anthologie littérature wallonne Maurice Piron

ANTOLOJÎYE DÈ L’ LITÈRATURE WALONE

Anthologie de la littérature wallonne

Maurice Piron (ULg)

éd. Pierre Mardaga, 1979

Antolojîye dè l’ litèrature walone (Maurice Piron (Ulg))

(IX) La littérature wallonne comptera aux environs de l’an 2000 quatre cents ans d’existence. Depuis près d’un siècle et demi, elle atteste un déve­loppement exceptionnel. Celui-ci n’est en rien comparable à la situation de retrait que connaissent la plupart de ses sœurs gallo-romanes aux­quelles elle est apparentée depuis les origines.

Les Wallons ignorent leur patrimoine littéraire dialectal. Pour plusieurs raisons, l’une d’elles étant certainement la répugnance qu’ils éprouvent, par manque d’habitude, à lire le dialecte. La raison principale réside toutefois dans la difficulté d’accès aux œuvres. Sans parler des éditions d’auteurs, souvent malaisées à se procurer parce qu’elles échappent à tous les circuits de distribution, aucun recueil n’existe qui permette une approche des œuvres les plus marquantes de la poésie et de la prose wallonnes. Combler cette lacune est le but du présent ouvrage. Avec ses 296 textes représentant 104 auteurs (plus une douzaine d’anonymes), l’Anthologie de la littérature dialectale de Wallonie, des origines à nos jours, offre la particularité d’être la première du genre.

Il a bien existé au XIXe siècle deux recueils de pages choisies wallonnes. L’un, le Choix de chansons et poésies wallonnes (pays de Liège) par François Bailleux et Joseph Dejardin, rassemble 36 pièces antérieures à 1830 en vue, dit la préface, de « sauver de l’oubli quelques fragments d’un idiome qui s’éteint peu à peu », puisque « on peut déjà prévoir l’époque où, faute de lecteurs, le wallon cessera de s’écrire » (pp. IX-X). C’était en 1844, au moment où se préparait l’efflorescence dialectale qui allait démentir la prévision pessimiste des deux auteurs. L’autre recueil réunit, à la fin du siècle, un premier florilège de ce renouveau : c’est l’Anthologie des poètes wallons (1895) de Charles Defrecheux, Joseph Defrecheux et Charles Gothier où 102 auteurs sont représentés la plupart avec un seul texte. Si le premier de ces ouvrages reste inté­ressant pour la connaissance d’une partie de l’ancienne littérature wal­lonne, le second, en revanche, a nettement vieilli.

Au XXe siècle, les recueils sont plus nombreux, mais aucun n’offre une vue d’ensemble de nos lettres dialectales. On peut les répartir d’après leur contenu ou leur destination.

D’abord, les anthologies à caractère inter-régional. Accompagnées — c’est la première fois — d’une traduction, les Pages d’anthologie wallonne (1924) de Jean Haust proposent des spécimens de nos parlers dialectaux, d’Ath à Malmedy, par le truchement de neuf poètes des xrxe-xxe siècles. Plus modeste encore le Florilège wallon « Dulcissima, o Wallonia » (1931)

(X)

d’Amand Géradin, avec sept poètes contemporains appartenant à la Wallonie orientale. Les quinze Poètes wallons d’aujourd’hui (1961) réunis par Maurice Piron chez Gallimard se situent dans une ligne que dégage l’avant-propos du volume : révéler à un public, qui n’est pas forcément wallon, la modernité de la poésie dialectale. Un large éclectisme a présidé aux Fleurs dialectales (1974) qui groupent, sous l’égide du périodique « Propriété terrienne », quelque 38 écrivains, en majorité des poètes, pour la plupart vivants.

Le souci d’un inventaire exclusivement régional aussi complet que pos­sible a inspiré deux ouvrages volumineux, fort proches l’un de l’autre par la conception comme par la date de publication : l’Anthologie des poètes wallons verviétois (1928) de Jules Feller et Jean Wisimus, et l’Anthologie des poètes wallons namurois (1930) des frères Lucien et Paul Maréchal. On y trouve respectivement 75 et 70 auteurs. A la diffé­rence du groupe précédent, ces anthologies ne comportent pas de tra­ductions. Il en va de même du Panorama de la littérature dialectale du Centre (1971) où voisinent 62 écrivains de la région de La Louvière, tous du XXe siècle, et du Choix d’œuvres wallonnes (1952) établi par Jules Hennuy pour la région de Seraing.

Une troisième catégorie comprend les volumes qui réunissent des auteurs wallons suivant leur appartenance à des groupements particuliers. Citons : La gerbe sanglante (1928) qui émane de l’« Association des écrivains wallons Anciens Combattants » (de la guerre 1914-1918); — le Livre d’or de l’Association royale des auteurs dramatiques, chansonniers et compositeurs wallons de Belgique (1936), monument commémoratif dû à Charles Steenebruggen où sont disposés en ordre alphabétique 242 écri­vains présents chacun avec un portrait, une notice et un texte; — enfin, à l’occasion du 50e anniversaire de l’« Association littéraire wallonne de Charleroi », les 270 écrivains wallons du Pays Noir (1958) recensés par Félicien Barry qui reproduit un, parfois deux textes de 95 d’entre eux, leur localisation débordant d’ailleurs de la région carolorégienne vers le Centre et vers le Namurois. A ces recueils de circonstance, on joindra l’Anthologie du Prix biennal de littérature wallonne (1963) composée par Octave Servais pour rassembler des morceaux choisis des 15 premiers lauréats du Prix, à l’occasion du 35e anniversaire de sa fondation.

Un dernier groupe comprend les chrestomathies.

Chrestomathies scolaires nées de l’utilisation pédagogique du wallon à l’école et limitées, pour des raisons pratiques, à une région dialectalement homogène. On les mentionnera dans l’ordre de leur publication : Po nos scolîs (1942), morceaux choisis par Lucien Maréchal à l’intention des écoliers de la province de Namur; — Anthologie wallonne « Ene kèrtinéye dè fleûrs pou nos scolîs » (1945) destinée au Brabant wallon; (XI) — Anthologie scolaire de l’Est-Wallon (1946) par Roger Brose, avec quelques textes représentatifs des autres dialectes; — Petite anthologie liégeoise. Choix de textes wallons (XVIe-XXe s.) établie par Maurice Delbouille (1950); — Lectures wallonnes (1959) en dialecte liégeois par Robert Grafé, avec un choix de rédactions wallonnes. Ces publications sont, quant au choix des œuvres et au commentaire, de valeur inégale, la plus soignée étant celle de M. Delbouille. Pour une appréciation détaillée, on se reportera aux chroniques annuelles « La philologie wal­lonne en …» parues dans le Bulletin de la Commission royale de Topo­nymie et Dialectologie.

Chrestomathies destinées à faire connaître le wallon dans le programme des études de philologie romane à l’étranger. Deux titres sont ici à retenu: : Testi valloni antichi e moderni (Rome, 1940) par Albert Henry et Dialectul valon par Maria Iliescu dans le volume III de la Crestomatie romanicâ de l’Académie roumaine (Bucarest, 1971).

Enfin, bien qu’il s’agisse d’une édition stencilée, on mentionnera le choix de textes réuni par Willy Bal, avec la collaboration de Marcel Hanart, sous le titre Littérature dialectale de la Wallonie (1970) pour illustrer le cours d’Histoire de la littérature wallonne à l’Université de Louvain.

Il nous reste maintenant à présenter l‘Anthologie de la littérature dia­lectale de Wallonie, à en exposer les principes et la méthode.

TABLE DES MATIERES

ANONYME………………………………………………………………………. 1

Contre les femmes et le mariage………………………………… 1

Hubert ORA……………………………………………………………………… 3

Sonèt lîdjwès………………………………………………………………. 3

ANONYME………………………………………………………………………. 5

Retour à Liège du prince-évêque………………………………. 5

Lambert de HOLLOGNE………………………………………………….. 8

Après le passage des troupes…………………………………….. 8

Monologue de Wéri Clabâ………………………………………… 11

ANONYME……………………………………………………………………… 13

Dialogue entre un Liégeois catholique et un Calviniste . .          13

ANONYME……………………………………………………………………… 18

Le congé de Pasquot et son testament……………………… 18

ANONYME……………………………………………………………………… 21

Les passions politiques dans la cité de Liège ….      21

Lambert de RYCKMAN…………………………………………………… 26

Lès-êwes di Tongue………………………………………………….. 27

Pasquèye so l’an djubilé di Monseû Adam Simonis, Doyin dès mârlîs dè F vèye di Lîdje   31

ANONYME……………………………………………………………………… 35

« Paskaye recitee a la bénédiction du reverendissime Abbé de Saint-Laurent »      35

ANONYMES – Chansons d’amour dialoguées………………. 39

  1. Binamêye Zabê………………………………………………………. 39

IL Dj’han-qui-plôye èt Lînète Makêye         ………………………………………………40

MORAY…………………………………………………………………………… 44

Pasquèye novèle d’ine djonne mariêye èt d’on pôve mâ-marié .          44

ANONYMES – Noëls……………………………………………………….. 48

  1. Bondjoû, wèzène…………………………………………………. 49

IL Bondjoû, mârène…………………………………………………… 50

III. Djans-è foû d’ Jérusalèm……………………………………… 55

Simon de HARLEZ…………………………………………………………. 60

Deux vilains sorts : la maladie et l’amour………………….. 61

Quelle danse préférez-vous ?…………………………………… 64

Jean-Joseph HANSON…………………………………………………… 68

Pasquèye so l’êr dè F « Bot’rèsse di Mont’gnêye »…           68

Abbé GRISAR…………………………………………………………………. 73

Tchanson namurwèse………………………………………………. 73

MARIAN DE SAINT-ANTOINE……………………………………….. 75

Pasquèye di Dj’han Sâpîre, pwèrteû-â-sètch……………. 76

ANONYME……………………………………………………………………… 84

Solo dè bon Diu………………………………………………………… 84

ANONYME……………………………………………………………………… 87

La mêtrèsse dè Dampicou…………………………………………. 87

Gilles RAMOUX………………………………………………………………. 90

Complinte d’ine pôve bot’rèsse ou Li mâ-mariêye …     90

Jacques-Joseph VELEZ…………………………………………………. 93

Lès Prûssiens……………………………………………………………. 93

Charles-Nicolas SIMONON…………………………………………….. 97

Li Côparèye……………………………………………………………….. 97

Henri FORIR…………………………………………………………………. 103

Li k’tapé manèdje…………………………………………………….. 103

Li pasquèye èt F vin………………………………………………….. 106

Charles WÉROTTE………………………………………………………. 109

Nosse mononke Biètrumé……………………………………….. 109

Charles DUVIVIER……………………………………………………….. 112

Li pantalon trawé…………………………………………………….. 112

Joseph LAMAYE…………………………………………………………… 116

Li bourgogne…………………………………………………………… 116

Li pèsse divins lès bièsses………………………………………. 118

Charles LETELLIER……………………………………………………… 122

El mariâje dè 1’ fie Chose……………………………………….. 122

Jean-Baptiste DESCAMPS…………………………………………… 129

Qué biau p’tit fieû !………………………………………………….. 129

Jean-Joseph DEHIN…………………………………………………….. 132

Li k’fèssion d’à Marèye……………………………………………. 132

Li coq’ d’awous’ èt Y frumihe…………………………………… 135

L’ome inte deûs-adjes èt sès deûs mêtrèsses…………. 137

Atote………………………………………………………………………… 138

F.L.P. (Théophile FUSS, Adolphe PICARD, Alphonse LE ROY) 139 Lès feûmes di Lîdje        139

François BAILLEUX……………………………………………………… 142

Marèye…………………………………………………………………….. 142

Ine vèye fâve d’à m’ grand-mére……………………………… 143

Li cwèrbâ èt li r’nâ……………………………………………………. 146

L’âmaye, li gâte, li bèrbis èt P liyon………………………….. 147

Lès voleûrs èt l’âgne……………………………………………….. 147

Li r’nâ èt P cigogne………………………………………………….. 148

Li pâwe qui s’ plint â bon Diu………………………………….. 149

Li ritchâ qui s’aveût fêt gây avou lès plomes dè P pâwe . .          151

Alexandre FOSSION…………………………………………………….. 152

Lès buveûses di café………………………………………………. 152

Louis BRIXHE………………………………………………………………. 155

Lès deûs mofes……………………………………………………….. 155

Jean-François XHOFFER…………………………………………….. 157

Lu poète walon………………………………………………………… 157

Michel THIRY……………………………………………………………….. 162

Ine copène so F marièdje………………………………………… 162

Ine cope di grandiveûs……………………………………………. 165

Auguste VERMER………………………………………………………… 169

Lès misères do méd’cin…………………………………………… 169

Gustave MAGNÉE………………………………………………………… 173

Mi mohinète di tchâmoussîre           173

Avant-propos par Jean Remiche……………………………………. VII

Introduction……………………………………………………………………… IX

Abréviations et sigles……………………………………………………. XIX

Orthographe………………………………………………………………….. XXI

ANONYME………………………………………………………………………. 1

Contre les femmes et le mariage………………………………… 1

Hubert ORA……………………………………………………………………… 3

Sonèt lîdjwès………………………………………………………………. 3

ANONYME………………………………………………………………………. 5

Retour à Liège du prince-évêque………………………………. 5

Lambert de HOLLOGNE………………………………………………….. 8

Après le passage des troupes…………………………………….. 8

Monologue de Wéri Clabâ………………………………………… 11

ANONYME……………………………………………………………………… 13

Dialogue entre un Liégeois catholique et un Calviniste . .          13

ANONYME……………………………………………………………………… 18

Le congé de Pasquot et son testament……………………… 18

ANONYME……………………………………………………………………… 21

Les passions politiques dans la cité de Liège ….      21

Lambert de RYCKMAN…………………………………………………… 26

Lès-êwes di Tongue………………………………………………….. 27

Pasquèye so l’an djubilé di Monseû Adam Simonis, Doyin dès mârlîs dè F vèye di Lîdje   31

ANONYME……………………………………………………………………… 35

« Paskaye recitee a la bénédiction du reverendissime Abbé de Saint-Laurent »      35

ANONYMES – Chansons d’amour dialoguées………………. 39

  1. Binamêye Zabê………………………………………………………. 39

IL Dj’han-qui-plôye èt Lînète Makêye………………………… 40

MORAY…………………………………………………………………………… 44

Pasquèye novèle d’ine djonne mariêye èt d’on pôve mâ-marié .          44

ANONYMES – Noëls……………………………………………………….. 48

  1. Bondjoû, wèzène…………………………………………………. 49

IL Bondjoû, mârène…………………………………………………… 50

III. Djans-è foû d’ Jérusalèm……………………………………… 55

Simon de HARLEZ…………………………………………………………. 60

Deux vilains sorts : la maladie et l’amour………………….. 61

Quelle danse préférez-vous ?…………………………………… 64

Jean-Joseph HANSON…………………………………………………… 68

Pasquèye so l’êr dè F « Bot’rèsse di Mont’gnêye »…           68

Abbé GRISAR…………………………………………………………………. 73

Tchanson namurwèse………………………………………………. 73

MARIAN DE SAINT-ANTOINE……………………………………….. 75

Pasquèye di Dj’han Sâpîre, pwèrteû-â-sètch……………. 76

ANONYME……………………………………………………………………… 84

Solo dè bon Diu………………………………………………………… 84

ANONYME……………………………………………………………………… 87

La mêtrèsse dè Dampicou…………………………………………. 87

Gilles RAMOUX………………………………………………………………. 90

Complinte d’ine pôve bot’rèsse ou Li mâ-mariêye …     90

Jacques-Joseph VELEZ…………………………………………………. 93

Lès Prûssiens……………………………………………………………. 93

Charles-Nicolas SIMONON…………………………………………….. 97

Li Côparèye……………………………………………………………….. 97

Henri FORIR…………………………………………………………………. 103

Li k’tapé manèdje…………………………………………………….. 103

Li pasquèye èt F vin………………………………………………….. 106

Charles WÉROTTE………………………………………………………. 109

Nosse mononke Biètrumé……………………………………….. 109

Charles DUVIVIER……………………………………………………….. 112

Li pantalon trawé…………………………………………………….. 112

Joseph LAMAYE…………………………………………………………… 116

Li bourgogne…………………………………………………………… 116

Li pèsse divins lès bièsses………………………………………. 118

Charles LETELLIER……………………………………………………… 122

El mariâje dè 1’ fie Chose……………………………………….. 122

Jean-Baptiste DESCAMPS…………………………………………… 129

Qué biau p’tit fieû !………………………………………………….. 129

Jean-Joseph DEHIN…………………………………………………….. 132

Li k’fèssion d’à Marèye……………………………………………. 132

Li coq’ d’awous’ èt Y frumihe…………………………………… 135

L’ome inte deûs-adjes èt sès deûs mêtrèsses…………. 137

Atote………………………………………………………………………… 138

F.L.P. (Théophile FUSS, Adolphe PICARD, Alphonse LE ROY) 139 Lès feûmes di Lîdje        139

François BAILLEUX……………………………………………………… 142

Marèye…………………………………………………………………….. 142

Ine vèye fâve d’à m’ grand-mére……………………………… 143

Li cwèrbâ èt li r’nâ……………………………………………………. 146

L’âmaye, li gâte, li bèrbis èt P liyon………………………….. 147

Lès voleûrs èt l’âgne……………………………………………….. 147

Li r’nâ èt P cigogne………………………………………………….. 148

Li pâwe qui s’ plint â bon Diu………………………………….. 149

Li ritchâ qui s’aveût fêt gây avou lès plomes dè P pâwe . .          151

Alexandre FOSSION…………………………………………………….. 152

Lès buveûses di café………………………………………………. 152

Louis BRIXHE………………………………………………………………. 155

Lès deûs mofes……………………………………………………….. 155

Jean-François XHOFFER…………………………………………….. 157

Lu poète walon………………………………………………………… 157

Michel THIRY……………………………………………………………….. 162

Ine copène so F marièdje………………………………………… 162

Ine cope di grandiveûs……………………………………………. 165

Auguste VERMER………………………………………………………… 169

Lès misères do méd’cin…………………………………………… 169

Gustave MAGNÉE………………………………………………………… 173

Mi mohinète di tchâmoussîre…………………………………… 173

Jacques BERTRAND……………………………………………………. 176

Sintèz corne èm’ cœur bat !…………………………………….. 176

Félix CHAUMONT………………………………………………………… 179

Li côp d’pîd qui fêt 1’ bon hotchèt……………………………. 179

Toussaint BRAHY………………………………………………………… 182

Lès dj’vâs d’bwès d’à Beaufils………………………………… 182

Pierre MOUTRIEUX………………………………………………………. 184

È1 canson d’Sint-Antwêne……………………………………… 185

Quée chique !………………………………………………………….. 187

Nicolas DEFRECHEUX……………………………………………….. 189

Lèyîz-m’ plorer…………………………………………………………. 190

Tôt seû…………………………………………………………………….. 192

L’avez-v’ vèyou passer?………………………………………….. 194

Tôt hossant……………………………………………………………… 196

Michel RENARD…………………………………………………………… 198

Invocation………………………………………………………………… 199

Le repas des géants………………………………………………… 200

Fête de la moisson………………………………………………….. 204

Joseph DUFRANE……………………………………………………….. 206

Èn’ c’èst ni co Fram’rîye………………………………………….. 207

Léon BERNUS……………………………………………………………… 211

L’ mort èyèt 1’ fieû d’ fagots…………………………………….. 212

Edouard REMOUCHAMPS………………………………………….. 214

L’envie d’être riche………………………………………………….. 214

Une visite intéressée   215

Dieudonné SALME 219

 

Lès marionètes èmon Con’tî……………………………………. 219

Victor CARPENTIER…………………………………………………….. 232

Tchantchès……………………………………………………………… 232

Emile GÉRARD……………………………………………………………. 236

Li djône fèye……………………………………………………………. 236

Ine pârtèye di plêzîr…………………………………………………. 238

Atoû dè 1’ grand-mére…………………………………………….. 240

Charles GOTHIER………………………………………………………… 242

Li p’tite pasquêye…………………………………………………….. 242

Henry RA VELINE………………………………………………………… 245

Lentégn dou Dâné………………………………………………….. 245

L’Amoûr…………………………………………………………………… 250

El canchon d’ l’alowète…………………………………………… 252

El galant d’zolé………………………………………………………… 253

Joseph VRINDTS…………………………………………………………. 255

Li passeû d’êwe………………………………………………………. 255

Adiè âs vîlès mohones d’â Pont-d’ Bavîre……………….. 257

Henri SIMON………………………………………………………………… 259

Li p’tit rôsî………………………………………………………………… 260

Triptyque :

A ’ne vèye mohone…………………………………………….. 261

Rigrèts………………………………………………………………… 262

Sov’nance…………………………………………………………… 263

Li priyeû…………………………………………………………………… 264

L’alôre……………………………………………………………………… 264

Li mwért di l’âbe………………………………………………………. 265

Li pan dè bon Diu :

Li tchèrwèdje………………………………………………………. 268

Li sèmèdje…………………………………………………………… 270

Awout………………………………………………………………….. 271

Li soyèdje……………………………………………………………. 272

A P tâve………………………………………………………………. 273

A Bèbèt’   275

Théodore CHAPELIER…………………………………………………. 276

Tôt seû…………………………………………………………………….. 276

Po passer T hâhê…………………………………………………….. 277

Louis WESPHAL………………………………………………………….. 280

On vî neûr tchin………………………………………………………. 280

Manîre dè pwèrter 1’ doû…………………………………………. 281

Louis LOISEAU…………………………………………………………….. 284

One sov’nance di djônèsse…………………………………….. 284

Li djeû d’ guîyes………………………………………………………. 286

Martin LEJEUNE…………………………………………………………… 287

Lu Mwêrt………………………………………………………………….. 287

Adolphe WATTIEZ………………………………………………………… 289

L’intièr’mint……………………………………………………………… 289

45me cabarèt walon………………………………………………….. 292

Lès Trwas Rwas………………………………………………………. 293

Georges WILLAME……………………………………………………….. 295

È1 vî………………………………………………………………………… 295

Rinconte………………………………………………………………….. 296

Mèch’neûse…………………………………………………………….. 297

Djan d’ Nivèle………………………………………………………….. 298

Vîyès mésos…………………………………………………………….. 299

In djoû……………………………………………………………………… 300

È1 martchi……………………………………………………………….. 301

Vènez, m’ pètit colô…………………………………………………. 302

Alfred HENNO………………………………………………………………. 303

I-a in gros mort…………………………………………………………. 303

Jean BURY…………………………………………………………………… 306

Li bot’rèsse………………………………………………………………. 306

L’èfant……………………………………………………………………… 307

Ernest BRASSINNE……………………………………………………… 309

Li Pont d’Avreû………………………………………………………… 309

Jean WISIMUS……………………………………………………………… 315

Lu mureû…………………………………………………………………. 315

François RENKIN…………………………………………………………. 318

Li vîye bûse        318

On dîmègne…………………………………………………………….. 321

L’ârmâ……………………………………………………………………… 325

Baraquîs………………………………………………………………….. 327

Arthur XHIGNESSE……………………………………………………… 329

Deûs vîs…………………………………………………………………… 329

Grève……………………………………………………………………….. 330

L’âbe-coûte-djôye……………………………………………………. 331

Boule-di-Gôme………………………………………………………… 332

Jean LEJEUNE…………………………………………………………….. 337

Enfance de Cadet……………………………………………………. 337

Retour du printemps………………………………………………… 340

Le temps des amours………………………………………………. 342

Edouard LAURENT………………………………………………………. 345

Manouwèl……………………………………………………………….. 345

Georges ALEXIS…………………………………………………………… 352

Une rage de dents…………………………………………………… 352

Henri BRAGARD………………………………………………………….. 358

L’âbe du Florihé………………………………………………………. 359

Lu Rènant-Djwif………………………………………………………. 361

 toûrnant do 1’ vôye………………………………………………. 362

Awîr pièrdou…………………………………………………………….. 363

On djoûr vinrè………………………………………………………….. 364

Lu vî tiyoû………………………………………………………………… 364

Lu rôse…………………………………………………………………….. 366

Jules PIROT………………………………………………………………….. 367

Li fârce d’à Rigolèt…………………………………………………… 367

Li prumî Flamind……………………………………………………… 372

Louis LAGAUCHE………………………………………………………… 376

Ine plêhante famile………………………………………………….. 376

Les cerises………………………………………………………………. 378

Emile WIKET…………………………………………………………………. 380

Li p’tit banc………………………………………………………………. 380

Pawoureûsté…………………………………………………………… 381

Henri GEORGE…………………………………………………………….. 383

Pièrètes èt Pièreots………………………………………………….. 383

Joseph DURBUY………………………………………………………….. 386

Handèle…………………………………………………………………… 386

Adolphe PRAYEZ         389

Pékeû-Wizeû !…………………………………………………………. 389

Lés coucoubakes…………………………………………………….. 392

L’ batême du p’tit Nicodême…………………………………….. 395

Joseph CALOZET…………………………………………………………. 400

Hapeûs d’êwe…………………………………………………………. 401

Le retour du soldat…………………………………………………… 406

A 1’ hausse dès bokèts d’à Bâtisse…………………………. 411

Henri VAN CUTSEM…………………………………………………….. 417

Djouweû d’armonica……………………………………………….. 417

Fernand BONNEAU……………………………………………………… 419

Il-ant p’tète âke à s’ dère !………………………………………… 419

Jules CLASKIN…………………………………………………………….. 422

Disseûlance…………………………………………………………….. 422

A triviès dè P plêve………………………………………………….. 423

D’zîr…………………………………………………………………………. 424

Li mêsse dè P djowe………………………………………………… 425

Par après…………………………………………………………………. 426

Feû qui djômih………………………………………………………… 427

Dizos l’ovreû d’on tèyeû d’ pires……………………………… 428

Corne mi, corne vos………………………………………………… 429

Henri PÉTREZ……………………………………………………………… 431

Li sacoche, li tchèna èt P banse au martchi dès pwinnes .        .           431

Paul MOUREAU…………………………………………………………… 434

Le Tins…………………………………………………………………….. 434

Au cemintîre…………………………………………………………….. 435

Marcel LAUNAY……………………………………………………………. 437

Po-z-èsse on payîzan……………………………………………… 437

Vèsprêye…………………………………………………………………. 438

I ploût !…………………………………………………………………….. 439

Sondj’rêye……………………………………………………………….. 440

L’Anonciyâcion……………………………………………………….. 442

Géo LIBBRECHT………………………………………………………….. 445

Incon’nito………………………………………………………………… 445

Karmèsse………………………………………………………………… 447

Décimbe  448

Twanète…………………………………………………………………… 449

Portêlète………………………………………………………………….. 449

Rakèonte-mê lê……………………………………………………….. 450

Malin-maleot……………………………………………………………. 451

Lucien MARÉCHAL……………………………………………………… 453

Djan 1’ monnî………………………………………………………….. 453

Joseph MIGNOLET……………………………………………………….. 455

Qwand i r’sèrèt lès-ouh……………………………………………. 456

Osté…………………………………………………………………………. 458

A bwérd di l’êwe………………………………………………………. 459

Li priyîre dè mâ-sègni………………………………………………. 460

Nut’ di Tossaint………………………………………………………… 463

Edmond WARTIQUE…………………………………………………….. 467

Vacances………………………………………………………………… 467

Gabrielle BERNARD…………………………………………………….. 470

Li braconî…………………………………………………………………. 470

Li ch’mineau……………………………………………………………. 471

Li conscrit………………………………………………………………… 472

Feus d’ ranches………………………………………………………. 473

Filés d’ l’Avièrje……………………………………………………….. 475

L’èboul’mint…………………………………………………………….. 476

Leûs-èfants……………………………………………………………… 477

Robert GRAFÉ……………………………………………………………… 482

Flibotes……………………………………………………………………. 482

Foucâde………………………………………………………………….. 483

Charles GEERTS………………………………………………………….. 484

Bèvèrlô…………………………………………………………………….. 484

Èm’ visène m’a dit……………………………………………………. 486

Louis LECOMTE…………………………………………………………… 487

Ramâdjes………………………………………………………………… 487

Anatole MARCHAL………………………………………………………. 491

Li dérène chîje…………………………………………………………. 491

Marcel HECQ………………………………………………………………… 496

È1 consyince…………………………………………………………… 496

Henri COLLETTE………………………………………………………….. 498

Tins d’ Mènâdes………………………………………………………. 498

Nèni          499

Lû sârteûr………………………………………………………………… 500

Lu djoûr mâdit………………………………………………………….. 501

Jean de LATHUY………………………………………………………….. 502

Portraits……………………………………………………………………. 502

Tauvias dè 1* fièsse………………………………………………… 503

Dozinme Sitacion……………………………………………………. 504

Notru-Dame do Quénze d’Awous’…………………………… 504

Auguste LALOUX…………………………………………………………. 506

On cèréjî au mitan do corti……………………………………….. 507

Mort d’un curé de campagne…………………………………… 511

René PAINBLANC……………………………………………………….. 518

Adon………………………………………………………………………… 518

Franz DEWANDELAER……………………………………………….. 520

Songerie dans la ville……………………………………………… 520

Djan d’ Nivèle………………………………………………………….. 522

Dins 1’ parc……………………………………………………………… 523

L’enfance dont on rêve……………………………………………. 524

È1 fou……………………………………………………………………… 525

È1 Bribeû………………………………………………………………… 529

L’ome qui brét………………………………………………………….. 534

Moman…………………………………………………………………….. 538

Emile LEMPEREUR……………………………………………………… 540

Li plouve………………………………………………………………….. 540

Jean RATHMÈS……………………………………………………………. 542

Ètér’mint………………………………………………………………….. 542

Basse-Mar’hâye………………………………………………………. 544

Albert YANDE……………………………………………………………….. 547

El Djan d’ Mâdi………………………………………………………… 547

Cleumète…………………………………………………………………. 552

Louis REMACLE…………………………………………………………… 553

A P prumîre eûre……………………………………………………… 553

Lu sondje…………………………………………………………………. 554

L’êr qui djâse……………………………………………………………. 555

Sèptimbe………………………………………………………………….. 555

Lès vîhès ponnes…………………………………………………….. 556

Lu sôdâr…………………………………………………………………… 557

Lu vîhe ête          557

Duspôy mèy ans……………………………………………………… 558

Lu dièrin voyèdje……………………………………………………… 559

Lu grande vèye………………………………………………………… 560

Ben GENAUX……………………………………………………………….. 561

Vilâdje……………………………………………………………………… 561

Willy BAL………………………………………………………………………. 566

Afuts d’julèt’……………………………………………………………… 566

Murs blankis…………………………………………………………….. 567

Avri…………………………………………………………………………… 568

Nos n’ pièdrons nin…………………………………………………. 569

È1 complainte dè Djan Pansau……………………………….. 572

Dies irae…………………………………………………………………… 575

Ç’asteut s’ gamin…………………………………………………….. 577

Jean GUILLAUME………………………………………………………… 586

Doû………………………………………………………………………….. 586

Fwace………………………………………………………………………. 587

Glwêre……………………………………………………………………… 587

Iviêr………………………………………………………………………….. 589

Dj’a lèyî tchêr…………………………………………………………… 590

Vîye djint………………………………………………………………….. 591

Lès bias djoûs………………………………………………………….. 592

A plins brès……………………………………………………………… 592

Mi…………………………………………………………………………….. 593

Octoûbe…………………………………………………………………… 594

L’eûre………………………………………………………………………. 594

Marcel HICTER…………………………………………………………….. 596

Géorgique……………………………………………………………….. 596

Doûris’……………………………………………………………………… 597

Léon WARNANT…………………………………………………………… 598

Djun…………………………………………………………………………. 598

Après……………………………………………………………………….. 599

Payis……………………………………………………………………….. 600

Syince……………………………………………………………………… 602

Pâques……………………………………………………………………. 602

Albert MAQUET…………………………………………………………….. 604

Treûs p’titès calin’rèyes         604

A 1’ manîre d’in-ôte…………………………………………………. 605

Li prandjîre………………………………………………………………. 605

I passe li tins qui lî rèsse…………………………………………… 606

Nou visèdje. Noie…………………………………………………. sipale………. 606

Pièrdous………………………………………………………………….. 607

Ètrindjîr…………………………………………………………………….. 608

Fât si pô d’tchwè d’èsse ureûs…………………………………. 609

Pierre FAULX……………………………………………………………….. 610

Maximes et proverbes……………………………………………… 610

André HENIN………………………………………………………………… 612

Tchand’leû………………………………………………………………. 612

Èvandjîle et Prétch’mint…………………………………………… 613

Jules FLABAT………………………………………………………………. 619

Tot-è-st-à s’ place…………………………………………………….. 619

Èvôye………………………………………………………………………. 620

L’ome………………………………………………………………………. 620

Jenny d’INVERNO……………………………………………………….. 622

Bâyes………………………………………………………………………. 622

Ranguinne po on…………………………….. dîmègne qu’i ploût………. 623

Falyite……………………………………………………………………… 624

Georges SMAL……………………………………………………………… 625

Ci djoû-là…………………………………………………………………. 625

Finô-mwès………………………………………………………………. 626

Dji baloujeu mièmu………………………………………………….. 626

Lôvô su P sou………………………………………………………….. 627

Massales sicwaméyes à Patchô……………………………… 628

Èst-ce on sondje……………………………………………………… 628

C’è-st-au solin,………………………………………………………… 629

Dj’è r’pindu mès flayas o P grègne………………………….. 630

Emile GILLIARD……………………………………………………………. 631

Viker………………………………………………………………………… 631

Erdiè………………………………………………………………………… 632

Tchéns r’noûris……………………………………………………….. 633

Dins nosse vile………………………………………………………… 633

Sins r’mète bièsses à djins    634

Èt nos r’vik’rans……………………………………………………….. 635

Jean-Denys BOUSSART……………………………………………… 637

Li guère……………………………………………………………………. 637

Dj ama…………………………………………………………………….   638

Li mwért d’à Tchofile……………………………………………….. 639

Victor GEORGE…………………………………………………………..   641

Nosse viyèdje sok’tèyrè vêlà……………………………………. 641

Signeûr, dèdjà P vèsprèye………………………………………. 642

Après nos-ôtes………………………………………………………. 643

Table des  matières       649

 ABREVIATIONS ET SIGLES

 

alt. altération ou altéré

art. article

ALW Atlas linguistique de la Wallonie, t. 1 et 2 par L. remacle, t. 3 par E. legros, t. 4 par J. lechanTeur, Liège, H. Vaillant-Carmanne, 1953-1976.

arch. archaïque

ASW Annuaire de la Société de Littérature wallonne, Liège, à partir de 1863.

BD Bulletin du Dictionnaire wallon, Liège, 1906-1970.

BSW Bulletin de la Société [de Langue] et de Littérature wallonne[s], Liège, à partir de 1857.

Choix Choix de chansons et poésies wallonnes (pays de Liège) recueillies par MM. B[ailleux] et d[ejardin], Liège, 1844.

DL Dictionnaire liégeois par J. haust, Liège, H. Vail­lant-Carmanne, 1933.

empr. emprunt

EMVW  Enquêtes du Musée de la Vie wallonne, Liège, à partir de 1927. expr. fig. expression figurée

fam. familier

f. ou fém. féminin

fig. figure (dans le DL); figuré ou au /~/

f.rég. français régional

Inventaire Inventaire de la littérature wallonne, des origines (vers 1600) à la fin du XVIIIe siècle par M. piron, Liège, P. Gothier, 1962.

litt. littéralement

m. ou masc. masculin

onom. onomatopée

ord. ordinairement

orig. original(e) : texte ou édition ~

péj. péjoratif

plais. plaisamment

Pirsoul Dictionnaire wallon-français. Dialecte de Namur, par Pirsoul, 2e éd., Namur, 1934.

Remacle, Syntaxe Syntaxe du parler wallon de La Gleize par L. remacle, 3 vol., Paris, Les Belles Lettres, 1952-1960.

syn. synonyme

t. terme

v. verbe

var. variante

VW La Vie wallonne, revue mensuelle (1920-1940) puis trimestrielle, Liège, à partir de 1947.

[   ] dans un texte, indique les mots ou parties de mots ajoutés.

(p.1) ANONYME

[Contre les femmes et le mariage]

 

Six couplets sans titre, découverts en 1925 par Gustave Charlier dans un recueil de chansons manuscrites formé aux environs de 1600. Quoique non daté, ce texte est assurément l’un des plus anciens de la production liégeoise. Il inaugure la longue série des satires wallonnes misogynes : thème légué par le moyen âge français aux littératures dialectales dont il est devenu un des leitmotive principaux.

L’auteur anonyme de la pièce, veuf et désabusé, fustige les péronnelles uniquement soucieuses de plaire et qui, une fois mariées, font la ruine de leur maison. Cette peinture, poussée au noir, des « joies de mariage » reste plaisante par ses généralités outrancières et sa franche allure réaliste.

 

1                                                                                    [Banlieue de Liège]

Bon Dièw ! quu c’èst grand pon.ne d’in.mer [totes] cès bâcèles !

Ci sont totès costindjes qu’i fât mète âtoû d’ zèles :

Quand iles vus-ont lès courtisons,

4   i lès fât lès tchin.nes èt pindonts,

lès fièrs d’ârdjint atot lès pièles,

afin qu’ille avizèhe pus bèles.

 

I lès fât lès cotrês di quatrè-vint florins,

8 dès barètes à dozin.nes èt ot’tant di d’vantrins,

dès blancs, dès bleûs, dès viyolés,

dès cis du sôye, tot passemintés;

po dès tch’mîhes, on n’ louke nin po-d’zos :

12 quand ille ont-eune, c’ è-st-èco trop !

 

  1. Que c’est grand dommage (litt* : peine) d’aimer toutes ces filles. — 2. costindjes, dépenses. Le sens est : on n’a jamais fini de dépenser pour elles. — 3-4. Quand elles vous ont les courtisans (= quand elles se sont fait des galants), il leur faut les chaînes (= colliers) et les pendants (= pendentifs); ile(s), forme archaïque du pronom pers. fém. « elle(s) ». La finale -on (courtisan) en provenance de -an (v. 1 grand) se retrouve à l’ouest et au nord de Liège; les textes wallons du XVIIe siècle attestent souvent le mélange des deux formes (J. Haust, éd. citée, p. 8). — 5. « les fers d’argent » désignent les aiguillettes ou ferrets, attachés aux rubans et cordons (note de J. Haust, ibid., p. 11); … avec les perles.
  2. lès, ici « leur », forme arch. remplacée aujourd’hui par lèzî (id. au v. 4); … les jupes de 80 florins, c.-à-d. d’un prix très élevé. — 8. barète, coiffure en forme de serre-tête; d’vantrin désignerait ici, plutôt qu’un tablier (sens moderne), une garniture mobile se plaçant sur le devant de la robe (J. Haust, ibid.). — 11. quant aux chemises, on ne regarde pas en dessous. Le sens est : peu importe qu’elles aient une chemise à se mettre, puisque tout est pour l’apparence.

 

(p.2) S’i vint-on p’tit haclot qui dimande du s’ marier,

iles vè l’ haperont-â mot, co qui n’ s’ è f’reût qu’ moker.

Onk qui n’ âreût nè d’nî nè mâye,

16 porveû qu’il eûhe dès bonès brâyes,

i s’ f’reût si bin di cès bâcèles,

qu’ i vikereût so s’ pike âtoû d’ zèles.

 

Mins, quand on-z-èst marié, fât dire : « Adieu, bon tins ! »

20 i fât-aler tchaver po wangnî po dè pin,

po noûri on mâssî panê

qui n’ sâreût pèler on navê,

qui n’ sâreût lèver on fistou

24  s’ ile n’ a-t-ine damehèle après s’ cou !

 

C’ èst l’ ruwine d’ on manèdje, ca on n’ èl sét où-ce prinde !

I fâ tot-z-èwadjî djusqu’à lès prôpès cindes.

Co qu’ on n’âreût nè pan nè pèce,

28 s’ i lès fât-i r’parer leû tièsse

di bês paremints tchèrdjîs d’ fins pièles

po d’morer è pâye âtoû d’ zèles.

Ci qui-a fait « la chanson » a stu marié ine fèye,

32 dit qu’ i-èst fou dè l’ prîhon d’pô qu’i-a pièrdou s’ pârtêye;

èt s’a-t-i dit à pére, à mére,

qu’i rîmereût putwèt âs galéres.

S’il atoume bin, c’èst d’avinture,

36 ossi bin à Lîdje qu’à Namur !

 

  1. haust, Le dialecte liégeois au XVIIe siècle : Dix pièces de vers sur les femmes et le mariage, Liège, 1941 (coll. « Nos Dialectes »), pp. 11-13, d’après le ms 430 (410) de la Bibl. de Valenciennes. — Inventaire, n° 284.

 

  1. S’il vient un freluquet… — 14. elles vous le prendront au mot, encore qu’il (= même s’il) ne ferait que s’en moquer (= d’elles). — 15. … ni denier ni maille. — 16. brâyes, habits (litt’ : braies). — 18. so s” pique, en pique-assiette; âtoû a ici le sens de « auprès ».

 

  1. Il faut aller creuser, c.-à-d. gratter, travailler dur; wangnî, gagner. — 21. pour nourrir un souillon (litt* : un sale pan de chemise). — 23. … ramasser (litt’ : lever) un fétu de paille. — 24. dam’hèle, forme arch. de « demoiselle » employée au sens de « servante ».

 

  1. … car on ne sait où le [= l’argent] prendre. — 26. è-wadjî, mettre en gage. — 27. Même si on n’avait ni pain, ni pièce [de pain]. — 28. Litt’ : ainsi (= néanmoins) leur (pron. explétif) faut-il reparer (parer à nouveau) leur tête. — 30. âtoû, cfr v. 18.

 

  1. Ce genre   de   « signature »   est   fréquent   dans   l’ancienne   chanson   populaire.   —

32 … depuis qu’il a perdu sa moitié (litt* : sa partie). — 34. qu’il ramerait plutôt aux galères [que de se remarier]. — 35. S’il (pron. impers.) tombe bien, c’est d’aventure. Le sens est : si l’on tombe bien en se mariant, c’est pur hasard.

Sonèt lîdjwès (Hubert Ora (sic))

UBERT ORA

(1598? -1654)

 

Parmi les pièces liminaires d’un ouvrage de polémique religieuse publié en 1622 par Louis du Château, provincial des Frères Mineurs à Liège, figure un sonnet en wallon signé « F. Houbiè Ora Meneu d’ Lig ». Ce nom de Hubert Ora (qu’on serait tenté de transposer en D’Heure, si le patronyme latin Ora n’était attesté par ailleurs dans les archives liégeoises de l’époque) est celui d’un Frère Mineur conventuel de Liège décédé, selon l’obituaire manuscrit de cette maison, le 16 février 1654, dans la 56e année de son âge, ce qui autorise à placer sa naissance en 1598 ou 1599.

Comme écrivain, il ne nous est connu que par ce sonnet dirigé contre un pasteur calviniste. Durant les deux premiers tiers du xvne siècle, les contro­verses théologiques, au pays de Liège, entre clergé catholique et ministres réformés dégénérèrent parfois en violentes querelles, et c’est dans le cadre d’une de ces disputes que se place l’invective du cordelier liégeois. Le style énergique qui la soutient ne saurait en faire oublier le tour très « littéraire » dû au caractère relevé de ce genre de poème à forme fixe. Deux ans après la classique Ode à Mathias Navasus (1620), le Sonèt lîdjwès, premier texte wallon dont l’auteur et la date sont connus, fournit une nouvelle preuve qu’à leurs origines, les lettres wallonnes, comme les premières productions dialectales d’oïl, n’ont de vraiment populaire que le parler qu’elles emploient.

 

2                                                                                                                    [Banlieue de Liège]

 

Sonet lîdjwès

A minisse

 

Hoûtez dê, Mounseû 1′ prédicant,

Ni pârlez nin tant conte lès mônes;

ca vos f’rîz dîre qui 1′ diâle vis mône

4   come ounk di sès-apartinants.

 

 SONNET LIEGEOIS

Le « ministre » désigné dans le sous-titre est celui auquel répond le pamphlet de L. du Château : il exerçait les fonctions de « pasteur des Wallons et François calvinisez » à Dordrecht où s’était tenu, un peu auparavant, le fameux Synode des théologiens protes­tants (1618-1619).

 

  1. Mounseû, Monsieur. La graphie oun, régulière dans notre sonnet pour on (vv. 4, 5, 11), serait un trait de la banlieue ouest de Liège où l’on ne retrouve aujourd’hui que la forme dénasalisée (J. Haust, éd. cit., p. 27). — 3. … que le diable vous mène.

  Vos-èstez oun grand afahant

après lès bins di nos tchènônes :

mins, po v’ dire tot çou qu’i m’è sône,

8  vos porpôs sont porpôs d’ brigand.

 Si vos-eûhîz sût li Scriteure

èt bin wârdé li lwè d’ nateure,

vos-eûhîz acwèrou boun brut.

 12  Mins qwè ? dîre âs djins dès-indjeures

èt lès spiter di vos r’nârdeures,

ci sont vos-oûves et vos bês fruts.

 

  1. Haust, Le dialecte liégeois au XVII’ siècle : Les trois plus anciens textes, Liège, 1921 (Bibl. de la Fac. de Phil. et Lettres), p. 29. Paru pour la première fois dans Le Chasteau du moine opposé à la Babel de Hochedé Nembroth de la Vigne, Liège, Chr. Ouwerx, 1622, fol. [15]. — Inventaire, n° 1.

 afahant, avide (de s’emparer), rapace, cupide. Sur cet hapax, cfr J. Haust, éd. cit., p. 30. — 7. sône, semble. — 8. porpôs, métathèse de « propos >.

9-10. Si vous eussiez suivi l’Ecriture et bien gardé la loi naturelle. — 11. brut, bruit, au sens ancien de renommée.

  1. et les éclabousser de vos vomissements. — 14. ce sont vos œuvres et vos beaux fruits.

(p.5)

ANONYME

[Retour à Liège du prince-évêque]

 

Le texte ci-après est extrait d’un dialogue en deux parties sur les déprédations commises par la garnison espagnole que le gouverneur de Maestricht main­tenait à Herstal depuis 1628. A cette époque, au milieu des puissances voisines entrées en guerre, la principauté de Liège, fidèle à sa curieuse et tradition­nelle « neutralité », permettait le libre passage des armées belligérantes sur son territoire. De là, dans la pratique, de fréquents pillages et des violences de toute sorte. Quatre dialogues wallons imprimés, de 1631 à 1636, en ont conservé l’écho. La douleur et l’indignation du paysan rançonné s’y exhalent avec un réalisme naïf, dans une forme incisive, relevée par la saveur d’une langue drue et colorée, foncièrement peuple.

La première en date de ces pièces met en présence Crèspou, Djam’sin et Mâyeleû qui, tous trois, ont décidé de vendre leurs biens et de partir pour la guerre afin d’échapper aux vexations des soldats. Ratifié au cours d’une « plaisante débauche », le projet est bientôt abandonné, car Mâyeleû annonce à ses interlocuteurs que le prince-évêque, Ferdinand de Bavière, après une absence de neuf ans, vient de regagner sa capitale pour mettre fin aux désordres des pillards. Le paysan raconte, en témoin oculaire, le débarque­ment du prince, sur un quai de la Meuse, au cœur de la cité, spectacle qui l’a vivement impressionné.

 

[Banlieue de Liège]

 

Dj’èsto à Lîdje mardi passé                             Vv. 235-294

qui nosse bon Prince vinve è s’ cité

so l’êwe divins on grand ponton.

4 Djèl vèyi, ci bê gros godon !

So m’ fwè, dji fou tot-z-ahuré

quand dj’oyi lès tabors soner.

Dji n’ savo pinser cou qu’ c’èsteût

8 qui tôt 1′ monde èsteût si djoyeûs,

 

  1. La désinence -o (dj’èsto, j’étais), aujourd’hui inconnue en liégeois, alterne avec la dési­nence normale -eu au singulier de l’imparfait et du conditionnel de certains verbes. On la retrouve plusieurs fois dans cet extrait (vv. 7, 27, 38 et 59). — 2. vinve, « vint », forme ancienne du passé simple de vint. — 4. La désinence -t (djèl vèyi, je le vis) du passé simple, empruntée sans doute du français (je vis, je fis, etc.), alternait, au xvn° siècle, avec la forme actuelle en -a (vv. 36 hapa, 37 a/a, etc.); gros godon, t. d’affection intra­duisible en français. — 5. ahuré, ahuri. — 6. Quand j’entendis les tambours sonner. —

 

 

(p.6) si ci n’ fourit onk qui m’ dèrit

qui nosse Prince sièreût tot-rade ci.

So mi-âme, c’èsteût on grand plêzîr

12   dè vèyî voler lès banîres.

Lès Lîdjwès qu’èstint èquipés,

ainsi qu’on coq djôbâ hos’lé.

I nn’y-aveût tôt fin près d’ine pièce

16 qu’avint dès tchôdrons so leû tièsse

ossi clérs qui dès plats di stin :

Diè mi-âme s’on n’ s’eûhe bin muré ins !

s’astint-i là come dès bragârds

20  atot dès scadjolés ploumârds,

nè pés nè mîs qu’ nos gâdisseûs

à 1′ dicâce quand is f’sèt dès djeûs.

Dès-âqués qu’avint dès djav’lènes

24 qu’èstint bin ossi bèles qui 1′ mène,

ossi longues qui dès linwes di vatche

èt tortos avâ dès-ovradjes;

mins dji n’avo d’ rin si grand doû

28 qui dès flotches qui pindint-âtoû.

Dès-ôtes qu’avint dès longs picots

qu’on eûhe batou lès djèles atot.

C’èsteût plêzîr di lès vèyî

32   si bin armés et si djolis !

On k’mincit à tirer l’ canon,

qui fève tronler totes lès mohons;

di façon qui dj’eû ine téle crinte,

 

  1. Litt. : si ce ne fut un (= quelqu’un) qui me dit. — 10. … serait bientôt ici. — 11. Sur mon âme (interj.). — 13-14. Phrase nominale, à introduire par « II y avait »; … un coq jambard (= haut sur pattes) houselé (= comme s’il portait des houseaux, des bottes, tant il avait de plumes aux pattes). La comparaison est plaisante pour désigner la garde d’honneur liégeoise en grande tenue. — 16. Pour l’auteur qui reconstitue ce spectacle unique vu par un homme du peuple, les « chaudrons » désignent évidemment les casques des hommes d’armes comparés, au vers suivant, à des plats d’étain. — 18. Dieu [ait] mon âme…; ins, a.fr. ens (lat. intus). — 19-20. Et se tenaient-ils là comme des capitaines de jeunesse, avec des plumets bariolés. — 21. «ni pis ni mieux »; l’expression se retrouve encore au xix” siècle chez le poète H. Forir; gâdisseû, joyeux drille. — 22. Dans l’ancien temps, à la fête paroissiale (dicâce « dédicace »), des jeux divers étaient organisés par les capitaines de jeunesse revêtus d’habits de circonstance. — 23. La forme âqué, hapax dans le dialecte moderne, correspond à l’anc. wallon aquel, certain; J. Haust interprète : [II y en avait] d’aucuns qui…; djavelène, javeline. — 26. et entièrement ouvragées. — 27. … si grande crainte (litt* : deuil). — 28. flotche, gland frangé, houppe. — 29-30. … de longues piques avec lesquelles on eût gaulé les noix. — 32. djoli, joli, sans doute par allusion à leurs chamarrures. —

 

(p.7) 36   qui dj’hapa on si grand mâ d’ vinte

qui tot ‘nn’ala divins mès tchâsses :

dji v’ mosturro co bin l’èplâsse.

Djamây dji n’eû ine téle hisdeûr;

40   dji pinséve mori è 1′ même eûre.

Mins, todi, dji n’ mi rindi nin;

dj’avanciha è l’prèsse dès djins,

là qu’in-y-aveût dès hal’bârdîs,

44    qu’èstint si fayêyemint moussîs

atot dès bagues di deûs coleûrs :

dji pinse qui c’èsteût blanc èt neûr;

s’avint-i dès grossès brâyètes

48    èt dès flotches di sôye à l’ bètchète.

Vos-eûhîz dit qui leûs bragârds

eûhint so leû tièsse dès ploumârds.

Lès pontons v’nous, hoûte-mu, djèrmin,

52   djamây ti n’oyis té passe-tins :

lès Lîdjwès k’mincint-à d’hièrdjî

leûs musquèts come tos-arèdjîs.

So mi-âme si dji n’ fou tot soûrdô

56    d’oyî insi peter lès côps !

on k’minça-t-à criyer vîvât,

quand on vèya ci dine Prélat.

Ciète, dji n’ vis saro dîre l’oneûr

60   qu’on fit-à ci très digne Sègneûr.

 

« Complainte des paysans liégeois sur le ravagement des sol­dats : suivye d’une plaisante débauche », placard à 3 col. [1631], Bibl. de l’Univ. de Liège, Réserve : Varia in-folio, 52. On suit en principe le texte établi par J. haust, Le dialecte liégeois au XVIIe siècle : Quatre dialogues de paysans (1631-1636), Liège, 1939 (coll. «Nos Dialectes»), pp. 34-37. — Inventaire, n° 2.

 

  1. mohon (auj. mohone), maison. — 37. tchâsses, chausses. Ce genre de détails n’a rien de surprenant, compte tenu de la scatologie qui est l’un des motifs obligés de maintes pièces « burlesques ». —• 38. «… l’emplâtre », c’est-à-dire la marque, la trace. — 39. hisdeûr, épouvante. — 44. … si drôlement habil­lés. — 45. atot (arch.), avec; bagues, vêtements. — 47-48. Et avaient-ils de grosses bra­guettes (= bourrelets au-devant du haut-de-chausses) et des nœuds de soie à la pointe. — 50. ploumârd, plumet — 51. djèrmin, germain (s.-ent. cousin), terme d’affection qu’on rendrait aujourd’hui par « frère ». — 54. Les décharges de mousqueterie faisaient partie du cérémonial d’honneur dans les fêtes d’autrefois.

(p.8)

LAMBERT DE HOLLOGNE

(avant 1656)

 

Une tradition qui remonte au poète Ch.-Nicolas Simonon (né en 1774), lequel était aussi un walloniste érudit, attribue l’Entre-Jeux de paysans au notaire Lambert de Hollogne. Encore qu’on ne sache rien de précis sur ce tabellion liégeois, son existence comme poète ne saurait être contestée puisqu’il signe de son nom et de son titre un pompeux éloge en alexandrins français : A noble et très honoré seigneur Monsieur Erasme Foullon, Echevin de la Haute Justice de Liège, etc. (Bibl. Univ. de Liège, Varia 52). Ce poème, adressé à un conseiller du prince-évêque en 1656, a été imprimé en placard, tout comme ÏEntre-jeux, dont la date, qui n’est pas connue avec certitude, n’est cependant pas antérieure à 1636.

Nous tenons dans cette pièce de 274 vers le plus remarquable de nos quatre dialogues de paysans liégeois (voir ci-dessus). Malgré les allusions aux soldats du comte de Mansfeld, commandant une partie de l’armée espagnole des Pays-Bas, la pièce semble ne se rattacher à aucun fait bien précis. L’auteur de ÏEntre-jeux s’inspire des brigandages, si fréquents alors dans les campagnes, et cherche à faire œuvre littéraire en mettant sous nos yeux la détresse des habitants d’un village anonyme des environs de Liège. Cet essai dramatique qu’on pourrait diviser en six tableaux s’impose par l’énergie concise du style et le naturel, souvent pathétique, des situations et du dialogue. La langue abonde en traits imagés, en trouvailles expressives, et sa rudesse renforce encore la sincérité de certains cris tout vibrants de colère au souvenir des outrages subis. Tel est, en particulier, le véhément monologue de Wéri Clabâ aux accents vengeurs et d’une éloquence populaire qu’on ne retrouvera, un siècle et demi plus tard, que sous la plume du P. Marian de Saint-Antoine.

 

 

[Ouest de Liège] [Après le passage des troupes]

 

Stasquin

 

Li tièsse mi toûne, amor di pére,                  

come onk qu’a magnin de 1′ mistére !

Dj’a 1′ boke oviète èt 1′ coûr sèré

4 èt, qwand dj’a bin considéré,

 

  1. … père bien aimé; litt. : amour de père. La langue de ces dialogues abonde en formules affectueuses; comp. le n° 7. — 2. Comme [quelqu’] un qui a absorbé de la drogue; magnin pour magrii, « forme à finale nasalisée, fréquente dans nos vieux textes »

 

(p.9) dji so mwért, i n’y-a wêre à dîre…

I m’ fât rèpwèrter so ‘ne civîre;

dji n’ sâreû pus aler avant !

 

Djâmin Brokèdje

8  Sus, prind corèdje, amor d’èfant !

Dji so si plin d’anôye qui dj’ hère,

si n’ vou-dje nin cor moussî è tère.

Dji n’a pus pont d’ tchâr dizos 1′ pê,

12 mi mèyole heût foû d’ mès-ohês…

Si ti vous mori, si t’ dihombe;

dji n’ pou câzi ster so mes djombes…

Mi song’ si pièd’, dji d’vin tot freûd;

16 i n’ fârè qu’ine fosse po nos deûs :

nos f’rans bin de mori èssône…

 

Stasquin

Dji sin ècor bate on pô m’ vône,

s’a-dje si pawou qui dj’ vèsse d’angohe,

20    èt, di m’ lèyî mori so l’ cohe,

ma fwè, dji nèl fê nin vol’tî.

Si dj’ poléve conte li mwért plêtî,

dji mètreû on pârlî èn-oûve.

 

Djâmin Brokèdje

24   Lès mwérts, di tère on lès-acoûve

qwand on l’s-a boute è wahê.

Il èst sèdje qui sét wârder s’ pê.

 

Stasquin

C’est don 1′ mèyeû dè prinde corèdje

28 sins nos lèyî bouter è sètch.

 

(J. Haust, éd. cit., p. 16); mistére, coque du Levant. — 9. … que je crève (litt’ : dé­chire). — 10. et pourtant je ne veux pas encore entrer en terre. — 12. la moelle me sort par les os; heût, secoue (au point de tomber). — 13. … (ainsi) dépêche-toi. — 14. ster (archaïque), se tenir debout; djombes pour djambes : l’alternance -an/-on a été signalée plus haut (texte n° 1, note du v. 3). — 19. angohe (archaïque), angoisse. — 20. et de me laisser mourir sur la branche, c’est-à-dire : encore jeune. Stasquin est le fils de Djâmin Brokèdje. — 23. pârlî, avocat, plaideur; èn-oûve, en œuvre. — 26. sèdje, sage, sensé. —

 

(p.10) Dè mori, vor’mint, diâle çoula !

Padiè ! quî èst mwért, i djît là.

Roûvians lès mwérts èt lès tristesses,

32   s’ qwèrans après 1′ banstê âs pèces;

trovans moyin dè ragraweter

d’ine sôrte èt d’aute nosse bone santé :

dè tant djèmi, c’èst grand lwègnerèye

36   èt racoûrci nosse vicârèye.

I vât bin mis trover moyin

dè qwèri po raw’hî lès dints :

on pô d’ pan tchèrdjî d’ crâhe di ros’,

40    çoula sièreût ciète bin à m’ gos’,

ou on batis’ à lècê d’ boûre,

il èst si bon po 1′ mâ dè coûr,

èt d’ beûre so çoula ine dimêye !

 

Djâmin Brokèdje

44   Tot çou qu’ ti dis, il èst fin vrêye.

A qué propôs nos rompi l’ tièsse

à copiner d’ cisse mètchante rèce?

S’il ont bouté 1′ feû d’vins nos cinses,

48    s’il ont magnî tote nosse simince,

s’il ont tortos nos bins broûlé,

ossi 1′ diâle lès-a-t-èvolé.

Ni nos-a-ç’ nin stu bone aweur

52   dè claper l’ouh so 1′ trô dè beûr

èt d’ nos sâver ci d’vins lès bwès

sins nos fé k’tèyî à brikèts ?

 

  1. djît, gît. — 32. L’expr. fig. qwèri (ou riprinde) li banstê âs pèces, le panier aux pièces [pour se raccoutrer], signifie : reprendre le dessus, se remettre à la vie. — 33. ragraweter, ressaisir (fam.). — 35. … c’est une grande sottise; dans nos anciens textes, grand est souvent invariable au fém. — 38. L’expression raw’hî (aiguiser) lès dints a ici le sens de manger. — 39. un peu de pain recouvert de graisse de rôti. — 41. batis’, « mélange battu de lècê d’ boûre (babeurre) avec du sucre, des jaunes d’œufs, et de la cannelle » (J. Haust, éd. cit., p. 61). — 42 et 44. il est, c’est. — 46. rèce, race. — 48. Allu­sion à « la réserve de grains qui devait servir à ensemencer les terres » (J. Haust, ibid.). — 51-52. Cela ne nous a-t-il pas été un bonheur de tout laisser en plan ? Cette dernière idée est rendue par une expression figurée qui signifie litt1 : fermer (bruyamment) la porte sur l’ouverture du puits de mine, autrement dit : abandonner les travaux d’extrac­tion. — 53. ci, ici. — 54. sans nous faire tailler en morceaux. — 56. Litt* : voyons de rejoindre pâture, c.-à-d. tâchons de rentrer chez nous.

 

(p.11)

Stasquin

Diè dè glôre ! nos n’avans fait qu’ sèdje !

56   Loukans dè raprèpî wêdèdje.

 

« Entre-jeux de paysans sur les discours de Jamin Brocquege, Stasquin son fils, Wéry Clabâ et un soldat françois », placard à 5 col. [± 1636], Bibl. de l’Univ. de Liège, Réserve : Varia in-folio 52. On reproduit le texte de l’éd. J. haust, Quatre dialogues de paysans (cfr supra), pp. 59-61. — Inventaire, n° 4.

Wéry Clabâ

[Monologue de Wéri Clabâ]

 

Dji n’ sé si l’ diâle n’èvolerè nin                      Vv. 73-we

ci dâné Mansfèl èt sès djins,

s’i nos fârè lètchî nos plâyes

4   sins çou qui l’ boye l’abatrè mây,

si l’ tonîre nèl dirèn’rè nin,

si l’ plate pîre Diè n’ l’ assomerè nin,

si l’ feû griyeûs n’ djèterè nin s’ flâme

8   qui lî graf’rè foû dè cwèr l’âme,

ci diné lâron, ci diâle volant,

qui towe pére èt mére èt èfants !

Si-f’rè ! i lî vârè-t-ine fèye !

12   mins dj’ so mâva qui ç’ n’est pus twèy !

Qui fês-s’ lâvâ, howe, Lucifièr?

Poqwè n’ acoûrs-tu foû d’ n-èfièr?

 

Le personnage de Wéri Clabâ, la vedette de l’Entre-jeux, débite ce monologue après que Stasquin et son père se sont mis en route pour regagner leur maison ou ce qu’il en reste.

  1. Le pronom çou (ce) a ici un emploi explétif; boye, bourreau. — 5. ne l’éreintera pas. — 6. L’expression « la plate pierre [de] Dieu » est obscure, note J. Haust, éd. cit., p. 63; le déterminant Dieu pourrait faire penser à la pierre d’autel, mais, de toute façon, l’allusion reste énigmatique. — 7. feû griyeûs, feu grégeois. — 8. qui lui arra­chera… — 9. ce parfait (litt. : digne) larron, ce vrai démon; diâle volant, « allusion au diable représenté avec des ailes de chauve-souris. L’expression est restée en wallon pour désigner le tarare cribleur » (note de 3. Haust, ibid.). — 11. Ainsi en sera-t-il (litt1 : si fera) ! La suite du vers est moins claire. Il faut sans doute corriger le « varet » de l’original en vairè, fut. de vint, et comprendre : il (= cela) lui viendra une fois, c’est-à-dire : ces souhaits s’accompliront un jour. — 12. twèy pour twèt, tôt. — 13. howe (interj.), hue ! —

 

(p.12)

Poqwè n’acoûrs-tu nin pus vite

16   foû dè gofê dè l’grande marmite ?

Qui n’ t’avances-tu po v’ni haper

ci diâle qui nos-a ruwiné ?

Mins dji veû bin qui l’ diâle n’a wâde,

20   ca, ciète, c’èst bin trop s’ camarâde !

Portant l’a l’ bon Diè condâné

d’èsse pére à tortos lès dânés

èt dè cûre è l’ tchôdîre à l’ôle

24   tant qui l’ djoûr-èt-djamây si sôle.

Qui n’ so-dje on djoûr cusenî d’ n-èfiér,

po vindjî m’ corèdje so cès liéres !

Dji t’ f’reû leû couhène si salêye

28   èt dès si bolantès hièlêyes

qu’i n’ lès sârint mây avaler

sins s’avu tot l’ palâs broûlé !

Dji t’ lès hèr’reû, pa Diè djè l’djeure,

32   è l’ gueûye ine locêye di hôdeure !

Diè boli ! qu’èl f’ro-dje di bon coûr !

Mins c’èst l’ mâ qui ç’ n’èst nin co m’ toûr !

 

Ibid., Edit. J. Haust, pp. 63-65.

 

  1. gofê diminutif de gofe, gouffre; marmite : l’enfer est familièrement assimilé à un grand chaudron (comp. v. 23). — 21. Inversion du sujet (/’ bon Die). — 22. tortos (auj. à Liège, turtos), à côté de tos, tous, signifie : tous sans exception. — 24. tant que le jour-et-jamais (= l’éternité ?) se saoule. Expression forte autant que bizarre. — 25. … cuisinier d’enfer. — 26. liére (archaïque), forme du cas sujet de luron (cfr v. 9). — 28. hièlêye, contenu d’une Mêle, écuelle. — 31-32. Je te leur fourrerais, par Dieu, je le jure, dans la gueule une louche (litt* : louchée) d’eau bouillante (litf : échaudure). — 33. Bon Dieu ! comme je le ferais…; boli (litt1 : bouilli) est un euphé­misme pour béni, fréquent dans les anciens jurons liégeois; sur la désinence -o du conditionnel, cfr le n° 3, v. 1.

(p.13)

ANONYME

[Dialogue entre un Liégeois catholique et un calviniste]

 

Chanson contre les Réformés, qui pourrait avoir été composée sur le timbre, célèbre au xvii” siècle, Si le Roi m’avait donné / Paris sa grand-ville. La langue en est suffisamment archaïque pour qu’on puisse la dater du milieu du xvir8 siècle; on y perçoit même comme un écho des polémiques qui mirent aux prises, entre 1655 et 1657, le curé d’Olne, A. Delva, et le pasteur Xhrouet, originaire de Spa.

Ce dialogue bilingue forme une sorte de controverse au cours de laquelle un ministre protestant exhorte, en français, un homme du peuple à embrasser la religion réformée. Celui-ci, dont les connaissances théologiques ne dépas­sent guère la foi du charbonnier, lui donne la réplique en patois. La pièce est vivante, bien agencée, et la nature des personnages se reflète dans leur discours : au langage maladroitement emprunté du prédicant s’opposent les réflexions du Liégeois frappées au coin d’un bon sens un peu court, mais volontiers goguenard et combien savoureux.

 

[Liège]

 

Mon compère et mon ami,

dis-moi, je t’en prie,

le ministre d’aujourd’hui

4         n’a-t-il point ravie

ton âme d’affection

à notre religion,

la plus assurée

8         comme réformée ?

 

— Hoûte, kipére, dji t’èl dîrè

tot-insi qu’ djèl pinse :

dji dû mî po fé 1′ vârlèt

12         divins 1′ heûre d’ine cinse,

ou bin po fé l’pantalon

turtos vindant dès tchansons

â pîd dè Pont d’s-âtches :

16         li pièce èst pus lâdje.

 

 

C’est à l’issue d’un prêche calviniste auquel le Liégeois a assisté que le dialogue débute. — 9. kipére, compère. — 11. je conviens mieux… — 12. he-ue, grange. — 13. … faire le Pantalon, c’est-à-dire le bouffon. — 14-15. C’était au Pont-des-Arches, le principal pont de Liège sous l’Ancien Régime, que les chanteurs de rues et les histrions rassemblaient

 

(p.14)

—  Quoi, compère, ne crois-tu

ce que dit la Bible ?

la foi sans d’autre vertu

20         nous rend si paisible

hors la crainte du tourment

d’enfer et du jugement,

dans tous les fidèles

24         comme éternelle.

 

—  Léhez bin vos Tèstamints,

vos troûverez contrâve.

Vosse minisse boûde po sès dints

28  et conte totès fâves.

Vos ‘nn’ îrez, sins-avu fêt

li k’mandemint d’ Diè tot-z-à fêt,

ossi dreût qu’ine crâwe

32 è Paradis dès-âwes !

 

—  Si tu venais plus souvent

à notre assemblée

entendre nos prédicants

36 les psaumes chanter,

tu ne serais pas longtemps

sans en être plus content

que de tes pratiques

40 à la catholique.

 

—  Qu’îreû-dje fé là? Hoûter brêre,

ine grande hiède di bièsses ?

Loukî voler [l’ coûrt] mantê

44 qui n’ coûve nin lès fèsses,

li cou-d’-tchâsse âs streûts canons,

li pougnâr èt l’ muskèton

 

les badauds, tout comme au Pont-Neuf, à Paris. — 26. vous y trouverez [le] contraire. — 27. … ment par [toutes] ses dents. — 29-30. … sans avoir accompli la loi de Dieu entièrement. — 31. crâwe, propt crosse à jouer, par ext. ce qui est courbé ou tordu. — 32. Le « paradis des oies » désigne par ironie celui qui est opposé au paradis des chrétiens. — 43-46. On a ici, en quelques traits, la silhouette des prédicants habillés d’un costume civil : le court manteau avec dague à la ceinture, qui ressemblait à la cape mise à la mode depuis Henri III (le mousqueton paraît plus étrange) et la culotte (cou d’ tchâsses) aux canons étroits, légèrement moulante, telle qu’elle se portait sous Louis XIII.

 

(p.15) di cès lwègnes fis d’ vatche

48         atot leû mustatche ?

 

—  Pauvre aveugle, je vois bien

que tu [t’] opiniâtres.

Je ne te touche de rien

52         non plus qu’un bon ladre.

Tu penses être catholique

et que je suis hérétique :

mais je suis [d’]Eglise

56         fraîchement remise.

 

—  Luther èsteût-i savetî?

K’pwèrtéve-t-i dès foûmes

po r’fôrmer l’Eglîse so 1′ pîd

60         atot s’ dan.nêye loûme ?

Ine mâhon qu’ n’èst nin toumêye

ni deût nin èsse rimacenêye

di s’-fêtès truvèles :

64         Calvin èt s’ bâcèle !

 

—  Quoy ! tu blâmes ces prophètes

dans leurs mariages

comme des purs sacrilèges

68         ou concubinages !

L’apôtre n’ a-t-il pas dit

que la femme et le mari

d’une compagnie

72         passeraient la vie?

 

—  C’est fwért bin fé di s’ marier,

cès qu’èl polèt-èsse.

I n’ fât nin rompi 1′ sièrmint

76         qwand on-z-èst priyèsse.

Calvin èsteût on tchènône

èt Luthér, on d’bâtchî mône.

 

  1. de ces stupides fils de vaches. — 48. atot (archaïque) avec. — 58. foûme, forme servant de moule. Le Liégeois plaisante assez lourdement sur le sens de réformer = remettre en forme. — 60. avec sa damnée garce (allusion à l’épouse de Luther); loûme, t. d’inj. inédit, probab* de l’allem. lump, vaurien. — 63. Les réformés qui se mêlent de replâtrer l’Eglise sont ravalés par dérision au rang de « truelles ». — 78. … un moine débauché. —

 

(p.16) A diâle lès cwèrnêyes

80         atot leûs cûrêyes !

 

—  Si tu savais, mon ami,

la sainte doctrine

de ces deux galants esprits,

84         tu ne ferais mine

de te jetter si loin d’eux,

mais deviendrais amoureux

de la foi nouvelle

88         de ces deux chandelles.

 

—  I fêt pus clér divins ‘ne fosse

di méye pîds è tére

qui d’vins l’ lîve Djihan Calvin

92         èt Martin Luther !

Dji n’ mèrvèye nin di çoula,

ca l’ci qui lès-aprinda èsteût dè l’ coleûr

 96         d’on diâle qu’èst tot neûr !

 

—  J’en connais bien toutefois

qui, de ta paroisse,

ont fait la Cène avec moi

100         en grande allégresse,

renonçant par leur serment

l’usage des sacrements,

bien heureux de vivre

104         au choix de nos livres.

 

—  Nos n’î visans nin bêcôp :

ci sont cindes djus d’ l’êsse,

is vont âs danses dès crapauds,

108         là qu’ lès p’tits sont mêsses;

 

79-80. Au diable les corneilles avec leurs charognes ! — 91. … le livre [de] Jean Calvin. — 93. Je ne m’étonne pas de cela. — 105-106. Nous n’y prêtons pas beaucoup attention : ce sont cendres tombées de l’âtre. Jolie expression figurée pour désigner ceux qui se sont mis en dehors de la communion de l’Eglise. — 107-108. Allusion aux sabbats des sorciers. —

 

(p.17)

qwand l’ maladèye lès prindrè

ou l’morèye lès-abatrè,

i vwèront bin rèsse

112         è l’grâce dès priyèsses.

 

—  J’ai vécu tout comme toi,

bien que je te blâme,

croyant dans la même loi.

116         Ç’ a été ma femme

qui m’a montré le chemin;

c’est le verbe de Calvin,

lisant dans sa Bible

120         des choses terribles.

 

– Vosse grand-pére, in-ome di bin,

vosse pére èt vosse mére

ont stu turtos bons crustins :

124         prindez on cristére

si purdjîz voste hérézèye

èt rik’minçîz ine ôte vèye :

i n’est mây trop târd

128         dè fûr on hazârd.

 

Edit. orig. inconnue. On reproduit le texte d’après le carnet de chansons d’une ancienne famille liégeoise (détruit en 1944), copie que nous améliorons en plusieurs endroits à l’aide de la version publiée par le Choix de 1844, pp. 162-166. — Inventaire, n° 7.

 

  1. ou [que] la camarde les abattra; morèye (ou morrèye ?), dér. de mori, mourir, se rencontre dans les archives comme t. d’inj. au sens de charogne, pourriture. — 111. rèsse, être à nouveau. — 124. cristére, altération de clistére, lave­ment. — 128. de fuir un danger.

 

(p.18)

ANONYME

[Le congé de Pasquot et son testament]

 

Extrait d’une pièce de 462 vers qui flétrit les exactions des Impériaux à Huy, en 1675. Elle offre des analogies d’inspiration et de développement avec les dialogues de paysans liégeois, en particulier avec la Complainte de 1631, quoiqu’elle n’en ait ni la richesse de langue ni la variété. L’un des personnages, Robièt, après de violentes diatribes contre le général Chavagnac, prend la résolution de s’expatrier pour une contrée lointaine; il persuade son ami Pasquot de l’accompagner. Le départ est fixé au lendemain. Pasquot fait part à sa femme de ses dernières volontés. Sur ce, Robièt vient annoncer qu’il n’est plus besoin de partir puisque le maudit Chavagnac et ses troupes ont quitté la ville.

Les propos échangés entre Pasquot et sa femme Houbène sont émouvants dans leur familière simplicité. Pour se témoigner leur attachement mutuel au moment des graves décisions, ces gens du peuple trouvent des mots d’une délicatesse imagée qui fait contraste avec la bouffonnerie un peu triviale de certaines « clauses » du testament de Pasquot.

L’extrait que nous reproduisons forme le début de la seconde partie du poème.

 

[Condroz liégeois]

 

Pasquot

Binamêye amor di brantchète,                         Vv. 333-390

i fât qui dji v’ bâhe à picètes

tortos asteûre, èco tint fîyes,

divant d’ènn’aler è 1′ Turkîye !

Nos pât’rans d’min atot Robièt.

I m’ fârè fé oûy mi pakèt.

 

Houbène

Ha ! qui d’hez-v’, binamé baron,

8 binamé amor di m’ coûrçon?

 

  1. Le syntagme amor di (amour de) + nom commun est employé comme vocatif d’affec­tion dans l’ancienne poésie liégeoise; brantchète, litt. : branchette, petite amie, terme familier à rapprocher de l’anc. fr. branchage, lignage, et du fr. popul. ma (vieille) branche d’après l’image des branches d’une même souche, symbole de lien très étroit. — 2. bâhî à picètes, litt. : à pincettes, embrasser à la pincette, c’est-à-dire « en prenant doucement les deux joues avec le bout des doigts » (Littré). — 3. tortot asteûre, tout de suite. — 5. atot (archaïque), avec. — 7. binamé, bien-aimé, gentil; baron (archaïque) mari. — 8. coûrçon, dimin. de cour, cœur, sur le modèle : enfant/enfançon. — 14. … et votre sœur Catheline.

 

(p.19)

Si vos ‘nn’alez, i fât qui dj’moûre !

Dj’è sin dèdja on batemint d’ coûr,

on mâ d’ tièsse qui m’ vint di v’ni.

12   Binamé Pasquot, qu’èst-ce çouci?

Volez-ve lèyî là vosse Houbène,

vos-èfants èt vosse sou Kètelène ?

Dji n’î wèzereû djamây pinser :

16   i m’ fât mori si vos ‘nn’alez !

Li p’tit Pascolèt, qu’èst doumièsse,

èl lêrez-ve mori d’vins mes brès’,

avou nosse pôve pitite Djîlète

20    qui vint èco dè prinde li tète ?

Qwand vos-ârîz on coûr di pîre,

vos ‘nn’îrîn’ nin di cisse manîre !

Qu’i v’ sovègne qwand dji m’a marié,

24   v’s-avez djuré à nosse curé,

divant m’ fré Dj’han et m’ soû Kèt’lène,

qui vos n’ qwitrîz mây vosse Houbène !

 

Pasquot

Binamêye fème, ti m’ fês plorer.

28 I èst trop târd d’ènnè pârler :

tos lès Alemands qu’ènnè sont câse…

I fât rakeûse mès grozès tchâsses,

mi djustâcôr èt [m’] tchimîhète.

32   I fât dj’è vasse, coûr di brantchète;

po l’pus târd, ci sèrè d’min.

I fât qui dj’ fasse oûy tèstamint.

Dji v’ 1êrè mès deûs neûrès vatches,

36   mès deûs pourcês avou l’grand batch

 

  1. Je n’oserais jamais y penser. — 17. Pascolèt, dimin. de Pasquot qui est le nom du père de l’enfant; doumièsse, docile, facile à vivre. — 20. … de prendre le sein. — 30. Il faut réparer mes grosses chaussettes. — 31. mon justaucorps et ma camisole (litt1 : chemisette). — 32. En liégeois moderne : i fât qu’ dj’è vasse, il faut que je m’en aille. L’omission de la conjonction « que », fréquente après « falloir », appartient aujour­d’hui à la syntaxe de l’Ardenne liégeoise, plus archaïsante (cfr L. remacle, Syntaxe, 3, pp. 138 ss.); cour (cœur) di brantchète : cfr v. 1. — 35. Ici commence le testament de Pasquot, genre hérité de la poésie de la fin du moyen âge, reconduit par la poésie« burlesque ». —

 

(p.20) èt [l’] trôye : qwand ille ârè cos’lé,

vos l’ècrâherez por vos viker.

Vos f’rez noûri tos lès cossèts :

40   ç’ sèront po l’ pitit Pacolèt;

li cot’hê avou 1′ prêriye

sièront por lu si vicâriye,

èt s’ lî done-dju lès deûs poûtrins,

44    avou 1′ morê èt l’ grande djumint.

Mi noû mantê èt m’ hongurlène,

dji lès lêrè à m’ soû Kètelène.

Po totes mès tch’mîhètes èt sârots,

48    tot çoula, ci sièront por vos.

Lès pious qui sont è m’ vîye casake,

dj’è f’rè présint à Chavagnac,

qwand i r’vêrè è garnison.

52    Sov’nez-ve qui c’è-st-on grand lâron !

Qwand vos-ôrez pârlez d’ ci leûp,

fisez todi li sine dè l’ creû !

[èt] s’èl fez fé à vos-èfants

56    qwand [c’èst qu’] on pâlerè dès-Alemands.

Dji lêrè là lès strons d’ pourçê

po fé présint à cès houlpês…

Vola l’ tèstamint qui dj’ vou fé,                          397-398

60   binamêye, divant d’ènn’aler.

 

« Dialogue entre Pasquot et Robiet «, manuscrit 2e moitié XVIIe siècle (Edition dans Annales du Cercle hutois des Scien­ces et Beaux-arts, XIX, 1922, pp. 158-201). — Inventaire, n° 10.

 

  1. trôye, truie; cos’ler, mettre bas, donner des cossèts, des porcelets. — 38. vous l’engraisserez « pour vous vivre » = pour votre subsistance. — 41. cot’hê, courtil, jardin potager. — 42. si vicâriye, sa subsistance. — 43. poûtrin, poulain. — 44. morê, cheval noir. — 45. hongurlène (archaïque), hongreline, manteau ample avec de grandes basques. — 46. … à m’ sou K., au v. 14, c’est la sœur de sa femme. — 49. pious, poux. — 57. … les étrons de cochons. — 58. … à ces misérables.

 

(p.21)

ANONYME

[Les passions politiques dans la cité de Liège]

 

La longue pasquèye (1) dialoguée entre Houbièt (Hubert) et Pîron — deux compères qui représentent chacun à leur façon l’homme de la rue — évoque l’une des périodes les plus sombres de la lutte qui opposa le pouvoir princier à la démocratie liégeoise.

Pour tenir en échec le despotisme de Maximilien de Bavière, les 32 Bons Métiers de Liège avaient élu comme bourgmestres, le 25 juillet 1684, deux des chefs du parti populaire, les avocats François Renardi et Paul Giloton. A la faveur de cette élection qui désavouait la magistrature précédente cou­pable de modérantisme, les passions se rallumèrent et les factions politiques firent de nouveau régner dans la ville un climat de violence. Ces excès allaient coûter à la capitale de la principauté la perte de ses libertés démocratiques, après que Maximilien, rentré dans sa ville épiscopale sous la protection de troupes françaises et bavaroises, lui imposa le fameux Règlement du 28 novembre 1684, cependant qu’il faisait décapiter en place publique les responsables de l’agitation.

La pièce dont nous publions la première partie est un témoignage de la réaction (bourgeoise ou aristocratique ?) destinée à préparer le rétablissement de l’autorité princière contre les fauteurs de désordre incarnés dans la per­sonne des nouveaux bourgmestres et de leurs partisans. Par la bouche de Houbièt, l’auteur n’a, pour ceux-ci, qu’injures et sarcasmes. Son invective, d’une violence de ton soutenue par un style dru, aux raccourcis expressifs, est ponctuée d’une même sinistre prédiction : tous à la lanterne ! L’inter­locuteur Pîron, avec ses réflexions ou ses questions, n’est là que pour per­mettre à la colère de rebondir au récit des faits et gestes du parti vilipendé. Avec cette remarquable pièce de 1684 prend fin, en wallon, une littérature d’action qui a accompagné certains événements de la politique liégeoise au XVIIe siècle. Elle ne reparaîtra qu’au moment de la Révolution.

 

8                                                                                                      [Liège]

 

Houbièt

Tortos compté, tot rabatou,                                Vv. 1-94

on dit qu’ trinte-deûs nètches sont saze cous.

 

 

«PASQUEYE»  ENTRE HUBERT ET PIRON

 

  1. En inversant les deux termes de la formule, c’est la traduction de « tout débattu, tout bien pesé » qu’on lit chez La Fontaine, Fables, IX, 7. — 2. nètche (archaïque), fesse (lat. natica). «  Trente-deux fesses font seize culs » : allusion caustique aux 32 Métiers de qui dépendait l’élection des magistrats communaux et que le Règlement de novembre

 

(1) La forme liégeoise pasquèye correspond au français pasquille, terme qui n’a guère vécu que dans le nord. Bien qu’apparentée lexicalement à pasquin et pasquinale, la pasquèye, dans ses emplois modernes dont on trouvera des exemples plus loin, n’est pas nécessairement une œuvre satirique.

 

Wârdez-ve, vos djins ! corez-èvôye !

4   Ni v’ trovez nin avâ lès vôyes !

Lès tchins corèt po tos costés,

pés qu’arèdjîs : i s’ fat sâver !

on n’ veût ôte tchwè, po-d’vant, po-drî,

8   qui tos moudreûs, qu’ tos banqu’rotîs,

tos grands lârons, tos grands piyeûs :

co lès fât-i loumer « Monseû » !

Si vos loukîz onk è grognon,

12   ou [v’] frè présint di côps d’ baston,

di côps d’ bourâde, di côps d’èpèye :

louke di t’ sâver, ca c’èst po t’ vèye !

On n’ lès wèz’reût mây dîre on mot,

16   si vos ‘nn’avîz tot plin on bot.

Sont lès hape-tchâr di nos monseûrs :

loukîz, môrdiène, quéle bêle oneûr !

I n’ si sarint tot’fwès passer

20   di cès canayes à leû costé,

seûy po magnî ou d’ner l’ papî

po horbi l’ cou qwand il ont tchî !

Qu’is fèsse bone cîre tant qu’is pwèront !

  • Dji creû qu’on djoû s’è r’pintïront,

 

1684 allait réduire à 16 chambres électorales. — 3. Gardez-vous…; vos djins !, litt’: vous gens ! Dans une interpellation à plusieurs, le pron. pers. vos peut s’unir à un nom « pour donner de la véhémence à l’apostrophe » (DL, 700; cfr aussi L. Remacle, Syntaxe, l, pp. 239-240). — 6. pés qu’arèdjîs, pires que [s’ils étaient] enragés. — 8. moudreûs, meurtriers ou assassins; banqu’rotîs, banqueroutiers, faillis. — 9. piyeûs, pilleurs, sous-entendu : de biens publics (cfr v. 30). — 10. Encore les faut-il appeler : Monsieur 1 Dans la société antérieure à la Révolution, le titre de * monsieur » ne s’appliquait qu’aux gens des classes aisées. Le monseû dans les campagnes wallonnes désignait le châtelain du pays. — 11. grognon, groin, plais’ : frimousse. Le sens de ce vers et du suivant est : si vous dévisagez un de ces « monsieurs » (provocation ou effronterie), on vous rossera. — 13. èpèye, épée. — 14. L’interpellation s’adresse à un auditeur qu’on tutoie pour rendre plus pressant le conseil donné à tous de prendre la fuite. — 15. On n’oserait jamais leur dire une parole; lès « leur », aujourd’hui remplacé par lèzî est, en liégeois, la forme courante jusqu’au début du xvni8 siècle (cfr L. Remacle, Syntaxe, I, p. 196, n. 1). —

  1. si vous n’en [= des paroles] avez une hotte pleine. Le sens est : pour s’adresser à ces prétentieux, il faut avoir la langue bien pendue, savoir se répandre en beaux discours. —
  2. [Ce] sont les oiseaux de proie de nos Messieurs; hape-tchâr (arch.), happe-chair, homme rapace, pillard (DL, 308). Dans  tout ce  passage,  Houbièt s’en prend  aux factieux du parti des nouveaux  bourgmestres  qui  profitent impunément de leur zèle  démagogique. La forme francisante en -eûr de monseû a été rétablie pour la rime. — 19. Ils ne sauraient toutefois se passer; le sujet se rapporte,  semble-t-il, non aux factieux,  qui sont plutôt les   « canailles »   du  vers   suivant,   mais   aux   « messieurs »   eux-mêmes,   c’est-à-dire   aux comparses des bourgmestres Renardi et Giloton : Mathéi, de Looz, Le Rond, Plenevaux, Malpas, etc. — 22. horbi l’ cou, torcher le derrière. — 23. Qu’ils fassent bonne chère tant qu’ils pourront. — 24. … un jour [ils] s’en repentiront. — 27. lès, leur (cfr supra

 

(p.23) qui leû stoumak sèrè poûri

èt qu’is n’ sâront pus rin riteni,

qu’on lès hèr’rè l’ deût è gosî

28   po fé r’nârder tos cès plats-pîds,

totes cès canayes, cès-afamés

èt tos cès magneûs d’ bins d’ Cité !

I vikèt tot come dès monseûs;

32   divant l’ côp, n’èstint qu’ tos bribeûs,

qu’à pône avint-i p’on cwârelèt !

Asteûre, è l’ hale, i n’y-a qu’ por zès !

Tote li tchèrêye divant lès grés,

36    divant Noûvice, 1′ pus-assuré,

ou à Saint-Djîle avou dès lètes :

âs bons mèstrés n’ lès fât qu’ine cwède !

 

Pîron

Kipére Houbièt, ti plêdes tot seû,

40   sins-avocât, sins procureû.

Dji n’ sé, so m’ fwè, çou qu’ ti vous dîre,

ti m’ f’reûs torade plorer èt rîre.

Esplike-tu, parole foû dès dints :

44    dji n’ veû nole pât qu’ tos bravés djins,

dès braves monseûs divant lès grés

qui sont assez bin rèspèktés,

l’èpèye so 1′ cou, 1′ tchapê r’trossé,

48   dès bês cordons bin galonés,

 

  1. 15); il y a pléonasme ou redondance dans l’emploi de lès à côté de tos cès plats-pîds (v. 28); hèr’rè, futur de hèrer, fourrer, pousser avec force. — 28. r(i)nârder, rendre gorge, dégobiller. — 30. tous ces mangeurs de biens de Cité. — 31. Ils vivent tout comme des messieurs : le pronom sujet, ici, renvoie aux « canailles » dont il vient d’être ques­tion. — 32. bribeûs, mendiants. — 33. p’on = po on, pour un; cwârelèt (arch.), petit pain pétri au lait (DL, 189). — 34. … il n’y en a [de la nourriture] que pour eux; zès, variante arch. de zèls, sans doute ici pour la rime. — 35. tchèrêye, allusion à la charretée des futurs condamnés à mort; divant lès grés, devant les degrés de la cathédrale Saint-Lambert où se faisaient les exécutions capitales par décapitation, à côté de la place du Marché, voisine de Noûvice, Neuvice (cité au vers suivant). — 37. Le plateau de Saint-Gilles, sur les hauteurs de Liège, était autrefois le lieu où l’on exécutait les criminels par pendaison; « avec des lettres » : les condamnés y étaient conduits, suivant l’usage, avec un écriteau dans le dos. — 38. aux bons musiciens (litt* ménestrels), une corde suffit : jeu de mot sur « corde », celle du violon, celle du gibet. — 39. kipére, compère. — 42. torade, tantôt. — 43. … parle hors des dents, c’est-à-dire de façon claire et expli­cite. — 44. je ne vois nulle part que… = partout que… — 45. lès grés, les degrés

 

(p.25) ine bèle dintèle à mazarin

qu’èst pus lâdje qui deûs-ou treûs mins,

qui s’ porminèt, k’tapant lès brès’

52   tot insi qu’ine côr’çêye boterèsse;

lès tchâsses di sôye r’lûhèt so l’ djambe,

tot insi qu’on stron divins [‘ne] lampe.

Dji creû qu’is sont djins d’ qualité,

56    qu’ont bin dès-afêres à d’mèler.

 

Houbièt

Qu’ès-se on loûrdaud ! Où est ti-èsprit ?

T’es pus lwègne qui 1′ ci qu’èst drî mi,

qui m’ taburî là qu’ dji sî d’ssus.

60   Hoûte-mu, dji t’è dîrè bin pus.

Ci n’ sont qu’ tortos r’toûrnés boyês

qui n’ont nî pus d’esprit qu’ dès vês !

On ‘nnè f’rè mây bone fricassêye

64   s’is n’ont pindou à ‘ne fwète djalêye !

Lès fât r’côper èt bin r’tèyî atot on coûté

d’ deûs bons pîds ! So lès mèstîs, i s’ diminèt

68    come lès-arèdjîs d’ Sint-Houbièt.

N’ lès-as-se mây oyou, tot passant,

fé so leû tchambe li prèdicant?

 

(cfr note du v. 35). — 49. une belle collerette (litt4 : dentelle) à la Mazarin. Le passage (vv. 47-54) trace une peinture discrètement ironique de ces avantageux qui jouent aux gentilshommes. — 51-52. … jetant les bras en l’air / tout comme une hotteuse cour­roucée. Allusion à la renommée de ces femmes du peuple énergiques et peu commodes qu’étaient les boterèsses liégeoises. — 53. les bas de soie brillent… — 54. Référence moqueuse au proverbe liégeois : (cela reluit) comme un étron (stron) dans une lampe [de cuir] = cela ne reluit pas du tout. — 57. Que tu es lourdaud !… — 58-59. Tu es plus niais que celui qui est derrière moi, / que le tambour sur lequel je suis assis. Le taburî (arch.) désigne le joueur de tambour; le mot est employé ici par une métonymie comparable à celle de mèstré dont le sens de violoneux se double, dans les Noëls wallons, de celui d’instrument dont se sert le mèstré. — 61. … tous individus versatiles (litt. : boyaux retournés). — 63-64. On n’en fera jamais bonne fricassée / s’ils n’ont pendu ( = n’ont été pendus) par une forte gelée. — 65. [Il] les faut raccourcir et bien retailler. — 66. atot (arch.), avec; le « couteau de deux bons pieds » annonce sans doute la hache du bourreau. — 67-68. Dans les [chambres de] Métiers, ils se démènent / comme les enragés de [la] Saint-Hubert; le v. 68 fait allusion à la coutume des gamins qui tam­bourinaient sur les portes à l’occasion de la fête de saint Hubert (3 novembre), patron de la ville de Liège. — 69. oyou, entendus. — 71. Il s’agit probablement de Gilles

 

(p.24) Mây Goffârd ni pârla si bin,

72   qwand ‘1-èspliqua 1’ Bîbe à sès tchins,

qui Mathèi qwand ‘l èst so s’ tchambe,

drèssî so l’ tâve po fé l’ harandje;

i passe fré Djirâ so l’ Martchî

76    qwand i s’ kidjète avâ s’ mèstî.

N’èst-ce nin po rîre qwand ci bribeû,

so deûs treûs djoûs, divint Monseû ?

Qu’i louke si djèniyalodjèye !

80    S’ grand-pére n’aveût qu’ totès gobèyes

qui lî pindint po-d’vant, po-drî,

li hièle è l’ min atot l’ couyî,

qu’èsteût binâhe qwand ine bone djint

84   lî d’néve on brikèt à magnin!…

Si fi a stu pus djènèreûs,

il a hanté tos ritches monseûs;

atot on bê abit d’ bout-d’-sôye,

88    dîreût-on bin qu’i vint [d’ cânôye] ?

Qwand l’ tâve Plenevaux lî a flêrî,

i s’a foré d’lé Rènârdî,

d’lé Le Rond, Ernest et de Looz

92    po fricasser tortos s’ lâdje sô.

Dès s’-fêts d’ cokerês à on djibèt,

po vèyî d’ lon qué tins qu’i f’rè !

 

« Pasqueye ente Houbiet et Piron », manuscrit 1022 (n° 28) de l’Univ. de Liège, 2e moitié xvne siècle (Edition défectueuse dans Ann. Soc. de Litt. watt., IX, 1884, pp. 135-148). — Inventaire, n° 17.

Goffârd,  pasteur  de  l’Eglise  réformée  à  Dalhem  (cfr  A.S.W.,   IX,  p.   139,  n.   1).  —

  1. … à ses chiens : terme de mépris pour désigner les auditeurs du pasteur protestant. —
  2. E. Mathèi, l’un des suppôts du parti populaire visé par l’auteur. — 74. harandje, déformation de harangue. — 75-76. il (= Mathèi) surpasse le frère Gérard (allusion à un religieux connu pour ses propos outranciers ?) sur le Marché / quand il se déchaîne à travers son Métier (réuni en assemblée). •— 79. Qu’il regarde sa généalogie ! — 80. gobèyes, guenilles. — 82. l’écuelle en main avec la cuiller : c’est, en deux traits, l’esquisse d’un gueux de Cour des miracles. — 84.  … un quignon de pain à manger; magnin, forme arch.  de  magnî,  manger.  — 85.  djènèreûs,  au  sens  ancien  de :  courageux,  ambitieux, avec ici une nuance d’ironie. — 87. avec un bel habit de fil de soie. — 88.  … qu’il provient d’une fainéante?  La leçon du manuscrit  « d’  kénayrye »   (=   de  canaillerie ?) est probablement altérée; elle ne convient en tous cas ni à la mesure, ni à la rime. — 89. flêrî, puer, sentir mauvais. Le sens est : quand il a été congédié de la table de Nicolas de Plenevaux, l’un des bourgmestres du Magistrat élu en 1676. — 90. il s’est fourré auprès de Renardi, ce qui signifie qu’il a choisi l’autre camp, par opportunisme. — 91. Noms d’anciens bourgmestres, prédécesseurs de Renardi. —• 92. Le sens est : pour s’en donner tout son soûl. — 93-94. De pareils oiseaux (lit. : coqs de clocher) à un gibet / pour voir de loin le temps qu’il fera !

(p.26)

LAMBERT DE RYCKMAN

(1664-1731)

 

De famille patricienne liégeoise, né et mort à Liège, le premier de nos écrivains dialectaux sur lequel les renseignements sont plus nombreux, appa­raît comme un personnage considérable. Lambert de Ryckman, licencié es lois, devint, en 1693, membre du Conseil ordinaire de la Principauté de Liège où il siégea en qualité de représentant de la Cité. Ses séjours en diverses villes de l’Empire, ses relations avec l’Electeur de Trêves, dont il fut le conseiller, et son second mariage (1705), qui le fit entrer dans la famille de l’industriel Mariette de Schoenestadt, lui permirent de jouer un rôle dans le monde des affaires et de la politique.

Au cours d’une lettre (inédite) adressée en 1685 à son frère aîné, le capitaine Jean de Ryckman de Betz, notre futur avocat, plus porté alors vers le métier des armes que vers les arcanes de la procédure, reconnaît que son engouement n’est peut-être bien qu’un trait de plume, mais —• poursuit-il — « un homme de plume se peut tromper comme un autre et, en resvant un peu trop, au lieu de mettre la plume à son oreille, il la peut mettre à son chapeau »… Cette plume au chapeau de Lambert de Ryckman, ce fut la musa leodiensis qui la lui mit contre toute attente, après qu’il eut rimé, en homme d’esprit amusé par le jeu, les quelques centaines de vers qu’il ne prit même pas la peine de signer. Sa réputation de poète dialectal n’est en effet fondée que sur une œuvre — couramment appelée Lès-êwes di Tangue — qu’on lui attribue d’après les témoignages de deux érudits, le baron de Villenfagne (apparenté à ses descendants) et Charles-Nicolas Simonon.

Ryckman avait été mis en verve par un traité de 1699 où l’on vantait « les vertus admirables des eaux de Spa » : l’année suivante, il écrivit un Eloge des vertus admirables des aiwes di Tangue pour discréditer la fontaine miné­rale, dite de Pline, à Tongres, dont un collège, composé de trente-deux médecins, avait solennellement proclamé les vertus thérapeutiques, le 24 août 1700.

Avec une virtuosité servie par la netteté d’un style épigrammatique, Ryckman, usant d’un procédé fréquent en polémique, met à l’actif des eaux de Tongres maintes cures merveilleuses plus bouffonnes et désopilantes les unes que les autres. Sans rien en laisser paraître, l’auteur entendait de la sorte ruiner les espérances médico-touristiques de la bourgade thioise, jalouse du prestige de Spa.

Les 382 octosyllabes du placard anonyme firent merveille. Des copies cir­culèrent auxquelles on ne se fit pas faute d’ajouter quelques développements parfois heureux, tandis qu’une plate Réplique al paskèye des Aiwes di Tangue permettait de mesurer l’écart avec « la reine des satires wallonnes » (J. Haust).

A Lambert de Ryckman on peut aussi attribuer une pièce que les circons­tances de sa composition font remonter au plus tôt à l’extrême fin du xvii6 siècle. C’est l’éloge mi-figue, mi-raisin d’un prêtre, doyen des marguilliers de Liège, pour célébrer son jubilé de desservant à Saint-Adalbert, la paroisse (p.27) natale de Ryckman et de ses ancêtres. Pasquèye vivement enlevée, savoureuse avec ses détails familiers et cléricaux, modèle accompli dans un art de bal’ter le prochain dont on sait qu’il ne prend jamais sans vert les fils de la tur­bulente nation liégeoise.

 

9                                                                                                      [Liège]

[Lès-êwes di Tongue]

(Extraits suivis)

 

Les eaux de Tongres, dit l’auteur, opèrent des cures miraculeuses…

 

I n’y-a nole sorte di maladèye,                         

qui fwète seûy-t-èle èt arèdjèye,

qui ciste êwe-là ni tchèsse pus lon

4   qui dè Martchî djusqu’â Pèron;

èt si djamây tot l’ monde è prind,

sièrè co bin pés avou l’ tins,

ca minme lès Tîhons ont èspwér

8    qu’ile pwèrè fé r’viker lès mwérts

èt, qu’à ‘nnè beûre, tos lès dj’vâs d’ Tongue

di roncins pwèront div’ni hongues,

qu’ile sièrè bone po lès pucèles

12    qu’âront lèyî spiyî leû hièle,

èt ‘l lès sârè si bin r’sôder

qu’ lès-aveûles s’î lêront tromper…

 

Kibin n’y-a-t-i dèdja d’ mirâkes                          

16 qu’ile nos-a fêt dèpô lès Pâkes ?

Hoûtez : po n’ nin bêcôp minti,

dji n’ vis raconterè qu’ lès pus p’tits.

 

LES EAUX DE TONGRES

  1. quelle que forte et forcenée soit-elle. — 4. Le sens est ironique : chasser la maladie « du Marché jusqu’au Perron », cela revient à ne pas la chasser du tout puisque le Perron liégeois se trouve sur la place du Marché. — 6. [ce] sera…; sièrè, diphtongaison analogique de sèrè. — 7. Tîhons, Thiois, nom ancien donné par les Liégeois aux germano­phones, ici Flamands. — 8. … faire revivre les morts. — 10. roncin, étalon; hongue, cheval hongre. — 11. île, forme arch. pour èle, elle. — 12. qui se seront laissé déflorer; hièle, litt. écuelle. — 13. car [l’eau] les ressoudra si bien. — 14. aveûle, aveugle (ici, au fig.). 16. dèpô, depuis. — 19. tchîr, chier. Ici et plus loin, la scatologie est fréquente. On rappellera une fois pour toutes, à propos de nos anciennes pièces dialectales, le jugement de J. Haust : « Le parler populaire tient plus de Rabelais que des précieuses » (DL, p. XXIII). —

 

(p.28)

In-ome di Spâ qui n’ poléve tchîr,

20    qwand ‘l-eût seûlemint odé 1’ foumîre,

fout oblidjî dè d’fé là min.me

si cou-d’-tchâsses èt tchîr è l’ fontin.ne.

Ine Lîdjwèsse qu’èsteût si halcrosse

24 qui s’ curé 1′ coudant è l’ fosse,

nosse fontinne lî fit si grand bin

qu’il î pièrda 1′ dreût d’ètéremint.

On nôbe, qu’aveût si pièrdou l’ gos’

28 qu’i n’ poléve pus magnî dè ros’,

so dî djoûs magna treûs motons,

quatwaze coks d’Inde èt vint tchapons.

Ine pôve sôlêye, à Coronmoûse,                               225-252

32 sortant dè ro rôla è Moûse;

i n’ fourit nin quidem cwahî,

mins i manka bin d’èsse nèyî

èt s’ hapa ine si grosse hisdeûr

36 qu’i n’ féve qui hiter à tote eûre.

I vinve à Tongue èt, fwèce di sogne

dè beûre di l’êwe (qwèqu’ile seûy bone),

si sèra l’ coûr èt l’ cou si fwért

40 qui, fâte dè tchîr, i touma mwért.

On vî bouname di nonante ans                                257-250

qu’aveût vol’té de fé ‘n-èfant,

mins come vos polez bin pinser,

44 i n’aveût nin dè l’ fwèce assez,

 

  1. … respiré la fumée (ici, la vapeur). — 22. cou-d’-tchâsses, haut-de-chausses, pantalon. — 23. halcrosse, ici : mal portante. — 24. … la condamna à la fosse (des trépassés). Le passé simple en -i se rencontre dans les textes liégeois des xvne-xviii’ siècles; -dani èl : jeu de mot sur le nom du médecin liégeois Daniel, l’un des 32 docteurs mandés pour attester les « vertus » de la fontaine minérale de Tongres; l’auteur use de ce genre d’allusions en plusieurs endroits de sa pasquèye. — 26 qu’il (le curé) y perdit son casuel de funérailles. — 27. Un noble qui avait tellement perdu le goût. — 28. dè ros’, du rôti. Nouveau calembour, cette fois sur le nom d’un des trois délégués du prince-évêque de Liège à l’analyse des eaux : le baron de Roost. — 29-30. … trois moutons, / quatorze dindons et vingt chapons. — 31. sôlêye, ivrogne; Coronmoûse, faubourg à la limite de Liège et de Herstal, en bordure de la Meuse. — 32. ro, terme de batellerie : cabine située au milieu de la péniche (DL); de ro, approximation sur le nom du médecin liégeois Derord (comp. w. 24 et 28). — 33. il ne fut pas [vraiment] blessé. L’insertion de l’adv. latin quidem ne s’explique sans doute que par un jeu de ricochet à partir de l’initiale cw-. — 34. nèyî, noyé. — 35. hisdeûr, frayeur. — 36. hiter, foirer, avoir la diarrhée. — 37. il vint à Tongres et, à force d'[avoir] peur. — 39. il se

 

(p.29) buva lès-êwes qwinze djoûs durant

èt d’on seû côp fit treûs-èfants.

In-îpoconde, qu’aveût è 1′ tièsse

48   ine niyêye di djônès-aguèces,

prit di noste êwe po s’è fé qwite

èt lès hita turtotes è vike.

On scorbutike à quî lès dints

52   come dès cayets d’ bwès lî r’mouwint,

n’avala d’ nos-êwes qu’on hèna

èt tote li machwére lî touma.

Onk à quî treûs deûts d’zeû l’ narène                    259-262

56    èsteût crèhou ine pére di cwènes,

ni mèta qu’on pô d’êwe so s’ front

èt sès cwènes toumint è poûhon.

On bômèl si inflé d’êwelène                                     271-278

60   qu’à pône lî vèyéve-t-on s’ narène

buva treûs pots, piha sî tones,

èt d’vinve ossi grêye qui pèrsone.

In-ètike, si mwért èt si lêd

64   qui 1′ Lazâre èsteût è wahê,

buva d’ nos-êwes èt d’vinve si crâs

qu’è râlant i crèva on dj’vâ.

On marihâ, pité si fwért                                        287-298

68    qui 1′ fiér di dj’vâ moussa è s’ cwér,

à bout d’ dî djoûs piha sî clâs

et l’onzin.me djoû li fiér di dj’vâ.

Ine feume di sèptante ans èt d’mèy,

72   qui mây n’aveût stu grosse è s’ vèye,

si bagna d’vins l’êwe disqu’âs spales

et, so noûf meus, eût-ine djèrmale.

 

ferma (litt. : serra) le cœur… — 48. une nichée de jeunes pies. Fantaisie plaisante puisqu’il s’agit d’un malade imaginaire. — 50. è vike, en vie. — 51. Le scorbut compte parmi ses symptômes le déchaussement des dents. — 52. [les dents] lui remuaient comme de petits morceaux de bois. — 54. L’effet de la cure est dérisoire : le patient perd sa mâchoire. — 55. narène, nez. — 56. … une paire de cornes (signe de cocuage, nouveau trait bouffon). — 58. poûhon désigne ici la fontaine d’eau minérale. — 59. Un obèse si gonflé par l’hydropisie. — 62. et devint aussi maigre que quiconque. — 63. Un chétif si cadavérique… — 64. è wahê, dans le cercueil. — 66. qu’en s’en retournant… — 67. marihâ, maréchal-ferrant; pité, qui a reçu un coup de pied. — 69. … six clous. — 74. djèrmale, deux enfants jumeaux. — 75. bol’djî, boulanger. — 77-78. en trois jours,

 

(p.30) On pôve bol’djî qui, so treûs-ans,

76   n’aveût polou magnî qu’ treûs pans,

so treûs djoûs vinve si ragoster

qu’i s’ formagna èt s’ va briber.

On pèlurin qui, d’ seû morant,                              309-320

80 avala s’ calebasse tot buvant,

èl vinve rinârder è 1′ fontin.ne

ossi plate qui covis’ di rin.nes.

On pôve hayeteû si fwért toumé

84   d’ine grande toûr, qu’i s’aveût towé,

ossi twèt qu’ nos-êwes ‘1 eût sintou,

l’âme lî r’moussa divins po 1′ cou.

Ine feume qui fwèce dè claboter,

88    aveût s’ linwe qui voléve toumer,

buva lès-êwes qui lî r’clawint

si fwért qu’ile tinéve à sès dints…

Enfin, si di fi èn-awèye,                                            529-352

92   dji d’héve li rèsse di ses mèrvèyes,

dj’ènnè d’vreû fé on lîve po l’ mons

come li ci dè qwate fis-Aimon ! [1700]

 

« Eloge de Vertu admirable des aiwe di longue », pla­card à 4 col., s.l.n.d. — Original demeuré inconnu du Choix et du Bull. Soc. de Litt. wall., XXI (1886) qui reproduisent un texte plus ou moins altéré. — Inventaire, n° 231.

vint se remettre en appétit [si bien] / qu’il mangea avec excès et va [maintenant] men­dier. — 81. vint la vomir. — 82. aussi plate (il s’agit de la calebasse ou gourde du pèlerin) que frai de grenouilles. — 83. hay’teû, couvreur de hayes, ardoises. — 84. towé, tué. — 85. aussi vite qu’il eut senti nos eaux. — 86. l’âme lui rentra dedans par le c. — 87. … à force de bavarder. — 88. avait la langue sur le point de (litf : qui voulait) tomber. — 89. … qui [la] lui reclouèrent.

  1. … de fil en aiguille. — 94. C.-à-d. un gros volume, le roman de chevalerie des Quatre Fils Aymon comportant de nombreux épisodes.

 

(p.31) 10

Pasquèye so l’an djubilé di Monseû Adam Simonis,

Doyin dès mârlîs de 1′ vèye di Lîdje

(Extraits suivis)

 

Dèpus qu’Adam, li prumî ome,                           Vv. 1-26

a stron.né 1′ monde tot magnant ‘ne pome,

on n’eût djamây ine si-fête fièsse

4   inte lès curés èt lès priyèsses

qui l’ cisse d’oûy qu’on mâssî d’pihî,

qu’a stu pus d’ vint’-cink ans mârlî,

nos fêt fé tos, mâgré nos dints,

8    po s’ fé r’passer po ome di bin.

I s’ lome mêsse Adam Simonis :

Diè-wâde di lu èt d’ tos sès vices !

Ca s’i v’s-èl faléve imiter,

12   il eûh mîs fêt dè mons viker.

Prumîremint, c’è-st-ine sôlêye

qui n’est mây sêve tot l’ long d’ l’an.nêye;

c’è-st-on trèmeleû si èstchâfé

16    qui v’ djouwereût djusqu’â strin di s’ lét;

il a pus d’ françwès d’vintrin.nemint

qu’i n’ djowe divins l’ mér di harings;

c’è-st-on coreû qu’èst pus vol’tî

20    avâ lès tchamps qui d’vins s’ mostî,

 

« PASQUEYE »  SUR LE JUBILE DE MONSIEUR ADAM SIMONIS, DOYEN  DES MARGUILLIERS  DE LA VILLE DE  LIEGE

 

Simonis, forme latinisée de Simon; le personnage est cité dans un texte d’archives de 1693 (cfr note du v. 64).

 

  1. Allusion plaisante au prénom du jubilaire. — 2. a étranglé le monde en mangeant une pomme. — 4. priyèsse, prêtre. — 5. … qu’un sale compissé; comp. v. 76. — 6. mârlî, marguillier. Dans l’organisation paroissiale de l’Ancien Régime, l’office de marguillier était parfois confié à un prêtre, qui cumulait alors ces fonctions avec celles de vicaire ou de chapelain. — 7. «… malgré nos dents », c.-à-d. malgré nous. — 10. Dieu [vous] garde de lui et de tous ses vices ! — 12. Le sens du passage est : ses défauts sont si nombreux que, s’il vous fallait l’imiter, il eût mieux valu qu’il vive moins longtemps. — 14. sève (opposé à sô, saoûl), qui est lucide. — 15. trèmeleû, joueur qui s’adonne aux jeux de hasard. — 16. … jusqu’à sa paillasse. — 17. françwès, francs, monnaie de France; d(i)vintrinn’mint, par devers lui. — 18 qu’il (impersonnel) ne joue (au sens de : bouger, frétiller) de harengs dans la mer. — 19. coreû, coureur (ici : de femmes). — 20. … que

 

(p.32) èt s’i s’a lèyî fé priyèsse,

ç’a stu po s’ vindjî di s’ mêtrèsse…

Admirez d’ là çou qui pout v’ni

24   di ciste èplâsse qu’a stu tchûzi

di turtos lès mârlîs dè l’ vèye

po èsse li doyin d’ leûs soterèyes !

