draudadje (écobuage)

(E. Dauchot)

Emile-Joseph Piret (1885-1959), in: EB, 419, 1989

Li draudâdje, lès fournias

 

Ce texte d’Emile-Joseph Piret décrit une activité qui n’est plus pratiquée de nos jours à la campa­gne: l’écobuage.

Il s’agit d’une technique qui permet d’améliorer les sols et qui consiste à arracher les plantes qui cou­vrent un terrain et de les brûler avec la mince couche de terre qui demeure prise dans les racines. Pour réaliser cette combustion, on empile ces végétaux en petits tas; une fois que l’ensemble est réduit en cendres, il suffit de l’étaler sur le sol.

Il s’agit d’un travail pénible qui se faisait manuellement dans la région de Franchimont; il fallait débarras­ser le terrain des broussailles, éviter de prendre trop de terre avec les végétaux, surveiller la combustion afin que celle-ci soit lente et se confine à l’intérieur des empilements.

Tout ceci est fort bien décrit par Emile-Joseph Piret et nous rappelle combien étaient industrieux ces paysans de la Fagne qui essayaient de rendre fertiles les tiènes (côtes, collines) calcaires si nombreux dans la région; de nos jours, ces sols sont retournés à l’état sauvage et on n’y fait plus pousser les délicieuses pom­mes de terre qui enchantaient Emile-Joseph Piret.

Li draudâdje, lès fournias

Gn-a nin à dîre : on gangneut bén sès crousses amon lès p’titès djins, quand, pa tous lès moyins, is sayint d’ agrandi ‘ne miète leû patrimwène.

Avou in trî, èyu qu’ i n’ crècheut qu’ dès djignèsses ou dès bouchons è dès fènasses, is f’yint ‘ne têre à canadas. Mês, pou ‘nn’ ariver là, faleut drauder; ç’ côp-là, fé dès fournias. Savèz bin ci qu’ c’ èsteut d’ drauder? Pou couminci, on côpeut lès bouchons, lès djignèsses èt lès spènes èt on-z-è rauyeut lès racènes avou l’ awelète. Tout ça èsteut crayelè à cindes. Èt pwîs, on pèrdeut l’ awe èt on pèleut tout l’ trî…

 

On lèyeut r’ssuwer lès wazons ‘squ’à tant qu’ il èstint  bons-èt sètchs.  Quand is l’ èstint, c’ èsteut l’ momint d’ fé dès fournias. On ‘nn’ aleut su l’  bèsogne avou saquants fagots èt trwès quate djaubes di strin. On fèyeut dès p’tits feus pa-t’t-avau l’ têre. Quand l’ flaméye èsteut bin en route, on l’ rascouvreut d’ wazons qui brûlint à djaumiant, dès djoûs au long. Tanawète, on-z-aleut taper in côp d’ ouy auzès fournias. Si l’ feû traweut yink ou l’ aute, on stoupeut l’ trau pace qu’ i n’faut nin

qu’ in fournia eûche dè l’ ér pou brûler ‘squ’à l’ dérène glimiote…

 

C’ èsteut ène pèsse dins tout l’ vilâdje quand l’ vint atchèsseut di s’ costè li scrèpante feumêre dès fournias. Saquants djoûs pus taurd, surtout si l’ timps d’mèreut au bia, lès fournias avint ça à leûs guètes : dji vou dîre qu’il èstént r’cûts a cinde.

Dji gadjereu qu’ vous-autes, lès djon.nes d’ asteûre, vos n’ mi saurîz  dîre comint-ce qu’ on lomeut cès cindes-là qu’ èstint roudjes come du sang. Èn’don qui vos nè l’ savèz nin? Dji m’ vos l’ va dîre: c’ èsteut d’ l’ aursin! Là wète in mot qu’ vos n’ trouverèz nin dins vo Larousse! Nin co dins vo patwès d’ asteûre! Èt qwè-ce qu’ on fieut d’ ç’t-aursin-làla? On l’ sitaureut pa-t’t-avau l’ trî qui v’s-aurîz cru rascouvru d’ in vré tapis d’ roudje lin.ne. Come têre à canadas, gn-aveut pont pou l’ pèter. On s’ agranceut d’ vèy arivér l’ rauyâdje… pace qui su tous lès trîs draudès, gn-a toudi ieû dès canadas tout bèroulès.

