feuilles employées et leur disposition dans la masse. Au bout de quelques minutes, on arrête l’action de l’acide par une forte aspersion d’eau bouillante.
Le décapage permet au visèteû, visiteur, de s’assurer que l’on n’a laissé subsister aucun défaut. Dans les petites usines, la dernière visite est passée par le patron.
Il existe de nombreux modèles de damas. Citons le boston, l’oxford, le bernard, le Washington, le crolé, le chiné, l’étoilé, le pointillé, etc. D’autres, comme le london, le torche, le torche fin, le birmingham et le ruban mineur n’étaient pas apprêtés, on les appelait les laminés ou les rubans. Le fer employé pour les canons laminés très ordinaires provenait des cercles, les cèkes di bales (serrant les ballots de laine arrivés à Verviers) mêlés à de vieilles baïonnettes.
Le « clou de cheval » était un damas d’une grande finesse. Il portait ce nom parce que le fer entrant dans la composition de la masse devait avoir été traité par le charbon de bois. Cette qualité de fer a fini par n’être plus employée que pour les clous utilisés par les maréchaux-ferrants, les « clous de cheval », d’où le nom. Les vieux canonniers prétendaient à tort ou à raison que le fer obtenu par ce procédé antique était plus souple, plus résistant, plus facile à souder à la forge. Le « fer au bois » était fourni aux canonniers par la fonderie de Couvin ou provenait de Suède.
Apres le décapage, les canons sont envoyés chez les fabricants d’armes qui se chargent de les assembler, de les gårni, li gårnihèdje, et de les bronzer, lès mète è coleûr, ou de les dérocher, les miner.
Conclusion
Nous avons énuméré les différentes phases par lesquelles passe un canon de fusil en damas. Peut-être se demandera-t-on, pourquoi on les préféra si longtemps aux canons d’acier portant la marque des principales firmes métallurgiques.