 

L’auteur énumère ensuite brièvement les profits du casuel qu’Adam Simonis retire de sa charge, avant de conclure sur ce point :

 

Ossi, dji m’ trompe si, d’vins pô d’ tins,                 33-48

28   on n’ vièrè nin ci bon doyin

cori à l’ copète di s’ grand dj’vâ

li rôlant tch’min di l’ospitâ !

Mins lèyans-le à bon compte aler.

32   Pârlans seûlemint di s’ djubilé

èt priyans turtos ci djoû-ci

qui 1′ bon Dièw èl vôye convèrti,

qu’i 1′ lêye èco viker trinte ans,

36    rin qu’à 1′ peûre êwe èt à neûr pan,

à l’ discipline, âs tchôtès lâmes

afin qu’i pôye co sâver si-âme.

Et po n’ nin troûbler cisse djoûrnêye,

40    ni lî d’hans nin co totes sès vrêyes :

çoula lî freût monter l’ foumîre.

Ça ! boûrdans putwèt po l’ fé rîre !

 

On en arrive ainsi à la fête jubilaire proprement dite. D’abord la grand-messe solennelle qu’Adam, glorieûs d’èsse èrî di s’ lèçenî (de son lutrin) et raide comme un piquet — i s’ tint pus reûd qui l’ Roy dès fèves ! —, célèbre au maître-autel, entre diacre et sous-diacre. A l’office religieux succède le banquet, qui s’achève en liesse générale…

 

dans son église (litt. : moûtier). — 24. èplâsse, emplâtre (ici, au fig.); tchûzi, choisi. — 26. — Allusion dédaigneuse (soterèyes, folies) à l’usage des marguilliers liégeois de se choisir un doyen (doyin, forme arch.) qui était sans doute le plus âgé d’entre eux.

  1. à l’ copète, au sommet; ici : à la tête (de son cheval). — 30. le roulant chemin de l’hôpital, c.-à-d. le chemin bien carrossable, celui où l’on avance vite. — 36-37. Allusion aux pratiques de l’ascèse chrétienne. — 40. ne lui disons pas encore toutes ses vérités. — 41. … la fumée (de la colère ?). — 42. putwèt, plutôt.

 

(p.33) Après qu’il a si bin tchanté,                                91-fln

44   i prèye turtos 1′ monde à dîner.

Tot l’ monde s’î troûve qui èst priyî,

Min.me pus vite à l’ tâve qu’è mostî.

On fêt téle fièsse èt téle magnerèye

48 qu’on freût mây è l’ pus ritche abèye,

à l’ grande souweûr dè l’ pôve Marèye,

loumêye cint fèyes cûrèye è s’ vèye.

Tot çou qu’on sâreût mây pinser

52 si troûve à l’ tâve di djubilé.

Il a min.me divant s’ longue narène

dès prôpès tripes di Célèstènes,

èt dji creû qui l’ duk di Bavîre

56    ni fit nin è s’ paye si bone cîre,

li trazin.me djoû dè meûs dès pouces,

qwand on lî d’na s’ cocogne d’awous’.

On î beût tot come dès Timplîs,

60   dè blanc, dè rodje èt dè mahî.

Li k’pagnèye èst d’ si bèle oumeûr

qu’on crîve à rîre ot’tant qu’à beûre.

Adam ni parole pus d’ procès

64   conte Doupèye qui lî touwa s’ tchèt,

qu’èsteût ine si binamêye bièsse

qui d’ lontins i n’ l’eût foû di s’ tièsse.

On §st si èbirlicoké

68    qui si on fouhe èco monté

 

  1. Le sens  est :  on  se  presse  bien  plus  vite  à  la  table  du  dîner  qu’à l’église.  —
  2. magn(e)rèye, mangerie (dans le sens de l’abondance). — 48. abèye, abbaye. — 49. à la grande sueur de la pauvre Marie : il s’agit de la cuisinière, habituellement maltraitée (cfr vers suivant). — 50. loumêye, autre forme de noumêye, nommée, appelée; cûrèye, charogne.  L’auteur cherche visiblement un effet comique, dont il s’amuse, par l’accu­mulation des  finales  en -èye;  ce  goût de la fantaisie verbale  apparaît aussi  dans les Ewes. — 54. d’authentiques tripes de Célestines : ce mets, sans doute fort apprécié, nous est inconnu. — 55-58. Quel est ce duc de Bavière dont on nous dit qu’il ne fit jamais si bonne chère (cîre),  « en sa paix », qu’au « treizième jour du mois des puces, quand on lui donna ses œufs-de-Pâques du mois d’août » ? Nous supposons qu’il s’agit d’une plaisanterie burlesque, liée peut-être à quelque dicton populaire. — 60. du [vin] blanc, du rouge et du coupé. — 61. L’assemblée… — 64. Il s’agit de Lambert Doupèye, membre du clergé de Saint-Adalbert; on le trouve cité en 1693, faisant fonction de notaire pour la rédaction d’un acte testamentaire où est témoin  « Adam Simon, prêtre »  (Arch.  de l’Etat à Liège, S’ Adalbert, Stock 186, fol. 120). — 67-70. èbirlicoqué (arch.), embrelu-coqué. Les invités ont la tête trouble à la manière dont les visiteurs qui montent au sommet de la tour de Dinant (= la citadelle ?) se sentent pris de vertige : on perd même son

 

(p.34) à 1′ copète dè l’ toûr di Dinant :

on pièdreût s’ tchapê tot d’hindant.

Sès parochins sont si plins d’ djôye

 72   qu’is dansèt tot-avâ lès vôyes :

is s’ont mètou so leû pus gây;

qui târd qu’il èst, pèrsone ni bâye;

is sont turtos pus dispièrtés

76    qui qwand Adam piha-t-è lét.

Ci n’ sont qui djeûs èt [qui] tchansons,

dès fouwâs èt dès cramiyons,

èt, po loumer lès rontès danses,

80   on broûle èco mèye vèyès hanses.

Vos vièrez min.me qui, cisse swèrêye,

on lî f’rè voler dès fizêyes;

po l’ mons dè monde lès djins d’ rouwale

84   lî vêront djèter dès macrales,

èt, si ç’ n’èsteût l’ mâjôr dès pwètes,

on lî djowereût min.me lès palètes.

Mês dji n’âreû djamây tot fêt

88    si dji v’ racontéve tot-à-fêt.

Têhans-nos don, ni d’hans pus rin

afin qu’i vasse dwèrmi contint !

 

Copie par Fr. Bailleux (vers 1850) faite sur un manuscrit de la main d’un des petits-enfants de L. de Ryckman. Aucune édition connue. — Inventaire, n° 143.

chapeau pendant la descente ! — 71. parochin, paroissien. — 73. so leû pus gây, expr. comparable au fr. « sur leur trente-et-un ». — 74. si tard qu’il est, personne ne bâille. — 75. dispièrtés, éveillés. — 76. … pissa au lit. — 78. des feux [de joie] et des farandoles; cramyon, à l’origine : zigzag, s’est altéré au XIXe s. en crâmignon. — 79. loumer, éclairer. — 80. on brûle aussi mille vieux paniers. — 82. fizêye, fusée; allusion probable à un feu d’artifice. — 83. à tout le moins, les habitants des ruelles (les petites gens). — 84. macrales : détail obscur. Le sens de sorcières » est exclu; peut-être faut-il y voir un synonyme de plake-madame, nom liégeois de la capitule bardane dont s’amusent les enfants ? — 85. Le « major des portes » était, à Liège, l’officier chargé de veiller à la fermeture des portes de la ville, à la nuit tombée, et à l’observance du couvre-feu; il était responsable du calme qui devait alors régner dans les rues. — 86. djower les palètes, faire un charivari. — 87-88. Cornp. avec les derniers vers cités des Ewes.

 

(p.35)

ANONYME

« Paskaye récitee a la benediction du reverendissime Abbé de Saint-Laurent »

(Extrait)

 

Le 7 janvier 1718, les moines de l’abbaye bénédictine de Saint-Laurent à Liège élisaient Grégoire Lembor à la tête de leur monastère. Le nouvel abbé mitre était âgé de 39 ans. C’est à l’occasion de sa consécration, qui eut lieu le 26 juin suivant, que fut composée une longue pasquèye de 224 vers dont nous reproduisons la fin.

Sous l’Ancien Régime, il était courant de célébrer par une pièce de cir­constance en vers les succès et les promotions des notables, principalement des gens d’Eglise. Au pays de Liège, l’usage se répandit, surtout au xviir3 siècle, d’utiliser le parler du cru pour les compliments de cette sorte. L’emploi du dialecte, par son naturel et sa vivacité, permettait au panégyrique d’échap­per au ton ampoulé et au style conventionnel.

La wallonade en l’honneur de dom Lembor appartient au courant de la pasquèye cléricale et elle en constitue une des réussites les plus typiques. Signée «par son très humble serviteur L*** », elle émane incontestablement de l’entourage du nouvel élu, comme le prouvent sa connaissance de la vie monastique et de l’Ecriture autant que la bonhomie avec laquelle, s’adressant à lui (il est probable qu’il lisait sa pièce après la cérémonie religieuse), il remémore souvenirs et anecdotes. Sans avoir la verve sarcastique de Lambert de Ryckman évoquant le jubilé du prêtre-marguillier Adam Simonis, l’auteur agrémente d’un tour personnel un éloge qui ne cesse de se montrer enjoué d’un bout à l’autre de la pièce. Après le « vivat » d’acclamation (1), celle-ci débute par le récit du scrutin avec les échos qui en résultèrent; c’est alors les congratulations du tout Liège, la joie de la famille, le passé du nouveau dignitaire — tout cela dans une langue spontanée pleine d’exclamations et d’anacoluthes qui en soulignent le caractère oral… Pour terminer par la description du prélat en habits pontificaux et de plaisants souhaits de longue vie. Mais cédons ici la plume à l’auteur.

 

(1) Vîvâ, vîvâ, vîive è liyèsse, / vîive nost-abé qu’a l’ mite so l’ tièsse !

 

(p.36)

11                                                                                               [Liège]

 

C’è-st-âdjourdou, c’è-st-âdjourdou                         Vf. 169-fin

qui quî ni f’âreût mây vèyou

pinsereût, d’pu lès pîds djusqu’à 1′ tièsse,

4   vèyî on diamant tot d’ine pèce.

Qwand Monsègneûr di Tèrmopole.

avou sès-oficîs d’ Hoscol

(dji vou dire turtos lès-abés

8    qu’èstint nécèssêres po v’ mitrer),

so m’ fwè, s’is n’ sont nin coturîs,

i v’s-avint galan.mint moussî,

èt dji n’ creû nin qui tot Paris

12   vis tèyereût dès pus bês-abits.

Pére Côrèt, qu’on mè l’ vasse houkî,

lu qu’a vèyou dès-andjes à [l’] mîs,

i toumerè d’acwérd avou mi

16    qui v’s-èstez eune dè Paradis.

Vos n’ mètrez pus è vosse hatrê,

come lès-ôtes mônes, ine poyowe pê;

li côp d’ calote di v’loûr pèterè,

20   èt ine creû d’ôr come on pâbiè

qui barlokerè tot-avâr vos,

èt tot plin vos deûts dès dorlots;

vos prôpès tchâsses èt vos solés

24   d’ôr èt d’ârdjint turtos brosdés !

 

  1. f’ = v’ (vous); de même au v. 41. Le DL 700 relève ce passage de v à f en quelques points de l’aire liégeoise. — 5. Il s’agit de Louis-François Rossius de Liboy, évêque suffragant de Liège promu en 1696 au siège de Thermopyle; le suffragant ayant dans ses charges la bénédiction des abbés mitres, notre évêque in partibus procéda à la con­sécration d’une vingtaine de supérieurs de monastères entre 1702 et 1728. — 6-7. Les « officiers » désignent ici les deux prélats qui assistaient l’évêque suffragant au cours de la cérémonie de consécration. Le nom propre de * Hoscol » nous est resté impéné­trable. — 9. coturîs, couturiers. •— 13-14. Le père Jacques Coret, natif de Valenciennes, était connu à l’époque comme auteur d’opuscules pieux, imprimés à Liège. Certains titres en révèlent la tendance « angélique » : La semaine des soupirs amoureux envers l’enfant Jésus, L’ange gardien, protecteur spécialement des mourants, etc. — 18. La poyowe pê (peau de poil) désigne l’aumusse dont les moines se couvraient les épaules durant les offices. — 19. Vers difficile à traduire, mais on imagine bien la calotte violette se poser sur le crâne d’une main assurée ! — 20. et une croix d’or comme un papegai : la croix pectorale du prélat est comparée à l’oiseau suspendu au collier que portaient sur la poitrine les dignitaires des compagnies d’arbalétriers. — 22. dorlots, anneaux, bagues. — 24. tout brodés d’or et d’argent. — 34. et votre haut-de-chausses tient bien ses plis : sa raideur lui vient sans doute de ce qu’il est bien rempli… —

 

(p.37) S’is v’ div’nint trop p’tits ou trop vis, hê !

wârdez-me lès por mi tchâssî.

Dji creû qu’is sont bons po l’s-aguèsses,

28 di pawou qu’ lès pîds n’ èdjalèsse,

dji r’vindreû lès solés, lès tchâsses

èt dj’è f’reû dès bonès-èplâsses…

Dji sohête qui d’vins cinkante ans

32 nos-è polanse co fé ot’tant !

Vos v’ pwèrtez bin, à çou qui dj’ veû,

èt vosse cou-d’-tchâsses tint bin sès pleûs;

èt vosse mène nos fêt èspérer

36 qu’âhèyemint vos f’rez djubilé.

Li mite — dîrez-ve — è-st-on fârdé

qui m’ f’rè racrampi mès-ohês.

N’âyîz nin sogne : po dès gros rins,

40 lès p’titès cohes ni ployèt nin,

èt on f’ a d’né dés-âdjourdou

ine crosse po qwand v’ sièrez tchènou.

Dji v’ sohête l’âme colêye è cwér

44  come âs cis d’ Hêve, deûre come dè fiér !

Vikez dès-an.nêyes à qwâtrons,

èt todi l’ pây è vosse mohon !

Vikez dès-an.nêyes avou nos

48 ot’tant qu’i n-y-a d’ pièles avâr vos.

Pa ! vos n’èstez nin èhalis’,

vos n’ fez nin pus d’ brut qu’on novice.

Vikez, dène Prélât, co pus vî

52 — dès s’-fêts qu’ vos costèt trop’ di d’nîs —

 

39-40. rins, branches d’arbre. On peut traduire : ce ne sont pas les grosses branches qui font plier les petits rameaux. Autrement dit : ce n’est pas parce que la charge est lourde qu’elle vous anéantira. — 43-44. « L’âme rivée (litt* : collée) au corps comme les gens de Hervé » reprend un dicton populaire qui attribuait une réputation de durs-à-cuire aux habitants de la petite ville de Hervé, au nord-est de Liège. — 45. qwâtrons, quarterons. — 49. èhalis’, encombrant. — 52. des pareils que vous coûtent trop de deniers. Allusion à la dépense somptuaire qu’entraînaient pour une communauté religieuse l’élection et l’installation d’un nouveau supérieur.

 

(p.38) vikez (ho ! qui n’ si pout-i fé !)

noûf cints-ans come Matîsalé !

 

Et tandem

56   Loukîz dè fé dès vîs-ohês :

c’è-st-ine bèle plome à vosse tchapê !

 

  1. piron, Un poème wallon de 1718 pour un nouvel abbé de Saint-Laurent de Liège, dans le collectif Saint-Laurent de Liège, église, abbaye et hôpital militaire. Mille ans d’his­toire, Liège, Solédi, 1968, pp. 182-184 (d’après le placard imprimé à 3 col., Bibl. de l’Univ. de Liège, Réserve : Varia in-folio 51). — Inventaire, n” 146.

 

(p.39)

ANONYMES

Chansons d’amour dialoguées

I [Binamêye Zabê]

 

« Ancienne chanson (1700 ?) » dit laconiquement l’Annuaire de la Société de littérature wallonne (t. 6), qui la publie en 1871 sans nom d’éditeur ni indication de source. Jean Haust, en la reproduisant à la fin d’un recueil où les femmes et l’amour sont passablement malmenés, écrit à son sujet : « La courtoisie du jeune paysan, l’accueil sérieux et prudent de la jeune fille, la réponse résolue de l’amoureux et ses projets d’avenir, cette naïve oaristys fait sourire sans doute, mais quel gentil couple sympathique et quelle humble leçon de confiance dans la vie ! A peine un mot de sentiment dans ce duo, et cette sorte de pudeur est bien de chez nous. Enfin la pièce semble inachevée, ce qui est peut-être un charme de plus… ». On ne saurait mieux dire.

 

12                                                                                                     [Liège]

« O ! bondjoû, m’ binamêye Zabê ! (bis)

âdjourdou qu’i fêt si bê,

dj’ so v’nou à Montegnêye;

èscusez-me si dji v’ displê :

5              c’èst po 1′ prumîre fèye.

 

  • O ! qui v’nez-v’ fé si Ion voci ? (bis)

n’y-a-t-i nin è vosse payîs

dès djônès bâcèles, èco dès pus ritches qui mi,

10              èco dès pus bèles ?

 

  • O ! siya, m’ binamêye Zabê ! (bis)

n’y-ènn’ a bin, mins ç’ n’èst nin m’ fêt,

dji v’s-èl wèse bin dîre :

èles n’ont nin dès s’-fêts-atrêts

15              qui vos, à m’ manîre !

 

  1. Zabê, Isabeau. — 3. à Montegnée, banlieue de Liège. — 6. … si loin par ici. — 12. il y en a bien, mais ce n’est pas mon genre. — 13. wèse, ose. — 19. pour épargner quelques sous; broûlé, ancienne monnaie liégeoise en cuivre. —

 

(p.40) —  O ! dji n’ mi pou co mariyer ! (bis)

i fat qu’ dj’aprinse à ovrer,

dj’ nèl wèse câzî dîre,

po spârgnî deûs’ treûs broûlés

20              po mète po l’avenîr.

 

—  Nos-îrans è bwès d’ Robièmont, (bis)

nos-îrans fé dès ramons

et s’ lès-îrans-ne vinde;

nos pwèrans fwèrt bin spârgnî

25              po dès bonès rintes.

 

Et si nos n’ polans fé insi, (bis)

nos-îrans avâ 1′ payîs

po vinde dès-îmâdjes,

et s’îrans-n’ tchanter d’ nosse mîs

30              à Lîdje, so 1′ pont d’s-Âtches. »

 

  1. haust, Dix pièces de vers sur les femmes et le mariage. Coll. « Nos Dialectes », Liège, Vaillant-Carmanne, 1941, pp. 94-95. — Inventaire, n° 293.

 

II

[Dj’han-qui-plôye et Lînète Makêye]

 

Autre chanson d’amour, également dialoguée, transcrite d’un vieux carnet de famille où l’on trouve d’autres pièces qu’il est possible d’assigner au milieu du xvme siècle. Notre dialogue est un badinage entre un amoureux que l’amour n’a point transi et une très jeune fille hésitante entre la sincérité et la coquetterie. Le débat forme l’embryon d’une petite scène enjouée où l’on devine des emportements, des moues, des agacements, des inquiétudes, le tout couronné de nouveau par une confiance en l’avenir. « Je serai toujours Lînète et vous serez toujours Jean ». Façon de dire : nous serons toujours les mêmes l’un pour l’autre, sans changer.

 

  1. pour mettre de côté… — 23 et 29. èt s’, loc. copulative (= et). — 21. dans le bois de Robermont, sur l’une des hauteurs de Liège. — 22. ramon, balai. Le type de la martchande di ramons était encore commun à Liège, au XIXe siècle : voy. la fig. 551 du DL. — 24. pwèrans, forme archaïque pour pôrans, pourrons; spârgnî, épargner. — 30. Le pont des Arches, à Liège, était le lieu de prédilection des chansonniers populaires, qui y proposaient aux badauds leurs pasquèyes.

 

(p.41) Mais cette façon de dire est le langage même de la vie, primesautier, concret, imagé. La naïveté du dialogue n’empêche pas la pièce d’être fort habilement composée sur deux rimes. Ce qui nous vaut ça et là quelques gallicismes, atours un peu artificiels qui ne sont pas pour gâter la parure charmante et fraîche de ces accordailles villageoises. Car la chanson du peuple, quand elle parle d’amour, se fait volontiers une chanson jolie…

 

13                                                                                      [Ouest de Liège]

Tchanson ou dialogue inte Dj’han-qui-plôye et Lînète Makêye

 

« Djo-wâde fèye, djo-wâde brantchète,

vos-èstez todi m’ diamant !

Ni tchante nin co l’âlouwète

4   qwand v’s-èstez avâ lès tchamps.

Por vos, dj’a todi 1′ hikète,

dji n’ pou pus magnî dè pan

si dji n’ vis-a po m’ poyète,

8    si dji n’ so voste ortolan.

— Ci sont totès colibèt’

qui vos m’ contez, loyâ Dj’han !

Dji so èco trop djônète

12   po intrèteni dès galants.

Mês dj’a ‘ne sakwè qui m’ toûrmète,

dji creû qu’ c’è-st-on diâle volant

qui fêt qui dj’ so-t-inquiyète,

16    qui m’ fêt avu l’ trosse-galant !

 

TITRE. … Jean-qui-plie; Lînète, dim. fém. de Lînâ, Léonard; makêye, sorte de fromage blanc et mou, ici, au fig., sans doute pour désigner l’extrême blancheur de Lînète.

  1. Dieu [vous] garde; brantchète, sur le sens affectueux de « branchette », voy. plus haut le texte no 7, note du v. 1. — 3. Inversion du sujet. — 5. Avoir la hikète (litt’ : hoquet) pour un être ou un objet, c’est le convoiter ardemment. — 7. poyète, poulette (ici, t. d’affection).
  2. colibèt’, sornettes, baratin. — 10. loyâ Dj’han, lourd Jean (en fr. pop. : grand sot, nigaud). — 14. … que c’est un diable qui ne tient pas en place; diâle-volant n’a rien à voir ici avec le nom liégeois du tarare. — 16. le « trousse-galant » désigne, au figuré, le mal que définit Littré (s. v°) : « sorte de maladie violente et rapide qui abat, emporte le malade en peu de temps ». Lînète ne saurait mieux avouer son envie d’avoir un amou­reux, car le jeu de mot sur galant est évident.

 

(p.42) —  C’est l’amor qu’è-st-à l’aguiète :

i fât qu’il âye bin dalant !

C’è-st-ossi lu qui v’ dispiète

20   qwèqu’i fasse li fâs-dwèrmant.

S’i vout intrer po vosse pwète,

i n’a qu’ fé d’on paze-avant :

qwand ‘1 a s’ bonèt à hiyètes

24   i fêt pés qu’on p’tit volant.

—  Vos-avez 1′ linwe qui v’ cakète,

qu’èst tot come ine pîre d’êmant;

dj’ô bin à vos tchansonètes

28    qui v’s-avez lé l’alcoran…

Vos vwèrîz bin di m’ pansète

po magnî avou vosse pan.

Dji so come po brêre « hovelète ! »,

32 dji n’ m’ègadje nin pus-avant.

—  Po ci côp-là, dji m’ va piède,

ou prindez-me po voste amant !

Hoûtez-me don, mi p’tite moulète,

36 dji so fidéle èt constant.

Si dj’èsteû vosse lamponète,

vos sèrîz m’ mureû ârdant…

Nos djouwerins à l’ rèspounète,

40 c’èst-on djeû qu’èst si charmant !

 

  1. amor, amour; être à l’aguiète, « à l’aiguillette », se déboutonner (pour satisfaire un besoin, ici sexuel). — 18. Le sens est : il faut qu’il [l’amour] se montre bien pressant. L’expression aveûr dalant a disparu de l’usage. — 23. bonèt à hiyètes, bonnet à grelots. On se souviendra que le grelot est anciennement l’attribut de la folie — et que la folie mène l’amour… — 24, «un petit volant» probablt dans le sens de galopin.
  2. pire d’êmant, pierre d’aimant ou aimant naturel, qui possède une propriété magné­tique. — 28. L’alcoran, plus connu sous le nom de coran. On dirait de même au figuré : « Vous connaissez la Loi et les Prophètes ». — 29. vwèrîz, (vous) voudriez; pansète, t. arch. de triperie, gras-double produit avec l’estomac du bœuf. — 31. hovelète !, brosse ! bernique !
  3. « me perdre » au sens de : me détruire, faire un malheur de mon corps. — 35. moulète (arch.), caillette de veau (pris ici comme t. d’amitié). — 37-38. Si j’étais votre petite lampe, vous seriez mon miroir ardent : autrement dit, le prisme qui m’enflammerait_ (la propriété du miroir ardent est connue anciennement et cet instrument figurait dans les cabinets de physique; il y en avait un dans celui du prince-évêque Velbruck). Dans ce distique, on a comme une ébauche du thème amoureux des métamorphoses, largement répandu dans la chanson populaire et dont la Magali de Mistral (Mirèio, III) demeure un exemple fameux. — 39. à l’ rèspounète, à cache-cache (avec un sous-entendu grivois).

 

(p.43) — Dji veû bin qu’i fat qu’i pète :

vos-èstez trop complêzant !

Mês si vos-èstez ‘ne trompète,

44   dji sèrè tambour batant !

Et po rik’nohe nosse houbète,

nos-î mètrans on crèhant…

Dji sèrè todi Lînète

48   èt vos sèrez todi Dj’han ! »

 

  1. piron, Une chanson d’amour en dialecte liégeois du XVIII’ siècle, dans La Vie wallonne, t 29, 1955, pp. 205-207 (d’après copie manuscrite du xvili* siècle). — Inventaire, n° 308.
  2. … il faut que cela se fasse. — 43-44. Jeu de mots sur trompette et tambour battant sous l’influence de tromper et de battre. — 45. houbète, hutte de branchages, cabane : c’est le nid de nos amoureux. — 46. crèhant, croissant de lune; il s’agit d’une enseigne, pourvue peut-être d’une valeur symbolique (amour croissant ?).

 

(p.44)

MORAY

(18e siècle)

 

On n’est pas sûr de son nom : Mathieu Moreau, suivant le Choix de 1844, ou Winand (Wynans ?) Moureau d’après un dossier anonyme de la même époque ? Appelons-le simplement Moray, respectant ainsi la forme wallonisée sous laquelle il se fit connaître et réussit à se maintenir dans la mémoire de plusieurs générations de Liégeois.

Quand vécut-il au juste ? Il devait être mort depuis quelque temps déjà en 1781, puisque cette année-là, dans une wallonade anonyme relative à l’affaire Bassenge-Raynal, son ombre est évoquée :

Dji so Morê, martchand d’ tchansons,

qui so l’ Martchî a co mèye fèyes

tchanté dès complintes, dès pasquèyes…

 

Lui-même se met en scène au dernier couplet d’une chanson (Choix, pp. 113-115) sur la désolation des jeunes filles après le départ des Danois : on sait que des troupes danoises tinrent garnison à Liège, de l’été 1735 au printemps 1736. Ces repères chronologiques permettraient-ils d’identifier notre chan­sonnier à Wathieu Moray, fils adultérin de Wathy Moray, baptisé à la paroisse Sainte-Foy le 5 octobre 1706 ? Ou encore à Winand Moray alias Winand Moureau (1697-1775) qui naît et meurt en Outre-Meuse, paroisse Saint-Nicolas, après avoir été veuf trois fois ? Au regard de ces conjectures, la tradition qui attribue à notre chanteur ambulant un solide penchant à l’ivro­gnerie semble moins hasardeuse.

Chanteur de rues et type populaire, c’est bien ainsi en effet que se dégage la figure de Moray à travers les rares textes qui lui sont attribués (Inventaire, n08 246, 310 et 317). On l’imagine sans peine, improvisateur né, mimant au milieu des badauds, qu’il interpelle à l’occasion, l’événement du jour ou le récit de quelque aventure qui met les rieurs de son côté. La pièce qui suit est un spécimen suggestif de ce savoir-faire.

 

 

14                                                                                                     [Liège]

Pasquèye novèle d’ine djonne mariêye et d’on pôve mâ-marié

 

Djon.nês èt djon.nès fèyes, acorez [tos] voci !

 

« PASQUEYE • NOUVELLE D’UNE JEUNE MARIEE ET D’UN PAUVRE MAL­MARIE. — La première strophe est un leitmotiv de chanson populaire où l’auteur cherche à capter l’attention du public avec lequel il restera en contact au long de la pièce.

 

(p.45) Dj’a [fêt] ine bèle paskèye,

4   c’èst po [bin] nos d’vêrti.

Dji n’ mi sâreû [mây] têre,

qwand dji d’vreû èsse blâmé;

nos rîrans d’ ciste afêre,

8    wârdans bin d’ nos d’hiter !

 

L’ôte djoû d’vins ine taviène,

on k’minça à m’ conter

ine tourneûre dès pus fènes,

12    dji fou [tôt] èwaré.

Dji tron.néve so mes djambes

èt s’ fi-dje co bin ôte tchwè :

[tot] â pus bê dè l’ tchambe,

16    dji fi on grand gros pèt !

 

Ça ! i fât dji v’s-èl dèye

tot come on l’a conté :

c’èst d’ine plêzante djon.ne fèye

20    qui s’eûhe vol’tî marié

po d’biter s’ martchandèye,

come iles pwèrint totes fé.

Ni pinsez nin qui dj’ rèy,

24    ca i l’èst-arivé.

 

Ille aveût ine bèle rôbe,

dès bês volants d’ coton,

dès cotes à l’ novèle môde

28  èt dès solés mignons,

dès cwèfeûres à dintèles,

on bê ruban d’ôr fin…

Mins çou qu’ èl rindéve bèle,

c’èsteût s’ vèrtugadin !

 

  1. taviène, taverne. — 11. une tournure des plus fines, c.-à-d. une aventure des plus piquantes. — 12. je fus tout étonné. — 16. Pour ce genre de détail scatologique, voy. la note 19 du n° 9.
  2. il faut [que] je vous le dise. Sur l’omission de la conjonction de subordination, voy. le texte n° 7, note du v. 32. — 22. comme elles pourraient faire toutes. — 24. i, il (impersonnel).
  3. solé, soulier. — 32. vèrtugadin, robe bouffante, rembourrée aux hanches, qui, en France, fut surtout à la mode au xvii” siècle.

 

(p.46) Vocial on bê djonne ome

qui dji n’ vis loumerè nin,

qu’èl pinséve bèle èt bone,

36   va ! nos ‘nnè rîrans bin !

Si 1′ bâcèle aléve tchîr,

èl sûvéve tos costés…

Vos-ôrez d’ quéle manîre

40   qu’il a stu atrapé !

 

Ci conteû d’ caracoles,

tot hantant corne on sot,

i lî d’manda 1′ parole,

44   ile lî prinda â mot.

Il acora è 1′ vèye

po atcheter dès dorlots…

On rîrè pus d’ine fèye

48 dè vèyî ci lwègne sot !

 

Li bâcèle bin binâhe

a tot fêt prèparer

po coviér ine bèle tâve

52   po qwand sèrint spozés.

Djambon èt tchâr salêye,

çoula n’î mâkéve nin,

dès floyons, [dès] dorêyes

56   èt dès botèyes di vin.

 

On lès mine à l’èglîse

avou basse èt violon :

vocial ine grande surprîse

60   èt on bê cariyon !

 

  1. loumer, nommer. — 37. bâcèle, jeune fille; tchîr, chier.
  2. Ce conteur de caracoles; ce dernier terme est employé dans un sens figuré et péjoratif qu’il serait sans doute vain de préciser. — 42. hanter, faire la cour (en parlant d’amou­reux). — 43. il lui demanda la parole, c.-à-d. sa main. — 45-46. Il accourut à la ville / pour acheter des « dor(e)lots » (cfr note 22 du n° 11) : sans doute les alliances en vue du mariage. — 48. lwègne, nigaud; le groupe Iwègne sot est évidemment tautologique.
  3. binâhe, content(e). — 52. pour quand ils seraient mariés. — 53. … viande salée. — 55. floyon, flan; des « dorées », c.-à-d. des tartes.

58-59. Aux noces villageoises de jadis, il était d’usage de faire précéder le cortège par un ou deux musiciens pour se rendre à l’église et en revenir. — 60. « carillon », ici, au fig.,

 

(p.47) Li bâcèle adjènèye à l’âté,

so 1′ passe-pîd,

tot fant lès céremonerèyes

64   kiminça à travyî !

 

N’èst-ce nin ine bèle aubâde

po ci pôve aveuglé ?

On criya « à 1′ mostâde ! »,

68    qwand i fourint ralés.

Li sèdje-dame dè viyèdje

dèt â novê marié :

« Djihan ! prindez corèdje,

72   vos-èstez pére… èt fré ! »

 

Hoûtez, tos vos djonnes-omes

qu’ont vol’té di s’ marier,

qwèrez dès noûvès tones

76    qui 1′ cou n’ seûy nin d’foncé !

Bêcôp d’ cès lâtchès cotes

ni qwèrèt qu’ d’atraper

l’oûhê divins ‘ne tchabote

80   po l’aprinde à hufler!…

 

Copie de la main de Fr. Bailleux, vers 1850. Aucune édition connue. — Inventaire, n° 310.

dans le sens de branle-bas, tohu-bohu. — 61-62. La fille agenouillée / à l’autel, sur le t passe-pied », t. arch., marchepied d’autel ou agenouilloir de prie-Dieu. — 64. travyî, forme contractée de travayî; ici, entrer en travail d’enfant, accoucher.

  1. « à la moutarde !» : cri de rues, ici par dérision, en manière de charivari. — 68. quand ils furent rentrés [chez eux]. — 69. sèdje-dame, sage-femme. — 71. Djihan, Jean. — 72. fré, frère. Il faut supposer que l’épousée a été engrossée par le père du marié.
  2. L’interpellation, qui ouvre la strophe finale et sert de conclusion, pourrait se rendre par : Ecoutez tous, jeunes hommes que vous êtes. Sur le tour vos bonès djins, vos correspond à « vous » et non au possessif « vos », cfr L. Remacle, Syntaxe, I, pp. 236-240. — 73. qui ont volonté…, c.-à-d. qui désirent se marier. — 75 tone, tonneau, ici au fig. et péjor. — 76. cou, cul, jeu de mot sur le sens de « fond ». — 77-78. Les « larges jupes » désignent les personnes du sexe féminin; ouhê, oiseau, tchabote, creux (où l’on peut nicher, etc.), hufler, siffler sont associés en une métaphore filée dont le sens erotique est évident.

li Noyé (Noël)

 

(p.48)

ANONYMES

Noëls

 

Connus en français dès le XIIIe siècle et dans divers patois d’oc et d’oïl à partir du XVIe, jouissant d’une vogue sans cesse accrue, comme en témoignent les nombreux recueils imprimés de Paris à Lyon, les chants populaires de Noël se sont répandus chez nous où, sous le nom de noëls wallons, ils ont donné naissance à un genre nouveau dans la littérature en dialecte. Ce genre, importé de France (l’identité de caractère entre les mélodies de ces noëls et les airs du vaudeville français popularisés dans les campagnes le prouverait à elle seule) est représenté par une cinquantaine de textes originaires du nord-est de la Wallonie. Une première édition philologique de ces textes a été procurée en 1909 par Auguste Doutrepont; elle a été remaniée et enrichie de nouveaux textes par Maurice Delbouille en 1938.

Le thème des noëls est l’annonce de la naissance de Jésus et la visite des bergers à la crèche; subsidiairement, l’adoration des rois mages. Les bergers ne sont autres que les bonnes gens de nos campagnes qui s’interpellent ou s’extasient sur la venue du Messie et s’en vont, copieusement munis de langes et de victuailles, vers l’étable où repose l’Enfant. L’anachronisme y fleurit, conférant à ces pièces, avec un parfum de terroir, un charme que la médiocre qualité du style leur refuserait bien souvent.

Sur la destination exacte des noëls, il est permis de s’interroger. Etaient-ils chantés à la veillée du 24 décembre ? Ou exécutés avant la messe de minuit, durant le trajet vers l’église ? Ou peut-être au moment même de l’office ? Leur âge non plus ne saurait être précisé avec certitude. Presque tous nos textes, si l’on se reporte aux témoins qui nous les ont conservés, remontent au xviiie siècle. Il est probable que certains datent du XVIIe. Le genre en tous cas appartient à la période ancienne de nos lettres dialectales. Il n’a plus été pratiqué, sauf par imitation et très exceptionnellement, lors du renou­veau qui marque les deux derniers tiers du XIXe siècle.

Des trois noëls que nous avons retenus, le premier est antérieur à 1757 puisqu’on le trouve dans le manuscrit Weber dont la copie fut commencée le 4 février 1757 (édit. Doutrepont-Delbouille, p. 75); le second voit l’un de ses vers cité en tête d’une chanson française de Noël imprimée à Stembert en 1764 (*). Celui que nous donnons en troisième lieu — il se rapporte à la fête des Rois — est plus ancien : il a été transcrit par le Liégeois Grumselle dans un cahier dont les écritures se situent entre 1708 et 1715 (édit. citée, ibid.).

 

(1) La découverte de cette « Nouvelle chanson pour la veille de Noël » est postérieure à l’édition Doutrepont-Delbouille.

 

 

15                                                                                                [Liège]

 

Bondjoû, wèzène, dwèrmez-ve èco?

Dispièrtez-ve : dji vous pârl’ à vos.

 Dispièrtez-ve don, dji v’s-è prèye;

4   drovez voste ouh, dji so ravèye

di cisse musike qu’on tchante â hôt :

Gloriya in-èxcèlsis’ Dêyô. (bis)

 

Qwand n’s-ârans stu à deûs’ treûs mèsses,

8    nos vêrans cial magnî dès cwèsses,

si magnerans-ne ine ône di tripe —

n’èst-i nin vrêy, cusène Magrite ? —

èt s’ beûrans-ne deûs’ treûs bons côps :

12    Gloriya in-èxcèlsis’ Dêyô. (bis)

 

Matante Kètelène èsteût là d’vins

qui fève on bon bâtis’ à vin.

Voci v’ni Biètemé so 1′ fêt

16    avou dès-oûs tot plin s’ tchapê,

èt Marôye qui loukîve â trau :

Gloriya in-èxcèlsis’ Dêyô. (bis)

 

Compére Ernou dit tot passant :

20    Qui fez-v’ là, tos mes bês-èfants ?

Tint-on cial on staminé,

qu’on-z-î tchante èt qu’on-z-î brêt?

Lès-andjes rèpètint â hôt :

24    Gloriya in-èxcèlsis’ Dêyô. (bis)

 

— O, nèni ciète, compère Ernou,

c’èst-in-èfant qu’èst novê v’nou.

 

Le canevas strophique de ce noël offre la particularité d’avoir un 3e vers de 7 syllabes et un vers-refrain de 9 du fait de la diérèse de gloria rendue nécessaire par la mélodie.

 

  1. wèzène, voisine. — 2. … je veux vous parler. — 4. ouvrez votre porte, je suis ravie. 8. cwèsses, côtes. — 9. et nous mangerons une aune de boudin; cette ancienne unité de mesure valait à Liège un peu plus de 66 centimètres. — 10. … cousine Marguerite. 13. Kètelène (arch.), Catherine. — 14. bâtis’, voy. la pièce suivante, note du v. 61. — 15. Voici venir Barthélémy sur le fait, sur ces entrefaites. — 17. et Marie qui regardait par le trou; Marôye, arch. pour Marèye. — 22-23. Mesure faussée : 7 syllabes au lieu de 8. 19. Ernou (arch.), Arnold. — 21. staminé (arch.), estaminet. — 23. … répétaient en haut; rèpètint, forme anc. pour rèpètît.

 

(p.50) I-èst si bê, i-èst si plêhant :

28   dj’ n’a mây vèyou parèy èfant.

On dit qui c’èst 1′ fi du Très Haut

Gloriya in-èxcèlsis’ Dêyô. (bis)

 

Djans don, corans, tos nos bièrdjîs,

32   è Bètlèyèm vèyî 1′ Mèssîe !

C’èst-ine chôse di vèritâve

qu’il èst-oûy né divins on stâve.

Corans-î [turtos] d’on plin saut :

36    Gloriya in-èxcèlsis’ Dêyô. (bis)

 

Aug. doutrepont, Les Noëls wallons, nouvelle édition par M. delbouille, Liège, 1938, Société de Littérature wallonne (« Bibliothèque de Philologie et de Littérature wallonnes »), pp. 94-95. — Inventaire, n° 376.

 

16                                                                                                     [Liège]

 

II

Bondjoû, mârène, èt bone santé : (bis)

dji vin qwèri m’ cougnou d’ Noyé !

Sav’ bin, à çou qu’ dj’ô dire,

4    qui l’ Saveur dès-âmes nos-èst né,

pus bê qu’in-andje dè cîr ?

 

Divins on stâ ‘l èst-ad’hindou : (bis)

lès bons bièrdjîs sont-st-acorous,

 

3l. Allons donc, courons, nous tous les bergers; sur cet emploi de nos, cîr supra, n° 14, v. 73. — 34. qu’il est aujourd’hui né dans une étable; stâve, forme plus particulière, en wallon de l’est, à l’Ardenne. — 35. Courons-y tous d’un plein saut, d’un même élan.

1-2. cougnou, petit gâteau allongé qu’on mange à la Noël. Ces deux premiers vers, qui paraissent, dans leur anachronisme, assez étrangers au reste de la pièce, ont dû être empruntés à une ancienne chanson de quête. L’altération, cependant, s’est largement imposée à date ancienne et, comme l’écrit A. Doutrepont repris par M. Delbouille, « les trois derniers vers du premier couplet se rattachent si naturellement [aux précédents] que nous croyons être en possession du début authentique, sinon dans ses termes, au moins dans son esprit » (p. 105).

  1. stâ, étable. — 8 tous au plus vite.

 

(p.51) 8  tèrtos’ â pus-abèye.

Il èst si bê, ‘1 a l’ êr si doûs :

corans vite l’aler vèy.

 

Hay, djans, corans-î tot dansant, (bis)

12 vèyî l’ mirâke di cist-èfant

qu’èst né d’ine djône pucèle !

Dihombe-tu, Dj’hène ! Dihombe-tu, Dj’han !

Dihombe-tu don, bâcèle !

 

16 Hay [don], bin vite, nosse Nicolas ! (bis)

Prind abèyemint tos tès hèrnas

èet si t’ dihombe bin rade !

Si dji n’ mi trompe, is sont d’djà là,

20 ca il ont pris l’ savate.

 

Djans [don], noste Ernou, rimowe-tu : (bis)

ti prindrès l’ djambon, s’il èst cût,

si n’ roûvêye nin l’ makêye !

24 Vas-è bin rade, ni t’ ritoûne pus

èt s’ cour tôt à F valêye !

 

O, soûr Marôye, vinez avou ! (bis)

Nos passerans po mon m’ fré Ernou,

28  qu’i nos mône à l’ valêye :

i fêt si spès qui dj’a pawou

qu’ nos n’ sèyanse dirôbêyes.

 

  1. Dépêche-toi, Jeanne…
  2. Prends rapidement tout ton attirail. — 20. prinde II savate (ou fé savate), prendre ses jambes à son cou, partir en hâte.
  3. … grouille-toi. — 23. si (lat. sic) = et; makêye, sorte de fromage blanc et mou, caillebotte. — 25. « et cours (ainsi) tout en bas », c.-à-d. là où se trouve l’étable avec le Christ.
  4. Marôye, arch. pour Marèye, Marie. — 27. litt. : par chez mon frère Arnold. — 28. Cfr v. 25. — 29-30. Il fait si sombre [litt. : épais] que j’ai peur / que nous ne soyons détroussées.

 

(p.52) Marôye

Grand-pére, vos pwèterez bin 1′ fisik ! (bis)

32   So vosse nez v’ métrez dès bèrikes

èt s’ louk’rez-ve è 1′ potale,

tot-â coron di nosse botike :

vos troûverez dès brocales,

 

Djihène

36    O, souh ! Marôye, qui fêt-i freûd ! (bis)

Lès dints m’ cakèt, s’a-dje ma mès deûts

très doûs Dièw, quéle djalêye !

Cist-èfant sèrè mwért di freûd :

40          pwèrtans-lî po ‘ne blamêye !

 

Djihan

Por mi, dj’ lî pwèterè dès fagots (bis)

èt dès loumerotes tot plin m’ sârot,

qui sont è nosse coulêye :

44   ç’ sèrè po lès r’tchâfer turtos,

Djôzèf, Dièw et Marèye.

 

Marôye

Por mi, dji lî pwèterè m’ cot’rê (bis)

po fé dès fahes èt dès lignerês

48          èt à 1′ mére dès tchâssètes.

Vos lèzî keûzerez bin, s’i v’ plêt :

dj’a dè fi è m’ tahète.

 

3l. fisik, litt. fusil, et, de là, briquet : l’allusion aux brocales (allumettes, v. 35), que le briquet devait servir à enflammer, selon une opération usuelle jadis, rend cette inter­prétation évidente. — 32. bèrikes, besicles. — 33. potale, niche. — 35. brocale, allumette ancienne, brin de chènevotte, de sureau ou de bois éventuellement soufré aux extrémités.

  1. souh!, interj. marquant une impression de chaud ou de froid, ici « brr »; … qu’il fait froid. — 37. Les dents me claquent, et j’ai mal aux doigts. — 38. Dièw (ou Die), arch. pour l’actuel Diu ou Dju; djalêye, gelée. — 40. blamêye, flambée.
  2. loum’rotes, jadis : brins, torchons de paille pour allumer ou éclairer; d’où, aujour­d’hui : petite lumière; sârot, sarrau. — 43. coulêye, coin du feu.
  3. cot’rê, cotillon, jupon. — 47. fahes, maillots; lign’rês, langes. — 49. Vous les leur coudrez bien… — 50. tahète, petite poche en toile où la femme du peuple mettait surtout la menue monnaie et qu’elle portait sous le tablier ou le jupon, attachée à la ceinture (DL, 624).

 

(p.53) Li Mére

Por mi, dji lî pwèterè m’ vantrin; (bis)

52   il est si bê, s’èst-i si fin

qu’on dîreût dè l’ prôpe sôye :

ç’ sèrè po lî fé dès béguins !

N’èst-i nin vrêy, Marôye ?

 

Djihan

56 Por mi, dji lî pwèterè m’ sâro; (bis)

i n’èst nin fin, s’ n’èst-i nin gros;

èt s’a-dje dès plomes di cîne.

Vos métrez tot-à-fêt è m’ bot

60  po pwèrter à 1′ payîne.

 

Li Mére

Dj’a dè souke po fé on batis’ (bis)

po l’ mére di l’èfant, qu’èst si trisse,

si trisse èt si d’zolêye.

64    O, qu’ n’èsteût-èle è nosse lodjis’

qwand èle fout acoûkêye !

 

Djihène

Cusène Marôye, alez’ bouter : (bis)

i m’ sonle qui dj’ô l’èfant criyer…

68          — Doûs Dièw, so-dje èwarêye ! —

èt pwis dè côp vos racoûrrez,

qui nos sèpanse li vrêye.

 

5l. vantrin, tablier. — 52. … et il est si fin. — 53. … de la vraie soie. — 54. bèguins, béguins, bonnets d’enfant.

  1. … et il n’est pas gros. — 58. cîne, cygne. — 59. bot, hotte. — 60. payîne, accouchée.
  2. bâtis’, t. arch. et rural désignant un mélange battu, soit à base de lait, sucré, aroma­tisé et mêlé d’œufs (chaudeau), soit à la bière ou au vin. — 63. d’zolêye, désolée.
  3. cusène, cousine. — 68.  èwarêye, étonnée,  bouleversée. — 69-70.  et puis vous rac-courrez / que nous sachions la vérité.

 

(p.54) Marôye

Âwè, ciète, i sont là leû treûs : (bis)

72   l’èfant so 1′ foûre,

tot mwért di freûd,

èt l’ mére tot-èdjalêye;

li vî bouname lès louke tot reûd :

v’ dîrîz qu’i méditêye.

 

76   Moussans d’vins,

èt s’ nos-adjènans : (bis)

nos-îrans adorer l’èfant

èt lî ofri nosse coûr.

C’èst çou qu’i vout, l’ divin-èfant

80          qu’èst là coûkî so l’ foûre.

 

Die v’ wâde, dègne mére èt li k’pagnèye ! (bis)

Lès-andjes nos-ont dit dès mèrvèyes,

nos-ont fêt si binâhes,

84    di cist-èf ant qui nos v’nans vèy !

Vis plêt-i bin qu’ djèl bâhe ?

 

Li Vièrje

Oh ! oui, bergère, en l’adorant, (bis)

baisez les pieds de cet enfant

88          qui est né ent’ les bêtes.

Il est le fils du Tout-Puissant : honorez bien sa fête !

Djihène

Hoûtez don, mére, qu’èle parole bin ! (bis)

92   Loukîz cisse boke, ci bê mintyin :

ni dîrîz-ve nin in-andje ? Nèni, ciète, mère, n’ènn’ alans nin :

assians-nos so cisse plantche !

 

Ibid., pp. 99-104. — Inventaire, n° 377.

 

  1. foûre, foin. — 73. èdjalêye, gelée. — 74. le vieux bonhomme les regarde tout raide.
  2. Rentrons dedans, et agenouillons-nous.
  3. Dieu vous garde, digne mère et la compagnie. — 85. bâhi, embrasser.

91 … comme elle parle bien!

 

(p.55) 17                                                                                                     [Liège]

III

Djans-è foû d’ Jérûsalèm;

corans tos an Bètlèyèm !

Sûvans cès novèlès djins

4    qu’ènn’alèt si djoyeûsemint !

 

Refrain

Tchantans tos li Roy qui bwèt

so nos flûtes èt nos hâbwès !

 

Sont treûs roys, deûs blancs, on neûr,

8    deûs vis, on djône plin d’ tcholeûr.

Dji n’ sé s’is n’ sont nin mariés :

nole feume n’èst-à leûs costés.

 

Leûs dj’vâs ont dès grantès croufes,

12 zèls dès tch’mîhes à mantches à boufes,

èt dès fleûrs so leû mante,

d’ôr, d’ârdjint : mây rin d’ pus bê !

Leûs casakes sont fêts di vloûr,

16    di taf’tas « qui li retour » (?).

Il ont dès corones so l’ tièsse :

dji n’ sé s’is sont dès priyèsses.

 

Ce noël, à la différence des deux précédents, rattache le thème de la visite à la crèche à une description de l’adoration des mages. Le refrain montre que la pièce était destinée au jour de l’Epiphanie (6 janvier); on sait que la fête des Rois occupe, avec la Noël, l’un des points culminants dans ce que les folkloristes appellent le Cycle des Douze Jours. — 1. Allons[-nous] en de…

 

  1. li Roy qui bwèt, le Roi qui boit. Allusion à un usage connu de la fête des Rois; le manuscrit distingue « roye » (= roy’) et * boy », « haboy », etc. (= bwèt, hâbwès, etc.). — 6. hâbwès, hautbois.
  2. [Ils] sont trois rois… — 8. … un jeune plein de chaleur.
  3. croufe, bosse. — 12. eux [ont] des chemises à manches bouffantes. — 14. … jamais [il n’y eut] rien de plus beau.
  4. Le sens de ce vers altéré paraît être : « de taffetas est la doublure [retour} »; faut-il corriger, avec l’éditeur de 1938, di tafetas gris li retour ? — 18. priyèsse, prêtre.

 

(p.56) Leûs sèpes sont d’ine grande valeûr;

20    sont dès bastons d’impèreûr.

Si dj’aveû dès s’-fêts bastons,

dj’ènnè f’reû dès patacons.

 

Il-ont tchâssî dès bonèts;

24   po 1′ fôrûre dji n’ sé çou qu’ c’èst :

i m’ sône qui c’èst dè rolèt,

d’ l’ourtèye ou dè triyolèt.

 

Si font-i 1′ sâbe à costé,

28   1′ foré d’èpèye gabriyolé,

l’ cou-d’-tchâsses fêt à la turqwèsse,

fôré d’ine pê d’ sâvadje bièsse.

 

Louke ci neûr, cisse crèspowe tièsse,

32 qui va d’hinde djus d’ine grosse bièsse !

I fêt çou qu’ lès-ôtes ont fêt :

i mèt’ sès parts â wastê.

Mins qu’èst-ce qui c’èst, cisse siteûle,

36    qui r’lût d’ lon come on clér veûle ?

Et poqwè loukèt-i tant

tot d’mandant après l’èfant ?

 

Est-ce là li bê Diè qui-èst né ?

40    I l’ fât bin, on l’a tchanté;

èt lès-andjes di Paradis ont dit

âs bièrdjîs : « Vo-le-ci ! »

 

  1. sèpe, sceptre. — 21. … de tels bâtons. — 22. j’en ferais des sous; patacon (arch.), patagon, ancien écu de Liège.
  2. tchâssî, coiffé. — 24. fôrûre, fourrure (ord* en doublure). — 25-26. L’éditeur de 1938, contrairement à celui de 1920, croit qu’il s’agit de « trois noms de plantes : rolette (bette), ortie, triolet (trèfle) ». En tenant compte du v. 23, on s’attendrait plutôt à des noms de fourrure; rolet est en tous cas attesté comme nom de tissu (cfr L. Remacle, Notaires de Malmedy, Spa et Verviers, 1977, p. 219).

27-30. Et ils vous ont le sabre au côté, / le fourreau d’épée bariolé (= damasquiné), / le haut-de-chausses fait à la turque, / fourré d’une peau de bête sauvage. Le v. 28 est boiteux.

  1. crèspowe, crépue. — 34. il met ses parts au gâteau. 36. … comme un verre brillant.

 

(p.57) Djans’ vèyî on pô pus près !

44   Tê-s’, Houbièt, lê là t’ huflèt !

Hoûte on pô çou qu’on dit là !

I m’ sône qu’on crèye : « Quî va là ? »

 

Non fêt, ci sont dès mèstrés

48 èt dès basses qu’on fêt djouwer :

asseûrémint qu’ c’èst 1′ bon Diè,

qui sès vârlèts l’ rècrèyèt.

 

« Monseû, fez-me on pô dè 1′ plèce

52    afin qu’ dji veûsse tote li fièsse !

Rècoulez-on pô pus drî

po m’ lèyî à mi-âhe loukî ! »

 

Èy, bon Die, qu’èst-ce cist-ârdjint

56    qui dinèt ces bonès djins

èt qui vout dîre cist-ècinse

qui foume là è vosse prézince ?

 

Qui vout dîre cisse salêye drogue

60    qui dinèt cès-astrologues ?

Dji creû por mi qu’i s’ roûvièt

ou qu’is n’ savèt çou qu’i fêt.

I m’ sône portant qu’i fêt bin

64   di fé là ces treûs présints

èt, si n’s-èstins ritches come zèls,

vos-ârîz ‘ne mohon pus bèle.

Ni veûs-s’ nin, k’pére, cist-èfant,

68   come il èst crâs èt roselant ?

 

43-44. Allons voir un peu plus près ! / Tais-toi, Hubert, laisse là ton sifflet !

  1. mèstré, ménétrier; désigne ici par synecdoque, comme en d’autres noëls, l’instrument dont se sert le ménétrier. — 50. que ses valets (le) récréent.

53-54. Reculez un peu plus (derrière) / pour me laisser regarder à mon aise.

  1. ècinse, encens.
  2. … cette drogue salée. — 61 … qu’ils s’oublient (sens scatologique ?).
  3. èstins, forme ancienne pour èstîs, étions. — 66. mohon, arch. pour mohone, maison.
  4. k’pére, compère. — 68. … gras et vermeil. — 69. hatrê, cou.

 

(p.58 ) Louke sès-oûys, s’ boke

èt s’ hatrê on l’ noûrih â bon lècê !

 

Li cisse qui lî done li tète

72   n’èst ni frèsêye ni rossète !

C’èst l’ pucèle mére tot d’on côp :

on n’ sâreût l’admirer s’ sô.

Qui fêt là ci bê bouname

76    qu’èst-assis so on p’tit hame ?

N’èst-ce nin Djôzèf li tchèpetî,

li pére di Dièw mâ moussî ?

 

Hâstez-v’ vite, Mèssieûs lès Roys :

80   dinez-li po dès scarmoyes,

po dès fahes èt dès lignerês

èt ine cote di pê d’ognê !

Dinez-li d’ l’ôr èt d’ l’ârdjint

84   po l’ rik’nohe vosse sovèrin,

di l’ècinse po l’adôrer,

ca c’èst l’ Dièw qui f’ a crèyé.

C’èst-in-ome qui deût mori,

88 èt après, èsse èssèveli :

dinez-li po si-ètéremint

dè l’ mîre qu’èst-è vosse bassin.

Hoûtez bin çou qu’ l’andje vis dit :

92   ralez dreût è vosse payis.

Érôde vout touwer l’èfant :

distournez-ve tot ‘nnè ralant.

 

  1. n’est ni grêlée ni rousse. — 74. s’ sô, son soûl.
  2. bouname, bonhomme. — 76. hame, escabeau. — 77. tchèpetî, charpentier.
  3. scarmoye, sorte de petit gâteau. — 81. fahes, maillots; lignerês, langes. — 82. et une cotte de peau d’agneau.
  4. … qui vous a créés.
  5. Le sens est : retournez par un chemin détourné. Allusion au texte de l’Evangile : « Ayant été avertis en songe de ne point retourner vers Hérode, ils Des Mages] rega­gnèrent leur pays par un autre chemin. » (Matth., 2, 12).

 

(p.59) Binamé pitit poupâ,

 96   bènihez là-hôt lâvâ !

Fez-nos 1′ grâce di nos sâver

po tote ine étèrnité.

 

Aug. doutrepont, Un noël inédit, dans La Vie wallonne, I, 1920, pp. 176-180; repr. dans l’édit. M. Delbouille, pp. 173-178. Nous suivons la copie Grumselle, xvm” siècle (ms 1478 de l’Univ. de Liège). — Inventaire, n° 383.

 

  1. poupâ, poupon. — 96. bénissez là-haut là-bas.

 

(p.60)

SIMON de HARLEZ

(1716-1781)

 

Né à Liège, mort dans son château de Deulin, en Condroz, seigneur de Fronville, Deulin, Montville, Noiseux et Rabosée, chanoine tréfoncier de la cathédrale de Liège, prévôt de la collégiale Saint-Denis, conseiller du prince-évêque Charles d’Oultremont, Simon de Harlex fut aussi l’un des artisans de la vie musicale et littéraire dans la capitale liégeoise au xvnr8 siècle. C’est autour de lui notamment que se forma le petit groupe de notables et d’aristocrates qui écrivit le livret des quatre opéras connus sous le nom de « Théâtre liégeois » (*).

Le premier de ces opéras « burlesques » est resté le plus célèbre. Dû à la collaboration de quatre auteurs : Simon de Harlez, Jacques-Joseph Fabry, Pierre-Grégoire de Vivario et Pierre-Robert de Cartier de Marcienne, Li voyèdje di Tchôfontinne (Le voyage de Chaudfontaine) fut joué en 1757. De la même année datent Li Lîdjwès ègadjî (Le Liégeois enrôlé) et Li fièsse di Hoûte-s’i-ploût (La fête d’Ecoute-s’il-pleut) que signèrent respectivement Fabry et Vivario; enfin, Simon de Harlez mit le point d’orgue avec Lès-ipocondes (Les hypocondres) au début de 1758.

La partition de ces œuvres était de l’excellent compositeur Jean-Noël Hamal, maître de chapelle à la cathédrale; à son retour de Rome et de Naples, celui-ci avait développé à Liège le goût de la musique italienne en même temps qu’il faisait connaître à ses amis les ressources de l’opéra buffa napolitain.

Destinés aux concerts de Hamal (la tradition en remontait à 1738) plutôt qu’à la scène proprement dite, les opéras comiques de 1757-1758 illustrent des types pittoresques dans le langage populaire du cru. Par là, leur texte s’apparente au genre poissard que, vers le même temps, Vadé imposait à Paris.

Ceci est vrai surtout des trois premières pièces. Le cas des Ipocondes est un peu différent. Par son décor et ses personnages, cette peinture amusante de la clientèle des eaux de Spa révèle des prolongements qui s’inscrivent dans la satire des mœurs contemporaines : misanthropie des désœuvrés, vogue de la thérapeutique médicale du mouvement, danses à la mode, engouement pour la musique italienne. Ces motifs dessinent leurs entrelacs au travers d’une intrigue amoureuse qui n’est que le support d’un divertissement spirituel, encore qu’un peu artificiel en wallon.

On doit aussi à Simon de Harlez, entre autres pièces de circonstance, trois cantates, mises également en musique par Jean-Noël Hamal, pour célébrer l’élection (1763) puis la confirmation (1764) de Charles d’Oultremont à la tête de la principauté de Liège (Inventaire, nos 26, 46 et 47; voir aussi nos 162 et 254). On y retrouve l’aisance et la virtuosité rythmique d’un librettiste à qui les secrets de l’art musical n’étaient point demeurés étrangers.

  1. C) La dernière édition publiée sous ce titre est celle de bailleux et capitaine en 1854.

 

(p.61) 18                                                                                                [Liège]

 

[Deux vilains sorts : la maladie et l’amour]

 

La scène est entre Mèsbrudjî, li pus fèl dès hypocondes et Houlpê, galant de Melle Tchâtchoûle.

 

Mèsbrudjî

Dji so tot plin di lê-m’-è-pâye !

O ! po ç’ côp-là, c’èst todi pés;

dji creû qui dji n’ mi rârè mây,

4   tos lès djoûs, dji d’vin pus fayé.

îr, dji n’a bu ni vin, ni bîre,

dj’a magnî tos saqwès d’ lèdjîr,

nole sipécerèye, rin d’ mâ-hêtî;

8    dj’a bin trimpé, dj’a bin k’dâssî;

dj’a pris treûs gotes di mi-élicsîr;

dj’a-t-awou sogne di n’ nin m’assîr

po bin lèyî d’hinde l’amagnî :

12   qui f’reût-on pus po èsse hêtî ?

On m’a dit min.me qui dji m’ pwèrtéve

ossi bin qu’â monde i s’ poléve.

Mês, mâgré totes mès précaucions,

16   volà qui dj’ fê-t-èco dès bâyes…

Binamé Dièw ! ni sèrè-dje mây

qwite di mès-indijèstions ?

 

Oyez-ve li vicârèye

20 qui s’ fêt d’vins mes boyês ?

On dîreût on boulèt âs bèyes

qu’on fasse rôler d’vins on tonê.

 

Mèsbrudjî, éclopé, mutilé; li pus fèl, le plus fameux; Houlpê, malingre, caduc; Tchâtchoûle, pleurnicheuse (nom de fantaisie à partir de tchoûler, pleurer).

 

  1. … plein de « laisse-moi-en-paix », c.-à-d. d’humeur chagrine. — 3. que je ne me remet­trai (litt1 : raurai) jamais. — 4. fayé, indisposé, mal en point. —• 6. … toutes choses légères. — 7. s(i)péc(e)rèye, épice; mâhêtî, malsain. — 8. k(i)dâssî, mâcher avec effort. — 10-11. La recommandation de marcher, de se promener était faite à ceux qui prenaient les eaux par de nombreux médecins, tel le docteur Jean-Philippe de Limbourg, l’auteur des Nouveaux amusements des eaux de Spa (1763). Sur l’ensemble de la question, voir l’article de Marcel Florkin, Simon de Hurlez, Molière des eaux de Spa (Revue médicale de Liège, t. VIII, 1953, pp. 152 ss.). — 16. baye, bâillement. — 19. Il vicârèye, comparer en fr. le remue-ménage (à propos des gargouillements de l’intestin). L’exagération bouf­fonne de ce que ressent M. est le fait d’un malade imaginaire. — 21. boulèt âs bèyes, boule de jeu de quilles. —

 

(p.62) Qui di-dje ? dji l’a-t-è cwér !

Çoula ni s’ pout ôtemint.

Si ç’ n’èsteût nin on s’-fêt acsidint,

mi vinte ni hoûlereût nin si fwért !

 

Houlpê

A ! Mèsbrudjî, ni v’ plindez nin !

28   Lèyîz-me pârler, vos n’avez rin.

Dj’a bin ine ôte afêre â brès’ :

c’èst l’amor ou 1′ mwért qui m’ kitchèsse !

 

Mèsbrudjî

Binamé Houlpê, tant pés vât :

32   vos-avez là deûs vilins mâs.

 

Houlpê

Awè, qwand vos sârez mi-istwére,

vos-ârez pîtié di m’ pôve cwér.

Vos k’nohez mès vîs-acsidints ?

36    Oûy, tos cès-là ni m’ fèt pus rin,

mi-minme câzî, dji lès roûvèye :

i n’ mi d’meûre qu’ine mélancolèye

qui m’ sût è carotche come à dj’vâ…

40    On djoû don, porminant mès mâs

po m’ distriyî, come c’èst m’ métôde,

dji m’ hièrtchîve d’ine mohon à l’ôte.

Nâhi d’ mi-min.me, fwért anoyeûs,

44   dji tûzéve tot loukant è feû.

Ine djon.ne fèye, bèle come li pinsêye,

tûzéve come mi è l’ôte coulêye…

Mi, djèl loukîve di tins-in tins

48    èt sès-oûys rèspondint à d’mèy;

dji lî parole di m’ maladèye,

 

  1. hoûler (onom.), mugir, gronder. — 31. Litt. : tant pis vaut. — 38. mélancolèye : la forme liégeoise est mirâcolèye. — 39. carotche, carrosse. A rapprocher du vers de Boileau « Le chagrin monte en croupe et galope avec lui ». — 41. si distriyî, se distraire. — 42. je me tramais d’une maison à l’autre. Le sens est : je me trouvais tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre. — 43. nâhl, fatigué, lassé. — 46. coulêye, coin du feu. — 59. fûrè, fuira. — 60-62. … un rêveur / quelque peu qu’il aide à se laisser prendre / peut s’enflammer même plus vite qu’un autre. —

 

(p.63) èle hoûte, èle sospére, èle mi plint :

dji n’ sé si c’èsteût simpatèye,

52   èlle èsteût come mi djustumint,

èt nos nos plindins à l’ pus fwért.

Infin, çou qui mây on n’ creûreût,

tot djâzant d’ maladèye, di mwért,

56 nos nos prindins d’amor tos deûs.

 

Mèsbrudjl

 ! dji n’ sâreû djamây vis plinde :

c’èst vosse fâte, poqwè nin v’ difinde ?

Quî n’ vout nin broûler fûrè 1′ feû.

60    On mélancolike, on tûzeû,

qui pô qui l’êde à s’ lèyî prinde,

min.me pus rade qu’in-ôte pout s’èsprinde.

 

L’amor ni pièd’ djamây sès dreûts :

64   on d’vint ossi bin amoureûs

divins 1′ tristèsse come divins 1′ djôye.

Qwand ine djon.ne fèye plint on djon.nê,

ci p’tit macrê, qu’è-st-âs-aguêts,

68 a dèdjà fêt l’ mitan dè 1′ vôye.

 

Houlpê

Çoula n’èst qu’ trop vrêy, djèl sé bin :

mês qu’ârîz-ve fêt vos-min.me è m’ plèce?

Di lon, on rêsone âhèyemint…

72   Atot vos-êrs indifèrints,

i v’s-ènnè pind ot’tant so l’ tièsse.

Nèni, ni pinsez nin qu’ avou tos vos mèhins,

76   l’amor todi vis lêsse è paye.

 

  1. ce petit sorcier, qui est aux aguets. — 71. âhèy’mint, facilement. — 72. atot (arch.), avec; remplacé auj. par avou. — 75. mèhins, incommodités, maux légers. — 82. malgré qu’on en ait, malgré soi.

 

(p.64) Dj’âreû djuré come vos

qui, malâde come dji so,

dji n’in.mereû mây.

80 On-z-a bê fé,

i fât-in.mer,

mâgré qu’on ‘nn’ âye.

 

Les Ypoconte, opéra burless … acte I, se. 2, Liège, S. Bour­guignon, s.d.  [1758], pp. 4-7. — Inventaire, n° 364.

 

19

[Quelle danse préférez-vous ?]

 

La scène est entre Mèsbrudjî (voir extrait précédent) et Habadja, jeune femme qui a résolu de se moquer des hypocondres.

 

Mèsbrudjî

I fât bin qui dj’ cwîre kipagnèye

po prinde on r’méde qui m’ sâverè l’ vèye.

Dji n’ saveû wére tos mès mèhins,

6 dji vin apreume di lès-aprinde.

On m’ troûve dî croufes divins lès rins,

qui m’ passèt po tot-oute dè vinte

èt qui l’ tinglèt à m’ trawer l’ pê.

8 Dji sintéve bin, qwand dji hèmeléve,

ine cwède di batê qui m’ bâréve;

dj’oyéve ossi d’vins mès boyês

li brut d’on boulèt ou d’ine pîre

12 qui m’ ridondéve djusqu’è cièrvê

come si c’èsteût tos côps d’ floyês :

mês quî-èst-ce qu’âreût mây wèzou dîre

qui c’èsteût on djeû d’ bèyes ètîr !

 

Habadia, t. de bouilleur et de briquetier (cfr DL), probablement de création fantaisiste, pour désigner un assemblage rudimentaire; ici appliqué plaisamment à un personnage féminin d’humeur loufoque.

 

1-2. … que je cherche compagnie, c.-à-d. un partenaire. Le remède singulier ordonné à M. est la danse (voy. v. 20). — 4. apreume, seulement maintenant. — 5. dî croufes, dix bosses. — 7. et qui le tendent au point de me trouer la peau. — 8. hèmeler, toussoter. — 9. une corde de bateau qui m’obstruait. — 12. ridondi, retentir. — 13. floyê, fléau (pour battre le blé). — 15. Le jeu de quilles (djeû d’ bèyes) est complet avec 9 quilles. M. renchérit dans la description de ses maux imaginaires (voir l’extrait précédent,

 

(p.65) Habadja

16   Volà çou qui s’ lome ine doleûr !

 

Mèsbrudjî

Djèl creû, mês dè mons, par boneûr,

dji k’noh li r’méde èt l’ maladèye.

 

Habadja

Et qu’èst-ce qui 1′ docteûr vis consèye ?

 

Mèsbrudjî

20   I m’a-t-ôrdoné dè danser…

Mês dj’a roûvî di lî d’mander

si c’èst l’ minwèt ou ine bourèye.

 

Habadja

Po l’acsidint qui vos-avez,

24   ci n’ pout djamây èsse

qu’ine inglwèse.

 

Mèsbrudjî

Kimint ! i m’ vout don fé crèver ?

Dj’âreû p’-tchî fé dès toûrs di fwèce !

Dji lome çoula

28 ine vrêye bagâre :

ot’tant djower âs poûris bâres !

Quéle danse est-ce là?

Qué gos’ bizâre !

32 On n’ fêt nou pas,

on coûrt, on s’ dâre;

 

  1. 19-26). — 20. A partir d’ici, la conversation est, sous forme déguisée, « une satire du traitement par la danse et la musique, cher à Le Drou [Démonstration de l’utilité des eaux minérales de Spa, 1733] et à Limbourg » (M. Florkin, loc. cit., p. 162). — 22. si c’est le menuet ou une bourrée (danse d’origine auvergnate). — 24. inglwèse, anglaise, « sorte de danse de caractère, très vive et exécutée par un homme seul » (Larousse ill.). — 26. Dj’âreû p’-tchî, je préférerais, litt. : j’aurais plus cher. — 29. autant jouer aux barres (tant il faut courir et se démener). — 33. on s’ dâre, on s’élance, ou bien : on se heurte. —

 

(p.66) i son.ne qu’on n’ qwîre qu’à s’ kibouyî.

Et zoup’ ! èt zoup’ !

36          todi potchî!

Et troup’ ! èt troup’ !

fé pèter 1′ pîd !

On n’ danse pus-oûy qu’à s’èstroupî.

40   Qwand dji veû çoula, i m’ son.ne vèy

ine hiède di d’godjèyes, di d’godjîs,

ine tchêve di sots qu’on-z-a d’lahîs,

qui vont â d’vant dè l’ plurizèye.

 

Habadja

44   Dj’ô bin : vos-èstez po 1′ vî tins;

li novèle môde ni v’s-ahâye nin.

Mês, sins v’ mâv’ler, vos polez dîre

qu’i v’ fât dès danses d’ine pus grâve tîre.

48    Qu’î fé ? Mutwè avez-ve rêzon…

Nos-ôtes, nos-èstans po l’ soterèye !

 ! qu’il èst bin pus bê dè vèy

hâspler dès brès’, fé l’ pas d’ susson

52   tot minant l’ passe-pî ou l’ brètagne,

fignoler so « l’aimable vainqueur »,

frîzer li dj’vèye, fé 1′ « jolicœur »

po bin èhiyonder s’ compagne.

56    Qu’on m’ parole dès folèyes d’Espagne !

Volà, volà ine danse d’oneûr.

Qu’ènnè pinsez-ve ? N’è-st-i nin vrêye ?

 

  1. kibouyî, rudoyer, bousculer. — 41. d(i)godjî, -èye, frénétique, qui se livre à un entrain démesuré. — 42. tchêve, cage d’osier servant au transport de la volaille; ici au fig. : une cage de fous qu’on a lâchés. — 43. plurisèye, pleurésie. — 44. J’entends bien, c.-à-d. je vois bien. — 47. … des danses d’un maintien plus grave. — 49. Le sens est : quant à nous, nous préférons le genre gai, un peu fou. — 51. gesticuler des bras, faire le pas de Sissonne : sorte de pas, appelé ainsi du nom de son inventeur et qui * s’exécute en pliant la jambe gauche, ouvrant la droite et croisant celle-ci devant la gauche à la troisième position » (Larousse 01.). — 52. passe-pî, passe-pied, danse gra­cieuse et vive, importée de Bretagne à Paris (xviie siècle) où elle fit fortune; brètagne, ancienne danse française, d’allure noble. — 53. « L’aimable vainqueur » était un air célèbre de l’opéra de Campra : Hésione (1700). — 54. friser la cheville (chorégr.), effleurer d’un mouvement léger la cheville du pied qui repose sur le sol. — 56. … des folies d’Espagne : il s’agit d’une danse espagnole exécutée sur un air à 3 temps; c’est à cause de son mouvement animé qu’elle plaît à Habadja. — 55. èhiyonder (de hiyon, secousse), donner l’élan (pour la danse); compagne, empr. fr. au lieu de kipagnèye. — 59. tot-à-pont, tout à point, à propos. —

 

(p.67) Mèsbrudjî

Awè, èle vât mîs tot-à-pont,

60   po l’ cwér, po l’ âme èt po l’ rêzon

qui totes cès pôvès-atèlêyes,

qui tos cès k’twèrdous cramiyons

où-ce qu’on s’ kimèle onk avâ l’ ôte

64   qui vos loumez « danse à la môde ».

 

Habadja

A v’s-oyî pârler, dji comprind

qui vosse tièsse è-st-on pô k’mèlêye.

Ine doûce musike vis f’reût dè bin,

68 c’è-st-on « spécifique anodin »

po r’freûdi vosse bîle èstchâfêye…

Dj’a fêt v’ni cial tot djustumint

dès tchanterês, tote sôre d’instrumints.

72   Nos loukerans di v’ mète à l’ cadince,

dji m’ va d’ner l’ ton âs musicyins.

Hay ! qu’ on m’ rèsponde ! c’èst mi qui k’mince.

 

Ibtd.,  acte II, se.  6, même édition,  pp. 28-31.

 

61-62. que toutes ces misérables cohues / que toutes ces farandoles enchevêtrées. Sur cramyon, forme primitive de cramignon, cfr supra n° 10, v. 78. — 68. « un spécifique » (xvne-xvm* s.) c.-à-d. un remède spécifique, approprié à telle maladie. — 71. tchanterê, chanteur, choriste.

 

(p.68)

JEAN-JOSEPH HANSON

(1739-179?)

 

Ce Liégeois peu connu a fait une double carrière : dans les arts plastiques et dans la poésie dialectale. Nommé en 1776 aux fonctions de peintre héral­dique de la cité de Liège et de la cathédrale Saint-Lambert, il a surtout œuvré comme paysagiste dans le dessin et la gravure; en même temps, il s’adonnait, en adepte d’un burlesque quelque peu démodé, à la transposition de La Henriade travestie de Fougeret de Monbron et des Lusiades de Camoëns. Ouvrages de longue haleine, restés manuscrits et, le second, ina­chevé. Les extraits qu’on en a publiés récemment (*) retiennent la curiosité plus que l’admiration.

Hanson fait preuve d’une inspiration mieux soutenue dans une chanson dialoguée, probablement inédite, que lui attribuent Ch.-N. Simonon et Fr. Bailleax. Composée pour célébrer l’élection de Velbruck comme prince-évêque de Liège (1772), elle réussit à faire passer l’éloge de circonstance par le truchement d’une petite scène populaire où deux époux se donnent alertement la réplique.

 

20                                                                                                     [Liège]

Pasquèye so l’êr dè l’ « Boterèsse di Montegnêye »

 

« D’où vins-se ? èst-ce li diâle qui [t’] kirôle ?

Volà treûs djoûs qui t’ès èvôye !

Ti t’ mokes bin dès bièsses èt dès djins

4   qwand t’ès-st-ine fèye mètou è trin,

ca ti n’as nole sogne dè manèdje,

tot l’ monde èl sét bin dîre è viyèdje.

Ti f’reûs mîs dè d’morer è t’ mohon,

8  ca Lîdje, c’a stu ti pèrdicion.

 

PASQUILLE SUR L’AIR DE LA « BOTTERESSE DE MONTEGNEE »

  1. k(i)rôler, faire rouler en tous sens, agiter. — 5. sogne, ici au sens premier de : soin, souci. — 6. La synérèse de viyèdje (= vyèdje) permet de respecter la mesure du vers. — 7. Tu ferais mieux de rester dans ta maison. Le vers compte un pied de trop; on pourrait rectifier : t’ f’reûs mîs…

 

(1) Voir Maurice piron, Jean-Joseph Hanson, peintre, graveur et poète liégeois, dans le Bulletin de la Société des bibliophiles liégeois, t. XXI, Liège, 1976.

 

(p.69) — Ho ! tês’-tu, feume, ni d’vise nin tant !

Brês vîvât avou tès-èfants.

Dji creû, si t’eûhes situ è m’ plèce,

12   qui ti t’eûhes moké dè manèdje;

li djôye t’eûhe fêt beûre tot come mi

dè savu 1′ prince qu’on a tchûzi,

ca si l’ârdjint m’eûhe mây mâké,

16    dj’eûhe vindou m’ cou-d’-tchâsses po ‘nnè fé.

 

Ho ! ti n’as mây vèyou téle djôye

qu’i n-y-a d’vins [Lîdje], avâ lès vôyes,

tot l’ monde brêt vîvât tot costé.

20    Ho ! nos-avans nosse binamé,

qui Dièw èl rinde è paradis

âs trèfoncîrs qui l’ont tchûzi.

I nos faléve on prince diner

24 ou nos-eûhîs tos stu bruber.

 

Tot l’ monde brêt, totes lès clokes sonèt.

Lès trompètes, tabeûrs èt hâbwès,

ci n’èst [qu’] vîvât d’vins tot leû son,

28    on n’ s’ôt nin pârler po l’ canon.

Lès taviènes sont si plintes di djins

qu’on n’a nin à beûre po si-ârdjint.

Qwâtes èt hènas, tot sâte è l’êr,

32   dji n’a mây vèyou télé afêre.

 

Qwand on a fêt l’ prince d’Outrèmont,

on vèyéve bin d’ôtes carilions.

C’èsteût come Tchirous èt Grignous,

36 on s’eûhe câzî hagnî è cou,

 

  1. cou-d’-tchâsses, haut-de-chausses.
  2. Dièw, arch. pour Diu. — 22. trèfoncîr, chanoine tréfoncier. — 23-24. Il fallait nous donner un prince / ou nous eussions tous été mendier (c.-à-d. réduits à la misère).

26-28. Les trompettes, les tambours, les hautbois, / ce n’est que « vivat » dans toute leur musique, / on ne s’entend pas parler à cause du canon. — 31. qwâte (arch.), quarte (de vin, de bière), anc. unité de mesure valant un peu plus de 1,25 litre; hèna, petit verre (d’alcool); sâte, saute.

  1. fêt, élu. Allusion à l’élection contestée du prince Charles d’Oultremont (1763), pré­décesseur de Velbruck. — 35. Tchirous et Grignous, Chiroux et Grignoux, factions tradi­tionnellement ennemies de la politique liégeoise. — 36. … mordu dans le derrière. —

 

(p.70) on s’ kibatéve po tot costé

di fwèce qu’on èsteût animé,

li djôye èsteût mèlêye d’arèdje

40 qu’on vèyéve lûre so lès visèdjes.

 

Po ci-cial, i n’ va nin insi,

ca tot l’ monde èst dè min.me pârti,

on s’ divèrtike corne tos frés

44    et si nom [n’est] nin disputé.

Il èst si in.mé dès Lîdjwès

qu’i ‘nnè f’rè tot çou qu’i vwèrè;

i n-y-a nouk qui n’ lî risk’reût s’ vèye

48   â fisik tot come à l’èpèye.

 

— Dji creû qu’ t’ès sô ou bin qu’ t’ès sot,

ca ti n’ m’ as nin co loumé s’ no.

Ti n’ dis nin s’ c’èst-on trèfoncîr

52   ou bin si c’èst-in-ètrindjîr.

Dji vou Fèlbrouck ou dji [n’] vou nouk,

si c’èst-in-ôte, passe vite à l’ouk.

Por lu, dji [n’] rigrète nin l’ manôye

56   qui t’as dispârdou so tes vôyes.

 

– Feume, ti sohêt èst-acompli,

c’èst lu qu’èst prince di nosse payis.

C’èst-in-ome qu’a bin trop d’ mèrite,

60   il èst-inmé di tot [l’] chapite,

dès bordjeûs tot come dè l’ nôblèsse;

lès p’tits, lès grands, tot lî fêt fièsse,

feumes èt èfants qui sont-à l’ouk

64   brèyèt tirtos vîvât Fèlbrouck.

 

  1. k(i)bate, intensif de bate, battre. — 39. arèdje, rage, fureur.
  2. Le vers ne compte que 7 syllabes. On notera divèrtike pour divèrtihe et plus loin ouk (: nouk) pour ouh, bènike pour bènihe. Il s’agit d’un trait faubourien liégeois qui existait encore au xix” siècle dans le quartier populaire d’Outre-Meuse.
  3. qu’il en fera (des Liégeois) tout ce qu’il voudra. — 47. il n’y a personne qui ne risquerait sa vie pour lui (litt* : qui ne lui risquerait…).
  4. … nommé son nom. — 54. … passe vite à la porte, sors d’ici; ouk, cfr supra note du v. 43. — 55. manôye, monnaie, argent. — 56. dispâde, répandre, dissiper.
  5. … qui sont au-dehors (cfr note du v. 43). — 66. dispinsé (t. rural), dépendance d’une habitation. —

 

(p.71) —  S’il èst vrêy qui c’èst lu qu’èst prince,

dihombe-tu vite, va è l’ dispinse

èt hape ine botèye di brand’vin,

68    ca m’ fât d’vèrti avou mès djins.

Va houke bin vite mi soûr Marèye,

mi cuzin Djâke èt totes sès fèyes :

dj’a èvèye dè fé on soper

72   po fé oneûr à ç’ binamé.

—  Tot ‘nn’ alant, djèl dîrè â curé

afin qu’i fasse vite triboler.

C’èst-ine corwêye po nosse mârlî,

76    mès dji creû bin qu’i l’ f’rè vol’tî,

èt si dj’ veû qu’i n’ seûye nin contint,

dji lî vou payî di mi-ârdjint,

ca dji n’ vou, ma fwè ! rin mèskeûre

80   po fé oneûr à ç’ grand sègneûr.

 

Ça, dj’a èvèye d’ fé on feû d’ djôye

cial è nosse coûr ou bin è l’ vôye;

dj’a dès tchèrètes èt dès vîs bwès

84    qui n’ valèt rin po fé ôte tchwè.

[Si n-y-a-t-i co dès-ôtes qu’èl front]

èt qui broûleront tote leû mohon.

Fèlbrouck èst-inmé è payis,

88   n’a nouk qui n’ vwèreût fé [di] s’ mî.

 

—  Matî, fês oûy [tot] çou qu’ ti vous

ca dji [t’] lê mêsse po âdjourdou.

Broûle tès tchèrètes èt tès hèrnas,

92   totes tès wéres èt tès canetias.

 

  1. et attrape une bouteille de brandevin (eau-de-vie de vin).
  2. triboler, carillonner. — 75. mârlî, marguiller. — 79. mèskeûre, ici : lésiner sur la dépense.
  3. Le mauvais état du manuscrit rend la lecture du vers incertaine. — 86. Compte tenu du contexte, il faut comprendre : d’autres, tellement leur joie est grande, seraient égale­ment capables de brûler leur ménage.
  4. Brûle tes charrettes et tes attirails (de charroi). — 92. wére, chevron, pièce de bois. La lecture du mot n’est pas sûre; can’tias, objets divers (fam. ou péjor.). — 93. quant à moi… —

 

(p.72) Tant qu’à mi, divins l’ djôye

qui dj’ so, dji broûlereû cotrê èt sabots,

po Fèlbrouck, i n-y-a rin qu’ dji n’ freû,

96   dji spîyereû mès hièles èt crameûs.

 

Ça, mès-èfants, priyîz l’ bon Dièw

afin qu’i lî done ine longue vèye

« et qu’il le conserve en santé »,

100 ca nos-avans on binamé.

Qui Dièw bènike tôt li chapite

qu’ont avou fêt on prince di mèrite,

qui Dièw li vôye ricompinser :

104 nos t’nans Fèlbrouck, nosse binamé !

 

Manuscrit  xvni*  siècle.  —  Inventaire,  n°   171.

 

  1. cotrê (arch.), jupe, jupon. — 96. je briserais ma vaisselle (litt. : mes écuelles) et mes crameûs, c.-à-d. les terrines où l’on met le lait à crémer.
  2. bènike, pour bènihe, bénisse : cfr note du v. 43. — 102. Le vers compte un pied de trop. Faisons remarquer une fois pour toutes que le caractère oral de nos anciennes pièces, surtout des chansons, explique que la mesure du vers, parfois, n’en est pas à une syllabe près et que l’assonance remplace à l’occasion la rime.

 

 

(p.73) ABBE GRISAR

(mort en 1796)

 

Les renseignements que l’on possède sur l’abbé Nicolas-Joseph Grisar font de lui un professeur de Seconde au Collège Royal de Namur entre 1777 et 1782, puis le curé de la paroisse Saint-Nicolas, de 1785 à 1795. Son passage dans l’enseignement lui avait valu quelques mesures disciplinaires, dues à son caractère et à sa conduite. Il mourra curé d’une petite paroisse rurale.

Est-ce pendant les dix années de son pastoral dans le quartier le plus pauvre de Namur qu’il composa les quelques chansons wallonnes qu’on lui attribue sur la foi de Jérôme Pimpurniaux, alias l’historien Adolphe Borgnet ? Celui-ci le qualifie de Béranger populaire de la Révolution brabançonne : jugement déplacé s’agissant de la plume réactionnaire de l’abbé Grisar. Celle-ci, fertile en allusions satiriques à l’endroit des autorités, vaut cepen­dant mieux, à tout prendre, que le talent par trop fruste du Sergent Benoît (1707-1784), l’auteur des Houzards et son prédécesseur dans la chanson namuroise.

 

21                                                                                                  [Namur]

Tchanson namurwèse

(Air : La jolie meunière)

 

Qwè ? v’là dèdjà nos volontêres ?

 Jèsus’ mâtêr ! Qwand is-èstin.n-t-à l’ pôrcèssion,

4 on- aureûve dit tos p’tits liyons.

 

CHANSON NAMUROISE. — Les volontaires moqués par l’abbé Grisar n’ont rien à voir avec le détachement de volontaires namurois aux uniformes jaunes qui s’illustrèrent sous le nom de Canaris dans l’armée des Patriotes rassemblée par les chefs de la Révolution brabançonne contre les Autrichiens. Les circonstances qui inspirèrent notre chanson, datée de septembre 1790, sont rappelées comme suit par Félix Rousseau : « En été 1790, les affaires militaires allaient mal. Les Autrichiens, concentrés sur la rive droite de la Meuse, menaçaient de franchir le fleuve. On décréta, dans toutes les provinces, une levée en masse de volontaires. Ceux-ci furent passés en revue à Bouvignes par Henri Van der Noot lui-même. Mais, peu exercés, mal commandés, nullement aguerris, ils lâchèrent pied au premier coup de canon. Il fallut les renvoyer dans leurs foyers. Ce furent les volontaires de Namur, ayant fait partie de cette dernière levée, qui exercèrent la verve de l’abbé Grisar » (Propos d’un archiviste sur l’histoire de la littérature dialectale à Namur, Namur, 1964, pp. 37-38).

 

1 Cette exclamation latine, variante parodique de l’invocation Jésus-Marie, ponctue avec ironie chaque couplet. — 3. Jusqu’à une époque encore récente, des détachements en armes formaient la garde d’honneur de certaines processions. —

 

(p.74) Mês qwand c’èst-à 1′ guère,

â Jèsus’ mâtêr !

En lès vèyant, nos volontêres,

â Jèsus’ mâtêr !

en lès vèyant tortos roter,

i chonèt qu’is v’lin.n tot touwer.

Mès qwand c’èst-à l’ guêre,

12          â Jèsus’ mâtêr !

 

Ah vrêymint, lès pôves volontêres,

â Jèsus’ mâtêr !

lès pôvès djins n’ont nin dwarmu,

16    ont pô mougnî et wêre bèvu

po-z-aler à 1′ guère,

â Jèsus’ mâtêr !

 

Mes pôvès djins, lèyîz-là l’ guère !

20          â Jèsus’ mâtêr !

V’là l’ pleuve, qui vos va tot frèchi.

V’s-alez gâter vos bias-abits

èt vos croter d’ têre,

24          â Jèsus’ mâtêr !

 

En vèrité, Monsieû Feyder,

â Jèsus’ mâtêr !

r’toûrnans turtos dins nos maujons !

28   Nos f’rans bin pus à 1′ pôrcèssion

è d’jant nos pâtêrs,

â Jèsus’ mâtêr !

 

Manuscrit (copie) XIXIe siècle. Edition par Tito zanardelu dans Langues et Dialectes, t. 1, Bruxelles, 1891, pp. 52-53. — Inventaire, n° 97.

 

  1. La phrase s’inter­rompt (de même au v. 11) pour sous-entendre malicieusement : c’est une autre affaire ! 10. Il semblait qu’ils voulaient tout massacrer. — 16. ont peu mangé et guère bu.
  2. pleuve, pluie; frèchi, mouiller.
  3. Le colonel Feyder était le chef peu glorieux de cette phalange improvisée.

 

 

(p.75) MARIAN DE SAINT-ANTOINE

(1726-1801)

 

Né et mort à Liège, Lambert Thomas fit sa profession religieuse en 1745 chez les Carmes déchaussés où il prit le nom de Marian de Saint-Antoine. De 1748 à 1781, il fut successivement professeur de philosophie, professeur de théologie et prieur du noviciat établi à Visé. C’est âs Cârmulins de Liège, en Hors-Château, que l’atteignirent les lois républicaines de 1796 qui sup­primaient les ordres religieux. Sécularisé, il exerça les fonctions d’aumônier chez les Ursulines, dont le couvent avait été maintenu comme établissement d’enseignement public.

En 1799, le P. Marian avait publié un pamphlet de 496 vers wallons qui, sous le titre d’Apolodjèye dès priyèsses qu’ont fait l’ sèrmint (Apologie des prêtres assermentés), argumente contre les ecclésiastiques qui exerçaient leur ministère clandestinement pour avoir refusé de prêter le serment républicain prescrit par la loi du 19 fructidor an V (5 septembre 1797). Intervenant avec vigueur dans une polémique qui divisait le clergé de nos provinces, cette œuvre est surtout curieuse par le ralliement qu’elle prêche au pouvoir établi, alors que son auteur, quatre ans plut tôt, s’était signalé comme farouche antirévolutionnaire (il est vrai que, dans l’intervalle, les idées avaient changé, et que Liège était réunie à la France).

C’est dans la seconde moitié de 1795 ou au début de 1796 que fut achevée la longue « pasquèye » où le Père Marian met dans la bouche d’un portefaix, Dj’han Sâpîre le bien nommé, un violent réquisitoire sur les calamités de la Révolution liégeoise. Prenant à partie les patriotes et leurs chefs, cette pièce est traversée d’un bout à l’autre par un souffle d’éloquence vengeresse qui ne s’apaise que pour tracer le sombre tableau des malheurs d’une ville livrée au désordre, à l’arbitraire, à la famine. Peu soucieux de chronologie, le P. Marian expose des faits qui couvrent aussi bien les débuts de la révolution, en août 1789, que les actes de vandalisme qui accompagnèrent la fin de l’indépendance liégeoise.

Des fragments avaient paru à l’époque (*), mais il restait à faire connaître l’ensemble, demeuré inédit, d’un chef-d’œuvre de la satire politique qui repré­sente le dernier éclat de la littérature d’action en wallon.

 

 

(1) Voir à ce sujet notre étude Un poète pamphlétaire liégeois à l’époque de la Révolution : le père Marian de Saint-Antoine dans l’Annuaire d’histoire liégeoise, II, Liège, 1940, pp. 360 et ss.

 

22                                                                                                         [Liège]

Pasquèye di Dj’han Sâpîre, pwèrteû â sètch

 

O ! vos loûrds mi-hés d’ pâtriyotes,

èstîz-ve è l’ fîve ou n’ vèyîz-ve gote,

sint Mèdâd v’s-aveût-i troublés

4    ou l’ diâle vis-aveût-i soflés,

qwand vos hoûtîz cès sî canayes,

qu’ont l’ cwér poûri djusqu’âs tripayes,

qui, po si r’ploumer, s’aritchi,

8    ont vindou èt rwiné l’ payis ?

Qui n’avîz-v’ turtos l’ gueûye colêye,

qwand vos brèyîz à l’ mâle djoûrnêye :

« Vive Tchèstrèt, Bassindje [èt] Fâbrî,

12   Lèvoz, Cologne èt Dj’han l’ Banselî ! »

Vos-ôhîz [bin] mîs fêt dè brêre

qui l’ diâle lès sètchahe èn-infiêr,

qu’avou ses grifes è trau d’ leû cou

16    i fihe moussî dè plonk fondou !

Lès pèlés m’-hés, avou leû paye,

qu’i loumèt d’ Fèhe èt qui l’ diâle âye,

 

PASQUILLE DE JEAN SERPILLERE, PORTEUR AU SAC

  1. L’auteur s’adresse aux « patriotes », nom qui désignait à l’époque et depuis 1789 les révolutionnaires, par opposition aux aristocrates. Mi-hé, euphémisme pour mi-vét, vêt (arch.) = vit, membre viril; oblitérée dans son sens premier, cette expression vulgaire, plusieurs fois reprise dans la pièce, y a valeur d’injure; pas plus que son actuel substitut m(i) coye (couille), elle n’est littéralement traduisible. — 2. fîve, fièvre. — 3. Pourquoi saint Médard ? — 4. ou bien le diable vous avait-il inspirés. — 5. Les six « canailles » sont nommées aux vers 11-12 et il y sera encore fait allusion au v. 100. — 7. Le reproche de chercher à s’enrichir a été plus d’une fois lancé aux chefs de la révolution liégeoise par leurs adversaires; cfr aussi vv. 23-24. — 9. Il faut comprendre : que n’aviez-vous de la chaux coulée dans vos gueules, ce qui sous-entend : la brûlure vous eût empêchés d’acclamer vos futurs chefs. — La « mauvaise journée » est celle du 18 août 1789. Cette date « joue dans la révolution liégeoise à peu près le même rôle que celle du 14 juillet dans la révolution française. Insurrection populaire de part et d’autre, mais, à Liège toutefois, sans la moindre effusion de sang » (P. Harsin, La révolution liégeoise de 1789, Bruxelles, 1954, p. 47). — 11-12. Le baron J.R. de Chestret et J.J. Fabry avaient été, au cours de cette journée, élus par acclamation bourgmestres-régents sur le perron de l’Hôtel de Ville, tandis que le marchand N.J. Levoz et G.J. de Cologne étaient proclamés co-régents. Le munitionnaire Jean Gosuin devenait mambour de la Cité : il est désigné ici par son sobriquet de Dj’han Y bans’fi (Jean le vannier) qui lui venait du métier de ses ancêtres. Quant à J.N. Basseuge, publiciste et polémiste, c’est le principal « penseur » de la révolution à Liège. — 16. (qu’)il fît entrer du plomb fondu. — 17-18. La paix (pâye) de Fexhe (1316), « notre contrat social » comme l’appelait Bassenge, formait à Liège la base de l’ordre public; objet de controverses depuis plusieurs années et reven­diquée par les patriotes, elle ne pouvait qu’inspirer la colère de notre auteur qui lui consacre les vers 17-26. —

 

(p.77) cisse pâye qui, dispôy deûs’ treûs-ans,

20   fêt sètchi lès p’tits et lès grands,

cisse pâye qui n’a ni cou ni tièsse,

qu’is n’ètindèt nin pus qu’ dès bièsses,

cisse pâye qui n’èst bone qu’à Fâbrî,

24 qui s’ vindje et qui s’ rimèt’ so pî,

cisse pâye qui dji lome on tchinis’,

di chagrin m’a fêt v’ni l’ djènisse !

 

I promètît, lès mâ-sêves tchins,

28    qui tot-à-fêt sèreût po rin,

qu’on r’nakereût so tchâpin.nes èt ros’,

qu’on [n’] magnereût pus qu’ dè souke à l’ loce,

qu’on mètreût djus tos lès-impôts,

32    qu’on sèreût qwite di s’ casser 1′ cô,

qui ci n’ sèreût qu’ djôye èt liyèsse,

qui tos lès djoûs sèrît djoûs d’ fièsse;

èt dispôy qu’i nos-ont r’novelés,

36    on-z-èst dî fèyes pus-afamés !

Divant çoula, dj’aveû dè l’ bîre,

dè pan, dè lârd èt dès crompîres;

dji vikéve assez ognèssemint,

40  tot pwèrtant dès sètchs so mès rins;

li dîmègne, dj’aléve à l’ taviène

beûre ine qwâte avou nosse Djihène;

on bon nohèt ni m’ mâkéve nin

44   par ci par là lès-â-matin.

N’èsteût-ce nin là, vos gueûyes di m’ coye !

po viker contint come on roy ?

 

  1. … et qui se remet sur pied, c.-à-d. qui rétablit sa fortune. — 25. tchinis’, ordure, détritus. — 26. djènisse, jaunisse.
  2. mâ-sêve (arch.), malsain, surtout d’un animal. — 29. Le sens est : qu’on se gaverait jusqu’à l’écœurement de grives et de rôti. Tout ce passage (vv. 27-34) développe avec ironie le thème des belles promesses concrétisé dans l’adage : demain, on rasera pour rien. — 30. Manger du « sucre à la louche » est l’image proverbiale de la félicité com­blée. — 35. « renouvelés » : allusion au nouveau régime politique.
  3. Dans ce passage et plus loin encore, le porte-parole de l’auteur s’exprime en tant que portefaix. — 38. crompîres, pommes de terre. — 42. Djihène (arch.), Jeanne. — 43. nohèt (arch.), petit verre d’alcool que l’on offre à l’occasion d’une rencontre. — 45. En franc, populaire, on dirait : vos gueules de mes deux ! — 47. … qu’ils (les révolutionnaires) nous ont rebaptisés (en « citoyens ») —

 

(p.78) Mês, dispôy qu’is nos-ont r’bat’hîs,

48 à pône a-dje dè pan à magnî;

mi feume a vindou totes sès cotes :

ile n’a pus qui deûs’ treûs clicotes;

mi djustâcôr è-st-â lombârd,

52   èt dji préveû qu’on pô pus târd,

i m’ fârè-t-aler so lès vièdjes

briber, fé dès honteûs mèssèdjes

èt ramasser on bokèt d’ pan

56   po noûri m’ feume èt mès-èfants.

 

Çou qu’èst l’ pés d’ tot, c’èst qu’â botike

vos n’ârîz nin crédit po ‘ne figue.

Tot l’ monde djèmih, tot l’ monde si plint;

60   nosse vèye est pés qu’à monumint;

on n’a pus ni plêzîr ni djôye,

on n’ wèse sofler avâ lès vôyes,

on-z-èst pinsîf, trisse et pèneûs,

64    on n’ veût qu’ dès visèdjes pâles èt bleûs.

I fât qu’on fole tos so s’ corèdje,

qu’on rèye divins l’ tins qu’on-z-arèdje,

qu’on-z-aplaudihe à tos leûs fêts;

68 sins çoula, adiè vos cwârês !

On v’ lès spîyerè-t-à vosse narène,

èt s’i v’ fârè co dîre âmèn’.

Cès tchins-là sont si arèdjîs

72 qui, si seûlemint vos lès loukîz

 

  1. clicotes, ici : guenilles. — 51. djustâcôr, justaucorps, blouse d’homme serrant la taille et descendant jusqu’aux genoux; â lombârd, au Mont-de-piété; la réputation d’usurier faite aux Lombards explique que leur nom ait désigné, en certaines régions, les établissements autorisés à prêter de l’argent sur gage (cfr Littré, s. v°, 4°). — 52. et je prévois… — 53. vièdjes, synérèse de viyèdjes, villages. — 54. Ces € honteux messages » sont les formules des « pauvres honteux » obligés de quémander la chanté.
  2. … pour une figue, c.-à-d. pour la moindre chose. — 60. notre existence est pire (= plus triste) qu’au monument (= au cimetière); monumint (arch.), tombeau, sens conservé dans l’expression liégeoise aler vèyî lès monumints, visiter les reposoirs du Christ élevés naguère dans les églises, depuis la messe du Jeudi-Saint jusqu’à l’Office du Vendredi-Saint; ce sens particulier, vu le contexte, n’est pas celui qui convient ici. — 65. Il faut que l’on contienne tous sa colère; foler so s’ corèdje, litt’ : marcher sur son courage. — 66. divins l’ tins qui, dans le temps (= en même temps) que. — 73. La cocarde (cocâde) nationale rouge et jaune était apparue à Liège le 16 août 1789; son port fut obligatoire à partir du 8 novembre 1790. Ceux qui ne l’affichaient pas s’exposaient à des brimades (cfr J. Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège, 1724-1852, H, pp. 211, 267, 270). —

 

(p.79) ou qu’ vos n’ mostrez nin vosse cocâde,

vos-èstez sûr dè l’ bastonâde.

Volà l’ bèle mi-hé d’ lîbèrté

76 qui cès m’-coye-là ont fêt r’viker !

On n’ kinoh pus ni pére ni mére;

on n’a mây vèyou téle misére;

on pind, on strône, on côpe li cô,

80 on d’rôbe, on viole; c’est co [trop] pô :

on-z-atake Dièw, on lî têt l’ guère;

on hape lès dîmes qu’il a so l’ têre;

on frohe lès prêtes à côps d’ baston;

84 on pèye, on sacadje çou qu’il ont.

Mâgré leûs lwès [èt] leûs rubrikes,

on l’zî vout fé pwèrter 1′ fisik;

on trête lès curés come dès tchins;

88 on l’zî fêt d’ner çou qu’is n’ont nin.

Notru-Dame même n’èst nin spârgnèye :

ile n’a pus nol abit d’à lèy,

on met’ â lombârd sès diamants,

92 tot s’ fotant d’ lèy èt di si-èfant.

Volà, vos m’-hés, lès suites affreuses

di vosse « révolution heureuse » !

N’êmereût-on nin mîs dè crèver

96   qui dè vèyî tant d’ pôvrèté?

Li diâle vis done à tos l’ corince !

Qu’avîz-ve mèsâhe d’ataker l’ prince,

 

  1. mi-hé : cfr note du v. 1. On retrouve la même ironie chez un correspondant de J.-B.-Nic. Ghisels, grand-écolâtre de Liège, cité par Daris, ibid., p. 269. — 83. on frotte (lit. : froisse) les prêtres à coups de bâton. — 86. Allusion à l’enrôlement des ecclésiastiques dans l’armée. On peut éclairer tout ce passage sur les vexations faites au clergé par J. Daris, op. cit., II, pp. 345-361 (les traits cités se rapportent à 1789-1790). — 89-92. La Notru-Dame est la statue de la Vierge, dans la paroisse Saint-Séverin, dont les ornements avaient été saisis pour être engagés au Lombard (cfr note du v. 51). — 94. L’expression est historique. Le 19 août 1789, les deux nouveaux bourgmestres, Chestret et Fabry, allèrent annoncer au chapitre cathédral l’abolition du Règlement de 1684 et le prièrent de chanter un Te Deum d’actions de grâces pour « l’heureuse révolution de la veille » (la référence au document original est dans A. Borgnet, Histoire de la Révolution liégeoise de 1789, I, p. 123, n. 3). — 97. corince, violente diarrhée. — 98. Il s’agit de Hoensbroeck, élu en 1784 prince-évêque de Liège. De caractère paisible, mais mal con­seillé, le chef de l’Etat avouait « beaucoup d’hésitation, de passivité et finalement une obstination dans une sorte de force d’inertie » (P. Harsin, op. cit., p. 78). — 100. que tout le corps de vos six mangeurs [de biens publics]; cfr note du v. 5. —

 

(p.80)

qui vât mîs, divins si p’tit deût,

100    qui tot l’ cwér di vos sî magneûs ?

Poqwè l’ miner so l’ Mêzon-d’-vèye

so l’ ponte dès lames di vos-èpèyes ?

Poqwè l’ sètchî fou di s’ palâs ?

104    Qu’aveût-i fêt qu’alahe si mâ?

Va-t-i mîs dispôy qui l’ canaye

va tot costé râyî dès mays

po planter à l’ ouh dès calins

108    qui nos front on djoû crèver d’ fin ?

Nosse mèstî a-t-i pus’ à dîre ?

Vis fêt-on beûre dè l’ mèyeû bîre?

Li pan è-st-i mèyeû martchî ?

112   Avez-v’ dè rosti à magnî?

Nos-èstans portant d’vins ‘ne an.nêye

bin mèyeû qu’ totes lès cisses passêyes,

èt, s’ cès m’-hés-là n’ piyît nin tant,

116   li pan d’vreût-èsse à dîh êdants.

Nosse pôve payis a l’ cou plin d’ dètes;

i n’y-a pus d’ l’ôle è l’ lamponète,

èt, s’i fât ‘ne fèye lès « frais » payî,

120    èl f’ront-i bin sins co hwèrcî?

Lès pèlés m’-hés ènnè sont câse :

so nosse mâ mètront-is ‘ne èplâsse ?

Qui mètrît-is, lès pouyeûs tchins,

124    qwand lès pus grands brèyeûs n’ont rin ?

I n’ s’ont mètou dè l’ confrêrèye

qui po sacadjî vièdjes èt vèyes.

 

101-103. De son palais (palâs) de Seraing, où il avait sa résidence d’été, le prince-évêque avait été contraint de se rendre à l’Hôtel de Ville (Mêzon-d’-vèye), le soir du 18 août, pour y ratifier les décisions prises par les révolutionnaires. La foule devait être houleuse, voire menaçante si l’on interprète bien « la pointe des lames de vos épées » du v. 102, détail corroboré par le Discours d’un curé liégeois (1791) qui évoque l’arrivée du prince « comme un criminel, à travers des milliers d’armes étincelantes » (cfr J. Daris, op. cit., II, p. 98, note). — 106. Dans son acception générale, un may (litt. : mai) est un arbre de mai ou un branchage orné que l’on plante en signe d’honneur. — 109. Notre métier : celui des porteurs-au-sac dont Dj’han Sâpîre fait partie. — 116. … à dix liards; l’ êdant valait le quart d’un sou. — 117. Sur l’endettement du pays et la disette des vivres à Liège, le témoignage du P. Marian, ici et ailleurs, rejoint et complète les historiens A. Borgnet et J. Daris déjà cités. — 118. ôle, huile. — 120. hwèrcî, écorcher (allusion à de nouvelles levées d’impôts). — 122. èplâsse, emplâtre. — 124. — brèyeûs, braillards. — 125. con­frêrèye, ici au sens de coterie politique. — 126. vièdjes, cfr note du v. 53. —

 

(p.81)

Mês, çou qui nos louke di pus près,

128    si jamây is rèûssihèt,

tot l’ monde pwèrè pwèrter dès sètchs:

qu’ârez-ve po noûri vosse manèdje?

Nosse mèstî sèrè-t-â qwiyâ;

132    vos èt mi, nos brôyerans nosse mâ.

Is s’ fotèt bin d’ qwè vos vikésse,

qui v’s-âyîsse pan, boûre ou pot’kése;

porveû qu’ magnèsse so tos leûs dints,

136    qu’is buvèsse bone bîre èt bon vin,

vos-ârîz misére èt famène

qu’i n’ vis dôrît nin po ‘ne rècène.

Ces leûs-warous-là magnèt tot

140    èt s’ hièrtchèt hièles, marmites èt pots,

sins lèyî rin d’vins lès mohones

qui çou qu’ hoyèt foû d’ leûs marones.

Mahomèt èt sès Sarazins

144 adlé zèls sèrît bons crétyins.

Ni vêrè-t-i nin fou d’ l’infiêr

on diâle qu’ lès batrè à côp d’ niêr

èt qu’ po mî assèner sès côps

148    qu’èlzî fasse mète li cou-z-â hôt,

èt qu’i plake dissus ine èplâsse

d’in-onguent pêtri à l’ vîve tchâs’ ?

Mês sèreût-ce assez po Fâbrî,

152   Lèvoz, Cologne èt Dj’han l’ Banselî ?

On sohête qui ces-âmes dan.nêyes

totes lès qwate à ‘ne tchêne atèlêyes

 

  1. « Notre métier sera à quia » puisque — c’est le sens du v. 129 — la profession ne sera plus protégée. L’auteur n’oublie pas qu’il fait parler un membre de la corporation des porteurs, l’un des 32 bons Métiers de la Cité de Liège. Possédant de longue date leurs règlements et privilèges, ceux-ci formaient une organisation professionnelle qui jouait un rôle poli­tique dans la Cité. Les Métiers ne devaient point survivre à la Révolution. — 133. Ils se foutent bien de quoi vous vivez. — 134. pot’kése, fromage en pot, fait de caillebotte épicée (DL, 503). — 135. pourvu qu’ils mangent de (litt1 : sur) toutes leurs dents. — 138. qu’ils ne vous donneraient pas pour [acheter] une carotte. Pour le sens de rècène, on peut hésiter ici entre « racine » et « carotte ». — 139. leû-warou, loup-garou, ici au sens péj. de bête cruelle. — 140. et ils emportent (litt* : traînent derrière eux) écuelles… — 142. que ce qu’ils laissent tomber de leurs culottes, c.-à-d. leurs excréments — 146. niêr, nerf (de bœuf, pour frapper). — 150. … à la chaux vive. — 151-152. Quatre des noms cités aux vv. 11-12. —

 

(p.82)

seyèsse hièrtchêyes so nosse martchî

156    po avu leûs-ohês k’frohîs.

Dji n’ di rin, mês qui 1′ diâle mi bate,

si dji n’ vindéve mès deûs savates,

po heure on nohèt à 1′ santé

160    dè bouria qu’ lès-âreût rouwés !

Alez, tos vos m’-hés d’ patriyotes,

qui 1′ diâle vis d’hite èt qu’i v’ dicrote !

On djoû vêrè qui v’ pârez bin

164   di nos-aveu d’né tant d’ chagrin !

 

Vos-avez distrût 1′ câtèdrâle

avou s’ bê âté, s’ bê docsâl,

sacadjî l’ mausolé Markâ

168    ci bon prince qu’a bâti 1′ palâs;

èt çou qui m’ fêt pâmer d’ tristèsse

èt drèssî tos lès dj’vès d’ nosse tièsse,

kitrâgné 1′ binamé crucefis,

172    qui fêt l’ djôye di tot l’ paradis;

spiyî lès clokes à côp d’ cougnêye

qui rèdjouwihîn’ tote li vèye,

distèrminé l’ pus bê clokî

176    qui mây di s’ vèye on-z-âye loukî,

qu’aveût-ine creûs dès mîs dorêyes

qu’aléve quâsî djusqu’âs nûlêyes,

 

155-156. soient traînées sur notre Marché / pour avoir leurs os

brisés. —- 159. nohèt: cfr note du v. 43. — 160. bouria, bourreau. — 162. que le diable vous conchie et qu’il vous décrotte. — 163. parez pour pây(e)rez, paierez.