 

Notes

agranci (s-), v. p., se réjouir à l’avance d’un événement, s’impatienter

atchèssi, v. tr., lit.: chasser vers soi; attirer

aursin, n. m., cendre résultant de l’écobuage

awe, n. f., houe

awelète, n. f., binette, petite houe

bèrouler, v. intr, rouler (en parlant d’une balle); le pp. désigne des pom­mes de terre bien sphériques, de belle forme qui roulent dans les sillons au moment où la fourche ou la charrue les sortent de terre

crayeler, v. intr., charbonner

djaube di strin, loc. nom., gerbe de foin.

djignèsse(s), n. t., svt plur., genêt

drauder, v. tr, écobuer

fènasse(s), n. f., svt plur, grandes herbes séchées

fournia, n. m., fourneau mais ici, feu de gazon

djaumyi, v. intr., couver

glimiote, n. f., dérivé de glime, fane

guètes (awè ça à ses -), lit. : aussi cela à ses guêtres; être perdant, mourir

pèter, v. tr, ici surpasser

rauyâdje, n. f., arrachage. Cette opération se déroulait collectivement et elle est décrite dans un texte en vers qui figure dans le recueil d’Emile-Joseph Piret, À l’ auvrère des gayîs. En voici un extrait qui rend bien l’ambiance

qui régnait lors de cette opération d’arrachage.

Asteûre, à l’ auvrère dè l’ uréye,

Duwârd mèt l’ feu auzès ranchas,

Èt dins lès cindes, après l’ feuwèye,

Ii va fé cûre dès canadas.

Gn-a rin d’ mèyeû pou s’ richandi

Qui dè l’s-avaler tout boulants (…).

(auvrêre, abri; ranchas, fanes; si r’chandi, se réchauffer)

 

scrèpant, -e, p. prés, adj., lit.: grattant, -e; piquant, -e, âcre

stouper, v. tr., boucher

trî, n. m., friche

wazon, n. m., gazon

 

Roger Nicolas, in: Terres d’Herbeumont à Orchimont, 21, 1995, p.4-10

 

LE GENET A BALAIS : SON UTILITE JADIS

 

Le genêt à balais est un arbrisseau buissonnant qui peut atteindre deux à trois mètres de hauteur et qui se rencontre pratiquement partout en Belgique pour autant que les terrains ne soient pas calcaires.

C’était jadis un arbuste typique des landes sili­ceuses sèches mais de nos jours, il a tendance à se raréfier avec la disparition de celles-ci au profit des terrains de culture et des enrésinements massifs.

Le genêt est une plante légumineuse de la famille des FABACEES dont la fleur évolue pour se transformer en une gousse renfermant de très nombreuses graines qui peuvent, dans le sol, conserver leur pouvoir germinatif pendant plusieurs années ; c’est ce qui explique que l’on rencontre principalement le genêt dans les versants ensoleillés et dans les mises à blanc où les branches ont été brûlées. Chaleur et lumière favorisent alors la germination des graines en dormance.

La particularité de l’éthologie du genêt réside dans la façon dont il assure la dissémination de ses graines. Lorsque la gousse mûrit, sa paroi se lignifie. Cette lignification provoque une tension croissante au niveau des lignes de suture et, à la fin de l’été, celle-ci est telle que la gousse éclate brutalement, projetant au loin les graines qu’elle contient et provoquant, à chaque fois, un bruit sec parfaitement audible.

 

Les usages du genêt sont, de nos jours, considéra­blement, restreints. Sa fleur contient bien sûr un nectar très apprécié de certains hyménoptères et la plante en elle-même est connue pour ses propriétés médicinales. Elle contient un alcaloïde, la spartéine, qui explique l’action protectrice du genêt vis-à-vis du venin de vipère et son utilisation dans certaines (p.5) affections cardiaques.

Hormis cela et la place qu’il occupe dans l’orne­mentation des parcs, jardins et talus d’autoroutes, le genêt est aujourd’hui considéré comme une plante sans utilité sauf peut-être pour les éleveurs de lapins qui l’utilisent comme nourriture et pour guérir certains troubles digestifs affectant leurs animaux.

Il ne peut même plus de nos jours justifier son nom de genêt à balais qu’il avait acquis en participant activement à la propreté des habitations de nos aïeux.

Autrefois pourtant, il était considéré comme une plante utile et précieuse.