  1. Commence ici la diatribe dirigée contre les destructeurs de la cathédrale Saint-Lambert. Elle parut sans titre, en 1798, dans La Vérité à Liège (28 brumaire an VII) du publiciste Henri Delloye (dit « Le troubadour liégeois ») et fut reproduite dans le Choix de 1844 sous le titre Li clokî d’ Saint-Lambiet. La démolition de la cathédrale avait été décrétée par l’« Adminisration centrale provisoire du pays de Liège =>, le 18 février 1793, le lendemain du jour où fut votée la réunion du pays de Liège à la France. Un « Comité des Travaux publics >, composé de trois membres, était chargé de l’entreprise. Ce n’est qu’en juillet 1795 que fut abattu le clocher dont il est question aux vv. 175 et ss. — 166. avec son bel autel, son beau jubé. — 167-168. C’est du règne du prince Markâ, Erard de la Marck (1505-1538) que date le palais des princes-évêques dans la cour de l’actuel Palais de Justice de Liège; le mausolée élevé dans la cathédrale à la mémoire de ce prince était l’un des principaux monuments artistiques de la Renaissance liégeoise. — 169-172. Ces 4 vers, omis dans notre manuscrit, figurent dans l’édition Delloye et le Choix; kitrâgné, traîné dans la boue. — 174. qui réjouissaient… — 175. distèrminer, exterminer, détruire. — 176. que jamais de sa vie on aie regardé.

 

(p.83)

èt, po d’zos, on dobe carilion

180    qui triboléve d’ine téle façon

qui, sins s’ bodjî foû di s’ coulêye,

on-z-oyéve eûres, qwârts d’eûre èt d’mêyes,

çou qu’èsteût ine comôdité

184    dès pus grandes po tote nosse cité.

On djètereût dès lâmes ossi grosses

qui lès pus rôlantès pâtenosses

dè tchapelèt dè vî fré Mitchî,

188   totes lès fèyes qu’on passe so 1′ Martchî !

Vos race di gueûs, Dièw mè l’ pardone !

avîz-ve li diâle è vos marones

ou arèdjîz-ve qwand v’s-abatîz

192   on si bê èt si hôt clokî?

Qui n’avez-ve divins vos tchabotes

dè stron d’arondje ou bin d’ houlote !

ou qui n’ vis-ave tos cassé l’ cô

196    qwand v’s-avez fèrou l’ prumî côp !

Vos neûrs mi-hés ! avez-ve èvèye

di n’ pus fé qu’on vièdje di nosse vèye?

Qui n’avez-ve è cwér li hawê

200 qu’a distrût in-ovrèdje si bê !

 

Manuscrit Moxhon (copie exécutée fin XVIIIe-début XIXe siècle). Edition de quelques passages, avec commentaire, par M. piron dans Annuaire d’histoire liégeoise, II, 1940, pp. 372-378. — Inventaire, n° 126.

 

– 180 triboler, en parlant de cloches : sonner à petits coups répétés. — 181. coulêye, coin du feu. — 185-192. Nous suivons l’édition Delloye – Choix, pour ce passage que notre manuscrit place après le v. 200. — 186-187. que les grains les plus gros (litt’ : patenôtres) / du chapelet du vieux frère Michel. Ce dernier était sans doute un frère du couvent des Carmes. — 188. Le Marché était voisin de l’emplacement de la cathédrale dont une partie des ruines subsistait encore après 1800. — 190. marone (arch.), culotte, pantalon; avu V diâle è s’ marone, être poussé du démon (DL 373). — 193. tchabote, petit creux (dans un arbre, une dent, etc.). Le souhait malveillant d’y trouver de la chiure d’hirondelle ou de hulotte (v. 194) expliquerait peut-être qu’il s’agit des trous creusés par le pic des démolisseurs? — 195. … rompu le cou. — 196. fèrou (arch.), frappé. — 198. vièdje : cfr note du v. 53. — 199. hawê, houe servant à piocher, à défoncer. La suite du poème, que nous laissons tomber, s’étend dans notre manuscrit du v. 201 (Vos toûrmètez prêtes et nonètes) aux w. 267-8 (Priyî Dièw qu’i fasse sins mâker / çoula tot d’ swite exécuter). L’auteur abandonne, plus encore que dans le passage pré­cédent, le point de vue du portefaix pour s’identifier à celui du religieux qui déplore les vexations subies par l’Eglise et appelle sur les coupables le châtiment des hommes et de Dieu. La partie essentielle de cette finale assez médiocre est constituée par l’énu-mération des tableaux et œuvres d’art qui furent enlevées des églises liégeoises pour être dispersées : ces 42 vers peuvent se lire dans le Choix de 1844, pp. 175-176, qui les reproduit d’après l’une des feuilles du « Troubadour liégeois » (Inventaire, n° 134).

(p.84)

ANONYME

[Amphigouri]

 

Le texte assez extraordinaire qu’on va lire a-t-il sa place dans une anthologie d’oeuvres qui ont un statut littéraire ? Il appartient à la tradition orale, ayant été recueilli, vers 1892-93, par le folkloriste liégeois Eugène Monseur, de la bouche d’une vieille personne de 81 ans, Mme Tasset, qui le tenait de sa mère, née à Liège, ce qui nous reporte à tout le moins aux dernières années du XVIIIe siècle.

Monseur y voyait « un mélange de prière populaire et de randonnée » avec, ajouterons-nous, des bribes d’enfantine. Cette composition hybride se rap­proche, par la forme, de ce qu’on a appelé, dans la paralittérature des siècles passés, fatrasie, coq-à-1’âne ou galimatias. Poésie du non-sens, dirions-nous aujourd’hui, en songeant qu’un texte folklorique peut, sans le faire exprès, déboucher sur une manière de surréalisme…

 

23                                                                                                     [Liège]

Solo dè bon Diu

 

Solo dè bon Diu, vinez

so m’ cossin,

vinez m’ dîre quéle eûre qu’il èst,

4 s’il è-st-ine eûre,

s’il est deûs-eûres,

amon Marèye Bèle-fleûr.

Masindje, masindje,

8 ave dès poyes à vinde ?

Kibin lès vous-se vinde ?

Dî boûf, dî vatches,

trinte tchèrêyes di crâs froumadje.

12   Halète, halète, kimint monterè-dje ?

 

SOLEIL DU BON DIEU

  1. cossin, oreiler (litt* : coussin). — 7. masindje, mésange. — 10. boûf, bœuf. — 11. crâs, gras; plus loin à, au, djârdin, jardin, etc. 0). Il semble que ce soit de la fin du XVIIIe siècle ou des débuts du suivant que date à Liège-ville le passage de à long vers un o ouvert : « hâle, échelle, se prononce à peu près comme l’anglais hall » (DL, XXVI). — 12. halète,
  2. C) C’est donc à partir d’ici, puisqu’il faut fixer un terminus a quo, que nous adoptons la graphie à, au lieu de à, pour les textes en parler de Liège.

 

(p.85)

Qui n-a-t-i là?

D’ l’ôr èt dès ducats.

W’è-st-i mètou ?

16  Drî 1′ blok dè Noyé.

W’è-st-i 1′ bloc’ dè Noyé ?

Li feû l’a broûlé.

W’è-st-i l’ feû ?

20   L’êwe l’a distindou.

W’è-st-èle l’êwe ?

Li boûf l’a bu.

W’è-st-i 1′ boûf ?

24              Li mangon l’a touwé.

W’è-st-i 1′ mangon ?

Il-è-st-â coron di s’ pré.

Qui fêt-i là ?

28              I sôye si foûr.

Foûr à m’ vatche;

vatche mi rind lècê.

Lècê å coleû;

32      coleû m’ rind crin.me.

Crin.me à 1′ sèrène;

sèrène mi rind boûre.

Boûre å crâssî;

36        Crâssî m’ rind tchandèle.

Tchandèle å houyeûs;

houyeûs m’ rind hoye.

Hoye å brèsseû;

40       brèsseû m’ rind bîre.

Bîre å payîzan;

payîzan m’ rind grin.

Grin å mounî;

44              mounî m’ rind farène.

Farène å boledjî;

boledjî m’ rind pan.

Pan à m’ mère;

 

petite échelle. — 16. « Derrière le bloc de Noël » : il s’agit probablement du sabot de Noël. — 24. mangon, boucher. — 28. H fauche son foin. — 29. A. Hock fournit ici la variante suivante, à peine moins abrupte : Volà m’ possî-posson [pot] po beûre. / Dj’ pwète à beûre à m’ vatche. — 31. coleû, couloir, passoire pour le lait. — 33. sèrène (arch.), baratte. — 35. crâssî, litt. : marchand de gras, d’où, ordinairement, charcutier. —

 

(p.86)

48 mi mére mi fêt deûs tåtes :

one di neûr, one di mwètchåve.

Li cisse di neûr, dj’èl done å pôve;

pôve mi rind påtêr.

52   Pâtêr å bon Diu,

qui l’ bon Diu m’ vinse qwèri,

po mète è s’ bê paradis,

wice qu’i fêt si bê,

56   èt qu’i n-a dès p’tits-ognês,

èt dès p’titès bèrbisètes,

qui cueillent la violette,

eune à eune, deûs-à deûs,

60   è djârdin d’ note Sègneûr,

qui lét sès-eûres;

Obriyèl,

qui lève sès hièles;

64              Obriham,

qui lève sès hames;

Notru-Dame, qui djowe âs dames

68         avou lès qwate pîds di s’ hame;

sint Pîre, sint Pô,

qui djowît tos deûs å stô.

Il a passé on p’tit valet

72         qui lî a hapé s’ bonèt :

« Rinds-m’ mi bonèt », dist-i.

Volà l’ fåve foû,

make so 1′ soû !

76         Vos magnerez 1′ hågne èt mi l’oû.

 

Bulletin de folklore, II, 1893-1895, pp. 155-158, recueilli par E. monseur. Variantes fragmentaires dans A. hock, Liège au XIX’ siècle, Liège, Vaillant-Carmanne, 1885, pp. 267-268 (correspondant aux vv. 29-56) et dans J. defrecheux, Les enfantines liégeoises, Liège, Vaillant-Caimanne, 1888, p. 83 (corresp. aux vv. 60-70).

  1. one, pour le fém. ine; mwètchåve (arch.), pain mêlé (litt. : moyen) fait moitié de froment et moitié de seigle. — påter, patenotre. — 57. bèrbizète, jeune brebis. — 61. eûres, heures canoniales, parties du bréviaire qu’on récite aux diverses heures. — 62-63. Obriyèl, pour Gâbriyèl’, [l’ange] Gabriel, qui fait sa vaisselle. — 64. Obriham, pour Abraham. — 65 et 68. hame, escabeau, siège de bois sans dossier ni bras. — 70. … qui jouaient ensemble à la balle. — 74-76. Voilà la fable dehors, frappe sur le seuil, vous mangerez la coquille et moi l’œuf; formulette de sens obscur terminant ordinairement les contes de nourrice.

 

(p.87)

ANONYME

La mêtrèsse de Dampicou

 

Ce titre est celui d’une chanson populaire du pays gaumais qui se retrouve, sous d’autres versions, en Lorraine et dans les Vosges. L’histoire qu’elle conte appartient au thème de l’amie infidèle ou de l’amoureux dupé : un pauvre garçon apprend par surprise que la fille qu’il aime va se marier, et il arrive dans son village au moment de la noce. La résignation dont il fait preuve, sans que les brimades l’épargnent, ne laisse pas d’être touchante. Il est vrai qu’elle est partagée par la jeune épousée : « je la regardais, elle me regardait; je soupirais, elle soupirait». Le mariage avait été arrangé par le curé…

Le texte de la version que nous reproduisons a été reconstitué par Jean Haust à partir de trois sources recueillies dans la région de Virton; l’un de ces témoignages permet de faire remonter notre chanson à la fin du xvme siècle, bien que le thème soit certainement plus ancien. On en appréciera le style simple, sans apprêt comme sans bavure; son dépouillement est bien à l’image de la peine des humbles dont on dit parfois qu’elle est muette.

 

24                                                                                       [Sud de Virton]

 

Dj’avou ‘ne mêtrèsse à Dampicou,

dj’ l’alou vwar prèsquè tous lès djous.

Djè n’atou-m’ in grand dèpansou,

pace què dj’ n’avou jamâ wâ d’ sous.

Aveu ène mîtan d’ fourboulâye

6   dj’a-n-avou pou toute ma djournâye.

 

In côp dj’ m’a-n-alou ‘t-au matin;

dj’â rencontrèy èl gros Martin.

I m’ dit coume ça : « Où-ce que t’ t’a vas ?

Prend tès solèys, mèt-lès sous t’ bras,

 

LA FIANCEE DE DAMPICOURT (village proche de Virton, au sud-ouest). On a utilisé pour ce commentaire les notes de J. Haust dans l’édition citée.

  1. Je n’étais pas un grand « dépenseur ». Au lieu du type nin (et variantes), commun eu Wallonie, le gaumais exprime la négation par (n’) mi (= mie), avec réduction de mi à m’ en position enclitique. — 4. wâ, guère. — 5. avec une moitié de fourboulâye, de marmitée de pommes de terre cuites à l’eau.
  2. Un jour (litt. : un coup), je m’en allais tout au matin. — 10. Le vers signifie : Dépêche-toi. Si les souliers sont gros, on les enlève pour courir.

 

(p.88)

ca c’èst ène tchôse bi-n assurâye

12   què ta mêtrèsse va ète mariâye. »

 

Quand dj’â v’nu su l’ Haut-dès-possons,

on-z-oyout d’djà lès viyolons.

Is s’an’ alint è-rè-gnin-gnin,

èt s’ m’ avant dit : « Bondjou, cousin !

Atrez ci-d’da, à la mâjon,

18    on v’ bârè ‘ne boune trantche de djambon. »

 

I m’ant fât assîr on culot

èt s’ m’ant aporté don magot.

Dj’avou 1′ gordjon si dèbrôlèy

què dj’ n’a savou pus avolèy,

si cè n’atout quékes bounes goulâyes

24    què m’aportout la mariyâye.

 

Djè la r’wâtou, èle mè r’wâtout;

djè soupirou, èle soupirout.

Djè m’avou toudjou bin doutèy

què ç’atout d’ la faute don keurèy :

s’i n’ lès avout-m’ vèlu marièy,

30   dj’arou co pu la rèchapèy.

 

I nous-avant moûné dansi,

mâ dj’ n’avou pont d’ sous pou payi,

 

  1. Le Haut-des-Possons est une colline située près de Grandcourt, au sud-est de Virton.

—   15.  è-rè-gnin-gnin, onomatopée imitant le son des violons. — 16.  èt s’ (latin et sic), litt’ :  « et ainsi », de même aux vv. 20,  33, 35 (40, s’ seul). Tour arch. fréquent dans les anciens textes liégeois, qui correspond aujourd’hui à «et»; cette locution copulative comporte parfois une nuance de renchérissement (cfr L. Remacle, Syntaxe, III, p. 27). Le i « ils du v. précédent se rapportait aux violons de la noce  (instruments). Ici, le pronom sujet,  omis  comme souvent en syntaxe parlée,  désigne l’entourage des mariés; ce « ils », que le peuple emploie pour nommer les autres,  apparaît encore au v.  19 et dans les deux dernières strophes. — 17. Entrez ci-dedans,  à la maison, c.-à-d. dans la cuisine. — 18. on vous baillera… (=  donnera).

  1. fât, fait; on culot, au coin de l’âtre. — 20. don, du; magot, préparation faite d’estomac de ruminant (mets peu estimé). — 21-22. J’avais le gosier si détraqué / que je n’en pouvais (litt’ : savais) plus [rien] avaler. — 23. atout, était; goulâye, louchée (litt’ : bouchée).
  2. r’wâfi, regarder. — 28. don keurèy, du curé. — 29. s’il ne les avait pas voulu marier.

—  30. rèchapèy, sauver, ravoir.

  1. Ils nous (= lui et les invités) ont mené danser. — 32. mâ, mais. —

 

(p.89)

èt s’ dj’avou co mès gros solèys

djondus aus pids coume dès colèys;

èt s’ m’arint co v’lu fâre hîpèy,

36  mâ dj’â veû qu’ ç’atout pou s’ mokèy.

 

Is m’ant moûné coûtchi su 1′ fon;

pou don soume, djè n’a-n-avou pont.

Is s’avant v’nu coûtchi d’lé mi,

s’ m’ant dègugni toute la neûtie.

Dj’â bi n-oyi à zô dijâye

42   què ma mêtresse atout mariâye !

 

  1. haust, La Maîtresse de Dampicourt, dans Le Pays gaumais, 6-7, Virton, 1946, pp. 102-104 (avec musique notée).

 

33-34. et j’avais encore mes gros souliers / attachés (litt. : joints) aux pieds comme des colliers [de che­vaux], — 35. fâre hîpèy, faire pousser des hip ! hip !, c.-à-d. des cris de joie.

  1. … sur le foin. — 38 pour du sommeil (litt. : somme), je n’en avais point. — 39. Ils s’ont (= se sont) venus… — 40. et m’ont donné des bourrades toute la nuit. — 41. J’ai bien entendu à leurs paroles (litt* : disée).

 

(p.90)

GILLES RAMOUX

(1750-1826)

 

Né à Liège, mort à Glons, l’abbé Ramoux fut préfet et professeur de rhéto­rique (1773-1784) du Grand Collège établi par le prince-évêque Velbruck en remplacement de celui des Jésuites, dont l’ordre venait d’être dissous. Un des fondateurs de la Société d’Emulation en 1779, il quitta Liège cinq ans plus tard pour prendre possession de la cure de Glons, village de la vallée du Geer où il stimula l’industrie, bientôt renommée, du chapeau de paille, tout en s’attachant à des problèmes sociaux, tels que la santé publique ou l’indigence. Ce « législateur des bords du Geer », à qui est dû le célèbre chant Valeureux Liégeois (1790), n’a laissé que très peu d’œuvres en dialecte : outre un duo composé en 1782 à l’occasion d’un retour de Grétry à Liège, la plus connue est la complainte qui suit. Faisant pièce aux nombreuses chansons contre les femmes, elle illustre le thème ancien de la « mau-mariée », déjà représenté dans la littérature wallonne, notamment par l’un des plus fameux airs du Voyèdje ai Tchôfontinne (1757) :

Qui m’ lét n’a-t-i broûlê qwand df m’èhala d’in-ome ! Pô poleûr m’ènnè d’fé dj’îreû nou-pîs à Rome…

 

25                                                                                                     [Liège]

Complainte d’ine pôve boterèsse

ou Li mâ-mariêye

 

Qui n’ so-dje èco come dj’èsteû

divant d’èsse mariêye !

Dji loukereû d’ mî miner m’ djeû

4          po n’ pus èsse trompêye.

Mi bouname è-st-on pôve sîre

èt dj’a stou, djèl pou bin dîre,

ine pôve aveûglêye. (bis)

 

COMPLAINTE D’UNE PAUVRE HOTTEUSE OU LA MAL MARIEE. — L’édition originale de 1804 ne comporte que les quatre premiers couplets intitulés Complainte d’une pauvre boterèsse. Le cinquième, qui paraît bien être aussi de Ramoux, fut ajouté lors d’une des nombreuses rééditions de la pièce sous le titre Li ma mariêye; on le reproduit d’après l’édition fournie par le Choix de 1844. Ce dernier propose plusieurs variantes rétablissant une métrique correcte, sans en préciser l’origine.

  1. bouname, bonhomme. — 6. et j’ai été… Au lieu de stu, forme de Liège, l’orig. a stou attestée auj. à l’ouest et au sud (cfr ALW, 3, 232).

 

(p.91)

8    I n-y-årè bin vite qwatre ans

qui dj’ soufe, qui dj’èdeûre;

ç’ fourit po 1′ nut’ dè 1′ Sint-Dj’han :

bènèye l’avinteûre !

12    Qwand dji hoûta sès sièrmints,

o ! qui n’ touma-dje so 1′ moumint

å fî fond d’on beûr ! (bis)

 

C’è-st-on drôle cwér måheûlé

16           qui n’a nole goviène;

si vite qu’il èst fou dè lét,

vo-le-là à l’ taviène !,

 so 1′ tins qu’avou mès-èfants,

20   sins boûre, sins froumadje,

sins pan, à plorer, dji d’fène… (bis)

 

Qwand i r’vint d’å cabaret,

‘1 est sô come ine bièsse;

24   il èst todi plin d’ pèkèt

djusqu’å d’zeû dè l’ tièsse

èt s’ print-i ‘ne quowe di ramon

po m’ fé danser l’ rigodon :

28          volà sès carèsses ! (bis)

 

Mi mére mi l’aveût bin dit

qui dj’ sèreû trompêye…

Dji m’ crèyéve è paradis !

2          di m’ vèy ahèssêye !

 

  1. Orig. : qui dj’ lanwihe, que je languis. — 10. ce fut par la nuit de la Saint-Jean. — 11. Orig. : bènèye seûy (soit) l’avinteûre. — 14. au fin fond d’une bure (puits de charbon­nage). Orig. : tot â fî…
  2. måheûlé, grossier, rustre (litt. : mal embouti). — 16. goviène, gouverne (f.). — 18. taviène (arch.), taverne. Orig.: vol-le-là l’ gueûye à… — 21. … je dépéris; la leçon de l’orig. dji m’ difène est plus conforme à l’usage parlé.
  3. quowe di ramon, manche de balai. — 27. rigodon, danse très vive en vogue aux XVIIe –XVIIIe siècles, ici, au fig. Orig. : on rigodon.
  4. de me voir pourvue (de mari).

 

(p.92)

Mågré mes pônes, mes toûrmints,

binamêye ! poqwè n’a-dje nin hoûté vos consèys ? (bis)

 

« Trouverre en tournée chez Francs-Français… » (Henri Delloye), Liège, 1804, an XIII, I, p. 22 et Choix, pp. 93-94. C’est ce dernier texte, versifié correctement, que l’on suit (les variantes, peu importantes, sont indiquées dans les notes).

 

Un sixième et dernier couplet, reproduit déjà dans le Choix de 1844, peut être attribué à Henri Forir, qui, selon Ulysse Capitaine (BSW, 2, p. 396 et ASW, 1, p. 140), l’aurait également ajouté lors d’une réimpression de la pièce et qui en fait état dans une lettre à ce dernier du 1er juillet 1859.

36   Tant qu’in-ome è-st-amoureûs,

vîve l’ètat d’ marièdje !

Mês ‘ne fèye qu’il a tapé s’ feû,

c’èst l’ diâle è manèdje.

40  On n’est nin treûs nut’s

avou qu’i fêt come on leûp-warou :

c’èst tot l’ djoû l’arèdje !

 

  1. … jeté son feu, son ardeur. — 41. leûp-warou, loup-garou. — 42. c’est toute la journée le tapage.

 

 

(p.93)

JACQUES-JOSEPH VELEZ

(1759-1822)

 

« Jurisconsulte et avocat, ex-préposé à l’Etat-Tiers, actuellement directeur des taxes municipales » : l’acte de décès qui qualifie ainsi JJ. Vêlez, né et mort à Liège, aurait pu compléter ces titres par celui des autres fonctions qu’il exerça sous le régime français.

Contemporain des derniers princes-évêques, Vêlez avait étudié au collège des Jésuites-en-Isle, puis s’était lié avec les fortes têtes de la Révolution liégeoise avant de devenir le chantre attitré des vertus maçonniques et de la gloire napoléonienne.

Car ce fonctionnaire fut poète. Un chansonnier plutôt, qui taquinait volontiers la muse civique en la revêtant des livrées du Caveau. Ses chansons françaises, dispersées au gré des feuilles de circonstance, reflètent les conventions du style officiel de l’époque. Un imprévu, pourtant, dans cette carrière opti­miste : la satire wallonne, qu’entre deux changements de régime. Vêlez écrivit contre une occupation prussienne qui lui pesait autant qu’à ses concitoyens. Cette chanson caustique circula d’abord en copies, et peut-être le nom de son auteur ne nous serait-il point parvenu, si sa petite-fille n’avait épousé le notaire Joseph Dejardin qui recueillit le texte en 1844 dans son Choix de chansons et poésies wallonnes publié avec François Bailleux. Ainsi Vêlez devait-il être sauvé de justesse par le biais de l’Anthologie wallonne où il n’ambitionnait certes pas de figurer un jour !

L’air de la chanson — une marche allemande qu’on trouvera notée dans Wallonia (V, 1897, pp. 50-51) — avait donné à celle-ci une popularité que les recommencements de l’histoire allaient se charger de rendre encore actuelle, juste cent ans plus tard.

 

 

26                                                                                                    [Liège]

Lès Prussiens

(Air : Marche prussienne)

 

Save bin çou qu’ c’è-st-on Prussyin ?

C’è-st-on djêrå qwate-panses,

qui peûse d’on djoû å lendemin

4 pus d’ sî lîives è l1′ balance;

 

LES PRUSSIENS

  1. c’est un glouton (djêrå, de djêrî, éprouver un appétit déréglé)  à quatre panses.

 

(p.94)

èt, qwand rin n’ lî cosse,

qui beût tant qu’ ‘l a 1′ tos’;

c’è-st-on magneû d’ pan-payård,

 8         qui n’ våt nin qwate patårs !

 

C’è-st-on pourcê fornoûri

qui n’ sondje qu’à 1′ cabolêye,

qui n’ vis dit djamåy mèrci

12         èt qui grogne è 1′ coulêye.

Si long qu’on djoû seûye, il a 1′ pîpe è 1′ gueûye. Dji n’ sé si 1′ diâle lès-a tchî

16         po nos fé arèdjî !

 

Dj’aveû dè lård å plantchî,

dj’aveû dè 1′ bîre è 1′ cåve;

il ont tot bu, tot magnî,

20         is n’ m’ont lèyî qui 1′ tåve.

S’is vont å voyèdje,

hèrèt è leû sètch.

On n’ sâreût wågnî à fêt

24         po rimpli leûs boyês !

 

Ci sont dès colons bårbèts

å fêt dè 1′ colèbîre,

qu’ènnè vont èt qui riv’nèt

28         come dès tchèts po 1′ lårmîre.

Is r’ssonlèt lès gades,

todi so leûs pates,

 

  1. qui boit jusqu’à ce qu’il tousse. — 7. magneû d’ pan-payård (expr. altérée de magneû d’ pan bayård, mangeur de pain noir de seigle, de pain grossier), écornifleur, propre-à-rien. — 8. patår, « patard », ancien sou de Liège.
  2. fornoûri, nourri avec excès. — 10. cabolêye, chaudronnée: terme réservé à la nourriture du bétail, d’où, ici, le sens péjoratif de « ratatouille ». — 12. coulêye, coin du feu.
  3. å plantchî, suspendu au plafond. — 21. å voyèdje, en voyage. — 22. Le texte porte / herret… (ils fourrent dans leur sac), ce qui donne une syllabe de trop. On peut omettre le pronom de la 3e personne, conformément à une habitude de la langue parlée. — 23. On ne saurait gagner au fur et à mesure.
  4. colon bårbèt, pigeon cravate liégeois, très endurant. — 26. bien au fait du pigeon­nier. — 28. lârmîre, soupirail. — 29. ils ressemblent aux chèvres.

 

(p.95)

li nez å vint po vèyî

32         s’i n’y-a rin à crohî.

 

Is-ont dès cous à soflèt

dizos dès streûts caszakes,

èt s’ont-i dès cossinèts

36         tot pavé leû stoumak.

Ronds come dès timbales

èt plins djusqu’ås spales,

on n’ lès veût måy

s’abahî qui po tchîr ou pihî !

 

Volà vint meûs qu’è 1′ måhon

tot nosse manèdje èdeûre;

djusqu’à nosse sièrvante Djèneton

44         ènnè pwète ine infleûre…

Volà lès drinhèles

qui d’nèt ås båcèles.

I få-st-avu 1′ diåle è cou

48         po s’amûser avou !

 

On n’ sét co qwand ènn’ îront,

is sont pés qu’ dès-èplåsses.

Is sucèt come dès tahons

52         èt n’ont-i djamåy håsse.

 

  1. « Ils ont des culs à soufflet », c.-à-d. des postérieurs énormes. — 34. sous d’étroites casaques. — 35. èt s1, loc. copulative (= et) : cfr supra, passim. Les coussinets désignent au figuré les boursouflures de la poitrine (stoumak) des Prussiens.
  2. Voilà vingt mois que dans la maison; måhon, forme de l’est (Verviers, Spa) au lieu de mohon, auj. mohone, à Liège. Les « vingt mois » permettraient de situer la compo­sition de la pièce à la fin de l’été 1815, si l’on tient compte que, l’arrière-garde française ayant quitté Liège en janvier 1814, l’armée prussienne, précédée d’ailleurs par les Cosaques, y arriva peu après. — 42. èdeûre, endure, souffre. — 43. Djèn(i)ton, Jeanneton. — 44. infleûre, enflure; ici terme plaisant pour désigner la grossesse. — 45-46. Voilà les cadeaux qu’ils font aux filles; drinhèle, ordin’ dringuèle, signifie au propre « pourboire ».

—  47. l’ diåle è cou, le diable au derrière.

  1. Le départ des troupes prussiennes ne devait avoir lieu qu’en janvier 1816. La Gazette éditée par Desoer imprime le 17 janvier une proclamation du commandant de place, le major Bock, pour prendre congé des Liégeois et les remercier de leur hospitalité… Le journaliste a immédiatement fait suivre ce texte d’une chanson adressée aux Prussiens par « un poète champenois » et qui débute comme suit : « Buveurs de la Germanie, / quand nous quitterez-vous enfin ? / Avez-vous conçu l’envie / d’avaler tout notre vin ? >.
  • tahon, taon. — 52. avu håsse, avoir hâte, être pressé. — 56. coveteû, couverture.

 

(p.96)

O ! qui dji m’ rafèye

di n’ måy pus lès r’vèy !

Dji creû qui dj’ broûlere ç’ djoû-là

56         èt coveteûs èt matelas !

 

[1815]

 

On  suit la  1re édition  connue,  qui est celle  du Choix (cité dans la notice), 1844, pp. 13-16.

Charles-Nicolas Smonon

(p.97)

CHARLES-NICOLAS SIMONON

(1774-1847)

 

Ce n’est pas seulement parce qu’il connut quatre régimes politiques différents — tour à tour Liégeois, Français, Hollandais et Belge — que Simonon peut être considéré comme un écrivain de transition. Ce grand bourgeois lettré, érudit et artiste qui vécut et mourut à Liège, dans sa campagne du Val-Benoît, sans avouer d’autre état que celui de rentier, représente en littérature wallonne le passage à une sensibilité nouvelle qui s’est concrétisée dans les strophes de Li côparèye. De ce long poème dédié au souvenir de la cloche la plus célèbre de la cathédrale Saint-Lambert, on peut dire qu’il sonne le glas de l’Ancien Régime, mais, à la différence de Marian de Saint-Antoine, la satire fait place ici à l’élégie. Premiers accents lyriques nés du rappel de la patrie perdue : le sentiment du passé devient ainsi valeur de poésie.

Le thème de la cloche et des ruines, s’il valut à Simonon sa notoriété, n’est cependant pas le seul qui ait inspiré les meilleures pages de son recueil de Poésies en patois de Liège (1845) publié tardivement, sous le couvert d’une « dissertation grammaticale » qui proposait un système personnel d’orthographe wallonne. Des pièces telles que Li spére (1823), Li màrticot (inachevé) ou Conte lès duwèls (1835), dont il ne serait pas difficile d’établir les coordon­nées avec les écrits de Radcliffe, Nodier, Sedaine, Diderot, etc., font voir en l’auteur de Li côparèye un préromantique attardé en plein romantisme.

Malgré sa longueur plus d’une fois critiquée — 36 strophes où l’auteur « se laisse aller à ses souvenirs d’enfance et s’égare en digressions » (J. Haust) —, Li côparèye a été le premier maillon de la chaîne qui a relié le vieux senti­ment principautaire liégeois à la conscience naissante d’un sentiment plus large qui, fondé sur le culte du parler ancestral, allait s’étendre à la Belgique romane tout entière et lui donner son nom de Wallonie. Le mouvement régionaliste wallon est issu en grande partie de l’efflorescence néo-dialectale apparue à Liège peu après le milieu du XIXe siècle et dont Simonon, avec Duvivier, Forir et quelques autres, aura été l’un des précurseurs.

 

27                                                                                                     [Liège]

Li Côparèye

(Extraits suivis)

 

Li son dè 1′ Côparèye                              Vv. 1-12

èst co d’vins mès-orèyes,

quékefèye, djèl pinse oyî :

i m’ sonle èco qu’èle vike

cisse Côparèye antique

6    qui tant d’ djins ont roûvî.

 

(p.98) Èle mi done li sovenance

dès-an.nêyes di mi-èfance;

cist-illûsion m’ plêt bin.

Quî-èst-ce qui n’a nin èvèye

di s’ rèpwèrter quékefèye

12   èn-èrî, d’vins s’ djône tins ?

 

Elle aveût tchûsi s’ sîdje                              31~60

so 1′ pus hôte toûr di Lîdje,

so l’ clokî d’ Sint-Lambièt.

Là, wèzène dès nûlêyes

èt doûcemint èsbranlêye,

18    èle fève ètinde si vwès.

 

Li cloke rèsdondéve fwért

è fåbôr, so lès tiérs,

ås tchamps dès-invirons :

on p’tit vint qu’ sofléve, féve

qui 1′ volant son s’ pwèrtéve

24    à dès viyèdjes bin lon.

 

Estant lès-à-l’-nut’ keûtes

 ad’lé l’ bwès dè l’ Vå-v’neût’,

 

LA « COPAREYE »

Le nom donné pendant des siècles à la cloche de la cathédrale de Liège qui sonnait le couvre-feu est une altération de côpe-orèye, « coupe-oreille » (peut-être sous l’influence de l’étymologie populaire côps parèy, « coups pareils ») : cette cloche « sonnait notam­ment à l’occasion du supplice judiciaire de l’amputation de l’oreille », supplice qui a dû frapper l’imagination du peuple; pour les détails de cette explication, voir J. Herbillon (V.W., t. 30, 1956, p. 276-278) qui précise que le souvenir de la coutume barbare de l’essorillation « était déjà aboli pour la génération de Ch.-N. Simonon ». On ne com­prendrait pas autrement, en effet, que la côparèye ait alors personnifié l’indépendance du Pays de Liège, au point que l’historien romantique Ferdinand Hénaux, passant du poème de Simonon, qu’il louait pour sa nouveauté, à « la cloche fameuse que nous, vrais Liégeois, n’entendrons jamais », écrivait avec mélancolie : « Pour rentrer dans la cité lorsqu’elle commençait à bourdonner, pour vivre vingt-quatre heures sous notre antique nationalité, pour voir son symbole, la mauresque cathédrale, et ses institutions républicaines et religieuses, municipales et judiciaires, nous donnerions tout… » (Etudes historiques et littéraires sur le wallon, Liège, 1843, p. 80, n.).

 

  1. Elle avait choisi son siège. — 16. … voisine des nuages.
  2. rèsdondi, retentir. — 20. fåbôr (arch.), faubourg; lier, versant d’une colline ou chemin plus ou moins escarpé qui la traverse (fréquent dans l’odonymie liégeoise sous la forme officialisée «thier»; en namurois, tiène). — 22-23. un petit vent qui soufflait faisait / que le son volant s’étendait (litt* : se portait). On a ici un spécimen du wallon francisé qui entache plus d’une strophe de Li Côparèye.
  3. l’à-l’-nut’, la soirée; keû (fera, keûte), coi, paisible. — 26. près du bois du Val-Benoît (à la périphérie de Liège, où habitait Simonon). —

 

(p.99)

è meus d’ may, ås bês djoûs,

sovint dji m’arèstéve

èt, påhûle, dji hoûtéve

30   li cloke èt 1′ råskignoû.

 

Qwand dès rutès djalêyes

mi r’boutît è l’ coulêye

d’on bon r’glatihant feû,

à 1′ nut’, li Côparèye

m’èsteût-ine kipagnèye

36    si dji m’ trovéve tot seû.

 

Si, coûkî d’vins mes plomes,

ratindant m’ prumî some,

dj’èsteû à m’ kitaper,

å son dè 1′ Côparèye

arivéve li somèy

42    qui m’ vinéve èwalper.

 

Po ‘n-èfant qu’on hossîve                              67~7S

è s’ banse èt qu’on loukîve

d’èdwèrmi påhûlemint,

nole tchanson ni valéve

li Côparèye qui v’néve

48   l’èdwèrmi tot doûcemint.

 

Mês ‘n-aveût dès corognes

qu’ås p’tits-èfants fît sogne

djusqu’à lès fé trôner,

tot d’hant qui 1′ Côparèye

lèzî côpereût l’s-orèyes

54   s’is n’alît nin nâner…

 

  1. påhûle, paisible, tranquille. — 30. râskignoû, rossignol.

31-33.  Quand de rudes gelées / me repoussaient près de la cheminée / d’un bon feu éclatant.

  1. d’vins mes plomes, sous mon édredon. — 39. s’ kitaper, se débattre, s’agiter.
  2. hossî, bercer. — 44-45 … et qu’on tâchait (litt* : regardait) d’endormir tranquillement.
  3. corogne, auj. charogne, t. d’injure. — 50. fé sogne, faire peur. — 51. jusqu’à les faire trembler. — 53-54. leur couperait les oreilles / s’ils n’allaient point dormir. Il est curieux de retrouver dans cette croyance transmise par le folklore enfantin l’explication originelle du nom de la cloche (cfr supra).

 

(p.100)

A 1′ Côparèye, nos tåyes dihît,

tot fant dès båyes,

bone-nut’ à leûs-amis;

à 1′ Côparèye, l’ûsèdje,

è leûs påhûles manèdjes,

60    èsteût d’aler dwèrmi.

 

On k’nohéve li manîre

dè spårgnî lès loumîres

ôtefèye mî qui d’ nosse tins.

Li métôde èsteût simpe :

on-z-aléve dwèrmi timpe

66    on s’ lèvéve pus matin.

 

Asteûre, lès grands signeûrs

ont candjî totes lès-eûres :

is dwèrmèt l’ å-matin,

is d’djunèt vès doze eûres,

is dînèt qu’ fêt tot neûr,

72   is sopèt l’ lèd’dimin !

 

Novê tins, novèle mode,

tot candje d’on siéke à l’ôte,

 lès-omes tofér candjèt;

mins lès candjemints d’ nosse siéke

ont passé totes lès régues…

78   Rivenans à nosse sudjèt.

 

Tant qu’ Lîdje indépendante

si mostra triyonfante

 

 

 

  1. tåyes, aïeux, ancêtres. — 56. båyes, bâillements.
  2. d’épargner l’éclairage (litt* : les lumières). — 66. on se levait de bonne heure (litt. : plus matin).

70-72. C’est en effet des premières années du XIXe siècle que date, à Paris d’abord, le changement qui place le déjeuner en fin de matinée et le dîner en fin de journée. Le souper devient alors, par suite de ce recul psogressif, un repas pris tard dans la soirée; c’est par ironie que Simonon le reporte au lendemain.

  1. les hommes sans cesse changent.

 

(p.101)

inte ses puissants wèzins,

li Côparèye tote fîre

èlèva djusqu’å cîr

84   lès sons di s’ contintemint.

 

Qwand lès-årmêyes francèses

èployant totes leûs fwèces,

vinît l’an nonante-deûs,

li Côparèye tote trisse,

catchèye è si-édifice,

90   si têha pus d’ treûs meus.

 

Lès Francès ‘stant-èvôye,

dès djins plorîn’ di djôye,

tot l’ètindant r’ssoner.

Divins 1′ vèye Côparèye

is r’vèyît leû Patrèye

96    qu’on l’zî v’néve raminer.

 

S’èle rissona co ‘ne fèye,

ci fout po dîre à 1′ vèye

in-étèrnél adiè !

L’an d’enswite, è djulèt’,

dès victwéres pus complètes

102   raminît lès Francès !

C’è-st-adon qu’ dès vandales                    

ont distrût 1′ Catèdrâle,

 

85 et ss. Allusion à l’entrée à Liège des troupes françaises de Dumouriez en novembre 1792.

91 et ss. Allusion à la brève restauration du pouvoir épiscopal (d’où le réveil de la Côparèye) de mars 1793 à juillet 1794, après la victoire autrichienne de Neerwinden sur les Français, ‘stant = estant. — 92. plorîn’, forme arch. de plorît, pleuraient (aussi chez Marian de Saint-Antoine : cfr v. 174).

  1. … à la vie; on pourrait aussi interpréter vèye par « ville ».

100-102. « L’an d’ensuite » se situe par rapport au retour du prince-évêque en 1793. C’est le 27 juillet 1794 que les Républicains français, vainqueurs des Autrichiens à Fleurus, rentrèrent à Liège. L’incorporation de l’ancienne principauté à la France devenait effective quelques mois plus tard, en même temps que l’annexion des provinces belgiques (1″ octobre 1795) : l’Ancien Régime, regretté par Simonon, avait vécu.

103 et ss. Sur ces événements, voir ci-dessus la fin de la pasquèye du P. Marian de Saint-Antoine.

 

(p.102)

ont distrût tot costé

lès monumints d’ nosse glwére,

lès monumints d’istwére,

108   d’årt èt d’antikité…

 

A l’ fin, tot-à-fêt tome :

ètats, monumints, omes,

à l’ fin, tot deût mori…

L’antike cloke èst fondowe,

li toûr è-st-abatowe

114   èt sès rwènes ont pèri…

 

[1822]

 

« Poésies en patois de Liège », Liège, 1845, pp. 35-47. — Edition préoriginale de 25 strophes (désavouée par l’auteur) dans l’Almanach (…) Mathieu Laensbergh pour 1839.

 

  1. Réminiscence du classique etiam periere ruinae de Lucain.

 

Henri Forir

(p.103)

HENRI FORIR

(1784-1862)

 

Né au faubourg de Coronmeuse à Herstal, décédé à Liège. Fils d’un cor­donnier, ancien élève de l’Ecole centrale du Département de l’Ourthe, Henri Forir devint géomètre au Cadastre avant de faire comme professeur de mathé­matiques une carrière qu’il terminera à l’Athénée de Liège, ex-Collège royal.

Forir fut l’un des pionniers du renouveau dialectal au xixe siècle. Dès les années 1820, il recueillait les matériaux d’un Dictionnaire liégeois – français qui paraîtra, posthume, en 2 volumes (1866 et 1874). Vers 1836, il se rendit d’un coup populaire par ce qui restera comme son chef-d’œuvre : Li k’tapé manèdje, satire de haute verve qui renouait avec les meilleures des anciennes pasquèyes sur le mariage. Jointe à une dizaine de chansons où s’affirme un savoureux épicurisme de fond chrétien, cette pièce formera le recueil des Blouwètes lîdjwèsses (1845), suivi en 1853 d’un Suplumint qui n’a rien perdu en franchise.

Cette sympathique bonhomie lui vaudra d’être porté, en 1856, à la présidence de la naissante Société liégeoise de Littérature wallonne; il renoncera bientôt à cette fonction, après avoir vainement plaidé en faveur d’une orthographe phonétique qui fut jugée rebutante.

Henri Forir publia aussi plusieurs manuels pour l’enseignement des mathé­matiques. Il laisse un certain nombre de poésies et chansons wallonnes inédites.

 

28                                                                                                     [Liège]

Li k’tapé manèdje

 

S’i n-y-a tant dès feumes qui s’ plindèt

qui leûs-omes vont-å cåbarèt

passer leû sise, piède leû djoûrnêye,

4   so 1′ tins qu’èle sont totes disseûlêyes

avou deûs’ treûs hayåves-èfants

qui fèt come dès p’tits diåles rènants,

ma frike ! c’est bin sovint d’ leû fåte :

8    c’èst l’ nawerèye èt l’ crasse qui lès gåte.

Poqwè nin ‘ne gote s’atîtoter

po plêre à l’ome qu’on-z-a sposé?

 

LE MENAGE EN DESORDRE

  1. disseûlêyes, esseulées. — 5. hayåve (litt. : haïssable), désagréable. — 6. diåles rènants, diables remuant sans cesse (fig.). — 7. ma frike !, ma foi ! — 8. nawerèye, paresse. — 9. s’atîtoter, se parer. — 11. … comme une desséchée. — 12. coulêye. coin du feu.

 

(p.104)

Fåt-i d’morer corne ine souwêye,

12   li cou so ‘ne tchèyîre è 1’ coulêye ?

Alez ! si dj’aveû-t-eune insi,

dji l’åreû bin rade èlêdi,

ca ‘ne feume qui n’a ni gos’ ni gråce,

16   dji lome çoula ‘ne fameûse èplåsse

èt dj’ plin 1′ pôve cwér qui s’a marié

avou ‘ne dôrlin.ne qui n’ vout rin fé.

 

Dj’ènnè k’noh onk qu’a pris ‘ne fafoye

20   qui n’ sondje à rin qu’à fé gogoye :

èle magnereût, katribiu ! so 1′ djoû,

doze bèlès wafes èt sî cougnoûs;

pwis ‘1e va-t-amon s’ wèzène Lucèye,

24   qu’è-st-ine sacri pansåde come lèye,

beûre qwate cink tasses di crås cafè

qu’on tchôke èvôye avou 1′ pèkèt.

 

Èle ni fêt rin s’èle ni djèmih,

28 c’èst dî fèyes pés qu’amon Lîbrih.

Alez’ è s’ mohone qwand v’ volez,

c’èst dès tchinis’ po tos costés :

cial, c’è-st-ine vèye pêlète sins quowe,

32   là, c’èst dè l’ saveneûre dispårdowe,

ine hårdêye assiète so 1′ djîvå

èt dès rèsses di boûre tot-avå;

ine lamponète d’ôle rivièrsêye;

36   tåve èt tchèyîres totes dåborêyes

avou cokemår èt tasses dissus

èt l’ mår dè café qu’on-z-a bu;

ine tchåsse, on solé so l’ fignèsse;

 

—  14. èlêdi, prendre en aversion, et, de là, délaisser. — 16. èplåsse, emplâtre. — 18. dôrlin.ne, femme nonchalante et geignarde.

  1. fafoye, minaudière, femme mignarde et futile. — 20. fé gogoye, faire gogaille, bom­bance. — 22. wafe, gaufre; cougnoû, petit gâteau allongé qu’on mange particulièrement à la Noël (DL). — 24. qui est une sacrée goulue comme elle. — 26. qu’on fait passer avec le genièvre.
  2. amon Lîbrih, expr. figée conservant le souvenir d’un ménage réputé pour son désordre.

—  30. tchinis’, déchets, débris. — 32.  … de l’eau de lessive répandue. — 33. hårdêye, ébréchée. —  36.  dåborêye,  barbouillée.  — 40.  du mouillé  dans  toutes  les  pièces.  — 41. hurés, écurés, nettoyés.

 

(p.105)

40   dès frèhis’ divins totes lès plèces;

dès plats, dès cwîs qui n’ sont hurés

qu’ine fèye à Påke ou vès 1′ Noyé.

 

S’èle n’a nin mètou s’ colorète

44   po rèspouner s’ måssî hanète,

tapez vos-oûys d’in-ôte costé,

ca vos n’ sårîz, so mi-åme, dîner.

Dji l’a todi vèyou d’wåkèye;

48   tos l’s-ans, èle si pégnerè treûs fèyes :

è 1′ plèce di croles, sès dj’vès sont plins

di plomes qui v’nèt foû di s’ cossin.

O ! djèl vôreû si vol’tî bate,

52   qwand dj’ lî veû sès lonkès savates,

sès tchåsses trawèyes divins sès pîds

qu’èle mèt’ on meus sins lès r’nawî !

L’ôte djoû, dji m’ cassa quåsî ‘ne djambe,

56   tot m’ trèbouhant conte on pot d’ tchambe,

èt çou qu’èsteût co pus vilin,

c’èst qu’on-z-aveût fêt ‘ne saqwè d’vins.

Oute di çoula, po l’ mwinde tchîtchêye,

60  èle mon.ne l’ arèdje tote li djoûrnêye :

so l’ tins qu’èle gueûye, qu’èle grogne, qu’èle brêt,

èle lêt broûler l’ djote èt l’ lècê.

 

In-ome qu’a-t-ine si-fête djåkelène,

64 come i deût magnî ‘ne pôve couhène,

èt come i mådih li moumint

qu’a fêt l’ folèye di lî d’ner l’ min,

surtout s’i lî vint-è l’ pinsêye

68    qu’èstant marié, c’èst po ‘ne hapêye !

I  m’ sonle qu’a stu si målureûs qu’i va-t-è paradis tot dreût,

ca v’ polez dîre, à l’eûre di s’ mwért,

 

41-42. Orig. :  … qui n’ont nin stu hurés / dispôy li carnaval djusqu’å Noyé (10 syll.).

  1. colorète, collerette, petit collet. — 44. pour cacher sa nuque crasseuse. — 47. d(i)wå-kèye, décoiffée. — 53. ses bas troués… — 54. r(è)nawî, ravauder. — 59. tchîtchêye, vétille.

—  60. elle fait l’enragée le jour durant. — 62. elle laisse brûler le chou et le lait.

  1. djåkelène (litt. : Jacqueline), pécore, idiote. — 68. … c’est pour un bout de temps.

—  74. spani, expié.

 

(p.106)

72   qu’ènnè va fou d’on purgatwére

èt qui 1′ bon Diu l’årè loukî

come onk qu’a spani sès pètchîs.

 

Dès feumes insi sont cåse quékefèye

76   qu’in-ome si tape à 1′ calinerèye;

djèl blåme portant s’i passe si tins

à fé dès hårds è sacramint…

Mins dji dîreû-t-à ‘ne lêde cånôye

80    qui s’ plindreût qui si-ome èl rinôye

èt qu’i qwîre sès-ahèsses ôte påt :

« T’ènn’as co pô, m’ vêt ! brôye ti må ! »

 

Ann. Soc. de Litt. watt., 4, 1868, pp. 48-50. Cette édit. posth., la 6e et la meilleure, reproduit l’édit. orig. (Liège, s. d. [1836 ?], 1 feuillet double lithogr.) dont elle s’écarte, avec raison, aux vv. 41-42, pour adopter en cet endroit le texte figurant dans les « Blouwett Ligeoiss ».

 

 

29 Li paskèye èt l’ vin

(Air : La boulangère a des écus)

 

On savant d’ l’univèrsité,

djoûr èt nut’, i studèye;

mi, dj’a-t-ine manîre dè viker

4          qu’èst bêcôp pus-åhèye :

c’èst tot gastant qui dj’ passe mi tins

avou ‘ne pitite paskèye

èt dè vin,

8     avou ‘ne pitite paskèye.

 

  1. calinerèye, coquinerie, inconduite. — 78. Litt. : « à faire des brèches dans le sacrement [de mariage] », à violer la foi conjugale. — 79. cånôye, lendore, indolente. — 81. et de ce qu’il cherche ses aises ailleurs. — 82. « Tu en as encore [trop] peu, imbécile ! supporte [litt. : broie] ton mal ! ».

 

LA CHANSON (litt. : pasquille) ET LE VIN

  1. c’est en faisant bonne chère que…

 

(p.107)

Qu’on bûveû d’êwe è-st-anoyeûs !

Qu’i deût miner ‘ne trisse vèye !

On hèna d’ vin nos rind djoyeûs,

12          on-z-a 1′ vwès pus d’gadjèye.

Qui fåt-i po touwer 1′ chagrin?

C’è-st-ine pitite paskèye

èt dè vin,

16          c’è-st-ine pitite paskèye.

 

Tant qu’ nos-årans dès plins tonês,

buvans par djoû vint fèyes;

tchantans todi ‘ne saqwè d’ novê

20          po d’vêrti li k’pagnèye.

Qu’a-t-on d’ mèyeû po s’ mète è trin

qu’ine bèle pitite paskèye

èt dè vin,

24          qu’ine bèle pitite paskèye ?

 

Dihez-à ‘ne djon.ne fèye tot tchantant

qui vosse coûr vis catèye;

èle vis rèspondrè tot riyant :

28           « Li meun’, c’èst tot parèy ! »

Lès båcèles ni rèsistèt nin

conte ine pitite pasquèye

èt dè vin,

32          conte ine pitite paskèye.

 

Vos n’ sårîz creûre come ine tchanson

kitchèsse lès maladèyes;

on spéciyål di vin qu’èst bon

36          våt tote in farmacerèye :

on pout r’wèri bêcôp d’ mèhins

 

  1. Qu’un buveur d’eau est déplaisant ! — 11. hèna, petit verre. — 12. on a la voix plus dégagée.
  2. pour divertir la société.
  3. que le cœur vous chatouille. — 28. « Le mien, c’est tout de même ! ».
  4. chasse au loin les maladies. — 35. spéciyål, tonnelet ou flacon spécial. — 37. r(i)wèri, guérir; mèhins, petites incommodités.

 

(p.108)

avou ‘ne pitite paskèye

èt dè vin,

40          avou ‘ne pitite paskèye.

Dji beû, dji tchante sins savu qwand

mès dètes sèront payèyes;

å ci qui m’ dimande sès-êdants,

44       dji présinte ine botèye,

èt 1′ houssî ‘nnè r’va tot contint

avou ‘ne pitite paskèye

èt dè vin,

48          avou ‘ne pitite paskèye !

Qwand 1′ dièrin.ne cloke årè soné

l’eûre dè dièrin somèy,

qué plêsîr di nos dispièrter

52          po djouwi d’in-ôte vèye !

Crèyans qui 1′ bon Diu nos ratind

avou ‘ne pitite paskèye

èt dè vin,

56           avou ‘ne pitite paskèye…

 

« Blouwett lîgeoiss, deûzainm édition, korègeie è ragrandeie », Liège, 1845, pp. 16-17 (Ne figure pas dans la 1″ édition [1845] de ce recueil). En sous-titre : Traduit du français.

  1. êdants, liards, sous. — 45. houssî, huissier. 51. dispièrter, éveiller.

 

(p.109)

CHARLES WEROTTE

(1795-1870)

 

Né et mort à Namur où il fit, au gouvernement provincial, une carrière qu’il termina comme chef de bureau, Charles Wérotte est le principal fondateur de la littérature dialectale namuroise, avec Nicolas Bosret, l’auteur du Bia bouquet.

C’est comme membre du « Cabinet des mintes », cercle de joyeux menteurs qui se réunissait au faubourg de La Plante, que Wérotte prit goût au wallon, qui était la langue de ce facétieux aéropage. Lorsque celui-ci se reconstitua, en 1843, sous le nom de « Moncrabeau » et avec le titre d’« Académie des quarante molons » (l), Wérotte devint l’un des membres les plus actifs de cette société chantante et philanthropique, bientôt célèbre par son orchestre de mir-litophiles. Il la présida de 1858 à sa mort et y fit régner le culte de la chanson wallonne.

Si l’on excepte un long poème où il évoque les jeux traditionnels de son enfance (One sov’nance dès djeûs do vî tins) et un très petit nombre de fables imitées de La Fontaine, la production de Wérotte consiste en chansons; le premier volume qu’il fit paraître en 1844 connut des éditions augmentées en 1850, 1860 et 1867. Son ambition était modeste : transcrire le langage du peuple afin de rendre « ce bon sens enjoué, partage de la vieille gaité namuroise ». Encore que sa langue soit pauvre et son style facile, il y est assez bien parvenu si on en juge à la réputation que lui firent ses concitoyens.

Son penchant à la satire ne va guère au-delà d’une douce ironie, ainsi qu’on le verra ci-après par le monologue d’un neveu-héritier, confit en bienséance et en cupidité.

 

30                                                                                                  [Namur]

Nosse mononke Biètrumé

(Air : Tout le long de la rivière)

 

Li qué maleûr qu’èst sorvinu !

Mononke Biètrumé vint d’ moru.

Po l’ swè, il a spaurgnî one pome…

4          On n’ poleûve nin ièsse pus brâve ome :

 

NOTRE ONCLE BARTHELEMY

  1. Litt. : lequel malheur qui est survenu ! — 3. n avait épargné une pomme pour la soif. — 4. on ne pouvait être…

 

(1) Mo/on désigne en namurois une larve ou un asticot et, au figuré, un toqué, un hurluberlu.

 

(p.110) i nos-a lèyî sès-ècus.

Ses nèveûs sont come dès pièrdus.

 

Refrain

Crinte qu’i n’ ravike, i faut dîre one patêr.

8    Quand on l’ètèrerè, nos-alans bran.mint braîre

Nos-alans tortos bran.mint braîre.

 

Vinoz l’ vôy, il èst là stauré;

ô ! come il èsteûve adoré !

12           Dji so bin trisse, dji vos l’assure…

I faut qui dj’assaye si tchaussure.

Dji crwè qui s’ tchapia m’îrè bin :

one miète sitrwèt, mès ci n’èst rin.

 

16           Lèyîz-me assayî s’ rodje abit

(dji pinse qu’il a stî fêt por mi),

si nwâre culote èt s’ djane cravate.

Dispêtchans-nos, mèchenans bin rade :

20           vos, Djôsèf, qui n’a pus qu’on tch’via,

pirdoz s’ pèruke à queuwe di rat.

Aus-ôtes nèveûs, nos n’ dîrans rin;

li cia qui prind l’ prumî prind bin.

24           Nos-avans li tièsse tote pièrdeuwe !

Pirdoz l’ monte qu’èst vêla pindeuwe !

C’è-st-one saqwè d’ trisse qui l’ chagrin.

Nos-îrans bwâre on p’tit vèrkin.

 

  1. raviker, revivre, ressusciter. — 8. … nous  allons beaucoup pleurer.
  2. Venez le voir, il est là étendu. — 13. assayî, essayer. — 14. tchapia, chapeau. — 15. s(i)trwèt, étroit.
  3. mèchener, glaner. On peut traduire : faisons notre butin bien vite. — 20 … qui n’avez (litt. : a) plus qu’un [seul] cheveu. Joseph est évidemment un autre neveu, complice de celui qui parle. — 21. pirdoz, prenez. Appliquée à une perruque, l’expression « à queue de rat » désigne les cheveux de derrière serrés par un cordon ou mis en tresse de façon à s’amincir comme une queue de rat.
  4. Celui qui prend le premier prend bien (= fait bonne prise). — 27. vèrkin (dimin. de verre), petit verre d’alcool.

 

(p.111)

28           Qué maleûr po lès pôves nèveûs !

Djôsèf, on ètind lès tchanteûs…

Choûte : volà dèdjà 1′ cloke qui sone.

Vite ! qu”on l’èpwate foû dè 1′ môjone,

32           aprètans tortos nos mouchwès :

dji sin v’nu dès lârmes come dès pwès…

 

« Ch’oix di ch’ansons wallonnes et otres poésies pa Charles Wérotte », Namur, 1844, [pp. 101-102].

 

29 tchanteûs,  ici les  chantres du service religieux. —  31.   …  hors de la maison.  — 32. mouchwè, mouchoir de poche. — 33. … comme des pois, c.-à-d. : de grosses larmes.

 

 

(p.112)

CHARLES DUVIVIER

(1799-1863)

 

Né et mort à Liège, Charles Duvivier (à partir de 1841, chevalier du Vivier de Streel), descendant d’une vieille famille hesbignonne, fut, pendant de nom­breuses années, curé de la paroisse Saint-Jean l’Evangéliste. Le ministère pastoral auquel il se dévoua inlassablement ne l’empêcha point de s’occuper de pédagogie, d’enseignement, de littérature (ne rappelons que son poème héroï-comique en 24 chants La Cinêide, 1852), d’archéologie et de lexicologie wallonne (Dictionnaire des rimes wallonnes, inédit, et Dictionnaire wallon-français, inachevé). C’est avant tout par ses poésies dialectales que l’abbé Duvivier mérite de survivre. Son œuvre wallonne (du moins ce qui en a été publié) est cependant des plus minces : avec quelques pièces détachées où l’on remarque les premières adaptations liégeoises de fables de La Fontaine, elle se réduit à deux petites brochures : Quelques chansons wallonnes (Liège, 1842), et Poésies wallonnes, n° 1er [= 2e édit. de l’ouvrage précédent] et 2 (Liège, 1842). Duvivier y aborde, en poète satirique et en moraliste, des sujets variés — Lès brèyàs, Lîdje et lès-ètrindjîrs, Li vin à” payîs, Li cwène de feu : pasquèye so lès-élections, etc. — le plus souvent d’inspiration locale : de là, des allusions dont le sens est perdu pour le lecteur et qui mettent la plupart de ces pièces au rang de curiosa, malgré leur tour aisé et spirituel.

Aujourd’hui encore, Duvivier demeure ce qu’il était pour ses contemporains et qu’il se plaisait lui-même à reconnaître lorsqu’il signait ses productions wallonnes : Li pantalon trawé. Cette pièce est le chef-d’œuvre de la chanson wallonne de l’époque antérieure à Defrecheux. Evocation sans amertume de l’épopée sans panache du vieux soldat de l’Empire devenu le patriote de 1830, blasé des régimes qu’il a connus et servis, c’est, au rythme d’un décasyllabe martial, l’ébauche d’une fresque historique en même temps que la paraphrase en filigrane d’une vérité de tous les âges : Quidquid délirant reges, plectuntur Achivi…

 

31                                                                                                    [Liège]

Li pantalon trawé

(Air : Te souviens-tu, disait un capitaine…)

 

Vis sovenez-ve bin, Lînå, m’ cher camèråde,

dè fameûs tins dè grand Napolèyon,

 

LE PANTALON TROUÉ

  1. Lînå, Léonard; c’est le nom du compagnon d’armes auquel le vieux soldat est censé s’adresser. —

 

(p.113)

qui nos rivenîs tot stoûrdis dè l’ salåde

4    qui lès Cosakes nos d’nît à côps d’ canon ?

N’s-avîs dè monde tos lès pious, totes lès bièsses,

n’s-avîs 1′ narène èt lès deûts èdjalés;

èt nos-avîs d’vins co traze èt traze plèces

8    nosse pantalon, nosse pantalon trawé.

 

Dji m’è sovin, come si c’èsteût asteûre,

qui, tot passant å triviès d’ nosse payîs,

nos n’ avis nin ine dimèye gote à beûre :

12   sins nole astådje, nos-alîs so Paris.

Dj’âreû volou dîre Diè-wåde à Lîsbèt’,

qu’èle ratindahe, qu’èle ni d’véve nin s’ prèsser;

mès po m’ mostrer, dji n’èsteû nin hayète :

16 c’è-st-on måleûr qu’on pantalon trawé…

 

Dj’èsteû portant djà divenou côporâl

èt dj’èspèréve bin vite passer sordjant,

dj’åreû polou min.me diveni djènèrål :

20   dj’ m’aveû batou cint fèyes come on brigand !

Dj’åreû-t-awou tot d’ swite li creûs d’oneûr,

on bê ploumèt èt dès-abits brosdés…

Mês on n’ såreût avu bêcôp d’ boneûr,

24   qwand c’èst qu’on pwète on pantalon trawé.

 

Qwand nos rivenîs, nos-èstîs-t-à l’ Rolande,

Lîsbèt’ s’aveût di m’ ratinde anoyî :

‘lle èsteût mariêye; mi tristrèsse fout bin grande,

28 mês qu’èst-ce qu’on wågne di s’ pinde ou di s’ nèyî ?

Come dji pola, dj’ racomôda mès håres; å djènèrål, dji m’ala présinter;

 

  1. [alors] que nous revenions tout étourdis de la « salade », c’est-à-dire : de la raclée. — 5. … tous les poux, toutes les bêtes [du monde].
  2. å triviès (ord1 : å-d’-triviès), au travers. — 12. astådje, retard, répit. — 13. Diè-wåde, formule arch. de salutation ou de congé; litt’ : « Dieu [vous] garde ». — 15. hayète, mûr (au propre, en parlant de la noisette), ici : à point, convenable. — 16. var. : ci fout m’ måleûr qui m’ … (éd. orig.).
  3. … nous étions à la Hollande (à la suite du traité de Vienne de 1815 qui rattachait au royaume des Pays-Bas nos provinces devenues départements français en 1795). — 27. tristrèsse, f. arch. de tristesse en liég. — 28. mais qu’est-ce qu’on gagne à se pendre ou à se noyer ? — 32. à cause des coutures…

 

(p.114)

mês d’ côporål, dji r’divena simpe sôdård

32   gråce ås costeûres di m’ pantalon trawé !

 

Divenou flankeûr d’vins lès canifich’tônes,

on m’ rimoussa, dj’eûri on pantalon,

dji magna m’ sô, dji divena come on mône,

36   mi qu’aveû stu come on vî dj’vå d’ gosson.

Mês on k’mandéve d’on si drole di lingadje,

lès côps d’ baston ni fît qui dè rôler,

dji m’ anoya, dji souwa come ine catche,

40    èt dji r’grèta m’ pauve pantalon trawé.

 

Dj’èsteû nåhî, awè, ciète, djèl pou dîre !

Mês qu’èst-ce qui c’èst ? dji n’ saveû nou mèstî.

Dj’ n’åreû sawou måy rintrer è 1′ houyîre,

44   dj’in.me li grand êr, dji n’ såreû m’ racrampi.

Mês, tot d’on côp, volà qu’ n-a brôye-manèdje

èt qu’à Brussèle, on-z-ôt 1′ canon groûler !

Dj’ lès planta là, sins l’zî dîre bon voyèdje :

48    dj’ prinda m’ såro èt m’ pantalon trawé !

Dji m’a batou come on bon påtriyote,

dj’a stu blèssî, dj’a må tos mès-ohês,

dji n’ dimande rin èt n’ pou-dje ni l’ hay ni l’ trote,

52   ca 1′ diåle todi tchèye so 1′ pus gros hopê…

 

  1. flankeûr, « flanqueur », (néerl. flanker), soldat d’un flankbataillon; canifich’tônes (d’après néerl. : kan niet verstaan, « peux pas comprendre »), nom plaisant donné aux Hollandais et aux Flamands. — 34. on me rhabilla… — 35. je mangeai à ma faim (litf : «mon soûl»)… — 36. moi qui avais été comme une vieille haridelle (litt4 : cheval de blatier »). — 37. … d’un si drôle de langage (car les commandements se faisaient en néerlandais). — 38. La bastonnade, ignorée des règlements militaires français, était pra­tiquée couramment dans l’armée hollandaise; elle avait été introduite dans les territoires occupés par les Prussiens dès 1814. — 39. … je séchai comme un fruit tapé.

 

  1. si racrampi, se contracter, se recroqueviller. — 45. brôye-manèdje, trouble-ménage. — 46. Toutes les éditions ont rôler, « rouler »; nous avons préféré groûler, « gronder », correction manuscrite apportée par l’auteur sur son exemplaire personnel (collection X. Janne d’Othée). Les vers 45-46 font allusion aux journées de septembre 1830, au Parc de Bruxelles où les volontaires liégeois se distinguèrent dans les combats contre les Hollandais. — 48. Le « sarrau » (såro), long surtout en fine toile bleue, formait, avec le bonnet de police, l’uniforme des volontaires de 1830. Le coûrt såro était le vêtement porté couramment par les hommes du peuple. — 51. « ni l’ hay ni l’ trote, figure tirée d’un cheval auquel on ne peut plus rien faire faire » (note mste de l’auteur [ibid.]. Le sens de l’hémistiche est : et je n’en puis plus de fatigue. — 52. car le diable toujours ch… sur le plus gros tas, autrement dit: «la fortune vient toujours à qui en a déjà: (note id.).

 

(p.115)

Vos-ôtes, mèssieûs, qu’ont-awou totes lès plèces,

vos qu’ so nosse dos, nos-avans fêt monter,

ni roûvîz måy qui vos d’vez vos ritchèsses

56    å vî sâro, å pantalon trawé.

 

[1838]

Quelques chansons wallonnes par l’auteur du Pantalon Trawé », Liège, 1842 (pp. 11-13: 3e éd. du Pantalon trawé). Edition originale : Liège, s. d. [1838], 1 feuillet double.

 

 

(p.116)

JOSEPH LAMAYE

(1805-1884)

 

Né et mort à Liège, Joseph Lamaye, qui fut avocat, conseiller à la Cour d’appel de Liège et président du Conseil provincial, occupa une place en vue dans le parti libéral liégeois. Dès 1838, il mit sa muse wallonne au service de ses idées philosophiques et politiques. Si l’on excepte des compliments de circonstance, deux ou trois parodies d’œuvres wallonnes populaires et, en 1845, quelques fables imitées de La Fontaine où il rivalise non sans bonheur avec son modèle, il a surtout composé des chansons dirigées contre le clergé et le parti conservateur. Malgré leur verve appuyée, ces œuvres satiriques n’ont pas survécu aux circonstances qui les firent éclore.

Dans un genre différent, Lamaye a été plus heureux avec sa chanson sur deux rimes, Li bourgogne, restée célèbre au pays de Liège.

Les œuvres de Lamaye n’ont jamais été réunies en volume. On en trouvera un certain nombre dans l’Annuaire de la Société de Littérature wallonne, XI (1886), à la suite de la notice biographique consacrée à l’auteur par Victor Chauvin.

 

32 [Liège]

Li bourgogne

(Air des Chapons de Béranger)

 

Amis, 1′ sudjèt di m’ tchanson riwèrih

tot 1′ monde dè 1′ sogne;

dji n’ vis d’manderè nin pardon

4 si dj’atrape l’êr à côps d’ pogn :

tot buvant, dji r’prindrè 1′ ton,

dji m’ va tchanter l’ vin d’ Bourgogne :

après lu gn-a pus rin d’ bon,

8 c’èst lu qu’ fêt glèter l’ minton !

 

Lès vîs bordeaux sont co bons,

mins ça n’ fêt nin rodji l’ trogne;

 

 

LE BOURGOGNE

  1. guérit tout le monde de la peur. — 4. … à coups de poing = en blessant l’harmonie. — S. glèter, baver. L’expression fé glèter l’ minton est à prendre au figuré pour désigner les plaisirs de la bouche.

 

(p.117)

çoula v’ rahèye ås poumons

12   èt li stoumak si cafogne;

mins qwand v’ buvez quékes goûrdjons

d’on bon vî croté bourgogne,

 li tcholeûr vis r’mèt’ so l’ ton

16    et fêt glèter vosse minton !

 

Èstez-ve ad’lé vosse zonzon,

avou l’ bordeaux l’amoûr brogne;

si vos volez-t-avu bon

20   i v’ fåt mète on pô foû d’ sogne !

Houmez deûs’ treûs bons hûfions

d’on bon vî hêtî bourgogne :

li séve vis montrè å front

24   èt f’rè glèter vosse minton !

 

Li rhin, comme li djus d’ citron,

è vosse gozî d’meûre à gogne,

èet, qwand i tome djusqu’å fond,

28   vos frusihez, vosse coûr grogne !

Hoûtez-me, i gn-a rin d’ si bon

qu’on bon hèna d’ vî bourgogne :

c’è-st-on bôme po lès poumons,

32   qui nos fêt glèter l’ minton !

 

Dè Champagne vantez l’ flacon

avou s’ long gosî d’ cigogne;

vantez l’ brut di s’ carilion :

36   l’èsprit qui pète mi fêt sogne…

On mon.ne li plêsîr pus Ion

avou nosse bon vî bourgogne :

s’i done on pô d’èsprit d’ mons,

40   i fêt mî glèter l’ minton.

 

  1. raîi, racler, gratter. — 12. si cafogne, se chiffonne, se contracte. — 13. goûrdjon, gorgée.
  2. Etes-vous près de votre dulcinée. — 18. brognî, bouder. — 19. avu bon, avoir du plaisir. — 20. fou d’ sogne, hors d’inquiétude. — 21. Humez deux (ou) trois bons verres. — 22. hêtî, sain.
  3. dans votre gosier reste coincé. — 28. Vous frissonnez… — 30. hèna, (petit) verre. 36. l’esprit qui fuse me fait peur. — 37. On mène le plaisir plus loin.

 

(p.118)

Qwand on v’s-apwète on flacon

avou ‘ne grosse panse èt ‘ne vèye cogne,

qu’on veût on k’magnî bouchon,

44 li djôye fêt r’lûre totes lès trognes !

On s’ dit : « Ci-cial sèrè bon :

c’èst co d’ nosse bon vî bourgogne !

Qu’on-z-aprèstêye sès tchansons :

48 on va fé glèter s’ minton ! »

 

Hoûtez 1′ glouglou dè flacon

qui sût l’ doûs mouvemint dè pogn;

loukîz v’ni lès pièles d’å fond,

52   totes blankes so ‘ne coleûr cascogne !

L’odeur vis-adawe d’å lon :

c’èst dè vî clapant bourgogne !

A 1′ santé dè bon patron,

56    qui fêt glèter nosse minton !

 

[1846]

Annuaire Soc. de Litt. Wall., t. 2, 1864, pp. 131-133, d’après l’original en feuille volante (1846) tiré à quelques exemplaires.

 

33

Li pèsse divins lès bièsses

 

On må qui d’ bin lon fêt frusi,

qui done li pawe å pus hardi,

qui n’ sipågne ni fwèce ni corèdje,

4    qui siève å bon Diu

d’ine grande vèdje

qwand l’ monde divint par trop cålin,

èt qui sème li mwért à deûs mins,

 

  1. qu’on voit un bouchon tout mangé (rongé). — 45. ci-cial, celui-ci.
  2. regardez venir les  perles  du fond.  —  52.  coleûr cascogne,  couleur  châtaigne.  —
  3. L’odeur vous attire de loin. — 54. … du vieux bourgogne fameux.

 

LA PESTE PARMI LES BETES (imitation de La Fontaine, Les animaux malades de la peste, Fables, VII, 1)

  1. frusi, frémir. — 2. pawe, frayeur. — 3. qui n’épargne ni… — 4. vèdje, verge. — 5. cålin, pervers. —

 

(p.119)

li pèsse, pusqu’èl fåt dîre,

8 flahîve so totes lès bièsses come on côp d’aloumîre

èt lès r’vièrséve turtotes… Lès cisses qui n’ morît nin

toumît è 1′ langonèye, lanwihît èt n’ fît pus nou bin.

12   Lès mètchantes come lès bones minît ‘ne pôve vicårèye.

È 1′ plèce di s’ riqwèri, lès-oûhês s’ dicoplît,

lès pus-amoureûs s’ rèspounît;

li leûp, li r’nåd, 1′ mohèt n’ tûsît pus à magnî !

16 Leû sovèrin, l’ liyon, fit rassimbler s’ Consèy

èt dèrit : « Mès-amis, n’s-avans ‘ne lêde maladèye ! »

Vos m’ creûrez s’ vos volez, mês dj’ pinse qui nos pètchîs »

sont cåse qui 1′ paradis vout nos sacrifiyî.

20           » Po 1′ rapåveter, dj’a-t-oyou dîre

» qui, dè vî tins passé, on crèyéve on mårtîr.

» N’è-st-i nin djusse dè fé d’håssî

» li ci qui d’vins nos-ôtes si troûverè 1′ pus måssî ?

24    » Ègzåminans bin nosse consyince,

» kifèssans-nos : qui tot 1′ monde vinsse »

dîre tot 1′ må qu’il a fêt »

sins 1′ conter so s’ pus bê.

28    » Li bon Diu 1′ vout insi :  qui 1′ pus cålin pèrihe

» po qu’ tot 1′ rèsse si r’wèrihe ! »

Por mi, dji va k’mincî : dj’a stronlé, sins minti, »

po fé glèter m’ minton, quékes dozin.nes di bèrbis…

32    » Èles ni m’avît rin fêt, ca dj’ vou qui 1′ boye m’abate ! »

so l’ tins qui dj’ lès k’dåssîve, èles mi lètchît lès pates… »

Dj’a co fêt pés,  ca dj’a magnî

pus d’on bièrdjî !

36    » Dji so prèt’ à mori,

mês d’vant çoula, dji pinse

» qui po fé 1′ dreût dè djeû, po rinde ine bone sintince,

» vos d’vez v’ni toûr à toûr »

divant tot 1′ pårlumint, come mi, d’lahî vosse coûr.

 

  1. frappait sur toutes les bêtes comme un coup d’éclair. — 10. langonèye, agonie. — 14. si rèspouner, se cacher. — 15. mohèt, épervier. — 20. rapåveter, apaiser. — 21. … on créait un martyr. — 22. d(i)håssî, déchausser (ici « déshabiller » au moral). — 27. sans le conter à son avantage. — 29. pour que tout le reste [des animaux] se gué­risse. — 30. stronler, étrangler. — 31. pour me faire baver le menton (= pour faire bonne chère), quelques douzaines de brebis. — 32. boye (arch.), bourreau : qui ïm’abate ! (imprécation). — 33. k(i)dåssî, mâcher. — 37. fé l’ dreût dè dieû, se conformer aux règles du jeu, agir loyalement. — 39. d’lahî vosse coûr, soulager votre conscience. —

 

(p.120)

40                 » On pwèrè apreume vèy

» li ci qu’i fåt qu’i s’ sacrifèye ». —

« Grand prince, lî dit li r’nåd, v’s-avez trop’ di bonté »

dè prinde po dès pètchîs dès-eûves di charité !

44    » Kimint, sîre ! vis r’pinti d’avu crohî dès bièsses

» qu’on magne à totes lès tåves ? Pèrsone nèl vwèreût creûre ! »

Li canaye deût-èsse fîre dèe noûri 1′ hôte nôblèsse. »

Vos ! magnî dès moutons ? vos l’zî fîz bin d’ l’oneûr !

48    » Po çou qu’èst dè bièrdjî, çoula n’ mèrite nole grâce :

» si lès bièsses n’ont nou dreût, c’èst zèls qu’ènnè sont cåse… »

Insi djåsa li r’nåd,

èt l’s-ôtes dè brêre « vivåt ! ».

52   Tot l’ monde bawîve è tére,  on n’ trovéve rin à r’dîre

å moumint qu’ l’ours’ èt l’ tîgue kifèssît leûs mèhins :

totes lès hagnantès gueûyes èstît dès-andjes d’å cîr,

dès binamés p’tits sints !

56          Lès crimes di tos lès tchêye-quarèles

n’èstît qu’ dès p’titès bagatèles…

Qwand ci v’na l’ toûr di l’ågne, i dèrit :  « Dji m’ sovin

(mês gn-a d’ çoula bin dès-an.nêyes),

60    » qui dj’ passéve, à l’ vèsprêye, è l’ prêrèye d’on covint. »

Dji n’aveû co fêt nole eûrêye : » dj’assotihéve di fin èt d’ seû !

» Li foûre, qu’odéve si bon, m’ montéve djusqu’ås-orèyes,

64    » li diåle èt l’apétit m’ fît djêrî tos lès deûs :

» po l’ viér dè coûr, dj’ènnè saya ‘ne picêye… »

Volà m’ pètchî, vos ‘nnè djudjerez ». —

« Harû ! pèlêye cûrèye ! » brèya-t-on d’ tos costés.

68           On leûp, qu’èsteût on pô jésuite,

prétcha qu’i faléve å pus vite mascåsser cisse vèye rosse,

ci tigneûs sins-èsprit qu’èsteût cåse di tot leû displit !

 

  1. on pwèrè (arch.)…, on pourra seulement alors voir. — 44. crohî, croquer. — 45. vwèreût (arch.), voudrait. — 52. tout le monde épiait, la tête baissée… — 53. mèhins, ici : pecca­dilles (iron.). —• 54. toutes les mordantes gueules… — 56. tchêye-quarèles (litt. : « chie-querelles »), fomenteurs de dissensions. — 58. ci, emploi explétif de l’adv. ci. — 61. eûrêye, « heurée », repas. — 64. djêrî, éprouver un appétit déréglé. — 65. pour le ver du cœur (= pour tuer le ver), j’en goûtai une pincée. — 67. pèlêye cûrèye, pelée charogne. — 70. écorcher cette vieille rosse, ce teigneux sans esprit. — 71. displit, tourment, peine.

 

 

(p.121)

72   Haper l’ièbe d’on covint ! Våreût mî d’ moudri s’ père ! …

Nosse pôve bådèt fout bin vite mwért !

Vos serez neûr ou blanc, à l’ coûr on v’ djudje insi :

74  c’èst 1′ gros pèhon qui magne li p’tit.

 

Journal La voix du peuple, 1″ année, Liège, 1845, pp. 189-190. — Reproduit dans Annuaire Soc. de Litt. Wall., t. 11, 1886, pp. 130-132.

 

– 72 moûdri, meurtrir, tuer. — 73. à la cour : la cour du roi… ou le prétoire ? — 74. c’est le gros poisson qui mange le petit.

 

 

(p.122)

CHARLES LETELLIER

(1807-1870)

 

Né à Ath, mort à Bernissart, localité de la frontière française dont il était le curé depuis 1846, l’abbé Letellier, avant d’entrer dans les ordres, a vécu toute sa jeunesse à Mons.

C’est dans le parler de cette ville que, sur les traces de son aîné, Henri Delmotte (1798-1836), auteur des Scènes populaires montoises (1834), Letellier se risquera à publier, en 1842, des Essais de littérature montoise; bientôt épuisé et introuvable, ce petit recueil anonyme eut les honneurs de la contre­façon en France (Valenciennes, 1845) et connut ensuite une 2e édition, aug­mentée, en 1848. Son succès était dû principalement au tableau de mœurs populaires qui en constituait le plat de résistance : El mariâje dè l’ fîe Chôse. Scène dialoguée en trois tableaux où deux commères du peuple vont admirer à l’église le mariage de la fille d’un notable de la ville : la perfection du réalisme l’a fait comparer non sans raison au « mime » des Syracusaines de Théocrite.

L’accueil réservé à sa première œuvre détermina le curé Letellier à publier, à partir de 1846, l’Armonaque dé Mons, qui continua à paraître après sa mort, jusqu’en 1899. Rédigé en dialecte, c’est le premier du genre en Wallonie (il avait eu des devanciers en Lorraine et en Picardie) et il devait faire école, de Tournai à Malmedy.

Letellier a écrit la plupart des textes qui composent YArmonaque. Une grande variété y règne, toujours placée sous le signe d’un humour original, où se mêlent la goguenardise et la naïveté. Mais la faconde de l’auteur le conduit souvent à la prolixité. On le remarque notamment dans ses fables, très libre­ment imitées de La Fontaine : préférant presque toujours la prose aux vers, Letellier en fait des récits qui tiennent le milieu entre le conte populaire et le fabliau. Le mérite lui restera toutefois d’avoir été, dès 1842, le premier fabuliste en littérature wallonne. Là encore, il allait être largement suivi.

 

34                                                                                                          [Mons]

El mariâje dè l’ fîî Chôse

(Extraits suivis)

 

PREMIER  TABLEAU

 

Le commencement de la scène se passe au bas de la rue de Nimy, non loin de la porte de ce nom.

 

LE MARIAGE DE LA FILLE CHOSE. — L’identification est fournie par le titre du manuscrit autographe : « SI Mariage de 1′ Fie Siraut 1’ Bourguémesse à St Nicolas. 1842 » (Mons, Bibl. publique, ms 581).

 

(p.123)

Madelon

Où-ce que tu cours insi, hon, Dèdèfe ?

On dirwat qu’ t’as 1′ feu à t’ eu !

Dèdèfe

J’ m’in va vîr in biau mariâje, fîe.

Madelon

4   Qué mariâje, hon ?

Dèdèfe

El mariâje dè 1′ fîe Chôse à Sinte-Isabèf. J’ sû bin sûre qu’on va j’ter dès yârds à dik-èt-dak. J’ tâch’ré d’in ramasser ène bone pougnîye, mi. Em’n-ome a d’jà dit qu’i s’ foutrwat ène bone chique

8 à leû santé èyèt mi, èj’ f’ré ène bamboche au chicolat avè deûs twas visènes èyèt dès pains blancs d’ madame.

Madelon

Boh ! oui, èle va s’ marier ainsi, ç’ vièrje-martîre-là ? Va, si èle n’a nié trouvé in chaland pus d’ bone eûre, c’ n’est nié faute qu’èle

12   n’a nié dès yârds assez, toudi !

Dèdèfe

Tu n’as jamés si bié dit d’ ta vîe. A propos, èst-ç’ que tu n’ vas nié v’ni avec, hon ?

Madelon

El bon sins 1′ veut, èt’-t-i Camus. Rinte in moumint, j’ va mète

16    ène braye èy’ in lign’ron au eu de m’n infant, et pwis nos d-îrons à deûs. (…)

Dèdèfe

A propos ! savez bé avè quî c’ què 1′ fîe Chôse s’ marîye ?

 

 

Dèdèfe, forme hypocoristique, en picard oriental, de Marie-Joseph (ou de Josève).

  1. … à Sainte-Elisabeth; le nom réel de l’église paroissiale (voir ci-dessus) a été changé intentionnellement par l’auteur. — 6. yârd, liard, pièce de monnaie. Allusion à l’usage de lancer des sous à la volée au sortir de l’église, lors d’un mariage ou d’un baptême. — 7. Mon mari a déjà dit qu’il se flanquerait une bonne cuite…
  2. visène, voisine.
  3. … dit-il Camus (dicton local). — 16. braye, braie, petit caleçon; lign(e)ron, lange d’enfant. —

 

(p.124)

Madelon

Non. Em’n-ome m’a bé dit qu’elle alwat s’ marier, més i n’ m’a

20    nié seu dîre avé quî; èyèt ça, parqué i n’ sét nié lîre èl lète écrisse, i n’ sét foke lîre èl lète moléye.

Dèdèfe

Eh bé, m’ fîe, ç’t-avé un du côté d’Ath; d’Ath èt nié d’Ath, du faubourg dè Braqu’gnies : in monsieû qu’a bram’mint dès-ôbêrts.

24 On dit qu’èlle a fét s’ connaissance in d-alant nanger à Spa, du côté d’ Liège. Quand il l’a yeû vu, il a d’mandé tout d’ swite pou li parler.

Madelon

Tiens ! asteûre, là co du nouviau : trouver in gas in d-alant nanger

28    à Spa ! Va, nous-autes, i n’ nos-a nié foulu couri si lon.

Dèdèfe

J’ cwa bé. Mi, i n’a foke foulu d-aler in côp à 1′ ducasse du Cras-Monciau. Jacot a couru sot tout d’ swite après mi.

 

Madelon

Eyèt mi, quand j’é yeû fét in van’sé avè Polite au Plancher, à

32   1′ ducasse d’Hiyon, i n’ li in n’a pus foulu d’aute què mi. (…)

 

DEUXIEME  TABLEAU

 

Dèdèfe

‘Z-infants ! lès jins qu’il a d’jà ! I n’ d-a nié tant qu’ ça 1′ jour

 

20-21. Le mari de Madelon ne sait lire que (foke — anc. fr. fors que) la lettre moulée, c’est-à-dire imprimée.

22-23. Le marié, étant de la région d’Ath, se voit appliquer le dicton traditionnel dont la teneur complète est : il est d’Ath èt nié d’Ath, il est du faubourg de Brank’gnie, co toudi d’Ath pou ça (Brank’gnie est la forme orale de Brantignies, ancienne dépendance d’Ath conservée dans l’odonymie athoise : rue de Brantignies). Letellier, d’origine athoise, ne manque pas de replacer ici ce sobriquet populaire des Athois. — 23 … qui a beaucoup d’écus. — 24. … en allant nager à Spa; il faut interpréter : en allant prendre les eaux.

  1. la ducasse (fête de la dédicace de l’église paroissiale, d’où : kermesse annuelle) du « Cras Monciau », nom d’un quartier populaire, aujourd’hui disparu à Mons.

 

(p.125)

du grand Pâques à grand’mèsse. Pousse lès jins in p’tit peû, nos tâch’rons d’aler nos mète à l’intrée du chœur pour vîr passer

36   1′ partieuyère ave s’ bèle twalète. (…)

Madelon

Tiens ! le v’ià justèmint qu’èle rinte pô grand portai. Ergarde in peu corne elle èrlwit ! Èle d-a co pus d’ pou deûs cints francs su s’ dos, alez ! Eh ! come èle marche in fronchant s’ cu ! On 40 vwat bé qu’èle n’a jamés été si brave dè s’ vîe, va!… Tâche in peu dè n’ nié pousser ainsi, va, twa, p’tit ropiyeur !

Le gamin

Tiens ! té v’là bé va, twa ! qu’èst-ç’ què tu ferwas, hon ?

Madelon

Ç’ què j’ ferwa ? Aprouvez toudi d’ rinviyer m’n-infant, savez !

44   Vos vwarez ç’ què j’ feré.

Le gamin

Qu’èst-ç’ què je m’ fous dè t’ moricot d’infant, hon, mi ? Tu n’avwas qu’à 1′ lèyer à t’ méson.

Madelon

Avez jamés vu inné afronterîye parèye, tènez ? Aprouvez co d’

48   pousser in côp : j’ vos fous ‘ne marnioufe su vo visâje come in pin d’ deûs sous.

Dèdèfe

N’ dispute nié insi à l’église, va, Madelon; i n’a nié d’avance avè cès-arsouyes-là… Ergarde qué biau capiau qu’elle a su s’ tiète dè

 

4l. ropiyeur, gamin, sorte de Gavroche montois.

  1. … de ton marmot d’enfant.
  2. marnioufe (prononcé souvent margnoufe), momifie, soufflet.
    • Regarde quel beau chapeau qu’elle a sur  sa tête de soie blanche.  Anacoluthe expressive :  la proposition déterminative  est intercalée entre  le nom  et le  complément

de celui-ci. Une liberté du même genre se remarque dans la séquence qui suit : avec des plumes sur son oreille des grands oiseaux qu’on montre à la foire. Ces ruptures de construction imitent la langue parlée.

 

52   soie blanque, avé dès plumes su s’ n-orèye dès grands mouchons qu’on moute à 1′ fwâre. (…)

Madelon

Eh ! ‘là 1′ curé qu’arive avé 1’ grand-clêr. Ergarde in peu come il-ont l’ér binése.

Dèdèfe

56 A t’ mode, hon, c’t-ène bone journée pour eus’, da ! C’èst toudi au mwins in côp d’ quatrè-vint francs pou eus’ deûs, alez.

Madelon

Tout d’ même, cès curés-là ont bé du boneûr pou ça, savez : quand i n’ pleut nié, i goute pou ces gayârds-là. (…)

Un employé du gouvernement

60 De quelle volubilité de langue sont donc pourvues ces personnes du sexe ! C’est un flux et reflux de paroles, de réflexions non inter­rompues, et que nul ne saurait contenir.

Madelon

Qu’èst-ce qui raconte, hon, ç’ti-là ? Est-ce que t’as compris in

64   mot dè c’ qu’il a dit, twa, Dèdèfe ?

Dèdèfe

Non, m’ fîe; je n’ sé nié si c’èst du grèk ou bé du flamind qu’i nos-a là bouté. I m’ semble pourtant què c’t-à nous qu’i d-a.

Madelon

Bé ! j’ cwa bé què c’t-à nous ! Tu n’as nié vu, hon ? Il s’a r’tourné

68   sur mi, i m’ fèswat ‘ne mine come in capuchin à l’agonîe.

Dèdèfe

Eyêt mi, j’é pinsé qu’il alwat m’avaler. I m’ fèswat deûs-yeûs come ène marcote in couche !

 

 

  1. Le grand clerc ou premier clerc d’une église paroissiale, faisant office de chantre ou de sacristain. — 55. binése, content, heureux.
  2. … comme un capucin à l’agonie. Variante de la comparaison populaire attestée en

picard oriental : ch’èst corne in cat à l’agonie, î fèt acore sintir ses gros (… sentir ses griffes); mieux que par un trait burlesque, elle s’expliquerait si on donne à capuchin son sens second en rouchi : sorte d’insecte qui vit dans les tanneries (Hécart) par allusion à la couleur et à la forme du capuchon des capucins; comp. ci-après (69-70) l’expression correspondante où intervient aussi un animal : comme une marcote (belette) qui met bas.

 

(p.127)

Madelon

Je m’ fous bé d’ li pou ça, savez ! J’ su ici pou mès yârds tout

72   d’ même què li.

L’employé

Quel fatras ! quel jargon inintelligible ! Mais, Madame, ne pourriez-vous, pour un instant, mettre un frein à votre loquacité ?

Madelon

Dè qué, fieû ? N’ parlez nié d’ madame, vous ? Si c’t-à mi qu’ vos

76   d-avez, Dieu merci ! Ène bèle madame avé in capotin à traus !

L’employé

Mais, ma chère…

Madelon

Cher ? J’é coûté aussi cher què vous, sans m’ vanter. Polite a chiyé sî francs au curé, sans dîre in mot, quand nos-avons marié

80   à deûs.

L’employé

Mais, mon amie…

Madelon

Vo n-amîe ? Je n’ su nié amis’ avé vous, da mi ! Je n’ vos cône nié ni du cu ni dè l’ tiète. Vo n-amis’ ! E-bé, j’ tè 1′ consèye, va,

84   fieû ! T’as du boneûr què m’n-ome n’èst nié ici : t’arwas dès tapes su t’ gueule. (…)

Dèdèie

Alons ! in v’là assez, t’t-à l’eûre èl finissemint du mariâje arivera èyèt tu sèras co toudi à disputer. T’ès trop vife, da, twa; t’es là

88 qu’ tu fés du monvés sang unitilemint. Fés come mi : invouye-lé s’ laver à l’iau d’ puch, il ara 1′ visâje clér. (…) — Tiens, r’garde ! ‘là l’ curé qui louye èl min dè l’ fîe Chôse avé l’ siène dè s’ gas.

 

  1. marier au sens d’épouser. Ici comme plus loin, Madelon comprend de travers le français trop emprunté du fonctionnaire : d’où le comique du dialogue.
  2. … à l’eau de puits.

 

(p.128)

Madelon

E wê ! Bon… I n’ faut nié si bé l’ louyer, alez, fieû, èle nè peut

92   mau d’ lacher s’ particuyer, elle èst bé trop binése de ll’avwar !

Dèdèje

J’ crwa bié ! Si nos-arions autant d’ louwis d’ôr qu’èlle a ûsé d’ pêres dè solés à couri après, i n’èst nié co sûr què no fortune èn’ s’rwat nié fête.

Madelon

96   Eyèt pourtant, tu m’avoueras què l’ kié n’  vaut nié l’ colèt, n’èst-pas ?

Dèdèfe

T’as bé rêson. Tiens, r’garde, il èst rouche come du sang d’ naviau.

Madelon

Wê, tu dirwas in d’zarteur dè cimentière ! L’ fosseur a peut-été 

100   déjà été bwâre ène canète su s’ compte. (…)

Dèdèfe

Hé ! ‘là l’ mariâje fêt ! ‘là qu’is s’in vont au sacristie s’ mète in n-écrit. D-alon’ abîe à 1′ porte, fîe. Nos nos m’trons d’lé lès caroches pou ramasser bram’mint dès-ôbêrts.

Madelon

104   Atinds-mé, Dèdèfe, n’ cours nié si vite, va ! Il est co temps.

 

1842

« Essais de littérature montoise, nouvelle édition, corrigée et augmentée de quelques faufes »; Mons, 1848, pp. 45-46, 47-48, 50-51, 52, 53-54, 55, 56-57 et 58.

 

  1. Si nous aurions (= avions) autant…
  2. … rouge comme du sang de navet : antiphrase plaisante, confirmée par la réplique suivante.
  3. d’zarteur, déserteur; fosseur, fossoyeur.

101-102. se mettre en écrit, c’est-à-dire signer l’acte de mariage.

  1. Allons vite à la porte [de l’église].
  2. caroches, carosses, ici : voitures des mariés et de leur suite.

 

 

(p.129)

JEAN-BAPTISTE DESCAMPS

(1809-1886)

 

Né et mort à Mons, Jean-Baptiste Descamps fit carrière dans l’enseignement, d’abord comme instituteur, puis comme professeur au collège communal devenu par la suite l’athénée royal de Mons. C’est dans ce dernier établis­sement, où il enseignait les sciences commerciales, qu’il fut admis à la retraite en 1877. Il avait également été attaché à d’autres institutions scolaires où il donna des leçons de calligraphie, de mathématiques, de langues, etc.

Avec Delmotte, Descamps est le père de la littérature montoise. Ses débuts remontent à 1834, tant en français — voir les strophes d’Une matinée de printemps — qu’en patois : El procès d’Bernard Filou, canté, raconté èyèt récrit pau fieû Chose révèle chez le prédécesseur de l’abbé Letellier un observateur-né de la vie populaire et l’instinct du style parlé. Ce monologue entrecoupé de couplets est le premier de son espèce dans nos lettres, et le genre, imité de Béranger et des chansonniers du Caveau, allait fleurir par la suite jusque bien tard, en particulier chez les auteurs liégeois : Dehin, Dumoulin, Gérard, Carpentier, etc.

Descamps cultiva principalement la chanson wallonne, au gré d’une inspi­ration qui ne fut pas très abondante : une trentaine de pièces, publiées la plupart en feuilles séparées et qu’a réunies le volume de ses Œuvres paru peu après sa mort. L’auteur de Que biau p’tit fieû, sa chanson la plus goûtée, excelle à traduire en un langage vif et enjoué les sentiments d’une classe ouvrière qui aime la vie, même quand celle-ci lui fait grise mine :

Fous-mê tes bréy’rîyes su l’hayon et qu’in n-aute que ti lès ramasse ! El chagrin n’est qu’in vieux couyon qui s’saufe quand on lî fêt ‘ne grimace…

 

35                                                                                                    [Mons]

Qué biau p’tit fieû !

(Air : Soldat français)

 

J’é in p’tit fieû, èç’t-in anje, in n-amour,

il est si biau, tiens ! que c’ n’èst rié dè 1′ dîre.

On 11-èrgard’rwat tout 1′ fin long d’in grand jour !

4   As’ vue, d’ plési jé m’ sins brére ou bé rîre.

Wê, mès 1′ pètote èyèt 1′ pus drole du jeû :

il a ‘ne frimousse, c’èst craché 1′ ciène dè s’ pére.

 

 

QUEL BEAU PETIT GARÇON!

  1. On le regarderait tout au long… — 4. brére, pleurer. — 5. Ouais, mais l’affaire et le plus drôle du jeu. Il y a redondance, car pètote, altération de patate, pomme de terre, se dit au figuré, en montois, d’une chose curieuse ou bizarre, d’un événement plaisant. L’insolite ici serait que le fils ressemble à son père…

 

(p.130)

Refrain

Ergarde-m’in peû, Dèdèfe, qué biau p’tit fieû !

8   N’a-t-i nié jou pou cwâre què d’lé 1′ bon Dieu,

au paradis, on ll’-a fét fére ?

 

Il est crolé come in p’tit kié-canârd,

il a deûs-ieûs lwîsants come dès lumerètes,

12   in nez, ène bouche, in p’tit minton d’ finârd

èt dès baloufes à bèlès p’titès fosselètes,

deûs lèfes in keûr co pus rouches què du feû,

ène piau si douce qu’ène princesse in s’rwat fiére.

 

16   In p’tit pourciau, Dèdèfe, n’èst nié pus cras,

il èst tayé, planté come in-n-èrcule !

Quand i m’èrpoûsse avec sès deûs p’tits bras,

il èst si fôrt qu’i m’ sembe vrémint qu’ j’èrcule.

20   A s’ dos, à s’ panse, il èst mâbré tout bleû.

Il a in cu ! in cu pus dur qu’ène piére !

 

Mès ç’ n’èst nié 1′ tout’, il èst bon come du pin,

i n’ grougne jamés, au grand jamés i n’ blèfe.

24   Vos-alez vîr : « Alons, p’tit galopin,

fêtes in risot, bayez ‘ne béche à Dèdèfe ».

Bé ! v’là qu’i brét ! Arsouye, va ! p’tit hableû !

C’èst 1′ promiêre fwas, su m’n-âme, què j’ l’intind brére !

 

 

  1. Dèdèfe : cfr l’ mariâje dè l’ fîe Chôse de Letellier (ci-dessus). — 8. jou : ancienne forme tonique du pronom personnel sujet lre personne, ici employé après le verbe comme particule de renforcement; intraduisible en français moderne; cwâre, croire.
  2. crolé, bouclé  (cheveux);  kié-canârd,  chien-canard,   « à poil  épais  et frisé »,  dressé pour retirer les canards de l’eau, au moment de la chasse  (cfr Littré,  V  canard). 
  3. … brillants comme des feux-follets. — 13. baloufe, joue.
  4. Un cochonnet, D., n’est pas plus gras. — 18. Quand il me repousse… 20. mâbré, marbré.
  5. faites un sourire, donnez une bise (litt* : une baise). — 26, « arsouille » et « hâbleur » n’ont ici rien d’injurieux : c’est le langage de la vivacité familière, usuel en patois. — 27. … la première fois, sur mon âme, que je l’entends pleurer : exagération plaisante, naturelle chez une mère.

 

(p.131)

28    Mès ç’t-au rapôrt, fîe, qu’i n’ vos counwat nié.

Il èst si jeune…  «Nounoû, baye-èm’ ène béche;

J’ sû vo maman ! Et pwis, ça m’ fét tant d’ bié ».

Bé ! le v’là co qu’i s’èrtire, qu’i s’abéche.

32   Foutu grougnârd ! kalmouk ! Si j’avwa seû !

C’èst 1′ promiêre fwas qu’i m’ fét ‘ne parèye afére !

 

El pauve infant veut put-ète roupiyer?

Ç’ què par maleûr, sinte Vièrje ! i s’rwat malade ?

36   Non, il a fin… C’èst s’ grand goût d’ morfiyer.

« Tènez, m’ fieû-fieû, minjez dè l’ marmelade ».

Là qu’i rigole dè ç’ fwas-ci, r’garde-m’in peû !

I m’ baye ène béche … èt dîre què j’ su bé s’ mére !

 

40   Et vwayez bé, Dèdèfe, qué biau p’tit fieû !

N’a-t-i nié jou pou cwâre què d’lé l’ bon Dieu,

au paradis, on ‘ll a fét fére ?

 

1855

‘ Quêe biau p’tit fieu », 2 feuillets avec air noté. S.l.n.d. Reproduit dans Œuvres de J.B. Descamps, Mons, 1886, pp. 131-133.

  1. L’enfant se retire de sa mère, se baisse : c’est pour satisfaire un besoin imprévu; d’où les invectives du vers suivant. — 33. Comp. v. 27.
  2. morfiyer (anc. fr. morfiailler, manger goulûment), mâchonner, mordiller.

 

 

(p.132)

JEAN-JOSEPH DEHIN

(1809-1871)

 

Enfant du quartier Sainte-Marguerite à Liège où il passa sa vie, Jean-Joseph Dehin, fils d’un pauvre chaudronnier, entra en apprentissage à l’âge de neuf ans. D’étape en étape, par son courage et son travail, il abandonna la chau­dronnerie pour la ferronnerie où il se révéla un maître artisan. D’importants travaux lui furent confiés, à lui et à ses fils, notamment à la cathédrale de Liège : on n’a pas oublié qu’il y laissa, sur plusieurs pièces d’orfèvrerie, d’originales « signatures » en wallon, marques de son esprit frondeur.

Cet autodidacte, disciple et, par la suite, ami de Déranger, écrivit sa première chanson à quatorze ans. En 1845, sous le titre de Lès p’tits moumints d’ plêsîr par J.J. Dehin, messe tchôdronî, il publia un recueil qui connut plusieurs éditions en 1847, 1848 et 1852, cependant que d’autres plaquettes voyaient le jour en 1846, 1847 et 1848. L’ensemble de cette production variée où voisinaient chansons politiques, satiriques et bachiques, fables et « crami-gnons », contes facétieux en vers, scènes populaires et poèmes historiques fut réuni, avec de nouvelles pièces, dans le volume Tchâr et panâhe [Gras et maigre] qui acheva de consacrer, en 1850, la notoriété de J.J. Dehin comme poète dialectal.

Ce dernier ne s’arrêta pas en si bon chemin : tout en collaborant, de 1851 à 1856, au célèbre Almanach de Mathieu Laensbergh, tout en multipliant les pièces de circonstance diffusées en feuilles volantes, il entreprit avec François Bailleux (voir ce nom), l’adaptation des quatre premiers livres des Fables de La Fontaine (1851-1852), laissant d’ailleurs à son partenaire la meilleure part en quantité comme en qualité.

La verve et la rondeur de Dehin n’ont d’égales que sa facilité, et c’est surtout par l’esprit gaulois que se recommande la qualité de son style. Dire que chez lui, le wallon dans les mots brave l’honnêteté n’est pas lui faire tort. Parmi les écrivains liégeois qui fondèrent la Société de Littérature wallonne en 1856, il représente, quasi seul aux côtés des intellectuels et des bourgeois, l’écrivain de tempérament, l’homme du peuple au langage cru et dru.

 

36                                                                                                     [Liège]

Li k’fèssion d’à Marèye

 

I fåt qu’ dji v’ conte ine fåvurète                    Vv. 1-22

qu’a-t-arivé cial dièrin.neint

inte on k’fèsseû et ine tchafète

4   divins l’èglise d’ås Cårmulins.

 

LA CONFESSION DE MARIE

  1. fâvurète (t. rare), petite fable. — 3. entre un confesseur et une dévote. — 4. Cârmulin,

Carme; les Rédemptoristes avaient succédé aux Carmes dans le couvent de Hors-Château, mais à l’époque de Dehin, l’église conservait encore son ancienne dénomination. —

 

(p.133)

Dji n’ sé si c’èsteût l’ pére Bernård

ou bin si c’èsteût l’ pére Måvisse,

mês on m’a-t-assûré d’ bone pårt

8    qui c’èsteût on rédemptorisse.

Et vocial corne èle s’î prinda

èt kimint èle lî conta s’ cas :

 « Mon pére, dj’a dit saqwantès boûdes.

12   — Ni m’ catchîz rin, djans, m’ fèye, dji hoûte.

—  Mon pére, dj’a co dit ‘ne lêde raîson…

—  Qwè don?

—  Dj’a dit à m’ soûr : « T’è-st-on tchinis’ ! »

16   — A bin ! vos d’hez dès lêtès d’vises.

I fåt loukî di v’ corèdjî

èt fé l’ mons qu’on pout dès pètchîs.

Asteûre, fåt qu’ dji v’ dimande portant :

20   Est-ce qui vos n’avez nou galant ?

—  Siya, mon pére.

—  Brèyez pus hôt, dji n’ô nin clér… »

 

Interrogée par son confesseur, la jeune fille avoue qu’elle s’est permise certaines privautés avec son amoureux. Le religieux consent à l’absoudre, non sans lui ordonner une pénitence qui comporte un point aussi étrange qu’humiliant :

 

« A bin ! hoûtez. Savez-ve bin qwè ?                  

24   Vos dîrez doze fèyes vosse tchapelèt.

Asteûre, fez ‘n-ake di contricion

èt dji v’ va rinde l’absolucion;

èt, come dimin, c’èst-on djoû d’ fièsse,

28    vos vêrez hoûter l’ prumîre mèsse;

èt po spani pôr vosse pètchî

tchôkîz vosse pogn è bèneûtî

 

5-6. Ces deux pères rédemptoristes (les PP. Bernard Hafkunscheid et Manise dont le nom est altéré ici en Mâvisse) défrayèrent la chronique anticléricale à Liège; c’est sans doute à leurs succès comme confesseurs du beau sexe que fait allusion Ch. Wasseige dans sa chanson Mandemint d’ Cwarème (1842) lorsqu’il écrit : Vos fèyes åront po galants / Père Bernård èt Père Måvisse. — 11. … quelques mensonges. — 12. … allons, ma fille, j’écoute. — 16. tchinis’, ordure, saleté. — 21. siya, adv. qui soutient ou confirme l’affir­mation (à côté de la forme neutre awè, oui). — 22. Parlez (litt. : criez) plus haut, je n’entends (litt. : ouis) pas clair.

  1. et pour bien expier votre péché; pôr (rendu ici par bien) est un « adverbe qui indique l’achèvement de l’action au degré superlatif, toujours avec un accent d’intensité » (DL, 497). — 30. poussez votre poing dans le bénitier. —

 

(p.134) èt si n’ l’alez nin sètchî foû

32   si l’ prumîre mèsse ni seûy tote foû.

Et promètez-me, fwè d’ brave djon.ne fèye,

qui vos n’ f’rez pus dès calinerèyes,

ca, s’ vos r’toumez co d’vins 1′ min.me pont,

36   vos n’årez pus l’absolucion ».

 

Volà qui l’ lèd’dimin, Marèye

coûrt à l’èglîse å pus-abèye,

èt volà qu’èle tchôke, sins båbî,

40   s’ pogn tot-ètîr è bèneûtî.

Et lès djins qu’intrît d’hît inte zèles :

« Vola co ‘ne pauve âme qui s’ troûbèle,

qu’årè co stu dîre à k’fèssion

44   quékès måtoûrnêyès rêsons ! ».

So çoula, v’cial li grosse Nanèsse

qui s’atake à rîre come ine bièsse,

tot d’hant : « Qui fês-se don là, Marèye ?

48   Laves-tu tès mins d’vins l’êwe bènèye ?

—  Têhîz-ve, Nanèsse, c’èst po m’ pètchî !

Dji n’ mi wèsereû måy rissètchî :

c’è-st-ine pènitince qu’on m’a d’né

52   qwand dji m’a stu îr kifèsser.

Alez ! dji m’ènnè sovêrè si lontins,

dji creû, qui dj’ vikerè.

—  Qu’as-se raconté, dis don, djåkelène ?

56   T’as-se kifèssé come lès bèguènes ?

—  Nèni, mês dj’a stu raconter

dès saqwès qui s’avît passé.

I s’ troûve don qui, tot m’ kifèssant,

60   dist-i : « M’ fèye, n’avez-ve nou galant ? ».

Et mi, dji lî a dit qu’ siya.

—  Djåkelène ! çou qu’ t’as co stu dîre là !

 

 

  1. èt si (litt. : et ainsi) = èt; sètchî foû, tirer hors. — 32. avant que la première messe ne soit finie. — 33. … foi d’honnête jeune fille. — 34. calin’rèyes, vilenies. — 35. … dans le même point: ici, dans la même faute.
  2. … au plus vite. — 39. sins båbî (var. bambi), sans balancer, sans hésiter. — 41. … disaient entre eux. — 44. quelques propos malavisés. — 45. Nanèsse, hypocoristique d’Agnès. — 46. qui se prend à rire… — 50. Je n’oserais jamais me retirer (litt. : je ne m’oserais…). — 55. djåkelène (litf : Jacqueline), sotte, étourdie. — 56. T’es-tu confessée comme les nonnettes, c.-à-d. d’une manière scrupuleuse. — 58. des choses qui s’étaient passées. —

 

(p.135)

T’ åreûs d’vou lî dîre tot bonemint :

64    » Dji so trop lêde, on n’ mi vout nin

«, ca s’ t’èlzî raconte tès-amoûrs,

ti n’årès pus nole djôye à coûr.

—  È bin, mi, dji lî a dit tot,

68 lès p’tits pètchîs tot come lès gros;

dji lî a min.me dit tot bonemint

qui dj’aveû t’nou l’ustèye è m’ min…

Dji n’a rin wårdé so m’ consyince,

72   mês dj’a-t-awou ‘ne deûre pènitince,

ca i m’a dit qui po m’ pètchî

dè mète mi pogn è bèneûtî.

—  Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !

76  Et t’as bin wèsou dîre çoula?

Hèy ! volà ‘ne ènocin.ne mi-vét !

Çou qu’èlle a stu là raconter !

Bin va, mi, si dj’aléve måy dîre,

80  çou qu’ dj’a fêt îr èt avant-z-îr,

dji wadjereû po tot çou qu’on vout

qu’i m’î fêt mète li pogn èt l’ cou ! »

 

2 mai 1847.

1 feuillet double, s.l.n.d. Pièce non recueillie dans le volume :  « Châr èt Panâhe »  (1850).

 

  1. car si tu leur (aux confesseurs) racontes… — 70. que j’avais tenu l’outil dans ma main; ustèye désigne ici par euphémisme le membre viril. On comprend pourquoi la pénitence imposée à Marèye était de plonger sa main dans l’eau bénite. — 73-74. Ana­coluthe : la construction de la proposition infinitive introduite par qui est reprise par de (de). — 76. Et tu as bien osé… — 77. Litt’ : une innocente mon-vit, c.-à-d., avec une marque de vulgarité, une niaise, une demeurée; sur mi-vét (arch.) cfr la note 1 du n° 22. — 81. je parierais (litt. : je gagerais) pour tout ce qu’on veut. — 82. qu’il (le confesseur) m’y (dans le bénitier) fait mettre la main et le c.

 

(p.135)

37

Li cok d’awous’ èt l’ frumihe

On cok d’awous’ qu’aveût tchanté

tot long l’osté

 

LÀ CIGALE ET LA FOURMI

 

  1. cok d’awous’, litt. : coq d’août, par allusion à l’été où cet insecte se fait entendre, désigne souvent le criquet ou la sauterelle volante. — 2. tout [au] long [de] l’été. —

 

(p.136)

fout constrint di s’ mète à l’ bribaye

4   qwand 1′ tére fout coviète di nîvaye.

Il ala conter sès mèhins

à 1′ frumihe, tot d’hant : « Dj’a si fin !

Vos m’ divrîz pruster, dji v’s-è prèye,

8   quékes grins d’ wassin po m’ ratcheter 1′ vèye;

èt qwand c’èst qui 1′ bon tins r’vêrè, dji v’ lès rindrè

èt dji v’s-è pårè l’intèrèt,

12  si n’ loukerè-dje nin co à ‘ne tchîtchêye,

ca i fåt qu’ tot bwès s’ tchèrèye ».

Mês 1′ frumihe, qui n’ prusse nin vol’tî,

lî dit, après l’avu wêtî :

16    « V’ n’avez nin l’êr portant, compère,

d’avu, come vos d’hez, dè 1′ misére.

Mês, aprèpîz èt d’hez-me on pô :

qui fîz-ve don, hay ! qwand i fève tchôd ?

20                 — Dji tchantéve.

— Tins ! dj’ m’è sovin, ca dji v’s-oyéve,

awè, vormint ! tot 1′ fènå-meûs.

V’s-èstîz çou qu’on pout dîre djoyeûs…

24   È bin, hoûtez : v’chal lès frudeûres,

dansez… mi, dji bat’rè l’ mèseûre ! ».

 

V’là come lès crohe-patårs sont fêts :

is touwerît l’ piou po tèner l’ pê.

 

« Fâves da Lafontaine (Lîves I et II) mettowes es ligeois », Liège, 1851, p. 5 (I, 1). Paru d’abord dans « On d’meie franc, s’i v’ plait, po les pauv’s ovris », Liège, 1847, pp. 9-10.

 

  1. bribaye, action de mendier. — 4. nîvaye, neige. — 5. … ses déboires. — 8. wassin, seigle; pour me sauver (litt. : racheter) la vie. — 12. et ne regarderai-je pas encore à [rajouter] une broutille. — 13. Le proverbe « il faut que tout bois se charrie » signifie : il faut que tout se débite, suive son cours. Dans notre contexte, il correspondrait assez bien à l’expression pop. : « il faut ce qu’il faut », la cigale voulant montrer qu’elle connaît le train des choses, qu’elle n’est pas à une petite générosité près. — 15. … après l’avoir observé(e). — 18. aprèpîz, approchez. — 22. fènå-meûs, mois de la fenaison, juin. — 24. … voici les froids (litt. : froidures), c.-à-d. l’hiver.
  2. crohe-patår (litt. : croque-patard), grippe-sou. — 27. ils tueraient un pou pour en tanner la peau.

 

(p.137)

38

L’ome inte deûs-adjes èt sès deûs mêtrèsses

 

On vî djônê tot sètch,

coleûr di peûve èt sé,

dit : « Volà m’ tins passé,

4                 fåt tûser å marièdje. »

Il aveût dès-êdants

comptants;

ossi pus d’eune lî voléve plêre.

8   Vèyant çoula nost-ome ni s’ala nin håster,

pawou dè piède si housse, å min.me tins s’ liberté,

ca bin tchûsi n’èst nin ‘ne pitite afêre.

Deûs vèves surtout loukît di l’andoûler.

12   Eune èco rècokès’ èt l’ôte on pô fôcake,

mês qui saveût s’ rafistoler èt catchî qu’èlle aveût fêt s’ dag’.

Cès deûs marôyes-là tot tchinelant,

16              tot qwèrant à lî fé dè l’ fièsse,

èl carèssît atot l’ wåkant,

dji vou dîre ratîtotant s’ tièsse.

Li vèye à tot moumint tchipotéve è s’ toupèt

20   èt lî råyîve po s’ pårt sès saqwants neûrs tchivès

po qui s’ galant fouhe à si-îdèye.

Li djône râyîve tos lès tchènous.

Èle fèrît tant par djaloserèye,

24    qui l’ome eûrit ‘ne tièsse come on cou.

S’aparçûvant dè toûr, i dit : « Halte, mès marôyes !

Vos m’avez bin tondou,

mês v’s-\rez totes lès deûs ‘ne coûte djôye,

 

L’HOMME ENTRE DEUX AGES ET SES DEUX MAITRESSES

  1. Un vieux jeune homme tout sec. — 2. peûve, poivre. — 4. tûser, songer. — 5. êdant, sou, argent. — 8. håster, hâter. — 9. par peur de perdre sa bourse… — 11. Deux veuves, surtout, tâchaient de l’enjôler. — 12. Une encore gaillarde et l’autre un peu blette. — 14. … qu’elle avait fait son temps (litt’ : sa journée). — 15. marôye (de la forme archaïque du prén. Marie), maîtresse; tchin(e)ler, jouer comme les chiens, batifoler. — 17 … tout en le coiffant. — 18. ratîtoter, rajuster, réarranger. — 20. … un bon nombre de ses cheveux noirs. — 22. … tous les [cheveux] blancs. — 27. Le sens est : mais votre joie à toutes deux sera courte. — 28. wågnî, gagner. — 30. ahèsse, commodité; s’agissant d’une femme, nuance légèrement péjorative. —

 

(p.138)

28    ca dj’î a pus’ wågnî qui dji n’î åye pièrdou.

Afêre di marièdje, rin n’ mi prèsse,

dji troûverè todi bin ‘ne ahèsse.

Li cisse qui dji sposereû mi vôreût govièrner,

32  fåreût qui dji m’ lèyahe miner.

Nèni, merci, mågré qui dji seûye d’ine bone påsse,

i n’ mi convêrè måy qui m’ feume pwète li cou-d’-tchåsses. »

 

Ibid. (I,  17), pp. 26-27.

 

 

39

Atote

 

Sint-Pô a-st-on malin tchènône.

Alez ! n’ pout må di s’ forpougnî

èt ‘l èst capâbe dè trover 1’ vône

4   qwand i s’adjirè di v’ singnî.

Awè, djèl kinoh po 1′ djoû d’oûy,

dji sé bin à qwè m’ènnè t’ni !

I m’a tchôkî si pôce è mi-oûy,

8    èt vocial come i s’î a pris :

i n’ m’a d’né qu’ cink cint francs d’ chake brantche,

convenez qu’ c’èst pôr trop bon martchî !

Et dîre qu’i comptéve avu l’ mantche,

12    dè tins qu’ c’èst mi qu’èst l’èmantchî…

 

1864

Texte gravé en minuscule sur la première girandole de cuivre, côté épître, dans le chœur de la cathédrale Saint-Paul, à Liège.

 

  1. … que je sois d’une bonne pâte — 34. cou-d’-tchâsses, haut-de-chausses, pantalon.

 

COUP DE LANGUE. Cette épigramme est dédiée à Monsieur V tchènône Paquot; ce chanoine était coste du chapitre cathédral. Le sous-titre atote, que nous adoptons comme titre principal, désigne l’atout au jeu de cartes; le mot prend, par extension, le sens de réplique piquante.

  1. … [il] n’a garde de payer trop; la trad. franc, ne rend pas la concision énergique du v. si forpougnî composé du préf. for- marquant l’excès et de pougnî, dér. de pogn, poing. — 3. vône (ou von.ne), veine. — 4. … de vous saigner. — 7. … poussé son pouce dans mon oeil (au fig.). — 9. Le chandelier, où est gravé le texte, comporte plusieurs branches. — 10. pôr, cfr supra Li k’fèssion…, v. 20. — 11. … il comptait avoir le manche, sous-entendu : du chandelier. Autrement dit, pour le prix des branches, jugé dérisoire par l’artisan, le chanoine escomptait avoir en même temps le manche = le pied du chandelier. — 12. cependant que c’est moi l’emmanché, c.-à-d. le dupé. L’auteur a joué habilement sur le sens figuré de avu l’ mantche — être dupé, et de son synonyme (esse) èmantchî.

 

(p.139)

F L P

 

Ces initiales recouvrent les noms de deux magistrats, Théophile Fuss (1810-1877) et Adolphe picard (1819-1879) et d’un professeur d’Université, Alphonse le roy (1822-1896), tous trois nés et morts à Liège. En 1842-43, ils écri­virent en collaboration un certain nombre de chansons wallonnes qui parurent dans des livraisons de quelques pages; presque toutes formèrent, en 1843, la plus grande partie de la Novèle colèc’sion d’ pasquèyes lîdjwèses (Liège, F. Oudart, 9 numéros) (*). Dans ces pièces badines, inspirées par la vie du temps et les menus faits locaux, nos trois auteurs ont dépensé un esprit et un entrain intarissables; on leur souhaiterait parfois moins de facilité. Des extraits de Lès feumes di Lîdje composent une intéressante chanson fort en avance sur l’esprit social de l’époque et permettent de sauver, avec quel­ques couplets bien troussés, la mémoire de trois précurseurs du mouvement de 1856.

 

 

40                                                                                                     [Liège]

Lès feumes di Lîdje

(Air du Curé de Pomponné) Extraits suivis

 

Li vèye di Lîdje a stu todi,                          

come dihît nos grands-méres,

po lès priyèsses li paradis,

l’infér po lès coméres.

5    Alez ! nos tåyes kinohît bin

lès manîres di nosse vèye.

I våreût mî, vormint,

d’èsse on tchin qu’à Lîdje

d’èsse ine feumerèye !

 

 

LES FEMMES DE LIEGE

  1. priyèsse, prêtre. — 4. comére, forme namur. du liég. k(i)mére. Un proverbe, traditionnel sous l’Ancien Régime, voulait que Liège fût « l’enfer des femmes, le purgatoire des hommes et le paradis des prêtres » (cfr Délices des Pays-Bas, t. 4, p. 111, note, Liège, Bassompierre, 1769). Un Français, J. B. J. breton rapporte dans son Voyage dans la ci-devant Belgique et sur la rive gauche du Rhin (Paris, 1802) qu’à Liège les femmes « sont employées à des travaux qui, dans d’autres pays, ne sont point regardés comme propres à leur sexe. On les voit tirer des bateaux, porter sur leur dos la houille et toutes sortes de denrées » (t. 2, p. 7). — 5. tàyes, aïeux. — 6. les mœurs de notre ville. — 7. vormint, vraiment (sens exclamatif). — 8-9. (d’)être un chien / que d’être une femme à Liège (feumerèye : femme en général).

C1) Plus tard, de 1859 à 1871, réunis sous l’anagramme d‘Alcide Pryor, le roy et picard diver­tirent les banquets annuels de la Société de Littérature Wallonne par des pots-pourris dialogues qu’ils interprétaient eux-mêmes, l’un tenant le rôle de Baiwir, l’autre, celui de Crahay : Sôlêye et Pansa, Qui vout-èsse à Consèy ?, Baiwir so s’ panse, LI djama dès qwate nâçions, etc.

 

(p.140)

10   Est-ce qui ç’ n’ èst nin à v’ rinde honteûs        Vv. 19-69

qui dè vèy nos trêrèsses hièrtchî ås batês so l’Avreû,

atèlêyes come dès bièsses ? So mi-âme, èst-ce qu’on-z-ad’vinereût bin

15  qu’ c’èst là nos djon.nès fèyes ?

I våreût mî, vormint,

d’èsse on tchin

qu’à Lîdje d’èsse ine feumerèye !

 

È payîs d’ Lîdje, on spågne lès dj’vås,

20          lès feumes, on n’ lès spågne wére…

Sètche, trêrèsse ! va-z-è, ti n’ pous må !

Sètche djusqu’à l’eûre di t’ mwért !

A côps d’ corîhe on t’ batereût bin,

ca i t’ fåt wågnî t’ vèye…

25          I våreût mî, vormint,

d’èsse on tchin

qu’à Lîdje d’èsse ine feum’rèye !

 

Gn-a-t-i de 1′ fouwaye à tripler ?

Hay ! bot’rèsse, vosse truvèle !

30   D’vins vosse bot, so vos reins cassés,

gn-a pus d’ cint lîves di dièle !

Vosse visèdje, mutwèt bê-z-èt fin,

èst neûr come li tch’minêye.

Awè, våt mî, vormint,

35                 d’èsse on tchin

qu’à Lîdje d’èsse ine feumerèye !

 

  1. trêtrèsse, femme de peine qui remorquait autrefois les bateaux. — 12. hièrtchî, traîner; ici, tirer en traînant derrière soi; so l’ Avreû (aussi sor Avreû), sur Avroy (= le quai d’Avroy, à Liège, aujourd’hui transformé en boulevard). — 14. Sur mon âme, est-ce qu’on devinerait bien.
  2. … on ménage les chevaux. — 23. corîhe, fouet. — 24. wâgnî, gagner.
  3. fouwaye, poussière de charbon, menue houille; tripler, fouler aux pieds; ici, t. techn. : naguère, les boterèsses (hotteuses liégeoises) pétrissaient en le piétinant, d’un mouvement rapide et cadencé (tripler), le mélange de fouwaye et de dièle (sorte d’argile blanchâtre; voy. v. 31) dont elles faisaient, au moyen d’une foûme (forme) spéciale, les hotchèts ou briquettes de charbon (DL, fig. 715). — 29. truvèle, escoupe; il s’agit de la large pelle dont les boterèsses se servent pour remplir mutuellement leur hotte.

 

(p.141)

Tot-åtoû d’ Lîdje avez-ve vèyou

lès-ouhènes ou lès beûrs ?

Est-ce l’ome ou l’ feume qu’on-z-a mètou

40   à l’ovrèdje li pus deûr ?

Pôvès crapôdes, qwant’ gn-a-t-i nin

qui sont totes mèsbrudjèyes?…

Awè, våt mî, vormint,

d’esse on tchin

45   qu’à Lîdje d’èsse ine feumerèye !

 

Awè, d’hez qu’ vos-èstez Francès,

Lîdjwès, po l’ galanterèye !

Vos pôvès feumes savèt çou qu’ c’èst

qui totes vos cadjolerèyes.

50   Èle si r’pwèsèt, n’avise-t-i nin,

ine fèye qu’èlessont mariêyes !

… Awè, våt mî, vormint,

d’èsse on tchin qu’à Lîdje d’èsse ine feumerèye !

 

« Novell  Collection  d’  Paskeye  Ligeoiss*,  n°  1. Liège [1843].

 

  1. les usines ou les « bures » (= puits de mine). — 41-42. Pauvres filles, combien n’y en a-t-il pas qui sont toutes meurtries (par le travail) ?…
  2. Oui, dites que vous êtes Français. — 50. Elles se reposent, ne semble-t-il pas ?

 

 

(p.142)

FRANÇOIS BAILLEUX

(1817-1866)

 

Né et mort à Liège, François Bailleux fut avocat, membre du Conseil pro­vincial, secrétaire de l’Union libérale et surtout, à partir du 27 décembre 1856, la véritable cheville ouvrière de la « Société liégeoise de Littérature wallonne » fondée alors. Celle-ci doit à son infatigable secrétaire la rédaction de ses statuts, l’organisation de ses concours, la mise en train de ses publications : Bulletin et Annuaire.

« Jeune type de vieux Liégeois », comme dit Alphonse Le Roy, son biographe, Bailleux mit au service du parler ancestral ses dons de poète et ses qualités d’érudit. A vingt-cinq ans, il publiait ses premières chansons politiques (1842); deux ans plus tard, avec son ami Joseph Dejardin, il mettait à l’honneur les vieilles paskèyes liégeoises en donnant un estimable Choix de chansons et poésies wallonnes (pays de Liège) antérieures à 1830 (Liège, 1844), et, par la suite, il ne cessa de s’intéresser aux anciens textes wallons qu’il recherchait, transcrivait et dont plusieurs ont été édités par ses soins. Dans l’efflorescence néo-dialectale des environs de 1850, la poésie de Bailleux se place à l’un des premiers rangs. De son petit recueil Passe-tins (Liège, 1845) publié sous l’anonymat à 52 exemplaires, se détachent deux pièces qui tran­chent sur la production de l’époque. L’une, à l’abri de son titre bon enfant, Ine vèye fàve da m’ grand-mère, transforme le conte populaire du Filleul de la mort en une manière de conte philosophique où la « condition humaine » s’inscrit, sans développements oratoires, sur un fond d’implacable amertume. L’autre, Marèye, est « une sorte de pastel idyllique où l’élégance se mêle à une familiarité souriante et discrète » (M. Delbouille). Ayant commencé avec Jean-Joseph Dehin la traduction des Fables de La Fontaine (livres I-IV en 1851), Bailleux poursuivit seul l’entreprise (livres V-VI en 1856) jusqu’à la première fable du livre VII (ASW, 3, 1867). S’il ne fut pas le premier à faire parler le Bonhomme en wallon — Letellier, Duvivier, Lamaye, Wérotte, Philippart et Dehin lui-même s’y étaient essayé avant lui —, il fut du moins le plus habile et le plus soutenu dans l’art d’une translation entre toutes difficile. Tout en suivant de près le texte de son modèle, Bailleux transpose plus qu’il ne traduit : de là ces trouvailles d’expression, ces traits vifs et imagés, cette rondeur inégalable qui font de plusieurs de ses adaptations des chefs-d’œuvre d’imitation originale.

 

 

41                                                                                                    [Liège]

Marèye

 

Vinez, Marèye, i lût 1′ bêté;

oyez-v’ lès råskinioûs tchanter

3   avå totes lès prêrèyes ?

 

MARIE

  1. Venez, Marie, la lune brille (litt. : il luit la « beauté »). — 2. råskinioû, rossignol. —

 

(p.143) On ode lès rôses qui sont florèyes;

I fêt påhûle po tos costés;

6                 vinez, Marèye !

 

Vinez, Marèye, è cråmignon;

dji sé dès si bèlès tchansons

9           qu’i n-a nin dès parèyes.

Djans don ! vinez, pusqu’on v’s-è prèye;

hay ! ni fez nin tant dès façons;

12                 vinez, Marèye !

Vinez, Marèye ! mi soûr Eli,

Ida, Dadite èt m’ fré Hinri

15           vont co fé d’ leûs soterèyes :

hoûtez dèdjà quéle vikårèye

is minèt tot-avå 1′ corti !

18                 Vinez, Marèye.

Vinez, Marèye, on bê valèt

vôreût bin v’ gruziner ‘ne saqwè

21           tot bas, cial à l’orèye.

Loukîz !… volà dèdjà qu’èle rèye !

Èle radjustêye si bonikèt :

24                 vocial Marèye !

 

Janvier 1843.

« Passe-timps »  [Liège], 1845, pp. 16-17.

 

 

42

Ine vèye fåve d’à m’ grand-mére

 

Ine fèye, dè tins passé, dè tins dè vî bon Diu, (on tins qu’èst bin rèvôye èt qui n’ rivêrè pus),

 

  1. On respire [le parfum des] roses qui sont en fleurs. — 5. påhûle, tranquille, calme. 7. cramignon, farandole propre au pays liégeois (cfr DL, 178 et fig. 230). — 9. qu’il n’en existe pas de telles (= d’aussi belles).
  2. Eli, Adélaïde. — 14. Dadite, dimin. de Margarite, Marguerite. — 16-17. écoutez déjà quel train (litt* : quelle vie) ils mènent parmi le jardin. — 20. gruziner, fredonner. — 21. cial, auj. chai, ici. — 23. elle rajuste son petit bonnet.

 

UNE VIEILLE FABLE DE MA GRAND-MERE. — Sur cette pièce, cfr A.  Le Roy dans ASW, 3, p. 72. Le thème, emprunté à un conte traditionnel liégeois, se retrouve dans un fabliau médiéval (voir De Dieu et du Pécheur de Gautier Le Leu) et correspond à la première partie du Filleul de la Mort, conte populaire lorrain. 1. dè tins dè vî bon Diu, loc. prov., au bon vieux temps. — 6. … quand cela [le choix d’un parrain] nous arrive. —

 

(p.144)

in-ome s’aveût marié èt, po s’ prumîr èfant,

4   ni voléve po pårin qu’on parfêt-onête ome.

Dj’ô bin qui cist-ome-là ni féve nin come nos fans,

nos-ôtes, po çou qu’èst d’oûy qwand çoula nos-atome.

Mês Dj’han (c’èst l’ nom d’à l’ome) s’aveût fêt ‘ne bone promèsse

8  di prinde onk qui n’åreût èco måy rin fêt d’ må.

Vo-le-là don qu’ fêt savu qui l’ ci qui vôreût-èsse

li pårin dè påpå

poléve hardimint v’ni s’ présinter å batème :

12   qu’i provahe tant seûlemint qu’on poléve fé astème

sor lu po n’avu måy, å grand djamåy, fêt rin

d’indjusse ou d’ måhonteûs, di mètchant ou d’ calin.

 

Avå tos lès payîs, on n’ pårla pus bin vite

16    qui di Dj’han èt d’ l’îdèye qu’il aveût-awou là.

Et tot 1′ monde dè pinser qu’èsse tchûsi po çoula

sèreût on grant-oneûr èt on fameûs mèrite.

Vola don qu’acorèt, po tortos lès costés,

20    djins di tos lès-ètats, di totes lès quålités :

pitits èt gros martchands, avocats èt talieûrs;

enfin, tot çou qu’i gn-a å monde di pus voleûr

voléve lèver l’èfant èt magnî dès-anîses !

24   Mês nosse Djihan, so 1′ côp, mågré totes leûs vantîses,

tot come il avît v’nou, lès rèvoyîve todi.

Li novèle ènnè v’na djusqui d’vins l’ Paradis.

Sint Pîre, sèpant çoula, amon Dj’han tot’ di swite

28    arive èt bouhe à l’ouh. « Qu’èst-ce qu’èst là ? » dist-i Dj’han.

—  « C’èst mi, dist-i sint Pîre, dihombe-tu, ca dji qwite

tot-èsprès l’ Paradis po v’ni lever ti-èfant.

—  Qui èstez-ve qui v’ sonlez si sûr di voste afêre ?

32   — Dji so sint Pîre : dji tin lès clés dè Paradis

èt, qwand dji nèl doûve nin, fåt qu’on våye è l’infêr.

 

  1. påpå, poupon. — 12-13. qu’il prouve seulement qu’on pouvait compter [litt’ : prendre estime] sur lui… — 14. måhonteûs, éhonté; câlin, syn. de méchant.
  2. voulait tenir l’enfant sur les fonts baptismaux (litt’ : lever l’enfant) et être invité au repas de baptême (litt’ : manger des dragées de baptême =  des bonbons à l’anis). —
  3. vantîse, vantardise. — 27. sèpant, sachant. — 30. lèver, cfr v. 23. — 33. d(r)oûve, ouvre.

 

 

(p.145)

  • Oho ! monsieû l’apwèsse, bin ! hoûtez çou qu’ dji v’ di :

alez-r’-z-è tot bèlemint è l’ coulêye di voste êsse,

36   dji r’nôye, mi, po compère, li ci qu’a r’noyî s’ mêsse ».

 

Volà qu’èst bon ! Sint Pîre ènnè r’va tot disfêt

raconter å bon Diu l’afront qu’on lî a fêt.

Li bon Diu, tot måva, djura s’ parole d’oneûr

40   qui Dj’han lî påyereût tchîr d’avu fêt ‘ne sifête keûre.

« C’èst bon, c’èst bon !, dist-i, c’è-st-ine atètche so m’ mantche;

qu’i seûye seûlemint bin sûr di n’ rin piède à l’ discandje ! ».

Çoula dit, v’là 1′ bon Diu qu’arive èt pwis qui bouhe

44   amon Dj’han, tant qu’à l’ fin Djihan lî doûveûre l’ouh.

« Quî èstez-ve ? » dist-i Dj’han. — Ti m’ dimandes quî qui dj’ so?

 

Dji so li ci qu’a fêt li bêtè èt l’ solo,

li tére avou lès steûles, tot çou qu’i gn-a å monde :

48   dji so l’ bon Diu. Parole, èst-ce vrêy çou qu’on raconte

qui t’ n’ as polou trover nou pårin po ti-èfant.

Mi vous-se mi ? — ô !, Signeûr, vos qu’a fêt tant èt tant,

poqwè av’ situ fé dès pôves avou dès ritches ?

52   Dji v’ prindreû-t-à r’iltche-deûts, sins 1′ sièrmint qui m’oblidje …»

 

Li pôve bon Diu, tot paf di cisse rêson d’à Dj’han,

ava, come di li spot, totes sès mitches èn-on pan…

Ènnè va. Adon-pwis, volà qui 1′ Mwért acoûrt

56    ad’lé Dj’han qui pinséve po ç’ côp-là toumer coûrt.

Èle dimande s’èl voléve po lî lèver si-èfant.

« Dji v’ vou bin, vos, dist-i, vos n’ fez grâce à pèrsone :

tot-z-ascûhant lès p’tits, vos fèrez so lès grands.

 

 

  1. apwèsse, apôtre (auj. apôte). — 35. retournez-vous-en tout bellement au coin de votre âtre.
  2. mâva (litt. : mauvais), fâché. — 40. … une telle action. — 41. c’è-st-ine atètche so m’ mantche, litt. : c’est une épingle sur ma manche (= voilà un procédé dont je me souviendrai). — 42. à l’ discandje, au change. — 46. li bêté, la lune (litt. : la beauté). —
  3. Je vous prendrais à « relêche-doigts » :  formule  qui  exprime l’intensité  du  plaisir.
  4. … tout pantois de la réponse (litt. : cette raison) de Jean. — 54. eut, comme dit le proverbe, toutes ses miches en un pain…, c.-à-d. reçut son paquet en une fois, eut à subir en une fois des reproches accumulés. — 56. tourner court, rester interdit, défaillir. — 59. tot-z-ascûhant (ou ac’sûhant), tout en atteignant; fèri, frapper. — 61. … sans jamais accorder de passe-droit, de privilège. — 62. … vous êtes une personne comme il faut.

 

60   Ås palås, ås tchèstês come ås pôvès mohones,

vos-intrez tot costé sins måy fé nou passe-dreût.

Vinez, vos, dji v’ vou bin : vos-èstez ‘ne djint d’adreût».

 

29 décembre 1844.

 

Ibid., pp. 22-24. On a suivi le texte, à peine différent, de la 2e éd. : « Deux fåves da m’ vèye grand’mére par F. B… », Liège, 1852, broch. in-12, pp. 9-11.

 

 

43

Li Cwèrbå èt li R’nåd

 

Compére Cwèrbå, so l’ cohe d’in-åbe rassiou,

tinéve è s’ bètch on crås froumadje.

Compére Rinå, à l’odeûr dè r’modou

4 acoûrt èt l’arin.ne è s’ lingadje :

« Hèy, bondjoû monsigneûr Cwèrbå,

qui vos-èstez don gåy ! qui vo-v’-là bê-z-èt crås !

Vérité d’ mon Diu ! s’ vosse ramadje

8          ni våt nin vosse plome, c’èst damadje,

ca sins çoula v’ sèrîz li cok di tos l’s-oûhês ! ».

Nosse Cwèrbå tot binåhe èt foû d’ lu, fwèce di djôye,

po fé vèy qui s’ tchant èst parfêt,

12   doûveûre si bètch tot lådje. Pan ! v’là 1′ froumadje èvôye !

Li R’nåd l’atrape èt s’ dit : « Mi binamé Monsieû,

sèpez ‘ne-ôte fèye qu’on plakeû

vike dès soterèyes dè prumî sot qu’èl hoûte;

16   li lèçon våt 1′ froumadje : èlle èst bone, s’èlle èst coûte… ».

Li Cwèrbå, d’in-êr tot pèneûs,

djura, mês ‘ne gote trop tård, qui måy on n’ l’î råreût.

 

« Fåves da Lafontaine (lîves I et II) mettowes es ligeois»,  Liège,  1851,  p.  6  (I, 2).

 

LE CORBEAU ET LE RENARD

  1. … installé [litt. : rassis] sur la branche d’un arbre. — 3. r(i)modou (ou r’moudou), « fromage de Herve, de qualité supérieure, fait avec du lait venant d’une seconde traite » (DL, 551). — 4. arinnî, interpeller. — 7. Vérité d’ mon Diu !, formule de serment appuyant une affirmation, empr. du fr. — 8. plome, plume, ici dans le sens de « plumage » par synecdoque. — 9. Pour cok dans le sens de « roi, chef », cfr l’expr. « c’est le coq du village ». — 10. fwèce di, à force de. — 13. èt s’ dit, et dit ainsi. — 14. plakeû, flatteur (du v. plaquî, plaquer).
  2. pèneûs, penaud.

 

(p.147)

44

L’Åmaye, li Gade, li Bèrbis èt 1′ Liyon

 

L’Åmaye, li Gade èt leû soûr li Bèrbis

avou l’ Liyon, li signeûr dè payis,

s’assôciyît, dist-on, inte zèls.

4 Divins lès lès’ dè 1′ Gade on tchivroû fourit pris.

Li Gade ås-ôtes fêt vite dîre li novèle.

Zèls vinous, so sès-ongues après-avu compté,

li Liyon dit : « Po qwate, ça fêt à chake on qwârt. »

8 Si vite dit, si vite fêt; i fêt lu-min.me lès pårts

èt s’ prind por lu l’ prumîre, rapôrt à s’ quålité :

 « Vos lî d’vez, dist-i, dès-égårds,

insi c’èst d’à meune po 1′ rêson

12 qui dji so vosse rwè come Liyon.

Si ‘ne saquî dit 1’ contrêre, dji proûvrrè qu’il a twért.

Li deuzin.me mi vint co èt çoula d’on plin dreût :

ci dreût-là, vos 1′ savez, c’èst 1′ ci qu’ont lès pus fwérts.

16   Dji vou prinde li treûzin.me come pus vayant qu’ vos treûs;

èt si eune di vos-ôtes adûse måy li dièrin.ne,

dji v’s-èl sitåre plate come ine rin.ne. »

 

Ibid., (i, 6), p. 11.

 

45

Lès voleûrs èt l’ågne

 

Å fêt d’in-ågne qui v’nît dè prinde,

deûs francs voleûrs fît ‘ne pârtèye di toupèt :

onk voléve wårder 1′ bièsse èt l’ôte èl voléve vinde.

4    Dismitant qu’i s’ råyît saqwantes pougnêyes di dj’vès,

tot rindant ‘ne boufe à l’ gueûye po on côp d’ pîd è vinte,

passe on treûzin.me voleûr qui s’ såve avou 1′ bådèt…

 

LA GENISSE, LA CHEVRE, LA BREBIS ET LE LION

  1. lès’, lacets, pièges; tchivroû, chevreuil. — 17. … touche jamais la dernière. — 18. je vous l’aplatis comme une grenouille.

 

LES VOLEURS ET L’ANE

  1. A propos d’un âne… — 2. … faisaient une partie de toupet, c.-à-d. s’arrachaient les cheveux. — 4. dismitant qui (pour dismètant), pendant que; saqwant’, un bon nombre de, je ne sais combien de.

 

(p.148)

L’ågne — rèspèctant l’ batème —, c’èst télefèye ine mêtrèsse

8  qui deûs galants volèt-avu.

Qwand is s’ sont bin batous, in-ôte individu

prind l’ båcèle èt l’zî fêt… (dji n’ wèsereû dîre li rèsse !).

 

Ibid.  (I,  13), p. 2l.

 

 

46

Li R’nåd èt l’ Cigogne

 

Compére Rinåd ‘ne fèye invita

si comére li Cigogne à l1′ sope.

Po tot potèdje, gn-aveût on plat.

4   Ci n’èsteût nin sûremint rin d’ trop’,

va n-i-aveût qu’ine gote di brouwèt

so ‘ne plate assiète, sins rin di spès.

Li Cigogne, avou s’ longou bètch,

8    ènn’ atrapa nin on poyèdje

èt mêsse Rinåd, sins lumeciner,

eûrit so l’ côp gobé l’ dîner.

« Dji v’ rårè, s’apinse li Cigogne,

12   èt sins cori, n’åyîz nin sogne ! ».

So l’ côp, sins fé bêcôp d’ rêsons,

èle l’ègadje à dîner à s’ toûr :

— « Dj’îrè, dit li R’nåd, èt d’ bon coûr,

16   ca dji n’ sé nin fé dès façons ».

Vo-le-là qu’acoûrt à l’eûre convenowe.

Li tåve èsteût dèdjà mètowe

èt l’ dîner eût tot djusse à pont.

 

  1. rèspèctant l’ batème, formule corrective signifiant « soit dit en respectant le baptême institué par Dieu » (DL, 69); ici, par l’assimilation de l’âne et de la femme (qui est baptisée), elle n’est pas dépourvue d’ironie. — 10. prend la fille et leur fait… (je n’oserais dire la suite) : atténuation plaisante pour éviter, tout en la suggérant, l’expression trop crue on mêsse coyon (= une maîtresse couille) empruntée d’un jeu de carte populaire, et qui signifie un échec ou une défaite.

 

LE RENARD ET LA CIGOGNE

  1. … à la soupe, c.-à-d. à dîner. — 7. longou, de forme allongée. — 9. lumeciner, lambiner, traîner. — 11. … se dit en soi-même la Cigogne. — 13. Sur-le-champ, sans faire beaucoup d’histoires. — 20-21. … qui avait jeûné pour le moins, / afin d’épargner sa faim, un jour

entier. —

 

(p.149)

20 Li R’nåd, qu’aveût djuné po l’ mons,

po spårgnî s’ fin, on djoû ètîr,

si rafiyîve, odant 1′ foumîre

qu’aboléve foû d’on gros tchôdron.

24 L’êwe lî coréve è l’ boke d’avance,

tot sondjant qu’i hèr’reût è s’ panse

cisse bone tchår, hatchèye po spårgnî

li pon.ne èt l’ tins dè l’ kidåssî.

28 Po-z-atraper nosse galavale,

li Cigogne tûda ç’ moyin-cial :

èle mèta l’ tchår divins on pot

lådje di cou, grêye èt streût dè l’ bûse;

32 si bètch à lèy î passéve tot,

mês l’ôte åreût awou dès rûses

d’atraper  ‘ne seûle bètchèye dè scot.

I fout constrint di s’ sèrer l’ vinte

36 èt d’è raler come ‘l èsteût v’nou,

tot corne s’i s’aveût lèyî prinde

d’ine poye, èt sins wèseûr si plinde,

lès-orèyes basses èt l’ quowe è cou…

40 Quî m’ tripe, djèl ritripe :

c’è-st-on bon principe.

 

Ibid.  (I,  18),  pp. 28-29.

 

47

Li pâwe qui s’ plint å bon Diu

 

Li påwe si plindéve å bon Diu :

« Awè, dji m’ plin, èt si m’ plin-djdju !

Mi vwès, c’èst come ine ouh qui crîne,

4   c’èst co pés qui l’ cisse d’on cok d’îne;

 

 

  1. foumîre, fumet. — 23. aboler, jaillir, s’échapper de. — 25. hèrer, fourrer. — 27. kidåssî, mâcher. — 28. galavale, goinfre, goulu. — 31. large de fond, grêle et étroit de col. — 33. rûse, peine, difficulté. — 34. … une seule bouchée (litt., par ironie : becquée) de sa part (litt. : de l’écot).
  2. Qui me marche dessus, je le lui rends; friper, piétiner, fouler aux pieds. La formule se trouve dans Lès-ipocondes (1758) de S. de Harlez (éd. Bailleux, p. 152).

 

LE PAON QUI SE PLAINT AU BON DIEU

2 Oui, je me plains, et veux-je me plaindre ! L’expr. se trouve dans Li voyèdje di Tchôfontinne (III, 614). — 3. crîner, crisser, grincer. — 4. cok d’îne, coq d’Inde, dindon.

 

(p.150)

è 1′ plèce qu’on pouyeûs råskinioû

qui n’ våt nin 1′ dièrin.ne di mès plomes

a l’ tchant si plêhant èt si doûs

8   qui c’è-st-avou s’ no qu’on sorlome

lès cis qui savèt l’ mî tchanter !

Est-ce li pouvwér ou l’ bone vol’té

qui v’s-a måké po m’ dîner pôr

12   ine vwès come on prumî ténor ?

— Ingrate èt djalote, c’èst bin l’ cas ! »

lî rèspond l’ bon Diu tot måva.

« I t’ convint bin, forsôlêye bièsse,

16   di t’ wèseûr plinde di mès bontés !

Volà bin lès-èfants gåtés !

Dj’a mètou so s’ hatrê, so s’ tièsse,

djusqu’à so s’ quowe pus’ di diamants,

20   d’ôr èt d’årdjint qu’on n’ såreût vèy

amon tos lès-ôrféves d’ine vèye;

i lî fåt co on pus bê tchant !…

Rèspond ! Gn-a-t-i ‘ne seûle bièsse å monde

24   qui dj’ lî âye diné pus’ qui s’ compte ?

Li colon qu’on tape pout voler

pus d’ cint-eûres lon po ‘nnè raler;

li mohèt èst tot plin d’ corèdje;

28   l’aronde sét prédi lès-orèdjes

èt turtos sont contints d’ leû lot

å pus’ qui ti, oûhê djalot !

Ossi, louke à ti qu’ po t’aprinde

32   à voleûr ine ôte fèye ti plinde,

dji n’ fèsse toumer èrî di t’ cou

lès plomes qui t’ès si fîre avou ! »

 

Ibid. (II, 17), pp. 58-59.

 

– 5 råskinioû, rossignol. — 8. que c’est de son nom qu’on surnomme. — 11. … pour me donner du même coup, tant que vous y étiez; sur pôr, cfr le n° 36, note du v. 29. — 13. Les deux adjectifs s’accordent avec påwe qui est du féminin en wallon; … c’est bien le cas [de venir te plaindre] ! — 15. forsôlêye, trop bien nourrie, qui a plus que son content. — 25. Le pigeon qu’on met à l’étape…, c.-à-d. que l’on fait courir. — 27. mohèt, émouchet, petit épervier. — 28. monde, hirondelle. — 30. å pus’ qui (arch.), excepté. — 31. Aussi, prend garde à toi… — 33. je ne fasse tomber bas [litt. : arrière] de ton cul.

 

(p.151)

48

Li ritchå qui s’aveût fêt gåy

avou lès plomes dè 1′ påwe

 

Ine påwe wåyeméve : po s’ fé gåy, on ritchå

prind sès plomes èt lès plake, avou ‘ne gote di vèrdjale,

à s’ quowe èt so sès-éles; adon tot fîr vo-le-cial

4   qui vint ad’lé lès påwes ossi franc qu’on potchå.

I s’ dihéve inte lu-min.me : « On n’ mi såreût rik’nohe,

ca c’èst lès bèlès plomes qui fèt lès bês-oûhês ».

Mês il aveût compté sins ‘ne vèye påwe, ine fène mohe,

8   qui l’ala hôt-èt clér racuser so l’ tchôd fêt.

Ci fourit adon ‘ne comèdèye

dè vèy nosse pôve ritchå batou

tot come on tchin d’vins on djeû d’ bèyes !

12 Il aveût v’nou tot gåy, ènnè rala tot nou,

moké, bètchî, ploumé : c’èsteût pîtié dè l’ vèy;

mês ci n’èst nin co l’ tot, ca ses frés l’ rèvoyît,

qwand s’ såva ad’lé zèls après l’s-avu r’noyîs.

 

16 On troûve co dès ritchås à deûs pîds mês sins plomes

qu’avou l’èsprit dès-ôtes fèt vol’tî lès grands-omes;

mês chut’ ! têhans-nos d’ sogne qu’on n’ nos vinse dîre avou :

« Louke don ! volà l’ crama qu’ lome li tchôdron neûr cou ! ».

 

«  Fåves da Lafontaine (lîves III et IV)… »  (IV, 9), Liège, 1852, p. 109.

 

LE GEAI QUI S’ETAIT FAIT BEAU AVEC LES PLUMES DU PAON

  1. wåy(e)mer, muer. — 2. vèrdjale, glu. — 4. ossi franc qu’on potchå, litt. : aussi effronté qu’un écorcheur, c.-à-d. qu’un bourreau (cfr le franc. * insolent comme un valet de bourreau »). — 8. qui l’alla haut et clair dénoncer en flagrant délit. — 11. tout comme un chien dans un jeu de quilles ! — 13. bètchî, piqué à coups de bec.
  2. … voilà la crémaillère qui appelle le chaudron noir cul ! : spot liégeois qui correspond au prov. franc. « c’est toujours la pelle qui se moque du fourgon », c.-à-d., dans notre contexte, voilà un homme qui attribue à autrui le ridicule dont il est lui-même affligé.

 

(p.152)

ALEXANDRE FOSSION

(1817-1855)

On sait peu de chose de ce poète hesbignon, né à Celles (près de Waremme), mort à Jemeppe-sur-Meuse, qui vint, en 1847, s’établir comme instituteur privé au village de Roloux dont il fut, de 1848 à 1854, le secrétaire com­munal.

Son unique recueil paru en 1853, sous un titre que le français traduirait « Mauvaises langues et sots propos », offre cette particularité de n’accorder presque aucune place à la chanson, à une époque où celle-ci dominait la production dialectale. Parmi les dialogues, satires, anecdotes et bouts rimes qui le composent, se détache un long tableau réaliste de 944 vers : Lès buveûses di café. C’est une scène populaire haute en couleurs où la vie secrète d’un village défile à travers les médisances de trois bonnes femmes réunies pour prendre le café. On peut y voir la préfiguration de ces comédies de mœurs où excellera plus tard le théâtre wallon.

 

49                                                                                                  [Roloux]

 

Lès buveuses di café

(Extrait)

 

Nanèsse, mauvaise langue, décrit aux deux commères qui l’écoutent le ménage négligé d’une de ses voisines.

Vv. 189-248

 

Inte parints èt inte camarådes,

on beût-st-ine tasse, on magne ine tåte,

pwis ine pitite doûce gote là-d’ssus :

dji n’è sohêterè måy di pus.

Por mi, sins m’ fé mèyeûre qu’ine ôte,

dji n’ so nin pwèrtêye po lès vôtes,

po lès boûkètes, lès pins-pièrdous,

totes lès gougouyes èt lès ragoûts

 

LES BUVEUSES DE CAFE. — De Charles Wérotte à l’abbé Michel Renard, le café * qui fait jaser les commères » est un motif qu’a exploité la littérature wallonne du xix° siècle. L’extrait qui suit, centré sur un autre thème connu, celui de la mauvaise ménagère, peut être utilement comparé à la pièce d’Henri Forir, Li k’tapé manèdje, publiée ci-dessus (n° 28).

 

  1. on boit une tasse [de café], on mange une tartine. — 6. vôte, « omelette non levée faite de farine, de lait et d’œufs > (DL 700). — 7. boûkète, crêpe faite de farine de sarrasin parsemée de raisins de Corinthe. — 8. gougouye, friandise (avec nuance péjorative). —

 

(p.153) qu’on fêt (nos n’èstans rin d’ trop’ chal)

divins ‘ne mohone di nosse rouwale.

Où-ce qui cès djins-là l’ vont qwèri,

12 dji n’è se rin, dji m’ pièd’ l’èsprit.

Quand l’ fème n’èst nin so tchamps so vôyes,

qu’èle vint, qu’èle va, qu’èle lime, qu’èle frôye,

rotez’ è s’ mohone, vos l’ troûverez

16   l’ mwètî dè tins à fricoter,

à k’hatchî come tchår èt såcisse

l’oneûr dès cis, l’oneûr dès cisses

qui valèt mî, so leû p’tit deût,

20   qui lèye èt qui l’ tchin.ne di boute-feû,

avou qui èle linwetêye tot-fêr,

ni våront måy so tot leû cwêr.

A ! si èle rimouwereût sès brès

24   come èle rimouwe si lêd cakèt !

I n’åreût nin tant d’ crasse ni d’ tètches

qu’I n-a po tot-avå s’ manèdje.

Tot parèy qui d’vins on poulî,

28  il î flêre, il î fêt måssî.

L’ôte djoû, curieûse, i m’ prind l’ pinsêye

d’î aler fé ine fåsse tournêye.

Surprîse, dè veûy çou qu’ dj’a vèyou !

32   Lèye, neûre èt crotêye disqu’å cou;

si cote prète à heûre djus d’ sès fèsses;

sès dj’vès tot d’håmonés so s’ tièsse,

takenés èsson.ne, rimplis d’ plimions;

36   sès tchåsses ridêyes so sès talons.

Lès-èfants, zèls, onk avou ‘ne råve

grètéve èt bouhîve avå ‘ne tåve;

 

  1. rouwale, ruelle. — 13. La locution so tchamps so vôyes est l’équivalent de « par monts et par vaux ». — 14. … qu’elle lime (au sens fig. de « scier »), qu’elle frotte; le sens du vers paraît être : qu’elle va, qu’elle vient, fait tant et tant. — 15. entrez (litt. : marchez) dans sa maison… — 16. la moitié du temps à « fricoter » (au sens de : intriguer, manigancer qque chose). — 18. … dès cis … dès cisses = des uns … des autres. — 20-21. … et que la chienne de boute-feu / avec qui elle bavarde sans cesse. — 27. poulî, poulailler. — 33. sa jupe prête à tomber bas de ses fesses. — 34. ses cheveux tout en désordre… — 35. takenés èsson.ne = emmêlés dans la crasse; plimion (var. de ploumion), filament (d’étoffe, de laine, etc.). — 36. ses bas glissés (= tombés) sur ses talons. — 37. råve, râble de foyer ou de boulanger (DL, fig. 554). — 40. farfouiller dans le pot-au-feu… —

 

(p.154)

in-ôte aléve avou sès deûts

40    grawî è l’ potêye divant l’ feû;

on treûzin.me èsteût è l’ coulêye,

li cou tot nou divins si-atchêye.

C’èsteût tot l’ min.me qui treûs cossèts,

44   sins dè batème piède li rèspèt !

D’in-ôte costé, chal so ‘ne tchèyîre,

c’èsteût totès miètes di crompîres,

dès glètes di sope, dès crosses di pin;

48   so ine ôte, I n-aveût l’ fièrmint,

on solé èt dès hotchèts d’ cindes;

disqu’å pot-d’-tchambe, èt ç’ n’èst noule minte,

rimpli d’ misére, èst là hågngné

52   so ‘ne cwène è bas dè ménajer.

So lès f nièsses, i n-a dès clicotes :

c’èst on stotchèt, ine vî calote,

on drap d’ hèle, ine fortchète, on cwî,

56    on måssî pégne so l’ mostårdî.

Djo ! tot èst là so s’ cou so s’ tièsse,

qui s’ gåte, qui s’ sipèye, qui s’ trivièsse.

Finålemint, dj’åreû målåhi

60   di v’ conter tot, po ‘nnè fini.

 

« Lê mâl è lînwe ê le boègn’ mèssèch », Liège, 1853, pp. 17-18.

 

  1. coulêye, âtre, coin du feu. — 42. le derrière nu sur sa paillasse. — 43. cossèt, petit cochon. — 47. des bavures de potage, des croûtes de pain. — 48. sur une autre [chaise] …; fièrmint, serpe, courbet (DL, fig. 287). — 49. un soulier et un agglomérat de cendres (sur hotchèt, cfr DL, 329). — 50. … nul mensonge. — 51. misére est ici un euphémisme pour désigner le contenu du vase de nuit; hågngné, étalé. Il y a anacoluthe entre les v. 50-51. — 53. clicotes, chiffons. — 54. stotchèt, chausson. — 55. un drap de vaisselle, une fourchette (le o est d’ordinaire bref), une cuillère. — 56. un sale peigne sur le moutardier. — 58. … qui se brise, qui se renverse. La forme trivièsse pour rivièsse nous est inconnue : trait local ou faute d’impression ? — 59. malahî, malaisé, difficile.

 

 

(p.155)

LOUIS BRIXHE

(1787-1876)

 

L’ordre chronologique fondé sur l’année de naissance que nous adoptons généralement aurait dû faire apparaître plus tôt le nom de Louis Brixhe, né à Spa à la veille de la Révolution et mort à Liège dans un âge avancé. Mais ce n’est qu’après la fondation de la Société de Littérature wallonne qu’il se hasarda à faire œuvre de poète dialectal en publiant un petit conte en vers, qui reste d’ailleurs sa seule production connue.

Ancien élève de Fontainebleau, Brixhe avait fait dans la cavalerie les cam­pagnes de Napoléon en Prusse, en Pologne, en Espagne, au Portugal. Il avait démissionné en 1815 — il était alors capitaine et chevalier de la Légion d’honneur — pour passer aux hussards belges. Le jeune royaume issu des événements de 1830 devait encore faire appel à ses services en le nommant membre de la Commission de la guerre et colonel commandant la gendarmerie. C’est au grade de général major obtenu en 1832 qu’il fut pensionné en 1835.

Le général Brixhe ne figure point au cadastre des auteurs wallons. Pourtant, Lès deûs mofes… Ce raccourci de fabliau, traité dans un décasyllabe plein d’alacrité, offre un joli spécimen d’esprit gaulois qu’il convenait de ne pas laisser se perdre.

 

 

50                                                                                                    [Liège]

Lès deûs mofes

 

Nin lon di s’ mohone, on bon payîsan

èsteût-à l’ tchèrowe èt r’toûrnéve si tchamp.

C’èsteût è nôvimbe, i fève dèdjà freûd

4  èt l’ mantche di si-èrére ècwèdeléve sès deûts.

« I fêt-ine måle bine » dist-i à s’ vårlèt.

« Dj’a roûvî mès mofes, va se lès qwîr, valèt ».

Ci-cial, tot contint, coûrt èvôye so l’ côp :

8  « Mutwè, s’apinse-t-i, frè-dje d’ine pîre deûs côps !… ».

Li dame dè l’ mohone, insi qui l’ sièrvante,

èstît totes deûs djônes, potelêyes èt roselantes.

Li vårlèt, qu’èsteût on bê fwért djônê,

12 po nos deûs kiméres boléve divins s’ pê.

 

 

LES DEUX MOUFFLES

  1. tchèrowe, emprunt du fr. « charrue » dans l’expression èsse (ou aler) à l’ ~. — 4. èrére (ou ère), nom wallon de la charrue; ècwèdeler, engourdir. — 5. vårlèt, valet de ferme. — 6. Litt. : … va et me les cherche; valèt, garçon. — 9. dame au sens de patrone. — 10. roselant, de teint rosé, vermeil. — 12. pour nos deux commères brûlait dans sa peau. —

 

(p.156)

« Dièwåde ! » l’zî di-st-i, « dji vin po ‘ne saqwè

qui l’ mêsse m’a k’mandé : advinerîz-ve bin qwè ? »

Li dame rèsponda : « Çou qu’ vos v’nez fé cial,

16   qui pôreût l’ savu à mons qu’ d’èsse li diåle ?

—  È bin !, dit l’ vårlèt, l’ mêsse m’a-t-avoyî

po qui, totes lès deûs, dji v’ vinse abrèssî.

—  Vos boûrdez, dit l’ dame, èt vos pièrdez l’ tièsse,

20   vos n’ mi f’rez måy creûre qui l’ mêsse seûy si bièsse !

—  Grand lwègne, dit 1′ båcèle, p’ on parèy mèssèdje,

on s’ pout passer d’ vos, èt l’ mêsse s’ènnè tchèdje…

—  Portant, dit l’ vårlèt, mès deûs binamêyes,

24   çou qu’ dji v’s-a v’nou dîre èst çou qu’èst d’ pus vrêy.

Si vos ‘nnè dotez, vinez, moussans foû :

vos creûrez mî l’ mêsse qwand v’ l’årez-t-oyou ».

Tos lès treûs èson.ne, ènnè vont so l’ pwète,

28   èt l’ souwé vårlèt, d’ine vwès clére èt fwète :

« Èdon, mêsse », brêt-i, « qui c’èst totes lès deûs ?

—  Pa ! sûremint, båbô ! » lî rèspond l’ froûleûs

qui n’ pinse qu’à sès mofes èt qui lès ratind.

32    « Oyez-ve » dit l’ vårlèt qui, sins piède nou tins,

hapant lès deûs k’méres, à si-åhe lès tchoufeta

sins qu’ noulu sèpe dîre wice qu’i s’arèsta…

Po çou qu’èst dès mofes, li mêsse lès-eûri,

36 èco min.me ôte tchwè — tot l’ monde l’a compris !

 

 

Bull. Soc. de Litt. watt., t. 3, 2e partie, 1860, pp. 37-38, sans autre signature que l’initiale B. — L’auteur est iden­tifié l’année suivante par U. Capitaine, ibid., t. 4, 2e partie, p. 90.

 

  1. Dièwåde, formule de salutation; litt’ : Dieu [vous] garde; … je viens pour quelque chose. — 18. abrèssî, embrasser. — 21. lwègne, niais; p’ = po, pour. — 25. … venez, sortons dehors. — 26. … quand vous l’aurez entendu. — 27. Tous les trois ensemble, ils vont à la porte. — 28. souwé, rusé (litt’ : séché). — 29. N’est-ce pas, maître, crie-t-il … — 30. båbô, nigaud, imbécile; froûleûs, frileux. — 33. … à son aise les caressa. — 34. sans que nul puisse (litt’ : sache) dire où il s’arrêta. — 36. encore même autre chose (= une pake de cornes).

 

(p.157)

JEAN-FRANÇOIS XHOFFER

(1794-1874)

 

Comme pour L. Brixhe, nous reculons la place du Verviétois Xhoffer dans la chronologie de nos textes wallons. Bien qu’il ait taquiné la muse de bonne heure — en français il est vrai —, c’est à la Société de Littérature wallonne qu’il doit, lui aussi, une vocation plus soutenue d’écrivain dialectal.

Ayant à peine fréquenté l’école, apprenti à l’âge de sept ans dans une fabrique d’outils, Jean-François Xhoffer, à force d’intelligence et de persévérance, par­vint à s’établir dans l’industrie, se fit connaître par des inventions mécaniques, devint l’un des notables de sa ville natale et, pour mieux remédier au manque d’instruction dont il souffrait, multiplia les écrits de tout genre, passant de la technologie et de la philanthropie à la poésie et à la chanson, sans oublier le drame, la comédie et le vaudeville…

L’un des plus anciens poètes dialectaux de Verviers, avec Thomas Angenot (1773-1855) et Jean-Simon Renier (1818-1907) — qui ne le valent pas —, Xhoffer fut aussi l’un des premiers lauréats de la Société de littérature wal­lonne. Parmi les œuvres qu’il soumit à ses jurys, Lu poète walon, dont on ne retint qu’un extrait (les 16 premières strophes de la 3e partie), retrace non sans humour (ni longueurs), les tribulations d’un versificateur de terroir détourné des appels du Parnasse par les servitudes de la vie quotidienne.

 

51                                                                                                [Verviers]

Lu poète walon

(Extraits suivis)

 

Dj’ètind du tos costés qu’on m’ crèye :         Vv. 185-256

Lèyîz-me è paye ! Alez pus lon !

C’èst bin tot l’ même kumint qu’ô scrèye

4   po fé dès paskêyes è walon !

Po criyer « ås bèlès crompîres ! »

èt po miner çou d’rî ‘n-advant

lu danse-à-quawe avå lès pîres,

8   a-t-i mèsåhe d’èsse ô savant?

 

LE POETE WALLON

  1. crompîres, pommes de terre. Le vers fait allusion au cri des marchands ambulants. —
  2. cou drî ‘n-advant, expr. verv. signifiant : à rebours, à contre-pied. — 7. danse-à-quawe (litt. : danse à queue), farandole, syn. verviétois du cramignon liégeois. — 8. est-il besoin d’être un savant ?

 

(p.158)

Dju n’ vou nin, came i s’ènnè troûve,

mu casser l’ tièsse à fé dès vêrs :

dj’êmereû co mî di m’ mète èn-oûve

12   ås fortificacions d’Anvers !

S’i v’ vint quékès bèlès pèsêyes,

so l’ tins qu’ vosse fame èst-ad’lé vos,

ile vus-intrutint d’ fricassêyes,

16    d’ognons, d’ lård, du boûre ou du r’nos.

 

Qwèrez-ve one rime èt qu’ile s’astitche,

on v’ vint claboter quéke saqwè,

si bin qu’å bout du l’émistitche,

20   vos-avez dèdjà roûvî qwè.

Adon, tot v’ kufrotant l’ visèdje,

si v’ tûzez po ragrawî l’ mot,

lu canari k’mêcerè s’ tchawèdje

24  èt l’èfant f’rè hawer l’ marmot.

 

Vus r’tronkinez-ve èn-one ôte plèce

po v’ tirer foû d’ tos lès dusduts,

lu stoûve asteûre èst came one glèce :

28    on vint avou dès hututus.

Ile n’èsprêdrè nin, i boûtenêye;

à tot momint, i fåt tchèvener.

Volà don tote one matinêye

32    å diåle … I fåt aler dîner !

 

 

  1. Allusion aux grands travaux militaires, décidés par la loi de 1859 et exécutés par le général Brialmont, en vue de faire d’Anvers ce qu’un contemporain devait appeler « la première forteresse du monde ». — 13. pêsêyes, pensées (avec la dénasalisation courante en verviétois). Ici et plus loin, on transfère à un « vous » imaginaire les déboires attribués ailleurs au poète désigné à la 3e personne. — 15. elle vous parle d’omelettes. —
  2. … de beurre et de rognons.
  3. s’astitchî, se pousser, se mettre en avant; dans le contexte, il s’agit de la rime que le poète est sur le point de trouver. — 18. claboter, ici v. trans. : babiller, jaboter. — 21. Alors en vous passant la main sur le visage (geste qui veut suggérer la concentration dans la recherche d’une idée, d’un mot: cfr tûser au vers suivant). — 22. … pour rat­traper le mot (qui vient d’échapper). — 23. tchawèdje, en parlant d’un oiseau, piaillerie. — 24. … fera aboyer le chien.
  4. Vous retirez-vous dans une autre pièce. — 26. dusdut, bruit, tapage. — 27. stoûve (litt. : étuve), fourneau de cuisine, poêle. — 28. on apporte des copeaux (pour alimenter le poêle). — 29. i boûtenêye (impers.), la fumée refoule, le bitume se dégage. — 30. … il faut tisonner.

 

(p.159)

Vos pèsez, tot v’ mètant à l’ tåve,

rutére çou quu v’ n’avez nin scrît.

Ayi, dê ! Tot v’nant foû dè 1′ cåve,

36   lu sièrvante tome èt djète on cri.

« Tènez, dit l’ dame, c’èst-èco lèye !

Bon Diè sét çou qu’èst duspårdou !

On vièrè 1′ clatche avå l’alêye,

40    èt c’èst èco ‘t’tant du pièrdou ».

 

Sès goster çou qu’i s’ hère è l’ boke,

su, tot magnant, i louke å lon,

c’èst qu’i qwîrt, po fé one églogue,

44   dès doûcès parales è walon.

Å moumint quu s’ vèrve a pris flame

èt qu’i s’ dit tot bas : « N’s-î èstans ! —

Vor’mint, vos n’ savez », ruprind s’ fame,

48    « quu l’ boûre èst r’monté d’ deûs-êdants ? ».

 

Po fé après nône one sokète,

su  bé påhûle on l’a lèyî,

ô vèrs lî dråvèye è l’ makète :

52   i grogne èt fêt crîner s’ tchèyî.

I n’ sét nin k’mint su mète à djawe,

mågré qu’on n’ lêsse intrer nolu.

« Mês, dist-i, cloyez vosse badjawe ! »

56    … su n’a-t-i djår d’âme åtou d’ lu.

 

Mêsse èt k’mandant è manèdje,

pus rin nu pout èl dusoûrner.

Tot contint, i s’ mèt’ à l’ovrèdje :

60 volà qu’à l’ pwète, on vint soner.

 

 

  1. rutére, retenir. — 37. la dame, c’est ici la maîtresse de maison, épouse du poète. — 38. duspårdou, répandu. — 39. On verra l’éclaboussure (ça et là) dans le vestibule.
  2. Sans goûter ce qu’il se met (litt. : s’enfonce) en bouche. — 42. si, en mangeant, il regarde au loin. — 48. que le beurre a augmenté de deux liards (litt. : aidants; sur cette ancienne monnaie, cfr DL, 243).
  3. Pour faire, après midi, une sieste. — 51. un vers lui trotte dans la tête. — 52. … et fait grincer sa chaise. — 53. su mète à djawe (parfois à djowe), se mettre dans la position voulue pour faire telle chose. — 55-56. «Mais, dit-il, fermez votre caquet!» / … et n’y a-t-il personne autour de lui; djâr d’âme, expr. peu courante, probabl* altérée de tchâr d’âme », « chair d’âme » attestée à Hervé, suivant A. Doutrepont (BD, 10, p. 53).
  4. « seul au  logis »   (note  de  Xhoffer).   —   58.   d(u)soûrner,   troubler,   déranger.   —

 

(p.160)

I s’ dit : « C’est po fé quéke kumande,

mês qu’on ‘nnè vasse tot dreût, dè mons ! ».

I va vèy : on-Ådeneûs lî d’mande :

64    « Nu fåt-i nin dès bês ramons ? ».

 

I-èl sohête å diåle qu’èl possîhe,

i s’ kumagne, i n’ fêt pus rin d’ bon.

Zéphyr èst-èvôye, i vint d’ bîhe,

68   su n’ trouve pus quu totes rîmes an on.

Qu’on vègne adon avou ‘ne mate wite

« po haper l’ pus gros dè l’ poûssî »,

i rastrind sès papîs bin vite,

72   su såve èt su n’ sét wice moussî.

 

Su c’èst qui lî manke one sillabe,                   265-280

qwand i-èst è s’ djéce, i n’ pout dwèrmi,

i-a quéke pårt one saqwè qui clape,

76   tote lu nut’, on l’ètind djèmi.

Avå s’ cossin i s’ kuvôtèye,

i-èst came s’ô fa du spènes è lét;

i fåt quu s’ pôve fame èl guètêye

80   po lî fé r’soveni qu’èst-ad’lé.

 

« Dju creû qu’ vosse mononke su troûblêye »,

dit lu matante atoû s’ nèveû.

« È meûs d’ djun i s’ tchôke è l’ coulêye,

84   tot fant qu’on n’î fêt pus dè feû ».

 

  1. Ådeneûs, Ardennais. — 64. Le commerce ambulant des ramons (balais) et de divers ustensiles en bois se faisait jadis, à Liège et à Verviers, par des marchands ordonnais.
  2. Il le  souhaite   (l’Ardennais)   au  diable   qu’il  le  possède.  —   66.   il  se  morfond.

—  67.  … il vente du nord. — 69. Qu’on vienne alors avec une loque. — 70.  « pour enlever le plus gros de la poussière > : la mise entre guillemets indique le style indirect libre, l’auteur rapportant le prétexte par lequel on s’excuse de  déranger le poète. — 71. il ramasse… — 72. s’enfuit et ne sait où se fourrer.

  1. è s’ djéce, dans son lit.  — 75.   …  quelque  chose  qui  cloche  (litt* :  qui  claque).

—  77. Sur son oreiller, il se démène. — 78. il est comme sur un fagot d’épines… — 79. … le chatouille. — 80. pour lui rappeler qu’il est auprès d’elle.

  1. « Je crois que votre oncle s’embrouille » (ou devient fou). — 82. dit la tante à son neveu. L’emploi de atoû(r), litt. : à tour (à distinguer de â-/åtoûr, autour) est archaïque et se limite à l’aire orientale, de Verviers à l’Ardenne liégeoise (cfr L. Remacle, Syntaxe, 2, pp. 339 ss.). — 83. … il se pousse près de la cheminée. — 84. tot fant qui, alors que, cependant que. —

 

(p.161)

Halcotant s’ tièsse avou mèsâre,

tot d’ô côp p’ô rin i rîrè; one ôte djoû,

tot fant lu mène sâre,

88    came one crokale i s’ènonderè…

 

Bull. Soc. de Litt. watt. t. 4, 1861, pp. 79-83. — Le poème entier, suivi d’épigrammes, en wallon, a paru à Verviers, impr. M.-J. Thoumsin, 1861, 30 pp.

 

  1. Balançant la tête en mesure. — 86. …  p’ô rin, pour un rien. — 87. … la mine sûre. — 88. comme une toupie il s’emballera.

 

 

(p.162)

MICHEL THIRY

(1814-1881)

 

Chef de gare, puis directeur aux chemins de fer de l’Etat à Liège, sa ville natale. Il débuta dans la poésie dialectale avec une plaquette anonyme, Caprices vallons (Liège, 1859), remarquable au moins par une scène popu­laire, Ine afaire à Lîdje, prélude aux tableaux réalistes que Thiry allait bientôt donner dans le même genre. De 1859 à 1869, il est l’un des lauréats les plus brillants de la jeune Société de Littérature wallonne dont les Bulletins et Annuaires publient durant ces dix années, une vingtaine de ses poèmes : tableaux de mœurs dialogues, contes facétieux et chansons (1). Poète lyrique médiocre, Thiry n’est vraiment à l’aise que dans la peinture des travers humains. Là, il déploie un talent supérieur. Ine cope di grandiveûs (1860), On voyèdje à conte-cour (id.), Li mwért di l’octrwè (1861) renferment, à côté de hors-d’œuvre et, parfois, de développements artificiels, d’excellents traits d’observation piquante exprimés dans une langue verte, énergique, gonflée de sève populaire.

Ces caractères, aucune œuvre ne les montre mieux que Ine copène so l’ marièdje (1859), satire dialoguée de 412 vers, chef-d’œuvre de Thiry en même temps qu’un document social sur la vie des faubourgs liégeois au siècle passé. Si, pour l’inspiration, le genre — et la longueur — le poème de Thiry rappelle la satire de Boileau contre les femmes, les qualités qui le distinguent lui appartiennent en propre : « style coloré et plein d’images, dit A. Stappers, invention bien combinée et bien conduite, caractères fran­chement dessinés, traits heureux, verve soutenue » — et, ajouterons-nous, versification élégante, habile à disposer harmonieusement les membres de la période oratoire comme à frapper, d’un tour concis, de ces vers médailles « que l’on retient comme des proverbes » (A. Stappers).

 

 

52                                                                                                     [Liège]

Ine copène so 1′ marièdje

(Extraits suivis)

 

Djèrå (Gérard) fait à Biètmé (Barthélemi), qui est sur le point d’entrer en ménage, un tableau poussé au noir du mariage et des femmes. L’honnête Biètmé a bientôt mis doigt sur la plaie :

Djèrå, si vosse manèdje èst tot toûrné à tchin,

Est-ce fåte à /’ feume tote seûle ? Vos, n’î sèrîz-ve po rin ?

Suit alors la satire de l’ouvrier paresseux, du mari joueur et dépensier.

 

(1) Quelques pièces posthumes (parmi lesquelles un long fragment sur Les Saisons) ont paru dans ASW, t. 9, 1884, pp. 102-127, à la suite de la notice nécrologique rédigée par J. E. demarteau (ib. pp. 67-101).

 

(p.163)

Vv. 229-236

On tape quékefèye à twért so lès pauvès feumerèyes.

Elle ont portant leûs creûs, mins èle li fèt mons vèy !

On l’zî promèt’ dès rôses èt bêcôp d’ vèrts botons :

4 si vite qu’èles sont sposêyes, èles trovèt dès heûpons…

Dj’ènnè k’noh passåvemint — mins nouk ni s’ènnè vante

— qui loukèt tot-å pus’ leûs feumes po dès sièrvantes,

qui sont-à leûs plêsîrs so l’ tins qu’èles sont sins rin

8 èt qu’ vôrît co qu’èles f’rît riv’ni l’êwe so l’ molin !

 

Qu’avez-ve fêt po rateni vosse barke dè fé l’ plonkèt ?     247-260

Rin di çou qu’ lès vièrneûs qui k’nohèt l’ mèstî fèt.

È l’ plèce d’on côp di spale po passer sins-astådje,

12  c’èst vos qu’a låké l’hore po l’fé stoker so l’åtche.

Vos qwitîz trop sovint l’ustèye è voste ovreû

po cori vès l’ canliète avaler ‘ne gote ou deûs.

Vos n’ payîz måy à fêt, ça v’s-aviséve mons deûr !

16 Mins vos r’magnîz l’bokèt : on n’ pout sins fin acreûre;

èt qwand vos réglîz l’ compte, à l’ longue crôye, so l’volèt,

èlle aveût stu fortchowe ou l’ mêsse loukîve luskèt…

Li londi, l’å-matin, di v’ vèyî c’èsteût rare

20 èt, pus vite qu’à vosse toûr, vos pièrdîz l’dièrin qwårt.

Li qwinzin.ne èsteût tène, vos t’nîz l’ mwètèye por vos;

Avou çou qui d’manéve, on n’ féve wêre boûre li pot !

 

 

UNE CAUSERIE SUR LE MARIAGE

  1. heûpon, gratte-cul (fruit de l’églantier). — 5. J’en connais [= des hommes] bon nombre (litt’ : passablement). — 8. « faire revenir l’eau sur le moulin », expression figurée signifiant dans ce contexte : faire prospérer les affaires du ménage.
  2. … pour empêcher  (litt. :  retenir)  votre  barque  de  chavirer;  plonkèt,  plongeon.  —
  3. vièrneû, celui qui tient le vièrna (gouvernail), timonier. — 13. sins-astådje, sans retard; ici : sans encombre. — 12. hore, t. de batellerie : « grosse perche ferrée dont le batelier se sert comme d’un levier pour prendre le large, éviter un obstacle, etc. » (DL,  328). Dans le style imagé du passage, le mauvais pilote (=  Djèrå) se voit reprocher d’avoir laissé aller (lâké, lâché) la hore au point de faire heurter (stoker) la barque sur l’arche du pont. — 13.  ustèye,  outil;  ovreû,  atelier. — 14.  canliète,  comptoir,  ici :  zinc d’un bistrot. — 15. payî à fêt, payer comptant. — 16. Mais vous remangiez le morceau (= vous recommenciez); acreûre,  acheter  à crédit. — 17. à l’ longue crôye (litt. :  à la longue craie, c.-à-d. à longueur de craie), allusion à l’usage pratiqué jadis chez les petits com­merçants sans instruction, de tenir leurs comptes en chiffres romains tracés à la craie sur une  ardoise,  une planche ou,  comme ici, sur un volet.  Cfr à ce sujet les études de M. Ponthir dans EMVW, t. 5, 1949, pp. 241-252 et t. 7, 1955, pp. 202-227. — 18. la craie était fourchue (c.-à-d. marquait deux traits au lieu d’un) ou le patron (du cabaret) louchait (ce qui sous-entend : voyait double); l’idée est que, pour le débiteur, le compte n’était jamais juste. — 20. … le dernier quart (de la journée de travail). — 21. … vous gardiez la moitié pour vous. — 22. boûre li pot, bouillir la marmite.

 

(p.164)

Vos-avez kimincî d’vins dès bonès-an.nêyes,                      285-324

24 lès brès’ èstît r’qwèrous, on wangnîve à pêlêyes;

è l’ plèce de raspågnî, de wårder ‘ne pome po l’ seû,

vos v’s-avez d’né dès-êrs comptant qu’ çoula durereut.

Po lès bates ås pîssons, vos-avez-t-awou l’ fîve.

28    Pindant may, djun, djulèt’, è l’ plèce d’ovrer, qui fîz-ve ?

Vos v’ plantîz d’vant ‘ne gayoûle ou v’s-alîz porminer

tot wice qui v’s-aprindîz qu’ine trèye s’aléve monter !

Vosse ricipièw èst mwért d’avu må passé s’ mowe,

32   vosse distèrwitch batou tchouk’séve tot hèrtchant l’ quowe;

vos v’s-ènn’ avez disfêt; mins, lon di v’ ravizer,

c’èst d’on bwègne so ‘ne aveûle qui vos-avez toumé !

Vos v’s-avez djusqu’ås-oûy tchôkî d’vins l’ colèberèye,

36    i v’s-a-falou dè l’ sôr dès rapides à l’ taperèye !

Comptez çou qu’ vint colons, îviér tot come osté,

å pris qu’on paye lès vèces vis-ont tofér costé;

comptez, treûs côps par djoû, lès coûsses à l’ colèbîre,

40   li tins qui, l’ djêve è l’êr, sins cligneter d’ine påpîre,

on passe divins lès tapes po lès vèyî r’toumer,

li dringuèle å pwèrteû, lès fraîs po vwèyajer,

lès vêres à l’ sôchèté po vèyî quéle novèle,

44   lès wadjeûres qui l’ mayeté r’vêrè d’vant l’ neûre frumèle,

èt vos veûrez qu’on pris (qwand ‘l atome qu’i va bin)

vis r’vint dîs fèyes pus tchîr qui d’ l’atcheter tot bonemint.

Lès djônes di vosse vî bleû, qu’aveût stu si abèye,

48   pés qu’ lès qwate fiérs d’on tchin n’ont rin valou d’ leû vèye;

 

 

  1. pêlêye, contenu d’une poêle; à c=!, en abondance. — 25. raspågnî, épargner, mettre de l’argent de côté. — 27. Pour les concours de [chants de] pinsons, vous vous êtes enfiévré. — 30. trèye, ici dans le sens de « treillage où l’on suspend les cages de pinsons pour l’assaut de chant » (DL, 674). — 31. ricipièw et, au v. suivant, distèrwitch sont des onomatopées désignant les pinsons d’après le chant qui les caractérise. — 32. tchouk’ser (onom.), crier en volant : se dit du pinson vaincu dans un concours de chant (DL, 650). — 33. … loin de vous raviser. — 34. c’est d’un borgne sur un aveugle… (= de Charybe en Scylla). — 35. colèb(e)rèye, élevage des pigeons de concours. — 36. tap(e)rèye, dér. de tape, concours de pigeons voyageurs. — 37. colon, pigeon. — 39. … trois fois par jour, les visites au colombier (pour nourrir les pigeons). — 40. … le visage en l’air, sans clignoter… — 41. … dans les concours, à les (= les pigeons) voir rentrer au colombier (litt. : retomber). — 42. le pourboire au porteur, c.-à-d. à l’aide qui transporte les pigeons pour leur enlogement à la société colombophile avant le voyage. — 44. les paris que le [pigeon] moucheté reviendra avant la femelle noire. — 45-46. La pratique du sport colombophile passait dans le peuple pour être ruineuse. — 47. abèye, rapide. — 48. pires que les quatre fers d’un chien n’ont rien valu pendant leur vie. —

 

(p.165)

vosse florèye a r’çû s’ côp so lès tchamps, ou l’ mohèt

vis l’årè-t-agrawî po ‘nnè fé qu’on bokèt;

tos vos-ôtes ont saveté ou gangnî l’ maladèye.

52   Vos v’s-ènn’ avez d’gosté : c’èsteût-ine bone îdèye;

mins vos-avez r’toumé divins ine aute ourbî,

— avå lès målès vôyes, i v’ faléve co tchèrî…

On k’mincîve à djåzer qui vos filîz ‘ne lêde trace,

56   qwand li diåle vis consia dè t’ni dès coks di race,

dè mète cink francs so l’ tièsse dè rodje conte li p’tit gris,

di v’ fé vûdî lès potches… èt sovint di v’s-impli.

Après, v’s-avez trimelé divins tos lès djeûs d’ bèye,

60   vos wadjîz sîh drî-min — èt vos pièrdîz chake fèye !

Djèrå, sèyîz d’ bon compte : èst-ce vrêy ou n’ l’è-st-i nin ?

c’èst deûr, mins c’è-st-insi : vosse feume ènnè pout rin !

 

Bull. Soc. de Litt. Wall., t. 2, 1859, pp. 336-339.

 

 

53

Ine cope di grandiveûs

(Extraits suivis)

 

Sèrvås (Servais) reproche à son ami Houbêrt (Hubert) acculé à des besoins d’argent, de mener, avec son épouse, un train de vie qui l’oblige à des dépenses excessives pour la condition d’un ménage d’ouvriers.

 

Vv. 203-234

Avîz-v’ bon d’ fé l’ gros hêre, li dîmègne à nole eûre,

qwand vos-alîz-t-è l’ vèye avou vosse bèle frake neûre,

vosse djîlèt à ramadjes lès pus flahårs di tos,

4   vosse tchapê qui r’lûhéve come dè veûle å solo,

 

 

  1. florèye, fém. de flori (litt. : fleuri) désignant un pigeon tacheté de blanc; mohèt, épervier. — 50. agrawî, agrippé; bokèt, ici : bouchée. — 51. saveter (ou fé savate), prendre la fuite. — 53. ourbî, ornière. — 56. lorsque le diable vous conseilla de tenir (= d’élever) des coqs de combat.

—   57.  Allusion  aux  paris  dont les  coqs  étaient l’enjeu  au  moment  de  la  joute.  — 59. trim’ler, jouer à des jeux de hasard, pour de l’argent; djeû d’ bèyes, jeu de  quilles.

  • wadjî, parier; sîh, six; drî-min (t. du jeu de quilles), « nom des six quilles placées à droite ou à gauche de la première » (DL, 238).

 

UN COUPLE DE PRETENTIEUX

  1. Preniez-vous plaisir (litt. : aviez-vous bon) à faire le gros richard, le dimanche, de grand matin (litt. : à nulle heure). — 2. frake, redingote. — 3. … les plus criards de tous (il s’agit des tons du gilet à ramages).

 

(p.166)

deûs-èpingues ètchênêyes creûhelêyes à vosse crawate,

dès botons èlahîs ås mantchètes à rabate,

ine tchêne d’ôr å stoumak, ine pîpe fèrêye d’årdjint,

8   ine chevaliére soflêye å prumî deût d’ vosse min,

on want seûlemint mètou (pace qu’avou li spèheûr

dè l’ bague, l’ôte tot hiyant åreût polou fé creûre

qui l’ trau, po mostrer l’ôr, èsprès aveût stu fêt !) ?

12   Vos n’ tinîz måy vosse cane qui po d’zos s’ bê poumê.

Po v’ vèyî bin ‘nn’ aler, so l’ soû vosse feume vinéve :

c’èsteût là qu’on r’loyîve on flokèt qui s’ disféve…

On pô pus tård, à s’ toûr, madame sôrtéve avou.

16    Po l’intrêye d’ine bone vèye, on-z-åreût bin pris s’ cou !

Divant di s’ènonder, èle tchafetéve on qwårt d’eûre

avou l’ prumîre vwèsène qu’ènn’aveût wére di keûre.

Après qu’èlle aveût fêt cint pas tot-å pus hôt,

20    ayant roûvî ‘ne saqwè, èle ritoûrnéve so l’ côp.

Lès målès linwes dihît qui c’èsteût po s’ fé r’vèy

èt s’ fåt-i bin conveni qu’on-z-åreût l’ min.me îdêye.

Åreût-èle bin polou vis lèyî fé l’ monsieû

24   sins fé madame Grand’s-ås ? Vos lî d’nîz trop bê djeû !

Å lådje ! Sèrez-ve on pô ! Plèce po deûs, gåre qui dj’ passe !

Li ci qu’ n’èst nin contint, çou qui dj’ pièd’ qu’èl ramasse !

Qwand lès mohètes volît, vos l’ vèyîz-t-à 1′ Sint-Dj’han,

28   dè l’ mèsse d’onze eûres èt d’mèy, hossî s’ cou tot sortant.

Elle aveût fêt si-intrêye å côp qu’on toûne li lîve,

qwand, po r’pwèser lès gn’gnos, on moumint on s’ drèssîve,

 

 

— 6. èlahî, attaché; mantchète à rabate, manchette (de chemise) qui se rabat. — 9. un seul gant enfilé…; spèheûr, épaisseur. — 10. … l’autre [gant] en se déchirant… — 14. … qu’on rattachait un noeud (ou un floc) qui se défaisait. — 17. s’ènonder, prendre son élan (ici par dérision); tchafter (onom.), jacasser. — 18. avec la première voisine [venue] qui n’en avait cure. — 24. Il existe à Hermée au nord de Liège, un lieu-dit as grand’s-às et un ruisseau du même nom dans la localité voisine de Haccourt. Y a-t-il un rapport avec la locution peu connue fé madame Grand’s-ås dont le sens, à défaut de l’origine, s’impose néanmoins : faire la dame aux grands airs ? — 25-26. Exclamations ironiques provoquées par les allures de la « grandiveuse » et qui sont malicieusement mises dans sa bouche. — 27. Périphrase pour désigner le solstice d’été. — 28. L’inversion est assez fréquente dans les alexandrins de Thiry; hossî s’ cou, balancer son derrière. — 29. … au moment où l’on tourne le livre, c.-à-d. le missel qui passe du côté de l’épître au côté de l’évangile (anc. liturgie). — 30. Allusion à la lecture de l’Evangile que les fidèles écoutent debout; c’est aussi le moment où les derniers retardataires de la messe dominicale arrivent à l’église et, dans notre contexte, on sous-entend : pour se faire voir de tous, ce que confirment les vers 31-32.

 

(p.167)

sûvant s’ vôye djusqu’å keûr, èt là qwèrant l’ moumint

32   dè fé ine bèle sôrtîse divant qu’ ci n’ fouhe li fin.

 

Houbêrt              251-257

Vèyez-ve on må là-d’vins ? Est-ce on pètchî d’èsse gåy ?

 

Sèrvås

Nèni, po l’ci qu’èl gangne èt surtout l’ ci qui påye

ou qu’a l’ mwèyin dè l’ fé sins qu’on djåse après lu.

36   Mins lèyîz-me pôr aler èt ni m’arèstez pus.

Dji v’ veû co sitrumer vosse bê paraplu d’ sôye.

Il èsteût tot mérseû ç’ djoû-là so totes lès vôyes :

i gn-aveût treûs samin.nes à mons qu’i n’avahe ploû !             267-277

 

40   Tot passant tot près d’ vos, lès djins fît-ine clignète.

Sèreût-ce po s’ pê, d’héve-t-on, ou l’ fåte di s’ baromète ?

Et prinde si foye di djote qwand on lavasse tome bin,

on nèl prind qui por lu, lès-ôtes nèl vèyèt nin.

44   Vos n’ qwèrîz qu’ine saqwè : c’èsteût d’esse ric’nohous.   282-292

Wice sèreût don l’ plêsîr s’on n’èsteût nin vèyou ?

Fé l’ grand por lu tot seû, ci sèreût ‘ne bèle avance !

I våreût bin lès pon.nes à s’ boûsse dè mète ine rance !

48   Ås mèsses di mwérts d’onze eûres, vos måkîz fwért raremint,

vos pinsîz qu’on loukîve lès ritches po vos parints.

Vos n’ rivenîz nin so l’ côp, vos-alîz djusqu’à l’ ête,

vos v’ mètîz dreût d’vant l’ fosse tant qui l’afêre fouhe fête,

52   vosse mène si lèyîve pinde, vos r’grètîz l’ trèpassé,

mins ‘ne fèye lès djins èvôye, vos mås èstît passés;

vos v’s-acoplîz après avou quéke haridèle

èt v’s-alîz d’goter ‘ne låme à dès-ôtès tchapèles.

 

 

  1. gåy, élégant, coquet, bien habillé. — 35. … sans qu’on y trouve à redire (litt. : qu’on parle après lui). — 36. Mais laissez-moi donc poursuivre… — 37. sitrumer, étrenner. — 38. mérseû, solitaire. — 39. … qu’il n’eût tombé de la pluie. — 40. clignète, clin d’oeil. — 42. foye di djote (litt. : feuille de chou), façon plaisante de désigner un parapluie; lavasse, averse. — 47. mète ine rance à s’ boûsse, mettre un crêpe noir à sa bourse (pour signifier qu’elle porte le deuil de l’argent qui n’y est plus). — 48. Les « messes de morts d’onze heures », c’était autrefois les obsèques de 1re classe, réservées aux riches. — 50. ête (arch.), cimetière. — 51. vous vous plantiez devant la tombe jusqu’à ce que tout soit fini. — 54. Au figuré, la « haridelle » désigne ici le compagnon de beuverie avec lequel notre homme « s’accouple ». — 55. et vous alliez verser une larme dans d’autres cabarets. Il y a jeu de mot sur låme = 1° larme; 2° goutte : d’alcool, de vin, etc.

 

(p.168)

56    Tot fant « dji vou dji n’ pou », vos n’èsblawîz qu’ lès sots      321-326

èt lès sûtîs riyît di vosse feume come di vos.

Bêcôp di grandiveûs po fé li gåye mantchète

sètchèt leû blouke à stok èt fèt li mêgue pansète.

60   Vos-ôtes, vos-aloumîz 1′ tchandèle dès deûs costés :

on vèyéve à vos håres qui vos-avîz glèté !

 

Bull. Soc. de Litt. wall, t. 3, 1860, pp. 249-252.

 

  1. L’expression dji vou dji n’ pou (litt. : je veux je ne peux) est un dicton liégeois appliqué à toute personne dont les prétentions dépassent les moyens; èsblawî, éblouir. — 57. Et les gens sensés riaient… — 58. … pour faire belle apparence (litt. : la belle manchette). — 59. se serrent la ceinture…; pansète, petite panse, ventre. — 61. on voyait à vos vêtements que vous aviez fait bonne chère au point d’en avoir bavé.

Auguste Vermer

(p.169)

AUGUSTE VERMER

(1817-1907)

Docteur en médecine, né et mort à Beauraing, Auguste Vermer consacra à la littérature les maigres loisirs que lui laissaient l’exercice de sa profession et l’éducation d’une famille de onze enfants. Vermer est l’auteur de fables, de contes et de chansons tant françaises que wallonnes qui furent rassem­blées sous le titre de Poésies du Docteur Vermer (Tournai, 1181; 2e éd. augmentée, Namur, 1905). En français, il cultiva surtout la fable, où il se fit l’émule de Rouveroy et du baron de Stassart : ses vers ne dépassent pas une honnête médiocrité. On trouve plus de saveur dans ses œuvrettes wal­lonnes : Vermer y révèle un esprit d’ironie point méchant, ami de la gaieté, et une connaissance intime du dialecte natal. Ses fables et contes populaires versifiés ont souvent été accueillis dans les publications de la Société de Littérature wallonne, dont Vermer fut l’un des premiers membres corres­pondants non liégeois.

 

54                                                                                               [Beauraing]

Lès misères do méd’cin

(Air : Contentons-nous d’une simple bouteille)

 

Quand dj’é sorti do 1′ sicole di m’ viladje,

on m’avèt dit : « Wêtoz d’ vos fè médecin :

dins tot 1′ canton vos-auroz di l’ovradje;

4   v’s-îroz à tch’fô, v’ gagn’roz brâmint d’ l’ardjint. »

Dji studia don, pus dj’ala à Baviére

sîre li clinike èt z-aprinde à singni :

mès chérs-amis, qués puwantès miséres !

8   Li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

 

On côp médecin, dji rarive à l’ Faumène,

c’è-st-on payis u-ce qui lès djins sont bons;

mês, po vré dîre, nos-astans près d’ l’Ârdène :

12   brâmint dès pîres èt wére di patacons.

 

LES MISERES DU MEDECIN

1-2. Quand je sortis de l’école de mon village, / on m’avait dit : « Tâchez de vous faire médecin ». — 4-6. « Vous irez à cheval, vous gagnerez beaucoup d’argent ». / J’étudiai donc, puis j’allai à l’hôpital de Bavière [à Liège] / suivre la clinique et apprendre à saigner. — 8. Le diable envole ( = emporte) un tel métier de chien !

  1. Une fois médecin, je rentre en Famenne (c’est la région où est situé Beauraing). — 12. Beaucoup de pierres et guère d’écus. — 13. gripè, gravir; chavéye, chemin creux; tiène (liég. tiér), côte, montée. —

 

(p.170)

I faut qui dj’ gripe lès chavéyes èt lès tiènes

po li rwè d’ Prusse ou sins-èsse fwârt payi.

Fè do l’ médecine u-ce qui lès housses sont tènes,

16   li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

 

Quand gn-a on-ome qu’est mwârt di s’ maladiye,

on dit tot coûrt qui c’èst mi qu’ l’a tuwè;

mês, au contrêre, si djè lî chape li viye,

20   on dit qui s’t-eûre n’avèt nin co sonè.

Quand i strint fwârt, on m’ fét bin dès carèsses,

come tins d’ l’oradje aus sints do paradis;

mês, bin pwartant, on roviye sès promesses;

24   li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

 

Quand, tot d’lani, dji rarive à l’ vèspréye,

qui dj’é sopè èt qui vo-me-là coûtchi,

dji m’ rafiye bin do fè l’ crosse matinéye;

28   mês v’là qu’à l’uch on toke à tot spiyi :

« Monsieû l’ médecin, fôrè v’nu à Fèlène,

gn-a m’ pére qui stran.ne; i faut vos dispêtchi ! »

En chôpiant m’ tièsse, dji di co cint morguènes !

32   Li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

 

Dji m’apontiye èt nos-enfilans l’ vôye

pa lès wachis’, lès basses èt lès cayôs;

i tchét do l’ plouve, i fét spès, dji m’anôye;

36   di tins-in tins, dji sokiye su mi tch’vau;

mês tot d’on côp volà qu’i tchét su s’ tièsse;

dji vole à tére èt dj’ su tot mèsbridji.

Dji m’ ragrabouye èt dji r’monte dissus m’ bièsse :

40   li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

 

 

  1. 1re éd. (1859) : po l’ prince di Lîdje (« Proverbe du pays qui signifie qu’on fait quelque chose par corvée », note de l’auteur). — 15. … où les bourses sont « minces », c.-à-d. peu garnies.

19-20.   …   si je lui  sauve la  vie,  /  on dit  que  son  heure  n’avait pas  encore  sonné.

— 21. Quand la situation est critique… — 23. on roviye, on oublie.

25-28. Quand, tout exténué, je rentre au soir, / que j’ai soupe et que me voilà couché, /

je me réjouis de faire la grasse matinée; / mais voilà qu’à la porte on frappe à tout

casser. — 29. … il faudrait venir à Felenne (à 13 kilomètres de Beauraing). — 30-31. « Il

y a mon père qui étrangle; il faut vous dépêcher !» / En me grattant la tête, je dis

(encore) cent fois mordienne !

33-36.  Je m’apprête  et nous enfilons  la route  / par les  bourbiers,  les  mares et les

cailloux; / il tombe de la pluie, il fait obscur, je m’ennuie; / de temps en temps, je

m’assoupis sur mon cheval. — 37. i tchét, il tombe. — 38. … je suis tout rompu. —

  1. Je me relève péniblement…

 

(p.171)

Nos-arivans à l’ maujon do malâde;

dj’ lî tire l’ oucha qu’il avèt o gosî;

pus djè lî dit : « Dji vôrè, camarâde,

44    djusqu’au matin m’alè on pô coûtchi. »

Vo-me-là stindu bin contint su l’ payasse;

mês pa lès puces dji m’ sin bintôt k’mougni,

dji m’ kitape come on pèchon qui fricasse :

48   li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

On côp do l’ chîje, en rivenant d’on voyadje,

dji m’ dispêtchè d’ rarivè à l’ maujon;

mês, come on fét li fraude à nosse viladje,

52   on douanier dwarmèt drî on bouchon.

Tot-asbleuwi en sortant di s’ somèy,

avu s’ fisik il adâre après mi;

i tire on côp, li bale chîle à m’orèye…

56   Li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

 

On côp mi tch’vau, qui courèt on pô vite,

avèt tchèyu, dj’ m’avè dismètu l’ brès.

Lès bravès djins vinint m’ fè one visite;

60    (ça fét do bin quand on vint v’ consolè) :

 « Cite afére-ci, d’jèt-on, s’rè profitâbe aus-ôtes malâdes

qui v’s-auroz à sogni : ça vos rindrè pus doûs, pus charitâbe !… »

64   Li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

Dj’é d’ tot costè one fameûse concurence :

gn-a dès sôrcis, gn-a co dès charlatans.

Po bin dès maus, on-z-a min.me confiyance,

68    à quéke madame qu’a dès fwârts bons-onguents.

 

 

42-43. je lui tire l’os qu’il avait dans le gosier; / puis je lui dis : « Je voudrais… » — 45. Me voilà étendu… — 46. k’mougni, mangé, mordillé. — 47. je me débats comme un poisson qui frit.

  1. Une fois, le soir, revenant d’un voyage. — 52. … dormait derrière un buisson. — 53-55. Tout ébloui en s’éveillant, / avec son fusil il s’élance vers moi; / il tire, la balle siffle à mon oreille.
  2. tchèyu, tombé; dismètu, démis.

 

(p.172)

Pus, lès curès si mèlèt do l’ médecine :

li cia d’ Focant n’s-a bin fét aradji

èt cor on pô, n’s-aurins criyi famine…

72   Li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

Si, par asârd, dji fé one rinchinchète

èt qui dj’invite quék’onk di mès-amis,

à pwin.ne avans-dje disployi nosse sêrviète

76    qui l’onk oul’ ôte vint po m’ vunu qwèri.

Dji m’ diburtine, dji fé one fwârt lêde trogne;

mês l’afére prèsse, i faut quitè l’ plèji.

Et, d’ssus ç’ tins-là, on va bwâre mi bourgogne.

80   Li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

 

1855

Bull. Soc. de Litt. wall., t. 2, 1859, 2e partie, pp. 38-41. On reproduit le texte, amélioré, de l’édition de 1881, pp. 42-45.

 

  1. celui de Focant (à 6 kilomètres de Beauraing) nous a bien fait rager. Ce curé fut condamné en 1850 par le tribunal de Dinant, pour exercice illégal de l’art de guérir; on peut voir, dans l’édition de 1881, p. 12, la chanson intitulée Le Charlatan, qu’on a supprimée dans l’édition de 1905.
  2. Si, d’aventure, j’organise une réjouissance. — 77. Je maugrée, je tire une fort laide mine.

 

(p.173)

GUSTAVE MAGNEE

(1817-1894)

 

Né à Liège, décédé à Hervé, Gustave Magnée a passé la plus grande partie de sa vie sur les confins de l’Ardenne, à Theux et à Francorchamps, où il était vérificateur des douanes. Ses œuvres, qui sont peu nombreuses (une poignée de nouvelles en prose et quelques poèmes d’inspiration bucolique ou légendaire) ont paru de 1861 à 1889 dans les publications de la Société de Littérature wallonne. Elles se distinguent par un souci de la forme souvent poussé jusqu’à la recherche et par un goût marqué, surtout dans les récits légendaires, pour les termes rares et archaïques. Outre qu’il est un de nos plus anciens prosateurs — l’un des plus oubliés aussi… —, Magnée garde le mérite d’avoir introduit, dans la poésie wallonne, une note de réalisme champêtre et de fraîcheur rustique.

 

55                                                                                                    [Liège]

Mi mohinète di tchâmoussîre

 

Avou s’ wêde, si coûr èt s’ cot’hê,

mi mohinète di tchâmoussîre,

i n’y-a so 1′ tére nou ritche tchèstê

4    qui seûy pus bê qu’ lèy à m’ manîre.

C’è-st-å pîd d’on tiér, qui 1′ solo tchåfe

d’estant å pus hôt dè cîr

èt d’ wice qu’on ri coûrt èn-on flot,

8    qu’èst m’ mohinète di tchåmoussîre.

 

Lès-oûhês tchantèt tot l’osté

divins lès gngnèsses qui covrèt l’ tiér;

is lès qwitèt po s’apîceter

12   so l’ crèsse di m’ teût qwand c’èst l’iviér.

 

MA MAISONNETTE [couverte] DE MOUSSE. — Terme de l’Ardenne liégeoise, tchâ­moussîre, forme des parlers de Francorchamps, Malmedy, Stavelot (tchåmossîre à La Gleize, tchåmossé à Faymonville), désigne le polytric ou mousse-à-balai dont on revêtait autrefois les pignons en torchis afin de les rendre impénétrables aux intempéries.

 

  1. Avec sa prairie, sa cour et son jardinet. — 5. tiér, colline. — 6. … chauffe en étant (litt. : d’étant) au plus haut du ciel (= au zénith). — 7. et d’où un ruisselet coule en une mare.
  2. dans les genêts… — 11. s’apîceter, se percher. — 13. faw, hêtre. — 14.  cohètes, petites branches d’un arbre.

 

(p.174)

Ca ine sipèsse håye di faw vint,

tot fant crèhe ses cohètes vès 1′ cîr,

mète à l’avrûle dè måva vint

16   mi mohinète di tchåmoussîre.

È m’ wêde wêdèt d’zos lès mèlêyes,

tot rotant djusqu’ås gngnos è foûre,

deûs vatches qui sont neûres èt steûlêyes

20   èt qui m’ dinèt dè pahant boûre;

è m’ cour, doze poyes, dés l’ pont dè djoû,

ad’lé leû cok qui rote si fîr,

aporvûsionèt d’ tot fris’-z-oûs

24   mi mohinète di tchåmoussîre.

 

Mi cot’hê hågne å bwérd dè ri,

wice qui vèrdih tot plin di d’vêres,

di frûtèdjes qu’awous’ faît maw’ri

28    èt qu’on wåde po magnî l’iviér;

à s’ coron, sont d’zos on sawou dès mohes

qui hoûlèt so l’ brouwîre èt qui rimplihèt d’ leû samerou

32   mi mohinète di tchåmoussîre.

 

Là chake fleûr florih è s’ såhon;

on veût toûr à toûr lès matrones,

lès djalofrènes èt lès claweçons,

36    lès meûrèts, lès rôses, lès piyaunes,

lès djamènes èt lès bèles-di-djoû,

mostrer leûs coleûrs à l’ loumîre

èt rispåde leûs-odeûrs âtoû

40   di m’ mohinète di tchåmoussîre.

 

 

— 15. à l’avrûle (Ara. liég.), à l’abri.

  1. mèléye, pommier. — 18. en marchant dans l’herbe (litt. : foin) jusqu’aux genoux. — 19. steûlêye se dit d’une vache marquée d’une étoile au front. — 20. … du beurre nourrissant. — 21. dans ma cour, douze poules…
  2. Mon jardinet s’étale… — 26. où poussent (litt. : verdoient) en masse les produits du sol; d(i)vêre, « toute espèce de récolte sur pied » (DL, 220). — 27. de fruits qu’août fait mûrir. — 29. à son bout (il s’agit du jardin); sawou, sureau. — 30. des abeilles (litt. : mouches, s.-ent. : à miel) qui bourdonnent sur la bruyère. — 31. samerou, bruis­sement.
  3. matrone, julienne. — 35. les œillets et les lilas. — 36. les giroflées, les rosés, les pivoines. — 37. les balsamines et les belles-de-jour. — 41. … de blancs (litt’ : blanchis) murs de torchis. —

 

(p.175)

Rin qu’ dès blankis meûrs di pariou;

po tarasses, dès bodjes di tchårnale;

ine Notru-Dame di bwès d’ tiyou,

44   inte lès deûs fignèsses, è s’ potale;

dès hames, ine tåve, ine houtche à pan;

dès troufes qui broûlèt è l’ fouwîre :

c’èst tot çou qu’on veût tot-z-intrant

48   è m’ mohinète di tchâmoussîre.

 

C’èst là qui dj’ vike ad’lé Marèye,

qui dj’ saweûre è påye li boneûr,

ad’lé Marèye, à l’ boke qui rèy,

52    å front d’ nîvaye, à l’ douce loukeûre,

ås p’titès mins qu’ovrèt todi,

å cwér qui plôye come ine wèsîre :

c’èst lèy qui m’ fêt on paradis,

56   di m’ mohinète di tchåmoussîre !

 

 

Ann. Soc. de Litt. watt., t. 2, 1864, pp. 113-115.

 

  1. pour solives, des troncs de charme. — 43. une Vierge en bois de tilleul. — 44. potale, niche (pour une statuette). — 45. hame, tabouret, petit siège de bois ordinairement à trois pieds; houtche, huche. — 46. troufe, tourbe; fouwîre, cheminée.
  2. que je savoure en paix… — 52. loukeûre, regard. — 54. au corps flexible comme l’osier.

Jacques Bertrand

(p.176)

JACQUES BERTRAND

(1817-1884)

Fabricant de chaises, né et mort à Charleroi. Sa famille était des plus humbles et, à dix ans, il quittait l’école pour entrer en apprentissage. D’un naturel curieux, plein de goût pour la lecture, il améliora par la suite l’instruction rudimentaire de ses jeunes années. Ses œuvres, qui portent la marque de son niveau intellectuel, reflètent de même le libéralisme de l’époque où il vivait; et rien qu’à la façon dont il parle de philanthropie, de progrès social et de bonne chère, on reconnaît en lui le disciple mineur d’un Béranger rallié à la morale — et à la dynastie.

C’est vers 1851 que Bertrand eut l’idée d’animer de ses chansons les fêtes organisées par une société locale de bienfaisance (Les braillards) dont il faisait partie avec son cousin Albert Thibaut (1815-1880), un autre auteur patoisant. Son œuvre de début, Les petites misères de Mme Chouflot, mono­logue comique en patois mêlé de couplets français, fut suivie d’autres pro­ductions tant françaises que wallonnes : parmi ces dernières, La jolie fille du Faubourg ou la quinzaine au Mambourg, L’ ducace du Bo, Sintèz come èm’ keûr bat, Raculotons-nous allaient consacrer largement, au Pays noir, la notoriété de leur auteur. Même après sa mort, son Recueil de chansons populaires, qui avait paru en 1867, connut de nombreuses réimpressions.

Talent spontané, Bertrand trouve souvent, pour peindre les sensations simples et frustes du peuple, le tour alerte, l’expression pleine de franchise et de gaieté. Mais presque aussi souvent, il déroute par l’inégalité de la langue et du style et par un manque de mesure qui l’expose à la platitude senti­mentale et surtout scatologique.

Un demi-siècle après Boiron, l’obscur barde villageois dont le nom apparaît « au bord de la nuit finissante de la chanson anonyme » (A. Carlier), Jacques Bertrand fut, au pays de Charleroi, le premier chansonnier wallon en date et en mérite, et, avec Albert Thibaut, Horace Piérard et Léon Bernus, le fondateur de la littérature dialectale carolorégienne.

 

 

56                                                                                              [Charleroi]

Sintèz come èm’ keûr bat !

 

Su l’ bôrd dè Sambe èt pièrdu dins l’ fuméye,

wèyez Couyèt avè s’ clotchî crawieûs ?

C’èst là qu’ dèmeûre èm’ [ma]tante Dorotéye,

4   veûve dè m’ [mon]onke Adriyin du Crosteû.

 

 

SENTEZ COMME MON  CŒUR  BAT!

  1. Sambe (la Sambre), comme Moûse (la Meuse), ordinair’ sans article (archaïsme). —
  2. voyez-vous Couillet  avec  son   clocher  mal   bâti ?  —  3-4.   L’édition   originale  porte

èm’ tante, de m’n-onke. Fidèle aux règles de la prosodie française, J. Bertrand faisait compter Ve atone dans la mesure des vers wallons. Cfr aussi v. 11. —

 

(p.177)

A s’ neuve méso nos-avons fét ribote,

lundi passè, tout-in pindant l’ crama.

Pou l’ preumî coûp, c’èst là qu’ dj’é vu Lolote :

8    rén qu’ d’î pinser, sintèz come èm’ keûr bat !

 

Gn-avèt drolà lès pus guéys du vilâdje;

en fét d’ couméres, on n’avèt qu’à chwèsi.

On a r’cinè à l’ombre du feuyâdje,

12    dèvant l’ méso, pa d’zous l’ gros cèréjî.

Èm’ bone matante a dè 1′ bière en boutèye :

c’ n’èst nén l’ faro qu’èst jamés si bon qu’ ça !

Dins s’ chike, Lolote èstèt si bén vèrmèye

16    qu’ rén qu’ d’î pinser, sintèz come èm’ keûr bat !

 

I d-alèt mieus, lès panses èstant rimplîyes,

Djan l’ Blanchisseû tinguèle ès’ viyolon èt dit : 

« Z-èfants, nos-avons ci dès fîyes

20    qui n’ dèmandenut qu’à danser l’ rigodon ».

Ah ! qué pléji ! Què Lolote èst contène !

Après l’ quadrîye, on boute ène mazurka !

Djè triyane en prèssant s’ mwin dins 1′ mène…

24    Rén qu’ d’î pinser, sintèz come èm’ keûr bat !

 

V’là l’ swêr vènu, pou danser chakin s’ prèsse.

El violoneû raclèt avec ardeur.

L’ bière èt l’amoûr èm’ fèyént toûrner l’ tiesse.

28   Vint noms di chnik ! djè nadjè dins l’ boneûr…

Més l’ pa Lolote, en wèyant qu’ele m’imbrasse,

d’in coûp d’ chabot m’ fét plondjî dins l’ puria !

L’ coumére ès’ sauve èyèt, mi, djè m’ ramasse…

32    Cièl ! qué coûp d’ pîd ! Sintèz come èm’ keûr bat !

 

 

  1. … tout en pendant la crémaillère. — 11. r’cinè, goûter, prendre le repas de quatre heures. L’édit. orig. porte … à l’ombre du… — 12. cèréjî, cerisier. — 14. Le faro est une bière bruxel­loise, moins piquante que la gueuze. — 15. Dans sa griserie…
  2. Il allait mieux = on se sentait bien. — 18. Jean-le-blanchisseur tend les cordes de son violon. Il s’agit d’un ménétrier de village, originaire de Thiméon, de son vrai nom Jean-Laurent Deval (1816-1884), très renommé à l’époque au pays de Charleroi (note de J. Vandereuse). — 23. Je tremblais… — 29. Mais le père de Lolote… — 30. d’un coup de sabot m’envoie dans la fosse à purin.

 

(p.178)

Djè m’ souvénré du crama dè m’ matante…

Dj’ crwè qu’ dj’é l’ cripèt câssè ou bén dèsmîs;

djè prind dès bains à l’ vapeûr d’eau bouyante,

36    grignant lès dints tous lès coûps què dj’ m’achî.

Més quand j’ dèvré skèter m’ dérène culote en m’empwègnant

avè s’ mame èyèt s’ pa, putôt mori què d’ viker sins Lolote !

40   Rén qu’ d’î pinser, sintèz come èm’ keûr bat !

 

1865

 

Les œuvres wallonnes de Jacques Bertrand, édition critique par J. Vandereuse (Charleroi, 1960, pp. 93-94) qui men­tionne l’édition préoriginale dans le « Journal de Charleroi » du 12 octobre 1865. Notre transcription respecte la version plus francisée, mais plus authentique, du Recueil de chansons populaires de 1876 (pp. 84-85), la seule édition ancienne que nous ayons pu atteindre.

 

  1. crama employé ici par brachylogie au sens de repas donné lorsqu’on pend le crama (la crémaillère). — 34. cripèt, coccyx, bas de la colonne vertébrale. — 35. eau bouyante est un gallicisme pour eûwe boulante qu’adopté l’édition Vandereuse. — 37. skèter, déchirer. — 38. L’édit. orig. porte impwègnant pour le gallicisme empwègnant; la forme orale carolorégienne est apougnant.

 

(p.179)

FELIX CHAUMONT

(1820-1872)

Né à Liège, mort à Herstal, armurier de son état, Félix Chaumont a débuté tard dans la littérature dialectale et a produit peu : une douzaine de chan­sons, entre 1862 et 1872, la plupart parues dans l’Annuaire de la Société de Littérature wallonne.

S’il vint au wallon après avoir écrit quelques poésies en français, ce fut sans doute sous l’influence de Nicolas Defrecheux dont il était l’ami intime. Peut-être est-ce à lui aussi qu’il doit son souci du style soigné et des senti­ments honnêtes ? La pièce que nous reproduisons de lui reste son œuvre la plus connue : c’est un petit tableau de mœurs populaires et l’une des réussites incontestables de la chanson liégeoise au xrxe siècle.

 

57                                                                                                     [Liège]

Li côp d’ pîd qui fêt 1′ bon hotchèt

(Air : Je suis le plus gros vigneron)

 

Sé-dje si v’s-avez k’nohou Bêtri ?

C’èsteût, so mi-âme, ine bèle boterèsse !

Måy deûs pus francs-oûys n’ont r’glati

4   divins l’ombe d’on fris’ norèt d’ tièsse.

Fwète à bouhî on fwért ome djus,

djintèye come on n’ såreût l’èsse pus,

èt pwis 1′ coûr so s’ min…

8  Mins i n’ faléve nin

èl fé måveler,

ca vos v’s-årîz fêt d’zawourer !

Djèl veû todi

12   qwand, so s’ mwèrtî,

 

 

LE COUP DE PIED QUI FAIT LE BON « HOCHET ». — La francisation du liégeois hotchèt (DL, 329, fig. 351-352) est entrée dans le Littré, Suppl’, 189, avec cette définition : « charbon préparé avec le moule nommé hochet ». Les botteresses liégeoises, aujourd’hui disparues, pétrissaient en le piétinant le mélange de houille fine (fouwaye) et de terre glaise (dièle) dont elles formaient des « boulets » au moyen d’un moule en tôle; le com­bustible était souvent livré par les botteresses elles-mêmes qui le transportaient dans leur bot ou hotte.

  1. Sais-je si vous avez connu Béatrix ? — 3. jamais deux yeux plus hardis n’ont brillé. — 4. Les femmes du peuple retenaient leurs cheveux en les couvrant d’un mouchoir plié en diagonale appelé norèt d’ tièsse et noué soit par devant soit par derrière (cfr DL, fig. 444-445). — 9. måveler, mettre en colère. — 10. d(i)zawourer, meurtrir, mettre en pièces. — 12. Le mwèrtî (mortier) désigne ici le mélange que devaient tripeler (piétiner) les botteresses. —

 

(p.180)

li pogn so l’ hantche, toûrnant doûcemint,

tapant ine lawe di tins-in tins,

èle dinéve, tot mostrant s’ molèt,

16    li côp d’ pîd qui fêt l’ bon hotchèt !

 

Bêtri in.méve Tchantchès l’ tchèron,

corne on in.me ås prumîrès brîhes.

Èle saveût qwand i v’néve d’å lon

20    rin qui d’oyî pèter s’ corîhe.

Si galant èsteût-on faro,

po fé rîre qu’aveût co cint spots.

Il aveût 1′ papî

24           di s’ fé vèy vol’tî.

Ossu l’ napê

comptéve sès crapaudes à hopê !

Mins à Bêtri

28           il aveût dit :

« Dji hante lès-ôtes po m’amûser…

c’èst twè tote seûle, djèl pou djurer,

qui dj’in.me èt qui dji marèyerè,

32    twè, qu’a l’ côp d’ pîd qu’ fêt l’ bon hotchèt ! »

On djoû qu’èle tripeléve rowe Grètry,

li mardi dè l’ fôre à Tchênêye,

rotant à cabasse, èle veût v’ni

36    ine cope qu’èsteût à l’ mî flotchetêye.

Èle tronle so sès djambes tot d’on côp !

Si coûr ossu bouhe à grands côps…

« Åreû-dje l’oûy bablou?…

40           L’a-dje bin rik’nohou ?…

 

 

13-16. Esquisse parfaite de l’attitude de la botteresse au travail : mouvement lent des pieds en tournant sur la surface à pétrir, avec un léger retroussis de la jupe qui découvre le mollet, les poings aux hanches et, aux lèvres, la moquerie (lawe) dont les passants faisaient souvent les frais.

  1. Tchantchès, forme   hypocoristique   de   Françwès,   François;   tchèron,   charretier.  
  2. as prumîrès brîhes, aux premières poussées de l’amour. — 20. rien que d’entendre claquer son fouet. — 21. … était un faraud. — 22. spot, dicton, proverbe; ici, propos plaisants. — 23.  Il avait le tour  (litt’ :  le papier).  — 25.  napê,  polisson,  vaurien.  — 26. à hopê, par tas, en grand nombre. — 31. … et que j’épouserai (litt’ : marierai).
  3. tripeler: cfr note du v. 12. — 34. … de la fête (litt.: la foire) à Chênée (banlieue de Liège), jour de grande affluence populaire. — 35. à cabasse, bras dessus bras dessous. — 36. un couple qui était des mieux pomponnés. — 39. bablou, ébloui, éberlué.

 

(p.181)

C’èst bin Tchantchès !

Va, calefurtî, ti mèl pårès !… »

Et, n’î t’nant pus,

44          èle potche dissus :

li tchapê, l’ noû såro pleûtî,

va r’djonde li côrnète è mwèrtî !

Sins compter lès pougnêyes di dj’vès

48    èt lès côps d’ pîd qu’ fèt l’ bon hotchèt !

 

A l’ pus-abèye nos djins s’ såvît !

Zèls èvôye, èle touma påmêye

èt d’ låmes sès-oûys si rimplihît…

52   Lontins èle si sinta d’sseûlêye.

Mins l’ pôve n’a nin l’ tins dè plorer :

i fåt qu’on magne, i fåt ovrer !

Pwis ‘n-ôte grand toûrmint

56          distoûrna s’ chagrin :

si soûr mora,

lèyant deûs-èfants d’vins lès draps !

Et nosse Bêtri

60          so l’ côp s’ dèrit :

« Djèl veû, l’ bon Diu fêt tot po 1′ bin.