A l’époque, tout le monde, dans nos campagnes, pratiquait l’essartage, c’est-à-dire que chaque chef de ménage qui avait droit à une part d’affouage retournait sur la coupe au mois d’août pour enlever et brûler tous les gazons qui se trouvaient dans son sart ; les gazons, réduits en cendres étaient répandus sur le terrain en octobre après quoi on semait du seigle ou du sarrazin.

L’année suivante, on récoltait la paille et le grain et, trois ou quatre ans après, on coupait les genêts dans le but d’avoir de la litière pour le bétail.

Les temps étaient durs et les gens n’avaient guère que les fougères et les genêts à offrir comme litière à leurs animaux.

 

Les bûcherons de l’époque utilisaient également les genêts pour recouvrir certaines de leurs huttes et les protéger des intempéries. Certains disent même que le café étant, à l’époque, trop coûteux, on le rempla­çait par des glands ou des semences de genêts.

Par ailleurs, la République française étant enga­gée dans des guerres à outrance, une loi du 18 avril 1794 ordonna à tous les propriétaires et fermiers “d’arracher de la surface du sol les fougères, genêts, bruyères, orties et chardons, de les réduire en cen­dres et de les vendre pour fabriquer du salin et de la (p.6) poudre à canon”.

 

Tous les habitants du département des Ardennes furent tenus de fournir chacun 5 livres de cendre payables à raison de 3 livres le quintal.

Les fougères et les genêts, très riches en potas­se, étaient les plus utilisés.

Le genêt était donc très recherché ; il paraît même qu’au 17e siècle, dans la région de Vaux-sur-Sûre où les forêts avaient été exploitées outrancièrement, on utilisait la partie dure des genêts comme combusti­ble.

 

Il est possible que cela se soit passé de la même façon dans notre région mais, chez nous, les gens considéraient plutôt le genêt comme un complément du droit de vaine pâture et le prélevaient en vertu du droit de litée.

La paille étant destinée exclusivement à la nour­riture du bétail, nos ancêtres n’avaient que les fougères et les genêts à utiliser comme litière ; cela produisait l’engrais le plus abondant et le plus apprécié de l’époque.

Les genêts, après avoir séjourné de 2 à 4 mois dans les étables sous le bétail, se transformaient en un fumier aux effets durables qui était étendu sur les terres pour les enrichir.

Le seigle, unique céréale d’automne et l’avoine, unique céréale de printemps, étaient les principaux bénéficiaires de cet apport d’engrais.

Les genêts, de la famille des légumineuses, avaient également la propriété de posséder un pouvoir fertilisateur non négligeable en fixant l’azote dans le sol ; de plus, mettant le sol argileux ou rocail­leux à l’abri du soleil et empêchant le dessèchement, le genêt entretenait une fraîcheur favorable à l’herbe et aux pâturages.

 

Le sol d’Ardenne étant très maigre ne produisait rien sans engrais or, comme il n’y avait que très peu de paille et qu’elle servait en plus à l’alimentation (p.7)

du bétail, il n’y avait que très peu de fumier et d’engrais ; c’était une chaîne sans fin.

Le genêt était par conséquent le complément idéal mais hélas, on abusa des droits d’essartage et de litée et le genêt fut utilisé de façon inconsidérée. En effet, au lieu de se contenter d’un essartage tous les 25 ans, qui procurait une ou plusieurs récoltes de genêts en abondance, nos ancêtres ont essayé de faire 2 à 3 cultures de céréales à la suite l’une de l’autre, détériorant par conséquent cette terre fores­tière qui, sans recevoir d’engrais, ne pouvait produi­re valablement plusieurs années de suite.

La terre n’était même plus suffisamment riche pour produire des genêts et certains taillis furent alors envahis par la bruyère qui ne se détruit pas dans le fumier et qui ne pouvait donc remplacer le genêt en tant que litière.

Il fallut donc prendre des mesures radicales pour essayer de redonner à l’agriculture ardennaise l’essor qu’elle avait connu.

 

C’est ainsi qu’en 1625, une ordonnance du Duché de Bouillon défend de couper les genêts pour servir de paille sous les animaux.

Le 25 février 1775, le Conseil provincial publie une ordonnance portant défense de couper les genêts croissant dans les jeunes taillis des bois des Ardennes, aussi longtemps que ces taillis seront à ban contre le bétail.