Pusqui dj’ so trompêye d’on calin,

cès-èfants là, dj’ lès-ac’lîverè :

64   dj’a 1′ côp d’ pîd qui fêt 1′ bon hotchèt ! »

 

Ann. Soc. de Litt. watt., t. 5,  1869, pp. 141-142.

 

 

— 42. Va, gredin… — 45. … le sarrau plissé tout neuf. — 46. li côrnète, la coiffe (de la fille qui accompagne Tchantchès).

  1. Au plus vite… — 50. Eux partis, elle tomba en pâmoison. — 52. … elle se sentit abandonnée. — 58. … dans les langes (= au berceau). — 63. … je les élèverai.

 

 

(p.182)

TOUSSAINT BRAHY

(1821-1888)

 

Ouvrier typographe, né et mort à Liège, fondateur, avec D.D. Salme et Fr. Dehin, du Caveau Liégeois (1872). Il a composé, à partir de 1863, un assez grand nombre de chansons (surtout de circonstance), de « cramignons » et de monologues qui forment, avec quelques essais dramatiques sans pré­tention, les deux volumes de ses Œuvres wallonnes (lre série en 1883, avec préface d’A. Le Roy; 2e série [posthume], en 1892, avec notice biographique de Jos. Defrecheux). Parmi les productions poétiques de Brahy, on lit encore avec intérêt les stances, tour à tour attendries et plaisantes, de A m’ vî tchapê et un conte en vers, Li sondje d’à Babilône, que couronna, en 1888, la Société de Littérature Wallonne. La chanson, que nous publions ci-après, évocatrice de divertissements d’un autre âge, est restée la plus caractéristique de ce poeta minor.

 

58                                                                                                     [Liège]

Lès dj’vås d’ bwès d’à Beaufils

 

Sov’nance di djonnèsse (Air : C’est amusant d’aller à cheval)

 

So 1′ Plèce dès Dj’vås, v’là dès-annêyes,

on toûrnikèt s’ vèyéve d’å lon :

sès qwate barkètes totes rapècetêyes,

4   lès tièsses dès dj’vâs n’ l’èstît nin mons.

Mins d’aler d’ssus, on trèfèléve !

On n’èsteût co djamåy nåhî !

Toûr à toûr, ritche ou pôve voléve

8   fé raws so lès dj’vås d’à Beaufils.

I m’ sonle co l’ vèy avou s’ bonète,

qwand tot èsteût bin r’pondou bleû,

prinde ine pènêye tot fant ‘ne clignète

12   èt tchôkî l’ bwès d’ tos sès pus reûds.

 

LES CHEVAUX DE BOIS DE BEAUFILS [pron. bôfi], souvenir de jeunesse

  1. plèce dès Dj’vås, place aux Chevaux, à Liège; auj. place de la République Française. — 2. toûrnikèt, petit manège de chevaux de bois. — 3. rapècetêyes, réparées grossière­ment. — 5. trèfèler (ordt -fi-), trépigner de joie impatiente. — 6. nåhî, fatigué. — 8. fé raws, « gagner au jeu de bagues : en tournant sur les divas d’ bwès, les joueurs doivent enlever, avec une baguette de fer, un des anneaux suspendus à leur portée,  près du toûrnikèt »  (DL 531).
  2. pènêye, prise (de tabac); clignète, clin d’œil. — 12. et pousser le manège (litt. : le bois) de toutes ses forces.

 

(p.183)

Tot loukant toumer s’ cavalerèye,

qwantes fèyes ni nos-a-t-i nin dit :

« Èfants, qui n’ polez-ve tote vosse vèye

16   fé raws so lès dj’vås d’à Beaufils ! »

 

È ç’ tins-là, c’èsteût l’ bone vèye môde dè vèy,

suis malice ni fîrté, so 1′ toûrnikèt, valèts, crapôdes

20   tot come dès bossous s’amûser.

Oûy, totes nos djon ;nès damesulètes sogne

dès gåter leûs cous d’ Paris f’rît l’ mowe

tot r’loukant lès barkètes

24   hèrtchèyes par lès dj’vås d’à Beaufils.

 

Kibin ‘nn’ a-t-i nin po l’ djoû d’oûy, à tins passé,

qwand i r’tûzèt, qui r’vèyèt co, divant leûs-oûys,

28   l’åbion dè pauve vî toûrnikèt?

Come leû coûr deût bate di sovenance !

Portant, dji wadjereû qui leûs fis

n’ vôrît pus seûlemint fé lès cwanses

32   d’ fé raws so lès dj’vås d’à Beaufils…

 

Asteûre, li grandeûr monte lès tièsses :

divant d’èsse djon.ne, on vout-èsse vî;

on coûrt lès bals, on rôle lès fièsses,

36   lès treûs qwârts dès djeûs sont roûvîs.

Wice dîreût-on qu’is sont-st-èvôye ?

Nos n’ lès veûrans måy pus riveni…

Nos p’tits-èfants n’åront nin l’ djôye

40   d’ fé raws so lès dj’vås d’à Beaufils…

 

c Li Caveau lîgeois, 1re annèie », Liège, 1873, pp. 45-46.

 

  1. damesulète, petite demoiselle (iron. et péj.)- — 22. [de] crainte d’abîmer leurs der­rières de Paris (allusion aux « tournures » des jeunes filles de l’époque). — 23. fé 1′ mowe, faire la moue (de dédain). — 24. tirées…
  2. Combien n’y en a-t-il pas au jour présent. — 28. l’åbion, la silhouette. — 31. fé lès cwanses, faire semblant.
  3. les trois quarts des jeux [populaires] sont oubliés.

 

 

(p.184)

PIERRE MOUTRIEUX

(1824-1908)

 

Né et mort à Mons, fils d’un sergent de ville, Pierre Moutrieux, après ses humanités au collège communal, occupa quelque temps des emplois de commis et devint, très jeune encore, professeur dans des écoles privées de sa ville natale, notamment à l’Institution Moneuse. Puis il s’établit comme professeur particulier en vue de préparer les candidats aux examens organisés par les administrations publiques, tâche qu’il n’abandonna qu’à l’âge de 78 ans.

Comme J.-B. Descamps, il partagea ses loisirs littéraires entre le français et le montois. A la différence de son aîné, les chansons françaises qu’il écrivit (la plupart parurent au cours de l’année 1855 en livraisons mensuelles) échap­pent en partie aux stéréotypes du romantisme belge : si le prosaïsme les entrave, leur accent est celui d’un esprit indépendant, parfois révolutionnaire — on dirait aujourd’hui progressiste — et l’emphase d’une pièce telle que A mon fils qui n’est pas né ne parvient pas à en dénaturer la portée huma­nitaire.

Mais c’est en dialecte que Moutrieux a le mieux exprimé une personnalité faite d’esprit caustique et de philosophie résignée. Il avait 25 ans lorsqu’il inaugura avec Des contes de kiés (Des balivernes) une série de trois plaquettes montoises qui parurent en 1849, 1850 et 1851. Une nouvelle fournée vit le jour de 1873 à 1876 dans une sorte d’almanach intitulé El canyon d’ Mons et c’est à la gazette dialectale El Ropïeur, fondée à Mons en 1895, qu’il donna la production de ses dernières années.

Chansonnier accompli, Moutrieux fut aussi un prosateur dont la verve ne le céda en rien à celle de l’abbé Letellier (il collabora d’ailleurs à son Armo-naque), comme le prouvent des pages telles que El catéchise de m’ père — un catéchisme tout en proverbes — ou l’éloge du patois dans l’« advèrtance » du Canyon d’ Mons pour 1875. Un choix de ses œuvres fut réuni après sa mort en 1912 par les soins de Gaston Talaupe.

 

 

59                                                                                                 [Mons]

El canson d’ Sint-Antwêne

(Air : Te souviens-tu, disait un capitaine)

 

Tout in m’ couchant, èj’ diswa hier à m’ reine :

« Ej’ t’aime surtout quand tu ronfles dèdins t’ lit.

Eh bé, pourtant, j’aime co mieûs Sint-Antwêne,

4   c’èst-à ç’ temps-là, fîe, qu’on a du plési ! ».

El vèye, chez Brock, èl société s’ rassembe,

on bwat in pot pou èrbéni 1′ drapeau,

on trinque, on rit, on cante tèrtout’ insembe.

8   Wê, Sint-Antwêne èst-in jour qu’est bé biau !

 

Ces grands monsieûs qui blaguent su no jeu d’ croche,

ça n’ rit jamés, ça n’ set que s’imbéter.

Ergardez-lès au fond de leû caroche :

12   i foutent ène gueule à vos fére insauver !

Qu’ je m’ fous, hon, mi, d’été riche corne ène altesse

et d’avwa 1′ cœur aussi gai qu’in cayô !

Contint’mint, fieû, vwayez bé, passe richesse…

 

16   Wê, Sint-Antwêne èst-in jour qu’est bé biau !

Nous-autes, ourviers, rabourant tout 1′ semaine,

nos n’avons guère èl temps d’ nos-amûser.

Ainsi, à m’ mode que pou èrprinde haleine,

20   de temps-in temps, on peut bé s’in r’passer.

 

 

LA CHANSON DE [LA] SAINT-ANTOINE. — La fête de saint Antoine, le 17 janvier, était marquée à Mons par les assauts à l’ croche, ou parties de jeu de crosse, sorte de jeu du mail, qui se pratiquait pendant l’hiver. C’est à la Saint-Antoine que le vainqueur — le roi, — décoré de la médaille du concours, était reconduit en cortège avec musique; un souper général était organisé par la société qui groupait les adeptes de ce sport, autrefois en honneur parmi la classe ouvrière de la région.

 

  1. à ma reine, c.-à-d. à ma femme. — 5. La veille, chez Brock (nom du café où se réunissaient les joueurs). — 6. … pour « rebénir » le drapeau de la société.
  2. Qu’est-ce que je me fous, donc, moi… — 14. cayau, caillou, pierre. — 15. Proverbe français : Contentement passe richesse.
  3. … ouvriers, peinant toute la semaine; rabourer est une variante de rabouter, abattre de la besogne. — 20. s’in r’passer, s’en accorder (du répit ou du plaisir). — 22. La « purge » ici consiste à faire le vide par l’excès de boisson. —

 

(p.86)

Pou roubliyer tous nos jours de carême,

 on s’ fout ‘ne bone purge, ça vos r’iave lès boyaus !

Fés come tu veûs, i faut mori tout à” même…

24   Wê, Sint-Antwêne èst-in jour qu’èst bé biau !

 

Louwis-Filipe, au miyeû de tout s’ clike,

n’étwat nié mieûs, ni pus contint surtout,

que P rwa d’ nous-autes quand il a ène bone chique,

28   fleur à s’ capiau èyèt mèdaye à s’ cou.

A tous moumints, corne si c’étwat ène biète,

su P pauve rwa d’ France, on tire à fiêr à clau :

no rwa du mwins en’ risque qu’ène soule à s’ tiète…

32   Wê, Sint-Antwêne èst-in jour qu’èst bé biau !

 

C’èst tout, z-infants, asteûre qu’on m’ baye à bwâre !

J’é l’ goyé sec, jé n’ sarwa pus canter.

Come diswat m’ pére (què l’ bon Dieu l’ mète in glwâre !),

36    èl trop, èt-i, finit par imbéter.

A vote santé ! Faites què l’ anéye prochaine

èt co lès-autes vos consèrviez vo piau

pou co minjer du pourciau d’ sint-Antwêne,

40    car, mi j’ vos l’ dis, c’èst-in jour qu’èst bé biau !

 

 

Paru dans « Dés cont’ dé guiés, tiens ! pa Titiss’ Ladéroutte, dit Louftogne », Mons, [1849], pp. 14-16 et reproduit dans les Œuvres choisies de P. Moutrieux, Mons, 1912, pp. 277-278.

 

 

  1. La résignation des petits devant la destinée est contenue dans ce vers simple et admirable.
  2. Allusion tout au long de la strophe à la révolution de 1848 qui coûta son trône à Louis-Philippe, dont la royauté est malicieusement mise en parallèle avec celle du vain­queur au jeu de crosse. — 27. … quand il a une bonne cuite (ce qui arrive à la Saint-Antoine, comme l’indique le vers suivant). — 28. capiau, chapeau; à s’ cou : on attendrait en montois à s’ eu. Aussi bien pour la forme que pour le sens, l’auteur sacrifie ici à la rime. — 30. à fier à clô, ici avec le sens de : durement, sans relâche. L’expression française à fer et à clou, attestée entre autres chez Calvin et Mme de Sévigné, se dit de ce qui est solidement fixé. — 31. soûle, boule de bois que l’on chasse avec une crosse ferrée.
  3. … le mette en gloire, c.-à-d. en paradis. — 36. le trop (= l’excès), disait-il… — 39. pour manger encore du porc de Saint-Antoine. Allusion probable à l’un des plats traditionnels du banquet final, en souvenir de la légende de saint Antoine et de son cochon.

186

 

(p.187)

60

Quée chike !

(Air : Te souviens-tu, disait un capitaine)

 

Ej’ d-é èm’ compte, Colas, i faut qu’ j’èrtourne.

Mes 1′ diale m’importe si j’èrcounwa m’ kèmin !

Autour de mi, èrgarde bon ! corne tout tourne :

i-l-a pou cwâre que m’ tiète èst-in moulin.

Wê, qu’èst-ç’ que m’ fème va dire ? Bon… si èle moufe

(j’ sû in bon fieû, mes drôle de paroissien),

èj’ te lî flanque su s’ mouzon ‘ne télé margnoufe

què j’ tè l’invouye cahuler su s’ prussyin !

 

Qu’ c’èst maleureûs qu’ sans fére ène èscôdrîye,

on n’ poura pus avwâr in p’tit plési !

Tiens, fieû Colas, jamés en’ te marîye,

si tu n’ veûs nié tout t’ vîye t’in n-èrpinti.

La librèté (quée chique ! èj’ cwa qu’ j’étoufe)

èst-ène bêle chose… Colas, m’écoutez bien?,

t’t-à l’eure, j’ te flanque su t’ mouzon ‘ne télé margnoufe

tiens, que j’ t’invouye cahuler su t’ prussyin !

 

J’ n’arwa nié d’vû, Colas, bwâre 1′ dernière pinte; jusqu’à ç’tèle-lâle, vré !, i n’ me falwat rie. Mes tu dîrwas que m’ paufe caboche va s’ finde… « Mon Dieu ! Donat, corne vos-ètes èspité ! ». — Pace qu’on n’est nié in grand fèseû d’esbroufe, on n’ poura nié rintrer in peu pus tard ? Qu’in lussier viène, j’ te lî flanque ène margnoufe que j’ te l’invouye cahuler su s’ tan’vard !

 

 

QUELLE CUITE ! — Chanson en forme de monologue où un ivrogne, s’adressant à Colas, le compagnon qui le ramène, tient des propos que lui inspirent, pêle-mêle, les circonstances du moment et l’expérience de la vie.

 

  1. … si elle souffle mot. — 7. mouzon, museau, visage; margnoufe (de marnioufe), mornifle, gifle. — 8. cahuler, hurler, crier fort (ici après être jeté par terre); … sur son derrière, litt. : Prussien, nom de peuple employé par une synecdoque irrespectueuse, mais que la chanson de J.-J. Vêlez, n° 26, aide à comprendre.
  2. èscôdrîye, vacarme, tapage scandaleux.
  3. L’usage oral serait bwâre èl dèrnière…; l’auteur, pour respecter la mesure, contrevient à la règle de prononciation qui exige, entre trois consonnes qui se suivent, la présence d’une voyelle. — 20. Remarque en style direct libre : l’intervenant n’est pas présenté; c’est peut-être Colas. — 21. … un grand faiseur d’embarras. — 23. Qu’un sergent de ville (litt. : huissier) vienne…; le / vient de l’agglutination de l’article.

 

(p.188)

On sét ouvrer, du mwins, si on set bwâre :

quand i vivwat, m’ pauve père, c’étwat s’ rébus…

In bé brave orne, savez, tu peûs m’in cwâre,

28    èj’ brérwa bé quand j’ pinse qu’i n’ buvra pus.

Dire qu’on est là bé portant, pwis bèrdoufe !, on fét F tourniô…

Bon ! me v’ià su m” tamis !

Si j’ tènwa l’ sort, j’ te lî flanque ène margnoufe…

32   Bone nwit, Colas, v’ià ‘ne place pou mi dormi.

 

Œuvres choisies, pp.  336-337.

 

  1. rébus, dicton, propos favori. — 28. je pleurerais bien… — 29. En même temps qu’il prononce tourniô, le personnage fait un tour sur lui-même et se retrouve sur son tamis, c.-à-d. assis par terre.

Nicolas Defrêcheux

(p.189)

NICOLAS DEFRECHEUX

(1825-1874)

 

« Le créateur de l’élégie wallonne » (A. Le Roy) et le plus connu des poètes dialectaux de Wallonie.

Né à Liège, au faubourg Saint-Léonard, mort dans la commune toute proche de Herstal, Nicolas Defrecheux, après avoir commencé des études d’ingénieur des mines, fut successivement employé d’industrie, patron boulanger, secré­taire au rectorat de l’Université de Liège et appariteur près la Faculté de médecine.

Sa complainte, Lèyîz-m’ plorer, découverte par le Journal de Liège qui la reproduisit dans son numéro du 23 juin 1854, lui valut une célébrité soudaine. Popularisée grâce à un air en vogue de Monpou, elle était aussitôt répandue en feuilles volantes : les six tirages à 2.000 exemplaires chacun qu’on en fit à Liège, entre 1854 et 1856, témoignent d’une diffusion extraordinaire pour l’époque.

Ce premier succès fut suivi d’un second, en 1856, avec le « cramignon », L’avez-v’ vèyou passer ? couronné au concours de poésie wallonne qu’une société philanthropique, « Les Vrais Liégeois », avait eu l’idée d’organiser pour célébrer le 25e anniversaire du règne de Léopold Ier. La joute à laquelle Defrecheux avait participé avec de nombreux autres concurrents suscita un intérêt tel que le jury, où se trouvaient notamment Forir, Duvivier et Bailleux, conçut « l’idée de former une société littéraire wallonne » (Journal de Liège du 10 septembre 1856). Le 27 décembre de la même année naissait la « Société liégeoise de littérature wallonne » qui allait donner un essor définitif au mouvement dialectal. Par la renommée de ses deux chefs-d’œuvre, Nicolas Defrecheux en était l’un des artisans.

Sous le titre de Chansons wallonnes, Defrecheux réunit, en 1860, une pro­duction qui ne comprenait encore que 17 pièces; elle s’accroîtra jusqu’en 1873 des quelques chansons et « cramignons », ainsi que des contes, apologues et maximes qu’il rimait depuis 1857 pour YAlmanach Mathieu Laensbergh. Cet ensemble fut réuni une première fois, après la mort du poète, en 1877.

Héritier d’un romantisme mineur, le lyrisme de Nicolas Defrecheux gravite autour de thèmes généraux : l’amour, l’enfance, la famille, la charité, le culte du passé, l’attachement au coin de terre et à la langue du pays. Ces senti­ments honnêtes, Defrecheux sut leur donner un ton juste et vrai, sans emphase comme sans vulgarité. Dépourvu de modèles dans un dialecte jusqu’alors estimé pour sa vigueur réaliste, il réussissait à créer d’emblée une poésie « volontairement épurée de détails trop matériels » (J. Feller). La poésie lyrique wallonne prend chez lui son vrai départ. Une lyrique chantée, pré­ciserons-nous : on sait que lyrisme et chanson ne se dissocièrent en wallon que vers la fin du siècle. Mais Defrecheux n’en constitue pas moins un fait d’influence capital, un tournant décisif dans l’évolution de nos lettres dia­lectales.

(p.190)

Il y aurait quelque injustice à faire de l’auteur de Lèyîz-m’ plorer le père du « lèyîz-m’-plorisme ». Ce n’est pas lui qui ouvrit les écluses de la poésie larmoyante et mièvre dont le flot allait submerger une partie des terres liégeoises avant et après 1900. Sa discrétion, son sens de la mesure (sans parler d’une douce bonhomie) l’en détournaient, comme aussi le faible ren­dement de sa muse poétique. Il avait compris qu’il ne fallait pas solliciter une inspiration qui, avec les années, se fit plus rétive, moins heureuse. L’éclat de ses premiers écrits — les meilleurs — ne l’avait point aveuglé. Et il eut le privilège de ne pas se survivre à lui-même en leur survivant trop longtemps…

 

 

61                                                                                                     [Liège]

Lèyîz-me plorer

(Air : Gastibelza, l’homme à la carabine)

 

Mès camèrådes m’ont v’nou dîre : « C’est nosse fièsse,

vinez danser ! »

Qu’in-ôte s’amûse, mi, dji pleûre li mêtrèsse

4                 qui m’a qwité.

Dji l’in.méve tant ! èlle aveût mès pinsêyes

di nut’ èt d’ djoû…

Lèyîz-me plorer ! tote mi vèye èst gåtêye,

8                 dji l’a pièrdou !

 

Sès p’titès mins avît l’ min.me blankiheûr

qui nos feûs d’ lis

èt sès deûs lèpes èstît pus rôses qui l’ fleûr

12                 di nos rôsîs.

Måy nole fåbite n’a fêt oyî come lèye

dès tchants si doûs.

Lèyîz-me plorer ! tote mi vèye èst gåtêye,

16                 dji l’a pièrdou !

 

 

LAISSEZ-MOI PLEURER

  1. fièsse, ici dans le sens de fête paroissiale, fête de quartier. — 3. mêtrèsse, promise, fiancée; l’acception française actuelle est différente. — 5. Variante de l’éd. originale : … dji lî d’néve mès pinsêyes. — 8. La mélodie prévoit la répétition du vers final de la strophe.

9-10.  … la même blancheur / que nos lys. — 11.  lèpe, lèvre. — 13. fåbite, fauvette.

 

(p.191)

Vos-årîz dit quéke andje vinou so l’ tére

divins l’ moumint

qu’èle pårtihéve totes sès spågnes à l’ misére

20                 dès-ôrfilins;

ou qu’èlle êdîve si vèye mére à l’ vèsprêye

po r’monter l’ soû.

Lèyîz-m’ plorer ! tote mi vèye èst gåtêye,

24                 dji l’a pièrdou !

 

Dji n’ pou roûvî qu’è 1′ sêson des violètes,

èle mi dèrit :

« Louke cès-oûhês apîcetés so l’ cohète…

28                 si fièstèt-is !

Va, qwand on s’in.me, tos lès djoûs d’ine annêye

sont dès bês djoûs. »

Lèyîz-me plorer ! tote mi vèye èst gåtêye,

32                 dji l’a pièrdou !

 

Elle è-st asteûre èco pus hôt qu’ lès steûles,

è paradis.

Poqwè fåt-i qu’èle seûye èvôye tote seûle,

36                 èvôye sins mi?

On a bê m’ dîre : « I fåt bin qu’ tè l’roûvèyes ! »

Est-ce qui djè l’ pou?

Lèyîz-me plorer ! tote mi vèye est gåtêye,

  • dji l’a pièrdou !

 

 

Octobre 1853.

 

Œuvres complètes (édition du Centenaire), Liège, 1925, pp. 27-28. Edition originale : Novel Pasqueys, sans nom d’auteur, Liège, [1854], pp. 1-2.

 

18-19. dans le moment / où elle partageait toutes ses économies…  — 22.  soû, seuil. 27. apîceté, perché; cohète, petite branche d’arbre ou de buisson.

  1. … qu’elle soit partie toute seule. — 37-38. «…  que tu l’oublies »  / Est-ce que je le puis ?

 

(p.192)

62

Tot seû

(Air : En parlant de ma mère, d’E. Arnaud)

 

Come in-oûhê à l’ niyêye

qui n’ kinoh ni l’ fin ni l’ freûd,

divins mès djon.nès-an.nêyes

4              dji vikéve bin awoureûs.

Mi pére èt m’ mére di tote pon.ne

savît si bin m’ garanti !

Tot priyant i d’hît-st-èsson.ne :

8              « Wårdez-nos l’ vèye po nosse fi ! »

 

Mins, so nosse tére, i fåt qu’on moûre !

Dizos mès lèpes si r’freûdihît leûs fronts.

Dispôy adon li prumîre pårt di m’ coûr

12   dwért ad’lé zèls dizos 1′ wazon.

 

Dîh ans pus tård, è m’ mohone,

avou ‘ne feume li djôye rintra.

Come mi mére, èlle èsteût bone :

16  dji l’inméve come èle m’in.ma.

Avou lèye lès djoûs d’ måleûr

m’avisît bin mons pèsants,

èt dji sintéve qui l’ boneûr

20     si dobèle tot s’ pårtihant.

 

Mins, so nosse tére, i fåt qu’on moûre !

Dizos mès lèpes dj’a sintou r’freûdi s’ front.

Dispôy adon, li mèyeû pårt di m’ coûr

24          dwért ad’lé lèye dizos l’ wazon.

Po m’ rinde li fwèce èt l’ corèdje,

i m’ dimoréve in-èfant,

in-èfant qu’aveût l’ visèdje

28              dè l’ sinte feume qui dj’in.méve tant.

 

 

TOUT SEUL

  1. Comme un oiseau au nid.

11-12. Depuis lors la première partie de mon cœur / dort auprès d’eux sous le gazon.

  1. me semblaient bien moins lourds. — 20. se double en se partageant.

 

(p.193)

Dji m’amûséve di sès djôyes, dji prindéve pårt à sès djeûs;

èt, carèssant sès dj’vès d’ sôye,

32              dji m’ ritrovéve awoureûs.

 

Mins, so nosse tére, i fåt qu’on moûre !

Dizos mès lèpes dj’a sintou r’freûdi s’ front.

Dispôy adon, li dièrin,ne pårt di m’ coûr

36           dwért ad’lé lu dizos 1′ wazon.

 

Come in-åbe è plin d’ l’iviér,

qu’èst sins foye, sins fleûr, sins frut,

dj’a d’manou tot seû so 1′ tére,

40              plorant lès cis qui n’ sont pus.

Totes mès djôyes sont ètèrêyes, dji n’ dimande qui dè mori;

mins dj’ veû passer lès-an,nêyes,

44              come si 1′ mwért m’aveût roûvî.

 

Mins, so nosse tére, i fåt qu’on moûre !

Nos-åmes å cîr ci djoû-là s’ ritroûveront.

Tot rawårdant, i n’a nole pårt di m’ coûr

  • qui n’ dwème dèdjà dizos 1′ wazon.

 

Septembre 1856.

 

Ibid., pp. 44-45. Paru d’abord dans le Journal de Liège du 3 décembre 1856.

  1. En attendant…

 

(p,194)

63

L’avez-ve vèyou passer ?

(Air : Ha ! ha ! ha ! l’amour, que vous me tourmentez !)

 

On dîmègne qui dj’ côpéve dès fleûrs divins nosse pré,

dji vèya ‘ne bèle djon.ne fèye ad’lé mi s’arèster.

 

Ha ! ha ! ha ! dihez-me, l’avez-ve vèyou passer ?

 

Dji vèya ‘ne bèle djon.ne fèye ad’lé mi s’arèster.

« Dji m’a pièrdou, di-st-èle, êdîz-me à m’ ritrover. »

 

Ha ! ha ! ha ! dihez-me…

« Dji m’a pièrdou, di-st-èle, êdîz-me à m’ ritrover.

4   — Djusqu’à pus lon, lî di-dje, tot-dreût dji v’ va miner.

 

— Djusqu’à pus lon, lî di-dje, tot-dreût dji v’ va miner. »

Djèl louka tot-à mi-åhe, tot rotant so s’ costé.

 

Djèl louka tot-à mi-åhe, tot rotant so s’ costé.

Elle aveût 1′ pê pus blanke qui l’ margarite dès prés.

 

Elle aveût 1′ pê pus blanke qui 1′ margarite dès prés.

Sès-oûys èstît pus bleûs qui 1′ cîr d’on djoû d’osté.

 

Sès-oûys èstît pus bleûs qui 1′ cîr d’on djoû d’osté.

8   Elle aveût, come lès-andjes, lès dj’vès d’on blond doré.

 

 

L’AVEZ-VOUS VU(E) PASSER ? — C’est le premier « cramignon » de cette antho­logie. Danse serpentine, jadis en vogue au pays liégeois, surtout lors des fêtes de paroisse, le cramignon / crå- (forme épaissie de cramillon, variante : cramion) doit son nom à l’image de la tige dentelée du crama ou crémaillère (DL, p. 177-178). Attestée à Liège au xvie siècle (cfr EMVW, t. 6, p. 67), cette farandole, où danseurs et danseuses se suivent alternativement en se tenant par la main, évolue comme une chaîne zigzaguante, conduite par un « meneur » (II mineû d’ cramignon) qui chante les paroles d’un chant en français ou en dialecte. De la danse, le nom est passé au texte chanté qui l’accom­pagne. Celui-ci, après s’être confiné longtemps dans la chanson populaire et anonyme, s’est émancipé poétiquement vers le milieu du xix” siècle et a donné lieu à un genre littéraire dont la pièce de Defrecheux offre précisément l’un des meilleurs spécimens. Suivant le canevas traditionnel, le 1er vers chanté par le meneur seul est aussitôt repris en chœur; le soliste poursuit avec le 2e vers qu’il enchaîne au vers refrain, et ce dernier est répété par tous. Le 2e vers du premier couplet est alors repris par le soliste pour devenir le 1er du couplet suivant et il est de même répété en chœur. Après le 3e vers, retour du refrain qui sera également répété. Couplets et refrain se déroulent ainsi, les participants se bornant à reprendre les vers du poème au fur et à mesure que les chante le meneur-soliste. Le dernier couplet s’achève par la reprise du vers initial.

 

  1. Variante de l’éd. originale : …  tot près d’ mi s’arèster.
  2. Je me suis perdue… (litt. : je m’ai perdu). — 4. miner, mener, conduire. 5. Je la regardai tout à mon aise, en marchant à son côté.

 

(p.195)

Elle aveût, come lès-andjes, lès dj’vès d’on blond doré.

Elle åreût d’ine påkète tchåssî lès p’tits solés.

 

Elle åreût d’ine påkète tchåssî lès p’tits solés.

Nole ièbe n’èsteût coûkêye wice qu’èlle aveût roté.

 

Nole ièbe n’èsteût coûkêye wice qu’èlle aveût roté.

Dji lî d’na totes mès fleûrs, nos k’mincîs à d’viser.

 

Dji lî d’na totes mès fleûrs, nos k’mincîs à d’viser.

12   Si vwès m’aléve à cour, dj’aveû bon de 1′ bouter.

 

Si vwès m’aléve à cour, dj’aveû bon de 1′ bouter.

Et dji rotéve todi, sins sondjî à 1′ qwiter.

 

Et dji rotéve todi, sins sondjî à 1′ qwiter.

A l’intrêye de grand bwès, djèl vèya s’arèster.

 

A l’intrêye de grand bwès, djèl vèya s’arèster.

« Dji v’ rimèrcih, dist-èle, vos-èstez lon assez.

 

« Dji v’ rimèrcih, dist-èle, vos-èstez lon assez.

16   — Ni poreû-dje nin, lî di-dje, ine ôte fêye vis r’djåser?

 

—  Ni poreû-dje nin, lî di-dje, ine ôte fêye vis r’djåser ?

  • Si vos-î t’nez bêcôp, loukîz di m’ ritrover. »

 

– Si vos-î t’nez bêcôp, loukîz di m’ ritrover. »

Mi, sogne di lî displêre, dji d’va 1′ lèyî ‘nn’ aler.

 

Mi, sogne di lî displêre, dji d’va 1′ lèyî ‘nn’ aler,

sins qui dj’ savahe si nom, ni wice qu’èle pout d’morer.

 

Sins qui dj’ savahe si nom, ni wice qu’èle pout d’morer.

20   Å toûrnant dè pasê, sor mi èle s’a r’toûrné.

 

Å toûrnant dè pasê, sor mi èle s’a r’toûrné,

èt di s’ doûce vwès mi d’ha : « Nos veûrans s’ vos m’ qwîrrez ».

 

 

  1. påkète, première communiante. On notera ici l’inversion,  procédé qu’empruntent à la   versification   française   certains   poètes   wallons   du   XIXe   siècle :   Charles   Duvivier, Michel Thiry,  Michel Renard, etc. La version originale portait : Ine påkète åhèyemint tchåssereût sès p’tits solés.
  2. Nulle herbe n’était couchée où elle avait marché. Image littéraire dont Defrecheux a pu s’inspirer chez des auteurs qui vont de Virgile (Enéide, VII, 808-9) à La Fontaine (Le songe).
  3. pasê, sentier.

 

(p,196)

Et di s’ doûce vwès mi d’ha : « Nos veûrans s’ vos m’ qwîrrez ».

Qwand lès-åbes mèl catchît, dji m’ sinta tot d’sseûlé.

 

Qwand lès-åbes mèl catchît, dji m’ sinta tot d’sseûlé.

C’èst dispôy ci djoû-là qui dj’ sé çou qu’ c’èst d’in.mer.

 

C’èst dispôy ci djoû-là qui dj’ sé çou qu’ c’èst d’in.mer :

24   on dîmègne qui dj’ côpéve dès fleurs divins nosse pré…

 

Ha ! ha ! ha ! ha ! dihez-m’, l’avez-v’ vèyou passer ?

 

19 août 1856.

 

Ibid., pp. 88-90. Edition originale dans la brochure : Concours de poésie wallonne institué par la société : Les vrais Liégeois. Pièces couronnées, Liège, 1856, pp. 17-19.

 

 

64

Tot bossant

 

Divins vosse banse, èfant, nan.nez,

li nut’ afûle li tére. Lès djon.nes-oûhês sont rèspounés

4  dizos l’ éle di leû mére.

 

Clignîz vos-oûys si bleûs, si doûs,

bwèrdés d’ blontès påpîres;

dji vin dè vèy, èstant so 1′ soû,

8 passer l’ome ås poûssîres.

 

Tot v’ avoyant, Dièw m’a bèni;

vos-èstez po m’ boneûr pus rôse

qui 1′ frût’ di nos frévîs

12 èt pus blanc qui leû fleûr.

 

EN BERÇANT

  1. banse, ici : berceau d’enfant; nanner (onom.), faire dodo. — 2. afûler, recouvrir. — 3. rèspouné, caché, blotti.
  2. … l’homme aux [grains de] poussières. Allusion à la croyance enfantine de l’homme au sable qui passe au moment où l’enfant va s’endormir.
  3. frévî, fraisier.

 

(p,197)

Qwand vos sèrez bin èdwermou,

lès-andjes vêront d’å cîr; mins v’ lès-avez dèdjà vèyou :

16  vos lèpes vinèt dè rîre !

 

1857

 

Ibid.,  pp.  60-61.  Edition  originale :  Chansons wallonnes, Liège, 1860, pp. 54-55.

14-16. Glose poétique de l’expression « sourire aux anges » qui se dit de l’enfant en train de sourire pendant son sommeil.

 

Abbé Michel Renard

(p.198)

MICHEL RENARD

(1829-1904)

 

Né à Braine-l’Alleud, mort à Bruxelles. Après avoir reçu la prêtrise en 1852, l’abbé Renard exerça son ministère à Orp-le-Grand et à Genval avant de devenir, en 1860, l’un des desservants de la paroisse Notre-Dame du Sablon à Bruxelles. Ayant refusé la cure qu’on lui offrait (« Je désire mourir céli­bataire » aurait-il répondu au cardinal-archevêque de Malines), il préféra se consacrer aux associations ouvrières de la capitale : son dévouement assumé dans la pauvreté lui valut le respect de tous, au sein d’une opinion publique que divisaient alors profondément les antagonismes sociaux et philosophiques.

S’il tâta du journalisme comme fondateur ou directeur de feuilles telles que la « Gazette de Nivelles » ou « Le Carillon », ce fut dans la littérature dia­lectale que son tempérament d’écrivain et sa bonne humeur trouvèrent à s’exprimer. L’abbé Renard reste en effet l’auteur d’un extraordinaire poème épique, Lès-aventures dè Djan d’ Nivèle, èl fis dè s’ pére, édité sous l’ano­nymat dans sa version la plus simple et la meilleure en 1857, élargi mais édulcoré en 1878, entièrement refondu en 1890 pour être « relié à l’histoire du pays ». Des huit chants primitifs, on passait ainsi à douze, et de la figure du populaire Djan-Djan, jaquemart de Nivelles, à une affabulation, corsée d’emprunts à l’épopée classique (à l’Enéide entre autres), qui intégrait dans l’histoire des ducs de Bourgogne au xve siècle les tribulations légendaires d’un fils de Jean II de Montmorency assimilé au proverbial Jean de Nivelles dont le chien «s’enfuit quand on l’appelle»…

Si, dans sa troisième version, le Djan d’ Nivèle de l’abbé Renard apparaît comme une épopée où se mélangent l’héroï-comique et le burlesque, c’est le merveilleux qui, d’un état à l’autre du poème, lui assure son unité. Un merveilleux plaisant, on s’en doute, comme est plaisant un récit qui, pour relever du mythe, n’en baigne pas moins dans le réalisme le plus wallon.

On pourrait en dire presque autant de L’Argayon, èl djèyant d’ Nivelés (1893), poème en huit chants qui narre l’origine fabuleuse et pantagruélique de l’Ar-gayon, son mariage avec l’Argayone et la naissance de leur fils Lolô, les trois géants de la tradition nivelloise. Mais par son arrière-plan folklorique où l’on fait un sort aux coutumes, croyances et dictons du pays de Nivelles, cette seconde œuvre de l’abbé Renard privilégie l’intention régionaliste au détriment de la verve narrative.

Un troisième poème, Brin.nus’, consacré au village natal de l’auteur, était inachevé à sa mort; les chants 1 et 2 ont paru en 1914.

Les deux dernières œuvres de l’abbé Renard sont écrites dans le parler de Braine-l’Alleud, tandis que Djan d’ Nivèle a été composé, de l’aveu même du poète, dans une koïnê fondée sur les patois du Brabant wallon qu’on parle « depuis Monstreux et Bornival jusqu’à Jandrain et Jandrenouille ».

 

(p.199)

65                                                                   [Dialecte du Brabant wallon]

[Invocation]

 

Apolon, ô grand mésse dès vêrs yèt dès tchansons,      

rawétiz d’in boun-ouy èl pus léd dès Walons !

Em’ mére m’a toudi dit, yèt c’èst là ç’ qui m’ tourminte,

4   que dj’é d’ l’èsprit dins 1′ tièsse èstant què d’ d-é dins 1′ vinte;

yèt maugré ça pourtant, dins m’ walon d’ vu tchanter.

Djè n’ pu qu’ bauyî sins vous. Mésse, i faut m’assister !

A tch’vau su vo carote, â ! flankiz vos lunètes.

8   Ritoûrnez vos chuflots, vos tromboles, vos trompètes.

Chwèsichiz-me, chwèsichiz-me, au fond d’ vo magasin,

yèt plantez dins m’n-orèye in soûrcî d’instrumint.

Par là vos soufèlerez dins m’ misèrâbe caboche

12   èstant d’vêrs qu’in vî jwif foure dès liârds dèdins s’ poche.

Ascoutiz-me audjoûrdu, djè vos prîye, Apolon.

Pou toudi, fuchiz seûr, djè sâré vo garçon.

— Mins d’ sin d’djà què l’ grand mésse èm’ chufèle ès’ ramâdje.

16   Du powême du payis nos coumincherons l’ouvrâdje.

Walons, drouvez l’ orèye assez pou l’ dèskirer !

C’è-st-ène boutike d’infêr què d’ vu vos raconter;

in.ne istwêre, mès-amis, qui vos chènera bé bèle,

20   pace què d’ va vos causer du fameûs Djan d’ Nivèle;

dè no Djan qu’o vwèt cor, aussi fiér qu’in Bayî,

av’ in mârtia dins s’ main, à F coupète dè s’ clokî,

dè Djan, toudi planté come in soûdârd au posse

24 ècor qu’i tchét dè l’ nîve yèt dès grijas su s’ bosse;

 

  1. Regardez d’un bon œil… — 4. … autant que j’en ai dans le ventre. — 6. bauyî, bâiller. — 7. carote, ici au fig. et par plaisanterie : nez (comp. franc, pop. truffe). — 7. chuflot, sifflet. — 10. … un sorcier d’instrument, c.-à-d. un instrument (pour chanter) ayant un pouvoir magique. — 14. Pour toujours, soyez sûr, je serai votre garçon, c.-à-d. votre serviteur. — 17. dèskirer, déchirer. — 18. La « boutique d’enfer » annonce les aventures extraordinaires qui forment le sujet du poème. — 21-22. … aussi fier qu’un Bailli / avec un marteau en main, au sommet de son clocher : allusion au jaquemart de cuivre, sur­nommé Jean, dressé « sur l’une des deux tours qui flanquent la flèche de la collégiale Sainte-Gertrude et qui, au moyen d’un marteau, frappait autrefois les heures sur la cloche placée à l’intérieur de la Tour » (J. Coppens, Dict. aclot, vo Djan d’ Nivèle). — 24. encore qu’il tombe de la neige ou des grêlons sur sa carcasse (litt* : sa bosse). — 25. C’est pour les besoins du grossissement épique que l’auteur fait de Jean de Nivelles « le plus vieux des Wallons »; la tradition locale se contente de voir en lui le plus vieux des Aclots (= des Nivellois). Son histoire où interfèrent des thèmes littéraires et folkloriques a été débrouillée par Oscar Colson dans Le « cycle » de Jean de Nivelle, 2″ éd., Nivelles, 1904; cette étude permet d’éclairer quelques-uns des motifs secondaires du poème de l’abbé Renard.

 

(p.200)

c’è-st-inne istwêre, enfin, du pus vî dès Walons,

digne de toutes nos-oneûrs, digne de toutes nos tchansons.

« Les aventures de Jean d’ Nivelles, el fils de s’ paire. Poème épique », Bruxelles, 1857, pp. 9-10. On reproduit le texte de l’édition critique du P. Jean Guillaume, Namur, Facultés Universitaires (« Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres », fasc. 32), 1963, pp. 17-18.

 

66

[Le repas des géants]

 

Atteindre Nivelles est pour Djan, qui s’est enfui du logis paternel, l’étape finale où il espère vivre heureux parmi les « Aclots » (sobriquet des Nivellois). Mais il est sous le pouvoir de deux sorcières, l’une, Margot, qui le protège, l’autre, Chonchon, qui suscite contre lui obstacles et dangers. Au cours de son voyage, Djan, égaré dans une forêt par un maléfice de Chonchon, finit par rencontrer une troupe de marionnettes — pantins ambu­lants

qui d-alin’ à Nivèle amûser lès masètes

yèt fé rîre lès crapôds in ramassant leûs sous.

Il se joint aux baladins pour les accompagner. Avertie de la chose, Chonchon court prévenir l’Argayon, un ogre géant qui habite avec son épouse près de l’endroit par où doivent passer nos voyageurs.

Après l’entretien de la sorcière et du géant, le passage qui suit — inspiré sans doute de l’épisode où Rabelais conte « comment Gargantua mangea en salade six pèlerins » — décrit le festin meurtrier auquel, bien entendu, notre héros échappera.

 

« Salut, dist-èle, salut, Monsigneûr l’Argayon !           Vv. 595-676

— Bondjoû, di-st-i l’ djèyant, bondjoû, madame Chonchon.

 

  1. Dans le Djan d’ Nivèle, le géant sanguinaire auquel s’adresse Chonchon n’a que le nom (l’Argayon) de commun avec le géant du folklore nivellois qui fait l’objet d’un autre poème de l’abbé Renard cité dans la notice. —

 

(p.201)

Djè d-aleu m’indoûrmi; djè vé d’ crokî mès puces.

4   — Djè vos dèrindje, signeûr; djè vos d’mande mile èscuses.

  • Djè vos l’ di tout rondemint : quand c’èst vous, ça n’ fét ré,

 pusquè vos stez Chonchon yèt que d’ vos vwè volté.

Ainsi, causez-me sins crinte yèt racontiz-me l’afêre

8    qui m’ done èl pléji d’ vîr ène si charmante soûrciêre.

  • Bon djèyant, djè n’ sâreû assez vos r’mèrciyî

du djoli complimint que vos v’nez dè m’ toûrtchî.

Tant qu’à mi, d’ vos-apoûrte asteûre ène boune nouvèle :

12   dès vwèyajeûrs, djè 1′ sé, s’ dirijenèt su Nivèle;

is vont passer t-tèrtous djusse lauvau, dins l’ grand tch’min.

Pou lès prinde, vos n’avez qu’à stinde in coûp vo min.

Tout 1′ carème, vos-avez djuné come ène bèguine;

16    Il èst timps, m’ parèt-i, dè rècrachî vo mine.

Vos-èstez télemint mégue què vos stez tout trawé,

yèt vo visâdje èst pâle come in navia pèlé.

Dins vo culote, èlâs’, i n’a ni lârd ni fèsses,

20    èlle èst vûde come èl boûsse d’in djoûne ome après 1′ fièsse.

Ratrapez vo rondèle; profitez d’ l’ocâsion

què d’ vé vos-anoncî, Monsigneûr l’Argayon !

  • A ! m’ Chonchon, à ! m’ doûs keûr, combé qu’ vos stez inmâbe

d’apoûrter ‘ne boune nouvèle à-n-in poûve misèrâbe !

  • En’ causez nî d-insi, seûlemint dèspétchiz-vous;

atrapez cès gueûs-là pou lès mindjî t-tèrtous.

Monsigneûr, djè vos léye. A r’vwêr; djusqu’à 1′ sèmin.ne.

28    Dj’èspère què d’ vos vîr mégue djè n’âré pus 1′ grande pinne.

Bé dès choûses à Madame, in bètch à vo garçon.

  • Au doûs pléji d’ vos r’vîr; poûrtez-vou bé, Chonchon ».

 

V’là què 1′ djèyant s’èrlève, i n’ fét qu’in.ne adjombléye,

32    il èst d’djà dins 1′ grand tch’min; i s’ trouve dèvant l’arméye

 

  1. d-aleu, imparfait de d-aler qui est la forme régulière de la Wallonie occidentale (voir exemples ci-dessus dans les textes de Charleroi et de Mons); le d provient de la forme pleine (s’)ind-aler, (s’)en aller, en liég. : (s’)ènn’aler; par extension d’emploi, ce d remplit aussi l’office des pronoms en, y et même de consonne de liaison (cfr v. 25). — 6. d’ forme abrégée du pron. djè (dj’ devant voyelle); pour les deux emplois, voy. ci-dessus le v. 4 de l’Invocation. — 16. rècrachî, engraisser de nouveau (ou davantage). — 17. trawé, troué : comme si sa maigreur le rendait transparent! — 18. … comme un navet épluché. — 21. Retrouvez votre embonpoint… — 27. … je vous laisse (gallicisme). — 29. bètch, baiser (litt’ : bec). — 31. adjombléye, enjambée. —• 34. s’ muchî, se cacher. — 37. moncha, monceau, tas. —

 

(p.202)

dè nos poûves vwèyajeûrs, qui poûssenèt dès grands cris,

qui voûrin’ bé s’ muchî dins n-in p’tit trau d’ soris.

I  s’ mètenèt à 1′ plin.ne course; i vont à pièrde alin.ne.

36   A ! dè s’ fé tant suwer i valeut bé lès pin.nes !

L’Argayon lès-atrape, i d-è fét in moncha,

come quand l’ouvrî ramasse toutes lès pautes dè s’ djavia.

Il  ont beau s’ laminter, il ont beau brére èt crîr :

40    c’èst 1′ min.me què s’i tchanterin’; èl grand djèyant n’ fét qu’ rîre,

i lès foure dins n-in satch, i lès kèrtche dèssus s’ dos yèt,

come dès p’tits catchèts, i lès r’poûrte à s’ méso.

 

Walons, vos compèrdez què v’là co ‘ne léde istwêre !

44   Si vos v’lez qu’ djè l’ raconte, ène goute i mè 1′ faut bwêre.

Come djè vos ll’é d’djà dit (mi, djè n’ vu nî m’ vanter),

djusqu’au fond d’ mès marones in ré m’ fét triyèner.

Amis, d’ bwè pou deûs liârds à l’ santé d’ vos couméres,

48    à l’ santé d’ vos-èfants èy’ à l’ santé d’ vos péres !

 

A pin.ne èst-i rintré què l’ goulafe d’Argayon

avale in fèyeû d’ tous, come ène pouye in moulon.

Ça lu chêne o n’ put mieûs. Il apèle ès’ coumére.

52    Ç’tèle-là, pou l’s-assayî, d-è mindje tout d’ sûte ène père:

« Djè n’ d-é nî cor assez, di-st-èle au grand djeyant,

çu qu’ c’èst, come l’apétit nos-arive in mindjant !

— Vos savez, rèspond-i, vos savez, m’ binin.méye,

56   què vo chér ome jamés n’a r’culé pou ‘ne gueûléye;

èt pusquè l’ cièl nos done audjoûrdu d’ qwè machî,

Madame, djè su d’avis qu’i n’ nos faut nî lachî. »

Lès cès qu’o condan.neut s’ tapenèt l’ tièsse à l’ muraye,

60 is s’ roûlenèt iun su l’ ôte come dès moûrts à l’ bataye,

gueûlant come dès dan.nés quand l’ léd brigand d’ démon

leû bore in fiêr tout roudje yu-ce qu’ène pouye a s’ croupion.

 

  1. … tous les épis de sa gerbe. — 39. … pleurer et crier. — 41. catchèt, porcelet. — 43. C’est un procédé de l’épopée burlesque d’interrompre, comme ici (et jusqu’au v. 48), le récit en cours à un moment critique, pour permettre à l’auteur de rani­mer son courage tout en s’adressant au lecteur; ce genre d’intervention, d’un plaisant effet, contribue à fixer le ton du poème. — 46. marone, syn. de culote; pour ces deux mots, Renard emploie indifféremment le singulier ou le pluriel; triyèner, trembler. — 50. avale un faiseur de tours (= un acrobate) comme une poule un ver. — 51. chèner, sembler. — 58. … qu’il ne nous faut pas lâcher (c.-à-d. abandonner, renoncer). — 59. Ceux que l’on condamnait : c.-à-d. les marionnettes humaines, futures victimes de l’ogre. — 62. leur bourre un fer rougi là où une poule a son croupion. — 69. scaper,échapper. —

 

(p.203)

Is prîyenèt 1′ grand djèyant, is prîyenèt s’ grande coumére.

64   A l’s-intinde, in Russe min.me èn’ sâreût s’ passer d’ brére.

Is  leû d’mandenèt la vîye, à mins djwintes, su leûs gnous :

« O, di-st-i l’Argayon, nos vos crokerons t-tèrtous.

Criyiz tant qu’ ça vos plét; mi, djè su come ène brike;

68   vos n’ mè toucherez nî pus qu’in djouwant dè 1′ musike.

Vos vos scaperez, vous-ôtes, quand vos stez dins mès mins ?

Vos d-irîz co putoût què 1′ lune avè vos dints !

Après tout, djè n’ sé nî pouqwè qu’i vos faut plinde

72   quand mi d’ vos fé l’oneûr dè vos mète dèdins m’ vinte. »

V’là 1′ carnâdje couminchî. Lès djèyants, c’èst dès tchats

qui tchéyenèt, dins-n-in mafe, dèssus ‘ne nitéye dè rats;

c’èst dès tchés qui tènenèt dès piètris d’zous leûs pates;

76   c’èst l’s-ouvrîs, au din.nè, dèvant leû plat d’ patates;

c’èst dès r’nauds qui par nût’ intèrenèt dins 1′ poulî;

c’èst dès tîgues afamés qui trouvenèt à mindjî.

Il  ont dès brokes dè leup, dès vrés brokes dè Cèrbêre;

80 is drouvenèt leû grande gueûle, lârdje come ène poûrte cochêre.

In-n-ome intère là-d’dins come in mitchot dins 1′ four;

in s’ sèrant, leûs machwêres buchenèt come in tambour.

V’là qu’is n’ vîyenèt pus ré. « A ! què 1′ fièsse a stî boune ! »,

84   crîye-t-i l’ djèyant, « là-d’ssus, nos d-îrons bwâre ène toune».

 

Ibid., extrait du 4e chant, pp. 38-40; même édition, pp. 34-36.

  1. Vous iriez encore plutôt chercher la lune avec vos dents. — 74. qui tombent, dans un gerbier, sur une nichée de rats. — 75. c’est des chiens qui tiennent des perdrix sous leurs pattes. — 77. c’est des renards qui, la nuit, entrent dans le poulailler. — 79. broke, dent, croc. — 82. buchener, frapper, marteler. — 83-84. La leçon de ces deux vers est empruntée à l’édition de 1890 (8e chant, p. 130) qui nous semble préférable pour clore l’épisode.

 

(p.204)

67                                                                                           [Braine-l’Alleud]

[Fête de la moisson]

 

Le passage qui suit forme, vers le début du poème, un préambule à l’histoire de l’Argayon. Une note de réalisme champêtre, assez exceptionnelle chez l’abbé Renard, précède une digression où l’ami des travailleurs fait entendre sa voix.

 

Vv. 25-64

 

L’awous’, adon, steut fêt. Lès dèrnîs tchârs kèrtchîs

triboulin’ ‘t-avaur-là, pa dès gros tch’vaus satchîs.

Tous lès varlèts fèyin’ clatchî leûs-èscoréyes,

4 qui pètin’, dins lès-êrs, come in tchapelèt d’ fuséyes,

in s’ doublant, s’ èrdoublant, sins djokî, pa l’èsco

racachîs long-z-èt lârdje, èt du tiène èt du bos.

Su l’ tchèréye, o viyeut lès-amûsantès tièsses

8 dès fourtcheûs, dès mècheneûs, dès faukeûs, dès r’coudrèsses,

qui riyin’, qui tchantin’, qui clatchin’ dins leûs mins,

qui dèspârdin’ d-insi l’ plêji ‘t-avau lès tch’mins.

Il avin’ co planté dèssus l’ tchâr, à l’ coupète

12 èt tout jusse au mitan, ène bèle èt grande oupète.

T-autoû d’ lèye, is criyin’, à fé sauteler l’ cayau :

Djô ! Djô ! L’awous’ èst fêt ! L’awous’ èst fêt ! Djô ! Djô !

 

Quand l’ dèspouye èst rintréye èt què l’ grègne èst rimplîye,

16 tout contint l’ cinsî dit : «I n’ faut nî qu’o roublîye

qu’ lès cins qui travayenèt pou nous doner du pin,

ont leû goyî r’ssètchi pou qu’ nos n’ uchons’ nî fin,

qu’is dwèfenèt bwêre in coûp. Nos r’passerons lès tchapèles,

20 èl wit’ du mwès d’ sètimbe, au r’mouyâdje dès fauchèles.

 

 

  1. La moisson (litt. : l’août), alors, était finie. — 2. tribouler, ici, en parlant de chariots : rouler en cahotant; ‘t-avaur-là, dans cet endroit-là, c.-à-d. sur le chemin qui mène à la ferme de la Bouvrée, lieu-dit de Braine-l’Alleud (cité ailleurs). — 3. … claquer leurs fouets. — 5-6. … sans arrêt, par l’écho / en long et en large renvoyés et de la colline et du bois. — 8. mècheneû, glaneur; faukeû, faucheur; r’couderèsse, moissonneuse à qui est confié le soin de mettre en javelles le blé fauché. — 10. qui répandaient ainsi le plaisir. — 12. oupète, touffe de branches ou de rameaux, désigne ici le bouquet de fleurs et de feuillage planté au sommet (à l’ coupète) du dernier char. — 13. … à faire sauter les pierres (litt’ : le caillou). — 14. Djô : exclamation, cri de joie que l’on poussait, en Wallonie occidentale et en Picardie, pour célébrer une victoire ou une réjouissance.
  2. dèspouye, récolte (litt’ : dépouille); grègne, grange: — 18. ont leur gosier à sec pour que nous n’eussions pas faim. — 19. r’passer lès tchapèles, faire la tournée des cabarets; ici, faire une beuverie. — 20. « En Brabant, le 8 septembre, alors que la moisson est terminée, le fermier régale tout son personnel et cette fête s’appelle ermouyache des fauchelles, humectation des faucilles > (note 6 de l’édit, p. 114). —

 

(p.205)

Dè nos-ouvrîs d’awous’ èl fièsse ès’ fêt d-insi.

Nos d’vons d-aler ‘squ’au d’bout, come on-a stî toudi.

C’èst qu’ ç’ n’èst nî tout d’ tchanter : « Dj’ê payî leû djoûrnéye;

24  Après ça, pou leû mésse, is n’ valenèt pus ‘ne pènéye. »

O  sét fé r’poûser ‘ne bièsse, o racrache in n-osti.

L’ouvrî qu’a t’nu s’ bèsogne a dwèt à du plêji.

I va doûrmu, souvint, sins tirer sès culotes,

28 pou s’ trouver su pîd d’vant què l’ diâle n’a mis sès botes.

T-avau l’ têre, à l’ ouvrâdje il èst toudi l’ preumî;

à l’ nût’, pou s’èrpoûser, i rintère èl dèrnî.

À ! si l’ mésse èn’ viyeut dins l’ varlèt qui travaye,

32 qu’in bidon qu’on achète, au pus bas pris qu’o paye,

djè cwè qu’i d-ireut mau, qu’o d’vreut bîtoût souner

lès trépas pou-n-in monde à pont pou s’èsclèfer.

I poureut co fé ‘ne bôye, èt ça sareut l’ dèrnière.

36 C’èst-ce què dj’ vwè dins m’n-idéye, ossi clér què l’ lumière.

In-n-ouvrî, c’èst no frére ! Et come djè n’ su nî sot,

mès travayeûs, pour mi, v’là lès djins dè m’ méso !

Èl wit’, faukeûs, louyeûs, vatchîs, varlèts, r’coudrèsses,

40 èl cinsî vos régale : à s’ famîye i fêt fièsse. »

 

« L’Argayon èl géant d’ Nivelles, pa M.C. Renard, auteur des Aventures de Jean d’ Nivelles », Bruxelles-Liège, 1893, extrait du 1″ chant, pp. 21-22.

 

 

  1. Le vers offre l’inversion des deux hémistiches. — 24. … ils (les ouvriers) ne valent plus une pincée (litt. : une prise de tabac). — 25. … on engraisse un outil. L’idée du passage est : on entretient son matériel; à plus forte raison, le personnel qui travaille dur a droit à une détente. — 28. … avant que le diable n’ait mis ses bottes : expr. figurée signifiant avant le lever du jour. — 34. s’èsclèfer, se déchirer, se détruire. — 35. bôye, bâillement. — 39. Le 8 (septembre) : cfr note du v. 20; louyeû, lieur, celui qui lie les gerbes en javelles.

 

 

Joseph Dufrane (Boskètia)

(p.206)

JOSEPH DUFRANE

(1833-1906)

 

Né à Frameries, mort à Mons après une carrière dans l’industrie qui l’amena à diriger l’un des plus importants charbonnages du bassin de Charleroi.

Joseph Dufrane est considéré comme le fondateur de la littérature dialectale du Borinage. C’est sans doute en se rappelant la tentative isolée de l’Armonac du Borinage in patois borain pou l’année 1849 que Dufrane, installé à Bruxelles et proche de la cinquantaine, eut l’idée de reprendre à son compte cette forme de publication hybride qui mêle, comme en un hochepot, l’anecdote humo­ristique, la fable, la chronique aux allusions facétieuses, la scène populaire dialoguée, etc. De 1880 à 1882, il rédige et publie les trois livraisons de VArmonaque borain qu’il fera reparaître en 1889 et 1890. Entre-temps, de mars 1885 à janvier 1888, un hebdomadaire progressiste libéral, le Tambour-battant, donne à Dufrane l’occasion de prodiguer la verve généreuse, encore que souvent épaisse et facile, de son épicurisme bourgeois et anticlérical. C’est l’époque où il adopte le pseudonyme de Bosquètia (écureuil) qui le rendra célèbre dans le Borinage et, au-delà, dans tous les milieux wallons.

Ayant débuté par quelques adaptations de La Fontaine, Dufrane étendit peu à peu son clavier à tous les genres, depuis le monologue et le sonnet jusqu’au théâtre en vers et en prose pour lequel il écrivit une quinzaine de pièces (la première, El cron sôdâr, remonte à 1890), y compris des traductions du Cocu imaginaire, du Médecin malgré lui et du Misanthrope.

Ses Essais de littérature boraine, imprimés à Frameries en 1886 ne compre­naient qu’une poignée de fables et de chansons, où l’on distingue cependant l’amusante et fine satire de l’esprit de clocher que nous reproduisons ci-après. Malgré le débit intermittent de sa production, il laissait à sa mort la matière de trois forts volumes qui furent publiés en 1908 par les soins de son fils, Louis Dufrane : dans cette œuvre abondante et prolixe, on trouve, comme il se doit, à boire et à manger…

 

 

68                                                                                              [Frameries]

En’ c’ èst nî co Framerîye

(Air : Le Dieu des bonnes gens)

 

On tît toudè pus ou mwins à s’ vilâje,

qu’on fusse de Cwème, de Djumape ou d’ Quar’gnon.

El cî qu’est v’nu au monde au Pasturâje

4 en’ comprind nî qu’on pwèsse vive à Blaton

mes pou trouver dès patriyotes in l’âme

qui n’ se plêtent foke à Tombe de leû clokî,

fût-ce in n-ouvrî, in monsieû, ine madame,

8  faut d-aler à Fram’rîye.

 

Dju racontoû mes vwayâjes in-n-Alemagne,

l’iviér passé à in vré Framizou, dju li disoû

qu’ dj’avoû steu in-n-Espagne,

12 au diâbe in Chine, in-n-Afrique, au Pérou.

« Qués biaus payés ! », diswa-je, « quées bèlès viles !

Pou vîr tout ça, on-n-a pô d’ ses deûs-yîs.

—  En’ m’agnez nî », dist-è, « lèyèz-m’ tranquile,

16 en’ c’est nî co Fram’rîye !

 

– Pusquè vos stez rassotè d’ vo vilâje »,

dis-je au gayard qui m’ dèstrivoût ainsè,

« si vos volez, nos f’rons in p’tèt vwayâje

20 pou vos fé vîr que dju n’é nî mintè.

 

CE N’EST PAS ENCORE FRAMERIES. — Le vers-refrain qui a donné son titre à oette chanson, dont la popularité a dépassé le Borinage, fut inspiré à l’auteur par la réflexion que lui fit un jour une habitante de son village natal, laquelle avait demandé à Dufrane s’il se plaisait bien à Bruxelles où il était allé vivre. Sur sa réponse affirmative, la brave femme s’exclama : « Signeûr ! Mes n’ c’est nî co Fram’riye pou ça, hein ! » (éd. citée, p. 71, note).

  1. On tient toujours plus ou moins à son village. — 2. qu’on soit; Frameries emploie indifféremment les formes seûsse et fusse, à la 3e pers. sing. du verbe être, suivant une tendance généralisée en Hainaut (cfr ALW, 2, cartes 121 et 122). Les localités citées à ce vers et aux deux suivants : Cuesmes, Jemappes, Quaregnon, Pâturages et Blaton appar­tiennent à la région boraine (entre Mons et la frontière française). — 6. qui ne se plaisent qu’à …; sur foke, cfr la note 20-21 du texte n° 34. — 7-8. Dans l’usage actuel, les deux derniers vers de chaque strophe sont repris en chœur; suivant l’édition de 1908, ces couplets ne se chantent plus sur l’air de la chanson de Béranger.
  2. Framizou, parfois Framrizou, habitant de Frameries. — 15. agnîy, mordre; ici dans le sens de ennuyer. —

 

(p.208)

— Què swat’ », dist-è in n-avant l’ êr dè rîre,

« partons tout d’ swite, mès pourtant dju n’ doute nî

qu’après tout djeuy, d’ pouré pus qu’ djamins dîre :

24 èn’ c’èst nî co Fram’rîye ! ».

 

Nos v’là partès, nos passons pa Brussèle,

No visitons tous lès biaus monumints,

nos rincontrons dès monsieûs, dès mam’zèles

28 ab’îyes in swa, in v’loûr èt in satin.

Dju li fês vîr lès galerîyes Saint-Hubert.

Arivant là, i dèt : « Wè, ça m’ plêt bî;

c’èst l’ prumiére ruwe que d’ vwa couvrîe in vêre,

32 mès n’ c’est nî co Fram’rîye ! ».

 

Nos-avons vu l’ pètèt bonome qui piche,

l’Hôtèl-dè-vile èyèt l’ Palais dou rwa,

dès grandes postures qui n’ont ni cotes ni k’miches,

36 dès lêtès gueules èt dès djolès minwas.

Nos-avons bu dou faro, dou lambic,

vint sortes dè bières à fé pèter lès-yîs…

El Framizou criyoût : « Dj’é ine bone chique,

40 mes n’ c’est nî co Fram’rîye ! ».

 

Infin, au nût’, au gardin zorlogique,

dj’é bî pinsè qui s’ d-aloût amuser,

in n-intindant lès Guides fé dè l’ musique,

44 in n-ascoutant lès Brussèlwas canter.

 

  1. … qui me contredisait ainsi. — 23. qu’après tout jeu, (c.-à-d. tout bien compté), je pourrai plus que jamais dire.
  2. habillées en soie… — 29. Les Galeries Saint-Hubert, près de la Grand-place de Bruxelles, étaient alors le premier passage couvert (cfr v. 31).
  3. Le petit bonhomme qui pisse est la statuette du célèbre Manneken-Pis’. — 35. posture au sens belge de statuette employé ici pour désigner certaines statues de la capitale; k(e)miche, chemise. — 37. faro, bière bruxelloise, de même que la gueuze lambic : celle-ci, célèbre entre toutes, est une bière brune piquante et forte. — 39. chique (fam.), ivresse, cuite.
  4. … au jardin zoologique. Par cette expression, impropre ici, l’auteur désigne le Parc de Bruxelles où la musique du régiment des Guides donnait, certains soirs d’été, des concerts en plein air (cfr v. 43). L’invention du jardin où il y a « beaucoup de bêtes « explique la plaisanterie du v. 47. —

 

(p.209)

« Au seur », dist-è, « ça, c’est dès crânes fiètes

èt qu’i n’a nî ine fiane à leû r’prochî; in ç’ gardin-cè,

 i l-a branmint dès biètes,

48  mès n’ c’est nî co Fram’rîye ! ».

 

In wîdant d’ là, pou ach’ver no swarée,

dju li propose in p’tèt tour de boul’vard,

 i fisoût biau, èl temps et à 1′ djèlée,

52    i n’avoût nî ine papiète de brouyârd.

Via qu’ tout d’in comp nos viyons sans luné

tes l’èstwale à queuye pus longue qu’in djoû sans m’gnî.

« Bah ! », dist-è l’ losse, « pou vîr dès bêles comètes,

56                 i faut v’ni à Fram’rîye ! ».

 

Pus tard, i m’ dèt : « Que d’ vouroû yèsse aronde

pou m’in râler sans-atinde èl convwa.

On a biau dire : n’a qu’in Fram’rîye au monde !

60    Pus’ qu’on vwayâje, pus’ qu’on s’in d-apèrçwat.

D’man au matin, tout à F piqueté dou djoû,

à l’èstacyon, dju saré tout prumîy.

Tout quanque dj’é vu à Brussèle, dju m’in fous :

64                 en’ c’est nî co Fram’rîye ! ».

 

A l’ prumiére eûre, come pou d-aler in taye,

il avoût d’djà infuté ses deûs botes.

Nos perdons l’ trin … par maleur, i déraye :

68   v’là m’ compagnon skwaté come ine figote !

 

  1. fiane, la plus petite chose.
  2. widî, sortir (litt* : vider). — 51. et, 3e pers. sing. de l’imparfait de yèsse, être. — 52. papiète, miette. — 55. Bah !, dit-il le gaillard…
  3. aronde, hirondelle. — 58. le « convoi > désignait alors le train. — 59. biau (byô) est ici la forme commune à l’éd. originale (1886) et à l’éd. ne varietur (1908). Cependant, cette dernière (vv. 13, 26, etc.) donne bia, forme de l’ouest-wallon, alors que l’ori­ginale a la forme picarde biau. Frameries se trouvant sur la ligne d’isoglosse qui sépare les traitements -yô/-ya du suff. latin -ellus, nous reprenons partout la leçon originale, conforme d’ailleurs aux données actuelles de l’ALW, 1, v° chapeau et 3, v° beau. — 63. Tout ce que…
  4. d-aler in taye, aller à la taille, c.-à-d. dans la galerie de la mine où l’on abat le charbon (expression boraine). — 67. Nous prenons… — 68. … skwaté, aplati, écrasé; figote, pomme ou poire tapée, fruit desséché. —

 

(p.210) Ine pauvè-z-âme mène èl siène à saint Pierre

et, in passant, li mousse èl Paradis.

« C’est biau », dist-è, « mes n’ vos fêtes nî si fiêre…

72 En’ c’est nî co Fram’rîye ! ».

 

« Œuvres de Joseph Dufrane (Bosquètia) tome 11 Poésies 4° édition (ne varietur) », Frameries, [1908]), pp. 71-73. Edition originale dans Essais de littérature boraine, Fra­meries, 1886, pp. 27-29.

 

  1. Une pauvre âme [du purgatoire] conduit la sienne devant s. P. — 70. … lui montre le paradis.

(p.211) LEON BERNUS

(1834-1881)

 

Issu d’une vieille famille carolorégienne, Léon Bernus quitta Charleroi pour l’étranger après qu’il eut conquis le diplôme de candidat en philosophie et lettres à l’Université libre de Bruxelles. Les cercles d’étudiants auxquels il destinait ses premières adaptations wallonnes de La Fontaine conservèrent un certain temps dans leur répertoire Lès bièsses malades du colora-morbus (Les animaux malades de la peste) qui les avait divertis.

C’est comme représentant des verreries du pays de Charleroi qu’après un séjour en Espagne, Bernus se fixa à Londres où il demeura 18 ans. Après quoi, ayant épousé une riche héritière écossaise, il revint à Bruxelles, ne s’y plut guère et partit pour le Midi; le bon vivant qu’il était y mourut, deux ans plus tard, à Marseille.

L’œuvre dialectale de Bernus tient essentiellement dans la bonne centaine de fables imitées de La Fontaine qu’avec une quinzaine de chansons et de contes versifiés, il rassembla, en 1872, loin du pays natal, en un volume dont la seule prétention était d’offrir un échantillon du parler de Charleroi, ce patois réaliste qui «n’a jamais été écrit», insiste l’auteur comme pour s’excuser…

Le recueil de Bernus ne resta pas sans lendemain, puisque deux éditions en furent publiées après sa mort, en 1900 et en 1923. Ce succès était mérité par la truculence et l’esprit d’invention du traducteur; mais, outre qu’il délaie trop, ainsi que la plupart de ses émules, il abuse de l’allusion et de la couleur locale.

C’est également à Londres que Bernus écrivit, en 1877, L’ malade saint-Thibaut, adaptation du Malade imaginaire, qui dut attendre jusqu’en 1922 — l’année du 3e centenaire de la naissance de Molière — pour voir les feux de la rampe au Coliséum de Charleroi.

 

69                                                                                               [Charleroi]

 

L’ mort èyèt l’ fieû d’ fagots

 

In vî grand-père rotèt pou li r’gâgnî s’ cayute,

kèrtchî avè in fa (c’èstèt in fieû d’ fagots).

Il èstèt tout ployî, fôce qu’il avèt mô s’ dos.

4 A l’ fin i fout là s’ kètche, i s’èstind d’ssus tout d’ chûte.

Avè s’ tièsse dins sès mwins, tout rindu, tout câssè,

i sondjèt, in brèyant, tout ç’ qu’il avèt passè :

 « Qué plêji ç’ qu’il a yeû dèspû qu’il est su têre ?

8   I travaye come in tchin, il est pôve come in viêr…

Souvint i n’a pont d’ pwin… S’il a bin travayî,

pa in ritchârd sins cœur, i n’ set né yèsse payî.

Èyèt pou 1′ pô qu’i gangne, on li fêt prinde patinte.

12    L’ussier è-st-a ses trousses, s’i n’ set né payî s’ rinte…

Il a parti sôdârd, du tins d’ Napoléyon,

èt, sins savwè pouqwè, il a stî s’ bate bin lon…

On ll’ a pourchû lontins pou 1′ mète dins l’ gârd’-civique :

16    il a stî oblidjî de s’ fé keûde ène tunique.

S’ pôve viye feume mô sogniye èstèt morte dérinn’mint,

èt i n’avèt pont d’ liârds pou payî s’n-intèr’mint;

iun d’ sès garçons, sôdârd, a stî mis aus galéres,

20 pace qu’il avèt d’zarté pou v’ni souladjî s’ pére;

èt l’ôte, maleureûs’mint, l’ôte djoû a stî tuwè,

spotchi come ène figote pau gros martia d’ Couyet !

Que mwéyin d’in vûdî dins in parèy dalâdje ? »

24   I criye rade après l’ môrt pou ièsse dèsbarassi;

més quand i ll’ a ieû vu, il a stî bin sêsi.

« Vos m’apèlèz », dist-èle, « qwè v’lez co a vo-n-âdje?

 

LA MORT ET LE BUCHERON ?)

  1. … marchait pour regagner sa cahute; li (lui) est explétif. — 2. Chargé d’un faix (fagot); fieû, faiseur. — 3. « force que » : tellement il avait mal au dos. — 4. A la fin, il jette là sa charge, il s’étend dessus tout de suite. — 6. brêre, pleurer. — 15. On l’a poursuivi. — 16. keûde, coudre. — 22. Ecrasé comme une pomme séchée par le gros marteau (d’une usine) de Couillet (lez Charleroi). — 23. Quel moyen d’en sortir, dans un pareil embarras ? — 25. rade, vite. — 26. Que voulez-vous encore à votre âge ? — 27. pour me recharger de mon (fagot de) bois. —

 

(1) Ces notes reprennent,  à très peu de choses près, celles de J. Haust qui accompagnaient le texte de Bernus reproduit dans La vie wallonne, t. 2, Liège, 1921, pp. 191-192.

 

(p.213) — C’èstèt pou m’ doner ‘ne mwin pou m’èrkértchî dè m’ bos »,

28 dist-i, in ossant come ène fouye,

èt in l’ wétant dins l’ trau d’ sès-ouys.

« Vos n’ târdrèz toudi pus à m satchî 1′ pia du dos. »

 

Si maleureûs qu’on fuche, on vout toudi d-aler,

32    maugré qu’ tèrtous su têre nos n’èstons qu’ dès mârtîrs;

èyèt, come èl provérbe, on-z-a bin rêsô d’ dîre :

Putôt pèter qu’ crèver.

 

« Les faufes da J. Lafontaine in patoès d’ Charleroèt pa Léon Bernus», Charleroi, 1872, pp. 24-25.

 

  1. osser, trembler. Le liégeois hossî signifie bercer, secouer, osciller, vaciller. — 29. wêti (fr. guetter), regarder. — 30. Vous ne tarderez toujours (= en tout cas) plus à me tirer la peau du dos. Notre traducteur commet ici un contresens. Le texte de La Fontaine : « Tu ne tarderas guère » signifie : Cela ne te causera pas grand retard. — 31. qu’on fuche, qu’on soit; d-aler, aller, ici : continuer (à vivre).

 

Edouard Remouchamps

(p.214)

EDOUARD REMOUCHAMPS

(1836-1900)

 

Une anthologie de la littérature wallonne, même si elle exclut les dramaturges, ne saurait refuser une place à Edouard Remouchamps, li ci qu’a fêt r’flori nosse vî linguèdje, suivant le mot si juste d’Henri Simon.

Né à Liège où il dirigea une entreprise familiale de meunerie, mort à Grivegnée dans sa propriété de Belleflamme, Edouard Remouchamps, bourgeois cultivé, libéral et philanthrope, est venu au wallon, en amateur, par les concours de la Société de littérature wallonne. C’est dans les publications de celle-ci qu’on trouvera l’essentiel de son œuvre, au reste peu abondante : quelques chansons et contes rimes, d’inspiration tantôt moralisatrice, tantôt humoristique et, au théâtre, trois comédies en vers : Li savetî [Le savetier] publié en 1859, Lès amours d’à Djèrå en 1878 et Tåti l’ pèriquî [Gautier le perruquier] en 1886.

Le succès de cette dernière pièce, créée à Liège le 10 octobre 1885, fut prodi­gieux. C’était le Molière du Bourgeois gentilhomme dont le wallon retrouvait la veine à travers la peinture d’un type de tous les temps : le richard imagi­naire. Au comique de caractère se joignait l’observation savoureuse d’un milieu populaire liégeois restitué dans un style frappé au coin du meilleur génie de la langue du terroir.

On a tout dit de Tâtî, de sa valeur qui contribua à la renaissance du théâtre dialectal (lequel marquait le pas depuis André Delchef et Joseph Demoulin), de son influence qui donna son premier souffle au mouvement wallon tout entier. Pour plus de détails sur la destinée de ce chef-d’œuvre, on se reportera à la magistrale édition que la Société de Littérature wallonne en a procuré en 1911.

 

70                                                                                                    [Liège]

[L’envie d’être riche]

 

Dans ce monologue d’exposition, Tåtî, occupé à confectionner une perruque, se laisse aller à sa rêverie favorite : parvenir à la richesse afin de vivre en oisif.

 

Ni sèrè-dje jamåy ritche èt, mågré mi èhowe,            Vv. 1-16

divrè-djdju, tote mi vèye, sètchî li diåle po 1′ cowe ?

A ! dj’årè bê bårbî, fé pèriques èt cignons,

dji d’meûr’rè-t-è minme pont, alez, come l’Acincion !

 

  1. èhowe (litt* : issue) ne s’emploie qu’au figuré : énergie, activité déployée pour sortir d’embarras (note de J. Haust dans l’éd. citée). — 2. divrè-djdju : cette forme, plus expres­sive que divrè-dje, * devrai-je », répond au fr. « devrai-je donc »’, « tirer le diable par la queue », vivre dans la gêne (idem). — 3. bårbî, v. trans., raser, faire la barbe; pèrique, cignon, empruntés du fr. perruque, chignon (idem). — 4. La fête de l’Ascension tombe toujours le jeudi, 40e jour après Pâques (idem). —

 

 

(p.215)

5 dji m’tûze quéqu’fèye tôt mwért, dji qwîr, dji m’ casse li tièsse

po trover on mwèyin d’ariver à 1′ ritchèsse.

Por mi, cou qu’est bin sûr, c’èst qui ci n’ sèrè nin

tot-z-ovrant qu’on sâreût s’ sètchî 1′ tièsse foû dès strins.

De tins de vî bon Diu, ça s’ fève mutwèt… Asteûre,

10   i fat, po parvini, bin dès-ôtès piceûres !

Ossu, dj’a mes p’tits plans et, s’ volît rèyûssi,

i n’âreût, d’zos 1′ solo, nin on pus-ureûs qu’ mi.

Dji veû quéqu’fèye dès cis qui sont ritches… èt pice-crosse,

trimer, grèter, spâgnî tant qu’i moussèsse è 1′ fosse.

15    On done sovint dès djèyes à quî n’ lès sét crohî;

mins mi, si dj’ènn’ aveû, alez, lès hågnes rôlerît !

 

« Tåtî l’ perriquî, comédie-vaudeville es treus akes », acte I, se. 1, Bull, Soc. de Litt. watt., XXII, (1886), pp. 381. — On reproduit le texte de la 5″ édition établi et commenté par J. Haust dans la coll. « Nos Dialectes », n° 2, Liège, 1934, p. 13.

 

71

[Une visite intéressée]

 

Un neveu de Tåtî, l’égoutier Nonård, s’empresse de venir congratuler son oncle en apprenant que celui-ci a gagné le lot de 100.000 francs à la loterie de Bruxelles.

 

Tåtî, Nonård

 

Nonârd (tot v’nant prinde Tåtî po l’ min)

Bondjou, savez, mon.nonke ! Proféciyat’, savez !      Vv. 615-648

Dj’a corou tote li vôye po v’ni v’ compluminter.

 

  1. si tûser tot mwért (litt. : se réfléchir tout mort), se tuer à force d’y réfléchir (idem); qwèri (litt’.: quérir), chercher. — 8. en travaillant qu’on pourrait (litt. : saurait) se sortir du pétrin (litt. : se tirer la tête hors de la paille). — 9. Au bon vieux temps (litt. : au temps du vieux bon Dieu), cela se faisait peut-être. — 10. piceûre, moyen d’attraper (de « pincer ») quelque chose, façon de s’y prendre. — 12. il n’y aurait… — 13. pice-crosse (litt. : pince-croûte), avare, grippe-sou. —• 14. … économiser jusqu’à ce qu’ils pénètrent dans la tombe. — 15-16. On donne souvent des noix à qui ne peut (plus) les casser; mais moi, si j’en avais, les coquilles rouleraient (trad. de J. Haust).

 

Nonård, forme hypocoristique de Léonard. •— 5. Je vous les souhaite mieux qu’à moi;

 

(p.216)

Qwand c’èst qui dj’a-st-apris qui v’s-avîz lès cint mèyes,

4 dj’a stu si binåhe, de ! Vos n’ v’è f’rîz nole îdèye !

Dji v’ lès keû mîs qu’à mi !

 

Tåtî (a pårt)

Fåt-assoti d’ boûrder !

(haut)

Tin ! èstez-ve raviké ? Dji v’ pinse mwért, ètèré;

dji v’s-a fêt soner ‘ne transe ! N-a treûs ans d’ peûrs dîmegnes

8   qu’on n’ vis-avasse vèyou !

 

Nonård (à pårt)

L’ vî pindård, qu’il est strègne !

(haut)

Si dj’ n’a nin v’nou, monnonke, boutez, dji n’è pou rin :

tos lès canåls dè l’ Vèye, come vos l’ savez, sont plins.

Po r’wangnî l’ tins pièrdou, nos-ovrans so nos fwèces;

12   nos trîmans nut’ èt djoû, télemint qui çoula prèsse !

 

Tâtî

V’ n’avîz qu’à d’morer là ! A-t-on jamåy vèyou !

 

Nonård

Mon.nonke, dj’in.me tant di v’ vèy !

 

Tåtî

Vos-èstez trop marlou !

Aprindez on p’tit pô qui, mi, dji n’ so nin l’ Vèye,

16 po m’ lèyî, d’ tos vos-ôtes, mète dès pouces è l’orèye

èt m’ fé creûre qui lès poyes pounèt so lès bouhons !

Mins dj’a ôte tchwè à v’ dîre…

 

keûre (latin cupere), v. trans., a le sens de : voir avec plaisir qu’un bonheur arrive à quelqu’un (DL, 347). — 6. raviké, ressuscité. — 7. J’ai fait sonner le glas pour vous ! (trait sarcastique qui continue l’idée précédente). D y a trois ans de purs dimanches, c.-à-d. composés uniquement de dimanches; comp. une hyperbole analogue dans le fr. « il y a des siècles » (note de J. Haust dans l’éd. citée). — 8. strègne, revêche, grincheux. — 10. Tous les égouts de la Ville… Nonård est un peu plus loin qualifié par Tåtî de nètieû d’ canåls, ouvrier occupé à l’entretien des égouts. — 11. Pour regagner le temps perdu, nous prenons (litt* : travaillons) sur nos forces. — 14. trop fin marlou, trop fin matois. — 15. mettre des puces dans l’oreille, c’est conter des fariboles à qqn, pour le circonvenir, lui en faire accroire. — 17. … croire que les poules pondent sur les buissons; l’équivalent fr. est : prendre des vessies pour des lanternes. —

 

(p.217)

Nonård (tot riyant)

Si c’è-st-ine saqwè d’ bon…

 

Tåtî

Dji v’ vou dîre qu’à målvå vos v’nez dire vos fåst’rèyes :

20    dji m’ va marier.

 

Nonård (èwaré)

Marier?… Vos f’rîz cråne bièstrèye;

prinde ine feume ! à voste adje !… Vos badinez, èdon ?

Pa ! c’è-st-ine foye di route, çoula, po Robièmont !

 

Tåtî

Qu’èst-ce qui ça fêt si dj’ moûr ? Alez, sèyîz tranquile :

24   po ramasser çou qu’ dj’a, dj’årè ‘ne pitite famile.

 

Nonård

N’ fez nin çoula !

 

Tåtî

Dji v’s-ô, avou vos gros sabots !

Qwand on oûveûre po 1′ Vèye, on d’vint trop fin matchot.

Ralez d’vins vos canåls djouwer ås rèspounètes !

28   Alez, Nonård, dj’in.me mîs vos talons qu’ vos bètchètes !

 

Nonård

Vos-avez twért, monnonke, di m’årgouwer insi !

Divins tot l’ parintèdje, nin onk ni v’s-in.me come mi.

V’s-èstez målêdûle oûy, dji r’vinrè-t-ine ôte fèye,

èt vos m’ riçûrez mîs… Å r’vèy, mon.nonke !

 

Tåtî

Å r’vèy.

 

  1. à målvå, mal à propos. —
  2. … une feuille de route pour Robermont, c.-à-d. pour l’un des deux cimetières de Liège. — 24. … j’aurai une petite famille; il faut comprendre : je ne manquerai pas d’héritiers pour se partager ma fortune. — 26. matchot désigne propr* le traquet, oiseau extrêmement habile à dépister ceux qui cherchent son nid; au fig., on fin matchot : un fin merle (note de J. Haust, ibid.). — 27. Retournez dans vos égouts jouer à cache-cache. — 28. … j’aime mieux vos talons que vos bouts, c.-à-d. vous voir partir plutôt qu’arriver. — 29. årgouwer, apostropher, gourmander. — 31. målêdûle, mal disposé. —

 

(p.218)

Nonård (tot ratoûrnant)

Mon.nonke ! comne vo-v’-là ritche, loukîz de n’ nin m’ roûvî.

 

Tåtî

Si dji trouve ine cahote, dji v’s-êvôyerè l’ papî !

 

 

Ibid., acte II, se. 5, pp. 430-432. — Même édition, pp. 57-59.

 

  1. cahote, cornet de papier pour y mettre du bonbon, du tabac, etc., et aussi, comme ici, rouleau d’argent (enveloppé de papier). Ce dicton signifie : « Vous n’aurez rien » (note de J. Haust, ibid.).

(p.219)

DIEUDONNE SALME

(1836-1911)

 

Né à Glain, à la limite de Liège, c’est dans cette ville que Salme exerça le métier d’armurier avant d’occuper, sur le tard, un emploi d’expédition­naire aux Hospices civils.

Ses premières œuvres, diffusées en feuilles volantes, remontent à 1858-1859 : chansons et monologues entrecoupés de couplets qui exploitent une veine tour à tour sentimentale, comique ou gauloise. Réfractaire aux règles et conven­tions d’une production dialectale patronnée par la Société de Littérature wallonne (dont à l’occasion il sera le lauréat), Salme est, en 1872, l’un des fondateurs — et le premier président — du « Caveau liégeois ». Avec ce cercle, qui recrute ses adhérents parmi les écrivains de condition modeste, se vulgarise le type de l’« auteur wallon » que les sociétés littéraires et les gazettes patoisantes, nées peu après, vont répandre à des centaines d’exem­plaires.

L’œuvre de Salme est abondante, disparate et fort inégale, surtout par la qualité du style, souvent relâché, et de la langue, qui mêle à de robustes archaïsmes des gallicismes et des créations douteuses. Au théâtre, on lui doit de nombreuses comédies-vaudevilles, dont aucune n’est restée au répertoire. Sa poésie aborde des genres divers, ainsi que le montre son principal recueil, Tonîres èt blouwèts (Coquelicots et bluets) en 1878. C’est comme prosateur que Salme a le mieux réussi. Il est l’auteur du premier roman en wallon, Li houlot (Le cadet) en 1888, suivi de Pitchète (Petiote) en 1890. En dépit de sa technique maladroite et de son esprit moralisateur à substrat pater­naliste, Li houlot reste le document haut en couleur qui évoque la vie grouillante du quartier le plus excentrique de Liège avant sa modernisation.

 

72                                                                                                    [Liège]

 

Lès marionètes èmon Con’tî

 

Tot qwitant Rôlêwe èt passant po li P’tite Bètch, nos arivans-t-à l’ Pwète Grum’zèl. Là, so 1′ soû d’ine pitite mohone, in-ome è peûr

 

LES MARIONNETTES CHEZ CONTI. — Dans le chapitre VI du Houlo, Salme raconte comment a pris naissance, au quartier d’Outre-Meuse, le théâtre liégeois des marionnettes. Son implantation rapide dans ce milieu populaire et le succès qu’il rencontra parmi les amateurs de folklore firent oublier ses origines que certains imaginèrent beaucoup plus lointaines que le milieu du xix” siècle où les situait le témoignage de Salme. La valeur de celui-ci ressort de l’examen auquel l’a soumis M. piron, L’origine italienne du théâtre liégeois des marionnettes dans les Mélanges Elisée Legros (E.M.V.W., XII, pp. 327 ss.).

 

1-2. La porte Grumsel, aujourd’hui disparue, a laissé son nom à une rue perpendiculaire à

la rue Petite-Bêche (bètch = bec), voisine elle-même de la rue Rouleau; è peur lès brès’, en manches de chemise. — 3. on k’bouyî tabeûr, un tambour bosselé.

 

(p.220)

lès brès’ bat’ li rôl’mint so on k’bouyî tabeûr : c’est èmon Con’tî,

4    ås marionètes.

Divant di nos-î aler fé ‘ne pinte di bon song’, dihans d’abord kimint cist-amûs’mint de 1′ crapôt’rèye a k’mincî à Lîdje. Li père da Djîles, qui tôt Djus-d’là-Moûse kinoh, fa li k’nohance de houle Talbot,

8 on Françès qu’aveût pris s’ djîse dispôy lontins à Lîdje. I toumît d’acwérd èssonle po èmantchî on tèyâte di marionètes; mins, corne divins tote handèle i s’ trouve à 1′ vole dès cis qu’ont l’avizance d’ènnè fé ot’tant, on vèya câsî è minme moumint, Marchand, è

12 li P’tite Bètch, et Paily, so F pièce d’Otêye, droviér ine baraque parèye.

So li k’minc’mint, c’èsteût è 1′ pièce wice qu’on t’néve manèdje qu’on djowéve. Quéques horons à qwate pîds fêts fou d’ dès bwès

16 d’ fahènes qu’on r’mètéve onk so l’ôte à long de djoû po s’è d’haler, èstît lès bancs dès prumîres, qu’on payîve deûs çans’ et d’mèy. Drî cès-cial, i gn-aveût ‘ne pîce po s’aspoyî d’ssus : là, on d’manéve tôt dreût et on n’ dinéve qu’ine çans’. Adon, so 1′ fasse grignî,

20 qu’on nouméve li câvâ, on î aiéve po ‘ne çans’ et d’mèy; c’est là qu’on fève li pus d’ disdut, tôt parèy qu’à partére à Tèyâte, sâf qu’âd’dizeûr de brêre et de tchawer, lès forsôlés de câvâ si trouvant d’zeû lès-ôtes, hinît so cès-cial, po lès crèveûres de mâva plantchî,

24 tôt cou qui n’ lèzî dûhéve pus. I-gn-aveût co ‘ne pièce qu’on payîve corne lès prumîres : c’èsteût so F lét, wice qui dès carpes, dès vrèy diâles rènants, fît dès coupèrous et co traze los’trèyes — mins lès pouces à leû tour lèzî fît payî coula tôt lès k’magnant.

 

  1. crapôt’rèye (dér. de crapô, petit garçon), marmaille. Djîles [Con’ti] est en réalité Gilles Henné (1826-1896) qui, selon toute vraisemblance, a continué, vers 1860, le théâtre de marionnettes auquel le figuriste italien Alexandre Conti (Castelvecchio, en Toscane, 1830 -Liège, 1903) avait donné son nom peu après son arrivée à Liège en 1854. — 7. houle, boiteux. — 9-10. … mais, comme dans toute entreprise, il se trouve sur-le-champ des gens qui s’avisent d’en faire autant. — 12. droviér, ouvrir.

15-17. Quelques planches épaisses, montées sur quatre pieds tirés de fagots [et] qu’on remisait l’une sur l’autre pendant le jour pour s’en débarrasser, formaient (litt* : étaient) les sièges des « premières », qu’on payait deux sous et demi. — 18. … une rampe (litt1 : perche) servant d’accoudoir. — 19. fasse grignî, faux grenier; câvâ, « caisson intérieur (dans cer­taines maisons) sous lequel passe l’escalier de cave, dont l’entrée est à l’extérieur » (DL, 140, fig. 184-186). — 21. disdut, bruit, chahut. — 22. forsôlé (litt’ : soûlé à l’excès) ici au sens de: tapageur, forcené. •— 23-24. … jetaient sur ceux-ci, à travers les fentes du plancher usé, tout ce qui ne leur convenait plus (= dont ils voulaient se débarrasser). — 25-26. … où des garnements, remuants comme de vrais diables, faisaient des culbutes et toutes sortes de (litt* : et encore treize) niches. —• 27. pouce, puce.

 

(p.221)

28 Marèye-Bâre Con’tî, à F gueûye di l’ouh, avou s’ botique di peûres et d’ pomes, di tièsse prèssêye et d’ poumon qu’èle vindéve à ‘ne çans’ li trintche, lèvéve lès-intrêyes. Lès marionètes, è ç’ tins-là, n’èstît qu’ dès bokèts d’ bwès ma

32 d’grohis et afûlés d’ clicotes; on vèyéve djusqu’âs cwèrdales qui lès fît roter. Pô tôt louminêre, i n’aveût qu’ dès tchandèles di sèw, à deûs po on patârd, plantêyes divins dès p’tits tchand’lés di stin; mins corne lès p’tits capons djètît après — cou qui fève quéque

36 fèye djurer Charlèmagne corne on pwèrteû-âs-sètch —, on meta è leû pièce dès lamponètes di fier-blanc à 1′ crasse Ole avou dès plats lignoûs qui fournît corne dès tch’minêyes. Mins, corne dji l’a dit torade, Con’tî aveût deûs rivais, et po wârder ses candes, i

40 fourut bin fwèrci d’î fé dès candj’mints qu’ont tourné à si-avantèdje, pusqu’il î fève plin à make chaque fèye.

On-z-î djoweve Li D’zerteûr, Geneviève di Brêbant, Le traité Non Djwin (Don Juan), Ourson-z-èt Valentin, Lès qwate Fis Rêmond

44 (Aymon) à cavaye so li dj’vâ Bayârd qu’aveût ‘ne sicrène ossi longue et dès pâtes ossi coûtes qu’ine robète. Qu’on n’ s’èwâre nin d’oyî dès fâtes di francès corne « la vivre lumière », « les grands z-héros », etc. On ‘nn’î dit co dès-ôtes, et

48 li spot a bin rêzon tôt d’hant qu’ine once di boneûr vât mî qu’ine lîve di syince, ça, avou lès bwègnes mèssèdjes à fé dwèrmi tôt dreût qu’i d’bitéve, i s’ ramassa on bê patârd. A 1′ mwért di s’ père, Djîle riprinda 1′ hâbiêr, et dji deûs dire qu’i

52   d’va fé dès messes tours di fwèce po parvini à pont qu’il èst-arivé.

 

28-30. Marie-Barbe Conti, à l’entrée (litt. : à la gueule de l’huis), avec sa boutique (= son éventaire) de poires et de pommes, de fromage de cochon et de [viande de] poumon qu’elle vendait à deux centimes la tranche, percevait les entrées. Il s’agit de l’épouse du joueur Gilles Henné, née Marie-Barbe Crespin (M. Piron, loc. cit. p. 339).

31-33. … des morceaux de bois mal dégrossis et affublés de loques; on voyait jusqu’aux cordons qui les faisaient marcher; sèw, suif. — 34. « patârd », ancien sou liégeois; … dans de petits chandeliers d’étain. — 35. capon, garnement, rossard. — 36. Charlè­magne est le héros principal du répertoire qui, à Liège, est tiré, pour une grande part, des anciens romans de chevalerie; pwèrteû-âs-sètch, portefaix. — 37-38. (lamperons) à l’huile grasse avec des mèches plates qui fumaient comme des cheminées. •— 39. cande, chaland, client. •— 41. plin à make, ici : salle comble.

  1. sicrène, échine. — 45. robète, lapin.
  2. spot, proverbe. — 48-50. … car, avec les sornettes (litt* : les borgnes messages) à dormir debout qu’il débitait, [Conti] se fit un joli magot.
  3. A la mort de son père, Gilles reprit l’exploitation… La réalité est un peu différente puisque Gilles Henné, dit Djile Con’tî, ne succéda pas à son père mais reprit le premier théâtre, passablement rudimentaire, d’Alexandre Conti parti se fixer, dès avant 1861, dans un autre quartier, sur la rive gauche de la Meuse; Salme recueille sans doute ici une tradition locale sur la « disparition » de Conti I. —

 

(p.221) Ë 1′ plèce dès-ècurêyès lamponètes, i meta on gros kinkèt à dobe bètch, avou deûs rabat-djoû qui ridèt so ‘ne tîdje di fier. Qwand i deût fé clér so 1’ sinne, i lîve li ci di d’vant et fêt d’hinde li ci di drî,

56 adon 1′ public est d’vins li spèheûr; po 1′ contrâve, i r’monte li ci di drî et lêt r’toumer li ci di d’vant.

Lès marionètes, zèles, sont dès vrêyes mécaniques, rimouwant brès’ et djambes, hossant leû tièsse; lès visèdjes ravizèt ‘ne saqwè et lès

60   mousseûres sont-à Fadvinant.

Divant et après chakeune dès grantès pièces, i done ine riyot’rèye. C’est Pourichinél, qu’a ‘ne croufe è 1′ hanète et l’ôte è bas de vinte, qui vint qwand i fêt mit’ priyî 1′ bondjoû à li k’pagnèye, tôt wèstant

64 s’ tchapê qu’i fait rispiter corne on stô d’on pîd et d’ine main so l’ôte, pwis qu’i r’hène so s’ tièsse ossi adrèt’mint qu’on djoweû d’ tours. C’est Cacafougna, qui fêt div’ni lès-èfants blanc-mwérts-vèssous d’ sogne tot-z-adârant — li lêd stindou ! — fou d’on trô

68 fêt è l’ teûle et tôt tchawant corne on tchèt qu’on foie so s’ pâte. C’est l’ Bon Buveû, qu’arive tôt fant dès-ès’, qui tûtèle à ‘ne botèye plinte djusqu’à l’gueûye et qu’on veut d’cwèli à mèzeûre qu’i lîve li coude, qu’atrape li hikète tél’mint ça lî sonle bon, pwis dès

72 hôss’mints d’ cour, et qui spritche avâ tot l’ monde cou qu’il a pris d’ trop’… adon, pus lèdjîr de cwér, mins co todi F tièsse pèzante, i s’ winne èvôye tôt fant dès madames corne on dragon qu’a pièrdou s’ cowe.

 

 

53-54. Au lieu des petites lampes encrassées, il plaça un gros quinquet à double bec, avec deux abat-jour qui glissent sur une tige de fer. — 59. hossî, balancer, faire mouvoir; les visages ressemblent quelque chose (= les figures [des pantins] ont une expression) et les habits sont à l’avenant (= sont appropriés).

  1. riyot’rèye, plaisanterie, ici au sens de petite pièce comique. — 62. C’est Polichinelle qui a une bosse dans le cou et l’autre au bas du ventre. — 63-65. … en ôtant son chapeau qu’il fait rebondir comme une balle à jouer (stô) d’un pied et d’une main sur l’autre. — 65. il rejette sur sa tête…; Cacafougna, nom d’un petit diablotin à ressort que l’on faisait sortir d’une boîte (DL, fig. 161). — 66-67. bîanc-mwérts-vèssous d’ sogne, tout blêmes de peur (expression intraduisible littéralement par suite de la redondance de blanc-mwért di sogne et de vèssou, transi de frayeur); adorer, bondir, s’élancer; stindou, litt* : étendu, par allusion au déploiement de Cacafougna; lêd stindou, grand vilain escogriffe; tchawer, pousser des cris aigus. — 69. fé dès es’, faire des s, tituber; tût’ler, boire au goulot, lamper. — 70. d(i)cwèli, décliner, diminuer. — 71. hikète, hoquet. — 72. spritchî, jaillir (en parlant d’un liquide), ici: rendre gorge. — 74-75. … il s’éclipse en se balançant en zigzag (litt* : en faisant des « madames ») comme un cerf-volant amputé de sa queue.

 

(p.223)

76 Mins si tchîf-d’oûve fourut 1′ Passion : i n’aveût rin mèskèyou po 1′ riprésinter sorlon Pévandjîle.

Atincyon ! Ça va k’mincî. Li grand Tône, on plankèt d’à Djîle, vint s’ mète so 1′ costé de tèyâte avou ‘ne longue wèzîre qui siève

80   pus vite po fèri onk ou l’ôte qu’à-z-ac’sègnî lès tâvlês. Tône, èspliquant : « Coopération des Jouifs ». R’ran, plan, plan, plan, plan, ine ârmêye di cûrassiers à pîd et ‘ne hiède di djins qui n’ont noie fiyate as paroles de Nazaréyin arivèt

84 à flouhe di tos costés, tant qui 1′ tèyâte ridohe. Adon, on messe qu’on ric’noh à s’ mante bwèrdé d’ moumouche, prind 1′ parole : « Soldats, et vous peupe du vrai Diu d’Esraël, je vous fais savoir qu’un vilain posteur (vil imposteur) qu’est né dans une étape et

88 qui fait des soi-disants mirakes en chassant les démons hors des corps des ceusses qui n’en ont point, se dit le fils du Très-Haut et, dé plus, le roi des Jouifs; souffrirez-vous qu’un forgeur de men­songes qui prétend que les biens des riches appartiennent z’aux

92 pauvres, vienne z’urper les droits de César, notre seigneur et maître ? »

Totes lès marionètes fèt on mouv’mint di gauche à dreûte po dire : nèni.

96    « Donc, i faut qu’il meure ! »

Totes lès marionètes, sètchèyes po 1′ tièsse, ritoumèt treûs qwate fèyes d’ine pèce so leûs pîds po dire : awè.

 

  1. La Passion, jouée d’après la bible des écoles, a été avec la Naissance (ou Nativité de Jésus), l’une des deux pièces religieuses du répertoire des marionnettes liégoises; mèskeûre, refuser ou accorder chichement. Le sens ici est : il ne s’était pas montré regardant pour la (la Passion) représenter selon l’évangile (c.-à-d. le plus fidèlement possible).
  2. Le grand Toine, un compagnon de Gilles : c’est vraisemblablement son frère cadet, Antoine Henné (Heyne), tisserand domicilié en Petite-Bêche (M. Piron, loc. cit., p. 339); il assiste le joueur en annonçant les scènes et fait la police de la salle avec sa longue wèzire ou baguette d’osier. — 80. fèri (arch.), frapper; tàv’lês, tableaux, ici : les différentes scènes de la pièce.
  3. … au point que le [plateau du] théâtre regorge de monde; on messe, un notable (il s’agit d’un Pharisien ou d’un Prince des prêtres) dont le manteau est bordé de moumouche, (= de fourrure).
  4. A partir d’ici, et conformément à l’usage, le joueur fait discourir ses personnages en français, un français macaronique dont Salme s’est plu à noter les bizarreries; le wallon n’intervient qu’en dehors de la représentation.
  5. sètchèyes po l’ tièsse : il s’agit du fil d’archal fixé au sommet du crâne de la marionnette pour la manœuvrer en surplomb.

 

(p.224)

« Seublement, i faudrait se saisir adroitement de cet homme et cela 100 z’avant les fêtes de la Pâque, de crante qu’i n’ se faisse un grand

tumule dans le peupe. »

Minme djeû po-z-aprover.

Rrrran ! li tabeûr bâte li rôl’mint, peûpe et sôdârds si tapèt à lâdje 104 po fé pièce à on rossé pindârd qui va dlé 1′ ci qu’a parlé, tôt d’hant :

« Que voulez-vous me donner et je vous 1′ livrera ?

—  Trente deniers », dèrit 1′ messe.

« Tapez-la », rèspond Djudas, ça c’èsteût lu.

108 Rrrran, plan plan, plan plan, plan plan, sôdârds et bordjeûs difilèt et 1′ teûle tome.

Tône : « Jésus avec ses discipes. »

Jézus, avou ‘ne vwès plinte di lê-m’è-pâye, dit à sès-apôtes :

112    «En vérité, en vérité, je vous le dis, le fils de l’Homme sera trahi par un de ses proches, il sera livré, lié z’et garotté, au prince des prêtes et l’heure de sacrifice sonnera bientôt. » Lès-apôtes si k’tapant co pés qui 1′ diâle divins on bèneûtî :

116    «Serait-ce moi, Seigneur, serait-ce moi, Seigneur?

—  Je vous dis, en vérité, que l’un de vous me trahira. »

I rèpètèt co traze fèyes li minme mèssèdje et 1′ teûle tome.

Tône : « La Sainte Cène. »

120 Ine grande tâve di couhène; Jézus à mitan et sîh apôtes à chaque costé, is-ont turtos 1′ tièsse so 1′ tâve et on pins’reût qu’i fèt leû prandjîre si Tône n’aveût dit qu’i d’hèt 1′ bénédicité; i s’ rilèvèt et Jézus dit, todi so 1′ minme ton :

124 « J’ai z’ardemment désiré de manger cette pâque avesque vous, car ma fin approche et je sera bientôt z’assis à la droite de Dieu, mon père, dans le plus haut des cieux; mais à seule fin que ce qui est écrit se complisse, l’un de vous autes me trahira et c’est

128    celui-là qui mettra t’avec moi la main z’au plat. »

 

  1. tabeûr, tambour; … peuple et soldats entrouvrent leurs rangs (litt1 : se jettent au large).
  2. bèneûtî, bénitier.

121-122. fé s’ prandjîre, faire sa sieste.

 

(p.225)

Qwèqu’in-ome prév’nou ‘nnè vâsse deûs, èsteût-ce po haper n’ mohe trop’ afrontêye? Eco ‘nn’èstit qui Djudas î hèra ses deûts… à minme moumint, on tourchon d’ pome arive d’à 1′ pîce corne ine

132 baie fou d’on fizik, l’atrape à stoumac’ et 1′ bouhe lès qwate fotenes è l’êr, de minme qui sint Tournas qui n’ pout creûre à ‘ne si-fête calin’rèye; adon, Djudas s’ ridrèsse et corne lès-apôtes kinohèt tos les djârgons, i dit è plat wallon :

136    « Si gn-a co onk qui hène, dji lî fê bouler s’ g… djêve as qwate costés. »

Li Cinne finihe divins on disdut d’infér, ça F grand Tône a r’pris F parti d’à Djudas tôt flahant so deûs-ou treûs avou s’ wèzîre.

140   On s’ tint ‘ne gote pus pàhule.

Tône : « Jésus dans le Jardin des Olives. »

Jézus arive londjin’mint avou sint Pire, sint Djâke et sint Dj’han

et l’zî dit :

144    « Restez t’ici et veillez pendant que j’ira prier, car celui qui doit

me trahir n’est pas loin de céans. »

Sint Pire, qui rèspond por lu et po Fs-ôtes :

« Maîte, comptez sur nous.

148   — Mes chers discipes, je sera cette nuit un sujet de scan’dale

pour vous. »

Sint Pire, tôt pété :

« Quand vous seriez un sujet de scan’dale pour tous les autes,

152 vous ne F serez pas pour moi.

— En vérité, en vérité, je vous le dis, avant que le coq chante

vous m’aurez renié trois fois. »

Sint Pire ni motihe pus, mes on veut bin qu’i n’est nin contint.

156 Li mit’ tome avou F rabat-djoû, Jézus vout aler priyî, mes Djudas

vint pâte à pâte avou dès sôdârds, i s’aprèpèye di s’ messe qu’i

 

129-130. … était-ce pour attraper une mouche trop hardie? Toujours est-il que Judas y fourra ses doigts (dans le plat). — 131. d’à V pîce, de la perche (qui sert d’accoudoir); … et le flanque les quatre fers en l’air.

  1. djêve est un synon. moins grossier que gueûye, gueule. 150. pète, abattu, abasourdi.
  2. pâte à pâte, à pas de loup. — 158. bâhî à picète, litt* : embrasser « à pincette »; le sens est : embrasser avec effusion; c’èsteût l’ wastat’ (déformation du néerl. wat is dat ?), c’était le signal convenu; kihèrer, bousculer.

 

(p.226)

bâhe  à picète comne on fâs tchin qu’il est, c’èsteût 1′ wastat’, on-z-apogne Jézus; sint Pire vout mète inte-deûs, mes on 1′ kihére

160    et so coula li teûle tome.

Tône : « Jésus devant Caïphe. »

Caïphe dimande qwè et corne à Je/us, qui n’ rèspond nin, màgré

qu’on lî tape totes lès houwêyes.

164    On cûrassier dit à sint Pire qui djowe à 1′ rispounète drî l’s-ôtes :

<( Vous étiez t’avec cet homme, vous ! »

Sint Pire bètch’tant :

« Je… je n’ai pas l’honneur de F connaite. »

168    On bordjeûs qu’a oyou leû d’vise dit:

« I m’ sembe pourtant que f vous a vu dans sa compagnie ! »

Sint Pire foumant d’ colère :

« Ça n’est pas vrai ! »

172   Et so 1′ tins qui Caïphe arinne todi Jézus à 1′ vûde, on treûzinme

dit sins halkiner :

« Je vous a vu, moi. »

Sint Pire tôt fou d’ lu :

176    « Vous en avez contre-m… »

 

Cok cokêcoûk !

Adon vèyant qui s’ messe lî aveût dit vrêye, ènnè va F tièsse

bahowe tôt tchoûlant et tôt s’ dinant dès côps d’ pogn à stoumac’,

180    et Caïphe dit as sôdârds tôt mostrant Jézus :

« Qu’on le mène à Pilate. »

Tône : « Jésus devant Ponce-Pilate, sa flaguellation. » Pilate, assiou d’vins ‘ne tchèyîre di pope, dimande à Jézus :

 

 

  1. houwêye, huée, cri d’injure.
  2. La marionnette qui figure ici un  soldat romain porte l’uniforme d’un  cuirassier; l’anachronisme est normal dans ce genre de spectacle; djouwer à l’ rispounète, jouer à cache-cache, ici : se dissimuler.
  3. bètch’tant, bégayant.
  4. … que Caïphe interpelle toujours Jésus en vain (litt* : à vide). — 173. sins halkiner, sans hésiter.
  5. Pilate, assis dans une chaise de poupée.

 

(p.27)

184 « Êtes-vous le roi des Jouifs ?

—  Vous le dites.

—  Êtes-vous le fils de Dieu ?

—  Vous l’avez dit. »

188    Totes lès marionètes :

« I blasphème, i mérite la mort. »

Adon Pilâte si lîve et pwète à s’ cou li tchèyîre qu’est trop streûte

po s’ fèssârd, cou qui fêt rîre quéques carpes qui 1′ grand Tône 192   mète à F rêzon avou s’ wèzîre.

Pilâte :  « Soldats romains et vous, Jouifs, je dois vous dire que

je n’ vois rien de criminel dans cet homme. »

Lès sôdârds : « II dit qu’il est roi et c’est César qu’est roi. » 196   Li peûpe : « II dit qu’il est le fils de Dieu, c’est un vilain posteur;

à la mort ! »

Tos èssonle, onk sins l’ôte, corne on feu d’ p’ioton di nos bleus :

« Al… alam… à la mort ! »

200   Pilâte : « Je puis, t’a l’occasion des fêtes de Pâques, faire grâce à un assazin, j’envoie donc celui-ci z’en liberté. » Tos d’ine pèce : « Non, non; dilîvrez Barabas et crucifiez Jésus. » Pilâte si fêt apwerter d’ Fêwe divins on p’tit plat d’ bârbî et s’ lève

204   lès mins.

Adon, tos cès-assotis kitrâgnèt Jézus, flahèt d’ssus, lî rètchèt è vizèdje, on lî mète ine corone di spènes et on l’èhètche.

Tône : « Cinq minutes d’entrake pour le sangement de décor. » 208    Li crapôt’rèye profite di ç’ moumint po s’è d’ner à 1′ tchicaye : « Marèye-Bâre, des pomes po ‘ne çans’ ! Marèye-Bâre, ine trintche di rote-tot-seû ! Marèye-Bâre ci, Marèye-Bâre là… » Èle ni set wice diner tièsse; on p’tit câlin, qui sèrè sûr pindou

 

  1. … et emporte à son derrière la chaise trop étroite pour son fessier.
  2. … un sans l’autre (c.-à-d. d’une voix discordante), comme un feu de peloton de nos jeunes recrues.

205-206. Alors, tous ces enragés tirent Jésus en tous sens, le frappent à grands coups, lui crachent au visage, on lui met une couronne d’épines et on l’emmène.

  1. … pour s’en donner aux friandises.

209-210. … une tranche de «marche-tout-seul» (= ?).

 

(p.228)

212    à Sint-Djîle qwand il are l’adje, lî a pôr fêt passer ‘ne bouhe po de P manôye… Si èle saveût qui c’est ! Si èle li t’néve, èle s’assît d’ssus po P sofoquer. Enfin ces cinq’ minutes passèt à brêre, à s’ digueûyî et à s’ kidjèter.

216   Tône, brèyant : «Est-ce tôt? Vout-on s’ têre?»

Vèyant qu’on è-st-on pô pâhûle :

« Le passage de Jésus portant sa croix. »

Li tabeûr djowe corne à l’ètér’mint d’on pompier, rrran, plan, plan 220    plan plan, rrran plan plan, rrran plan plan.

Tône : « Chapeau bas ! »

Loukant d’zeûr et d’zos, ârgouwant : « Chapeau bas ! »

On gamin brêt : « Dj’a mètou m’ calote, mi. »

224    Tône : « Disfê-P. » (Tchôkant s’ tièsse â-d’-divins de tèyâte) : « Ni

fez nin todi v’ni P bon Diu, Djîle, i-gn-a co à P pîce et so P câvâ

dès cis de P race di Dôdô qu’ont leû canote so leû tièsse. »

Rrran, plan, plan plan plan, rrran plan plan.

228    Tône :  « Alez-v’ bodjî vosse canote, halbôssâ, ou dji v’ tripèle

l’amer fou d’ vosse… »

Rrran, plan, plan plan plan. On veut ponde li bètchète de P creûs.

Tône : « Fez r’toûrner P bon Diu, Djîle, i-gn-a onk là-hôt qu’i fat

232    qu’ dji tape à l’ouh… » Pitch ! patch!

Corne on ‘nnè finih’reût mây, on s’ tint keû et Jézus passe pwèrtant

s’ creûs, sûvou di sinte Mad’linne, ine fanfine di ç’ tins-là qui s’a

fêt tchafète po  ratch’ter ses pètchîs,  d’ine ribambèle  di vèyès

236    djônès fèyes, corne lès cisses qui d’hèt P tchap’lèt drî P bardakin,

qui s’ difinèt à tchoûler et d’ quéques sôdârds qui n’ont d’ keûre.

 

211-212. … qui sera sûrement pendu à Saint-Gilles : cfr texte n° 8, v. 37. — 212-213. … lui a de plus fait passer une vieille pièce pour de la monnaie (cfr DL 101, v° bouhe 2).

  1. Regardant par-dessus et par-dessous, d’une voix rude.
  2. … de la race de Dodon (le meurtrier présumé de saint Lambert, fondateur de Liège), c.-à-d. d’une engeance maudite; canote, var. de calote, casquette.
  3. halbôssâ, vaurien. — 228-229. tripler l’amer fou de V panse, piétiner le ventre jusqu’à en faire sortir la vésicule du fiel.

234-235. … une grisette de ce temps-là qui s’est faite bigote pour racheter ses péchés. —

  1. derrière le baldaquin (allusion aux processions de la Fête-Dieu), qui s’épuisent  à pleurer. — 237. n’avu d’ keûre, n’avoir cure.

Jézus dit as fèm’rèyes : « Ne plurez pas, files de Jérusalem ! »

 

(p.229)

240   Pwis djâzant à on sav’tî qui racoumonde dès san’dâles dizos s’ teûtê : « Frère, donne-moi z’à boire, car j’ai soif.

—  Passe ton chemin, je n’ suis pas ton frère et je n’ai pas d’aboire 244   pour toi.

—  Puisque tu es t’aussi méchant, tu marcheras plus de mille ans. » Et à minme moumint Sav’û-qui-rène sètche si pîd fou de strî, tape si manique so F vilwè qu’i qwite et rote sins mây si r’haper, tant

248   qu’on 1′ ritroûve à tos lès-ôtes tâv’lês, trotant todi. Li teûle tome po s’ rilèver so 1′ côp.

Tône : « Jésus tombre pour la première fois. Sainte Véronique. » Jézus s’ hètche, nâhî corne on pôve, arivé è mitan de F sinne, i

252 tome; on nome Simon, qui r’vint d’avu stu foyî, vint l’êdî, Jézus s’ ridrèsse; adon sinte Vérone prind s’ norèt d’ porche, rihoûbe H souweûr qui bagne si visèdje et fêt vèy, tôt s’ ristournant vè F public, si on est oûy parvinou à fé de F photographèye so papî,

256   qu’on n’ deût nin trop’ si vanter, pusqui on ‘nnè fève dèdja di ç’ tins-là so de F sitofe et coula sins-antêr-majique. Jézus tome co ‘ne deûzinme et ‘ne treûzinme fèye, mes corne c’est todi de F minme manîre, nos pass’rans oute.

260   Tône : « Le Calvaire, crucifiement de N. S. J.-C. »

« Chapeau bas ! Ine fèye po totes qu’on n’ mèl fesse pus dire ou

on van’rè po F pê de F rièsse à l’ouh. »

Li teûle si lîve; li tèyâte riprésinte on hôt croupèt d’ djène tére,

264   à prumî plan, à Fhintche min, on cavayîr, avou on rodje mante

  1. teûtê, auvent, échoppe (ici, de savetier).

246-247. « Savetier-qui-erre » (c.-à-d. le Juif errant) retire son pied de la bride [de son sabot], jette sa manique sur l’établi de cordonnier qu’il quitte et marche sans jamais reprendre haleine.

  1. foyî, bêcher. — 253-254. … prend son mouchoir de poche, essuie la sueur qui baigne son visage. La suite est une plaisanterie de l’auteur sur la légende de sainte Véronique. •— 257. sans lanterne magique (allusion à la forme des anciens appareils photographiques).

261-262.  …  ou on valsera par la peau du dos à la porte;  rièsse (ou riyèsse)   —   arête.

  1. croupèt, monticule. — 264. à main gauche, un cavalier… — 266. gâr-civique, « garde-civique *, milice bourgeoise belge, disparue avec la guerre de 1914; hinkèplink, en désordre.

 

(p.230)

èt on grand ploumèt so s’ tièsse, louke difiler, corne li valureûs jènèrâl di nosse gâr-civique, ses sôdàrds qui rotèt hinkèplink. Rrran, plan plan, plan plan, plan plan…

268 Li tabeûr candje di bat’rèye : rrran, plan, plan plan plan, rrran plan plan, rrran plan plan. Jézus arive, todi po 1′ dreûte, drènant d’zos P crake qu’on lî fêt pwèrter et mâquant à tôt côp de tourner tél’mint qu’i s’ trèbouhe. Rôl’mint d’ tabeûr; tôt P monde fêt ‘ne

272   pwèzêye.

Li grand messe sitind s’ brès’, on d’hèdje li creûs djus dès spales d’à Jézus, lès sôdàrds râyèt lès hâres fou di s’ cwér, avou P main d’à Djîle qu’on veut pôr trop fwért, et lès tapèt à P hapâde; li

276 flouhe qui vint di tos costés èspêtche de vèy li restant.

Novê rôl’mint. Tôt d’on côp, so P croupèt qu’è-st-è fond, on sètche treûs creûs à P tankène et on veut Jézus inte lès deûs lâr’neûs; li ci qu’è-st-à s’ dreûte dimeûre pâhûle et a Pêr di s’ ripinti, niés

280 Pote Bôdârd si k’heût corne onk qu’è-st-assiou so dès-ourtèyes. Adon Jézus djâze :

« Mon père, pardonnez-leur, car ils ne safent pas ce qu’ils font ! » I lêt tourner s’ tièsse so s’ dreûte sipale; pwis tôt P rilèvant : « J’ai

284    soif…»

Adon on piyote prûssyin lî stitche, so ‘n-âlon, ine éponge trimpêye

è l’amer di boûf.

A cisse pufkène, i toûne si tièsse di Pote costé tôt d’hant :

288    « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi est-ce que vous m’abandonnez ? » I lêt tourner s’ tièsse so si stoumac’ tôt djèmihant. In-ôte casquî, qui pièrdéve pacyince, lî donc on côp d’ lance dizos P tète. Djîle vout taper on cri corne Jézus a fêt po rinde l’âme,

292   mes sûr’mint qu’il avale si tchique, i s’ècrouke et tosse come on

 

 

269-270. … ployant sous le fardeau. — 271-272. je ‘ne pwèzêye, faire une pause. 274. lès hâres, les vêtements. — 275. à l’hapâde, à la volée.

  1. à V tankène, au moyen d’une sorte de palan (appareil de levage); lâr’neû, larron. — 280. Bôdârd, nom d’un ancien chef de brigands (DL); ourtèye, ortie. 285. Alors un fantassin  prussien  (comp.  note  164);  âlon,  échalas,  longue  perche.  — 285-286. … trempée dans l’amer (= fiel) de bœuf.
  2. pufkène, odeur infecte.
  3. casquî, casqué (il s’agit ici d’une autre marionnette figurant un soldat).
    • … mais sûrement qu’il avale sa chique de tabac, il s’engoue et tousse comme

un vieux renard. —

 

(p.231)

vî r’nâ; mes ossi rûzé qu’ ci-cial, i fêt passer coula à bleu tôt nos-èsblawihant avou dès-aloumîres, qu’i fêt tôt broûlant de 1′ pous-sîre di pîd-d’-leûp et tôt bouhant so ‘ne vèye platène di for 296 po cont’fé lès côps d’ tonîre… Crac, crac, crac, boum ! roudou-doudoudoum; Li teûle tome là-d’ssus et Djîle tosse todi.

Tône : « Rèsurection de Note Sauveur. » 300   Li tèyâte riprésinte li drî de croupèt d’torade qu’est, di ç’ costé-cial,

fwért è klimpe; à pîd, ine espèce di trape à rats siève di sârcô;

qwate sôdârds; deûs d’inte zèls djowèt as dis, so ‘ne plate pire,

lès-êdants qu’is-ont r’sètchîs tôt vindant li djâgô sins costeûre 304   d’à Jézus; lès deûs-ôtes, qu’ont sûr’mint dèdjà 1′ pogn djus, fêt

faction.

Tot-à-n-on côp, lès-ouh’lèts de 1′ trape si tapèt à lâdje, sitârant

ces deûs-cial corne des rinnes et sprâtchant lès deûs-ôtes corne dès 308   foyons.

Adon Jézus monte à Cîr tôt t’nant de 1′ dreûte min ine creûs qui r’sonle à 1′ crosse qui lès gamins fêt riv’ni d’ssus lès gros-verts et lès gorês-mohons; Djîle broûle li restant di s’ poussîre di pîd-

312 d’-leûp, tant qui 1′ sinne est feû-z-èt blâmes, et 1′ grand Tône cake dès mins tôt priyant li k’pagnèye d’ènnè fé ot’tant. Li teûle tome. « Ceci c’est pour avoir l’honneur de r’merci le public; s’il est content z’et santisfait, qu’il veulle bien z’en faire part à ses amis

316   et conances. »

Dji profite de 1′ leçon d’à Djîle po fé 1′ minme ric’mandâcion à mes léheûs !

« Li houlo. Roman historique wallon, scènes de la vie, us et coutumes et transformations du Quartier d’Outre-Meuse », Liège, 1888, pp. 51-65.

 

293-296. … en nous éblouissant avec des éclairs qu’il fait en brûlant de la poudre de lycopode; … platine (= plaque) de four pour imiter les coups de tonnerre.

  1. è klimpe, de biais, de guingois; sârco, tombeau. — 302-304. … jouent aux dés, sur une pierre plate, l’argent (litt* : les aidants) qu’ils ont retiré de la vente de la tunique sans couture de J.; avoir li pogn djus (litt* : le poing bas), c’est être fauché, n’avoir plus d’argent.
  2. ouh’lèt, petite porte. — 307. rinne, raine, grenouille. — 308. foyon, taupe.

309-311. … une croix qui ressemble au bâton recourbé sur lequel les gamins font revenir les pierrots et les moineaux. — 312. … jusqu’à ce que la scène soit feu et flammes.

 

 

(p.232)

VICTOR CARPENTIER

(1851-1922)

Ouvrier typographe, puis imprimeur, né à Liège, mort à Bressoux. Auteur dramatique fécond, Carpentier aborda tous les genres du théâtre dans une quinzaine de pièces qui vont du tableau naturaliste au grand drame en passant par la comédie d’observation et le vaudeville de type classique. Le bagage de Carpentier comprend en outre un lot important de chansons disséminées dans les journaux patoisants et les recueils des sociétés littéraires liégeoises, ainsi qu’un volume de contes en prose : les Valions (1901), d’un réalisme sans prétention artistique, nous offrent, sous forme de souvenirs et de « choses vues », des tableaux de la vie liégeoise dans l’ancien quartier du Tchajôr, où naquit l’auteur.

Homme du peuple, écrivain de tempérament et autodidacte, Victor Carpentier possède les qualités et les défauts de sa condition, qui est celle de beaucoup d’auteurs liégeois à partir de la seconde moitié du siècle passé. Sa langue, lorsqu’elle trouve la veine de l’usage parlé, réussit à donner un relief franc et solide à sa prose et à des poésies chantées telles que Qwand on d’vint vî, Dolince d’on pôve hanteû, Tchantchès. Cette dernière pièce campe dans son esprit franchement gouailleur et indépendant le héros populaire des marion­nettes liégeoises en passe de devenir le symbole du type wallon.

 

73                                                                                                     [Liège]

Tchantchès

 

On tape foû qui dj’ so di-d’-la-Moûse,

èt, ma frike ! dji n’ sé d’ là qui dj’ so.

Fåt-i creûre qui dj’a v’nou foû d’ Moûse

4  come lès warmayes, å dîre dès spots ?

Dji n’a nou parintèdje so l’ tére;

si lon qu’ dji r’monte, dji n’ rîtroûve rin.

Li tére walone, volà m’ seûle mére,

8    tos lès Walons sont mès parints !

 

TCHANTCHÈS, forme hypocoristique de Françwès, François. Sur ce personnage du théâtre liégeois des marionnettes figurant l’homme du peuple, cfr M. piron, Histoire d’un type populaire. Tchantchès et son évolution dans la tradition liégeoise (Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1950, spéc* pp. 51-53).

  1. On répand le bruit que je suis d’Outre-Meuse; di-d’-la-Moûse, forme primitive du nom actuel du quartier de djus-d’-la(-Moûse). — 2. ma frike !, ma foi ! — 4. warmayes, éphémères (insectes); spot, proverbe, dicton. — 6. si loin que je remonte [dans mon passé]. Refrain, måle lawe, mauvaise langue, brocardeur.

 

 

(p.233)

Refrain

Et c’èst mi qu’est Tchantchès,

li pus peûr dès Lîdjwès qu’i-n-åye è l’ Walonerèye;

12  måle lawe èt grand blagueûr,

mins todi d’ bone oumeûr,

dji tchante, dji potche, dji rèy !

 

Tot Lîdje mi k’noh d’ås marionètes,

16   là qui dj’ fê rîre lès grands, lès p’tits;

tote ine sîse, dji sofèle ås vètes :

ramasse qui vout tot çou qu’ dji di !

I n’a sûr nouk di stok à m’ djonde;

20    dj’a rézoû lès qwate fis Rêmon;

dji k’noh tos lès lingadjes dè monde,

mins dj’èlzès djåse tos è walon…

 

Vråve djoû, djama, fièsse ou dîmègne,

24    on n’ mi veût qu’avou m’ bleû såro;

èt si m’ djêve mi fêt parète bwègne,

c’èst cåse di m’ nasse come on sabot.

Djoûrmåy so pîds, so tchamps, so vôyes,

28    dji vike d’amoûr èt d’ l’ êr dè tins,

ni mås, ni pon.nes, rin n’ mi rascôye,

à mi-åhe, dji prind l’ tins come i vint.

 

Dj’a so m’ cabus pus d’ine campagne

32   conte lès payins, lès Sarazins :

dji chèv l’empèreûr Charlèmagne,

lès Rwès-Mådjes èt Traite-ènon-Djwin.

 

 

  1. toute une soirée [durant], je «souffle aux vertes» (= propos épicés; comp. l’expr. franc, en raconter de vertes). — 19. Il n’y a certes personne de taille à me « joindre » (= dépasser, dominer). — 20. j’ai réduit les quatre fils Aymon (allusion au répertoire des marionnettes liégeoises).
  2. Vråve djoû, mis pour ovràve…, jour ouvrable: cette aphérèse n’est pas une licence

d’auteur; djama, fête double. — 26.  nasse (fam.), nez. — 29. rin n’ mi rascôye, rien ne

m’atteint (rascoyî signifie « récolter,  recueillir » : il y a eu, dans la pensée de l’auteur,

contamination avec rascûre / rac’sûre,  attraper, atteindre).

  1. Cabus, caboche. — 34. Traîte-ènon-Djwin, Traître Don-Juan, déformation enfantine ou de joueur de marionnettes. —

 

(p.234)

N-a dès mèye ans qui dj’ so so l’ tére

36 èt dj’ so todi fwért èt hêtî,

tot fant qu’ dj’a d’vou fé totes lès guéres

èt qwant’ côps l’ toûr dè monde à pîd !

 

On dit qu’ Tatène, c’èst mi k’pagnèye :

40 c’èst m’ crapôde pus vite, volà tot !

Mousse qui vout è l’ grande confrêrèye,

li marièdje n’èst fêt qu’ po lès sots !

C’èst dès-ôtes qui mi qu’on ètchin.ne,

44   dj’i vou-t-èsse lîbe, heûre mi plat-cou;

rin n’ våt l’ marièdje di pôrçulinne :

on s’ qwite, on s’ riplake qwand on vout…

 

Dji passe po l’ påcolèt d’ nosse race,

48    l’ome-ås-hiyètes, li mèssèdjî;

rivûwe, blague, rîrèye, Tchantchès passe…

Ni sintez-ve nin qui dj’ so ‘ne saquî ?

Dj’a d’né m’ no po fé dès gazètes,

52   dès-årmonaks èt dès tchansons,

èt pus d’onk si chève di m’ clapète

po disfinde li dreût dès Walons.

 

  1. Il y a des milliers d’années… — 37. cependant que j’ai dû faire… — 38. qwant’ côps, combien de fois.
  2. Tatène, dimin. de Cat’rène, Catherine; k(i)pagnèye, compagne, dans le sens d’« épouse légitime » (opp. à crapaude, « bonne amie, maîtresse » au v. suivant). — 41. Entre qui veut dans… — 44. plat-cou, petit verre à genièvre, sans pied (DL, fig. 515). — 45. … le mariage de porcelaine (= l’union libre). On sait que la porcelaine est fragile ! — 46. on s’ riplake, on se recolle.
  3. Je passe pour le fétiche (ou le porte-bonheur) de notre race. Sur Påcolèt, nom d’un génie ou lutin bienfaisant, cfr Wallonia, 6, pp. 5-19. — 48. l’homme-aux-sonnettes, le messager; allusions obscures, la seconde surtout. L’ome-ås-hiyètes peut se comprendre au figuré : celui qui avertit (du danger, etc.). C’était l’un des pseudonymes de Théo Bovy dans le journal Li Clabot où il défendait la cause wallonne. — 49. rivûwe, revue théâtrale. Vers 1900, on commença à faire intervenir Tchantchès, considéré comme symbole de l’âme liégeoise, dans les revues jouées au Pavillon de Flore, etc.; rîrèye, risée; ici, désigne plutôt un intermède, une scène amusante. — 51. Allusion à l’hebdomadaire satirique Chanchet (1899-1902). — 52. ârmonac’, almanach. Allusion à l’« Armanak d’à Chanchet > (1905-1910) publié par Jean Bury. — 53-54. et plus d’un se sert de mon bagou / pour défendre… (Chanchet ou Tchanchet, pseudonyme de plusieurs publicistes wallons).

 

(p.235)

Walons, si v’ volez fé ‘ne bèle keûre,

56 ni lèyîz nin roûvî Tchantchès :

fôrdjîz ‘ne fontin.ne avou m’ posteûre

èt s’ hågnez-le so l’ pièce Sint-Lambièt.

Tot s’ win.nant avå nos vinåves,

60  L’ ètrindjîr vinrè dire bondjoû

à vosse Tchantchès… qui n’èst qu’ine fåve,

mins qu’on-z-in.me come s’eûhe vèyou 1′ djoû !

 

[1913-1914?]

Journal Noss’ Pèron, Liège, 2″ année, n° 36, 1er sept. 1921. Nous reproduisons le texte d’après le Bull. Soc. de Litt. Wall., t. 57, 1923, pp. 161-163.

 

53 ine bèle keûre, une belle action, un beau geste. — 57. posteûre, statue. Un « monu­ment Tchantchès » a été inauguré, le 27 septembre 1936, au quartier d’Outre-Meuse, à Liège; la marionnette Tchantchès figure aussi sur l’un des bas-reliefs de la Fontaine de la Tradition, face au Perron liégeois. — 58. et érigez-la sur la place Saint-Lambert. — 59. si win.ner, s’insinuer en serpentant; d’où, ici, flâner; vinåve, « vinable », quartier d’une ville. — 61. à votre Tch. qui n’est qu’un mythe (litt* : une fable). — 62. … comme s’il eût vu le jour.

 

 

(p.236)

EMILE GERARD

(1851-1916)

Né et mort à Liège où il fut employé à l’Hôtel de ville. Sa production dia­lectale est fort abondante : tous les genres sont représentés. Signe particulier : forte tendance à combattre l’alcoolisme et ses fléaux. Cette inspiration mora­lisatrice, Gérard l’avait acquise en conduisant sa muse au cabaret : ce qui lui valut d’appréciables lauriers poétiques et lui coûta son emploi de fonction­naire communal. Quelque dix ans après sa mort, la ville de Liège n’en débaptisa pas moins une rue de son quartier natal de Sainte-Marguerite pour rappeler l’auteur du Discoûrs so l’ tombe d’on cåbaretî…

Ses Œuvres wallonnes, en 4 volumes publiés respectivement en 1890, 1894, 1901 et 1904, rassemblent, en dehors de son théâtre, la multitude des chansons, contes, satires, sonnets, monologues, tableaux de mœurs liégeoises et autres « poésie(s) médaillée(s) » éparpillées dans les journaux et les recueils des sociétés wallonnes auxquels Gérard apportait la collaboration de son talent agréable et facile.

 

74                                                                                                    [Liège]

Li djône fèye

 

C’èsteût ‘ne fèye

ine djône fèye

qui qwèréve à s’ marier : on fleur di fîr bokèt !

4  Ci n’est nin lès galants qu’ måkèt;

mins, lèy, i lî faléve onk come on ‘nnè pèhe wêre :

bê, djône, sûti, qu’avasse li toûr dè plêre,

èt, po l’ boukèt,

8 qu’apwèrtasse, come on dit, l’ pakèt.

C’è-st-ine simince fwért råre. Mins l’amoûr, qu’èst miyope,

amina dès galants, ènn’ amina qui d’ trop’,

èt nosse mamesèle fa l’ mowe so tos lès bons partis.

12 Ci-cial aveût ‘ne trop longue narène,

ci-là dès gngnos cagneûs, in-ôte dès djambes trop fènes,

ou c’èsteût trop grand ou trop p’tit.

« Mi, prinde dès s’-fêts spawetas ? », dihéve nosse målåhèye,

 

 

LA JEUNE FIILE. — D’après La Fontaine, Fables, VII, 5.

  1. … fleur de fier morceau; fleûr ici masc. par syllepse. — 6. sûti, intelligent, malin. — 8. le paquet, c.-à-d. le sac (d’argent). — 15. spaweta, épouvantail. — 18. has1, as (jeu de cartes), ici : quels vilains personnages !; mohon, moineau. —

 

(p.237)

16 « dj’in.mereû mî dè d’morer djône fèye

ou d’èsse bèguène divins ‘ne prîhon !

Sinte-Catrène ! qués lêds bas’ ! i fèt sogne ås mohons !

I n’åreût pus qui l’ dièrin d’ zèls å monde

20   qui dji f’reû co ‘ne creûs d’ssus : qu’i s’alèsse tos fé r’ponde ! ».

Après lès ritches galants, vinît dès bons bordjeûs,

dès-ovrîs, onêtes, corèdjeûs,

èt c’èsta co ‘ne fèye li min.me djeû :

24                 nouk ni conv’néve. « Mi, qu’est si bèle,

dj’îreû sposer ‘n-ovrî?», d’héve-t-èle.

« In-ovrî qu’a deûs neûrès mins ?

Pa ! dj’ sèreû div’nowe sote, sûremint !

28                 Abèye ! volà qu’i r’vint d’ l’ovrèdje,

à l’ nut’, avou s’ såro pèlé,

èt qu’ vint plakî s’ måssî visèdje

conte li meun’ qu’èst si rôse ? dji rodjih d’è pårler ! »

32   Èle fa tant èt si bin qu’èlle èsta-st-èlêdèye

èt qu’ nou djône ome ni louka pus l’ djône fèye.

Et l’adje vinéve avou çoula ! Adiè, lès tchifes totès roselantes !

36          Bèle, tot-asteûre vos raviserez m’ matante.

On pleû s’ mosteûre, on dint ‘nn’ ala;

li tins, qui måy n’abandenêye li bataye,

ava vite rihapé s’ fène taye…

40                 Adiè, galants ! adiè, lès danses !

L’amour por lèye a soné ‘ne transe,

èt nosse håtin.ne, qu’aveût r’ bouté

tant d’ bês marièdjes, trop tård vola hanter.

44  Pèlakes, houlés, må-twèrtchîs come halcrosses,

c’èsteût Piron-parèy : tot l’ monde èsteût à s’ gos’ !

Elle èsta tote binåhe, ni trovant rin d’ mèyeû, dè marier on croufieûs.

 

« Œuvres wallonnes » [1″ série], Liège, 1890, pp. 188-189.

 

  1. faire une croix sur quelqu’un ou sur quelque chose, c’est y renoncer; r(i)ponde, repeindre. — 29. … avec son sarrau usé. — 32. èlêdèye, abandonnée, délaissée (litt* : enlaidie). — 44. houle, boiteux, halcrosse, décrépit, maladif. — 45. C’était Piron-pareil : locution liég. signifiant : cela revenait au même. — 47. d’épouser un bossu. — Dans le recueil, la fable s’achève par une morale de deux vers : Pus d’eune di s’ fåte dimeûre vèye pène [vieille plume] //’ èt n’èst qu’ine grosse bouhale tot s’ pinsant fwért malène.

 

 

(p.238)

75

Ine pårtèye di plêsîr

 

Monologue (Extraits suivis)

 

Kibin n’avans-gne nin bu d’ toûrnêyes ?              Vv. 1-24

Ma fwè, dj’ m’è sovêrè lontins !

On a tût’lé tote li djoûrnêye

4   djusqu’à d’vès treûs-eûres å matin.

Oûy, dji so come ine vrêye clicote,

dji n’ pou magnî, rin aduser.

Diu ! qué må d’ coûr… Dji n’ veû pus gote…

(Tot fant dès mowes èt prèt’ à vômi)

8   A ! come dji m’a bin amûsé !

 

Kimint qu’ dj’a r’trové l’ pwète di m’ tchambe,

ci n’èst nin mi qui v’s-èl dîrè,

ca dji n’ tinéve pus so mes djambes,

12  tot qwitant l’ dièrin cabaret.

Djusqu’å fond dès grés di m’ montêye,

so cou, so tièsse, dj’a barlôzé.

(Sintant s’ narène èt djèmihani)

Elle è-st-à treûs qwårts sipatêye…

16   A ! come dji m’a bin amûsé !

 

C’è-st-avou ‘ne bande di camèrådes,

dès vrêys ian’ qui dj’ m’a-st-astårdjî;

mins inte lès vêres èt lès hahelådes,

20   ine carèle a v’nou tot candjî.

Po fini, survina ‘ne bataye,

èt mi qu’ po l’ påy aveût djåsé,

(/ mosteûre si neûr oûy)

li prumîr, on m’a d’né ‘ne messe daye !

24   A ! come dji m’a bin amûsé !

 

 

UNE PARTIE DE PLAISIR. — Dans chaque strophe sont indiqués entre parenthèses les gestes ou mimiques de l’acteur en scène.

  1. clicote, loque, chiffon. — 6. aduzer, toucher, prendre (ici, de la nourriture). — mowe,

grimace. 13. Jusqu’au bas des marches de mon escalier. — 14. …  j’ai culbuté.

  1. des vrais gaillards que je me suis attardé. — 19. hahelåde, éclat de rire. — 23. … une

raclée d’importance.

 

(p.239) Wice a-dje lèyî m’ tchapê ? Mistére !                    3340

Divins l’ trikebale qu’on a-st-avu,

il a rôlé bin sûr à l’ tére

28  èt tot l’ monde årè triplé d’ssus.

Et m’ paletot don ? C’èst lu qu’èst gåy…

Tot k’hiyî, qu’ va-t-i raviser ?

(Hossant s’ tièsse)

Dji n’ sé si djèl mèt’rè co måy.

32 A ! come dji m’a bin amûsé !

 

(/ droûve si porte-manôye)                               49-5f>

Sèt’ cens’ èt d’mèy ! volà tot l’ rèsse,

fré di Diu ! dès qwinze francs qu’ dj’aveû !

Rin qu’ çoula foû d’ treûs blankès pèces,

32 quéle arèdje si m’ feume èl saveût !

Si dj’ trovéve po catchî l’ afêre

quéke ficèle… Lèyîz-me don tûser…

(I mèt on deût so s’ front èt tûse)

S’èle brêt, mi, po m’ pårt, dji m’ va têre.

40 A ! come dji m’a bin amûsé !

 

Asteûre, po l’ovrèdje, c’èst bèrnike :                     6S-f’n

dj’a l’ cwér malåde come on blanc deût;

mètez-me près d’on mwért qui ravike

44 èt dj’ sèrè co l’pus lêd dès deûs.

Oûy, nèni, dji n’ vå nin ‘ne cûte pome,

èt tant beûre, après tot d’viser,

dji troûve qui c’èst bin bièsse po l’ ome !

(Avou colère èt hiketant’)

48    Est-ce çoula qu’on nome s’amûser ?

 

« Œuvres wallonnes, troisième série », Liège, 1901, pp. 171-173. Paru d’abord dans Bull. Soc. de Litt. wall., t. 35, 1894, pp. 181-184.

 

  1. trikebale, tohu-bohu, mêlée. — 28. et tout le monde l’aura piétiné.
  2. … hors de trois pièces blanches (= pièces de 5 francs). — 38. … laissez-moi donc réfléchir.
  3. … comme un doigt blanc (= un panaris). — 43. … auprès d’un mort qui reprend vie (image burlesque). 47 bis. hiketer, hoqueter.

 

 

(p.240) 76    Åtoû dè 1′ grand-mére

 

« Pitits mètchants, ni d’meûrerez-ve måy

ine munute, rin qu’ine seûle, è påy ?

Vos n’ fez qu’ dè cori, dè potcheter,

4 si bin qu’ dji n’ pou ‘ne gote m’èssometer.

Vos v’nez co d’ cafougnî m’ gåmète,

qui torade, si frisse, dji vin d’ mète…

Et dîre qui tot m’ boneûr, vo-le-là :

8  cès-èfants là !

 

Si vos n’èstîz nin si hayåves,

po v’s-amûser dji v’ contereû ‘ne fåve,

li fåve dè grand leûp qu’ magne l’ognê,

12  qu’èsteût si blanc, si doûs, si bê !

mins volà qu’ vos m’ sètchîz po l’ cote,

èt dj’ pièd’ mès ponts qwand dji tricote…

Bon Diu ! çou qu’ is m’ dinèt d’ tracas,

16          cès-èfants là !

 

Pace qui v’ vèyez qui dj’ so trop bone,

vos ristoûrnez tote mi mohone.

Bon! volà m’ bleû våse rivièrsé…

20   èco bin qu’i n’èst nin cassé !

Qwand vosse grand-pére fa mi k’nohance,

i mèl dina… C’è-st-ine sovenance.

S’is savît qu’ c’èst m’ trésôr, çoula,

24          cès-èfants là !

Sint Nicolèy, come chake an.nêye,

à l’ samin.ne deût v’ni fé s’ toûrnêye.

 

 

AUTOUR DE LA GRAND-MERE

  1. mètchant a ici un sens fort atténué, proche de: espiègle, câlin. — 4. … que je ne puis un peu sommeiller. — 5. cafougnî, froisser, chiffonner; gåmète, béguin, coiffe portée jadis par les vieilles femmes (DL, fig. 310).
  2. hayåve, ennuyeux, difficile (litt1 : haïssable). — 14. … mes points (mailles de tricot).
  3. Saint Nicolas, dont la fête est célébrée le 6 décembre, est en Belgique l’équivalent du Père Noël; les enfants, s’ils sont sages (cfr v. 28 : binamé, gentil), reçoivent ce jour-là jouets et friandises.

 

(p.241) Qu’i vinse ! èt mi, dj’ lî va noumer

28   tot quî n’a nin stu binamé.

Dji lî dîrè min.me kibin d’ fèyes

qui m’ boule di lin.ne a stu catchèye…

C’è-st-insi qui todi dj’ lès-a,

32          cès-èfants-là!

 

Mins vo-r’-cial ine bande inte mès brès’,

èt djusqu’å tot dièrin m’ carèsse…

Mès sîh amours ! so mès deûs gngnos,

36   dji n’ såreû portant v’ mète turtos !

Qwand dji v’ louke rîre, djônès tièsses blondes,

i m’ son.ne qui dji n’ so pus so l’ monde…

Is m’ drovèt l’ paradis dèdjà,

40           cès-èfants-là ! »

 

Insi pårléve li bone grand-mére,

tote bahowe, ossi vèye qui tére.

Sès-oûys divenît frèh tot sintant

44   dès p’titès mins d’vins sès dj’vès blancs.

Mutwè sondjîve-t-èle qui bin vite

sonereût l’eûre wice qu’i fåt qu’on s’ qwite…

Et, r’ssouwant ‘ne låme, èle rabrèssa

48           cès-èfants-là !

 

« Œuvres wallonnes, troisième série », Liège, 1901, pp. 7-8.

 

  1. toute courbée, aussi vieille que [la] terre. — 47. Et, essuyant une larme, elle embrassa.

 

 

(p.242)

CHARLES GOTHIER

(1851-1920)

Fils d’un maître d’école devenu libraire, cadet d’une famille de neuf enfants, Charles Gothier, né et mort à Liège, entra en apprentissage chez un imprimeur sans avoir pu achever ses classes primaires. Engagé à la Gazette de Liège comme typographe, il s’établit par la suite imprimeur au quartier Saint-Léonard.

Grand liseur, conférencier de la « Société Franklin », taquinant la muse en français et en wallon, il a laissé, avec quelques pièces de théâtre, deux plaquettes de « badinages » d’un tour aisé, parfois spirituel : Loisirs d’un Liégeois (1897) et, en collaboration avec Victor Collette, On tchètê d’ croies bilokes [Un panier de juteuses reines-claudes] (1905).

 

77                                                                                                     [Liège]

Li p’tite pasquêye

(Air : Le portrait de ma tante)

 

Ine sise d’iviér qui nos gastîs,

tot tapant tot bonemint ‘ne copène,

dji sintéve li djôye nos brognî,

4   omes èt feumes fît turtos ‘ne seûre mène,

qwand tot d’on côp, ‘ne djône fèye intra

qui nos dèrit d’ine vwès nozêye :

« Si v’ volez rîre, è bin, vo-m’-là,

8   dji so li p’tite paskêye ! »

 

 

LA CHANSONNETTE. — La forme courante à Liège est paskêye (avec e bref) et non pasquêye. Sur le terme lui-même, dont les nuances peuvent varier suivant le contexte, cfr la note au bas de la notice du n° 8.

 

  1. sîse, veillée, soirée; gaster, faire bombance, banqueter. — 2. taper ‘ne copène, deviser, bavarder entre amis. — 3. brognî, bouder. — 6. … d’une voix fraîche. La syntaxe wallonne exigerait d’ine nozêye vwès, mais la rime…

 

(p.243)

Elle aveût lès-oûys dispièrtés

èt qui blawetît come deûs tchandèles,

on p’tit bonikèt so l’ costé :

12   Djans ! come ine andje, elle èsteût bèle !

Dji lî vèyéve si p’tit molèt

dizos ‘ne cote frisse come ine rosêye…

Vigreûse come on fåssé valèt,

16  volà li p’tite paskêye !

 

Èle nos dèrit : « D’on hèna d’ vin,

on m’ batisa qwand dj’èsteû djône.

Dj’a tofér èlêdi l’årdjint,

20    li nawerèye n’aqwîrt qui dès pônes :

l’ovrèdje, lu, nos rind l’ coûr djoyeûs.

Pingnî deûr, volà m’ dèstinêye !

Ossu, crèyez-me, c’è-st-è l’ovreû

24           qu’on-z-ôt li p’tite paskêye ».

 

Di nosse tåve, èle fa vite li toûr,

èt, dizos sès doûcès carèsses,

dji sintéve rishandi tot m’ coûr

28 èt m’ song’ boléve come è m’ djônèsse.

Dji v’ dîre l’ vrêy come à k’fèchon :

mågré qui m’ tièsse divint pèlêye,

à m’ vwèzène dji fa racatchon,

32          cåse di li p’tite paskêye !

 

Èle nos fève haheler po dès rins,

èt dj’ lî dèri : « Mi djône kimére,

dji vôreû bin k’noke vosse pårin,

36   ci deût-èsse on djoyeûs compére !

 

 

  1. bonikèt, petit bonnet (de femme ou d’enfant). — 15. Vigoureuse comme un garçon manqué.
  2. hèna, petit verre. — 19. J’ai toujours délaissé l’argent. — 20. nawerèye, paresse. — 22. Travailler dur…; pingnî a, dans ce sens, une valeur expressive proche de l’argot fr. bosser. — 23. ovreû (litt. : ouvroir), atelier.
  3. ri(s)handi, réchauffer. — 28. et mon sang bouillonnait… (la forme de l’infin. est boûre). — 29. … le vrai comme à confesse. — 31. fé racatchon, faire des chatouilles (fam).
  4. haheler, rire aux éclats. — 38. èstoumaké, stupéfié. — 39. le banquet wallon, c.-à-d. celui qui, chaque année en décembre, réunissait autrefois les membres de la Société de Littérature wallonne et leurs invités; les chansonniers ne manquaient pas d’y produire leurs œuvres qui étaient alors publiées le plus souvent dans l’Annuaire de la Société. C’est le cas de notre pièce, chantée par son auteur au 25* banquet, le 12 décembre 1891.

 

(p.244)

— Kimint, vos nèl kinohez don ? »,

rèsponda-t-èle èstoumakêye.

« Mi pårin, c’èst l’ Bankèt walon :

40           il a lèvé l’ paskêye ! ».

 

Ann. Soc. de Litt. wall, t. 13, 1892, pp. 152-153. Reproduit, avec de légères variantes, dans le recueil de Ch. G., Loisirs d’un Liégeois, Liège, 1897, pp. 7-8.

 

  1. lèver, lever, au sens de tenir sur les fonts baptismaux, d’où : être parrain.

 

 

(p.245)

HENRY RAVELINE

(1852-1938)

 

Pseudonyme en littérature du docteur Valentin Van Hassel, né et mort à Pâturages. Pionnier de la chirurgie et de la médecine industrielles, il se dépensa, soixante années durant, au service de la population, souvent déshé­ritée, du pays minier qu’était le Borinage. Comme pour mieux s’identifier à lui, il emprunta au parler de ses bouilleurs le nom du pic de havage, la raveline, pour signer quantité de faufes et quelques canchons auxquelles s’ajoutent une trentaine de pièces de théâtre (dont certaines n’ont paru qu’en version française).

L’œuvre du conteur borain que fut avant tout Henry Raveline comprend des recueils en français et en patois. Ces derniers rassemblent des textes imprimés d’abord dans des gazettes de Mons et du Borinage : Pou dire à l’èscriène [Pour dire à la veillée] (1908), Volez co dès-istwâres ? In v’ià! (1913), Coud, c’est l’ Diâpe ! (1914), El eu de l’ mante [Le fond du panier] (1935). Leur supériorité sur les œuvres françaises de l’auteur leur vient de la richesse d’un dialecte à la fois naïf et enjoué, capable de conférer aux êtres et aux choses un relief inattendu. Mais l’esprit local lui-même est dépassé : bien que souvent puisés dans la tradition, ces nouveaux « contes drolatiques » débouchent dans une espèce de fantastique partagé entre le réalisme et le merveilleux. Et la fiction, lorsqu’elle renonce au récit, à l’histoire contée pour le plaisir, devient tout naturellement prose poétique, comme le montre le recueil (inédit dans son ensemble) de Canchons pou lès brèyoûs [Chansons pour ceux qui pleurent] dont nous reproduisons trois extraits, le dernier avec traduction.

Il est regrettable que l’œuvre d’Henry Raveline, théâtre compris, ne soit pas davantage connue, ne fût-ce que par une bonne édition de pages choisies.

 

78                                                                                              [Pâturages]

Lentégn dou Dâné

^

l carbenier Lentégn dou Dâné et toudi in-guénse. I r’nètiot ‘ne pente d’in avalon, i r’iapot P jenéve corne en trô in tous lès cabarets. Eyèt quand tous lès bourdons djuguelôt’ in s’ tiète, il inralot in

 

VALENTIN DU DAMNÉ (sobriquet). — Dans les mots à finale -in, certains parlers borains font entendre un n mouillé, noté ici par -gn (voy. ci-après fégn, fin, gardégn, jardin, malégn, etc.)

 

  1. carbenier, ouvrier mineur (litt1 : charbonnier); et, était, guénse, accès d’ivresse, ribote (il a fait ‘ne guénse au fnévé}’, in-guénse, ivre (senti d’ordinaire comme un seul mot). —
  2. avalon, gorgée. — 3. djuguelôt’, folâtraient. — 4. djéndjiner,  marcher de guingois, tituber; bourbeter, rêler, barboter, bougonner. —

 

(p.246)

4 djéndjinant, in bourbetant, in rêlant, in djurant; i f’zot 1′ vîe d’infêr à s’ fème, i 1′ batot corne in skiflot d’ saule, i flônot su sès-èfants corne su dès garbes d’avêne — i d-awot autant que d’vins ‘ne couvée d’ glènes — èyèt i finichot toudi pa s’ coukier su lès cayôs,

8    d’ié 1′ fier de feu, pou s’indormi.

Quand il et à s’ naturel, il et aussi bon qu’en rond’légn de deûs yards; mes quand il awot fait deûs-twâs capèles, i n’ se counichot pus, i d-alot au mau t’t-aussi aizîl’nùnt que 1′ plêve keûrt au rî.

12    On dit toudi : quand 1′ diâpe en’ set gné d-aler à ‘ne sadju, il inwîe dou j’néve.

En djoû qu’il awot rompu tout au cabaret, qu’i s’awot batu et qu’il awot fait les quate cints côps, i-l-a eûgn de ses amis’ qui 11 a dit :

16    « Si tou continues, Lentégn, ed’ t’aré bié rade à spales. »

El rébus’ n’awot gné ‘ne mile fait trâner Lentégn. I s’in foutot corne d’en vièy clô. Il awot bu corne ed’vant. Tous lès lampéyes et’ bones pour li. Il awot toudi s’ cwêr cru. I n’awot foke peu

20    d’awô swo en djoû. Coula, c’est ‘ne maladîye qu’ les biètes à visâje d’ome ont co souvint.

G’né lonmint après, Lentégn et dèskindu à fosse ave Gusse, ès’n-ome de coupe; i tapot in veine ave s’ rav’line, sans ravêtier

24    à s’ djeû.

« Wêh ! Lentégn, dist-i Faute, vête à ti ! Mets dou bos à courone, ou bié nous d-alons awô en maleûr!… »

 

  1. … comme un sifflet de saule: pour fabriquer un sifflet avec du bois vert, on frappe d’abord l’écorce longuement, à coups répétés. — 6. … comme sur des gerbes d’avoine. — 7. glène, poule.

9-10. … un « rondelin » de deux liards (pièce de monnaie). — 10. capèle, chapelle, au sens de cabaret. — 11. il allait au mal…; sur le d, cfr la note 3 du n° 66; aiâl’mint,

aisément.

12-13. quand le diable ne parvient (litt* : ne sait) pas aller quelque part, il envoie du genièvre, c.-à-d. il utilise le moyen de l’ivresse.

  1. … je t’aurai bientôt aux épaules, sous-entendu: pour porter ton cercueil.
  2. Le propos n’avait pas le moins du monde (litt* : une miette) fait trembler L. — 19. … toujours l’estomac aigre (d’où le besoin d’une petite goutte…). — 20-21. Il avait seulement peur d’avoir un jour soif; sur foke,  cfr la note 20-21  du n° 34.

22-23 … était descendu dans la mine avec Auguste, son «homme de couple», c.-à-d. son compagnon de travail (cfr P. ruelle, Le vocabulaire professionnel du houilleur borain, Bruxelles, 1953, pp. 58-59). — 23-24. il frappait dans la veine avec son pic, sans regarder à son jeu (= sans faire attention).

  1. Mets du bois pour maintenir le plafond; le t. de mine courone est expliqué par P. Ruelle, op. cit., pp. 59 et 137-139.

 

(p.247)

I  v’not d’ dire coula qu’en crokiâje es’ fait; ène grosse cwérèle

28   kêt; èle èskwate Gusse tout parèy qu’ène figote.

Dou côp, Lentégn s’a sauvé in criyant lès mourtes. Quand on a ôyu dèbarassé Gusse, il et mort. Lentégn tranot, sclakiot dès dints; il et pus vert qu’ène sûrièle; il et là corne si on li awot compé

32 1′ rachène de s’ cwêr; i n’ sawot pus s’ rapapier. Il a folu qu’on U’èrmontisse au djoû, qu’on 1′ mênisse bwâre ène goûte. D’eune i d-a bu deûs; i d-a avalé quate…, sî, chèt’… Ene eûre après, il et plagn corne ène andouye; i n’ pinsot pus à s’n-ome de coupe,

36 qu’il awot twé… Il awot dou michant in li. I volot disputer, s’ bâte… Mes, il a ôyu biau prêcher, i n’a nourui qui li a rèspondu. Au fégn, il a pris ses arnas, pou inraler à s’ maison, in disant : « Bah ! si on d’vot s’ fé dou mau pou tous l’s-autes, on arot

40 ‘ne tiète corne ène tourpîe… Gusse est twé!… C’est co eûgn hors dès vôes ! »

II  a sclakyé l’uch, il est parti.

Corne il ét-au cwégn dou cimintiêre, il a ‘ne petite nwâre fème

44    qu’a passé d’ié li, in 1′ riftant, èyèt qui li a dit : « Lentégn, tou

vas morî ! Dèspêche-té !… Tou vas morî !

— Hein !   a-t-i dit Lentégn,  qu’awot 1′  licote et  qui d-alot in

fourfèyant.  « Ed’ vô morî? Qui ç’ qui dit coula?».

48    II a ôyu biau s’èrtourner, ravêtier… I n’awot pus nourui.

« Qu’est ç’ que c’est d’ coula pou ène avèrtance ? », a-t-i pinsé,

in continuant à arpinter 1′ pavé, in f’zant dès fourlaches.

Il a dèskindu 1′ piesinte tout dequ’au rî. Doûlà, il a vu deûs fèmes,

52   ave leû visâje muché pas d’zous leû nwâr mouscwo à comètes;

èles rimplichôt’ leûs sayaus…

« Pouqué, a-t-i dit Lentégn, v’nez pindant 1′ nuit’ que d’ l’iau

 

  1. crokiâje, « affaissement brusque du toit sur une étendue considérable d’une taille * (ibid.,   p.   62);   cwérèle,   var.   de   cwêrlasse   (ibid.,   p.   66),   psammite,   grès   houiller.   —
  2. èskwater, écraser; figote, fruit séché.
  3. «crier les  meurtres»,  c.-à-d.  hurler  de  terreur  ou  de  souffrance.  •—•  31.  sûrièle, oseille. — 31-32 … coupé la racine de son cœur. — 38. ses arnas, ses outils, son matériel. 44. rifter, frôler. — 46. licote, hoquet. — 47. fourfèyer, chercher à l’aveuglette.
  4. fourlache, excentricité; ici, allusion à la démarche ou aux propos bizarres de L. 52. … caché sous leur noir fichu (litt* : mouchoir) à coins.
  5. que (inf. comme fé), quérir, chercher. — 55. … comme un «taquet», pièce de fer mobile qui rentre et sort à chaque manœuvre de la cage, dans un puits de charbonnage (P. Ruelle, op. cit., p. 181).

 

(p.248)

au rî?… Vous-avez co fait d-aler vou langue corne en taquet,

56   t’t-au long dou djoû !

—  Nous stons v’nues que d’ l’iau, a-t-èle dit l’eune, pou r’nètier F maison Lentégn dou Dâné, qui va morî, èyèt qu’on va ramener…

— Que disez ? a-t-i dit Lentégn. C’è-st-a foutâje de djins qu’ vous

60   racontez dès parèyes  foufèrnayes ?  Lentégn  en’  pwèt co mau

d’ morî !

—  Lentégn est condâné !, a-t-èle dit l’aute fème.

—  Taiche-tè,  vièye  sorcière !   On  t’ascout’ra  quand F  co  dou

64   clokier s’invol’ra… Si t’es dès-omes, de t’ mambourn’ro ène mîlète

pour F mau qu’ tou vès m’ bayer !… »

Adon, Lentégn est d-alé, tout in cantant, tout in chuflant, pus

franc qu’en bosteûs.

68    I f’zot tout nwâr nuit’. I n’awot foke deûs-twâs stwales pièrdues

in les nuées.

Ène mîlète pus  avant,  corne i montot, in rastenant s’ poûssi,

F voleté qui mène au Coron, v’ià qu’i buske ed’vins én-ome qui

72   courot.

« Wêh ! l’orne, ayu d-alez si rade à ç’ n-eûre-ci ? », a-t-i d’mandé

F carbenier.

—  « En’ m’astardjez gné ! Ed’ su F menusier dou R’nâ; ed’ keûr

76   prinde mesure pou F cèrkeuil Lentégn dou Dâné, qu’on va ramener

mort…

—  Mile Dieûs ! Tou t’ fous d’ mi, corne èls-autes ! Tégn ! Via pou t’aprinde !… »

80   Èyèt il a tapé tous ses pus fô, ave s’ pwégn frumé, corne pou assoumer F menuisier. Mes ç’ti-cile et d’djà bié Ion… On intindot ses chabots su lès pavés dou grand k’mégn. « Qu’èst-ç’ qu’i leû prind, à tous ces mau avizés-là, ed’ dire que

84   d’  vô morî,  que d’  su mort…  D’ai ‘ne pwatrène in-n-achi…

 

 

59-60. C’est pour vous foutre des gens que vous contez de semblables sornettes ?

  1. Si tu étais des hommes, je te secouerais un brin… 67. bosteûs, boiteux.

70-71.  …  comme il montait,  en retenant son souffle, le petit chemin qui  conduit au Coron (lieu-dit), voilà qu’il heurte un homme…

  1. achi, acier.

 

(p.249)

El prumier qu’ asprwêve co d’ moufter ara s’n-af aire cuite !… » Lentégn, co tout inhufté, sintot s’ sang boulî. I tèrsolichot. I d-alot tout bèl’mint in ouvrant sès-yés, pou vî s’il arot co ‘ne

88   djint qu’ ôz’rot li in dire ène si michante…

Tout-in montant, il awot sakié ses chabots, i s’in d-alot in n-aguignant, in n-ascoutant… Tout à ces côps, i s’a arête.

« Ah ! I m’ chane à vî que v’ià lauvau en gayard qui m’atind,

92    conte èl pignon, èyèt qui pinse venî m’ fé peu corne èls-autes… Atind !… atind ! »

Adon, pus subtil qu’en cat, Lentégn a sauté, a coureû, a bayé en côp d’ tiète in 1′ panche de l’orne… èyèt… èyèt… sans en

96   souspîr, tout parèy à ‘ne choque de bos, i s’a r’vèrni su l’aire de vôe, assoumé.

Cou qu’il awot pris pou én-ome, c’ét en gros potiau d’ l’êse d’en gardégn…

100   Lentégn dou Dâné et mort…

El lind’magn, à 1′ piqueté dou djoû, ène fème qui passot, 11-a vu stièrni à têre.

« Lentégn a co fait ‘ne fatale guénse, hier ! » a-t-èle dit.

104   Elle a oyu biau l’arlocher. C’ét tout’ !

Lentégn dou Dâné et parti bié Ion, bié Ion, pou en pèyis ayu ç’ qu’on rinte pa én-uch de sî pies, qu’on r’frume tout d’ suite ave d’ l’argîe…

 

« Pou dire à l’eschrienne », Dour, 1908, pp.  131-135.

 

  1. … qui essaie encore de dire un mot…
  2. inhufté, excité par la boisson; tèrsolt, tressaillir. — 87. bèl’mint, doucement. 89-90. aguigner, guetter.
  3. i m’ chane à vî, il me semble (litt* : il me semble à voir).

96-97. … semblable à un morceau de bois, il est tombé à la renverse sur le sol (litt* : sur l’aire de voie).

  1. êse, barrière.
  2. … une fameuse ribote.
  3. arlocher, agiter, secouer; c’ét tout’, c’était fini.

105-107.  …  un pays où on rentre par une porte de six pieds  qu’on referme  aussitôt avec de l’argile.

 

(p.250)

79      L’Amoûr

 

En djoû, èl pus vièy dès bons Diès fzot cuire es’ fricot tout-à-s’n-aise. Pindant qu’èl marmite boulot, i s’a mis à s’ fèrniète et il est d’venu tout donte, ‘t-in r’pinsant. I v’not d’ vî su F têre lès 4 garçons et lès fies, qu’il avot pièstri ave de F fine argîe, es’ fé dès michants-yeûs, es’ bayer dès côps d’ pwéngn, s’ingueuler, es’ carougner… I n’ d-awot djamins eûgn de yeûs’ qui cachot à fé ‘ne caresse ou biè à bayer ‘ne baise à ‘ne-n-aute.

8 « Ça n’ pout gnié durer ! » dèst-i F pus vièy dès bons Diès. « I vont mon tèrtout’ sans lèyer d’êfants; i n’ara plus foke dès-ours’, dès leûs, dès cats-coraus, dès queues-d’-sorite èyèt dès poûs su têre. I m’ faut vêtier à mète orde à coula. »

12 II a mindjé ‘ne bone platée d’ès’ fricot; il a bu ‘ne bone jate de café; il a aleumé s’ pipe èyèt s’a mis à buzier, à rabouler dès plans èyèt co dès plans in s’ tiète. Au féngn, il a co raleumé s’ pipe qu’il avoit lèyé stinde ‘t-in s’èrpinsant, èyèt il est d-alé que

16   en nwé caudron. Il a mis d’ Fiau d’vins, ène pougnie d’ se, et il a atindu qu’ coula fourboulisse à skèmes, su F potière. Quand Fiau s’a mis à canter, il a rwé ène brachie d’ biau salô d’ Djulèf, saquantes goûtes de blanke rosée d’ Mai, ène èclér de

20 l’orâche d’A-oûf, èyèt il a toukié èyèt touyé ave ‘ne grande louche in n-ôr. Quand tout a ôyu sté bié à dalâche, il a fait passer su F boubou én-n-air de musique, eû-gn que lès stwales cant’tè in s’ pourmenant — ène musique que lès-ornes n’intinftè gnié —; il

24 a spardu dou flair, dou bon flair de damas et d’ayèt; inféngn ène canchon dou vint d’esté, dou vint qui fait tant d’ bié quand i passe su nous tiètes, au nuit’…

 

L’AMOUR

  1. … le plus vieux des bons Dieux faisait cuire son fricot… — 3. … tout penaud, en songeant. — 6. es’ carougner, se quereller.
  2. … des loups, des chats sauvages, des chauves-souris et des poux…
  3. buzier, réfléchir. — 15-16. … et il est allé chercher un chaudron neuf. — 17 … que le tout bouille [jusqu’]à l’écume, sur la « potière » (= instrument qui supporte la marmite sur le feu).
  4. brachie, brassée; salô, soleil. — 20. toukier, plonger, tremper; touyer, mélanger. •— 21. à dalâche, en train, en action. — 22. su V boubou, sur ce qui bouillait. — 24. … du bon parfum de julienne et de narcisse des prés.

 

(p.251)

Tout-in touyant, il a co stikié aute chose in 1′ caudron : lès rouchès

28   couleurs de 1′ piqueté dou djoû, èyèt co après, saquants bat’mints d’ cwêr de nos pus biaus camps d’ blé… Il a touyé lonmint, toudi touyé… El louche d-alot sans s’èrpoûser. C’est seûl’mint adon qu’il a versé bèl’mint, tout bèl’mint, èl vali-

32 chance d’en bac de tindrèsse èyèt co éne onche de sot’rie. Corne i brêyot d’ binêsté d’awo fait ‘ne parèye èrcète, il a lèyé kèyî d’vins tout coula deûs trwas larmes de bon grand-pé… Pou fini, il a s’mé pa d’zeûr, ‘t-in gratant s’n-orèye, ène grosse pénchie

36   d’ lostrie.

En quart d’eûre après, gnié pus’, gnié mwins’, i wîdjot dou caudron en biau p’tit êfant qui riyot, qui f’zot dès guignètes et qu’inwayot dès baises in tous lès sins.

40 En’ c’ét gnié en pénchon gnié ‘ne alowète, èyèt pourtant il awot dès blancs p’nas, èyèt i s’involot d’en cwéngn à Faute… En’ c’ét gnié ‘ne rosé gnié ‘ne magrite, èyèt pourtant il imbaumot pa dès bonès sinteûrs… En’ c’ét gnié dou vint, èyèt pourtant on s’ sintot

44   caressé come pa én-n-air doux et caud.

C’ét en djambot, en biau p’tit djambot, ave ‘ne tiète d’or toute crolée, en djambot à rouchès machèles, pu maléngn qu’ène archèle et pu losse que 1′ Diâpe. Èç’ djambot-là, c’ét l’Amour.

48 T-aussi rate, franc come en tigneûs, il a moustré 1′ debout d’ès’ nez au pus vièy dès bons Diès — qu’ét s’ pé pourtant… Il a passé pa 1′ fèrniète èyèt s’a involé dou costé de 1′ têre dou monde. Su 1′ côp, èl grand-pé dès bons Diès in-d-a sté ayuri et d’zolé…

52 Mes, in boutant s’ tiète à 1′ fèrniète, i n’a pus intindu lès dèsputes dès garçons et dès fies : i n’a pus foke intindu dès baises èsclakier in tous lès cwéngn, et dès souspirs…

 

31-33. … il a versé doucement, tout doucement le contenu d’une auge de tendresse et en plus une once de folie. Comme il pleurait de joie… — 34. kèyî, tomber. — 35-36. … une grosse pincée de malice.

37-38. v/îdjot, sortait.

  1. pénchon, pinson. — 41. p(è)na, aile.
  2. djambot, bambin. — 46. machèle, joue; malégn, ici : subtil; archèle, branche d’osier. — 47. losse, malicieux.
  3. … franc come un teigneux (loc. popul.). — 53. il n’a plus entendu que des baisers résonner…

56… pour faire sa sieste.

 

(p.252) « Alons ! èl djeû va bié… I d-ira co mwé pus tard ! Dj’ai rûssi ! »

56   s’a-t-i dit, in d-alant s’èstinde su s’ payasse pou fé s’ niquèt. H awot gangné s’ djournée…

 

La Vie wallonne, t. 21, 1947, pp. 289-291 (avec trad. de M. piron).

 

 

80

El canchon d’ l’alowète

 

Pou fé bié passer nou temps, èd’ vous dirai ‘ne petite can­chon : èd’ vous cant’rai èl ceune de l’alowète qui s’indôrt in 1′ trânèle.

4 L’alowète, qu’est fô rêleûse, en’ sawot djamins s’ taire. Tout-in s’ coukyant, èle cantot pou sawo si èle s’intindot co li-minme. Es’ grêle canchon wîdjot d’ès’ goyé ‘t-aussi bèl’mint qu’en souspir. Mes si bèl’mint qu’èle ne s’intindot gnié ‘ne mile.

8 I passe pa-d’vins 1′ piésinte en carbenier d’ vent-ans qui d-alot tout-in chuflant, ave ses magn in ses pochètes èyèt, pa-d’zous s’ bras, es’ malète.

L’alowète èrlièfe es’ petite tiète  avèrlue :   « Dèspêche-tè »  qu’èle

12   dèt in s’èskeûzant.  « Douze eûres vont bié rade soner èyèt tou keurs co lès camps !

— O ! de n’ pwè mau de d-aler in m’ lit’ ! Èd m’in vô r’binder in m’ taye, èrbinder pou awo dès yards pou bié fé 1′ ducasse… »

 

 

LA CHANSON DE L’ALOUETTE

  1. trânèle, trèfle.
  2. … qui est fort bavarde.
  3. … sortait de son gosier aussi doucement…

9-10. tout en sifflant, avec ses mains en poche et, sous son bras, sa « malette », c.-à-d. le « petit sac en toile dans lequel les bouilleurs enveloppent leurs tartines » (P. Ruelle, op. cit., p. 131).

  1. avèrlu, espiègle, éveillé. — 12. in s’èskeûzant, en se secouant; douze eûres, ici : minuit.
  2. èrbinder, effectuer une èrbinde, c.-à-d. une prestation supplémentaire; taye, « taille », partie de la mine où l’on abat le charbon.

 

(p.253)

16   Après saquantes r’bindes faites, èl carbenier, qui f’zot rangu’ner ène bone pougnie d’ pièches chonq francs, est d-alé à 1′ ducasse pou vî lès fiyes. Pa yu d-alot tourner s’ car ? Èles li chanôt’ bêles tèrtoutes. Pèrdrot-i

20   ‘ne rousse ou bié ‘ne nwarète ? Sarot-i Charlotte, Cat’rène ou bié Zabèle?…

Inféngn, èl rousse Zabèle a oyu tous lès chances. Èl carbenier s’a marié avec… L’alowète, qui l’a rade soyu, a dit qu’ c’ét ‘ne

24   misère de pus !

 

Ibid., pp. 291-292.

 

81

El galant d’zolé

 

Èdvins m’ courti, 1′ salô a tout fait florî : lès magrites et lès caudrons;

èyèt m’ cwêr a flori ètou corne én-n-ayèt, in viyant dès biaus nwars-yés.

Il a flori corne én-n-ayèt, in rincontrant ène fiye. Èd’ li ai dit qu’elle

et bêle corne ène èstwale; èle n’a gnié voulu m’ascouter.

A l’èrvenue dou temps, lès-alowètes vont canter, lès-âs vont florî, lès

piquetés et lès damas, èyèt lès cwêrs dès garçons êtou.

Les bêles fleurs saront binaises d’été cwayies; lès cwêrs de mès-amis’

cant’ront èyèt saront eureûs ètou èd’lé leûs métrèsses.

 

16-17. … qui faisait tinter une bonne poignée de pièces de cinq francs…

  1. Par où allait-il tourner son char (= fixer son choix). Elles lui semblaient toutes belles. — 23. … qui l’a vite su…

 

Traduction L’AMOUREUX DÉSOLÉ

Dans mon courtil, le soleil a tout fait fleurir : les marguerites et les renoncules; et mon cœur a fleuri aussi comme un narcisse des prés en voyant de beaux yeux noirs. Il a fleuri comme un narcisse des prés en rencontrant une jeune fille. Je lui ai dit qu’elle était belle comme une étoile; elle n’a pas voulu m’écouter.

Au retour du printemps, les alouettes vont chanter, les haies vont fleurir, les œillets-mignardise et les juliennes-des-dames et les cœurs des garçons aussi. Les belles fleurs seront contentes d’être cueillies; les cœurs de mes amis chanteront et seront heureux également auprès de leurs maîtresses.

 

(p.254)

Mi, èd’ mont’rai su en tèris, pou brêre tout féngn seû, in ravêtyant l’ maison de 1′ bêle fiye qui n’ me vêt gnié.

D’aro bié voulu d-aler d’zous s’ fermeté pou li canter ène douche

canchon : mes quand d’ su arivé, c’ét lès penchons qui cantôt’ à m’

plache.

On a bié s’ pé, on a bié s’ me : on a tout quant qu’i faut pou vîfe…

Mes on est chagréngn quand on n’est gnié ascoute de F ceune qui vous

charme.

Quand on n’ pwèt gnié canter pou l’amour d’ène bêle fiye, qu’est-ce

qu’on fait su ç’ têre-ci ayu-ç’ qu’i n’ devrot foke awo plache pou lès

garçons qu’on wot vol’tié ?

Viyez bié ! Quand on est p’tit, on n’ devrot djamins rire, pace qu’i fait

bié dur au monde… On n’ devrot gnié trouver bon èl lait d’ès’ mamére,

quand i fait si monvais vîfe, pus tard…

 

Ibid., pp. 292-293.

 

Moi, je monterai sur un terris, pour pleurer tout (fin) seul, en contemplant la maison

de la belle fille qui ne me veut pas.

J’aurais bien voulu aller sous sa fenêtre pour lui chanter une douce chanson :  mais,

lorsque je suis arrivé, c’étaient les pinsons qui chantaient à ma place.

On a bien son père, on a bien sa mère : on a tout ce qu’il faut pour vivre… Mais on

est chagrin quand on n’est pas agréé de celle qui vous touche le cœur.

Quand on ne peut chanter pour l’amour d’une belle fille,  que fait-on sur cette terre

où il ne devrait avoir place que pour les garçons qui sont aimés ?

Vous voyez bien ! Quand on est petit, on ne devrait jamais rire, parce que le monde

est bien dur…  On ne devrait jamais trouver bon le lait de sa mère, quand il fait si

mauvais vivre plus tard.

 

Passeû d' êwe (passeur d'eau) (Joseph Vrindts)

(p.255)

JOSEPH VRINDTS

(1855-1940)

 

Enfant du peuple, élevé dans le quartier de Djus-d’là, à Liège, où s’écoulera toute sa vie, Joseph Vrindts exerça, entre autres métiers, celui de cordonnier jusqu’à ce qu’un emploi d’aide-bibliothécaire communal, en 1907, le mette à l’abri du besoin, en lui permettant de poursuivre sa carrière de littérateur wallon.

Celle-ci avait débuté tôt : première chanson imprimée en 1873 et, l’année suivante, admission au Caveau liégeois. Collaborateur, dès l’origine, des jour­naux patoisants Li Spirou (1888) et Li Mèstré (1894), co-fondateur en 1894 de l’« Armanack des Qwate Mathy » dont il assumera seul la rédaction de 1906 à 1910, chansonnier dans l’équipe du premier Cabaret wallon ouvert à Liège (1895-1900), Vrindts déploya une activité soutenue. Il fit jouer une quinzaine de pièces (l’une d’elles, Li sièrmint d’à Grètry, 1908, est restée long­temps au répertoire) et publia, outre un roman wallon, Li pope [La poupée] d’Anvers (1896), sept recueils poétiques dont certains mêlent la prose aux vers : Bouquèt-tot-fêt (1893), Pâhûles rîmes (1897) — que préfaça Maurice Wilmotte —, Lingadje èt ac’sègnance dès fleûrs (1898), Vî Lîdje I (1901), Vîs-êrs èt novês rèspleûs (1907), Vî Lîdje II (1911), Racontûles èt råtchås [Anecdotes et petits riens] (1921). S’y ajoute un volume de chroniques et d’esquisses, Tot tûsant [En songeant] (1924). Toute cette production, assez impressionnante, allait valoir à son auteur le titre de « prince des poètes wallons». Un prince dont le royaume serait le « lèyîz-m’ plorisme » 0). • • Car la poésie de Vrindts, dans sa veine la plus caractéristique, est vouée au culte languissant du passé qui, chez lui, s’accorde ingénuement à l’amour des humbles et des petits bonheurs simples de la vie. Il est dommage que la sensibilité naïve et spontanée qui a fait croire à son génie glisse vers un sentimentalisme stéréotypé et que la voix chevrotante qui lui prête son contour, et parfois son charme, devienne si souvent la voix défaillante d’une diction mal assurée.

 

82                                                                                                    [Liège]

Li passeû d’êwe

(Mélodie de Pierre Van Damme)

 

Dj’han-Piére èsteût r’qwèrou di totes lès djon.nès fèyes,

mins l’ crolé passeû d’êwe riyéve di leûs-amoûrs

3    èt djamåy nole di zèles n’aveût fêt toketer s’ coûr.

 

LE PASSEUR (d’eau)

  1. … n’avait fait battre son cœur.

 

(1) Cfr supra, p.  190.

 

(p.256)

Dè l’ wåmîre å tchèstè, ci n’èsteût qu’ine complinte :

on djåséve dè djon.ne ome, tél qui ç’ fouhe on sègneûr,

6   èt pus d’ine grande madame ènn’åreût fêt s’ monkeûr.

 

Mågré totes lès promèsses, li vîreûs passeû d’êwe

riboutéve li marièdje et lès sètch di skèlins,

9    i n’åreût nin d’né ‘ne cens’ po diveni tchèsturlin.

 

Li passeu d’êwe in.méve ôte tchwè qu’ine tchèsturlin.ne :

si rapècetêye nèçale èt sès vîs navurons

12 lî d’nît dès-ôtès djôyes qui l’ pus bèle dès mayons.

 

A l’êreûr, on l’ vèyéve tot-avå nosse bèle Moûse;

si prôpe vantrin d’ grîse teûle èt si p’tit coûrt såro

15   lî d’nît l’air d’on randahe qu’åreût mêstri lès flots.

 

Nosse clére êwe, po Dj’han-Piére, ridohîve di carèsses;

si vwès, doûce èt nozêye, gruzinéve tot dè lon

18  dès saqwès qu’on tchantéve è nosse payîs walon !

 

— Lès prétins plins d’ sinteûr passèt come dès nûlêyes,

lès tchansons divenèt vîles, on candje d’êr mågré lu,

21 lès rèspleûs qu’on-z-in.méve si roûvièt sins l’ savu…

 

Li nèçale d’à Dj’han-Piére è-st-èvôye dji n’ sé wice !

Dè crolé passeû d’êwe, asteûre, li fåve èst foû.

24 Avou sès vîles candes, i s’ ripwèse ås Tchåtroûs…

 

« Vîs airs èt novês rèspleûs », Liège, 1907, pp. 18-19.

 

  1. wåmire (néol. d’auteur), chaumière. — 6. monkeûr, bonne amie; ici (emploi impropre), amant.
  2. vîreûs, entêté, obstiné. — 8. ribouter, repousser; skèlin, escalin (anc. monnaie); lès sètchs di ~, les sacs de gros sous. — 9. tchèsturlin (néol. d’auteur), châtelain.
  3. sa nacelle (= barque) réparée [grossièrement] et ses vieux avirons. — 12. mayon (= Marion), jeune fille, bonne amie.
  4. A l’aube (la forme authentique est ås-êreûres ou ås-êrs dè djoû). — 14. vantrin, tablier. — 15. on randahe, un gaillard impétueux, un casse-cou.
  5. ridohî, regorger, déborder. — 17. grusiner, fredonner.
  6. … la fable (= l’histoire) est finie (litt. : dehors). — 24. cande, chaland, client; ås Tchåtroûs, aux Chartreux dont le couvent à Liège se trouvait près du cimetière de Robermont; d’où, ici : au cimetière.

 

 

(p.257)

83

Adiè ås vîlès mohones d’å Pont-d’ Bavîre

(Extrait)

 

Mès pôvès d’meûres ! i n’a nin tant              Vv1748

qu’on v’ vèyéve co murer d’ine pèce

è corant qui, d’zos vos fignèsses,

4   passéve si vôye tot glawezinant !

À ! qwand dji m’ rapinse nos rivadjes

èt lès meûrs d’êwe tchèrdjîs d’ mossê,

rimplis d’ craboyes èt d’ nids d’oûhês

  • qui mahît leûs nosés ramadjes

à l’ pèneûse tchanson de molin,

mi coûr si crîve èt, d’vant mès-oûys,

dès-îmådjes qui, djusqu’å rés’ d’oûy,

12 nan.nît dizos l’ poussîre dè Tins,

si dispièrtèt eune après l’ôte.

Dji m’ riveû avou mès sabots

è l’ êwe d’è Såci djusqu’ås gn’gnos,

16 pitit cårpê, mins fèl apôte

qui pèhîve come on marcatchou.

W’è-st-èle èvôye mi vèdje d’ine cens’,

mi coûte lignoûle, èt l’ douce crèyance

20    qui l’ pèheû, sins fé dès-an’tchous,

 

 

ADIEU AUX VIEILLES MAISONS DU PONT-DE-BAVIERE. — Proche de l’hôpital du même nom, le pont de Bavière, appelé aussi pont Saint-Nicolas, fut démoli, avec les maisons voisines, à la fin de 1875, au moment des transformations d’Outre-Meuse. Il recouvrait une branche du bief de Saucy, l’un des bras d’eau qui sillonnaient le quartier et qui furent alors remblayés.

 

1-3. Mes pauvres demeures ! il n’y a pas si longtemps / qu’on vous voyait encore [vous] mirer ensemble / dans le courant… — 4. glaweziner, gazouiller. — 6. et les « murs d’eau » couverts de mousse. — 7. craboyes, trous, aspérités. — 11. … jusqu’aujourd’hui; å rés’ di = au niveau de. — 12. nan.ner (t. enf.), dormir, sommeiller. — 15. dans le bief (litt. : l’eau) de Saucy : voy. ci-dessus. — 16. petit gamin, mais fameux luron. — 17. marcatchou, pêcheur passionné (sobriquet d’un chevalier de la gaule resté légendaire à Liège; DL, fig. 399). — 18-19. vèdje (verge) et lignoûle (petite ligne) désignent la canne à pêche. — 19-22. Ancienne croyance populaire selon laquelle, pour être certain de prendre (haper) du poisson, le pêcheur doit faire trois fois le signe de croix avec la queue de son premier poisson; sins fé d’an’tchous, sans faire d’embarras; genre d’hémistiche-cheville dont la versification de Vrindts est souvent encombrée. — 23. … hors saison, c.-à-d. hors de propos. —

 

(p.258)

po haper deût s’ sègnî treûs fèyes

avou l’ quowe di s’ prumî pèhon ?

Mins, tot çoula, c’èst foû såhon,

24 èt l’ progrès n’a qu’ine seule èvèye :

c’èst dè r’planter lès saqwès d’ vî.

Et vos-ôtes, mès pôves måhîres,

qui m’ rapinsèt li Pont-d’-Bavîre

28 èt nosse Poncé qu’è-st-oûy roûvî,

må pô, v’s-årez fini vosse dag’

èt, lôye-minôye, on v’ roûvîrè !

On roûvèye vite asteûre… Adiè !

32   C’est po tot l’ monde qu’i toûne dè make.

 

‘Vî Lîdje*, t. 2, Liège, 1911, pp. 109-110.

 

  1. r(i)planter, au sens d’enterrer (pour faire disparaître). — 26. måhîre, paroi, d’où, par ext, habitation. — 28. et notre Ponçay (l.-d. survivant aujourd’hui dans un nom de rue du quartier). — 29. (ordt. à må) pô, avant peu; fini s’ dag’, finir sa tâche, faire son temps. — 30. et, peu à peu, on vous oubliera. — 32. C’est pour tout le monde qu’il tourne (du) trèfle : expr. fig. (inédite ?) tirée du jeu de cartes pour signifier que la malchance ou le mauvais sort n’épargne personne.

Henri Simon

(p.259)

HENRI SIMON

(1856-1939)

 

Le plus parfait des poètes wallons. Son unique recueil qu’il consentit à laisser publier par Jean Haust à l’âge de 58 ans décantait l’expérience d’un artiste que l’amour des lettres avait progressivement détourné d’une vocation de peintre.

Né à Liège d’un milieu bourgeois, atteint dès sa plus tendre enfance d’une gibbosité qui l’éloignera de la vie active, orphelin à quinze ans, Henri Simon vécut dans la famille de son tuteur une existence partagée entre la campagne de Lincé-Sprimont et des séjours de plus en plus espacés dans sa ville natale, où il devait finir ses jours. Elève de l’Académie des Beaux-Arts de Liège, après une année de lettres à l’université, Simon séjourna un an à Rome (1883-1884) où son aîné, le peintre liégeois Adrien de Witte, l’aiguilla vers un réalisme qu’il allait mettre en pratique dans la littérature dialectale, après qu’il en eut découvert les ressources au lendemain de Tâtî l’ pèriquî (1885),

A part quelques chansons et les premières esquisses en forme de rondeaux, son œuvre consistera d’abord en comédies d’un ou deux actes; certaines, comme Li bleû-bîhe [Le pigeon biset] (1886) et Li neûre poye [La poule noire] (1893), sont devenues des classiques du théâtre wallon. C’est au tour­nant du siècle que se précise, dans une orientation plus exclusivement poétique, le « Natura duce » qui l’avait inspiré jusqu’alors.

Deux œuvres maîtresses dominent sa production. Les 75 alexandrins de Li mwért di l’åbe font, de la description d’un chêne séculaire qu’on abat, un drame humain. Li Pan dè bon Diu, ce sont les Géorgiques wallonnes; c’est, en 24 courts épisodes, la geste du grain de blé devenu le pain quotidien. Pour ces deux chefs-d’œuvre, le vers s’est libéré de la rime dont l’absence est compensée par un renforcement du rythme intérieur qui distribue les groupes, les coupes et les accents avec un sens accompli de l’harmonie.

La vision contemplatrice de Simon, plus sensible à la ligne qu’à la couleur, est une vision dynamique en ce sens que, d’un geste, d’une action, d’une scène, c’est surtout le mouvement qui l’anime que le poète perçoit : de là, le mouvement du style qui confère à la plupart de ses pages une plénitude faite de l’équilibre entre le choix des détails et la synthèse de l’ensemble, comblée de surcroît par la richesse d’une langue précise et souple.

Ce dernier trait, confirmé par la virtuosité du traducteur de Molière et d’Horace (son Djan’nèsse, partiellement édité, transpose vers par vers le Tartuffe) consacrait Henri Simon comme l’artiste du verbe capable de hausser le dialecte à la dignité d’une langue. C’est ce titre qu’en 1923, l’Académie royale de langue et de littérature françaises (créée à Bruxelles trois ans plus tôt) voulut reconnaître en lui attribuant, dans sa section de philologie, un siège qui est réservé depuis lors à un écrivain dialectal.

Le classicisme d’Henri Simon, qui plaçait la littérature wallonne à son apogée, en déplaçait aussi le centre d’intérêt vers des valeurs plus exigeantes, à la fois esthétiques et humaines. Son exemple a été fécond.

 

(p.260)

84                                                                                                          [Liège]

Li p’tit rôsî

 

È corti d’ nosse mohone i crèhéve on rôsî, i crèhéve on rosi tôt plin d’ lê-m’-è-pâye, i crèhéve on rôsî rimpli d’ tos mèhins

4                 et qu’on n’acontéve nin.

I k’hiyîve si pôve vèye inte deûs rôyes di pâquîs, inte deûs rôyes di pâquîs qui n’ florihèt mây, inte deûs rôyes di pâquîs, ces fleurs di sârcô…

8                 Qui n’ moréve-t-i so 1′ côp !

On djoû, via ‘ne bêle djonne fèye arèstêye è cot’hê, arèstèye è cot’hê rimpli d’ fleurs florèyes, arèstêye è cot’hê d’vant 1′ pôve mèsbrudjî,

12                 qu’on n’aveût mây loukî.

Elle èsteût pôr si frisse, sès-oûy èstît si bês, sès-oûy èstît si bês, — por lu quéle mèrvèye ! — sès-oûy èstît si bês qu’on mirâke si fa :

16                 li rôsî floriha.

I n’ floriha qu’ine rosé ossi blanke qu’on feû-d’-li, ossi blanke qu’on feû-d’-li, v’s-ârîz dit ‘ne nîvaye, ossi blanke qu’on feû-d’-li qui s’ droûve tôt doûç’mint

20    à l’êreur d’à matin.

 

LE PETIT ROSIER. — Ce poème d’amour, unique dans l’œuvre d’Henri Simon, a été composé sur le canevas d’une vieille chanson populaire française que le poète avait entendue de son père et dont il se rappelait seulement la première strophe : « O qu’avez-vous don, belle, si fort que vous pleurez, / si fort que vous pleurez sur le bord de l’île, / si fort que vous pleurez sur le bord de l’eau, / mais auprès du vaisseau ? ». Pour plus de détails, cfr Les Dialectes belgo-romans, t. 1 (1937), pp. 214 ss. et t. 2 (1938), pp. 33 ss.

 

  1. Dans le courtil de notre maison, il croissait un rosier. — 2. lê-m’-è-pâye (litt* : laisse-moi en paix), seul’ dans l’expression (esse) plin d’c^>, (être) maussade, chagrin, accablé d’ennuis. — 3. mèhins, infirmités. — 4. aconter, faire attention à (une personne).
  2. k(i)hiyî, déchirer, déchiqueter, mettre en lambeaux; le vers pourrait se traduire : il usait sa pauvre vie entre deux lignes de buis. — 7. sârcô, tombeau.
  3. cot’hê, comme corti, désigne un jardinet. — 11. mèsbrudjî, infirme, éclopé.
  4. Sur pôr, que l’on rendrait ici approximativement par : vraiment, cfr le n° 36, note 29.
  5. feû-d’-li, lys. — 18. nîvaye, neige.

 

(p.261)

Li crapôde plinte di djôye de 1′ vèy si djonne flori, de 1′ vèy si djonne flori, — lès feumes sont canayes, — de 1′ vèy si djonne flori, sor lu s’abaha :

24    li p’tit rosé l’ècinsa.

L’odeur èsteût si douce qui 1′ bâcèle èl côpa, qui 1′ bâcèle èl côpa po s’ fé ‘ne gâgâye, qui 1′ bâcèle èl côpa po 1’ mète à flokèt

28    di s’ bê noû côrsulèt.

Mins, 1′ porminâde finèye, li rosé aveût flouwi. Li rosé aveût flouwi so lès bêles câyes. Li rosé aveût flouwi… Sins minme on louka,

32    djus d’ lèy èle li tapa.

Li corti, c’est nosse tére; mi, c’est li p’tit rôsî; mi, c’est li p’tit rôsî qui n’ florih pus mây; mi, c’est li p’tit rôsî; mi cour, c’est s’ blanke fleur; 36                  l’amour, c’èsteût si-odeur.

 

Novembre 1897

 

« Li pan de bon Diu, poèmes wallons », Liège, 1914, pp. 3-4.

 

(p.261)

[TRIPTYQUE]

85

I

A ‘ne vèye mohoue

Brave vèye mohone de bon vî tins, avou t’ sèyeûte dihâmonêye et t’ panse qui boute dizeû 1′ pavêye,

4    dji n’ se vrêy’mint cou qui t’ soutint !

 

  1. djonne a ici le sens adverbial de : nouvellement. — 22. … sont cruelles. — 23. … vers

lui s’abaissa. — 24. encenser, au sens de : dégager son parfum.

  1. gâgâye, colifichet, parure.
  2. … était fanée sur les beaux atours. — 31. louka (var. de loukeûre), regard.

 

A UNE VIEILLE MAISON

  1. sèyeûte, encorbellement, étage en saillie (DL, 590 et fig. 610); dihâmoné, délabré.

 

Dj’a todi-mây sogne à matin di t’ trover pètêye à 1′ valêye, brave vèye mohone de bon vî tins, 8    avou t’ sèyeûte dihâmonêye.

Hoûte chai : mi vous-s’ rinde bin contint ? Dimeûre co là bin dès-annêyes, dimeûres-i po bouter m’ pwèsêye et loukî passer mi-ètér’mint,

13    brave vèye mohone de bon vî tins !

 

1885

Ibid., p. 36.

 

(p.262

86

II

Rigrète

Pôve vèye mohone de bon vî tins, mâdit 1′ ci qui t’ tape à 1′ valêye ! T’âreûs d’vou, tôt t’ vèyant man’cêye, ti lèyî waguer so ses rins !

È li p’tite rowe ti fèves si bin ! t’èsteûs co bone po tant d’annêyes ! Pôve vèye mohone de bon vî tins, mâdit P ci qui t’ tape à P valêye !

 

  1. todi-mây, renforcement de todi, toujours. — 6. peter à V valêye, dégringoler (de haut en bas).

 

  1. … pour écouter [sonner] mon glas.

REGRETS

  1. taper à V valêye, jeter bas, démolir. — 3. man’cêye, menacée. — 4. waguer, tomber comme une masse.
  2. … tu «faisais» si bien, au sens de: convenir, plaire.

 

(p.263)

Ti n’ sârès vèyî mi-ètér’mint; ti n’ôrès nin soner m’ pwèsêye. C’est mi qu’a hoûté t’ langonêye et qu’ t’a vèyou mètowe as strins,

13    pôve vèye mohone de bon vî tins !

 

1917

 

Ibid., 2e éd., (coll.  « Nos Dialectes »),  Liège, 1935,  p. 45.

87

 

III

Sov’nance

 

È 1′ vèye mohone de bon vî tins, i d’manéve ine si bêle djonne fèye ! On n’ si poléve ripahe de 1′ vèy;

4   c’est vrêye qu’adon c’esteût 1′ prétins.

Oûy, c’est l’iviér : on s’ rissovint… Ine saqwè v’ sussène à l’orèye : « È 1′ vèye mohone de bon vî tins,

8    i d’manéve ine si bêle djonne fèye ! »

On clègne sès-oûy, on louke â-d’vins, on r’veut 1′ mohone et si-ouhèl’rèye, et, so F sou, 1′ crapode qui soreye, corne on l’a vèyou si sovint

13    è 1′ vèye mohone de bon vî tins…

 

1917

Ibid., pp. 45-46.

 

  1. langonêye, agonie. — 12. être ou mettre as strins, expr. fig. signifiant : être ou mettre sur la paille (striri), suivant l’usage ancien d’ensevelir les morts sur la paillasse du lit.

 

SOUVENIR

  1. ripahe, repaître; le sens est : on ne pouvait se lasser de la voir.
  2. Quelque chose vous chuchote à l’oreille.
  3. ouhèl’rèye, « huisserie », boiserie encadrant une porte.

 

(p.264)

88

Li priyeû

 

« On v’ fêt priyî à l’ètér’mint d’à Tch’han Djôsèf Matî Pènêye, à F porotche, po d’min, noûv et d’mêye… »

4   L’orne. Tin! vo-P-là mwért?

Li feume. Nèl savîz-v’ nin ?

L’orne. I hosse è mantche dispôy lontins. Li jeume. Cou qu’ c’est d’ nos-ôtes !

L’orne. Awè, c’est vrêye ! — « On v’ fêt priyî à l’ètér’mint

8    d’à Tch’han Djôsèf Matî Pènêye… »

L’orne. D’vant di m’ marier, n’s-èstîs wèsins. Li feume. Alez-v’ co ‘ne fèye piède vosse djoûrnêye ? L’orne. On s’ kinoh dispôy tant d’annêyes ! Li feume. Fez fé vosse bâbe, aie, fat bin ! 13    — « On v’ fêt priyî à rètér’mint… »

 

10 août 1886

Ibid., éd. orig. (1914), p. 44.

 

(p.264)

89

L’alôre

Dizeû P vête campagne qui fruzih à P douce êreûr di l’â-matin, Palôre s’ènêrêye fou dès grains 4   vès P bê clér solo qui r’glatih.

 

LE « PRIEUR ». — II s’agit du priyeû d’ètér’mint, * sorte de crieur public qui parcourt les rues pour annoncer le jour et l’heure d’un enterrement » (DL, 510). Usage aujour­d’hui disparu à Liège.

  1. de Jean, Joseph, Mathieu Pènêye : ce dernier nom d’homme est fantaisiste et n’existe

que dans des dictons (cfr DL, 469). — 3. à la paroisse, pour demain, à neuf [heures]

et demie.

  1. Il branle dans le manche depuis longtemps.
  2. Faites faire votre barbe… Autrefois, l’usage était de ne se raser que le dimanche

et en certaines circonstances; la plupart des hommes recouraient à l’office du barbier.

 

L’ALOUETTE

  1. fruà, frissonner, frémir. — 3. s’ènêrî, prendre son essor, s’envoler. — 4. r(i)glati, briller.

264

 

(p.265)

On Tôt peter s’ tchant qui r’dondih è cîr, corne on clabot d’ârdjint, dizeû P vête campagne qui fruzih

8    à P douce êreûr di l’â-matin.

Mins, d’on plin côp, P rèspleû finih… L’alôre a plonkî… Èle rid’hind d’ié s’ frumèle, qui keûve è wassin, et pus rin de monde ni motih

13    dizeû P vête campagne qui fruzih.

 

1892

Ibid., p. 54.

 

(p.265)

90

Li mwért di l’âbe

 

Là, so P crèstê, qui boute à mitan dès deûs vas fî parèy à li scrène d’ine vîle adjèyante bièsse, l’âbe a crèhou, fwért et vigreûs, dreût corne in-î.

4   Ses cohes, corne ot’tant d’ brès’, ont l’air d’agridjî P cîr, dismètant qu’ ses rècènes, parèyes à dès mains d’ fier, hêyèt lès deûrès rotches po djonde li cour de P tére.

Dispôy kibin d’annêyes sèreût-i bin là-d’zeûr ?

8    Pèrsone nèl poreût dire, ça, si Ion qu’on s’ rapinse, lès tâyes ènn’ont djâsé corne d’ine vîle kinohance qui leûs pères ont vèyou qu’i n’èstît qu’ dès-èfants. Lès-iviérs l’ont strindou, lès-ostés l’ont broûlé,

12   et P timpèsse et P tonîre l’ont djondou co traze fèyes,

 

  1. … qui retentit. — 6. cîr, ciel; clabot, grelot.
  2. rèspleû, refrain (ici, le chant de l’oiseau). — 11. auprès de sa femelle, qui couve dans le seigle. — 12. moti, dire mot, parler.

 

LA MORT DE L’ARBRE

  1. crèstê, crête, sommet; bouter, faire saillie, ressortir; va, val, vallée. — 2. scrène, échine; adjèyant(e), géant(e). — 4. Ses branches, comme autant de bras, ont l’air d’agripper le ciel. — 5. dismètant qui…, cependant que… — 6. hêyî (var. de hayî), écarter.
  2. tâyes, ancêtres.  —  12.   …   l’ont atteint  (litt* :  joint)  encore   « treize  fois »,  c.-à-d.

 

(p.266)

sins mây lî fé ‘ne ac’seûre. Fait-a-fait’ qu’i crèhéve, lès-autes-âbes s’ont r’sètchî corne po lî fé de 1′ pièce, et, d’zos ses bazès cohes, i n’ crèh qui dès boulions

16    qu’elle avisèt voleur warandi d’ leû fouyèdje. Lès-oûhês 1′ riqwèrèt, li monsâ fait s’ niyêye divins ‘ne fotche conte si bôr et, qwand 1′ Bête tchèrèye pâhûl’mint d’vins lès steûles è 1′ douce tièneûr de 1′ mit’,

20   c’est sor lu qu’ po tchanter 1′ râskignoû s’apîç’têye.

C’est qu’ l’âbe est pôr si bê ! Qwand c’est qu’on 1′ veut, l’ivier, mostrer so 1′ blanke nîvaye l’èfèhèdje di ses cohes, i v’ rapinse li tchèrpinte d’on palâs qui s’èlîve,

24   et, qwand l’osté lî rind li spèheûr di ses foyes,

on creût, tôt moussant d’zos, qu’on-z-inteûre à l’église ènêrant d’zeû nosse tièsse ses hardèyès vôsseûres. Ossu, n’a-t-i pèrsone, et coula d’ lâdje et d’ long,

28    qui nèl kinoh, qui nèl réclame, qui n’ vis l’ac’sègne,

pus hôt qu’ lès pus hôts tiers, si dressant corne ine tour dizeû lès bwès, dizeû lès tchamps, dizeû 1′ payis. C’est lu li rwè dès tchinnes : li tére ènn’èst tote fîre !

32   Et l’âbe si lêt viker, pâhûl’mint, sûr di s’ fwèce, sins mây pinser qu’on djoû vinrè qui n’a pus v’nou.

Il a compté sins s’ messe, l’orne, qui, tôt passant d’ié, a vèyou d’on côp d’oûy cou qu’i valéve di çans’. 36   C’est fini de vî tchinne ! Tot-z-oyant hil’ter l’or, l’orne a roûvî s’ bête, qui ses tâyes ont k’nohou; il a roûvî s’ vîyèsse, qui s’ père a respecté.

Et vola qu’à pîd d’ l’âbe lès bwèh’lîs s’arèstèt, 40   tchèrdjîs d’aw’hiantès hèpes et d’ pesantes cougnèyes.

 

 

maintes fois. — 13. ac’seûre, atteinte, blessure; … au fur et à mesure qu’il croissait. — 15. et sous ses branches inférieures, il ne grandit que des buissons. — 16. qu’elles (= les branches) semblent vouloir protéger… — 17. monsâ, ramier. — 18. dans une fourche contre son tronc et, quand la lune s’avance (litt* : charrie). — 20. râskignoû, rossignol; s’apîç’ter, se percher, se poser. — 21. pôr : cfr supra, Li p’tit rosi, v. 13. — 22. èfèhèdje, enchevêtrement; ici: l’entrelacs de ses branches. — 24. … l’épaisseur de son feuillage. — 26. élançant au-dessus de notre tête ses voûtes audacieuses. — 28. réclamer, au sens de : vanter. — 29. tiér, « thier », tertre, colline.

  1. … En entendant sonner l’or (c.-à-d. le profit).
  2. bwèh’tt, bûcheron. — 40. chargés de haches effilées… — 41. r(i)cèper, couper, tailler.

 

(p.267)

Rade, il ont gripé d’ssus po lî r’cèper ses cohes,

et lès hèpes ataquèt. Li crèstê si pâhûle

si rimplih d’on grand brut. On-z-ôt crohî lès bwès

44   qui s’ frohèt tôt tournant so lès bouhons spatés. Lès-oûhês, tôt fou d’ zèls, aband’nèt leû niyêye, s’èvolèt tôt pîlant, dismètant qu’eune à eune lès ramayes s’abatèt djus de bôr covrou d’ plâyes,

48    qui dresse fîr’mint so 1′ cîr si cwér tôt mèsbrudjî.

Il fat qu’on l’âye à 1′ tére ! C’è-st-â tour dès cougnèyes : èle l’ataquèt po 1′ pîd. Li bwès, deûr corne de fier, tint bon conte lès-ac’seûres dès hagnantès-ustèyes.

52   Li brès’ dès-ornes falih; mins, so 1′ tins qu’onk si r’hape, in-ôte riprind Povrèdje. Et, pidjote à midjote, vola corne ine grande plâye fête à l’âbe, qui djèmih et fruzih à chaque côp dès bleus tèyants d’acîr.

56   I n’ tint pus qu’ d’on costé. Rade, on-z-a nokî ‘ne cwède conte on strouk dimanou d’eune di ses hôtes cohes, et lès-omes sètchèt d’ssus. L’âbe clintche et, tôt vèrdjant, si r’drèsse et stâre à 1′ tére tos lès cis qu’ l’ont moudri.

60   Lès bwèh’lîs s’èstièstèt : li cwède est co r’tinkêye

et, là qui 1′ tchinne riplôye, on côp d’ hèpe bin mètou lî vint racrèhe si plâye tôt lî r’hapant de 1′ fwèce. On dièrin côp d’ gorê, lès-omes è seront messes !

64   Ossu, vola qu’è 1′ keûhisté de 1′ matinêye,

on-z-ôt wîgnî ‘ne saqwè, londjinn’mint, corne ine plainte. Li tchinne s’abat’ d’ine pèce, li crèstê rèsdondih et 1′ tére tronle, dismètant qu’on groûlèdje di tonîre,

68    si stârant d’zeû lès bwès, va mori d’vins lès vas. Et, so P campagne, li labureû, pris corne d’ine hisse, arèstêye ses deûs dj’vâs po loukî vès lès tiers…

 

—  43. crohî, craquer. — 44. qui se froissent en tombant sur les buissons écrasés. — 45. tôt fou d’ zèls, éperdus (litt* : tout hors d’eux). — 46. piler, piailler. — 47. ramayes, ramilles,  petites branches;  bôr, tronc. — 48.  mèsbrudjî,  mutilés. —  51.  ustèye (fém.), outil. — 52. /a/i, défaillir, faillir. — 53. pidjote à midjote, petit à petit. — 55. … des bleus taillants d’acier. — 56. nokî, nouer, -é. — 57. contre un moignon resté d’une…

—  58. … L’arbre penche et, en ployant. — 60. s’étièster, s’entêter, s’acharner; la corde est encore tendue. — 61. et, tandis que le chêne ploie de nouveau…; hèpe, hache. — 62. vient étendre sa plaie en lui reprenant de la force. —• 63. côp d’ gorê,  coup de collier (ici, au fig.). — 64. keûhisté, quiétude. — 65. wignî, grincer, gémir. — 67. et la terre tremble, cependant qu’un grondement de tonnerre. — 69. hisse, effroi.

267

 

È 1′ pièce di l’adjèyant, c’est corne on trô so 1′ cîr…

72   L’orne a compris, rataque si rôye, et, mâgré lu, ritape à tôt côp bon sès-oûy, là, vès 1′ crèstê : c’est qu’i r’sint d’vintrinn’mint li r’grèt qu’on-z-a de piède inse saqwè qui v’s-at’néve, •— qu’on n’ riveûrè mây pus.

1909

 

Jbid., pp. 101-104. Paru d’abord (avec trad.) dans Bulletin du Dict. gên. de la langue wall., t. 6, Liège, 1911, pp. 7-11.

 

(p.268)

LI PAN DE BON DIU

(Extraits suivis)

 

I 91                                              Li tchèrwèdje                                      Vv. 1-50

 

Lès-awouts sont finis, lès d’vêres ont stu rintrés, et, pidjote à midjote, li pôve tére est tote nowe. So lès hâyes corne è bwès, totes lès foyes sont djènèyes

4   et gotèt djus dès cohes, eune à eune, — corne lès lames

de 1′ bêle sâhon qui s’ sint d’cwèli. Dès lonkès hièdes d’oûhês passèt tôt s’èhâstant po r’gangnî 1′ tchôd payis et, là, drî lès nûlêyes

8    qui corèt totès basses dizos 1′ vint qui lès tchèsse, c’è-st-à hipe s’on-z-ad’vène li solo, tôt pèneûs di n’ nos poleûr pus rèhandi.

  1. rôye, sillon (litt* : raie). — 74. d(i)vintrinn’mint, intérieurement. — 75. quelque chose qui vous tenait de près, qu’on ne reverra jamais plus.

 

LE PAIN DU BON DIEU I. LE LABOUR

  1. awout, août, moisson; lès d’vêres, les récoltes (ne se dit que d’une récolte sur pied). — 4. gotèt, tombent (litt1 : gouttent); cohe, branche. — 5. d(i)cwèli, décliner, dépérir. — 6. hiède, troupeau; ici, file (d’oiseaux). — 7. nûlêye, nuée, nuage. — 9. à hipe, à peine, de justesse; pèneûs, triste. — 10. rèhandi, réchauffer.

 

(p.269)

Mins s’ tôt nos qwite, moûrt ou s’èdwèm,

12          l’orne est là qui n’ pied’ nin corèdje.

Li tére lî d’meûre. Âs-êres de djoû, plin d’èhowe i s’ met’ à l’ovrèdje. È 1′ grande siteûle, là, so 1′ pindêye,

16          èl vèyez-v’ avou ses deûs dj’vâs ?

I vint d’èdjibler si-atèlèdje. Li M, qu’est tèyant corne ine fâs, d’on plin côp mousse è cour de 1′ tére,

20          qui, bin pâhule dispôy in-an,

ni s’ sov’néve câzî pus d’ l’èrére…

Vola ‘ne rôye tapêye è mitan :

on dîreût ‘ne plâye fête à 1’ djouhîre…

24          Mins ç’ n’est qu’ l’amwèce : sins mây lâker,

l’èrére vint rinde si côp d’acîr à 1′ tére qui djèmih tôt s’ drovant.

I fat portant qu’ lès djvâs soflèsse :

28          l’orne arèstêye ses deûs bayârds

et, dismètant qu’i toûne li tièsse

po loukî l’ovrèdje abatou,

vola qu’ d’à fî fond de 1′ brouheûr

32          tote grîse, qui rafûle li campagne,

aspite ine nûlêye di cwèrbâs;

et, corne si ‘ne saquî l’zî dèrisse

qui, por zèls, l’eûrêye est là prête,

36          vo-lès-la plonkîs, tôt brèyant,

à mitan de tchèrwé qui fome;

et, so lès roukes corne è l’arôye,

c’è-st-on disdut, c’è-st-on sam’rou

40          di neûrès-éles et d’ vigreûs bètch

 

  1. plein d’entrain… — 15. siteûle, êteule; so l’ pindêye, sur la pente (du terrain). — 17. Il vient d’équiper son attelage. — 18. Le soc, qui est tranchant comme une faux. — 21. èrére, charrue. — 22. … un sillon tracé au milieu. — 23. djouhîre, jachère. — 24. amwèce, amorce; ici: début, commencement; lâker, lâcher, cesser. — 26. … qui gémit en s’ouvrant.
  2. boyard, cheval (de couleur baie). — 31. brouheûr, brume, brouillard. — 32. rafûler, envelopper, recouvrir. — 33. surgit une nuée de corbeaux. — 35. eûrêye, repas. — 36. les voilà plongés, en coassant. — 37. tchèrwé, terre labourée. — 38. et sur les mottes de terre comme dans le sillon. — 39. disdut, tapage; sam’rou, bruissement prolongé (d’essaim,

 

(p.270)

ramèh’nant tôt 1′ mâva bisteû qui l’èrére vint d’abouter fou.

Ossu, qwand l’orne veut leû-z-èhowe, 44          i s’ sint tôt honteûs de n’ rin fé,

ça, d’on côp, dispièrtant ses dj’vâs,

vola qu’i rataque à tchèrwer.

Et, si longue qui 1′ djoûrnêye sèrè, 48          tôt corne l’arègne qui tèh si teûle,

l’èrére va tant tourner dès côps

qu’i n’ dimeûr’rè rin de 1′ siteûle.

Ibid., pp. 107-109.

 

II

92                                                 Li sèmèdje                                       Vv. 51-75

 

Li djouhîre est tchèrwêye. L’èrére si pout r’pwèser. Ossu, l’orne èl lêt là po prinde ine ôte ustèye. C’est d’abord l’îpe, qui dresse vès 1′ cîr ses betchous dints, 4   prête a-z-agridjî 1′ tére. L’orne l’a dèdjà r’toûrné; lès dj’vâs sont-st-atèlés, li prumîre plène tapêye;

et, d’zos l’ustèye qui fait dès hopes

tôt k’tèyant lès rôyes de tchèrwé, 8          lès cwâres et lès roukes si fondèt,

li tére si brîhe, si strûle et haie.

Mins, corne i d’meûre co dès groubiotes

qui l’îpe roûvèye, li pesante wèle

 

d’ailes, etc.). — 40-42. d’ailes noires et de becs alertes / récoltant toute la vermine / que la charrue vient de faire sortir. 48. … l’araignée qui tisse sa toile.

 

  1. LES SEMAILLES
  2. … la herse, qui dresse au ciel ses dents pointues. — 4. agridjî, agripper, saisir avec force. — 5. plène, « trace longitudinale que laisse la herse promenée sur un champ » (DL, 488). — 6. hope, bond. — 7. en coupant les sillons du labour. — 8. cwâre, « motte de terre détachée par le labour » (DL, 189); rouke, même sens. — 9. la terre se brise, s’émiette et sèche. — 10. groubiote, petit grumeau (ici: de terre). — 11. wèle, fém.,

 

(p.271)

12          passe tôt wîgnant so 1′ tére tote hole

et v’s-èl sipate tôt corne on dègn.

L’orne tchâsse li blanc sèmeû, vis-èl rimplih à make

et, d’on djèsse todi 1′ minme, d’on grand djèsse qui v’s-a l’êr

16   de voleur acoyî tôt cou qu’il a d’vant lu,

— d’on djèsse qui nos rapinse li ci qu’ fèt lès priyèsses tôt tapant 1′ bèneûte êwe è 1′ grande pâhûlisté qui djômih è l’église, — i sème, è 1′ keûhisté

20   de 1′ campagne qui fruzih à 1′ prumîre blanke râlêye. Lès hos d’or, tôt gruz’lant fou de 1′ main qui lès hène, s’abatèt tôt spitant so 1′ tére, qui lès rawâde et trèfèle de ravu lès-èfants qu’èle pwèrta…

24   On côp d’îpe lès rafûle, on côp d’îpe lès-ètére : i n’ont pus qu’a djèrmi.

Ibid., pp.  110-111.

 

VII

93                                                      Awout                                         Vv. 169-192

 

Li tcholeûr èssop’têye li tére. Rin ni s’ rimowe, i n’ court nou vint. On n’ôt nou brut : c’est tot-à hipe 6   si 1′ tenant de 1′ cwaye, catchèye è grin, vis fêt pinser qu’ine saqwè vike.

rouleau (t. d’agric.). — 12-13. passe en geignant sur la terre toute molle / et vous l’aplatit comme l’aire d’une grange.

  1. L’homme endosse (litt* : chausse) le blanc semoir, vous le remplit jusqu’au bord. — 16. de vouloir accueillir… — 17. … qui nous rappelle celui que font les prêtres. — 19. djômi, sommeiller, couver. — 20. râlêye, gelée blanche. — 21. ho, grain (de blé); … en grésillant de la main qui les lance. — 22. spiter, jaillir, bondir. — 23. tréfiler,

tressaillir.

  1. djèrmi, germer.

 

VII. AOUT

  1. èssop’ter, assoupir. — 4.  cwaye,  caille. — 8. frudft, fructifier.  —  10. fènèsse, tige

 

(p.272)

C’est 1′ tins d’awout, là qui F solo

done à 1′ tére si dièrin côp d’ min,

8    po fé frudjî cou qu’èle pwèrta

et payî l’orne di totes ses ponnes.

Lès fènèsses, nawêre dreûtes et fîres,

falihèt de sut’ni lès potes

12   totès riglêyes di pesants hos;

et, bin doûç’mint, 1′ campagne djènih,

tél’mint qu’ vola corne on drap d’or

tôt r’glatihant stindou sor lèy.

16   Ossu 1′ cinsî, sins pu wêster,

brêt : « C’est l’awout ! » Rade on s’aglidje :

lès fâs pindowes divins lès heures

sont d’mantchèyes èrî d’ leûs fâmins,

20   et vola qui, d’vins totes lès cinses,

lès cours s’implihèt d’on brut d’ fôdje

qui s’ met’ à hil’ter djoyeûs’mint.

C’est lès tèyants dès fâs qu’on r’drèsse

24    à côps d’ marte so lès bat’mints.

 

Ibid., pp.  119-120.

 

VIII

 94                                                 Li soyèdje                                    Vv. 193-226

 

Et vola lès soyeûs qui s’ pârtihèt 1′ campagne, îr èco si pâhûle, oûy plinte d’on monde di djins s’aglidjant chaque à 1′ mis po 1′ dispouyî d’ ses d’vêres.

4   Adon, è plin solo blâmant d’ tos ses pus reûds, l’ovrèdje kimince, deûr et sins r’pwès.

 

(de graminée). — 11-12. défaillent de soutenir les épis / tout chargés de pesants grains. — 13. djèni, jaunir. — 16. … le fermier, sans plus tarder. — 17. … Vite on se démène (ou: on s’évertue pour se préparer). — 18. fâs, faux; heure, grange. — 19. sont déta­chées de leurs manches. — 21. les cours s’emplissent d’un bruit de forge. — 23. tèyant, n., tranchant (ici : de la faux). — 24. bat’mint, enclumeau de faucheur (DL, fig. 67 et 68).

 

VIII. LA FAUCHAISON

  1. Et voilà les faucheurs qui se partagent… — 2. hier encore si tranquille… — 3. s’éver­tuant à qui mieux mieux pour la dépouiller de ses récoltes. — 4. … brûlant de toutes ses forces.

272

 

Corne dès balancîs tofér èn-alèdje, lès aw’hiantès fâs moussèt d’vins lès grins.

8           Li r’iûhant de fier passe corne l’aloumîre.

Ine saqwè djèmih et, d’zos lès tèyants, lès pesantes potes, prises corne d’on toûbion, s’abatèt so 1′ tére qui lès-a pwèrté;

12           et, drî lès soyeûs, lès bâtes si stârèt

à lonkès hièrtchèyes, qui les racôy’rèsses d’on vigreûs côp d’ séye mètet-st-à djavês.

Ossu, so quéquès-eûres, on n’ rik’noh pus 1′ payis.

16    Li campagne, ataquêye di traze et traze costés, si droûve divant lès fâs; et dès lonkès-alêyes, si loukant totès vêtes so 1′ coleûr d’or dès grins, mostrèt l’ovrèdje qu’est fêt. « Qu’on-z-ataque à loyî ! »

20   brêt 1′ messe. Et lès djavês div’nèt d’on côp dès djâbes, et lès djâbes dès tèssês, qui s’ drèssèt so lès steûles à lonkès riguilites. Vos dîrîz-st-ine ârmêye abrotchant fou de 1′ tére; mins c’est l’ârmêye de 1′ paye.

24   Èle nos-apwète li vèye : l’orne s’ènnè va tchèvi.

 

Ibid., pp. 121-122.

 

XXIV

95                                                     A l’ tâve                                         Vv. 652-fin

 

Li nut’ est v’nowe; on vint d’èsprinde li lampe è 1′ pièce là wice qu’on s’ tint et, so 1′ vile tâve di tchinne, on-z-a drèssî tôt po 1′ soper.

 

  1. Comme des balanciers toujours en mouvement. — 7. aw’hiant, affilé, acéré. — 8. Le luisant du fer passe comme l’éclair. — 10. pote (fém.), épi; toûbion, tourbillon. — 12. … les andains s’étalent. — 13-14. en longues traînées que les moissonneuses / d’un bon coup de faucille mettent en javelles.
  2. se regardant toutes vertes… — 19. loyî, lier. — 20. djâbe, gerbe. — 21. tèssè, dizeau, assemblage de gerbes; s(i)teûle, éteule. — 22. riguilite, rangée, file. — 23. abrotchî, surgir, s’élancer. — 24. si tchèvi, se nourrir.

 

XXTV. A (LA) TABLE

  1. èsprinde, allumer. — 2. dans la pièce (là) où l’on se tient (= où l’on vit). — 4. èmé,

273

 

(p.274)

4   Èmé lès tasses à fleurs, li bê pan tôt doré

hâgne ses blankès bâyeûres, qui mètèt l’êwe à 1′ boke

as p’tits-èfants qui djêrèt d’ssus. Ossu, c’è-st-in-ovrèdje di lès voleur mêstri !

8    Qwantes fèyes li mère deût-èle man’cî lès p’titès mains qui s’ sititchèt po l’agrawî !

Mins, tôt d’on côp, vola qu’on-z-ôt

so 1′ cour on grand brut d’atèlêye,

12          qu’èlzî vint fé candjî d’îdèye,

ça vo-lès-là turtos so 1′ sou :

C’est 1′ père ! — Rade, i fat qu’on s’aglidje !

Li feume prind 1′ pan, fêt ‘ne creûs so 1’ crosse

16           avou 1′ coûté, corne po 1′ béni;

et, dismètant qu’èle côpe as pèces,

l’orne rinteûre avou ses carpes,

qui s’ kihèrèt po l’aprèpî.

20          II a trîmé co pés qu’ ses dj’vâs;

il est nanti, rené d’ovrèdje;

ènnè pout pus, i hawe di faim,

et c’est d’in-oûy di contint’mint

24          qu’i veut qu’on-z-a t’nou l’eûrêye prête.

Tôt 1′ minme, vola qu’on-z-è-st-à 1′ tâve !

Et, là qui 1′ pôve cinsî fêt s’ tâte,

i m’ sonle qu’i deût tûzer bin Ion,

28          tôt s’ rapinsant cou qu’èle lî cosse

et d’ ponnes et d’ rabrouhes et d’ histous !

Poqwè don fât-i qu’i seûye dit :

« C’è-st-à 1′ souweûr di t’ front qu’i t’ fârè gangnî t’ crosse » ?

32          Mins, tapant lès-oûy so s’ niyêye

d’èfants ros’lants, fwérts et hêtîs,

i roûvêye ses neûrès-îdèyes;

 

parmi. — 5. étale ses baisures qui mettent l’eau à la bouche. — 6. djêri, avoir des envies, convoiter. — 7. mêstri, maîtriser. — 8. man’cî, menacer. — 9. qui se tendent pour le saisir.