En 1783, la commune de Juseret interdit le pâtura­ge dans les terres essartées durant les trois premiè­res années pour y laisser repeupler le genêt qui est leur litière principale car les genêts qui sont pâtu­rés sont affaiblis et altérés par les broutements des bestiaux qui risquent en plus de les arracher ou des les rendre trop faibles pour résister aux rigueurs de l’hiver. Un texte dit également que les genêts ne pourront être coupés que dans le croissant de la lune car en les coupant au déclin de la lune, l’expérience prouve qu’ils ne reviennent plus ou bien très faible­ment.

(p.8)

En 1817 et 1836, la Commune de Nives oblige les essarteurs à semer en même temps que le seigle et en présence du garde-champêtre, 1 kg de graines de genêts pour 8 ares de terre essartée. De plus, le territoire sera protégé des troupeaux pendant deux ans et la coupe des genêts ne pourra se faire, à partir de la troisième année, qu’à la serpe ou à la scie.

En 1843, le budget communal de Sugny prévoit une dépense de 173,20 fr pour achat de graines de genêts pour être ensemencées dans les virées (Pussemange 62,75 fr et Bagimont 42,50 fr).

En 1847, le genêt a une utilité publique et le gouvernement belge en distribue gratuitement des graines pour faire progresser l’agriculture.

Vers 1850 dans la région, les gosses devaient aller dans les bois ramasser des graines de “cosette” ou graines de genêts que l’on mettait sur des draps au soleil. Les cosses sautaient en l’air en se fendant et en libérant la graine.

Chaque ménage devait fournir 2 kgs de graines par an. Les graines devaient être déposées à la salle communale et un homme était chargé d’aller les semer en période de neige dans les sarts où il y avait du seigle de semé ; cela permettait d’avoir, par la suite, des genêts pour liter les bêtes à l’écurie et faire du fumier.

Chaque affouager était autorisé, 3 ou 4 ans après l’exploitation, à couper les genêts se trouvant à l’intérieur des limites de sa part d’affouage. Certains façonnaient même gratuitement les parts de sarts des vieilles personnes pour pouvoir occuper le terrain, y semer du seigle et y récolter du grain et des genêts.

Les autorités de l’époque étaient conscientes de l’importance des genêts ; c’est ainsi qu’un extrait des délibérations du Conseil communal de Bagimont daté du 20 mars 1876 révèle : “Attendu qu’il manque de paille et de genêts cette année, la commune demande l’autorisation aux Eaux et Forêts, pour les habitants, de ramasser des feuilles mortes”.

 

Le ramassage des genêts et de tous les autres (p.9) menus produits de la forêt était très réglementé, c’est ainsi qu’un P.V. fut dressé le 20.01.1872 à M.L. de Bohan pour avoir coupé un fagot de genêts au lieu-dit Chêne Ferré (Membre). Le dommage fut estimé à 25 centimes.

Il y avait donc, tant que l’essartage fut pratiqué (jusqu’à la 2e guerre mondiale dans nos régions) d’immenses étendues de genêts correspondant chaque fois à une coupe affouagère (+/- 20 ha à Sugny).

En 1898, on récoltait annuellement dans les taillis à écorces de Sugny : de 60 à 80.000 fagots de genêts valant environ 5 centimes le fagot, main-d’oeuvre non comprise plus de 60.000 fagots de bruyère.

Les anciens se souviennent certainement, dans les années 30, de la virée aux genêts située le long du Grand Chemin de Laforêt (du côté des Mamelles) d’où les chasseurs et les rabatteurs ne parvenaient qu’au prix de maints efforts à faire sortir l’un ou l’autre sanglier. Ces immenses étendues impénétrables étaient un paradis pour les “bêtes noires” et il n’était pas facile de les en déloger.

Thomas Braun, décrivant le massif des Ranhissart, nous parle également, en 1908, “des mottes terreuses des sarts fumants, clairsemés de bouleaux, des virées de genêts et des carrés de seigle au flanc du roc”.

Adrien de Prémorel, quant à lui, nous narre plusieurs épisodes de chasses aux sangliers dans les virées à genêts, “ces plaines s’étendant à perte de vue où les genêts croissent tellement serrés, qu’ils forment des fourrés impénétrables dont la surface ondule sous le vent, comme celle de la mer… … le moment où ce roi des landes se montre dans toute sa splendeur, n’arrive que dans le courant de juin, alors les Ardennes sont jonchées de sable et de pépites d’or…”.

 

 

faudadje / saurtadje (essartage)

vôy pa-d’zos “bokion” (voir sous “bokion” (bûcheron))

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