  1. atèlêye, attelage. — 13. sou, seuil. — 14. … Vite, il faut qu’on s’apprête ! — 15. crosse, croûte. — 18. carpe, enfant au sens de : gamin remuant. — 19. qui se bousculent pour l’approcher. — 21. nanti, fourbu; rené, éreinté, épuisé. — 22. … il aboie de faim (expr. hyperbolique). — 29. de peines, de contrariétés, de déboires. — 36. sins mom’rèye, sans façon, sans apprêt. — 39. si sègrâ, faire le signe de croix.

 

(p.275)

èt, d’vant d’ataquer de magnî,

36          d’on djèsse tôt simpe et sins mom’rèye,

d’on djèsse qui vint d’ ses tâyes, qui s’ mère lî ac’sègna et qu’ tôt F monde répète âtoû d’ lu,

i s’ sègne, corne po r’mèrci 1′ bon Diu.

 

Ibid., pp. 153-154.

 

96

A Bèbèt’

 

C’est disfindou d’ sèpi qwand 1′ grand messe di nosse vèye nos r’houk’rè d’ chai, Bèbèf. Ni qwîr nin, n’ va nin vèy lès tap’rèsses di cwârdjeûs. Vât bin mis d’èdurer

4   cou qui deût-advini. Qui 1′ bon Diu vôye nos d’ner quéquès-annêyes di pus’ à viker so cisse tére, ou qui ç’ seûye li dièrinne qui nos-âyanse l’èspwér d’èco poleûr vèyî passer l’êwe dizos 1′ pont,

8   hoûte-mu bin : seûye malène, home pâhûl’mint f bouyon, et, corne on n’est so 1′ monde qui po ‘ne pitite hapêye, le tes longs rafiyas po lès catwaze et d’mêye… Li tins, là qu’on djâse chai, court èvôye souwêy’mint.

12   Profite bin de djoû d’oûy sins compter trop’ so d’min !

 

1927

Ibid., 2′ éd. (1935), p. 105.

 

A BABETTE. — Adaptation d’Horace, Odes, livre I, 11 : Ad Leuconoen (8 grands asclépiades)

 

  1. Bèbèf, forme hypocoristique wall. de Elisabeth. — 3. les jeteuses de cartes (= les cartomanciennes); [il] vaut bien mieux subir. — 8. malène, intelligente, avisée; écume tranquillement ton bouillon, au sens fig. de : vaque en paix à tes occupations. — 9. hapêye, laps de temps. — 10. rafiya, plaisir qu’on espère avoir; laisser quelque chose « pour les quatorze et demi », c’est n’y plus songer, l’abandonner. La longueur de cet alexandrin, qui semble modelée sur la longueur des espérances fallacieuses, contraste avec la brièveté d’Horace: spem longam reseces. — 11. souwêy’mint, sournoisement. — 12. Le premier hémistiche transpose le carpe diem.

(p.276)

THEODORE CHAPELIER

(1857-1905)

 

Conducteur-mécanicien, né et mort à Verviers. Frappé par une infortune qui le priva de son emploi, Chapelier mit fin à ses jours dans un accès de neu­rasthénie.

Comme poète, il a produit une quarantaine de pièces lyriques qui ont paru la plupart dans les annuaires du Caveau verviétois, de 1878 à 1893, date à laquelle il cessa de fréquenter ce groupe. Sa chanson la plus goûtée du public, Po passer l’ håhê (1892), est une idylle qui ne manque pas d’ingé­niosité dans sa grâce naïve.

Théodore Chapelier est surtout un élégiaque que sa discrétion apparente à Defrecheux.

 

97                                                                                                 [Verviers]

Tot seû

 

Savez-ve bin poqwè, qwand dju va d’vins l’ plaine,

bin sovint, dju pleûre, assiou là, tot seû ?

C’èst qu’ dju lé deûs nos so l’ pèlote dè tchêne

4    quu v’s-avez gravé qwand v’-èstîz à deûs.

 

Savez-ve bin poqwè, qwand dj’ètind so ls brantche

l’oûhê rosiner su djoyeûse tchanson,

vos m’ vèyez si trisse ? C’èst qu’avou s’ vwès d’andje,

8   ile rindéve djalous favète èt pinson.

 

Savez-ve bin poqwè, qwand lu steûle blawetêye,

dju sin one grosse låme so m’ visèdje cori ?

C’èst qu’ vos deûs djônes coûrs su d’hît leûs pinsêyes,

12    qwand lûhéve å cîr lu steûle dè bièrdjî.

 

 

TOUT SEUL

  1. … je lis deux noms sur l’écorce du chêne. 6. rosiner, gazouiller. 14. aspiter, jaillir.

 

(p.277)

Savez-ve bin poqwè dju sin d’zos m’ påpîre

one låme aspiter qwand l’ prétins racoûrt ?

C’èst qu’ dju v’ veû tot seû, so lu p’tit banc d’ pîre,

16   wice quu, l’an passé, vos v’ djåsîz d’amoûr…

 

Juillet 1883

 

Annuaire du Caveau  Verviétois,  6e année,  Verviers, 1884, p. 296 C).

 

 

98

Po passer l’ håhê

(Musique de Désiré Herman)

 

On bê dîmin d’ may, lu djintêye Nanète,

tot ruvenant d’ grand-mèsse, passa po l’ grand pré.

Qwand ile veûne duvant l’ håhê d’à Colète,

4 ile trova s’ wèsin riyant d’ l’ôte costé.

« C’èst sèré », dist-i,  « çu n’èst nin passèdje;

mês si vos volez, dju v’ tirerè l’ lokèt.

So vos bèlès tchifes, lèyîz-me prinde on bètch,

8 nos-èstans tos seûs, nouk ni nos veûrè !

 

» Po passer l’ håhê, binamêye Nanète,

i fåt qu’ vos payîhe lu dreût dè pasê :

i fåt qu’ vos m’ båhîhe deûs fèyes à picète,

12 po passer l’ håhê ». (bis)

 

 

POUR FRANCHIR LA BARRIERE. — håhê, dér. de håhê (DL, 303 et fig. 321), barrière à claire-voie.

 

  1. dîmin (verv.), dimanche; … la gentille Annette. — 4. elle trouva son voisin (Colette) … — 5. « C’est fermé », dit-il, « il n’y a point passage » : allusion aux servitudes de passage sur la propriété d’autrui; elles pouvaient entraîner la perception d’un droit, suivant les conditions. C’est sur ce motif que roule notre chanson. — 6. lokèt, cadenas (ici pour la fermeture de la barrière). — 7. tchife, joue; bètch, baiser (litt. : bec).
  2. … que vous me payiez le droit du sentier (= d’emprunter le sentier qui traverse le pré). — 11. il faut que vous m’embrassiez deux fois à pincette (c.-à-d. en «prenant dou­cement les deux joues avec le bout des doigts », Littré, V pincette).

 

(1) Une version altérée a paru dans l’Anthologie des poètes wallons verviétois par J. Feller et J. Wisimus (Verviers, 1928, p. 236); on lira (p. 230) l’explication qu’a donnée de ces changements malencontreux le premier des deux auteurs.

 

(p.278)

Lu djône fèye duveûne rodje corne one crèssaude

(su wèsin Colète èsteût bê valèt).

« Vos d’mandez », dist-èle, « pus’ à mi qu’ås-ôtes :

16   çu n’èst nin ç’ pris-là qu’ mès wèsènes payèt.

— C’èst qu’ lès fleûrs », dist-i, « du m’ wêde sont florêyes :

iles sèront djaloses du vèy vosse bêté,

èt dj’ wadjereû po d’min qu’iles sèront fanêyes

20    à cåse du lès låmes qu’ille åront djèté !

 

» Po passer l’ håhê, binamêye Nanète,

i fåt qu’ vos payîhe lu dreût dè pazê :

i fåt qu’ vos m’ båhîhe deûs fèyes à picète,

24  po passer l’ håhê ». (bis)

 

Lu djône ame pårléve d’one si doûce manîre,

duvins sès bleûs-oûys, i-aveût tant d’amoûr

quu l’ roselante Nanète su lèyant adîre

28    abrèssa l’ capon deûs fèyes du bon coûr !

A ci moumint-là, duvins lès cohètes,

tos lès p’tits-oûhês tchantît djoyeûsemint,

èt Nanète vèya rîre lès magriyètes,

32    qwand Colète lî d’ha, tot l’ sèrant doûcemint :

 

« Ruvenez tos lès djoûs, binamêye Nanète,

nos sûrans èssonle lu froté pazê;

èt nos nos båherans deûs fèyes à picète,

36  po passer l’ håhê ». (bis)

 

Dj’a-st-ètindou dîre dès djins dè viyèdje

quu l’ djoû quu l’ djône cope ala-st-à l’ åté,

tote lu ribambèle qu’èsteût å marièdje

40    duvant l’ blanc håhê duvît s’arèster.

È fond dè neûr bwès, l’ råskignoû tchantéve,

lès fleûrs su drovît d’zos l’ båhe dè prétins;

èt c’èsteût Nanète, ci djoû-là, qui d’héve :

44  « On n’ va nin pus lon sins m’ duner l’ påyemint !

 

  1. … devint rouge comme une pivoine (crèssaude = pâquerette double, à fleur pleine). — 17. wêde, prairie. — 19. et je parierais que pour demain…
  2. roselant, vermeil, de couleur rosé; … se laissant fléchir. — 28. capon, ici dans un sens de familiarité affectueuse. — 29. cohète, branchette, rameau. — 31. magrite, mar­guerite.
  3. nous suivrons ensemble le sentier battu.

 

(p.279) » Po passer 1′ håhê », d’héve lu bèle Nanète,

« i fåt qu’ tot l’ monde påye lu dreût dè pazê :

i fåt qu’ vos m’ båhîhe deûs fèyes à picète,

48  po passer l’ håhê ». (bis)

 

Annuaire du Caveau verviétois, 1890-1892, pp. 197-198. On reproduit le texte d’après l’Anthologie des poètes wallons verviétois de J. Feller et J. Wisimus, Verviers, 1928, pp. 241-242.

 

 

(p.280)

LOUIS WESPHAL

(1857-1939)

 

Né à Grivegnée, mort à Liège. Au sortir de l’enfance, devenu orphelin, il quitta l’école pour l’usine. Par la suite, il entra à la Société nationale des chemins de fer comme magasinier.

Louis Wesphal fut un collaborateur assidu des petits journaux wallons de Liège et participa activement à la vie des sociétés littéraires dialectales, en particulier du Royal Caveau Liégeois.

Sa première plaquette, Lès succès de l’ sinne (1893), qu’il publia en colla­boration avec Charles Bartholomez, contenait déjà l’un des morceaux (Si dj’èsteû borguimêsse) qui allait faire sa réputation de monologuiste-chansonnier. L’ Armanak dès qwate Maû (Almanach des quatre Mathieu) qu’il créa, en 1895, avec J. Vrindts, Ch. Bartholomez et J. Médard, et le Cabaret wallon (1895-1900) d’Alphonse Tilkin, dont il fut l’un des anima­teurs, imposèrent Wesphal dans ce genre de comique qui consiste à jouer avec un sérieux apparent le jeu loufoque des contre-vérités ou des archi-évidences. Ce tour inattendu de fantaisie, qui s’inscrit dans la tradition du burlesque et du non-sens, il faut malheureusement le chercher dans le fatras de ses trois recueils de chansons : So H scanfâr (1899) [Sur l’estrade], Li plêzîr de tchanteû (1907), Lès plêhants ramadjes (1922) [Les plaisants ver­biages]. Leur forme souvent relâchée, qui rend inégales les meilleures pages, se ressent trop de l’improvisation.

 

99                                                                                     [Grivegnée-Liège]

On vî neûr tchin

(Air : Rakjajak)

 

C’èsteût-st-on vî neûr tchin qu’aveût 1′ tièsse tote pèlêye,

avou sès-oûys å lådje à costé d’ sès-orèyes,

 

Houp tata pèrtine èt pèrtêne ! houp tata pèrtêne !

 

Avou sès-oûys å lådje à costé d’ sès-orèyes,

on grand gros boûzé cwér ossi spès qu’ine èk’nèye,

 

UN VIEUX CHIEN NOIR.  —  La forme de  cette  chanson bouffonne  est celle du « cramignon »  liégeois : voy. la note du n° 63.

 

  1. avec ses yeux ouverts (litt. : au large).
  2. boûzé, boursouflé;  èk’nèye,  pince  de  foyer;   d’où,  au  fig.  personne  d’une  extrême maigreur.  La comparaison ossi spès qui (aussi épais  que)  introduit  une  contradiction burlesque.

 

(p.281)

Houp tata pèrtine…

 

On grand gros boûzé cwér ossi spès qu’ine èknèye,

4  ine rodje narène tote freûde come dè l’ glèce èdjalêye,

 

Ine rodje narène tote freûde come dè l’ glèce èdjalêye,

ine grande linwe qui pindéve tot-avå lès pavêyes,

 

Ine grande linwe qui pindéve tot-avå lès pavêyes.

I hawéve come ine bièsse avou s’ gueûye alårdjèye.

 

I hawéve come ine bièsse avou s’ gueûye alârdjèye.

I rotéve à qwate pates qwand i fève ine toûrnêye.

 

I rotéve à qwate pates qwand i fève ine toûrnêye

8    èt lèvéve eune di drî qwand i fève ine trawêye.

 

I lèvéve eune di drî qwand i fève ine trawêye

èt s’ dwèrméve-t-i lu-min.me qwand il aveût somèy

 

Et s’ dwèrméve-t-i lu-min.me qwand il aveût somèy.

C’èsteût-st-on vî neûr tchin qu’ aveût l’ tièsse tote pèlêye…

 

« Li plaisir de chanteu ». Recueil de chansons et monologues, Liège,  1907, pp. 45-46.

 

100    Manîre dè pwèrter l’ doû

(Extraits suivis)

 

Mès djins, hoûtez ! Si dj’ droûve mi répèrtwére,    Vv. 1-4

ni pinsez nin qu’ c’èst po fé li d’mèy-doûs.

C’èst tot bonemint po v’ raconter mi-istwére

4 èt v’ fé savu k’mint qu’on pout pwèrter l’ doû.

 

  1. une grande langue qui pendait par tous les chemins (pavêye, chemin pavé, trottoir). 8. fé ‘ne trawêye, plaist. : uriner (litt. : faire une trouée).

 

FAÇON DE PORTER LE DEUIL

  1. d(i)mèy-doûs, idiot, toqué.

 

(p.282)

Dj’a pwèrté l’ doû dji n’ sé pus k’bin d’an.nêyes :     13-20

c’èst v’ dîre qui l’ sôrt m’a tofér èsprové.

Mins v’là deûs-ans, qwand dji pièrda Donêye,

8    vos n’ sårîz creûre kimint qui dj’ m’a trové.

 

A dater d’ là, vrêymint, dj’ n’ava pus d’ keûre,

dji n’aveûs pus ni djôye ni rafiya;

dj’a minme situ tot prèt’ à fé ‘ne lêde keûre…

12 Mins dji fa ‘ne fwèce èt m’ corèdje riprinda.

 

Po bin prover qui dj’êméve mi k’pagnèye,       29-fin

dji fa neûrci mes mustatches èt mès dj’vès;

èt, par azård, si dj’aveû ‘ne neûre îdèye,

16   bin, dji m’ dihéve : « C’èst d’ot’tant pus d’ rèspèt ».

 

Qwand 1′ solo lût, tot-à pône djèl supwète,

dji rote è l’ ombe, manîre d’èsse ric’nohant;

èt dj’ pou bin dire, dispôy qui m’ feume èst mwète,

20    qui nosse boledjî n’ m’a mètou qu’ dè neûr pan.

 

C’èst co bin mî : dji n’ vou pus dè l’ makêye,

c’èst lès frombåhes èt l’ sirôpe qui dj’ême bin.

Asteûre, come souke, dji n’ vou pus qu’ dè l’ duzêye.

24   A-dje deûs neûrs-oûys ? çoula n’ mi displêt nin.

 

Sèyîz bin sûr, s’i n’a nin dè l’ neûre tripe,

vos n’ mi veûrez djamåy amon l’ cråssî.

Et sèpant bin qu’ fåt qui l’ vèye si dissipe,

28    po pwèrter l’ doû, dj’ ac’lîve on djône måvi.

 

  1. Donêye, Dieudonnée.
  2. … je n’eus plus cure [de rien]. — 10. rafiya, plaisir dont on se réjouit à l’avance. — 11. … à commettre une vilaine action (litt1 : cure).
  3. … ma compagne (cfr v. 7).
  4. ric’nohant, reconnaissant. — 20. dè neûr pan, du pain bis.
  5. makêye, caillebotte, fromage blanc et mou. — 22. frombåhe, myrtille; sirôpe, fr. rég. « sirop », sorte de mélasse, de couleur sombre, faite d’un jus concentré de pommes ou de poires et qu’on étend sur le pain. — 23. dusêye ou djusêye, jus de réglisse. — 24. neûr oûy, œil poché.

25-26. … s’il n’a pas de boudin noir, / vous ne me verrez jamais chez le charcutier. — 28. … j’élève un jeune merle.

 

(p.283)

Si dj’ va quéke pårt wice qu’on fêt ‘ne bone eûrêye

èt qu’on m’ toûrmète åfîs’ qui dj’ magne avou,

rimarkez bin, s’i-n-a dè l’ neûre dorêye,

32 po-z-acsèpter qui dji n’ f’rè nol an’tchou.

 

Divins ‘ne taviène, qwand c’èst qu’ dji m’ troûve à l’ tåve,

dji n’ beû qu’ dès stout’ ou bin dè neûr cafè,

èt dj’ va sovint fé mès-eûrêyes è l’ cåve,

36   ou dj’ passe dès sîses sins-èsprinde mi quinkèt.

 

Insi dj’ a ‘ne kêsse plinte di neûrès cravates,

dj’ a ‘ne masse di rances èt dès pêres di neûrs wants,

èt dj’ so binåhe qwand dj’ veû dès neûrès gades

40  ou bin dès nêgues å visèdje rilûhant.

 

Dj’ a-st-on neûr tchin, dj’ a même dès neûrès bièsses

à quî dj’ n’ a wåde dè mèskeûre l’ amagnî,

èt lès cwèrbås, qwand l’ volèt d’zeû m’ tièsse,

44 po l’s-admirer, dji d’meurereû sins magnî.

 

Dji m’ di quékefèye : « Qui n’ pou-dje diveni priyèsse,

houyeû, hovåte, croke-môrt ou feû d’ tchôdron ! ».

Et si là d’vins, dji n’ pou trover nole plèce,

48 dji f’rè m’ possibe po fé l’ martchand d’ goudron.

 

Po fini s’ dag’, onk broûle èt l’ôte sofoke.

Mins mi, dj’ sohête — dji v’s-èl di sins façons —

qwand dji moûr’rè, qui ç’ seûy dès neûrès pokes,

52 po pwèrter l’ doû disqu’à l’ Résurècsion !

 

 

D’après le texte imprimé en feuillet double par la maison Jos. Halleux, Liège, s.d. On redresse quelques anomalies de cette édition peu soignée.

 

  1. … où l’on fait un bon repas. — 31. neûre dorêye, tarte « noire », c.-à-d. recouverte de côrin ou marmelade de fruits sèches. — 32. … que je ne ferai pas de façons.
  2. Sise, soirée; èsprinde, allumer (une lampe).
  3. rance, crêpe de deuil. — 39. Les neûrès gades (chèvres noires), menées par des bergers pyrénéens, offraient un spectacle de la rue aux Liégeois d’avant 1914 (cfr EMVW, V, pp. 309-310).
  4. dès neûrès bièsses, des cafards. — 42. … je n’ai garde de refuser (ou: mesurer) le manger.
  5. … que ne puis-je devenir prêtre. — 46. hovåte, ramoneur; feu d’ tchôdron, chau­dronnier. 49. fini s’ dag’, ici : mourir. — 51. … que ce soit de la variole noire.

 

 

(p.284)

LOUIS LOISEAU

(1858-1923)

 

Né à Moignelée, fils d’un ingénieur d’origine française, Louis Loiseau passa sa jeunesse à Namur. Vers 1881, les nécessités du commerce le fixèrent dans l’agglomération bruxelloise où il devait finir ses jours, après une carrière d’écrivain wallon resté fidèle au terroir namurois.

Il s’en faut de beaucoup qu’à l’activité déployée par Louis Loiseau dans les feuilles dialectales et les cercles d’auteurs réponde une œuvre littéraire digne de ce nom. Au théâtre, on lui doit cinq comédies, entre 1891 et 1895, et, en poésie, trois recueils. Le plus important, Echos de terroir (1897), reprend, en les augmentant, les premières Fôves et tchansons walones (1892); une poésie plus soutenue s’affirmera dans les posthumes Fleurs di Moûse (1942).

Partagé entre le lyrisme et la description, Loiseau incline, surtout dans ses chansons d’amour, vers un sentimentalisme de convention que rend plus artificiel encore le souci qu’il avait de franciser son wallon pour mieux raffiner son style…

 

 

101                                                                                                 [Namur]

One sovenance di djônèsse

 

Ele si mostreûve avenante èt sins grande aparence;

fris’ èt cokèt d’vant lèye, drî l’ griyadje, on posti.

Maujone di m’ vî grand-pére, dj’a bin waurdé t’ sovenance :

4   c’èst vêla qu’on t’ vèyeûve tot-au d’bout do batî.

Dès rèles vîs d’ pus d’on sièke gripant l’ long d’ tès murayes

catchin.n tès viyès pîres d’zos leû coûtche di vèrdeû

èt, fidéles djusqu’à l’ mwârt, is-è stopin.n’ lès crayes,

8 disfindant l’ batimint conte li bîje èt l’ frèdeû.

 

C’èst là qu’ riv’nant d’è scole, nos nos boutin.n à tauve.

On mougneûve à ç’ tins-là su dès-assiètes di stin.

Tanawète, è riyant, nos racontin.n ine fauve;

12   Moman d’jeûve è brûlant : « C’è-st-à pwin.ne s’ on s’ ètind ! ».

 

 

UN SOUVENIR DE JEUNESSE

  1. Elle, c.-à-d. la maison que le poète interpelle au v. 3. — 2. posti, porche, avant-cour sous toit. — 4. batî, place publique ou terrain entouré de maisons.  — 5.  Du lierre (litt. : des); ailleurs en namurois rèle = glycine. — 7. craye, crevasse. 9. … nous nous mettions à table. — 10. stin, étain. — 11. De temps en temps, en riant, nous contions une histoire. — 12. brûtî, barbotter, gronder. — 13. vîjerîyes, vieilleries. —

 

(p.285)

Combin d’ vîjeriyes è l’ tchambe ? Tot rapèlèt l’ mémwêre

dès-ans passés : crassèt, bondiè d’ keûve, blancs ridias,

rabatau di tch’minéye, potajer, vîye armwêre,

16   fènièsse à guiliotine avou dès p’tits cwêrias…

 

Po-z-aler dins l’ coujène, on sûvèt ‘ne longue aléye.

Pa lès swèréyes d’îvièr, au culot d’on bon feu,

po fé passer lès-eûres, on choûteûve à l’ chîjeléye

20 lès vîs contes do payis tot bèvant nosse cafeu.

Qwand lès noûf eûres sonin.n à nosse ôrlodje antike,

nos bauyin.n è catchète, peû di nos-astaurdjî.

Grand-pére qui nos wêteûve au truviès d’ sès bèrikes,

24 dijeûve : « Mès p’tits-èfants, v’là l’eûre d’aler coutchî ».

 

Adon, criyant bonswêr, à dadaye nos ‘nn’ alin.n,

courant à pîds tot d’chaus pa t’t-avau lès tîlias;

su l’ grande èt laudje montéye, è djouwant nos courin.n,

28 po moussî dins nosse lét n’ fiant nin grand rafiya;

è clignant nos p’tits-oûys, nos dijin.n one priyêre,

c’èsteûve au pus sovint : bonswêr, pitit Jésus.

Ê v’nant nos-ascouviè, nos rabrèssèt nosse mère…

32   Po fé cas d’ sès boneûrs, faut qu’on lès-eûy pièrdu !

 

Di tot ça rin n’ dimeûre… Dji m’ sovin co quékefîye

dès-anéyes qui sont iute èt qu’ont vèyu m’ prétins.

Gn-a d’s-anoyeûs passadjes où-ce qui l’ âme si rafîye

36 di r’pwèrter sès pinséyes aus bias djoûs do djon.ne tins.

 

 

  1. crassèt, ancienne lampe à huile montée sur pied; bondiè d’ keûve, crucifix en cuivre; ridia, rideau. — 15. rabatau di tch’minéye, « rideau à carreaux que l’on adapte à la tablette de la cheminée dans certaines maisons villageoises » (pirsoul, 391); potajer, ancienne cui­sinière à brique, faisant partie de la construction (note du BSW). — 16. cwêria, carreau, vitre.
  2. aléye, ici : corridor. — 18. culot, « un des deux côtés de la cheminée où l’on se met ordinairement pour se chauffer » (pirsoul, 143). — 19. chîj’léye, ensemble des chîj’leûs, des gens réunis pour la veillée. — 22. bauyî, bailler; (s’)astaurdjî, (s’)attarder.
  3. à dadaye, au trot, en vitesse. — 26. courant, pieds nus, sur le carrelage; tîlia, carreau rouge, en terre cuite. — 27. montéye, escalier. — 28. … sans grand empressement. — 31. En venant nous border, notre mère nous embrassait.
  4. … qui sont passés (litt. : outre). — 38. bunaujeté, contentement.

 

(p.286)

Pa ces chérès-imaudjes, au keûr gn-a co dè l’ djôye.

Ë rapinsant l’ djônèsse, on r’ssint dè l’ bunaujeté,

anoyeûs pa momints d’awè lèyi su l’ vôye

40 tot nosse boneûr d’èfant… qu’on sondje à dispièrter.

 

 

« Echos de terroir », Malines, 1897, pp. 146-147. Paru d’abord dans le Bull. Soc. de Litt. wall., t. 36, 1895, pp. 465-466 (menues variantes).

 

 

102

Li djeû d’ guîyes

 

Gn-a l’ planteû qu’èst là, d’lé lès guîyes

mèteuwes è place dissus l’ câré.

Is sont-st-à quate à l’ tape à fîye;

4 c’ è-st-au grand Bèbêrt à djouwer.

 

Au pas ! Bèbêrt aligne èt crîye :

« Catchîz l’ dame ! ». Et sins trop s’ prèsser,

li planteû l’ rèscule, alignîye,

8 èt Bèbêrt qu’èst prèt’ à taper

 

s’ènonde èt tape à plin.ne voléye

li bole qui roule èt cotournéye

lès guîyes, è passant foû do djeû…

 

12 « Bèrwète ! gn-a nu risse qu’ i bukéye »,

li dit Chanchès. « Faî v’nu l’ tournéye,

t’ès co pus rodje qu’on boûria d’ feu ! »

 

1913

« Fleurs di Moûse », Dînant, 1942, p. 43.

 

LE JEU DE QUILLES. — Pour le pays de Namur, voir une description de ce diver­tissement populaire dans pirsoul, 253.

 

  1. planteû, celui qui dresse les quilles. — 3. être à tape (litt. : à étape), se trouver à

la place fixée pour gagner le but, au point de départ d’une course, etc.; à fîye, parfois.

Le sens du vers est : il se trouve qu’ils sont quatre prêts à jouer.

  1. pas [do djeû], « l’endroit d’où l’on doit commencer » (pirsoul, 351); alignî ici : viser.

— 6.  « Cachez la dame »,  c.-à-d.  la quille,  placée un peu de guingois  au  centre  du

carré. — 7. alignî, aligner, mettre dans la même rangée.

  1. s’élance et jette à pleine volée, c.-à-d. en lançant la boule le plus loin possible, de

façon à gagner l’enjeu. — 10. cotoûrner, contourner.

  1. Faire bèrwète (litt’ : brouette), faire coup nul, échouer; bukè, buter. — 13. Chanchès,

hypocoristique de Françwès; la « tournée » de consommations, enjeu de la partie que doit

payer le perdant. — 14. … plus rouge qu’une boule de feu.

 

 

(p.287)

MARTIN LEJEUNE

(1859-1902)

 

Docteur en médecine, né et mort à Dison (Verviers). D’une brève carrière accomplie dans un dévouement professionnel total, le parcours littéraire aura été plus bref encore, puisque Martin Lejeune n’a publié ses premiers poèmes, dans l’Annuaire du Caveau verviétois, qu’à la fin de 1896. La même année, il prend part aux concours de la Société de Littérature wallonne où il sera, pendant six ans, « le plus fécond des concurrents et le plus fréquemment couronné » (J. Feller).

L’œuvre de Lejeune, presque entièrement composée de poèmes descriptifs et lyriques, n’a été réunie qu’en 1925, dans un volumineux recueil établi par celui qui fut son conseiller avant de se faire un collaborateur plus ou moins discret. C’est sans doute Jules Feller, excellent professeur de rhéto­rique, qui inculqua à son disciple l’art des développements dans l’abondance et la facilité du style. On s’étonne à peine que cette poésie bien faite, et si méritoire, ne dégage plus aujourd’hui qu’une respectueuse indifférence.

 

103                                                                                               [Verviers]

Lu Mwêrt

 

Coûrs moudris, qwèrant d’vins vos sondjes

l’ åbion d’on-amoûr sins nole fin,

poqwè mådi lu vèye qui v’ rondje ?

4   Lu Mwêrt vinrè r’pahi vosse fin !

A-t-i rin qui sépare mons qu’ lèy

dès cis qu’on a vrêmint êmé ?

Tos lès djoûs, nu vèyans-ne nin l’ Vèye

6   ås qwate cwènes dè monde nos k’ssèmer ?

Lu basse djaloserèye, lès quèrèles,

l’èvèye, lès caprices èt l’årdjint,

tot fant du nosse coûr one èstèle,

12  nos dustoûrnèt bin pus d’ nos djins;

 

LA MORT

  1. Cœurs meurtris… — 2. åbion, ombre. — 4. r(u)pahi, repaître, rassasier. — 5-6. … ne voyons-nous pas la Vie / aux quatre coins du monde nous disperser? —  11.  èstèle (èstale à Liège), éclat de bois; ici, au sens de : morceau informe, débris. —

 

(p.288)

lès meûrs qu’is drèssèt-st-inte nos-ôtes

sont bin pus hôts èt bin pus freûds !

Lu Mwêrt, lèy, nos sôye come dès pautes,

16   mins nos r’lôye è l’ même djåbe tot-dreût.

Èle ramasse, è l’ même fricassêye,

lès ritches, lès pôves, lès grands, lès p’tits;

bårîres èt poûcètes sont cassêyes;

20    à si-åhe, lu vèrtu pout r’glati;

chake åme su fond d’vins totes lès-åmes;

èt, d’one cwène à l’ôte cwène dè cîr,

èle rassôle, èle fond totes lès låmes

24   duvins l’ même grand crizou d’acîr !

L’amour n’a pus dè l’ djaloserèye

one fèye qu’a passé d’zos s’ tèyant :

on ‘nnè pout êmer cint ou mèye

28    sins rin r’prinde å pus-ahayant !

Kumint wårderîs-ne nos rafiyances ?

Voci, l’ må broketêye tot costé.

Après l’ mwêrt, totes nos d’mèsfiyances

32   moûrront è brès’ dè l’ charité !

« Vinez, di-st-èle, vos, qui nawêre

mu r’crindéve : mi, dju n’ vou qu’ vosse bin;

rupwèsez-ve, lu vèye è-st-one guère;

36   mi, dju so l’ Påye — èt dju v’ ratind ! »

 

 

Œuvres lyriques du poète wallon Martin Lejeune, publiées par Jules Feller, Liège, 1925, pp. 286-287.

 

  1. les murs qu’ils (c.-à-d. la jalousie, l’argent, etc. énumérés aux v. 7-8). — 15-16. … nous fauche comme des épis / mais nous réunit (litt1 : relie) dans la même gerbe aussitôt. — 17. « fricassée », ici au sens d’hécatombe. — 19. barrières et menottes sont brisées. — 20. r(u)glati, briller. — 22-23. et d’un coin à l’autre du ciel / elle rassemble… — 24. dans le même grand creuset d’acier. — 26. une fois qu'[il, c.-à-d. l’amour] a passé sous son tranchant (allusion à la faux, attribut de la Mort). — 27-28. on en (des êtres humains) peut aimer cent ou mille / sans rien reprendre au plus attrayant (= au plus aimé). — 29. Comment garderions-nous nos joies? — 30. Ici le mal surgit… — 31. d(u)mèsfiyance, méfiance. — 36. moi, je suis la Paix…

 

 

(p.289)

ADOLPHE WATTIEZ

(1862-1943)

 

Avec Adolphe Le Ray (1810-1885), Adolphe Delmée (1820-1891) et Adolphe Frayez (voir ci-après), c’est l’un des quatre Adolphe de la littérature dialectale tournaisienne. A défaut d’être son fondateur, il fut du moins le premier à l’illustrer par le souci de qualité qu’il apporta à ses productions poétiques. Il en réunit une partie dans deux plaquettes : Roses et cardéons (1911) et Pou dire intèr deûs plats (1913), ce dernier recueil composé de fables et de « pasquilles » ou petits contes en vers.

Adolphe Wattiez resta toujours fixé à Tournai où il avait commencé à rimer à partir de 1891, année qui vit également ses débuts au théâtre, comme acteur et comme auteur. De son père, « le dernier cordier qui tressa les cordes à la main dans le Tournaisis » (C. Roty), il avait repris le métier dont il fit une prospère entreprise commerciale, en même temps qu’il s’en inspirait pour signer ses œuvres du pseudonyme : « le Cordier des Etoupières ». Collaborateur de diverses publications locales (Etrennes toumaisiennes, Les Cheonq Clotiers, etc.), Wattiez fut surtout le créateur, en 1908, et le premier animateur du célèbre « Cabaret wallon », émanation de la « Ligue wallonne du Tournaisis » organisée un an plus tôt. On lui doit aussi des enquêtes lexicales sur le parler de sa ville.

 

 

104                                                                                                    [Tournai]

L’intièr’mint

 

(D’après L’oraison funèbre de Jules Jouy)

In jour qu’i géleot à pière finde,

tout in montant 1′ rue d’ Sint-Martin,

deûs-èomes ayant l’ér de s’intinde

4    d’vizeot’ dèrière in n-intièr’mint.

 

L’ENTERREMENT. — Dans les textes picards de Tournai (outre Wattiez, voir ci-après George, Frayez, Libbrecht), les graphies eo, èo, éô, èon, èon(e) pour les diphtongues, yèo, yèon(e) pour les triphtongues représentent des notations approximatives, une trans­cription phonétique étant exclue ici (pour ces sons difficiles, cfr ALW, I, 60). Le é rend la voyelle atone qui n’est pas caduque (à distinguer du e qui note l’e muet). — Dans les formes telles que i-èst (il est), i-aveot (il avait), etc., le trait d’union indique qu’il y a synérèse, le i ayant ici valeur de semi-consonne.

 

(p.290)

« Pauve fieû, i n’a tout d’ même po d’ sanche :

morir à peine à trinte deûs-ans !

—  Quand 1′ temps i-èst v’nu, n’a po d’avanche !

8    Lès brafes gins n’ vit’tê po lontemps…

 

— Queu sézis’mint quand j’é r’chu s’ lète !

Est-ç’ que vous-alez ‘qu’à Mulète ?

—  Est-ç’ que trinte deûs-ans, ch’èst bin s’n-âche ?

12   A m’ mode, mi, fieû, que vous s’ trompez.

S’i n’ d-a po puk, ch’èst bin damâche,

mes j’ pinse que vous li in côpez.

—  Pourtant, j’é toudi laissé dire

16    que s’ fème aveot quinze ans d’ mwins

qu’ li et qu’i s’ tégneot pou s’ rajèonîr

(j’ vous 1′ deone pou 1′ prix qu’on me 1-1’a dit…).

Es’ fème d’abord, ch’èst ène sèrpète…

20   Est-ç’ que vous-alez ‘qu’à Mulète ?

 

—  Ch’èst cha ! i s’ sèrveot dé 1′ tinture ?

—  On direct qu’ vous ne 1′ savez po !

Ch’èst s’ pauve fème avec es’ n-at’lure

24    qu’i fèot plinde. — Sacré nèom dé zo !

—  Bah ! môdieû, èle l’obliy’ra vite.

A s’ nez, à s’ barbe, èle fréquenteot

avec in m’nusier d’ Sinte-Magrite.

28    On dit même qu’i in profiteot !

 

  1. … pas de chance. — 7. Quand le temps il est venu… : cette sorte d’agglutination au verbe de la 3″ pers. du pron. sujet (ici il) est un trait de syntaxe populaire; peu fréquent en wallon, il est courant en picard (cfr remacle, Syntaxe, I, 215). — 8. … ne vivent pas longtemps.
  2. sa lettre, c.-à-d. le faire-part de son décès. — 10. … jusqu’à Mulette : nom de l’un des deux cimetières de Tournai.
  3. « que vous se trompez » pour « que vous vous trompez » : dans l’ouest du Hainaut comme en d’autres points de la zone picarde, se, pronom réfléchi régime, se substitue, au pluriel, à celui des lpe et 2e personnes (cfr ALW, II, 121). — 13. S’il n’en a pas plus, c’est bien dommage. — 14. … que vous lui en (= des années) retranchez.
  4. … une serpette, c.-à-d. une méchante langue.
  5. at’lure, façon d’être, accoutrement (peut-être allusion au fait qu’elle est « en position », cfr v. 32). — 26. « fréquenter » ici dans le sens d’avoir une liaison. — 27. avec un menuisier de Sainte-Marguerite (quartier de Tournai).

 

(p.291)

Wê, tout cha s’ passeot à s’ barète…

Est-ç’ que vous-alez ‘qu’à Mulète ?

 

L’ pire, ch’èst que s’ fème elle est acore,

32    d’après ç’ qu’on dit, in pozisièon…

Mi, f ses d’ beone part (pus d’in l’ignore)

que s’n-èome li laisse bin dés grayeons :

on parlé de cheonk mile francs d’ rintes.

36   — D’u ç’ que ch’èst qu’i l’s-a bin.gagnés?

—  Dis puteot : qu’i l’s-a été prinde.

I d-a tant qui s’ laiss’tê saigner !

 

Ele n’ira jamés à 1′ malète…

40    Est-ç’ que vous-alez ‘qu’à Mulète?

 

Au vilache, i-aveot ‘ne vièle matante

(ch’a d’veot été à Montreul-au-Beos),

ène grosse cinsiêre, su lés nonante,

44    qui f’zeot tout s’n-ouvrache à chabeots.

Elle aveot, comptant doupe à doupe,

ramassé d’ qwa faire in catyèo.

In jour qu’elle éplucheot la soupe,

48    on ll’a tuée d’in keop d’ coutyèo…

 

—  On n’a su jamés sur qui 1′ mète ?

—  Est-ç’ que vous-alez ‘qu’à Mulète ?

 

Infin, vous vèyez, tout s’ démuche…

52   De s’ désoler, on areot tort

et à brêre corne in sèyèo d’ puch,

nous n’ fréons po rèssuciter 1′ mort.

Et pwis, tout compte fét, ch-‘teot in n-èome

 

 

  1. à s’ barète, à son bonnet, c.-à-d. sous ses yeux.
  2. … en position, c.-à-d. enceinte. — 34. … bien des picaillons. — 35. cheonk, cinq.
  3. aler à l’ malète, mendier.
  4. qui faisait tout son travail en sabots (c.-à-d. comme une pauvresse, quoique riche). — 46. … de quoi bâtir un château.
  5. Le sens est : on n’a jamais su à qui endosser le crime.
  6. … tout se découvre. — 53. et à pleurer comme un seau de puits. — 56. … sur la poitrine (litt. : sur la casaque). — 57. èstocache, coup violent.

 

(p.292)

56    à vous coler su l’ casakin

in n-èstocache qui vous asseome…

— Brr ! Ç’ qu’i pike, èç’ sacré sale vint !

Est-ç’ que vous-alez ‘qu’à Mulète ?

60   Rintreons bware ène pinte à 1′ guinguète »…

 

Février 1908.

 

Etrennes   tournaisiennes  pour  l’année  1909,   Tournai, Delcourt-Vasseur, pp. 55-57, sans nom d’auteur.

 

 

105       45me cabaret waleon

 

Au sinm’di vint’ du meos d’ mars’,

su vo p’tit calindéryer,

afin dé n’ po l’obliyer,

4   fêtes ène creos, paç’quê c’ s’reot ‘ne farce

 

d’ laisser passer l’ocazièon

— rassannés tous’ in famile,

versés dès quate cwins de 1′ vile —

8    d’acouter nos créyatièons.

 

Fêtes in nœud au pan d’ vo k’misse,

si vous n’avez d’armêna :

on s’ rapèke à qwa ç’ qu’on a

12   du momint qu’ cha rind service…

 

Journal Le Courrier de l’Escaut, Tournai, 17 mars 1920.

45e CABARET WALLON

 

  1. faites une croix…
  2. rassemblés… — 7. venus des…

9-10. Faites un nœud au pan de votre chemise, / si vous n’avez pas d’almanach (au sens de: calendrier, agenda). — 11. on se raccroche…

 

(p.293)

106

Lès Trwas Rwas

(Ballade de Noël)

 

J’é mis m’ chabeot dins 1′ kêminnée :

— I-a trwas ans que j’ n’é pus ryin u ! —

malgré que j’ sin bin que ç’ n-innée,

4   1′ coquile rèst’ra, vous savez d’u !….

Lés Trwas Rwas, i seont akeurus.

On seone lés clokes, ch’èst jour dé fiète.

I-a dés glaches à tous lès fèrniètes

8    pour adorer l’infant Jésus.

 

L’ mamère elle est toute ortournée,

elle a sés-yeus tout-abatus

in r’wétyant l’étufe condanée

12   et 1′ marabout ingèlé d’ssus.

Lés Trwas Rwas, i seont akeurus.

Ch’èst 1′ momint d’î mète ène mayète

et d’ rétinte ène petite sèrviète

16   pour adorer l’infant Jésus.

 

Dins 1′ bèrche [qu’est] toute dèstèrminée,

v’ià m’ frère, èç’ petit couche-tout-nu,

qui bèrle après s’ tète (queule journée !),

20    manière de dire : Èst-ç’ qu’i n’d-a pus ?

Lés Trwas Rwas, i seont akeurus,

et grâce à cha, j’ sus mis à F diète,

ch’èst pourqwa ç’ que j’ bèrle à tue-tiète

24    pour adorer l’infant Jésus.

 

 

LES TROIS ROIS

  1. J’ai mis mon sabot dans la cheminée. — 4. coquile, « coquille », nom tournaisien du gâteau de Noël. — 5. Il s’agit des Rois Mages, fêtés dans le cycle de Noël, le 6 janvier (Epiphanie). — II y a des glaçons (litt* : glaces) à toutes les fenêtres.
  2. La mère elle est… (comp. L’intièr’mlnt, v. 7); ortournée, retournée, bouleversée. —
  3. en regardant  le   poêle   condamné   (c.-à-d.   sans  feu).  —   12.   marabout,   cafetière. — 14. mayète, petit fagot.
  4. Dans le berceau (litt* : berce) qui est tout disloqué. — 19. bèrler, crier, pleurer en criant.

 

(p.294)

ENVOI

Mes, lès Trwas Rwas seont akeurus,

alèons ! Jujule, abile ! Hinriète;

ch’èst F même tableau in sis’ qu’in set’…

28    Disèons ‘ne prière au P’tit Jésus,

qu’ène aute feos i n’ nous obliche pus !

 

Noël 1917.

 

La Vie wallonne, t. 2,  1922, pp. 232-233.

 

24 abile !, vite ! — 27. c’est la même chose en six qu’en sept.

 

 

(p.295)

GEORGES WILLAME

(1863-1917)

 

Né et mort à Nivelles. A partir de 1897, il vécut surtout à Bruxelles où il devint directeur général au ministère de l’Intérieur.

Son amour du passé et l’attachement à sa ville natale inspirèrent à Willame d’estimables travaux d’histoire et d’archéologie (Causeries nivelloises, 1910, Essai de bibliographie nivelloise, 1911, Laurent Delvaux, 1914) et, parmi divers récits en français, deux romans, Le puison (1908) et Monsieur Romain (1913) qui l’apparentent à l’école régionaliste belge. Mais c’est le walloniste qui est le plus intéressant chez lui. Fondateur, en 1888, du journal nivellois L’Aclot, co-fondateur, avec Oscar Colson et Joseph Defrecheux, de l’impor­tante revue Wallonia (1893-1914), il illustra, autrement encore que par des notes et enquêtes, le folklore de son terroir en mettant à la scène la légende de sainte Renelde dans El rouse [la rosé] de sinte Ernèle (1890) : à partir d’un conte populaire noté à Nivelles sur le thème, largement attesté, de « l’os qui chante », c’est la première tentative réussie de théâtre poétique en wallon.

La réputation littéraire de Willame repose aujourd’hui sur la vingtaine de sonnets qu’il rima de loin en loin, entre 1895 et 1916, et qu’il ne prit pas la peine de recueillir. Réunis une première fois en 1930 dans une brochure confidentielle, ils sont aujourd’hui accessibles, avec leur traduction, dans une édition exemplaire du P. Jean Guillaume, tout à fait digne du soin que Willame lui-même apportait à la composition de ces menus chefs-d’œuvre. Plus que la technique impeccable, ce qu’on admire en eux, c’est la sensibilité, toute d’émotion contenue ou de fine ironie, qui parcourt la ligne mélodique du vers. « Art mystérieux, fait de profondeur légère, et qui n’use de l’anecdote que pour mieux toucher au vif le cœur de l’homme » (J. Guillaume).

 

 

107                                                                                               [Nivelles]

El vî

 

Asteûre, c’est s’ garçon qu’a r’pris 1′ cinse,

èyèt li, tout raclipoté

dins s’ fonteuy, i pinse, i rapinse,

4   i sondje à 1′ tiène qu’il a monté.

 

LE VIEUX

  1. garçon a ici le sens de fils. — 2. raclipoté, replié, rapetissé. — 4. tiène, côte, chemin escarpé.

 

(p.296)

Què 1′ vârlèt voye taper lès s’minces

ou bîn qu’ seûche lès longs djoûs d’ l’èsté,

toudi pus djône, pus sètch, pus mince,

8    i d’meure là mièrseû d’ssus 1′ costé.

 

Lès-eûres, lès djoûs, lès-ans, ça passe !

il a vu s’ mon-pére à l’ min.me place,

quand li-min.me a dèv’nu cinsî;

 

12   èyèt li, l’ vayant, li, l’ foûrt ome,

li, l’ mésse, i ratind s’ dèrnî some…

Ëyèt ‘ne lame tchét doûcemint d’ sès-îs.

 

5 avril 1896.

 

« Georges willame, Sonnets. Edition critique (…) par J. Guillaume », Liège, Soc. de Langue et de Littérature wall. (Collection Littéraire wallonne, 3), 1960, p. 15. Paru d’abord dans 1′ Almanach paroissial. Eglise Saint-Nicolas, t. 7, Nivelles, 1909.

 

 

108   Rinconte

 

In bossu ravise in chalé,

tout rakinkyî, tout mèzalé,

qui s’aspoye dèssus sès deûs croches

4   yèt s’in va pourmèner sès-ochs.

 

El chalé ravise èl bossu,

in crèkion à djambes dè fèstu,

pitieûs, avè ‘ne grosse câréye tièsse

8   intrè deûs spales come dès-èrèsses.

 

5-6. Que le valet aille jeter les semences / ou bien que [ce] soit les longs jours d’été (= qu’on soit aux longs…). — 7. djône, jaune. — 8. mièrseû, tout seul.

  1. tchét, tombe.

 

RENCONTRE

1-2. Un bossu regarde un boiteux, / tout recroquevillé, tout perclus. — 3. croche, béquille. — 4. och, os.

  1. crèkion, criket,  grillon;  ici  au sens  fig.  de  gringalet ou  d’avorton;  aux jambes  en (litt. : de) fétu (de paille). — 7. pitieûs, piteux. — 8. entre deux épaules comme des arêtes.

 

(p.297)

Quand is sont plus lon d’ssus l’ tchèmin,

is s’ èrtoûrnont co tout doûcemint,

iun d’ssus l’ bosse, l’ ôte su lès crochètes.

 

12   Èy o dîrout qu’ is r’mèrciyont

l’ bon Dieu — qu’ ça dwèt jin.ner ‘ne miyète —

dè co l’s-avwè fét come is sont.

 

1er septembre 1897.

 

Ibid.,  p.  19.  Paru  d’abord dans Le  Courrier de Nivelles du 13 juin 1909.

 

 

109   Mècheneûse

 

El voye èst blanche dè poussiêre

qui sint tout l’ poûre dè cayau

qui s’inlève come dè l’ fumiêre

4   pa d’zous lès pîds dès gros tch’vaus.

 

Ène mècheneûse vînt d’à l’ coupète

èyèt s’amousse t-à-n-in coup.

Ène djârbe qu’in rèstia tînt dwète

8    muche toute ès’ tièsse èyèt s’ coû.

 

Èle lèye su l’ costé l’ piè-sinte,

èy èle couminche à dèskinde

avè l’ ér come indoûrmi;

 

  1. crochète, dim. de croche (v. 3). 13. … que ça doit gêner un brin.

 

GLANEUSE

2-3. … la poudre de caillou / qui s’élève comme de la fumée. Le quatrain évoque le passage du char de la moisson sur le chemin de la ferme.

5-8. Une glaneuse vient de la hauteur (qui domine le champ) / et se montre soudain. / Une gerbe qu’un râteau tient dressée (litt. : droite) / lui cache toute sa tête et son cou.

  1. Elle laisse le sentier sur le côté.

 

(p.298)

12   èy à ç’ qu’èle passe dèlé mi,

djè vwè qu’èle n’èst djoûne ni bèle.

« Salut ! » di-dje. — « Bondjoû ! » di-st-èle.

 

31 août 1899.

 

Ibid., p. 23.  Paru d’abord dans Le Courrier de Nivelles du 25 juillet 1909.

(p.298)

110

Djan d’ Nivèle

 

Dèspû què d’ su capâbe à raviser l’s-èstwèles,

djè vwè toudi stampé su s’ clokî Djan d’ Nivèle,

yèt t-alintoûr dè mi dj’intindou d’djà, gadelot,

4   fé riséye d’ssus riséye du pus vî dès-Aclots.

 

In dimanche qu’i r’lûjout, d’ pa d’zous, come l’alumwêre,

d’ l’é sté vîr dè d’tout près. — Dj’âré toudi mémwêre

dès grossès lâmes qu’astin’ prèssés à spiter d’ mès-îs,

8    d’lé s’ grand coûrps tout trawé, rapiècheté, nwêr, — si vî !

 

Dj’é come sintu sès-ans qui v’nin’ kèrtchî m’ carcasse,

yèt v’là qu’ tout ç’ qu’il a vu dè d’ssus s’ tourète m’èrpasse,

èfant sondjaud d’ène vile pus fwède qu’in moûrt su s’ lit :

 

 

  1. et tandis qu’elle… — 13. « Le wallon demanderait plutôt ni djoûne ni bèle » (note de J. Guillaume, p. 59).

 

JEAN DE NIVELLES. — C’est le nom donné au jaquemart de cuivre dressé sur l’une des tourelles de la collégiale Sainte-Gertrude à Nivelles (cfr note 21-22 du n° 65).

  1. raviser, regarder. — 2. stampé, dressé. — gadelot, bambin. — 4. Le plus vieux des « Aclots »  (sobriquet des habitants de Nivelles) est l’objet de moqueries (riséyes) qui sont de vieille tradition, dans le peuple, à l’endroit des jaquemarts.

5-6. Un dimanche qu’il brillait, d’en dessous, comme l’éclair, / je l’ai été voir de tout près… — 7. … prêtes à jaillir de mes yeux. — 8. Dans ses Causeries nivelloises (1910), Willame le décrit « énorme et misérable, plaqué de taches noires » (cité par J. Guillaume, p. 60).

  1. … qui venaient charger ma carcasse, c.-à-d. s’appesantir sur mon corps. — 10. tourète, tourelle. — 11. enfant songeur d’une ville plus froide qu’un mort sur sa couche.

 

(p.299)

12   fleûrs flanîyes, mouchons voye, vîyès mésos djondûwes;

tous nos djins qu’ont passé lès pîds d’vant pa lès rûwes… —

Èyèt d’ n’é pus jamés sté mokârd avè li !

 

10 mai 1903.

 

Ibid., p. 24. Paru d’abord dans l’Almanach paroissial. Eglise Saint-Nicolas, t. 4, Nivelles, 1906.

 

 

III   Vîyès mésos

 

Ô lès lârtchès mésos t’t-avau l’ vile èspârdûwes,

avè dès-uchs dè grègne pou passer ‘ne procèssion,

èyèt ‘ne rindjéye d’ fèrnièsses dins lès longs plats pègnons,

4     combîn d’ coûps n’ lès-é-djdju ravisé d’ssus lès rûwes !

 

Leû colidor pavé, blanchi come ène tchapèle,

èyèt vûde, a tout l’ér dè ratinde ène saquè,

swèt-i ‘ne rintréye d’ batème ou ‘ne soûrtîse d’in bankèt;

8    quand il intind dès pas, vos dîrîz qu’i s’ rapèle.

 

Mi, d’ wéte si, du scalier, come au temps du Bayî,

djè n’ viré nîn ‘ne Madame à falbalas dèskinde,

l’ dèbout d’ sès dwèts d’ssus l’ rampe in nwêr tchin.ne travayî.

 

 

  1. … oiseaux envolés (litt. : en voie),  vieilles maisons touchées,  c.-à-d.  délabrées ou démolies. — 13. les pieds devant : pour être portés au cimetière.

 

VIEILLES MAISONS

  1. avec des portes de grange (= des portes cochères) où passerait (litt. : pour passer) une procession. — 3. fèrnièsse, fenêtre; pègnon, pignon.
  2. … d’attendre quelque chose. — 7. … ou une sortie de banquet (c.-à-d. de mariage, par contraste avec balèmé).
  3. Moi, je regarde (litt. : guette) si, de l’escalier, comme au temps du Bailli. — 10. La « dame à falbalas » évoque les parures somptueuses que portaient, au xvui” siècle, les chanoinesses séculières du Chapitre Noble de la collégiale : on les appelait « Madame » et elles n’avaient point renoncé au monde. — 11. … en chêne noir ouvragé.

 

(p.300)

12   Èyèt djè d’mèr’rou là pou rîn d’ôte què d’intinde,

dins s’ casse à grossès fleûrs, èl min.me coucou tchanter,

à ç’ què l’ sièrpint d’ l’insègne mèt l’eûre oute dè costé.

 

26 décembre 1906.

Ibid.,  p. 26. Paru d’abord dans Le Courrier de Nivelles du 30 mai 1909.

 

 

112   In djoû…

 

Come in-èfant trop scrans qui r’clame l’èscoû dè s’ mére,

dèlé vous, m’ vî Nivèle, pou toudi dj’ èrvéré.

Djè doûrmiré mèyeû m’ dèrnî some dins l’ min.me têre,

4    au mitan d’ tous mès djins, qu’à l’ fîn dj’ èrtrouvèrré.

 

Djè voûrou pou ç’ djoû-là què l’ solèy ès’ moustère,

(à ç’ què, dins m’ nieû lûja rinssèré, dj’ariveré)

li qui m’a si souvint seû rinde èl vîye lidjêre,

8    rîn qu’à r’ssuwer d’vant mi l’ièrbe ramatîye d’in pré.

 

Ène djoûnèsse dè lauvau, m’ viyant passer d’ssus s’ voye,

s’aspoyera d’ssus s’ galant pou lî dire : « Vê-le-là voye !

il astout vièy assez, toudi, pou fé in moûrt. »

 

12   Mins l’ djoûne ome, tout sondjant, lî rèspondra put-ète,

pârlant come à li-minme, in tout satchant s’ caskète :

« I nos viyout voltî, ç’ti-lal, â ! way ça, foûrt ! »

 

26 juin 1916.

 

Ibid., p. 30. Paru d’abord dans La Vie wallonne, t. 2, Liège,  1922, p. 356-357.

 

  1. dans sa caisse (d’horloge) à grosses fleurs, chanter le même coucou (qu’autrefois). —
  2. Tandis que le serpent de l’aiguille (litt* : enseigne) met l’heure de l’autre côté (c.-à-d. change la place de l’heure).

 

UN JOUR…

  1. scrans, fatigué; èscoû, giron. — 3. Je dormirai mieux…
  2. à ç’ què, tandis que; lûja, cercueil. — 7. li, lui (= le soleil). — 8. rien qu’à sécher

devant moi l’herbe humide d’un pré.

  1. Une jeune fille (litt. jeunesse) de là-bas… — 10. vè-le-là voye, le voilà parti.
  2. « Il nous aimait bien (litt. : voyait volontiers), celui-là, ah ! oui ça, fort ! ».

 

 

(p.301)

113

El martchi

 

Djè sère mès-îs pou vîr come il astout, l’ martchi,

du temps dès mésos d’ bos, pa d’zous leûs twèts d’èstrangn,

aclapéyes à l’èglîje, avè ‘ne vigne à leûs rangns,

4   qui f’sin’ sondjî, dins l’ vile, à l’ vèrdure dès pachis.

 

Dins l’oûr de leûs-insègnes, d-a-t-o vu, warlochîs

d’ssus lès spales dès poûrteûs, passer dès bous vîs sangns;

èyèt, d’ssus lès costés, dès falots dins leûs mangns,

8   lès Confréres dès Mèstîs, fiêrs èyèt rwèds, marchî.

 

Il adjomblont l’ fîchéye qui coule d’ène coûr dè cinse,

dins l’ fond, d’lé l’ méso d’ vile, viès l’ Mièrson dèscouvri,

minâbe pa d’zous sès ponts, trisse, nwêr, sintant l’ mutri.

 

12   Is tchantont dès cantikes in passant d’lé l’ potince,

lé bos d’ moûdreû, monvés, mokârd, là, t’t-au mitan.

Vî temps, qu’ vos-astîz dûr !… Nîn pus què l’ no, pourtant !

 

5 juillet 1916.

 

Ibid., p. 31. Paru d’abord dans La Vie -wallonne, loc. cit., p. 358.

 

LE MARCHÉ. — C’est le nom traditionnel de la Grand-Place, à Nivelles.

  1. Je ferme les yeux pour voir comme il était, le marché. — 2. twèt d’èstrangn, toit de chaume. — 3. aclapéyes, accolées; rangn, rein.

5-6. Dans l’or de leurs bannières (litt. : enseignes), en a-t-on vu, ballotés / sur les épaules des porteurs, passer de bons vieux saints. — 7. falot, flambeau, torche. — 8. Ce quatrain fait allusion au toûr Sinte-Djèdru ou procession de Sainte-Gertrude, le dimanche suivant la Saint-Michel, à laquelle participaient, dans l’ancien temps, les corps de métiers groupés en confréries.

  1. adjombler, enjamber; fichéye, purin. — 10. … près de l’hôtel de ville, vers le Mièrson, nom d’un ruisseau bourbeux transformé plus tard en l’étang de la Dodaine. — 11. mutri, moisi.
  2. laid bois d’assassin, méchant, moqueur…

 

(p.302)

114

Venez, m’ petit colô…

 

Vènez, m’ pètit colau, vos-achîr su m’èscoû,

fét-à fét què d’ dèstché, vos crèchîz : ça dwèt ièsse,

à ç’ què dè d’dins m’ fonteuy djè ravisse pa l’ fèrnièsse,

4   vos n’ sondjîz qu’à couri d’ssus l’ rûwe djuwer vo soû.

 

El min.me vile indoûrmîye qui m’a vu tant dès coûps

prinde lès-am’djoûs d’uviêr pou dès dimanches dè fièsse,

vos vîra fé l’ djoûne ome èyèt r’drèssî vo tièsse,

pace què l’ fîye du vijin s’âra r’toûrné d’ssur vous.

 

Dèspû ç’ temps-là, m’n-ami, d’ l’é ieû dûr, èy’ à bèle

si d’ sé qu’au pus souvint l’ bouneûr è-st-à scabèle;

adon, lès bras t’t-au lârdje, djè l’ ratindou toudi.

 

12    … Mins vos sclidez d’ mès gngnous : vos djambes sont tchamousséyes ?

Courez, drouvez vos bras, n’ascoutez pus ç’ què d’ di;

ardant ! m’ pètit colau, pèrdez l’ monde à brasséyes !

 

8 septembre 1916.

 

Ibid., p. 32. Paru d’abord dans La Vie wallonne, loc. cit., p. 357.

 

 

VENEZ, MON PETIT GÂTÉ…

  1. colô, terme d’affection pour un enfant; le sens premier est pigeon; … vous asseoir sur mes genoux (èscoû = giron). — 2. dèstchér, déchoir au sens de décroître, diminuer; vous grandissez: cela doit être (= c’est normal). — 4. … jouer votre soûl.
  2. prendre les jours d’hiver pour des dimanches de fête; am’djoû, jour ouvrable (litt. : homme-jour). — 8. vijin, voisin.

9-10. … j’ai eu la vie dure (litt* : je l’ai eu dur) et à plus forte raison sais-je si le bonheur est changeant (à scabèle, litt1 : à escabelle ou escabeau, c.-à-d. en position instable); pour l’interprétation de l’expression à bèle si, cfr note de J. Guillaume, pp. 70-71.

  1. Mais vous glissez de mes genoux, les jambes vous démangent; tchamoussé, moisi : il faut sous-entendre, au fig., à force de rester sur place, d’être inactif. — 14. ardent, ici, interj. : hardi! allons!; prenez le monde à pleins bras.

 

 

(p.303)

ALFRED HENNO

(1866-1909)

 

L’histoire des luttes du parti socialiste en Belgique n’a guère retenu le nom d’Alfred Henno, né et mort dans la ville ouvrière de Mouscron, à la frontière franco-belge.

Successivement tisserand, sabotier, tonnelier, marchand de moules, rempailleur de chaises, cafetier, et parfois chômeur, Henno achève à 43 ans, miné par le chagrin et la phtisie, une existence qu’ont jalonnée des malheurs de famille (orphelin de mère à 8 ans, veuf à 23 ans, père d’un enfant infirme) et une misère qui le poussera à combattre sans merci pour la justice sociale. C’est en 1892, après quelques années de séjour à Tourcoing (Flandre française) qu’il fonde, avec des amis, une « Ligue Ouvrière », une coopérative et d’autres organismes qui donneront l’impulsion au socialisme mouscronnois.

Alfred Henno a commencé à écrire en 1887. Propagandiste politique et chansonnier du peuple, il dirige contre le patronat et le clergé une verve satirique qui s’exercera souvent en période électorale. Sa production locale et toute de circonstance — à part quelques pièces comme celle reproduite ci-après — pouvait d’autant moins se défendre contre l’oubli qu’il lui manquait en général les qualités de langue et de style. Diffusées parfois sur feuilles volantes, ses œuvres patoises (avec trois chansons françaises) ont été réunies en volume, à la veille de sa mort, par les soins de la Fédération socialiste de Mouscron qui les fit imprimer à la « Volksdrukkerij » de Gand. Le recueil ne serait sans doute jamais venu à notre connaissance sans le mémoire (inédit) que Pierre Marescaux a présenté, en 1969, à l’Université de Louvain, sur ce représentant de la littérature dialectale prolétarienne.

 

 

115                                                                                            [Mouscron]

I-a in gros mort

(Sur l’air : A Saint-Lazare d’A. Bruant)

 

Bèrli-bin-bon, quô qu’ cha veut dire,

tous chés bruts d’ clokes ?

Nous-orèles i k’minchent à brujir :

4           ajoke ! ajoke !

 

IL Y A UN GROS MORT. — Dans l’original, en exergue, cette citation de Jean Fusco, alias Alice Bron, écrivain belge de l’époque naturaliste : « Quand ils se parlent entre eux d’un grand enterrement, les curés ont un joli mot : I-a un gros mort ».

 

  1. Onomatopée suggérant la sonnerie des cloches (v. 2). — 3-4. Nos oreilles commencent

 

(p.304)

Més l’ soneû m’ dit : « Faut m’ pardoner

si j’ sone si fort;

ch’èst què j’ sus k’mandé du tchuré :

8          i-a in gros môrt ! »

 

Ch’èst-acore in qui-a bin dès doubes,

i-ara du monde.

Cha va faire du bin pou l’ sècoupe :

12          gare à l’ ofrande !

Adan i-arive acore souvint

qu’i-a dès piches d’or.

Si t’ sarôs comme in n-èst contint…

16          I-a in gros mort !

 

Mi èt l’ fossî, ch’èst l’ abitude,

aus p’tit sèrviches, in bâclé cha à la minute;

20          cha n’ sint pô l’ riche.

I-arive souvint pou lès p’tites gins

qu’in jète du klore,

mais come aujourd’hui cha sint bin !

24           I-a in grôs mort !

 

Monsi l’ tchuré, hiyèr au swar,

sur l’èrpasseûse

i s’a mis in colère toute nware :

28           cheule maleûreûse,

elle avôt tout roussi s’ lapète !

Ah ! jè l’ déplore, ch’ n’èst nô pô in supli à mète …

32          I-a in grôs mort !

 

 

à bourdonner : / arrête, arrête ! Sur la reprise du sujet par le pron. i, cfr la note 7 du n° 104. — 7. tchuré, curé (ailleurs chez Henno : tchurieûs, curieux, tchuré, cuire, tchan, quand, patchèt, paquet, etc.) : palatalisation secondaire propre à certains parlers normanno-picards, parmi lesquels celui de Mouscron. — 8. i-a, il y a (et ci-après : qui-a, i-ara, i-arive, etc.) : comme on l’a signalé pour le tournaisien (cfr n° 104), le groupe i + voyelle est monosyllabique, le trait d’union indique la synérèse.

  1. in, un; doubes (litt. : doubles), sous, argent. — 11. sëcoupe, soucoupe; ici, plateau pour la quête ou l’offrande dans les services religieux. — 13. adan, alors. — 14. piche, pièce. — 15. Si tu savais (litt. : saurais) comme on est content.
  2. sèrviche au sens de service funèbre. — 20. cela ne sent pas le riche. — 22. qu’on jette du chlore : il s’agit du chlorure de chaux, qui sert de désinfectant. — 23. … cela sent bon (bin = bien).

 

(p.305)

Lès vobiscum, lès vobinus,

toute la bricole

Pater noster et oremus —,

36          tout cha s’invole

dirèctëmint trouver 1′ bon Di

dès cofrë-forts

pou faire ène plache au paradis.

40          I-a in grôs mort !

 

Tout s’ra garni in drap’rie nware,

et la musique

va cachi dins sin répèrtware

44          tout chin qu’i-a d’ chic

pour condure l’âme du trépassé

gloriator !

Réquiès’ Catrinê passée…

48           I-a in grôs mort !

 

« Recueil de chansons, Pasquilles (*) et Monologues, contenant 80 Morceaux en patois de Mouscron, par Alfred Henno. 1887-1907 », Gand, 1908, pièce XI.

 

  1. La mesure du vers exige que hier compte pour deux syllabes, mais c’est contraire à l’usage oral. — 28. cheule, cette. — 28-29. cette malheureuse / (elle) avait brûlé son pan de chemise (par ironie, le surplis du curé: cfr v. 31). — 31. nô pô, plus du tout.

33 ss. Les mots latins (ou supposés tels : vobinus, gloriator) miment par dérision les prières de la messe.

43, cachi, chercher. — 47. Parodie d’une formule de la liturgie des morts : Requiescat in pace (= qu’il repose en paix).

 

(1) En Flandre wallonne, la pasquille (à Mouscron pastchile) désigne un petit  conte dialogué et plaisant, en vers.

 

 

(p.306)

JEAN BURY

(1867-1918)

 

Né à Liège, mort à Amsterdam, à la fin de la première guerre mondiale. Son aide aux services de l’espionnage allié l’avait contraint, en 1915, de fuir en Hollande, avec sa famille, pour échapper aux Allemands qui le recher­chaient.

De souche ouvrière, fils d’un tailleur de limes qui était, à ses moments perdus, chansonnier improvisateur, Jean Bury, âgé de treize ans, quitta les bancs de l’école pour l’étau du graveur sur armes. Sa vocation littéraire fut d’une précocité étonnante : à douze ans, il rimait ses premiers vers wallons.

Vrai Protée, Bury a été tout ensemble dessinateur, graveur, compositeur de musique, régisseur de théâtre, fondateur d’une société littéraire (« La Wal­lonne » en 1892), directeur de gazettes patoisantes, notamment de L’êrdiè [L’arc-en-ciel] (1892-1894), etc. Au cours d’une activité débordante, il com­posa « sans effort ni repos » une cinquantaine de pièces de théâtre, qui sont aujourd’hui vieillies, et une dizaine de recueils de vers : Mohètes et pavions [Moucherons et papillons] (1892), Fâbite.s et critions [Fauvettes et grillons] (1893), Pilits-âbions [Silhouettes] (1894), Mazindjes et mohons [Mésanges et moineaux] (1897), Pinsêyes et râvions [Pensées et songeries] (1899), Tchansons di m’ cour [Chansons de mon cœur] (1903), Ramayes et masse [Ramilles et mousse] (1906), Pô passer s’ tins [Pour passer le temps] (1912), Tot gruzinant [En fredonnant] (1913).

Comme poète, ses prédilections vont à la chanson sentimentale ou morali­satrice et aux petits tableaux de genre en forme de sonnet ou de rondeau. D’une verve lyrique toujours spontanée, Bury n’est guère parvenu à discipliner sa facilité. Il laisse une œuvre prolixe, inégale, où domine l’a peu près. Parmi ses trop rares réussites, on retiendra Li bot’rèsse : quelques vers simples et contenus qui pourraient faire de Bury un poète populiste avant la lettre.

 

 

116                                                                                                        [Liège]

Li boterèsse

 

Avou s’ pèsante hôte à sès rins,

li coûr lèdjîr, li boterèsse passe.

Dispôy qu’elle èst foû di s’ payasse,

4   èlle a d’djà triplé po l’ wèsin.

 

LA  « BOTTERESSE »   (hotteuse). —  Sur  la bot’rèsse,   « vrai  type  de la Liégeoise du peuple»  (E. Legros), cfr DL 97, fig.  117-8 et EMVW, 6, pp. 97 ss.

  1. hôte, terme français employé ici (pour éviter l’hiatus ?) à la place du liég. bot. — 4. elle a déjà piétiné [le charbon] pour le voisin (cfr le n° 57).

 

(p.307)

Asteûre, qwèqu’i ploûse à lavasse,

èle va todi, ça n’ lî fêt rin…

Avou s’ pèzante hôte à ses rins,

8    li coûr lèdjîr, li boterèsse passe.

 

Èle tûse à s’ fis qui studèye bin,

à s’ fèye qu’à sposé ‘ne ragognasse,

à s’ soûr qu’a dès-èfants qu’ont fin…

12   èt mousse å « Blanc dj’vå » beûre si tasse

avou s’ pèsante hote à sès rins.

 

Pitits Abions, Liège,  1894, p. 47.

 

 

117

L’èfant

 

L’èfant, c’è-st-on mamé bokèt

qu’on n’ rilouke måy avou ‘ne seûre mène;

riyez-lî, ses mins s’astitchèt,

4   èt çou qu’i n’ pout dîre, on l’advène.

 

S’on l’ gatèye, vo-le-là-st-è savène;

sès djambes èt sès brès’ pitch’patch’tèt.

Âreût-i ‘ne tote crotêye narène

8    qu’on l’ magnereut tot crou come ôte tchwè.

 

C’è-st-ine pîtche, c’è-st-on boton d’ rôse;

c’èst l’aweûr divins ‘ne banse rèclôse;

c’è-st-ine andje qu’apwète li boneûr.

 

  1. à lavasse, à verse.
  2. ragognasse, ivrogne. — 12. et entre au « Cheval blanc » boire sa tasse  [de café].

 

L’ENFANT

  1. on mamé bokèt, un gentil morceau (= un être chéri). — 3. s’astitchî, se tendre.
  2. Si on le chatouille, le voilà sur le dos. — 6. pitch’patch’ter (v. onom.), s’agiter (en parlant des membres). — 7-8. Aurait-il même le nez tout crotté, / (qu’)on le mangerait tout cru comme autre chose (= comme n’importe quoi).
  3. pîtche, pêche. — 10. C’est la joie dans un berceau enclose.

 

(p.308)

12    Por lu, 1′ vèye divreût-èsse tot rôse…

Ènn’a portant à quî ‘le pwète heûre :

èfants dès pôves, tchår à doleûr !

 

« Tot grusinant », Liège, 1913, p. [XII].

 

  1. n y en a pourtant à qui elle porte malheur. — 14. … chair à douleur.

 

(p.309)

ERNEST BRASSINNE

(1867-1938)

 

Né et mort à Liège, Ernest Brassinne, administrateur de banque, a vu sa première chanson couronnée et imprimée par la Société de Littérature wal­lonne en 1890. Il continua dans la suite à réserver aux concours des sociétés littéraires une production faite surtout de pièces descriptives et lyriques inspirées par la vie et les usages populaires. On lui doit aussi des mono­graphies et des vocabulaires de métiers.

De ses œuvres, qui ne furent jamais rassemblées, émerge Li Pont d’Avreû (1926), évocation du quartier natal de l’auteur, au centre de Liège. Ce chant du passé qui s’attarde en touches discrètes nous fait retrouver, par-delà ses longueurs et ses digressions, le charme d’un style de vie familial qui avait sa noblesse et son prix.

 

118                                                                                                   [Liège]

Li Pont d’Avreû

(Extraits suivis)

 

Foû climpeûre èt ‘ne gote kitwèrtchèye,           Vv. 1-16

c’èsteût ‘ne mohone dè bon vî tins.

Dizos l’ pwès dès lonkès-annêyes,

4   èle drènéve, come ine pôve vèye djint.

Elle aveût-st-ine drole di façåde,

dès p’titès f’gnèsses, dès p’tits cwårês,

divins ‘ne maçonerèye à creûhelådes.

8    Dizos, deûs pwètes, on p’tit teûtê

po catchî l’ meûr qu’èsteût hayis’;

so li d’zeûr, à l’ sofrande dè teût,

lès tèråsses, dizos l’ coronis’,

12   boutît foû, so l’ rowe Pont d’Avreû.

 

 

LE PONT D’AVROY. — II s’agit de la rue Pont d’Avroy, aujourd’hui d’une des principales rues commerçantes de Liège; jusqu’au début du XXe siècle, son étroitesse et l’alignement irrégulier de ses maisons lui avaient conservé un cachet populaire.

 

  1. Hors d’aplomb et un peu de travers. — 4. drèner, ployer. — 7. à creûhelådes, à croisillons. — 8. teûtê, auvent, appentis. — 9. hayis’, qui s’écaille ou s’effrite (prop* : schisteux). — 10. sofrande dè teût, « entablement du mur sur lequel le toit s’appuie »  (DL 599). — 11-12. les solives, sous la corniche, / faisaient saillie sur la rue… —

 

 

(p.310)

On l’zès dismoût eune après l’ôte,

lès vèyès mohones qu’on n’ vout pus,

corne on s’ disfêt d’ine vèye crapôde…

16   Nosse mohone a stu bouhèye djus.

Pôve vèye mohone, — mi, dji t’ rigrète, —        

29-7* wice qu’i fève si bon de viker !

A F vèsprêye, on sèréve li pwète;

20    on n’oyéve pus nolu passer.

C’èsteût-st-è plin mitan de 1′ vèye,

mins lès djins vikît d’à-façon.

A F mit’, lès vôyes èstit d’sseûlêyes,

24   lès mohones ridohît d’ tchansons.

Asteûre, c’est tote li nut’ qu’on rôle,

on ‘nnè r’va-st-à l’êreûr de djoû.

D’avance, âtoû de F lampe à l’ôle,

28    li manèdje èsteût racloyou.

Li lampe tapéve ine flâwe loumîre

âtoû de F tâve, mins nin pus Ion.

Li grand-père, tôt reû so s’ tchèyîre,

32   vûdîve si vêre à p’tits goûrdjons.

I fève oneûr à nos brèssènes,

i buvéve li bîre dès Lîdjwès,

de F « saison » qu’ hagnîve è F narène,

36    quéque fèyes ine gote di vî pèkèt,

et s’ poûhîve-t-i vol’tî ‘ne pènêye

fou d’ine pitite plate bwète d’ârdjint.

On F rimplihéve po ‘ne çans’ et d’mèye :

40   li snoufe èsteût câzî po rin.

 

  1. On les démolit… — 16. … a été jetée bas.

19-20. A la soirée, on fermait la porte; / on n’entendait (de oyî ou are, ouïr) plus personne (nolu, nul) passer.

  1. … vivaient comme il faut. — 23. … les chemins étaient déserts. — 24. ridohît, reten­tissaient. — 26. on s’en retourne à la lueur du jour. — 27. Ole, huile. — 28. manèdje, ménage au sens de maisonnée; racloyou, renfermé (litt* : « reclos »). Le sens est : la maison vivait repliée sur elle-même. — 29. … jetait une faible… — 31. reû, raide. — 32. goûrdjon, gorgée. — 33. brèssène, brasserie. — 35. La « saison » ou bière de saison, brassée en mars, était une bière liégeoise très estimée au xixe siècle; quelque peu aigre, elle piquait (hagnîve) au nez. — 37 et s’, loc. copulative (= et); poûhîve, puisait; pènêye, prise (de tabac). — 39. … pour un «cent» (= deux centimes) et demi. — 40. snoufe,

 

(p.311)

Li bone vèye grand-mére, è catchète,

stitchîve ine neûre cens’ ås-èfants.

Come on l’ rabrèssîve à picète !

44   Elle aveût dè souke è s’ ridant !

Lès cårpês, tot s’ rôlant à l’ tére,

hoûtît lès råtchås dè vî tins.

Li p’tit coulot, so l’ hôt di s’ mére,

48    si k’tapéve come on vièrzèlin.

Come èlle èsteût fwért amiståve,

nosse vèye mohone dè Pont d’Avreû,

tofér, onk ou l’ ôte dè vinåve

52   vinéve djouwer s’ pårt di cwårdjeûs.

C’èsteût sovint l’ matche qu’on djouwéve,

ou cink rôyes, ou l’ pikèt normand;

èt l’ ci qu’aveût fêt l’ pårt, haheléve :

56    il åreût dispièrté l’èfant !

I n’ faléve nin rintrer atote

qwand c’èst qu’on n’aveût nin sièrvou :

vos lès-årîz ramassé totes !…

60   On n’èst nin dès djouweûs d’ tape-cou !

Nolu n’åreût måy polou dîre,

télemint qu’il èstît tchôds so l’ djeû,

si c’èsteût po l’ tchèstê d’ Tchôkîr

64   ou bin po ‘ne cens’ qu’i fît leûs pleûs.

 

 

tabac à priser. — 42. ine neûre cens’ était une pièce de deux centimes. — 43. à picète, à pincette : cfr n. 11 du n° 98. — 45. cårpê, gamin, garçonnet (ord. espiègle ou remuant).

—  46. … les sornettes de l’ancien temps. — 47-48. Le petit dernier, dans le giron de sa mère, / se démenait comme un oiseau; v(i)èrzèlin, souvent employé au sens fig.  de grincheux, signifie d’abord « fringille cabaret ou sizerin boréal, espèce de petite linotte » (DL, 689). — 49. amistâve, accueillant(e). — 51.  tofér, syn. de  todi, toujours;  vinâve (arch.), voisinage, mais plutôt dans le sens de quartier. — 52. cwårdjeûs, cartes (à jouer).

—  53. matche, cinq’ rôyes (« cinq lignes ») et le « piquet normand » désignent des jeux de cartes. — 55. et celui qui avait gagné (litt’ : fait) la partie riait aux éclats. — 57. atote, atout. — 58. … qu’on n’avait pas servi (au sens de: donner les cartes). — 59. toutes, c.-à-d.  les  réprimandes  adressées  au joueur maladroit ou  distrait.  — 60.  djouweû  d’ tape-cou, mauvais joueur; expr. pittoresque provenant de l’habitude qu’avaient les gamins de rue de jouer aux  cartes sur les portes  de  caves  posées  au niveau du sol,  sur le trottoir, et appelées  tape-cou  (litt. :  tape-cul).  — 63.  …  pour le château de  Chokier (entre Liège et Huy). — 64. pieu, levée au jeu de cartes (litt. : pli).

 

(p.312)

On-z-èsteût si bin è l’ coulêye !                      755-;so

Nolu n’ tûséve måy à spiter.

Li sise èsteût so l’ côp passêye

68    è 1′ vèye mohone de tins passé.

Lès mohones d’oûy sont bin pus bèles,

adjincenêyes come on n’ sâreût mî.

Kimint va-t-i qu’on s’ howe di zèles

72 èt qu’on n’ qwîre qu’à lès-èlêdî ?

Nolu ni s’ plêt pus è s’ mohone,

i fåt qu’on ‘nnè våye chal ou là;

è l’êsse vos n’ troûverez pus pèrsone,

76   on passe sès sîses å cinéma.

Qu’avît-èle, lès p’titès casenîres,

po t’ni lès djins d’zos leû soûmi ?

Sèreût-ce qui d’vins ‘ne pitite wåmîre

80   li boneûr s’adjîstrêyereût mî?

 

On t’néve à l’ mohone di sès tåyes.                 241-260

Li pére lèyîve l’ustèye à s’ fis.

Come, di ç’ timps-là, on n’ baguéve måy,

84    on-z-èsteût fîr d’èsse di s’ qwårtî.

On-z-î aveût totes sès som’nances

so ‘ne pitite horiote di tèrin.

C’èst là qu’on-z-aveût vèyou s’ banse

88    èt lès wahês d’ tos sès parints…

Lès-åmes dès cis qui sont-st-èvôye

åtoû d’ leûs-èfants roudinèt :

èle fèt qui l’ timps hoyou s’ rilôye

92   å ci d’asteûre, å ci qu’ vinrè.

 

 

  1. … au coin du feu. — 66. Personne ne pensait jamais à s’échapper. — 67. sîse, soirée, veillée. — 70. arrangées (comme) on ne saurait mieux. — 71. Comment se fait-il (litt* : va-t-il) qu’on s’éloigne d’elles. — 72. èlêdi, abandonner. — 75. êsse, âtre. — 77. casenîre, bicoque. — 78. pour garder les gens sous leur toit; le soumî est propr’ la « poutre qui porte les solives d’un plancher » (DL 605). — 79. wåmîre (t. littéraire des auteurs liégeois), chaumière. — 80. s’adjîstrer, prendre gîte, s’installer.
  2. tåyes, ancêtres. — 82. lèyîve, laissait au sens de : léguer; ustèye, outil. — 83. baguer, déménager. — 85. som’nance, var. de sovenance. — 86. sur une petite languette de terrain. — 87. banse au sens de berceau. — 88. wahê, cercueil. — 90. roudiner, bruire. — 91-92. elles [les âmes des aïeux] font que le temps échu (= passé) se relie / à celui de maintenant, à celui qui viendra. —

 

(p.313)

Oûy, on ‘nnè va-st-ås qwate måhîres;

on baguereût bin tos lès treûs meûs.

Nos péres si rècrèstît po dîre :

96    « Dj’a m’nou å monde è Pont d’Avreû ! ».

Li vèye di Lîdje tinéve, por zèls,

inte li Pot d’ôr èt drî Sint-Pau;

c’èsteût leû rowe qu’esteût l’ pus bèle.

100    Vos ‘nnè riyez? V’ savez bin pô !…

 

Nosse Lîdje èst dim’nowe ine grande vèye :        457-fin

on-z-ôt djåser tos lès djårgons;

Mins, di chal à quèkès-an.nêyes,

104   on n’aurè pus djåser l’ walon !

Lès vôyes sont pus lådjes èt pus dreûtes :

lès djins sont dimenous vèrmouyeûs.

Nosse rowe èsteût foû sqwére èt streûte :

108    on-z-î vikéve lîbe èt djoyeûs !

Dj’ô bin qu’on åreût polou scrîre

so lès mohones dès vîs Lîdjwès :

« Chal, n’a nolu qu’åye rin à dîre;

112   c’èst 1′ mêsse di chal, tot seû, qu’èst rwè ».

Oûy, nos-avans-st-ine ôte goviène :

lès cis qu’ volèt miner l’ payîs

sayèt dè hèrer leû narène

116    disqu’à d’vins l’ pus p’tit trau d’ soris.

I fèt dès lwès å toûrnant brès’;

ènnè fôrdjèt-st-eune tos lès djoûs :

disfinde… is n’ont qu’ çoula è l’ tièsse :

120    å rés’ d’oûy, tot qu’èst disfindou !

Dji sé bin qu’ dji so ‘ne gote hayåve,

mins dji n’ pou m’ rateni dè pinser

 

 

  1. Aujourd’hui, on s’en va aux quatre coins, c.-à-d. de tous côtés; måhîre = 1. muraille, 2. demeure. — 95. si rècrèster (litt. : se « rencrêter »), redresser la tête avec fierté. — 98. la rue du Pot d’Or, parallèle à la rue Pont-d’Avroy et * derrière Saint-Paul », près de la cathédrale.
  2. vèrmouyeû (ord. : vièr-), grognon, acariâtre. — 107. foû sqwére, hors d’équerre (comp. v. 1). -— 109. J’entends bien, au sens: il me semble bien. •— 113. goviène (litt. : gouverne), manière d’agir, de se conduire. — 115. essaient de fourrer leur nez. — 117. … à tour de bras. — 120. å rés’ di, au niveau de; ici, l’expression pourrait se rendre par : dorénavant, à partir d’aujourd’hui. — 121. hayåve, ennuyeux, maussade.

 

(p.314)

qu’on n’a måy situ pus-èsclåve

124    qu’oûy, qu’on n’ djåse pus qui d’ lîbèrté !

Hossans tot çoula djus d’ nos spales :

çou qu’è-st-èvôye ni r’vinrè pus.

Dispôy qui ç’ n’èst pus ine rouwale,

128    li Pont d’Avreû, ci n’èst pus lu.

Qu’on s’ènnè vante ou qu’on l’ rigrète,

on n’î såreût pus rin candjî.

Lèyans çoula po fé ‘ne bonète,

132   — ine bonète di pus’, à Matî…

 

Mågré qu’èlle èsteût p’tite èt vèye,

li p’tite vèye mohone di mès djins,

dj’ ènnè r’mouwerè co traze, co mèye :

136   djamåy dji n’ sèrè pus si bin !

 

 

Bull. Soc. de Litt. wall, t. 60, 1926, pp. 54-69

 

 

  1. Secouons tout cela… — 132. fé ‘ne bonète à Matî, faire un bonnet à Mathieu: dicton liégeois employé pour dire qu’on laisse quelque chose de côté, qu’on n’en parle plus.

 

 

(p.315)

JEAN WISIMUS

(1868-1953)

 

Appartenant à la bourgeoisie commerçante de la ville de Verviers, où il passa toute sa vie, Jean Wisimus consacra le temps que lui laissaient l’indus­trie et le négoce au mouvement wallon et à la littérature dialectale. Celle-ci trouva en lui un animateur et un propagandiste zélé. Le prouvent, entre autres, sa collaboration à la copieuse et généreuse Anthologie des poètes wal­lons verviétois (1928) qu’il signa avec Jules Feller et le rôle qu’il exerça à la tête de la société Lu Vi Tchêne [Le Vieux Chêne] fondée en 1927 pour rassembler les survivants des anciens journaux et cercles patoisants de Verviers.

L’œuvre littéraire de Wisimus — qui débuta fort tôt — s’étend au long de plus de sokante ans d’activité. Avec quelques pièces de théâtre, elle comprend surtout des pages fugitives nées de l’observation, de l’évocation et du senti­ment : tableaux populaires, souvenirs de jeunesse, récits, fables, chroniques, etc. La meilleure part forme le volume de mélanges en vers et en prose intitulé Dès rosés et dès spènes [Des rosés et des épines] (1926).

 

 

119                                                                                               [Verviers]

Lu mureû

 

Bon vî mureû, brave kupagnèye,

twè qui m’a k’nohou tote mu vèye

èt po quî dju n’ou måy nou scrèt,

4    dis-me on pô s’ tu l’as fait èksprès ?

Dusqu’asteûre èt duspôy tot djône,

duvins mès djôyes èt d’vins mès pônes,

quî èst-ce cila qu’ tu m’as môstré,

8    qui m’ raviséve tot come on fré ?

 

Lu prumî djoû qu’ tu fis l’ miråke,

çu fout l’ dîmin quu dj’ fi mès Påke,

Dju pîtîve ! Dju n’ mu d’néve nou timps !

12   Rutinké d’vins mès noûs moussemints,

 

 

LE MIROIR. — Poème inspiré de La nuit de décembre de Musset, dont l’auteur cite trois vers en exergue à son poème.

 

  1. quel est celui-là que tu m’as montré.
  2. ce fut le dimanche où (litt. : que) je fis mes Pâques, c.-à-d. ma communion solennelle. — 11. Je trépignais. — 12. rutinké, engoncé. — 13. … une tête bouclée. L’usage a existé longtemps de friser les cheveux des premiers communiants.

 

(p.316)

tot fîr d’aveûr one crolêye tièsse, dj’acora d’vant twè.

Dis-me ? Qui èst-ce ? Qui èst-ce ci-là qu’ tu m’as môstré

16   su rafiyant tot come on fré?

 

Pus tård èco, qwand dj’ fou djône ame,

à l’adje quu l’ coûr s’èsprind èt blame,

tot fîvreûs du m’ prumî radjoû,

20   dju rosinéve come on ligneroû.

Deûs cohês d’ murguèt à m’ botenîre,

— t’è sovins’-se ? — duvant twè dj’ veûne rîre !

Quî èst-ce ci-là qu’ tu m’as môstré

24   riyant avou mi come on fré ?

 

Adon, çu fout l’ djoû du m’ marièdje.

Duvant d’ataker l’ grand voyèdje

èt d’ qwiter s’ nid, on tûse bin lon !

28    Sèrè-dje ureûs ? Vès wice va-t-on ?

Fåt-i vêy neûr ? Fåt-i vêy rôse ?

Duvant twè dj’ veûne pîler ‘ne rèspôse :

quî èst-ce ci-là qu’ tu m’as môstré

32   tûzant avou mi come on fré ?

 

N’ sûhans turtos nosse dèstinêye :

onk a l’ solo; l’ôte, dès noûlêyes.

El roûvirès-se måy, cisse nut’-là,

36   qu’å lét du mi-èfant dju trôla ?

Lu mwêrt adon nos l’ duspitéve !

Et come duvant twè dju passéve,

quî èst-ce ci-là qu’ tu m’as môstré

40   plorant avou mi come on fré ?

 

Après l’orèdje, l’êwe s’akeûhèye.

Lès djoûs s’ sûhèt, pwis lès an.nêyes.

On d’vint tchènou èt pwis tot blanc…

44   On pinse å dièrin char-a-bancs…

 

 

  1. ame, forme verv. de ome, homme. — 18. … s’allume et flambe. — 19. radjoû, rendez-vous. — 20. je gazouillais comme un linot. — 21. Deux brins de muguet à ma boutonnière. — 22. … je vins rire.
  2. … je vins quémander une réponse.
  3. s’akeûhî, s’apaiser. — 43. tchènou, chenu.

 

(p.317)

— Au bout du fossé la culbute ! —

Et come dj’î pinséve îr al nut’,

quî èst-ce ci-là qu’ tu m’as môstré,

48    qui m’ ruloukîve tot come on fré ?

 

Quî qui seûye, Mureû, dju tèl djeure :

ci-là qui m’ sûha come on speure,

à quî dj’ n’a rin polou catchî,

52   m’a tofêr loukî sins brontchî !

Et nos polans co todi oûy

nos trawer, sins bahî lès-oûys,

avou ci-là qu’ tu m’as môstré,

56   èt qui m’ kunoch co mî qu’on fré.

 

Septembre 1931.

Bull. Soc. de Litt. wall, t. 66, 1939, pp. 31-33.

 

  1. celui-là qui me suivit comme un spectre (= comme une ombre). — 52-53. tofêr, todi (synon.), toujours. — 54. trawer, trouer, a ici le sens de : regarder fixement, percer du regard.

 

 

(p.318)

FRANÇOIS RENKIN

(1872-1906)

 

Né à Liège, mort à Ramet, emporté par une crise d’urémie à la veille de ses 34 ans, François Renkin n’a eu que juste le temps d’affirmer, entre 1894 et 1898, une maîtrise qui promettait à la littérature wallonne « un autre Henri Simon » (O. Grojean).

Issu d’une famille aisée de fabricants d’armes, il avait abandonné des études de droit qui ne lui convenaient guère pour suivre, en rentier, des goûts de flâneur et d’artiste qui le fixèrent à Ramioul, dans la maison de campagne de ses parents, au bord de la Meuse.

C’est là qu’il trouva le cadre villageois de ses contes et qu’il se découvrit une vocation de folkloriste en recueillant les légendes du Bas-Condroz pour la revue Wallonia dont le directeur, Oscar Colson, était son ami. Avec ce dernier, Renkin avait fondé à Liège un hebdomadaire dialectal de qualité, Li Mestré [Le Ménétrier] (1894-1895) auquel il donna quelques alertes chroniques sous le titre Mèssèdjes d’avâ Y saminne. Jointes aux contes et croquis, elles constituent les Ecrits wallons de François Renkin réunis par Colson dans une édition posthume parue en 1906.

L’œuvre de Renkin, dense mais peu nombreuse, est avant tout celle d’un lettré. Qu’il ait lu Flaubert et Maupassant, on n’en peut douter. Mais à travers eux, il a su créer une atmosphère aérée et lumineuse, distribuée en menues touches impressionnistes, qui fait le charme de ces pièces tendres et pudiques que la sobriété du tracé et une légère stylisation inclinent vers la prose poétique.

 

 

120                                                                                   [Ramioul-lez-Ramet]

Li vîye bûse

 

È nosse gurnî dj’a trové ine vîye bûse.

Lâdje dizeûr et d’zos, tote rastreûtîye à mitan, avou des bwêrds corne ine min :  c’è-st-on vi tchapê de tins passé qui n’est pus bon

4    qui po fé lès carnavals.

Dispôy swèssante ans, mutwèt, elle èsteût toumèye inte li meûr et ine caisse d’ôrlodje.

Tote binâhe d’esse rouvîye, èle si catchîve là, corne ine djint qu’ènn’ a brâmint vèyou et qu’a todi sogne qu’on

 

LE VŒUX GIBUS

  1. gurnî, grenier; buse, buse, tube cylindrique qui, par métaphore, désigne en Wallonie le chapeau haut de forme (DL, fig. 148).
  2. … toute rétrécie au milieu…
  3. mutwèt, peut-être. — 6-7. Toute contente d’être oubliée,  elle se cachait là,  comme une personne qui en a beaucoup vu et qui a toujours peur…

 

 

(p.319)

8   n’ si moque di lèye.

Qwand djèl sètcha fou di s’ catchète et qui djèl louka tchèrdjîye d’arincrins et tote grîse di poussîre, i m’ fala rîre à veûy lès drôles di modes qu’on-z-aveût d’vins l’tins, et à sondjî, mâgré mi, qu’is-èstît

12   bin sots lès cis qui tchâssît dès afêres insi so leû tièsse.

Dj’ala portant qwère ine hov’lète et dji dispoûs’la li vîye buse. Tôt doûç’mint li poussîre voléve èvôye et on pô à ‘ne fîye li tchapê ridiv’néve neûr dizos 1’ hov’lète.

16 Corne dj’èsteû tôt djondant de F finièsse, li solo qui touméve so mes mins fa r’iûre on pô li vîye buse qui dji v’néve di trover, — et d’on plin côp, dji sinta bin qui lès mwêrts et tos lès vîs d’oûy ont-st-avou leû djônèsse ossi.

20 L’idèye de rire esteût èvôye, et dji n’ poléve pus ma, alez, vi tchapê, di m’ moquer d’ vos; ça tôt v’ loukant, i m’ sonla qui dj’èsteû ad’lé on fwêrt vî orne qu’âreût co djâzé di s’ prumîre crapôde; et dji v’ vèya, vîye buse, tote gâye et tote nète corne vos-èstîz qwand

24   on v’ prinda fou d’ vosse lasse.

 

C’è-st-è 1′ Condroz, on djoû de meus d’ may, èvès treûs-eûres après

1′ dîner.

Dizeû 1′ bwès, on solo d’ bon tins blâme djoyeûs’mint, tchâfe tote

28   li campagne, et bin Ion, bin Ion, fêt r’glati on teût d’èglîse, divins lès-âbes.

I-n-a è l’êr ine saqwè d’ doûs et d’ hêtî qui sint bon et qui fêt de bin.

Tôt d’on côp, à tournant de 1′ vôye, vola F marièdje qui vint.

32   En-avant, c’est F djône cope qui rote li prumî, tote fîre et tote binâhe di viker.

Li mariêye a mètou si noûve robe à fleurs; so ses spales, elle a mètou on breune châle, et si p’tit visedje est tôt fris’ dizos F blanke

36   comète qui lî va si bin.

Insi vo-F-là v’nou, li grand djoû, vo-l’-là mariêye !

 

  1. arincrin, toile d’araignée.
  2. J’allai pourtant chercher une brosse et j’époussetai…
  3. on pô à ‘ne fîye, petit à petit.

23-24. … toute pimpante et toute propre comme vous étiez quand on vous prit (= sortit) de votre boîte.

  1. hêtî, sain.
  2. … c’est le jeune couple qui marche le premier…
  3. comète, cornette, anc. coiffe féminine (cfr DL, 166).

 

(p.320)

Et l’djône feume si rapinse tôt F tins qu’elle a hanté, èle louke tot-âtoû d’ lèy li campagne avou tos lès grains qui crèhèt, lès hâyes

40 totès vêtes et, à bwêrd de P route, lès p’tits bleûs-oûy d’Avièrje qui s’ drovèt à solo.

Èle veut tôt coula. Èle sint bin qui c’èst-on grand boneûr d’esse djône. Et, tote awoureûse, èle s’aspôye pus fwêrt so P brès’ di si-ome

44    qui rote ad’lé lèye.

Lu, avou s’ buse et s’ hôt golé qui lî vint as orèyes, i s’ tint tôt reû, on pô djinné de sinti so ses reins in-abit d’ fin drap, lu qu’est todi si bin à si-âhe avou s’ grand sâro di tos lès djoûs.

48    Adon, tôt sofoké d’ djôye, i n’ set vrêmint rin trover à dire à s’ feume, et i n’ fêt qui di lî répéter tôt bas et tôt doûç’mint : « Mi fèye, mi p’tite fèye, va ! » Tôt près d’ zèls, ine alôye tchirip’tant s’èmonta djoyeûs’mint.

52 Et, tot-âtout dès djônes mariés, li campagne is’ sitindéve tote clére di loumîre. Dès p’titès djènès fleurs, divins lès prés, ravizît dès gotes di solo. Li vint r’mouwéve doûç’mint dès grantès plaques di wassin dèdja pôtî. Dès bokèts d’ wèdje avît ine coleûr d’ârdjint.

56 Et fou dès trimblèmes di France, i montéve ine bone odeur di djônèsse et d’ corèdje.

Noûf ou dî copes sûvît lès prumîs. Lès djônes en-avant riyît et s’ kibatît, si rafiyant d’esse rèvôye po tchanter et po danser. Lès

60   vis, qui n’ rotèt pus reû, vinît podrî, zèls ossi si rafiyant d’esse rintrés, nin po danser, mins po magnî on bon bokèt et beûre quéquès sopènes di vin. Et, li dièrinne di totes, li marne de djône marié louke roter s’ fi

64    d’vant lèy, avou s’ hôte buse qui r’lût à solo.

Li pôve vîye feume si d’mande si s’ fi sèrè pus-awoureûs qu’èle

  1. tôt V tins qu’elle a hanté, tout le temps de ses fiançailles. — 40. oûy d’Avièrje, myo­sotis.
  2. … avec son haut col qui lui vient [jusqu’]aux oreilles… 48. Alors, interdit par la joie (litt* : tout suffoqué de).
  3. alôye, alouette; tchiripter, faire tchirip (onom. imitant le chant de l’oiseau).
  4. … s’étendait; is’ (en Hesbaye hutoise), se. — 53. ravizît, ressemblait. — 55. … de seigle déjà  en  grains  (pote,  épi  de  céréales).  Des  champs  (litt1 :  morceaux,  parcelles) d’orge… — 56. trimblène di France, trèfle incarnat.
  5. s” kibate, se pousser (ici: par jeu, en batifolant); se réjouissant d’être rentrés… — 59-60. Les vieux, qui ne marchent plus vite, venaient derrière, eux aussi… — 62. sopène, chopine.

 

(p.321)

ni l’a stu, si s’ feume et lu s’ètindront bin, et si P noûve buse qui r’lût si fwêrt à solo n’irê mây qu’à dès batèmes et à dès fièsses.

68 È nosse gurnî dj’a trové ine vîye buse.

Lâdje dizeûr et d’zos, tote rastreûtîye à mitan, avou dès bwêrds corne ine min, •— c’è-st-on vî tchapê de tins passé qui n’est pus bon qui po fé les carnavals…

 

« Ecrits wallons de François Renkin », Liège, 1906, pp. 11-15. Paru d’abord dans le journal liégeois Li mèstré, n° 8 du 2 février 1895.

 

 

121

On dîmègne

Ils revinrent comme éblouis d’un rêve mort. H. de Régnier.

C’èsteût on clér et tchôd dimègne de meus d’awous’.

Tôt dreût après basse messe, ses deûs frés estît èvôye so 1′ Noûve-vèye, amon dès parints qu’èls-avît priyî à 1′ fièsse; et lu, Djâque,

4 èsteût d’moré à 1′ cinse po-z-î loukî et taper on côp d’oûy so l’ovrèdje de vârlèt.

Après P dîner, èvès treûs-eûres, qwand il ava bu P café, Djâque ala fé ‘ne toûrnêye divins lès stâs, veûy s’i n’ mâquéve rin as bièsses.

8 Lès vatches avît stu stièrnîyes corne i fat et lès tch’vâs bin forés; tos lès polins avît avou à beûre. Tot-à-fêt èsteût r’mètou à pont.

Li djône orne vina s’assîr è P cour, so P hame, et fourni s’ pîpe.

Li grand-ouh de P cinse èsteût à lâdje, et divant lu Djâque vèyéve

12 li campagne tote riglatihante di loumîre.

Ine bone odeur d’osté montéve fou dès dîhês d’ frumint; hâre et hôte, dès grantès plaques di pétrâtes et d’ fôrèdjes fît dès vêtes

 

 

UN DIMANCHE

2-3. li Noûve-vèye (ou li Noûvèyé), Neuville-en-Condroz, dans l’arrondissement de Huy; fièsse, ici: fête paroissiale, kermesse. — 4-5. … pour y regarder et jeter un coup d’œil sur le travail du domestique.

  1. stâ, étable; veûy, voir.
  2. stièrni, pourvoir (le bétail) de litière fraîche; forer, pourvoir de fourrage.
  3. hame, tabouret, siège de bois sans dossier.
  4. Le grand portail de la ferme était ouvert (litt’ : au large).

12 … montait des dizeaux de froment. — 13-14. hâre et hôte, ça et là. — 14. pétrâte,

 

(p.322)

tètches; sî bounîs d’avonnes à bwêrd de 1′ vôye rimouwît doûç’mint

16   li dintèle di leûs potes, et d’à F longue, à moumints, on-z-oyéve

li musique dès dj’vâs d’ bwès de 1′ Noûve-vèye.

Et todi et todi, à coron de 1′ vîye tèye, so 1′ route d’Indjihoûl,

Djâque vèyéve monter dès djins, djônes-omes et djônès bâcèles,

20    dès cis à part, dès cis à cabasse; dès papas et dès marnes avou dès

p’tits-êfants qu’i hèrtchît drî zèls. Et corne i fève blâmant, bêcôp

avît wèsté leû capote et mètou on norèt d’ potche à leû hatrê.

Quéne flouhe qu’i-n-ârè so 1′ fièsse et corne il î f’rè plêhant !

24    Lu, n’î d’véve aler qui 1′ lèd’dimin et il aveût brâmint p’tchî coula…

Tot-z-arivant, i mouss’rè dire bondjoû as parints. Anon, si vite qu’i

pwèrè, il îrè so 1′ fièsse ritrover s’ crapôde Bèrtine qu’î deût aler

avou s’ marne.

28    … Et sins fé noie atincion as poyes et as canes d’avâ l’ansinî, sins-

ôre lès mohons s’ kibate so 1′ tamon d’on tchâr et sins veûy li rossé

tchèt dwérmi à solo disconte li heure, Djâque foumîve et sondjîve

à Bèrtine.

32    C’èsteût ine bêle et fwète bâcèle di Sint-Sèv’rin.

Elle aveût on bê riv’nant, on hêti riya, deûs gros brès’ qui fit sogne

à l’ovrèdje et on cour plin d’ corèdje, et de boneûr di viker.

Vola tôt près d’ deûs-ans qu’i hantèt essonne et li mariedje est mètou 36   po 1′ meus d’ sèp’timbe, si vite qui l’awous’ sèrè fêt.

Et d’min, is-îront à bal, et Djâque, à 1′ nuf, rèmin’rè Bèrtine et

s’ marne djusqu’à leû mohone.

Ci sèrè co on bê djoû d’ djôye et d’ hant’rèye à mète avou 1′ s-ôtes.

 

 

betterave (fourragère), fôrèdje, fourrage (mélange de plantes fourragères et de céréales). —

  1. … six bonniers (= anc. mesure agraire) d’avoine remuaient… — 16. pote, épi (ici, d’avoine).
  2. Et sans cesse, sans cesse, à l’extrémité du vieux taillis… Indjihoûl, hameau d’Ehein (arr* de Huy). — 20. à cabasse, bras dessus bras dessous. — 21-22. Et comme il faisait brûlant de chaleur beaucoup aveint enlevé leur veston et mis un mouchoir de poche à ( = autour de) leur cou.
  3. flouhe, foule; plêhant, amusant.
  4. … et il avait de beaucoup préféré cela.
  5. crapôde, ici : promise, fiancée; Bèrtine, Lambertine.
  6. ansinl, tas de fumier dans la cour d’une ferme. — 28-29. sans entendre les moineaux

se quereller sur le timon d’un char… — 30. heure, grange.

  1. Saint-Séverin, village condruzien (arr1 de Huy), au sud de Ramet.
  2. … un visage avenant (litt’: un beau revenant), un rire sain… — 33-34. «faire peur à l’ouvrage », expression énergique pour : ne pas reculer devant l’effort.
  3. … qu’ils fréquentent ensemble.
  4. Ce sera encore  une belle journée  de joie et d’amour  (ce dernier terme ne  rend

qu’improprement hant’rèye, fréquentation sentimentale).

 

(p.323)

40   Et Djaque, tôt rôlant è s’ tièsse si crapôde, li bal et 1′ marièdje, ni fève pus nou bin d’esse on djoû pus vî.

Tôt d’on côp, Hoûzârd, li neûr tchin d’ vatches, si meta à groûler

et à sètchî so s’ tchinne corne on démon. Les poyes si sâvît tos 44   costés… Moussîve è F cour on vî moncheû et, drî lu, ine bêle

mam’zèle djène moussèye qu’aveût l’êr d’esse prête à tourner di

nâhisté, tant s’ visèdje èsteût blanc-mwêrt.

I v’nît de 1′ vèye, avît pris 1′ convwè, passé l’êwe à Tchôkîr, po 48   fé on tour divins lès bwès et lès campagnes. Mins F porminâde

aveût stu pus longue qu’i n’ pinsît, et is-intrît si r’pwèser ‘ne gote,

et, s’i-n-aveût mwèyin, beûre on vêre di lèçê.

Djaque, po Fzî fé d’ Foneûr, lès vola fé intrer è F pièce; mins c’èsteût

52   trop’ d’imbarras, dîhît-i : i n’ valéve nin lès ponnes. Il s’assîrît tôt

bon’mint è F cour.

Djaque èvoya li vârlet à lèçê, ala qwèri lu-minme deûs tchèyîres

  • et, s’apinsant qu’à dès djins si bin moussîs i n’ faléve nin vûdî
  • 56 à beûre divins lès pintes d’ tos lès djoûs, i prinda è l’arma deûs

bês vêres d’à Val qu’onk di ses camarades, l’annêye di d’vant, lî

aveût d’né po s’ fièsse.

… Èle wèsta ses wants po beûre.

60   Et èle buvéve doûç’mint, li p’tit deût levé è hôt, avou dès manîres

di tchèt.

Elle èsteût si bêle insi, sins tchapê, on pavwêr divins ses tch’vès

coleûr d’avonne, dès bleûs-oûy d’avièrje et dès p’titès mins pus 64   blankes qui F lèçê qu’èle buvéve.

Miète à miète, èle si raveut; et ci fout on grand boneur po Djaque

di li ôre dire qui F lèçê lî aveût fêt de bin.

 

 

  1. Hoûzârd, Hussard, nom du chien de garde des vaches.

44-46. Entrait dans la cour un monsieur âgé et, derrière lui, une belle demoiselle en

toilette  jaune,  qui  semblait prête  à  tomber  d’épuisement,  tant  son  visage  était  d’une

pâleur de mort.

  1. … avaient pris le train (litt* : le convoi), traversé l’eau (= la Meuse) à Chokier…
  2. … dans la « place », c.-à-d. la pièce où l’on reçoit, par opposition à li mohone (litt* :

la maison) ou chambre commune, celle où vit le ménage.

  1. … envoya le domestique prendre du lait, alla chercher lui-même deux chaises. —
  2. si bin moussîs, si bien vêtus. — 56. pinte, pinte, verre. — 57. d’à  Val, du Val-Saint-Lambert, réputé pour sa cristallerie.
  3. Elle ôta ses gants pour boire.
  4. pavwêr, coquelicot. — 63. … des yeux bleus de madone (ne pas confondre avec

oùy-d’-Avièrje, nom du myosotis rencontré au texte précédent).

  1. si raveûr, se ravoir, c.-à-d. retrouver ses forces.

 

(p.324)

Li vî moncheû vola payî. Li cinsî, djinné, rèsponda qu’i n’ prindreût

68    rin de monde po si pô d’ tchwè.

I d’hît merci co traze côps et i s’ lèvît po ‘nnè râler.

Djâque lès rèmina djuqu’à l’ouh, ni wèzant avanci pus Ion.

Aspoyî conte li montant de 1′ pwète, i lès louka ‘nn-aler.

72    Li solo èsteût tourné podrî F bwès. L’êr èsteût pus fris’. Divins

lès trimblènes, lès piètris si r’houkît; dès coqs d’awous’ tchantît.

Djâque n’oyéve rin, ni vèyéve rin qui 1′ bêle mam’zèle qui roteve

lèdjîre corne in-oûhê et qui s’ robe fève ine djène tètche so 1′ cam-

76   pagne.

Qwand elle ava tourné 1′ cwène de bwès, li cinsî rimoussa è 1′ cour.

Li grand rossé tchêt si t’néve todi ad’lé 1′ heure; lès poyes et lès

canards rintrît po-z-aler dwèrmi.

80   Hoûzârd, li tièsse inte ses deûs pâtes, hossa s’ cowe tôt vèyant

s’ messe s’aler rassîr so s’ hame.

Djâque sitopa s’ pîpe, mins n’ sondja nin à l’èsprinde.

I s’ dimandéve cou qu’ raviz’reût Bèrtine avou ‘ne djène robe et

84    on pavwêr divins ses tch’vès, et si èle sâreût beûre de lèçê sins

s’ fé dès mustatches…

À coron de 1′ tèye, dès djins montît todi et ine trope di fwèrsôlés

passa qui tchantéve L’avez-v’ vèyou passer?…

88   Li lèd’dimin, Djâque ala à 1′ fièsse.

Et, tos côps, Bèrtine lî d’mandéve :

« Qu’avez-v’ don, qui vos tûzez si Ion ? »

Et 1′ marne :

92    « Vis-a-t-èle fêt ‘ne saqwè, qui vos n’ motihez nin ? ».

 

 

Ecrits wallons…, pp. 17-23. Paru d’abord dans le Bulletin wallon,  I, Liège,  15 août 1896, pp. 1-5.

 

  1. … rien du tout pour si peu de chose.
  2. traze, treize, est un nombre proverbial en liégeois; l’équivalent franc, de traie côps est : mille fois.

72-73. Dans les trèfles, les perdrix se rappelaient; coq d’awous’, sauterelle.

  1. … agita sa queue…
  2. Jacques bourra sa pipe, mais ne pensa pas à l’allumer.
  3. fwèrsôlé (ord* forsôlé) au sens dérivé de : exalté, surexcité. — 87. Le « cramignon » de N. Defrecheux (cfr n° 63) repose sur le thème de l’occasion manquée.
  4. « Vous a-t-elle fait quelque chose que vous ne dites mot ? ».

 

(p.325)

122

L’ârmâ

 

Un jour d’été elle se résigna — des papillons s’envolèrent de l’armoire.

  1. Flaubert, Un cœur simple.

 

 

Li p’tite Jane, s’èlle avahe viké, elle âreût fêt ses Pâques ciste

annêye; mins vola passé treûs-ans qui 1′ curé 1′ v’nou qwèri, on

sèm’di d’ nôvimbe qu’i plovéve.

4   Li djoû d’après l’ètér’mint, on rèssèra lès-afêres d’à l’èfant divins

on meûbe là-hôt, et dispôy, on n’a mây pus stu âtou di cou qu’èsteût

d’à Jane.

Ci dimègne-là, portant, li djône feume a volou r’veûy tot-à-fêt.

8   L’ôrlodje sonéve dîh eûres et si-ome vinéve di d’hinde po-z-aler

à grand-messe.

Elle inteure è 1′ tchambe qui 1′ solo rimplihéve di s’ loumîre.

Èle droûve l’arma. Dès motes avolèt fou.

12   Tot-èsteût d’moré bin è pièce.

So F plantche di d’zeûr, lès p’titès robes riployèyes eune ad’lé l’ôte;

à costé, dès tch’mîhes et dès norèts. È F cwène, deûs tchapês, li

ci d’ dimègne et F ci d’ tos lès djoûs, ricoviêrs d’ine gaze po

16   F poûssîre.

Et so ç’ moumint-là, F pôve marne, i lî sonla qui s’ fèye n’èsteût

nin mwète. I lî sonla qu’il-èsteût tins de r’houkî Jane, di lî abot’ner

ses soles, di lî fé s’tièsse, di lî mète si bêle robe po-z-aler à Féglîse…

20   Pôve fèye va !

Est-ce possibe qu’on nèl rivière mây pus ?

On djoû à matin, èle si dispièrta avou on si drôle di tos’ : èle rôkîve,

si visèdje èsteût tôt rodje.

24   Ine saminne après, on F pwèrtéve è têre, et tote li djôye de F mohone

a stu rèssèrêye avou lèy è p’tit wahê d’ tchinne qui l’èmina.

 

L’ARMOIRE

  1. … si elle eût vécu. 4. rèssèrer, renfermer.
  2. Des mites s’échappent.
  3. Sur la planche supérieure, les petites robes repliées…
  4. abot’ner, boutonner. — 19. soles, souliers, bottines; di lî fé s’ tièsse, de la coiffer.
  5. tos’, toux, rôkî, râler.

 

(p.326)

… Lès onze eûres sonit.

Lès djins sortît fou d’ messe, lès feum’rèyes ènnè ralît à pus-abèye

28    po houmer leû bouyon et peler leûs crompîres; lès-omes, dès cis

s’arestît so 1′ pièce po d’viser de tins, dès colons, de novê mayeûr;

dès cis moussît divins lès cabarets po djouwer à pikèt et beûre as

tournêyes.

32   Lèy n’a rin vèyou, n’a rin oyou : por lèy, li monde, c’est l’arma

d’à Jane.

So P plantche d’à mitan, dès vantrins, dès tchâsses, dès flokèts,

on gris mante d’iviêr qui n’a stu mètou qui deûs côps !

36    Onk à onk, li mère prindéve tos lès mouss’mints, lès hoyéve, fève

voler èvôye li poûssîre qui toûrnikéve è P loumîre de solo, adon

les r’mètéve sogneûs’niint è leû pièce.

Qu’èle donreût gros po r’veûy si-èfant assiowe à P tâve, si sayant,

40    on deût so s’ lîve, à fé ses lètes so l’ârdwèsse; ou bin è vinâve,

potchant à P cwède avou lès cisses di si-adje, ou s’ fant aler à

P cabalance so P tchinne d’ine tchèrète tapêye à cou.

Et P prumi « bon point » qui li p’tite rapwèrta, tote fire et tote

44    rodje di binâhisté… Et à P fièsse, qwand c’est qui Jane, blanke

moussèye, rotéve è P porcèssion avou lès pus binamêyes di li scole

et tapéve dès fleurs so lès vôyes de bon Diu…

Et tôt lî r’passe insi à cour, avou lès bons, lès mâvas djoûs…

48    Quéne transe, li fîye qu’èle djouwéve ad’lé li stoûve et qu’èle si

broûla si fwêrt à brès’!… Si père cora tôt dreût à docteur. Et

que côp qwand ci-cial ni pola acèrtiner qu’èle ni wârd’reût nin

P marque tote si vèye !

52   Tote si vèye, ça n’a nin stu long…

 

27-28. … au plus vite pour écumer leur bouillon (dans beaucoup de ménages, le dimanche, au repas de midi, le bouillon remplaçait la soupe ordinaire); cromplre, pomme de terre. — 28-29. les hommes, certains (litt* : des ceux) s’arrêtaient sur la place [de l’église] pour parler du temps, des pigeons, du nouveau bourgmestre. — 30. pikèt, piquet, nom d’un jeu de cartes.

  1. … des tabliers, des bas, des nœuds de ruban. 36. … prenait tous les vêtements, les secouait…

39-40. … s’efforçant, un doigt sur son livre, à dessiner ses lettres sur l’ardoise. — 40. le vinâve ou « voisinage » désigne la partie centrale d’une agglomération, d’un quartier. —

41-42. … ou se faisant aller en balançoire…; tchèrète tapêye à cou, charette dont on a fait basculer ou trébucher la caisse (DL, fig. 668).

  1. binâhisté, contentement; fièsse, ici au sens de fête paroissiale annuelle.
  2. Quelle angoisse, la fois où elle jouait auprès du poêle… — 50. acèrtiner, certifier.

 

(p.327)

Pô 1′ fignèsse à lâdje, èle n’ôt nin li boulet rivièrser lès bèyes,

lès buveûs hah’ler à comptwêr divins lès cabarets.

So 1′ dièrinne plantche, c’èsteût co traze sors : dès-awèyes à tricoter 56   divins ine pitite tchâsse kimincèye, ine çuzète, on cabas, ine pope

sins brès’, on stô, des djeûs di Sint-Nicolèy; et, drèssî è fond de

meûbe, on p’tit mureû qui Jane aveût wangni as porculinnes, so

1′ fièsse di Tchôkîr. 60   Divins ‘ne rosé bwète di carton, dès mèdayes et on tchap’lèt, avou

deûs-imâdjes d’à curé, qu’èstît div’nowes totès djènes…

Li mère s’aspôye li tièsse so l’arma. Kimint èst-i possipe qu’i-n-âye

dès-ôtes-èfants qui vikèt et dès parints qui polèt rîre et s’amûzer ! 64   Qui pout-èle bin avu fêt à bon Diu ? N’a-t-èle nin todi roté li dreûte

vôye, ni s’a-t-èle nin todi kidû corne on bon chrétien ?

Lès doze eûres sonît.

So P trèvint, on monta lès montêyes et si-ome drova l’ouh tôt 68    d’mandant : « Li bouyon è-st-i prêt’ ? »

Ecrits wallons…, pp. 31-35. Paru d’abord dans Bull. Soc. de Litt. wall, t. 38, 1898, pp. 215-217.

 

 

123

Baraquîs

 

Dispôy deûs djoûs Moûse est sérêye et i fêt on freûd d’ diâle ! Li payis est blanc d’zos 1′ nîvaye. Lès p’tits-oûhês n’ savèt wice moussî. Lès cwèrbâs, zèls, toûmikèt avâ P campagne atot crêksant.

4   Et d’vins lès hôtes cohes dès-âbes, i bîhèye qui po-z-assoti !

 

  1. bèye, quille. — 54. hah’ler, rire aux éclats.
  2. sôr, sorte; sur traze, cfr supra On dîmègne, n. 69. — 56. çizète, paire de ciseaux; cabas, petit sac en paille tressée où l’on met de menus objets. — 57. stô, petite balle à jouer formée de chiffons. — 58. mureû, miroir; as porculinnes, litt* : aux porcelaines, c.-à-d. dans une baraque foraine où l’on gagne de la verroterie. — 59. Tchôkîr, Chokier.
  3. kidû, conduit (partie, de kidûre).
  4. so V trèvint, sur ces entrefaites; lès montêyes, l’escalier (ordin* li montêye).

BOHEMIENS (litt’ « baraquiers », de baraque, roulotte).

  1. Moûse est sérêye, la Meuse est gelée. — 3. atot crêksant, en croassant. — 4. … il souffle une bise à vous rendre fou.

 

(p.328)

A Indjihoûl, ine tchèrète di baraquîs, tote dilâburnêye et qui n’ tint

pus pèces èssonne, s’a-st-arèsté.

L’orne, on grand croie neûr, a distèlé li dj’vâ. Et, lèyant veûy dès 8 cwèsses corne dès cèkes di tonê, il pôve blesse, qui n’ pout câzî

pus hop’, pèle avou ses dints lès bouhons d’âtoû d’ là.

Tôt près de pont de rèw, deûs gamins à gngnos soflèt di leû pus

fwèrt et s’ fèt souwer à gotes po-z-èsprinde dès cohètes qui n’ volet 12 nin blâmer.

Ad’lé zèls, leû marne, achowe so ‘ne tchèyîre qui n’a qu’ treûs pîds,

avou on hopê d’ wèzîres so s’ hô, oûveûre âtoû d’ine banse.

Acropowe conte il rowe d’ine tchèrète, avou so ses spales on grand 16 vilin surtout d’ sôdârd, ine vîle feume, sûr’mint 1′ mère d’à l’orne,

foume divins ‘ne coûte pîpe di têre et disploum’têye li crasse poye

qu’elle a hapé atot passant à matin è viyèdje di Ramèt.

C’est lèy qui tape lès cwâtes divins lès fièsses de 1′ Condroz. Èle 20 passe po-z-avu pus d’ nonante ans. Ine twèche di gris dj’vès pind

fou di s’ mâssî bonèt, et 1′ vint fêt toûrniker âtoû d’lèy lès ploumions

de 1′ poye qu’èle tint d’vins ses bètchous deûts.

Avâ tos zèls, ine aguèce, lès-éles ricôpêyes, potch’têye et dâre tos 24 costés. Et po l’ouh, on veut, à d’vins de 1′ tchèrète, on pôve vî

mârticot racrapoté divins ‘ne vîle camisole, et qui higne atot tossant.

Et, drèssî à mitan de 1′ vôye, lès deûs brès’ creûh’lés, l’orne avou

ses vêrts-oûy di tchèt louke è hôt dizeû Moûse ine binde di sâvadjes 28 canards qui fèt volêye de costé de solo.

 

Ecrits wallons…, pp. 45-47. Paru d’abord dans le journal liégeois Li Spirou, 11e année, n° 33 du 2 juin 1898.

 

  1. Indjihoûl, cfr On dîmègne, note 18; dilâbwné, délabré.

7-8. … laissant voir des côtes comme des cercles de tonneau.

  1. … pour allumer des rameaux…
  2. avec un tas d’osier dans son giron…
  3. … et plume la poule grasse.
  4. C’est elle qui dit la bonne aventure (litt* : jette les cartes) dans les kermesses du Condroz. — 21. lès ploumions, le duvet. — 22. bètchou, crochu.
  5. Au milieu d’eux tous, une pie…; sautille et se jette de tous côtés. — 25. mârticot, singe; racrapoté, recroquevillé; … qui grimace en toussant.

 

 

(p.329)

ARTHUR XHIGNESSE

(1873-1941)

 

Ingénieur, originaire d’une famille de Scry-Abée (Condroz), né et mort à Liège.

Pendant une quarantaine d’années, au gré des jurys auxquels il soumettait sans se décourager tout ce que produisait sa plume prolixe, il a dispersé, en vers et en prose, une œuvre qui est l’une des plus abondantes de la litté­rature dialectale. A défaut de volumes qu’il n’a jamais publiés, ce sont les bulletins de la Société de Littérature wallonne qui permettent le mieux de se faire une idée de son talent personnel, mais fort inégal, où l’on distingue notamment les premiers accents d’une poésie en rupture avec le conformisme social de tradition : voir, entre autres, Lès pôves diâles (1907).

L’œuvre la plus originale de Xhignesse est un petit roman en 39 courts épi­sodes, Boule-di-gôme (1912), étude psychologique d’un gamin du peuple aux prises avec la misère de sa famille. Sur un fond d’ironie douloureuse qui n’est pas sans rappeler Poil-de-carotte, se dégage une philosophie bon-enfant faite de courage résigné et que rend particulièrement attachant le style bref, expressif, où le point de vue de l’auteur se mêle habilement à celui des personnages.

 

 

124                                                                                                   [Liège]

Deûs vis

 

Li vèye ågne, tot rôkiant, sètchîve li p’tite tchèrète.

L’ome sûvéve, tot spiyî, s’aspoyant po tchoûkî.

L’ågne s’arèsta, k’hagnant près d’ine håye on frévî

4   èt l’ome ralonguiha s’ nålî d’on bokèt d’ cwède.

 

L’ome èsteût tot tchènou; l’ågne èsteût cåsî mwète,

èt s’ vèyéve-t-on sès cwèsses dizos l’ cûr abrotchî;

l’ome s’î r’purda deûs côps po tosser èt rètchî;

8 li tchèdje qui spiyîve l’ågne åreût t’nou d’vins ‘ne bèrwète.

 

deux vieux

  1. rôkî, être rauque. — 2. tot spiyî, tout brisé. — 3. mordillant près d’une haie un fraisier. — 4. nålî, bâton ayant à son extrémité une lanière de cuir.
  2. èt s(i), parfois s(i), loc. copulative (= et), fréquente dans nos anciens textes (lat. sic) et qui ne se rencontre plus que chez certains auteurs modernes comme Xhignesse (voy. d’autres ex. au n° 127); … ses côtes saillir sous la peau (litt* : le cuir). — 7. rètchî, cracher.

 

 

Et dj’lès r’iouka ‘nn’aler : lu, fou sqwére et hal’tant, lèy, kihossant 1’ gorê qu’èl blèssîve, et cakant dès gngnos corne s’èlle aléve difali so chaque pire;

12   tos lès deûs, plins d’ misère, drènît d’zos leûs mèhins. — Et leû longue vicârèye n’ârè qu’ine djâbe di strin ou bin 1′ cwène d’on pazê po lèyî là s’ poûssîre.

Bull. Soc. de Litt wall, t. 46,  1906, p. 143.

 

125

Gréve

(Extrait)

 

On n’oûveûre pus, on magne todi,                    Vv

ou, pus vite, i fåt r’ployî s’ vinte :

3    li gréve è-st-å s’ treûzin.me londi.

 

I n’ fâreût nin djâser d’ rid’hinde

portant, mâgré 1′ bîhe, mâgré 1′ faim :

6   on-z-âreût co p’tchî d’ s’aler pinde !

 

Lès-èfants tchoûlèt so 1′ trèvint,

et lès feumes ont-st-ine neûre loukeure;

9    fâte di çans’, l’ome dimeûre â-d’vins.

 

I stampêye, à F finièsse, dès eûres,

tôt reû, sins tûzer, sins moti,

12    à r’ioukî, tot-â coron, 1′ beûr.

 

  1. foû sqwére, hors d’aplomb; ici, en parlant d’un vieillard, penché de travers; haletant, boitillant. — 10. elle (âgne, âne, est du fém.), secouant le collier… — 11. difali, défaillir. 12. drèner, ployer; mèhins, maux, infirmités.

 

GREVE

  1. … de redescendre [dans la mine]. — 6. on préférerait encore d’aller se pendre. 7. so l’ trèvint, pendant ce temps-là.
  2. stamper, rester (ou être) debout. — 12. beûr, « puits de mine s’ouvrant au jour » (DL, 77).

 

(p.331)

So l’ feû, qui n’a pus nou bruzi,

li cokemår s’a têt volà ‘ne tchoke,

15   èt l’ crikion n’a pus qu’à mori.

 

Diu ! come li rètchon plake è l’ boke !

Et come on s’ sint broûler l’ bûsê !

18    On dîreût qu’il èst tot plin d’ noks…

 

Li timps s’a mètou so s’ pus lêd,

èt l’ bîhe vis cwahe avå lès vôyes;

21    on l’ètind qui zûne è fornê.

 

Li tchète flèmetêye come ine cånôye,

månète, mêgue come in-inglitin;

24    èt l’ bon-Diu, so l’ djîvå, s’anôye…

 

Ibid., t. 51, 1909, pp. 7-8.

 

126

L’åbe-coûte-djôye

 

L’åbe-coûte-djôye florin di riyas,

qwand lès prétins baletèt leûs brîhes;

3 mins lès prétimps r’dohèt di r’las.

 

L’åbe-coûte-djôye florih disqu’à dîh

dès fayés-amors qu’on n’ code nin;

6 mins n’ a qu’ ine feume dizos ‘ne tchimîhe.

 

  1. bruzi, braise. — 14. la bouilloire s’est tue depuis un bon moment. — 15. crikion

(ord. critchon), grillon; allusion au dicton d’après lequel lorsque le grillon chante dans

la cheminée, c’est signe de bonheur (ici, c’est l’inverse).

  1. rètchon, crachat (ici : salive). — 17. bûsê, gosier, gorge. —  18.  …  qu’il est tout

noué (en parlant du gosier).

  1. La chatte bat sa flemme comme une paresseuse. — 23. månète, souillée; inglitin,

hareng saur. — 24. djîvå, tablette de cheminée (là où on pose d’ordinaire le « bon Dieu »

ou crucifix).

 

L’ARBRE-COURTE-JOIE. — L’expression figurée åbe coûte djôye, auj. archaïque, désigne la joie qui ne dure pas, la déception.

 

  1. riya, rire. — 2. quand les printemps balancent leurs brises. Au sens de « ballotter, balancer », le v. bal’ter est intransitif; nous avons ici un emploi poétique. — 3. … regorgent de désenchantements; r’la, formé sur le v.  r(i)lèyî,  relaisser,  laisser en arrière,  est un néologisme d’auteur. 5. de minables amours qu’on ne cueille pas.

 

(p.332)

L’åbe-coûte-djôye ployé à tos lès vints

èt sès frût’ règuinèt à l’ tére

9  si k’moudris qu’on n’ lès ramasse nin.

 

L’åbe-coûte-djôye, c’èst l’åbe di misére

qu’a planté l’ prumî pôve mi-vé,

12  èt qu’èst pôr si hêpieûs, si tére,

 

qu’i moûrrè sins-avu rin d’né.

 

Ibid., t. 5l, 1909, p. 52.

 

127

BouIe-di-Gôme

(Extraits)

 

[1]

Qwand 1′ mâye et 1′ frumèle ratchèrièt de costé de l’ mêsse cohe, i n’ fêt nin todi bon d’esse so leûs vôyes.

« Eune et l’ôte »  dist-i Boule-di-Gôme âs-ôtes pitits oûhês; « Bin

4   vite è lét, savez, là! Vo-lès-chal !…  Ni lès oyez-v’ nin brêre à 1′ djèle?… »

Et c’est d’ bon : lès deûs mâlèreûs sont si afêtîs de 1′ divise qui, tôt k’pagn’tés  qu’i  sont, i r’prindèt co leû pèneûs rèspleû  atot

 

  1. règuiner, glisser, rouler.
  2. … le premier pauvre diable; le niveau de langue  du poème empêche  de  traduire plus littéralement : le premier pauvre couillon; sur mi-vé, cfr n° 22, note du v.  1. —
  3. et qui est par-dessus le marché (ou : pour comble) si chétif, si fragile (litt’ : tendre); sur par, cfr n° 36, note du v. 29.

 

BOULE-DE-GOMME,  sobriquet donné à un petit boulot;  comp.  « boule-de-suif >.

 

1-2. Quand le mâle et la femelle (ici, le père et la mère) rappliquent vers la maîtresse branche (sous-ent. : là où ils gîtent).

  1. djèle, terre glaise ou argile blanchâtre  que l’on mélangeait autrefois  à la poussière de charbon pour en faire des briquettes (cfr n° 57, note du titre); brêre à l’djèle évoque le  cri  des  marchands  ambulants  qui  vendaient  autrefois  ce  produit;   c’est  le   cas  des parents de  Boule-de-gomme qui font ce commerce  avec une petite  charrette que tire le chien Bâtisse.
  2. … sont si accoutumés de leur cri. — 7.  k(i)pagn’té, émêché;  rèspleû,  refrain,  ici : rengaine. —

 

(p.333)

8   rintrant, so 1′ trèvint qu’ leû vûde tchèrète s’astoke à totes lès pires de 1′ pavêye, qui Bâtisse, li vî tchin, hawe, fwèce d’esse kihossî, et qu’ lès rowes bahoûlèt après de 1′ crâhe… I sont èvôye dispôy noie eûre à matin, et, djènes d’ârzèye disqu’à

12   d’vins lès cwèrnètes  dès-oûy,  fou sqwére, rindous,  tot rôkes,  il abann’nèt 1′ pôve Bâtisse so 1′ rowe, et s’ si lèyèt-i heure so li p’tit hame, lès brès’ so 1′ tâve : « Boule-di-Gôme?… 1 èstans-n’, Bouîe-di-Gôme ? »

16 On n’ veut pus 1′ grèye hêpieûs m’-vé dizos 1′ pan qu’il apwète et à mitan dès noms-tot-oute qu’on lî tape à 1′ tièsse, pace qu’i n’ va nin reû assez et pace qu’i n’est co mây prêt’, qu’on rinteûre si tard qu’on vout.

20 Èlzî a portant apontî on clapant hougnot d’ sayin, et tote ine copète di sirôpe, et de bolant café don ! …Sins compter ine assiète di makêye et dès p’tits-ognons ! Mâgré tôt, ‘1 atome qui 1′ père èl man’cèye de mantche di s’ coûté inte di deûs bètchèyes, et qui

24   l’ mére groum’têye :  « Vos-ârez dès-èfants, loukîz ! »

Todi èst-i qui ç’ n’est nin 1′ cas oûy : li soper s’a bin passé — on

soper d’ batème, qu’on ‘nn’a nin tot-a-fêt onk tos l’s-ans.

Li marne djèmih bin on pô so s’ payasse, mais ‘le sèrè so pîds

28 d’min, Boule-di-Gôme èl set bin ! Èle si plake li cou de nid so li stoumac’, on grand minâbe sitoumac’ avou deûs neûrès tètes di gade, et on p’tit mustatche so li d’zeûr, a-t-i vèyou tôt-rade qwand èle a d’hav’té s’ côrsulèt d’ cotinâde.

32 Eco bin qu’ine wèzène a v’nou fahî l’èfant et r’mète ine gote li mère : Boule-di-Gôme ènn’ âreût drol’dimint v’nou à coron, mâgré qui ci n’ seûye nin F prumi côp qu’èl veûsse fé et qu’èl sâye.

 

  1. s’astoke, se cale, s’arrête. — 9. kihossî, secoué. — 10. bahoûler, gémir; cråhe, graisse.
  2. Ils sont partis de très grand matin (litt.: depuis nulle heure…); årzèye, argile. —
  3. cwèrnète, coin. — 13. heure, tomber d’un coup. — 14. hame, siège, tabouret.
  4. grèye, grêle et hêpieûs, chétif ont ici un effet de redondance. — 17. Les noms-tot-oute désignent les jurons dont on accable le pauvre mi-vé (cfr n° 126) qu’est Boule-de-gomme.
  5. n leur a pourtant apprêté un solide boulet de saindoux; copète, petite jatte sans anse. — 21. sirôpe, sorte de mélasse fabriquée dans la région fruitière du pays de Liège. — 22. makêye, « maquée », caillebotte, sorte de fromage blanc.

28-29. elle se colle sur l’estomac le nouveau-né (litt. : le fond du nid). — 31. quand elle a dégrafé sa blouse de coton.

32-33. Encore heureux qu’une voisine soit venue maillotter l’enfant et faire la toilette de la mère.

 

(p.334)

Mins l’ wèzène ni r’vinrè pus; et, si 1′ pâyîne dimanéve malade,

36    que novèle don là, qwand l’ pére rinteûrreût à 1′ mit’, fou d’alêne

d’aveûr fêt 1′ toûrnêye tôt seû?… Boule-di-Gôme ènn’ a disqu’à

1′ copète de 1′ tièsse, et s’ n’ a-t-i co mây fêt de r’horbi 1′ souweûr

qui lî d’gote on pô tôt costé…

40   Bah ! coula pass’rè avou 1′ rèsse !

(Extrait du ch. III: Lès-oûhês)

 

 

[2]

Boule-di-Gôme pinséve n’aveûr noie marne; mins c’est pace qui s’ marne ni sèpéve nin qu’elle aveût on Boule-di-Gôme : i n’ cosse qui di s’ comprinde.

4   C’èsteût case de 1′ misère et dès mâles bwèssons, à rés’…

Asteûre, Boule-di-Gôme a-st-avu ‘ne marne ine eûre tôt à long; — et s’ènn’ a-t-i po 1′ rèsse di s’ vèye.

Li pôve feume a stu bin malade, si malade qui Bâtisse s’a tot

8    crohî à sètchî 1′ tchèrète por lèy et por lu, et qu’i n’ tint pus so ses pâtes, et qui 1′ père, tôt d’hâmoné, a d’vou beûre po deûs, et qu’ c’è-st-ine misère ! Elle a d’moré, 1′ marne, bin lontins corne mwète so s’ payasse; et

12    de 1′ vèy si flâwe, si hingue, — si feume tot-a-n-on côp — Boule-di-Gôme a sintou s’ cour hiyî è qwate, et s’ s’a-t-i mètou à 1′ vèy bin plus vol’tî. Ossu l’a-t-i sognî… corne ine marne. C’est drôle ! Il a roûvî tot-dreût vèrzèlins, côps d’ gueûye — et

16   côps d’ pîd tén’fèye — et s’ l’a-t-i sâvé.

… Et, tôt-rade, so 1′ trèvint qu’i nahîve è 1′ mohone po tôt r’mète et po louki à tôt, ni volà-t-i nin qui 1′ pôve feume l’a houkî doûç’mint, pèneûs’mint, avou 1′ minme divise qu’adon qu’èsteût co tôt p’tit

20    (i l’a stu si pô !).

« Gôgôme ! Gôgôme !… »

II a compris tot-dreût et si n’ fa-t-i qu’ine hope disqu’à lét. Et

s’ s’ont-i bâhî don, bon Diu !…

 

  1. pâyîne (arch.), accouchée. — 38. … et n’a-t-il encore jamais fini d’éponger la sueur…
  2. crohî, croqué, épuisé. — 9. tot d’håmoné, tout délabré, en désordre complet. 12. hingue, frêle.
  3. vèrzèlins : emploi impropre, au sens de : colères, fâcheries, d’un mot désignant une personne grincheuse, de méchante humeur.
  4. Et tantôt, sur le temps qu’il furetait… — 19. divise, propos, parole.

 

(p.335)

24   Pår qu’il ont ploré tos lès deûs,  doûç’mint, tinrûl’mint, et qu’i

n’ont sèpou moti, et qu’il a sonlé à Boule-di-Gôme qui c’est lu

qu’èsteût malade — et qu’on 1′ sognîve.

Marne et fi s’ont loukî corne s’i n’ s’avît co mây vèyou : c’est bin

28 1′ cas de 1′ dire… et s’ sont-i d’morés bin lontins onk conte di l’ôte,

rapoûlés.

Et, tôt rintrant, Vèvè et Fèfèye ont pinsé qu’il èstît div’nous sots.

Asteûre, mâgré qu’ c’est tôt — c’a stu si vite tôt — Boule-di-Gôme

32 si trèbouhe avâ 1′ tchambe corne on pièrdou.

I n’ set pus cou qu’i fêt…

 

(Ch. XIII : Li mére)

 

[3]

Vèvè a passé l’ôte iviér : i n’ pas’rè nin ci-chal, va, sûr’mint. Boule-di-Gôme èl rilouke è s’ lét, tôt blanc d’zos s’ rossète makète, sins fwèce, sins song’, corne onk qui n’ ratint pus qu’on séné po mori,

4   qui s’ set ‘n-oûhê po 1’ tchèt. Tièsse di mwért !

Li d’vise d’à Fèfèye est si vrêye tot-asteûre qui lèy-minme nèl wès’reût pus répéter. Vèvè est co r’pris di s’ tèribe tos’; mais d’

8   crasse qu’elle èsteût, vo-l’-là div’nowe ossi sètche qu’èmacralêye. Tièsse di mwért !

On n’ sâreût mây si bin dire : stindou corne ine djâbe inte di ses deûs bokèts d’ linçoû, Vèvè est sûr po F lêd Wâti, di ç’ côp-chal.

12 Qwand coula lî print — et coula nèl qwite câzî mây —• ses deûs pôves pitits-oûy vont corne dès tournés d’zos ses blékès pâpîres; i k’hagne ses lèpes corne po rat’ni 1′ sofla qui s’è vout heure, — qwand, tôt d’on côp, sins pus noie âme è cwér, i n’ lès tape nin

16   tot-â lâdje corne onk qu’ènnè pout pus.

 

  1. par, variante de par (cfr n° 36, note du v. 29); on peut traduire ici : d’autant qu’ils ont pleuré tous deux; tinrûl’mint, tendrement. — 25. sèpou, su (wallonisme pour : pu).
  2. rapoûlés, unis.
  3. Vèvè et Fèfèye sont le frère et la sœur de Boule-de-gomme.

 

  1. … sous sa tête de rouquin.
  2. èmacralêye, litt. : ensorcelée; ici, s’agissant d’une toux : suspecte, équivoque (le petit Vèvè est atteint de phtisie).

10-11. … étendu comme une gerbe entre ses deux morceaux de draps de lit; être pour li lêd Wåti (litt. : le laid Gautier), c’est être moribond, promis au fossoyeur. — 13. tourné, toupie. — 14. … pour retenir le souffle qui veut s’en échapper.

 

(p.336)

Et ses djènes pitits dints fèt ‘ne hègne — pés qui 1′ dièrinne — pièl’tés qu’i sont tél’fèye d’on pô d’ rodjasse same… Ses massales sont totès bleûves, à tètches; on veut à triviès d’ ses 20    timpes; si hatrê si d’tchârneye, et s’ front sowe — mins nin parèy qui Boule-di-Gôme — ine saqwè d’ freûd… Tièsse di mwért !

 

(Ch. XVI : Li mwért)

Bull.  Soc.  de Litt.  wall,  t.  54,  1912, pp. 31-32, 41-42 et 43.

 

  1. hègne, grimace. — 18. pièleté, perlé; … d’un peu d’écume rougeâtre. 19. massale, joue. — 20. son cou se décharné.

 

 

(p.337)

JEAN LEJEUNE

(1875-1945)

 

Né à Jupille, mort à Izier, aux lisières de l’Ardenne, Jean Lejeune, employé comptable, fut un walloniste d’un rare mérite. Pendant le premier quart du xxe siècle, cet autodidacte, passionné pour le dialecte et le passé de sa région, apporta un concours actif et désintéressé aux travaux de la Société de Litté­rature wallonne. Celle-ci a publié plusieurs de ses glossaires, cependant que, grand lecteur d’archives, Lejeune rassemblait la matière de nombreuses topo-nymies communales du pays de Liège dont quelques-unes ont trouvé place dans les Bulletins de la Société.

La quinzaine de pièces de théâtre qu’il signa seul ou en collaboration avec Edmond Jacquemotte et qui s’inspirent souvent de la vie rurale, lui aurait valu une place honorable dans la littérature dialectale s’il ne s’était imposé avant tout comme un maître de la prose wallonne. Son roman du lièvre, Cadet (1921), est un chef-d’œuvre du double point de vue de l’observation de la vie des bêtes et de la langue, musclée, saine, délectable. Lejeune a poursuivi sur sa lancée avec Avâ trîhes et bwès [Par friches et bois], une suite d’histoires d’animaux qui parut après la mort de l’auteur, en 1948. Ces récits de plein air s’animent du même frémissement de la nature secrète et profonde, mais ici la richesse un peu factice du vocabulaire fait peser sur le style une surcharge qui l’empâte parfois.

 

 

128                                                                                                 [Jupille]

I

[Enfance de Cadet]

 

È bwès d’ Noûve-Coûr, on gros vilin bouhis’ di ronhes est crèhou so rotches et s’a-t-i èfoncé ses corôyes divins lès crèveûres de 1′ pire, ver wice qui, po viker, ses rècinètes poûhèt d’vins on mêgue lét

4   d’ârzèye, on lét qu’a-st-à hipe treûs deûts di spèheûr.

È mitan de bouhis’, ine vîle hase î a fêt s’ niyêye; dès souwêyès foyes qu’elle a rapoûlé, dès poyèdjes d’à sonk qu’èle s’a râyî à gueûlêyes et qui racovrèt de 1′ mit’ deûs djônes lîves, lès cis di

8    s’ dièrinne pwèrtêye.

 

  1. bouhis’, hallier; ronhes, ronces. — 2. et il a enfoncé ses lanières (= branches allongées) dans les crevasses de la pierre… — 3-4. … ses minces racines puisent dans un léger lit d’argile. — 4. à hipe, de justesse, à peine.
  2. hase, hase, femelle du lièvre; niyêye, nichée. — 6-8. rapoûler, rassembler; des poils à

 

(p.338)

Onk si louke so 1′ gris; l’ôte est rossé et ci-chal qu’est pus mêgurlèt qui s’ fré, est portant 1′ pus rafâré. C’est 1′ gâté bokèt de 1′ vîle; qwand c’est qu’èle rinteûre, âs-êreûres de djoû, lès tètes qui brotchèt

12 d’ lèssê, èîe houke fou di s’ niyâ, Cadet, si boulot, qu’aspite à pus-abèye so 1′ bwérd de bouhon po v’ni gourdjî à s’ fé div’ni pans’lou corne on lurson. Pus d’on côp minme, i meta câzî s’ mère à sètch, cou qui fêt qui 1′ gris mêgrih à l’oûy tôt fant qui 1′ rossé divint

16 bômèl. C’est 1′ pus longue dès sov’nances d’à Cadet, li rossé lîve de Nagueûstêr.

A daté d’adon, i s’ rimémorêye fwért bin s’ vèye. I s’ riveût riskant ‘ne porminâde âtoû de bouhon d’ ronhes d’abord, pwis disqu’à Fôrî

20    de bwès, à clér di leune, et coula mâgré 1′ disfince et lès prétches qui 1′ mère li fève divant de 1′ qwiter, so 1′ bron de 1′ mit’. Qui F djône trimbleune èsteût tinre et lès cécorèyes ragostantes ! Mins, corne i rèdâréve è F djîse, qwand ‘ne noûlêye passéve so F

24 bête et qu’èle fève rider so lès tchamps si-âbion tôt neûr qu’aveût Fer d’acori sor lu !

Cadet s’ riveût adon, div’nou pus fwért, qwand, avou s’ fré, i rouflît F hase djus à s’ rintrêye et coula po F mîs téter à leû manîre. A

28 l’adje qu’i fat po k’minçî et fini ‘ne leune, leûs brokes qui pondît corne dès-awèyes fît dèdjà si tél’mint de ma à F vîle, qu’èle lès grètéve et lès hagnîve tôt s’ rilèvant et tôt groûlant d’ssus. Cadet s’ fève adon tôt p’tit, rassètchîve sès-orèyes et âreût clignî sès-oûy

32    s’il eûhe polou, manîre de n’ nin vèyî aploûre lès côps. Adon, lès

 

elle qu’elle s’est arrachés à pleine gueule et qui recouvrent, la nuit, deux jeunes lièvres, ceux de sa dernière portée.

  1. Litt* : l’un se  regarde  sur  le  gris  (=   a  le  pelage  gris);  mêgurlèt, maigrichon. —
  2. rafâré, affamé, goulu; C’est le gâté (morceau) de la vieille (= de la mère). — 12. … elle fait venir hors de son nid, Cadet, son benjamin, qui s’élance… — 13-14. … pour venir boire avidement jusqu’à se faire devenir pansu comme un hérisson. — 16. bômèl, obèse. — 17. Nagueûstêr, nom d’un bois à Jupille. Les autres lieux-dits cités plus loin (Côreû, Pèhonhé, Sàrt Bêpan, Tchâfnê, lès Vègnes, lès Houlpês) se retrouvent dans la Toponymie de Jupille de E. Jacquemotte et J. Lejeune (BSW, t. 49, 1907).
  3. A partir d’alors, il se remémore… — 20. prétche, prêche, semonce. — 21. so V bron de V nuf, à la brune.
  4. Comme le jeune trèfle était tendre et les pissenlits appétissants !

23-25. Mais comme il se rejetait dans son gîte quand un nuage passait devant la lune (litt* : la beauté) et qu’elle faisait glisser sur les champs son ombre qui semblait accourir vers lui !

26-27. … ils jetaient à bas la hase à son retour… — 28-29. … leurs dents pointues qui piquaient comme des aiguilles… — 31-32. … et aurait cligné les yeux s’il eût pu, manière

 

(p.339)

sintumints de 1′ mère riprindît li d’zeûr; èle si r’coukîve di lèy-minme, tapéve à lâdje ses pâtes di drî et, avou lès cisses di d’vant, èle lès t’néve abrèssîs, corne ine djint. Lès djones ridoguît de F tièsse so

36 F panse de F vîle, prustihant avou leûs p’tits-onguês po fé brotchî F lèssê; à mwinde mouv’mint de F mère, i s’arèstît tôt d’frankis, po rataker à F bêle disqu’à tant qui F hase, tél’fèye hagnêye disqu’â song’, lès boutéve èrî d’ lèye.

40 Div’nou èco on pô pus vî, Cadet s’ rivèyéve sûvant s’ mère qui n’ l’oblidjîve pus à d’mani è niyâ; à contrâve, èle l’assètchîve pus vite è F fôrîre, inte li hâye di sâvadjes cougnoûlis et F têre di mârsèdjes, là wice qui s’ fève hiyî à magnî as djones grins,

44 Li vîle qwèréve adon de spani Cadet et ç’ n’èsteût qui qwand i hêrîve par trop’ qu’elle èl lèyîve gourdjî quéques côps po passer si-idêye. Par après i s’ passa on grand longtins qu’i n’ pola pus l’aprèpî; c’est qui, so ç’ trèvint-là, Pans’loû, li messe lîve di so lès

48    Piès’roûs, aveût v’nou tourniker âtoû de F hase. Et lèy ènn’aléve co bin dès-eûres totes étires, lèyant là ses djones, qui s’ fôrît tôt seûs et djowît à F rèspounète tôt parèy qui dès djones tchèts. Li leune par après, i fourît si tél’mint gourmandes et on lèzî raya

52 tant dès poyètches qwand i volît r’sayî F gos’ d’on goûrdjon, qui Cadet et s’ fré n’è polît riv’ni. Li vîle, qui rôléve asteûre tote li mit’, lès gârmèta et lès k’hûstina tant avâ F djoûrnêye qui nos deûs djones conv’nît inte di zèls d’èlêdî F bouhis’ de bwès d’ Noûve-

56 Cour. Et, roûviant li pô d’amour qu’avît onk po l’ôte, i fît corne lès-oûhês parés, corne totes lès bièsses ine fèye qu’èle savèt trover leû vèye zèles minmes : si qwiter po n’ mutwè pus s’ rivèyî. Et, à

 

 

de ne pas voir pleuvoir les coups. — 35. ridoguer, redoubler de coups. — 36-37. … pres­sant de leurs petits ongles pour faire gicler le lait. — 37-39. … ils s’arrêtaient, interdits, pour recommencer de plus belle jusqu’à ce que la hase, parfois mordue à sang, les rejetait loin d’elle.

  1. fôrîre, forière, lisière (d’un champ); cognoûlî, cornouiller. — 43. mårsèdjes, semailles de mars; là où il se faisait éclater…
  2. spani, sevrer. — 44-45. … quand il [la] harcelait par trop qu’elle le laissait avaler quelques gorgées… — 47. aprépî, approcher. — 47-48. … pendant ce temps-là, Pansu, le maître lièvre de sur les « Piès’roûs > [lieu-dit], était venu tourner autour de la hase. —

49-50. … qui se nourrissaient tout seuls et jouaient à cache-cache.

51-52. A la lune suivante, ils furent tellement querellés et on leur arracha tant de poils quand ils voulurent prendre le goût d’une gorgée (litt* : essayer de nouveau le goût d’une gorgée). — 54. … les gronda et les rudoya… — 55. èlêdi, abandonner. — 57. paré (pré-

 

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l’ nutêye, li rossé Cadet ‘nn’ala po l’âme di s’ père et s’ gris fré

60   po Pâme di s’ mère…

 

* Cadet*, Seraing,  1921, ch.  II, pp. 9-11.

 

129

II

[Retour du printemps]

 

Li court meus sètchive so s’ fin; li solo r’prindéve de P fwèce, lès djoûs ralonguihît à coûsse et lès vês d’ mas’, an-avance so leû tins, avît ahoyou fou de cîr dispôy ût djoûs. L’iviér aveût s’ daye.

4 Dèdjà, lès timprous djolibwès de Côreû mostrît dès-apwérs tôt rôzés; lès sâvadjes gruzalîs de Nagueûstêr boutît corne dès pièrdous et, so lès bwérds de rèw de Pèhonhé, lès pihâtes-è-lét et lès jèbes di feu s’apontît à r’djèter. È P tèye as Tchênes, lès mwètès foyes

8 toumît, tchoûkêyes èvôye par lès novês djèts; as hâyes, lès bèrbizètes dès neûhîs hoûzît, div’nît pus poyowes, pus vêtes; lès stitchas d’ wèzîres prindît ‘ne coleûr rodjâte; les djônes sawous div’nît tinres et hotchants. […]

12 C’est qui P prétins, parèt, èsteût là podrî, todis virlîh, djône, fwêrt et hêtî; tôt prêt’ à rabrokî, à fièstî P grand djama d’ chaque annêye, à r’fé P grandissime ovrèdje : acrèhe, rinov’ler, èbèli, gâlyoter, fé raviker, fé sûde, fé crèhe.

16   Li prétins èsteût là podrî, et tôt âtoû d’ lu, on sintéve ine fwèce

 

paré) est glosé par la proposition qui suit. — 59-60. ènn’aler [l’un] po l’âme di s’ père et [l’autre] po l’âme di s’ mère, se disperser, en parlant d’enfants — ici d’animaux — qui s’en vont chacun de leur côté.

 

II

  1. Le petit mois, c.-à-d. février. — 2. à coûsse, rapidement; vês d’ mås’, giboulées (litt’ : veaux de mars). — 3. … étaient tombées du ciel; aveûr si daye, avoir son coup de mort.
  2. timprou, hâtif, précoce; apwér, bourgeon. — 5. grusalî, groseiller. — 6. rèw, ruisseau; pihåte-è-lét, bouton d’or. — 6-7. jèbe di feû, ellébore. — 7. s’aponti, se préparer, s’apprê­ter; r(i)djèter, donner des rejets. — 8-10. les chatons des noisetiers gonflaient, augmentaient leur duvet, devenaient plus verts; les pointes d’osier… — 10. rodjåte, rougeâtre. — 10-11. les jeunes sureaux devenaient tendres et cassants.
  3. virlih, guilleret. — 13. rabrokî, s’élancer de nouveau, resurgir avec force; djama, fête chômée deux jours consécutifs (ici, au sens fig. de : grande fête). — 14. gålioter, orner, garnir. — 15. sûde, sortir de terre, pousser (en parlant de végétaux).

 

(p.341)

di vèye qui raviguréve lès pus flâwes, qui boutéve lès fwêrts co pus en-avant; on sintéve li vol’té de n’ nin lèyî péri 1′ monde, de 1′ radjôni, de 1′ ripeûpler. Li sîve montéve divins lès plantes, li song7

20   ovréve divins lès blesses.

Et Cadet, lu, si sintéve tôt drôle divins ç’ moumint-là, et i s’ rissov’na qui de tins qu’ Marlou vikéve, i s’aveût dèdjà trové insi. Si vî camarade ènn’aveût ri, tôt d’hant qui coula ‘nn’ireût avou 1″ restant

24   de cwér,  qui c’èsteût ‘ne maladèye et qui ç’ n’èsteût noie,  qui lu n’ coréve pus 1′ risse de r’sinti cisse pitite hèrike. C’èsteût bon, coula, qwand il èsteût djône; asteûre, il èsteût div’nou trop vî. Et Marlou aveût miné Cadet èvôye avou ses fâves et ses fâvurons,

28 si bin qu’on bê djoû, nosse djône lîve s’aveût r’vèyou corne divant. Mins vola qu’asteûre coula lî r’prindéve pés qu’ l’an passé. I d’moréve dès-eûres ètîres à tûzer, à s’anoyî; i roûvîve minme de heure et de magnî, 1′ pôve bièsse, et s’ div’néve-t-i corne ine hène, à pont qui

32 s’ cwér èsteût tot-à cèkes, rôlié si tél’mint qu’on lî âreût compté ses cwèsses.

Et ‘ne seû d’assoti li fève tél’fèye apinde ine linwe tote grévieûse, tote sètche, ine seû qu’èl fève hansî à n’ pus s’ ravu, corne qwand

36   i traf’téve divins lès pèzantès djoûrnêyes de meus d’awous’.

Ci n’èsteût pus de song’ qui coréve divins ses vônes; c’èsteût ‘ne saqwè d’ broûlant, on feû-griyeûs qu’èl tôrturéve, qu’èl fève lanwi, qui tôt d’on côp èl rindéve pèzant, loûrdâ et lî westéve tote vol’té;

40 on feu qui, dès ôtès fèyes, èl mètéve tôt fou d’ lu, corne so dès tchôdès cindes, et lî d’néve dès d’zîrs qui n’ saveût mêstri ni continter.

 

Ibid., ch. XXVII (extraits), pp. 79-81.

 

  1. revigorait les plus faibles. — 19. sîve, sève.
  2. … que c’était une maladie et que ce n’en était pas une… (façon de jeter la chose à rien). — 25. … le risque de ressentir ce petit malaise.
  3. … avait détourné Cadet (s.-ent. : de ses rêveries) grâce à (litt. : avec) ses contes et ses sornettes.
  4. hène, éclisse, morceau de bois très mince. — 32. rôlié, rayé (ici, du fait que les cwèsses, les cotes du lièvre qui maigrit, apparaissent comme des cèkes, des cercles).
  5. Et une soif d’enragé lui faisait parfois tendre une langue toute chargée (= comme parsemée de petits grains). — 35. hansî, haleter. — 36. trafter, trotter (vite ou sans arrêt).
  6. feû-griyeûs : « Jadis, le bouilleur liégeois appelait le grisou li feu griyeûs (anc. fr. gregois, griois = grec); ce mot survit dans l’expression aveûr li feu griyeûs è cwér, avoir grand soif « (J. Haust, La houillerie liég., grisou). — 39. … et [lui] enlevait toute volonté.

 

(p.342)

130

[Le temps des amours]

 

C’èsteût ine clére mit’, clére corne on djoû, ça 1′ leune èsteût ossi ronde qu’in-oûy di lîve et s’ lûhéve-t-èle à solo. È cîr, i n’aveût ni noûlêye, ni brouheûr, nin minme ossi tène qu’in-arègn’crin.

4   Coûkî è P brouwîre, Cadet tûzéve tôt boutant sofler d’vins lès hôts plopes de sârt Bêpan, et P bîhe minéve on brut, todi P minme, corne ine êwe qui, à Ion, tome à P valêye d’on vinta. Lès r’gons, lès deûrs grains d’iviér de P campagne, lès âbes de bwès,

8    lès jèbes dès prés, tôt soriyéve, rawârdant avou djôye Paprèpe dès bês djoûs :  li tére èsteût pâhûle dizos lès promesses de prétins qu’aléve riv’ni. Tôt tchantéve et riyéve, sâf Cadet qui, cisse nut’-là, èsteût co è P

12 mirâcolèye, qwand, tôt d’on côp, i r’noufla et ses dints k’minçît à caker corne ine djint qu’a freûd. I rataka à r’noufler d’ tos ses pus reûs et r’houma ine odeur qui lî meta P çèrvê avâ lès cwâres, ine odeur qu’èl fa fruzi de P tièsse disqu’âs onguês d’ ses pâtes,

16 l’odeur d’ine hase, d’ine mon-cœûr qui qwèréve on gadrou po lî confiyî ses p’tits s’crèts-Mawèt.

Li rossé Cadet s’ leva reûtabale, avanciha è P hinêye, sins bawî, sins loukî âtoû d’ lu, l’esprit ôte pâ, troublé, li tièsse tote diclimpeye.

20 Et fêt-à-mèzeûre qu’avancihéve, li gos’ de P binamêye s’acrèhéve, div’néve todi pus tèm’tant, lî moussîve è P narène, è gozî, lî aléve disqu’â cour, qui batéve à gros côps.

 

III

  1. « luire au soleil » se dit de la lune qui brille en son plein. — 3. brouheûr, brume; … pas même aussi ténue qu’une toile d’araignée.

4-5. … en écoutant [le vent] souffler dans les hauts peupliers. — 6. vinta, vantail d’une vanne.

  1. Lès r’gons, les seigles. — 8. l’aprèpe, l’approche.
  2. mirâcolèye, mélancolie; r(i)noufler, renifler. — 13. caker, claquer. — 13-14. … de toutes ses forces et huma de nouveau… — 14. avâ lès cwâres, à travers champs; au fig. (ici), s’emploie pour exprimer l’égarement de l’esprit, l’étourdissement. — 16-17. d’une femelle (de lièvre), d’une amoureuse qui cherchait un galant pour lui confier ses petits secrets.

18-19. … se redressa d’un trait, avança dans la trace (= suivit la piste odorante), sans se mettre aux aguets… — 19. diclimpé, dégauchi, incliné de travers. — 20. gos’, goût, pris ici au sens de relent, trace laissée par une odeur. — 21. tèm’tant, tentant.

 

(p.343)

Li lîve ariva insi as cot’hês de Tchâf’nê, divant lès mohones de

24 viyèdje. Lès tchins hawît corne dès-assotis, doguît so leûs lahes, si stronlant câzî. Mins Cadet ni s’ ritoûrna nin d’ssus, il aveût roûvî ses malices, ni k’nohéve pus 1′ dandjî, n’aveût pus noie dimèsfiyance. I d’hinda lès cot’hês, raza lès mohones, passa ine-deûs, trivièrsa

28 l’tchâssêye, cou qu’ mây’ di s’ vèye i n’aveût co fêt et là, è F bassène, i pièrda on moumint l’odeur de F hase.

I gripa lès Vègnes, sûvant s’ vôye li pus dreûte qu’i pola et i n’ si mariha nin d’ine potchêye, ça tot-z-arivant so F crèstê, li bîhe lî

32 rapwêrta F fène et douce odeur, qui flotéve è Fer corne de F poûs’lète d’amour.

Cadet s’arèsta, tronla tôt : ses lèpes si r’trossît, discovrant ses mas-saies qui petit eune so Fôte corne qwand i fîvréve et, F narène è

36   hôt, i houma F bîhe corne on pièrdou.

Adon, F lîve djoupla tôt parèy qu’on djône sot et, corne on tch’vâ d’brid’lé, i s’ mèta-st-à cori disqu’à on côp d’ fisik di là, so lès Houlpês, wice qu’i tourna so Cat’lène, li djône hase de bwès as

40   Neûrès-êwes, qui s’ kihoutrihéve divins lès cayotes d’on doblé. Qwand ‘Ile aparçuha Cadet, èle ripotcha so pâtes avou F vivacité d’on spirou qui s’ rapîstêye; adon, lèdjîre corne nie pouce, èle sât’la oute de rossé lîve, roufla-st-après, s’arèsta d’on plin côp, tourna âtoû

44 tôt parèy qu’on tch’vâ d’vins on manège, si bin qu’ Cadet fourit èwalpé d’ l’odeur de F binamêye frumèle et qui s’ coûka à mitan, fant aler s’ tièsse di tos lès costés, sûvant dès-oûy cisse pitite sote, ciste afrontêye, qui fève dèdjà d’ lu on pièrdou, on mâlureûs, in-

48   esclave ètchinné.

Tôt d’on côp, èle s’arèsta d’ine plinte baie, sins qui F rossé lîve s’ènn’atindahe; adonpwis F hase péta évôye vès lès bwès, tôt wignant corne si on lî aveût fêt de ma.

 

 

  1. cot’hê, jardin potager. — 24-25. … tiraient sur leurs laisses, s’étranglant presque. 28. bassène, fondrière, petit ravin.
  2. griper, grimper, gravir (une côte). — 30-31. … et il ne se trompa point de l’espace d’un saut. — 32. poûsselète, poudre fine.

34-35. … ses lèvres se retroussèrent, découvrant ses mâchoires qui claquaient l’une sur l’autre comme lorsqu’il avait la fièvre…

  1. djoupeler, sautiller. — 37-38. … comme un cheval débridé… — 39. Catelène, Catheline. — 40. … qui se vautrait parmi les mottes d’un labour.

41-42. … d’un écureuil qui se rejette sur une branche. — 43. ronfler, se précipiter.

  1. d’ine plinte bale, brusquement (comp. 43). — 50. ensuite la hase s’enfuit vers les bois, en gémissant…

 

(p.344)

52 Cadet 1′ sûva, assètchî par ine fwèce, ine vol’té qu’i n’ l’aveût co mây dominé parèy et, arivêye dilé lès blankès bèyoles di s’ canton, H hase s’arèsta si tél’mint vite, qui Cadet s’ bouha disconte et 1′ roufla djus so 1′ wazon.

56   Cat’lène dimana coûkêye, corne èstènêye de côp, et Cadet qu’èl loûkîve sitârêye, ni saveût s’i d’véve aprèpî pus fwèrt ou co r’dârer d’ssus. Li djône hase qui ratindéve, ni vèyant nin bodjî s’ gadrou, si r’ièva

60    douçet’mint, et, corne ine andouleuse qu’elle èsteût, èle roufla d’ssus, èl kihagnant è 1′ hanète, so lès rins et so 1′ tièsse. Li lîve si lèya fé et, qwand Cat’lène l’ava fièstî assez à s’ manîre, èle si décida seûl’mint adon de lâcher s’ prumî mot :

64    « Vos m’avez bin trové ? d’ha-t-èle.

—  Djèl creû, rèsponda Cadet, in-aveûle vis troûv’reût, avou 1′ mus’ et 1′ lavindje qui v’s avez sor vos. »

Cat’lène fourît akeûyante et trova Cadet à s’ deût, ni trop grand

68    ni trop p’tit; on bê rossé pwèl qui r’iuhéve corne lès foyes di hu, deûs blaw’tants-oûy qui volît dire ine saqwè; ine pitite tièsse; dès si fènès-orèyes qu’on vèyéve oute; ine cowe pus nozeye qu’on mou-moutche di cascogni; dès fènès manîres, dès-ers corne « Plubeau »,

72    djans ! èle lî vèya tos lès bês costés. « Ça fêt, d’ha Cadet, qui dji v’ dû ? -— Vos m’ riv’nez bin, m’ binamé, rèsponda F djône hase.

—  Adon, fans-gn’ dès-acwérds èssonle ? »  risqua 1′ franc djubèt.

76    Pô tote rèsponse, èle houka 1′ rossé Cadet avou lèy et i moûssît

è bwès as Neûrès-êwes po-z-î aler catchî leû boneûr.

 

Ibid., ch. XXVIII (extrait), pp. 82-85.

 

 

  1. bèyole, bouleau. — 54-55. … trébucha contre elle et la jeta sur l’herbe.

56-58. … qui la regardait étendue ne savait s’il devait s’approcher davantage ou encore s’élancer sur elle.

  1. andoûleûse, enjôleuse. — 61. hanète, nuque. 65. mus’, musc. — 66. lavindje, lavande.
  2. à s’ deût, à son doigt, c.-à-d. à son goût. — 68. hu, houx. — 69. blawetant, brillant. — 70. … qu’on vèyéve oute, transparentes. — 70-71. plus gracieuse qu’un chaton de châtaignier.
  3. Ainsi, dit Cadet, je vous plais  (litt. :  conviens ?)
  4. djubèt, litt. : gibet; ici, au sens de garnement, avec une nuance d’ironie familière.

 

(p.345)

EDOUARD LAURENT

(1875-1933)

 

Né à Aische-en-Refail, mort à Namur, après avoir été directeur du pénitencier de garçons à Saint-Hubert.

Prosateur qui a écrit, pour son plaisir, quelques évocations villageoises dis­persées, après sa mort, dans « Les Cahiers wallons » fondés en janvier 1937 par Eugène Gillain. Parmi ces pages peu connues figure un conte, Manouwèl, qui, à partir d’une anecdote, esquisse la peinture d’un travers original avec une bonhomie empreinte d’humour léger.

 

 

131                                                                                   [Aische-en-Refail]

Manouwèl

 

Dins r-on viladje nén Ion èri d’ Namêr, i gn-avot on brave vî messe di scole qui s’avot fêt conèche long-z-èt lôdje pa lès bias discours qu’i lîjeûve è brèyant à tos lès-ètèr’mints one miète

4 conséquents. On v’neûve di tos les cwéns de canton lî d’mander d’ tourner one pitite saqwè à l’oneûr d’on père, d’one mère, d’on mayeûr, d’on cinsî, d’on cabartî ou d’on champète qu’avot cloyu P pôpêre.

8 Pô rinde service aus parints dins P pwinne, li vî messe — qui nos lom’rans Monsieû Bernard — bouteûve ses bèliques, trimpeûve si plome d’acî dins li scriptôr, noteûve saqwants détails de P vîye dès cis qu’on z-aleûve ètèrer, et, sins balziner, s’atèleûve tôt d’

12   sûte à P besogne. Il î doneûve tote si syince, tôt s’ cœur, tote si bravûre : vormint, i scrijeûve corne por li, po l’oneûr et po fé plêji ! Li djoû v’nu, dissus Pète, au momint qui P vacha aleûve dis-

16   chinde è tére,  Monsieû Bernard displèyeûve si papî :  vos-arîz ètindu voler one moche si, d’zos lès vwèles di crêpe et lès blancs

 

EMMANUEL

  1. Dans un village non loin de Namur. — 2. messe di scole, instituteur; long-z-èt lôdje, au long et au large. — 3. è brèyant, en pleurant. — 4. conséquents, importants. — 6-7. qu’avot cloyu V pôpêre, qui était mort (litt. : qui avait clos la paupière).

8-9. qui nos lom’rans, que nous appellerons; bouteûve ses bèliques, mettait ses lunettes. — 10. sa plume d’acier dans l’encrier. — 11. sans hésiter. — 13. tote si bravûre, toute sa conscience; vormint, réellement.

  1. ête, cimetière; vacha, cercueil. — 18. disbautchis, affligés; somadji, sangloter. — 19-20. en tremblant un peu. —

 

(p.346)

mouchwès, lès parints disbôtchis n’arin’ nén somadji à vos crever 1′ cœur. Monsieû Bernard cominceûve doûç’mint, tôt

20 tronnant one miète; on choûteûve sins piède one parole, on somadjeûve, on brèyeûve, on sofleûve si nez, lès massales frum-jin’ et Monsieû Bernard qu’avot élevé 1′ vwès p’tit-z-à p’tit, boucheûve à tos lès cœurs, picoteûve tos lès-ouy, capougneûve tos

24 lès gozîs. On dêrén mot, li pus grand, li pus tèribe : « Adieu ! » fieûve bachi totes lès tièsses… Monsieû Bernard si r’tireûve sins brut, rimouwé li-minme pa tos lès bias grands mots qu’il avot semé corne dès fleurs su Y vacha d’ tchinne.

28 Li dimègne d’après, dins 1′ gazète de canton — apèlans-1′, si vos v’ioz, « Les Echos de la Mehaigne » — li discours d’à Monsieû Bernard èstot imprimé dès prumîs mots au dêrén, et gn-avot nén on viladje, nén one cinse, nén on cabaret où ç’ qu’on n’ lijeûve

32 li discours, où ç’ qu’on è causeûve, après messe ou après vèpes, è d’djunant ou è r’cinant, à prandjêre, à 1′ vièspréye ou à 1′ chîje.

Mins l’orne li pus djondu pa lès discours d’à Monsieû Bernard, c’èstot… boutans… Manouwèl Djandjan, ancien maçon, div’nu

36 pètron à li p’tite cinse d’au Bièrmont, après s’avu marié su 1′ tord avou 1′ fèye tote seule.

I n’ si nôjicheûve nén d’ lire et di r’lire li discours imprimé dins P gazète, mins il è odeûve si feume è tôt li vij’nôve; il è

40 cauzeûve sins tôrdji et pinseûve tôt hôt : « Come il est bia ! Quén bouneûr cit-ome-là arot yu s’il arot soyu d’avance tôt 1′ bén qui Monsieû Bernard a dit d’ li ! On n’ divrot jamais lèyi ‘nn’aler one saquî sins prononci on discours su s’ tombe ! Ça m’

44 frot bén de 1′ pwinne si dj’ saro qu’on m’ètèr’rè sins on mot, sins on discours ! »

De 1′ net, i sondjeûve tôt hôt, il avot l’ tchôk’mwârt; si fème, dispièrtéye, l’ètindeûve répéter lès mots ètindus au ç’mintiére :

48    «Chers concitoyens!… Encore une tombe trop tôt ouverte!…

 

21-22. … les joues tremblotaient. — 23-24. … frappait à tous les cœurs, picotait tous les yeux, empoignait tous les gosiers.

  1. en déjeunant ou en goûtant, après-midi, au soir ou à la veillée.
  2. djondu, touché. — 35. mettons… Emmanuel Jeanjean. — 36. pètron, petit fermier propriétaire (litt* : patron).
  3. Il ne se lassait pas. — 39. il en fatiguait sa femme et tout le voisinage. — 40. sans tarder.

46-47. La nuit, il rêvait tout haut, il avait des cauchemars; sa femme, réveillée…

 

(p.347)

C’était un noble cœur!… Cher Jérôme! Adieu!… Adieu…». Nêt-èt-djoû, Manouwèl èstot èssôrcilé pa lès discours d’à Monsieû Bernard; i n’ si continteûve nén d’ lès lire, di lès raconter à

52 tôt v’nant; i n’arot nin manqué, po r-one blouwe vatche, on seul dès bias-ètèr’mints qui s’ fyin’ à trwès-eûres alentour; i s’ fôfileûve tôt près dès parints, astok di Monsieû Bernard po n’ nén piède one sillabe. Il avot fini pa s’ fé r’mârquer pa

56 F vî messe, il lî tireûve si calote avou one bêle rèvèrince, à tel pwint qui lès deûs-omes avin’ fêt conichance, bèvu one pente èchone, djouwé one paurt aus cautes, cauzè de F plève et de bia tins, et èstin’ à peu près seûrs di tchêre bôbe à bôbe à tos lès

60   grands services.

Li tins passeûve, Manouwèl s’èmacraleûve chaque djoû one miète

di pus dins lès discours d’à s’ camarade li vî messe.

On dimègne après F dîner, i n’î tént pus… Vo-l’-là qu’il èpite

64 li vôye que F mwinrneûve à F môjone de messe Bernard, à one boune eûre de F cinse d’au Bièrmont ! Vola lès deûs-omes achis à F tôve de vî madjistêr. Manouwèl est sankènêwe, pace qu’il a roté rade et qu’i n’a pus vent-ans, et ossi pace qu’il est tôt

68 mouwé pa F drôle di comission qu’il est v’nu fé d’ié s’ camarade d’ètèr’mint.

Po lî doner F tins d’ se royu, li messe lî vûde one pitite gote di pèkèt et lî rimplit deûs trwès côps. Li p’tit vêre ni co F grand

72   n’ont jamais èsbâré Manouwèl qui s’ rapôpîye tôt doûcèt’mint, prind s’ coradje à deûs mwins et ètame si mèssadje : « Monsieû F Messe », dist-i, « dji vouro bén qu’ vos m’ rindrîz on grand service. Dji n’ so nén avou rén et dji so Fome à r’co-

76 nèche lès plêjis qu’on m’ fêt. Dj’a choûté et dj’a r’passé dins F gazète tos lès discours qui vos avoz prononci à dîj eûres au Ion dispeûy chîj ans. I gn-a minme dès cis qui dj’ rèpèt’ro bén par cœur tél’mint qui dj’ lès-a r’M dès côps et qu’i m’ chonin’

 

  1. èssôrcilé, ensorcelé. — 52. pour tout l’or du monde (litt. : pour une vache bleue). — 59. tchêre baube à baube, se rencontrer (litt. : tomber barbe à barbe).
  2. … M. se laissait envoûter.

63-64. Le voilà qui prend la route. — 66. Emmanuel est tout en nage.

  1. Pour lui donner le temps de récupérer (litt. : de  se  ravoir).  — 72.  n’ont jamais fait peur à Emmanuel qui se remet tout doucement. — 73. entame son message.
  2. J’ai quelque bien (litt. : je ne suis pas avec rien). — 77-78. …  à dix heures de

 

(p.348)

80 bias. Dji comince à prinde di l’âdje et à z-î piède de costé de P pôpêre. Dj’a atrapé one dobe puruzîye et one dobe purumonîye, dji m’ sins tôt rèclawé d’ rimatrisse quand 1′ tins vout candjî. Dji crwè qu’il est grand tins qui dj’ sondje à pus Ion et dji so

84 v’nu vos trover po v’ dimander d’ fé tôt d’ sûte li discours qui dj’ vouro qu’ vo prononç’rîz su m’ cwâr li djoû di mi-ètèr’mint ». Monsieû Bernard rawête Manouwèl, douve dès grands-ouy, sorit et rèspond :

88 « Mins, mon ami, qu’est-ce qui vos m’ dimandez là ? C’est bén 1′ preumî côp qu’ dj’ènn’ ètind one parèye ! Et pwis, vos-avoz co bon pîd boun-ouy, il est co tins d’ sondji à moru, et, po vosse discours, vosse feume, vos nèveûs seront là po vos-è comander on

92 bia quand 1′ momint sèrè v’nu. Nos n’èstans nén co là, vûdans nosse vêre et cauzans d’ôte tchôse.

— Nonna », rèspond Manouwèl,  « dji n’ mi fîye nén aus-ôtes. Quand ç’ qu’on z-èst mwârt, on n’ vaut nin on tchén qui vike

96 et on n’ pout jamês dire ci qu’ vos-éritiers front d’ vos à vos-èksèques, quand vos sèroz dins vos quate plantches. Purdoz vosse plome, Monsieû Bernard, dji vos va raconter Fistwêre di m’ vikêrîye; vos-arindj’roz ça après por on mèyeû et vos

100 me 1′ mostir’roz quand ç’ sèrè fêt. Fioz-m’ ci plêji-là, dji vos r’vaurè ça ».

Monsieû Bernard vwèt bin qu’i gn-a rén à discuter; i vaut minme mia flater lès manîyes dès djins quand ç’ qu’èle ni fèy’nut

104 pont d’ twârt à persone, et vo-l’-là qui scrit et qui Manouwèl cause. Manouwèl èsplique si vîye, où et quand ç’ qu’il a v’nu au monde, corne on lomeûve si père, si mère, ses frères, ses sous, ses couzéns, si pârén et s’ marine. I cause di ses prumêrès-anéyes, 108 di li scole; di s’ mèsti, dès payis qu’il a parcouru, dès batimints qu’il a fêt, dès caurs qu’il a bouté d’ costé, di s’ mariadje, di s’ fème, di ses vatches et d’ ses tères. « Ni roviz nén d’ marquer, dist-i, qui dj’a passé l’examen d’électeur capacitaire et qu’i gn-a

distance depuis six ans. — 80-81. … et à perdre la vue (litt. : et à y perdre du côté de la paupière); puruzîye, pleurésie; purumonîye, pneumonie. — 82. rèclawé d’ rimatrisse, perclus de rhumatismes.

  1. Quand on est mort, on ne vaut pas un chien vivant. — 97. èksèques, obsèques. 99-100. … pour un mieux et vous me le montrerez… 109. de l’argent qu’il a mis de côté.

 

(p.349)

112 yu qu’ mi dins 1′ viladje qu’a soyu rèsponde à 1′ question : Quelles sont les suites finestes (sic) de l’abus du genièvre ?

—  Ah ! dist-i 1′ messe, et qu’avoz rèspondu ?

—  Dj’a dit « que le genièvre est si fin qu’il passerait à travers

116   le trou d’une aiguille»…

Vola Manouwèl à sètch, contint 1′ li, fier di ç’ qui s’ vîye est là, scrite su dès grands papis, pa r-on grand savant, è ratindant qu’èle seûye criyîye su Fête à tôt 1′ monde et impriméye, en

120   français, dins 1′ gazète de F Mèhagne. Et i d’meûre stampé, sins parole, lès-ouy au plafond, sûvant dins Fer li bia sondje qui va div’nu one rèyalité ! Li vwès de vî messe, li vwès dès discours li dispiète :

124 «Èh bén, Manouwèl, c’è-st-one afêre fête; riv’noz dins r-one quénzinne di djoûs, dji vos lîrè ci qu’ dj’a fêt et vos m’ dîroz ci qu’ vos-è pinsez. Bon r’tour et à dimègne è yût’, à F minme eûre. »

128   Dji n’ vos dire nén ci qu’a sti li r’tour d’à Manouwèl, ni comint qu’il a passé ses quénze djoûs à ratinde li fameûs dimègne; li monde n’ègzisteûve pus por li fou de F môjone de vî messe. Là 1′ grand djoû arivé !  Manouwèl è-st-au posse.  Instalé dins

132   F fautèle de messe, les mwins crwèzéyes dissus s’ tchinne di monte, lès-ouy sèrés, li mawe qu’i fôt su ses lèpes, i ratind… Et F vwès d’à Monsieû Bernard, li vwès dès grands discours, li vwès dès ç’mintiéres et dès vachas, li vwès qui tronne, qui brêt,

136 qui sone corne li cloke dès mwârts, cauze tôt d’on côp aus-orèyes d’à Manouwèl : « Chers concitoyens !… Une belle existence vient de s’éteindre… Qui dira jamais… homme de bien, homme de foi, bienfaiteur… un nom qui passera à la postérité, pleurons

140 celui qui disparaît… Cher Emmanuel, cher ami, encore une fois, adieu ! »

Si gn-arot nén deûs grosses larmes qui rôl’nut dins lès royons dès sètchès massales d’à Manouwèl, s’on n’ vwèrot nén s’ forçale

 

144   si solèver corne on soflèt, on pourot crwêre qu’il est mwârt; ses

  1. à sètch, muet (litt’ : à sec). — 120. stampé, debout, dressé.
  2. … le réveille.
  3. … à dimanche en huit.
  4. fou, en dehors.
  5. fautèle, fauteuil; monte, montre. — 133. … la moue de circonstance sur les lèvres.

142-144. S’il n’y avait deux grosses larmes qui roulent dans les rides des joues sèches d’Emmanuel, si on ne voyait sa poitrine se soulever… —

 

(p.350)

pôpêres sont corne vistréyes dissus sès-ouy, et s’ mawe est corne

cozouwe dissus ses lèpes.

N’è-st-i nén mwârt ? Monsieû Bernard li pice on p’tit côp pa

148 F pègnon d’one orèye et Manouwèl ravike… Sès-ouy lûj’nut corne dès stwèles, si mawe est div’nouwe li plus bia riyadje qui s’ bouche eûche jamês pwarté. Manouwèl si dresse su ses pîds, tind ses deûs grantès mwins au messe et i dit :

152 « Ah ! Monsieû Bernard, quén bouneûr vos m’avoz d’né ! Dji vén d’ passer lès pus bêles munutes di m’ vîye et ça n’ mi f’rot pus rén d’ moru asteûre qui df vos-a ètindu ! Ah ! Monsieû Bernard, quén-ome qui v’s-èstoz ! Dji vouro qu’on-ome corne vos

156 vik’rot co cint-ans ! Mins dj’a cor-on p’tit plêji à vos d’mander… Vosse bia discours m’a tôt radjonnu : dji m’ sin on-ôte orne, i m’ chone qui dj’ pouro griper su lès choies et lès-ordadjes corne à vent-ans ! Dji so seûr qui pus’ qui dj’ètindrè nosse discours,

160    pus’ qui dj’ radjonnirè. Lèyiz-m’ riv’nu dimègne qui vent et co lès-ôtes dimègnes po l’ètinde cor on côp, co dî côps, co cint côps !… Dji n’ vik’rè pus qu’ po ça ! ». Et durant dès-anéyes, Manouwèl a sti choûter tos lès dimègnes

164   si discours dilé Monsieû Bernard. Et F pus bia d’ tôt, c’est qu’ pus’ qu’il ètindeûve et pus’ qui Monsieû Bernard li lijeûve, pus’ qui lès-deûs vîs-omes radjonnichin’. Il èstin’ tos lès deûs èssôrcilés !

168 Mins tôt a one fén. On djoû, Monsieû Bernard et Manouwèl Djandjan èstin’ èvôye à on-ètèr’mint fou de viladje; il avin’ monté dins r-one auto po pôrti pus tord et rariver pus rade. Quén maleûr ! A mitan vôye, l’auto a broké dins r-on fossé et

172    a stî tote sacramèn’téye. Dins lès bokèts, on z-a r’trové, écrasé,

 

 

145-146. vistréyes, vissées; et sa moue est comme figée (litt* : cousue) sur ses lèvres.

147-150. … le pince un petit coup par le pavillon d’une oreille et Emmanuel revit… Ses yeux brillent comme des étoiles, sa moue est devenue le plus beau rire que sa bouche ait jamais porté.

157-159. Votre beau discours m’a tout rajeuni : je me sens un autre homme, il me semble que je pourrais grimper sur les échelles et les échafaudages comme à vingt ans !

  1. plus les deux vieillards rajeunissaient.

171-172. Quel malheur ! A mi-chemin, l’auto s’est lancée dans un fossé et a été toute démantibulée. Dans les débris…

 

(p.351)

li pôve vî messe. Et Manouwèl, qui rèspireûve cor one miète,

est mwârt de trèvint qu’on 1″ rèpwarteûve à s’ môjone.

Et i gn-a pont yu d’ discours su 1′ tombe dès pôves mi-vé…

Les Cahiers wallons, n° 41, Namur, 1942, pp. 806-810. (On rectifie certaines formes dialectales méconnues par le premier éditeur.)

 

  1. Et il n’y a pas eu de discours sur la tombe des pauvres malheureux.

 

 

(p.352)

GEORGES ALEXIS

(1875-1960)

 

Né à Grivegnée, mort à Fléron, l’ingénieur Georges Alexis van Stratum fut un industriel accompli qui porta en Russie, aux aciéries de Taganrog, le renom de la métallurgie liégeoise, exerça, à son retour au pays, d’importantes fonctions dans la société « Ougrée-Marihaye », créa et dirigea les « Etablisse­ments Georges Alexis » qui devinrent par la suite les « Aciers Alexis – Liège ». En marge de cette activité se développait celle d’un mélomane et d’un musi­cologue : talents reconnus et appréciés auxquels se joignit sur le tard celui d’un amateur de littérature dialectale.

De 1947 (Emon Théo et Lès deûs houyeûs) à 1958 (Li cloke dès trépassés), Georges Alexis a fait paraître onze plaquettes, agréablement illustrées, qui le plus souvent comprennent chacune deux récits en prose, mélange de tableaux réalistes et de scènes dialoguées. La technique en est simple, parfois naïve, et s’écarte des modèles littéraires, qu’ils soient français ou wallons. La langue, malgré ses gallicismes, s’alimente à un parler populaire sans apprêt mais non sans saveur. Les situations où se complaît l’observation amusée d’Alexis pro­mènent le lecteur dans des milieux variés. Certaine préférence marquée (encore que fort discrètement) pour la vie des humbles avec ses petitesses et sa gran­deur cachée atteste chez l’auteur du Tèstamint d’à Félik Cladjot (1949) une « philosophie » •— que certains qualifieront de paternaliste — qui consacre la valeur du travail, le sens de la hiérarchie familiale et sociale, l’amour de l’honnêteté, le tout sans cesser d’être plaisant et attachant.

 

 

132                                                                                                           [Liège]

[Une rage de dents]

 

Le personnage principal, Jules Cognoûle, est aligneû d’ rôyes à l’ mêr’rèye, c’est-à-dire gratte-papier à la mairie de sa commune. Pour le remercier de certaines complaisances, un braconnier lui a offert une douzaine de grives capturées sur les terres du riche M. Desmaret. La mère de Cognoûle les a préparées pour le souper de son fils : le voici qui rentre…

A set’ eûres tôt djusse, Cognoûle qwite li cabaret d’amon Mantine à pus vite. Avou s’ longue bètchowe narène, i lî sonle dèdjà oder lès-oûhês gruziner è 1′ marmite di tére so li stoûve ! I s’ rafèye

 

  1. Avec son long nez pointu, il lui semble… — 3. lès-oûhês, c.-à-d. les grives; gruziner, gazouiller, chantonner (cfr infra 15).

 

(p.353)

4   de magnî ‘ne bone eûrêye so 1′ pro Dèyô, à 1’ santé d’à moncheû Dèsmarèt !

Cognoûle,  qu’a âtou d’ trinte ans, vike avou s’ marne, li vîle Garite, qui tint on p’tit botike as tchikes ad’lé l’église. I n’ si

8 wèse marier, ça il è-st-acâblé de 1′ maladèye di saint Leûp, i s’ magne lêd ! Avou ses pîds d’ine ône, on discohî cwér pwèrté so dès djambes parèyes à dès fis d’ârca, et ses deûs souwêyès fesses corne dès catches, on dîreût qu’i va tourner fou d’ ses

12 hâres ! Garite si towe âs-ovrèdjes po r’noûri s’ grand diâle di fi. Qwand on 1′ veut passer so ses longues hèsses, les djins d’hèt : « Cila, i lofe po deûs; sins mâke, il ècrâhe on viér ! »

« Abèye, Jules, lès tchâpinnes tchantèt, èle sont-st-à pont. »

16   Garite lîve li covièke de 1′ marmite. Jules rinouflêye dizeûr :

« Èy, qui coula ode bon ! on n’ vôreût nin esse à l’ôtél, èdon

marne ? »

Et Jules glète dèdjà tôt s’ frétant lès mains.

20   Li tâve est mètowe avou ‘ne bêle blanke nape et 1’ chèrvice de

dîmègne;  Garite a stu cwèri ine grande botèye di bîre et dès

pistolets.

« Atakans insi, marne !…

24   — Awè, dj’a fêt peter lès crompîres, elle ont pus d’ gos’, ni sont

nin si êwis’; avou coula, dji v’ chèvr’rè ‘ne bone compote di pomes

po discrâhî 1′ sâce… »

Et Garite  arive  avou lès tchâpinnes,  corne s’èlle  apwèrtéve li

28    sint sacrèmint. Vola Jules à Fovrèdje; il apice qwate gros-oûhês

qui bagnèt è boûre rambômé as peûs d’ pèkèt. I crohe lès tièsses

po k’mincî, c’est lès mèyeûs bokèts; i broyé lès-ohês, magne li

stoumac’, boyês et tot-à fêt; i n’ lêt so l’achète qui les qwate

32   bètch et lès p’titès grifes !

 

  1. Garite, dim. de Margarite, Marguerite. — 8-9. maladèye di sint Leûp, mal de saint Loup, boulimie; « il se mange laid », idiotisme exprimant la même idée; di(s)cohî, dégin­gandé. — 11. catchs, fruit tapé, pomme ou poire ratatinée (ici, au fig.). — 12. hâres, vêtements. — 13. hèsses, échasses (ici, plais’, en parlant de jambes très allongées). —
  2. « Celui-là, il bâfre pour deux; sans erreur, il nourrit (litt’ : engraisse) un ver ».
  3. … les grives chantent, c.-à-d. grésillent sous l’action de la chaleur. 17. … on ne voudrait pas être au restaurant, n’est-ce pas.
  4. pistolet au sens belge de petit pain.
  5. peter, ici : grésiller dans la poêle. — 25. êwis’, aqueux.
  6. … qui baignent dans le beurre parfumé aux baies de genévrier.

 

(p.354)

« Qu’ènnè d’hez-v’, don marne ? Vola èdon k’mint qu’on r’nètêye

lès-oûhês ! Volez-v’ goster eune ? Èle sont-st-à l’îdêye, vos l’s-avez

acoûh’nés à 1′ lèkchon !

36   — Nèni,  Jules,  nèni,  magnîz,  magnîz,  dj’inme mî ‘ne tâte di

makêye, de; c’est pus hêtî po ‘ne djint di mi-adje… »

Èle dit coula, F pôve feume, po lèyî 1′ dozinne di tchâpinnes à

s’ fi, tél’mint qu’elle est binâhe qui l’eûrèye lî gostêye !

40    « Hapans  co   qwate  di  ces  p’titès  bièsses-là,   qu’ont-st-on  fou-

mèt à fé r’ièver on mwért ! Merci savez, moncheû Dèsmarèt !

V’s-èstez on binamé orne : grâce à vos, on pout mète si vinte à

1′ fièsse et s’ godiner à bon martchî ! Ah ! ah !… ratakans, insi, 44   marne… »

Mins à ponne a-t-i ‘ne bètchêye è 1′ boke qu’i lêt tourner s’

fortchète so F tâve, si lîve d’on plin côp, et brêt corne on pièrdou,

tôt toûrnikant avâ 1′ couhène :

48    « Way don, marne ! way don, marne ! qui m’ print-i don, bon

Diu d’ bon Diu ?

— Jèzus’ Maria ! qu’avez-v’ don, m’ fi ? Est-ce in-ohê ramanou

è vosse gozî ? Vis-avez-v’ broûlé F linwe ?

52   — Nèni, marne, nèni… c’è-st-on… way!… on dint qui lancèye

à m’ fé tourner là. »

Et Jules brêt todi pus fwért, so F tins qu’ Garite court à F vole

dizeûr qwèri on pakèt d’ wate, ine grosse ècharpe di linne po

56   lî èwalper F tièsse.

« Èy ! mi pôve èfant… coula îrè savez,  avou F tcholeûr; c’est

de dreût costé èdon ? I m’ sonle qu’i v’ vint ‘ne pitite djouflète.

Kimint v’ sintez-v’ ? va-t-i mî ?

60   — C’est todi pé, todi pé ! »

Et Jules  rilouke tot-anoyeûs  F  marmite  qui  va r’freûdi  so  F

tâve…

« Alez’ amon F docteur Monis’; vinez, n’s-îrans èssonne… » 64   Mins Jules est couyon, il a sogne d’ine gote sofri !

 

34-35. vous les avez accommodés à la perfection.

  1. … tant elle est contente que le repas (litt* : l’heurée) lui plaise (litt* : goûte).
  2. si godiner, se dorloter, se donner du plaisir.

50-51. Est-ce un os resté dans votre gorge ?

52-53. … une dent qui m’élance à me faire tomber là.

54-55. … court aussitôt à l’étage (litt* : au-dessus).

  1. djouflète, fluxion à la joue.

 

(p.355)

« Nèni  savez,   marne,   nèni :   i  m’  f’rè  co  pus   ma  avou  sès-

ustèyes… »

Awè, mins il atrape ine doleûr à n’ poleûr durer ! Ossi, i prind 68 ses djambes à s’ cou et court amon F docteur, qui d’moréve

à deûs cints mètes, djusse divant F mêr’rèye et F mohone de

comissaire Larock.

Cognoûle hape li pâte di tchivrou pindowe à costé de F pwète

72 et sètche on côp à râyî F sonète. I lî sonléve qui s’ ma discrèhéve,

mins il èsteût trop tard asteûre po rèscouler…

Li docteur Monis’, on p’tit orne gnèrveûs qui sopéve pâhûl’mint, s’ leva so F côp tot-z-ètindant F son’rèye. I pinsa qu’ c’èsteût po

76   l’acoûk’mint de F feume Rondasse, qu’i ratindéve d’on moumint à l’ôte.

Marèye, si soûr, ala droviér et fouri tote èwarêye de vèyî so F sou on grand diâle avou ‘ne tièsse corne on djonne vê, qui tronléve

80   lès balzins !

« Èy mon Diu !  c’est Cognoûle,  qu’avez-v’ don, binamé orne ?

—   Têhîz-v’,   Marèye,   têhîz-v’ !   abèye  li   docteur !   Dji   soufrih li mârtîre di ma d’ dint, c’è-st-afreûs, tèribe !  Dj’ènnè veû lès

84   set’ creûs !

—  Tchance et tôt qui m’ fré est là ! Intrez; aie djo, moussîz d’vins. Kimint è-st-i possibe de tchawer insi po si pô d’ tchwê ? » Pus mwért qui vike, Cognoûle ratind è bureau, prêt’ à tourner

88   djus   tôt   r’ioukant   l’arma   âs-ustèyes !   Il   ètind   qu’on   rote   à

costé…  way-à-way !…  vochal li docteur qu’a Fer de rîre è s’

bâbe, lu.

« Que novèle don là, valet ? Coula n’ va nin ? Bodjîz on pô cou 92 qui v’s-avez âtoû d’ vosse tièsse, on direût onk qui r’vint de F

Groûlande ! Nos v’s-alans abèy’mint r’wèri so quéquès minutes;

et si vosse dint est gâté, djèl va fé potchî fou d’ vosse boke avou

‘ne tricwèsse di mar’hâ !

 

7l. la patte de chevreuil sert de cordon à la sonnette. — 72. råyî, arracher; … que son mal diminuait.

79-80. tronler lès balzins, trembler par saccades sous l’effet de la fièvre ou de la peur. 85. Litt* : chance et tout que… (= heureusement que…). — 86. tchawer, criailler.

  1. de l’ Groûlande, du Groenland, du pôle nord; nous allons promptement vous guérir… — 95. avec une tenaille de maréchal-ferrant.

 

(p.356)

96   — Nèni, savez, fez tôt doûs, tôt doûs, docteur. Dj’a dèdjà 1′ cour

qui hôssih; dji sin mes tchâpinnes mi r’monter è gozî !

—  Nom  d’ine  pipe !   dès   tchâpinnes ?   On  magne  bin  amon

Cognoûle ! C’è-st-on plat d’ ritches coula, à pris qu’èle sont, et 100 là qu’i m’ fat continter d’on bokèt d’ bouli po m’ soper ! Djans,

aprochez de F lampe, qui dj’ veûsse qwè. Aie, corèdje sacriblu,

mostrez-m’ coula… »

Cognoûle droûve ine boke corne on for ! Li docteur î tchoûke 104 on deût po trover F pièce de mâva dint :

« Aha ! awè, c’est chai, èdon ? »

Cognoûle ni rèspond nin, ça il atrape ine ataque di gnérs et

r’ssére ses dints so F deût d’ Monis’ corne èn-on cep’ à r’nâ… 108 I flâwih et tome reû à F tére, tot-z-assètchant F pôve docteur

sor lu ! Cichal brêt corne in-aveûle :

« Abèye, Marèye, abèye, i m’ va stroupî ! dji n’ pou ravu m’

deût, qui va torade esse crohî ! Prindez vite ine ustèye po lî 112 dissèrer F machwére… Dihombrez-v’ don!»

Marèye, qu’a pièrdou F tièsse, ni set so qwè dârer et rarive avou

‘ne grawète et ine èk’nêye !

« Bon Diu don Marèye ! wice alez-v’ avou coula ? C’èst-st-on 116 coûté qu’i nos fat! Abèye on coûté!…».

Marèye va qwèri onk, tchoûke li lame inte lès dints d’à Cognoûle

et, tôt fant lèvî, droûve li machwére… Monis’ digagdje si deût

tôt inflé, tôt k’moudri. Mins i r’sint ine télé doleûr qu’i flâwih 120 as’ tour, à costé di s’ malade ! Et v’-lès-là tos lès deûs so F plantchî,

qu’i n’ fèt pus ni séné ni mène !

Marèye, tôt fou d’ lèye, brêt à secours :

« Mon Diu, dé, mon Diu, sèlèrat, vârin ! à secours ! il a touwé 124 m’ fré ! il a touwé F docteur ! ».

Cognoûle si r’mèt’ li prumîr. I r’iouke âtou d’ lu, sins saveur

qwè, corne onk qui s’ dispiète d’on mâva sondje… Tôt d’on côp,

 

  1. le cœur qui [se] soulève.

106-107.  …  une  attaque de nerfs et referme ses dents sur le doigt de Monis’ comme dans un piège à renard. — 108. flåwi, s’évanouir.

  1. stroupî, estropier. — 111. … qui va tantôt être croqué.

113-114. … ne sait sur quoi se jeter et revient avec un tisonnier et une pincette (de foyer).

  1. lèvî, levier. — 120. so 1′ plantchî, sur le plancher, c.-à-d. par terre. — 121. … ne donnent plus signe de vie.

 

(p.357)

i veut F docteur long stindou à costé d’  lu,  blanc corne ine

128   makêye ! Qwand il ètind Mareye qui n’ cesse de houkî à secours

et brêre : « II a touwé 1′ docteur », Cognoûle atrape ine pawe di

tos lès diâles, potche so ses skèyes et, sins d’mander s’ rèsse,

court èvôye corne on pièrdou… Il est si términt fou d’ lu qu’i

132    va bardouhî so 1′ pwète de commissaire Larock tôt gueûyant :

« Dj’a touwé 1′ docteur Monis’ ! ».

 

« On må d’ dint abèyemint r’wèri » [Un mal de dent promptement guéri], II et III (extrait), dans « Deûs plêhantès-istwéres », Liège, 1950, pp. 40-46.

 

  1. il voit le docteur étendu de tout son long à côté de lui… — 129. pawe, frayeur. •— 130. … bondit sur ses flûtes… (skèyes, t. fam. désignant de grandes jambes). — 132. bar­douhî, faire du bruit en donnant des coups répétés, en tambourinant (ici : à la porte du commissaire de police).

 

Henri Bragard

(p.358)

HENRI BRAGARD

(1877-1943)

 

Né à Malmedy, mort au camp de concentration nazi d’Oranienburg (Alle­magne). Publiciste et, de 1925 à 1940, employé à la Société d’électricité E.S.M.A., Henri Bragard fut surtout, parmi les « vrais Malmédiens et Wallons fidèles », le patriote qui se dépensa, par la parole et par la plume, pour la désannexion de son terroir roman que le traité de Vienne avait arbitraire­ment incorporé à la Prusse en 1815. On sait que le vœu des Malmédiens fut exaucé par le traité de Versailles en 1919. Mais, lors de la seconde guerre mondiale, Bragard, devenu suspect à la Gestapo, fut arrêté et déporté en juin 1943.

C’est sous l’influence de son oncle Nicolas Pietkin, le curé de Sourbrodt, champion de la lutte contre la germanisation de la Wallonie malmédienne, qu’Henri Bragard entra au « Club wallon de Malmedy » qui venait d’être fondé en 1898, l’année où lui-même avait publié ses premières œuvrettes dialectales dans le journal « L’Organe de Malmedy ». Devenu président du « Club » en 1899, il allait donner pendant de nombreuses années, sous le pseudonyme de Fré Matî, une collaboration assidue aux publications locales, principalement à l’Armonac walon do l’ « Saméne » et aux feuillets du Vî Sprâwe [Le vieil étourneau] qu’il fit paraître de 1927 à 1931.

L’action de Bragard pour la défense et l’illustration du pays de la Warche a souvent fait oublier qu’il y avait en lui un lyrique d’une essence rare en wallon à l’époque où il dispersait ses courtes pièces parmi les raconteroûles et fåvurons de ses confrères moins bien doués. Ce n’est pas sur son épopée en 12 chants, Djérôme Savonarole (1900), inspirée par l’abbé Pietkin, qu’il faut le juger, mais bien sur le petit nombre de ses poésies qui révèlent un effort vers une synthèse qu’il n’atteignit, semble-t-il, que dans ses dernières productions : ainsi dans Lu rosé dont on n’a pas épuisé le charme secret en croyant y respirer le parfum de quelque « lied » allemand…

L’œuvre d’Henri Bragard, qui s’enrichit également d’un théâtre poétique (Royène dès bwas, 1925; On djoûr o l’ fagne… Tchètrou, 1939), a donné aux lettres malmédiennes l’un de ses aspects les plus originaux. Elle n’a jamais été réunie. Seul a paru, après la mort de son auteur, un petit choix de poèmes que nous avons, pour la plus grande partie, repris ci-après.

 

(p.359)

133                                                                                                 [Malmedy]

L’âbe du Florihé

 

Lu vî tchêne domine co l’ valée

mâgré l’s-an.nées èt lès rafales,

come cès djins qui n’ polèt ‘nn’ aler

4   pace quu Diu n’ lès vout nin, ni l’ diâle.

 

Âs-ôtes, avou quî ‘1 a crèhou,

lu cougnie d’na lu r’pwas do l’ mwart;

i nn’a qu’ lu qu’èle n’âhe nin volou

8  arâyî à k’ssincèdje dès r’mwards…

 

Et qwand l’ djône prétins sème à flohe

fleûrs èt vèrdeûr so hâyes èt bwas,

po qu’i lès vwale, i stind sès cohes

12   honteûses d’aveûr sièrvi l’ bouria.

 

Adon, pus franc, drèssant s’ tièsse sombe

foû d’one mér du r’gons qui s’ dorèt,

po qu’i v’nèhe su r’haper è si-ombe,

16   i houke lès passants — qui l’ fîdèt.

 

Mês qwand l’ freûde bîhe anonce l’ îvièr,

qu’èzès brantches noues s’ vint plinde lu vint,

quu l’éye do l’ mwart plane duzeû l’ tièr,

20   tot frûsinant, l’âbe su sovint…

 

Traduction

L’ARBRE DE FLORIHEID (1)

Le vieux chêne domine encore la vallée — malgré les ans et les rafales, — comme ces gens qui ne peuvent mourir — parce que Dieu ne les veut pas, ni le diable.

Aux autres, avec qui il a grandi, — la cognée donna le repos de la mort; — il n’y a que lui qu’elle n’ait pas voulu — arracher au tiraillement des remords…

Et quand le jeune printemps sème à foison — fleurs et verdure sur haies et bois, — pour qu’il [le printemps] les voile, il étend ses branches — honteuses d’avoir servi le bourreau.

Alors, plus franc, dressant sa tête sombre — hors d’une mer de seigles qui se dorent, — pour qu’ils viennent reprendre haleine à son ombre, — il appelle les passants, qui l’évitent.

Mais quand la bise froide annonce l’hiver, — que dans les branches nues vient se plaindre le vent, — que l’aile de la mort plane sur le tertre, — en frissonnant, l’arbre se souvient…

  1. P) C’est sur la colline de Floriheid, hameau de Malmedy, qu’avait lieu, sous l’Ancien Régime, la pendaison des criminels condamnés par la Haute Cour de justice. L’arbre qui servait de potence était encore visible en 1945.

 

(p.360)

I r’veût, à l’ flâwe louweûr dès steûles,

qwand tot-ôte feû s’a dustindou,

hisdeûse, avanci so lu steûle

24   vèrs lu, l’ porcèssion dès pindous.

 

Voleûrs èt moudréres èt complices

qu’ourint lès mimbes kumèsburdjîs

passèt so l’ place du leû suplice

28  èt k’fèssèt tot hôt leûs pètchîs.

 

Mês, pus tèribe, on cri d’ vindjince

domine leûs criminélès vwas :

èt l’ tchêne tronle duvant l’inocince

32    qui d’zos sès cohês pèriha !

 

Et, o l’ campagne qui va mori,

— chaque cohète gotante du broheûr —

i lîve lès brès’ vè l’ cî r’covri,

36   come onk qui s’ rupint èt qui pleûre…

 

 

Poèmes choisis d’Henri Bragard. Introduction, traduction et notes de Maurice Piron, dans « La Vie wallonne », t. 21 et à part, Liège, 1947, pp. 5-6. Paru d’abord dans Armonac walon dol « Saméne » po l’an 1904, Malmedy, pp. 65-67.

 

Il revoit, à la faible lueur des étoiles, — quand tout autre feu s’est éteint, — effrayante, avancer sur l’éteule — vers lui, la procession des pendus.

Voleurs et assassins et complices •— qui eurent les membres torturés — passent sur le lieu de leur supplice — et confessent tout haut leurs péchés.

Mais,  plus terrible, un cri de vengeance — domine leurs  criminelles voix…  — Et le chêne tremble devant l’innocence — qui sous ses branches succomba !

Et, dans la campagne qui va mourir, — (chaque rameau humide de brume) — il dresse les bras vers le ciel couvert — comme un qui se repent et qui pleure…

 

(p.361)

134

Lu Rènant-Djwif

 

Lu tchant do rûss‘lèt o mossê

bércèye lu djône bièrdjî do 1′ fagne

qui sondje, tôt wêtant sès-agnês,

4    à 1′ blonde hièdrèsse po-d’là 1′ montagne.

 

Tél èzès cwades do 1′ harpe, lu vint

prind o l’ hôte futaye p’on grand psaume.

Lu tchèsseûr qu’è va podrî s’ tchin

8    djond lès mins come duvins on dôme.

 

Lu bîhe tchiwe âtoû do 1′ mâhon;

lu fouyîre hoûle, lu rûssa pleure;

O l’ cwane, grand-mére dit si-ôraison

12    po 1′ pôve monde qu’èst so vôye asteûre.

 

Lu nut’ po l’ cwârê vint moussî

è m’ keûte tchambe. Come s’i nn-ouhe on mwart,

dju tin d’ l’ôrlodje lu balancî :

16   dju n’ô pus rin… quu 1′ vwas dès r’mwards.

 

Dj’a rapougnî m’ fèré bordon,

foû du m’ cwane co ‘ne fîe dju m’ ramasse;

i  fât qu’ djè vasse èco pus lon

20    duvant du r’pwaser m’ vîhe carcasse.

 

LE JUIF ERRANT

Le chant du ruisselet dans la mousse — berce le jeune pâtre de la fagne — qui songe, en gardant ses agneaux, — à la blonde vachère d’au-delà la montagne.

Comme dans les cordes de la harpe, le vent — se lève dans la haute futaie pour un grand psaume. — Le chasseur qui va derrière son chien — joint les mains comme dans un temple.

La bise siffle autour de la maison; — la cheminée hurle, la gouttière pleure; — dans le coin, grand-mère dit sa prière — pour le pauvre monde qui chemine à cette heure.

La nuit par le carreau pénètre — dans ma chambre paisible. Comme s’il y avait un mort, — j’arrête le balancier de l’horloge: — je n’entends plus rien… que la voix des remords.

J’ai empoigné de nouveau mon bâton ferré, — de mon coin, de nouveau, je me lève; — il faut que j’aille encore plus loin — avant de reposer ma vieille carcasse.

 

(p.362)

Ainsi, dj’îrè d’vant mi fin dreût,

quu l’ solo m’ broûle, quu 1′ bîhe m’èdjale,

tant vinrè l’ djoûr quu l’ pèzante creûs

24   mu heûrè d’ lèye-méme djus dès spales.

 

Ibid., pp. 7-8. Paru d’abord, à l’exception des deux dernières strophes (inédites), dans Royène dès bwas, one fâve po l’ tèyâte Folklore Eupen – Malmedy -Saint-Vith», Liège, 1925, t. 4, p. 91).

 

135

A toûrnant do 1′ vôye

 

Rèscontrée à tournant do l’ vôye,

èle mu fit on riyant bondjoû.

Dju d’mande, loukant l’ visèdje plin d’ rôyes :

4 One kunohance mèskunohoue ?

 

« Dju so, m’ dist-èle, vosse prumî pône :

l’ amoûr quu vos n’ volîz roûvyî… »

I m’ sonla quu tot l’ song dès vônes,

 8    è m’ coûr, vunéve du s’astâtchî.

 

Èle mu prit l’ min duvins lès sînes;

ni lèye, ni mi, nu d’hit pus rin;

sès deûts èstît si freûds qu’ lès mines;

12    on s’ mèta à djâser do tins…

 

Ibid., pp. 10-11. Paru d’abord dans Lu Vî Sprâwe, Malmedy, mai 1927. (Le texte publié dans l’Almanach de la Meuse pour 1923, p. 129 [Liège, 1922], omet par erreur le v. 6.

Ainsi j’irai devant moi, tout droit, — que me brûle le soleil [ou] me gèle la bise, — tant que vienne le jour où la pesante croix — me tombera d’elle-même des épaules.

 

AU  TOURNANT  DU  CHEMIN

Rencontrée au tournant du chemin, — elle me fit un riant bonjour. — Je demande, regar­dant le visage ridé : — Une connaissance perdue de vue ?

« Je suis, dit-elle, votre première peine : — l’amour, que vous ne vouliez [pas] oublier… » — Il me sembla que tout le sang des veines — dans mon cœur, venait de s’arrêter.

Elle me prit la main dans les siennes; — ni elle, ni moi ne disions plus rien; — ses doigts étaient aussi froids que les miens; — on se à mit à parler du temps…

 

(p.363)

136

Awîr pièrdou

 

Âye rôlé t’ bosse tot-avâ 1′ monde

èt sèwou d’zos mèye cîs 1′ prétins,

nêvî avâ lès mérs quu 1′ sonde

4   n’a mây murzé, lès mérs sins fin;

 

so dès lèdjîrès bleûsès-ondes,

âye volé duvès 1′ firmamint;

posséde lu syince èt sâhe rèsponde

8    à chake poqwè, à chake d’oû-vint;

su t’ n’as nin sintou conte do tîne

bate on-aute lu même batemint,

dju n’ candjereû nin po t’ sôrt lu mîne;

 

12   mês su, lu k’nohant on momint,

tu n’ trovas l’amoûr quu po 1′ piède,

vins s’èssonle plorer è catchète…

 

Ibid.,  p.  11. Paru d’abord dans Lu  Vî Sprâwe, Malmedy, novembre 1927.

 

BONHEUR PERDU

Aie vagabondé de par le monde — et suivi sous mille cieux le printemps, — navigué à travers les mers que la sonde — n’a jamais mesurées, les mers sans fin;

Sur de légères ondes bleues, — aie volé vers le firmament; — possède la science et sache répondre — à chaque pourquoi, à chaque «d’où vient?»;

Si tu n’as senti contre le tien — d’un autre cœur battre le même battement, — je ne changerais pas contre ton sort, le mien.

Mais si, le connaissant un instant, — tu ne trouvas l’amour que pour le perdre, — viens ensemble pleurer en secret…

 

(p.364)

137

On djoûr vinrè…

 

On djoûr portant vinrè là qu’ vos m’ vôroz qwiter…

L’îvièr sût bin so 1′ pîd 1′ pus broûlant dès-èstés

èt 1′ grand brèsi qui blâme come po n’ djamây dustinde

4   lêt-i aute tchwa qu’ dès cènes quu nou feû n’ pout rèsprinde ?

 

Do l’amoûr, quu v’ moûrrîz s’i v’ faléve è passer,

d’meûrerè c’on pô do l’ djéne qwand vos m’ veûroz passer

lès prumîs tins. Après… Âroz-ve co même sovenance,

8    télefîe, d’ m’aveûr vèyou o l’ flohe du vos k’nohances ?…

 

Ibid., pp. 11-12. Paru d’abord dans Lu Vî Sprâwe, novembre 1927.

 

 

138

Lu vî tiyoû

 

So l’été abandenée, drî lès p’tits manèdjes,

lu vi tiyoû k’heût su d’housselé cohelèdje

èt fêt ploûre dès fleûrs so 1′ niyetée d’èfants

4    qui djowèt voci dès djeûs du d’vant-an,

dès djeûs inocints quu noulu n’èssègne

(à mons quu ç’ seûye l’âbe lu-méme qui 1’s-acsègne),

quu n’ avans djowé, tant d’ fîes, vos èt mi,

8 quu n’ avans roûvyî… mês qu’ l’âbe a duteni.

 

UN JOUR VIENDRA…

Un jour viendra pourtant où vous me quitterez… — L’hiver suit à la trace le plus torride des étés — et le grand brasier qui flambe comme pour ne jamais s’éteindre — laisse-t-il autre chose que des cendres qu’aucun feu ne peut rallumer ?

De l’amour, dont vous mourriez s’il vous fallait vous en passer, — demeurera encore un peu de gêne, quand vous me verrez passer — les premiers temps. Après… Aurez-vous même encore souvenance, — peut-être, de m’avoir vu dans la foule de vos connaissances?…

 

LE VIEUX TILLEUL

Dans le cimetière abandonné, derrière les petites maisons, — le vieux tilleul secoue son branchage échevelé — et fait pleuvoir des fleurs sur la nichée d’enfants — qui jouent ici à des jeux d’autrefois — des jeux innocents que personne n’enseigne — (à moins que ce ne soit l’arbre lui-même qui les [leur] apprenne), — que nous avons joués, si souvent, vous et moi, — que nous avons oubliés… mais que l’arbre a retenus.

 

(p.365)

So l’ête abandenée, drî lès p’tits manèdjes,

lu vi tiyoû k’heût su d’housselé cohelèdje

là qu’on raskignoûl tchante à plin gosî

12    duzeû lèye èt lu… qu’one bâhe pwate â cî.

O l’ même aneûtie si doûce qu’one carèsse,

dju v’ pri l’ prumi fîe, d’zos l’âbe, è mes brès’;

nos deûs coûrs boûsît d’ sièrmints qu’ nos v’lîs t’ni,

16    quu n’s-avans roûvyî… mês qu’ l’âbe a duteni.

 

So l’ête abandenée, drî lès p’tits manèdjes,

lu vi tiyoû k’heût su d’housselé cohelèdje

èt s’èfonce o 1′ tère, là qu’ lès vîs r’pwasèt,

20    dès rècènes fines blankes qui lès rabrèssèt.

Tos zèls ont stu djônes, — qui sont û rèvôye, —

ont avou d’zos l’âbe dès sondjes tèhîs d’ djôyes…

I nn-a si lontins qu’on n’ s’è pout soveni,

24   mês, cès djôyes roûvyîes, l’âbe lès-a duteni.

 

So l’ ête abandenée, dri lès p’tits manèdjes,

lu vi tiyoû k’heût su d’housselé cohelèdje

duzeû l’ tère bènie, poûssîre dès d’vantrins,

28    qui nos vèya crèhe, asteûre nos ratind…

L’âbe, on djoûr, pûherè l’amoûr du nosse coûr

po ‘nnè fé dès fleûrs quu sès cohes front ploûre

so dès-ôtes-èfants, so lès copes à v’ni,

32   tot rud’hant m’ tchanson… qu’il ârè duteni.

 

Ibid., pp. 12-13. Paru d’abord dans Lu VI Sprâwe, mai 1928.

Dans le cimetière abandonné, derrière les petites maisons, — le vieux tilleul secoue son branchage échevelé — où un rossignol chante à plein gosier — sur elle et lui… qu’un baiser porte au ciel. — Dans le même soir tombant aussi doux qu’une caresse, — je vous pris pour la première fois, sous l’arbre, dans mes bras; — nos deux cœurs [se] gonflaient de serments que nous voulions tenir, — que nous avons oubliés… mais que l’arbre a retenus.

Dans le cimetière abandonné, derrière les petites maisons, — le vieux tilleul secoue son branchage échevelé — et enfonce dans la terre où reposent les vieux — des racines toutes blanches qui les embrassent. — Eux tous furent jeunes, qui sont aujourd’hui disparus, — [et] ont eu, sous l’arbre, des songes tissés de joies… — II y a si longtemps qu’on ne peut s’en

souvenir, — mais ces joies oubliées, l’arbre les a retenues.

Dans le cimetière abandonné, derrière les petites maisons, — le vieux tilleul secoue son branchage échevelé — sur la terre bénite, poussière des ancêtres — qui nous vit grandir [et] maintenant nous attend… — L’arbre, un jour, puisera l’amour de notre cœur — pour en faire des fleurs que ses branches feront pleuvoir — sur d’autres enfants, sur les couples futurs, — en répétant ma chanson… qu’il aura retenue.

 

 

 

(p.366)

139

Lu rôse

 

A costé d’one rodje rôse, dj’avéve planté l’ blanc lis’

po qwand r’vinreût m’ galant èvôye bon Diu sét wice.

 

On sôdârd passe po ci, on rude sôdârd do Rwa.

4    « Sôdârd, mètchant sôdârd, lèyoz don m’ bê lis’ là !

 

C’èst l’ fleûr po m’ binamé qwand r’vinrè foû do l’ guère…

— I n’ tu l’ dumanderè pus, su mây dju l’ rèscontère ! »

 

Insi d’ha l’ rude sôdârd : i côpa m’ blanc lis’ djus !

8 Et pus rodje duvint m’ rôse, pace quu m’ cour sône dussus.

 

Ibid., pp. 13-14. Paru d’abord dans VArmonac walon d’ Mâm’dî, 1937, éd. du cercle « Chantecler », p. 82.

 

LA ROSE

Auprès d’une rose rouge, j’avais planté le lys blanc — pour quand reviendrait mon fiancé, parti Dieu sait où.

Un soldat passe par ici, un rude soldat du Roi. — « Soldat, méchant soldat ! laissez donc mon beau lys !

C’est la fleur pour mon bien-aimé, quand il reviendra de guerre… — II ne te la demandera plus, si jamais je le rencontre ! »

Ainsi parla le rude soldat : il cueillit mon lys blanc ! — Et plus rouge devient ma rosé parce que mon cœur saigne sur elle.

(p.367)

JULES PIROT

(1877-1955)

Né à Gesves, village du Namurois, d’une famille d’ouvriers, Jules Pirot, après des débuts difficiles dans la vie religieuse, s’embarqua pour le Canada en 1903 et reçut la prêtrise en 1904 dans le diocèse de Saint-Boniface (Manitoba). Il fut alors envoyé comme missionnaire dans les plaines du Nord-ouest, à Esterhazy (Saskatchewan) pour exercer son ministère auprès des immigrés. Il y mourut en 1955, n’ayant fait que de très rares retours au pays natal — qu’il n’oublia cependant jamais.

Il était encore élève du Petit Séminaire de Floreffe quand il écrivit son pre­mier récit wallon, N’avoz nin vèyu nos pourcias ? [N’avez-vous pas vu nos porcs ?], qui prélude par la technique à Li farce d’à Rigolèt dont la manière enjouée rappelle certaines ballades des Lettres de mon moulin.

C’est à la veille de quitter l’Europe que l’abbé Pirot fit paraître à Namur, sous l’anagramme de Parti, un recueil de contes librement inspirés des his­toires de Man-Rôse, sa vieille aïeule. Les fauves d’à nosse vîye mère (1903) est une œuvre curieuse à plus d’un titre, notamment par le tour original prêté à une mentalité populaire qui mêle étroitement le surnaturel aux croyances naïves d’un autre temps.

L’apostolat de l’abbé Pirot dans le Grand Nord lui dicta par la suite, avec quelques œuvres françaises, de nouvelles pages wallonnes qui ne valent pas, malgré leur intérêt, les Fauves de 1903. Jointes à une seconde édition de ces dernières, elles forment le volume des Contes d’au lon èt di d’ près, publié chez Duculot en 1950.

 

 

140                                                                                                     [Gesves]

Li farce d’à Rigolèt

 

II est noûv eûres. I fêt spès, fwârt sipès… À Môj’roûle, èmon 1′ Patârd, gn-a on gamin qui stronne do croup’. Rigolèt d’à 1′ cinse do bwès, on lêd strwèt corne on n’è vwèt pus wêre asteûre, Rigolèt

4 qu’èsteûve portant bon méd’çin et qui vèyeûve vol’tî lès pôves, Rigolèt est v’nu vôy li p’tit Patârd qui stronne do croup’.

 

LA FARCE DE RIGOLET

  1. Môj’roûle, « Maizeroule », dépendance de Faulx-les-Tombes, au nord-ouest de Gesves. — 2. chez le Patârd (sobriquet); stronne, étrangle. — 3. — strwèt, étroit dans le sens de mince ou d’étriqué.

 

(p.368)

 « Ah ça, Tèrése, di-st-i à 1′ mère, vos l’avoz lèyî couru, don, vosse crapôd ! Pwis l’èfant s’a rafrèdi, diâle m’èvole ! Dji wadje qui c’a

8    stî par on courant d’air.

—  Bin, que v’ioz, on n’ sondje nin todi à tôt, don, Mossieû Rigolet.

—  On î sondje, diâle m’èvole !… Pôve pitit, va !… Enfin, vos f’roz çoci, diâle m’èvole ! Et pwis cola, diâle m’èvole ! Et pwis

12    co ça ! ».

Et c’èsteûve todi « diâle m’èvole ! » qui roteûve. À chaque côp, lès crapôdes si signinn’, et minme one di zèles si catcheûve dizos li d’vantrin di s’ moman.

16   II est noûv eûres et d’méye. I fêt spès, fwârt sipès. Li méd’çin Rigolet est su l’uch d’èmon 1′ Patârd. « Diâle m’èvole, qu’i fêt spès !, dit-st-i.

—  Oyi… N’auroz nin peu, Mossieû Rigolet ?

20   — Peu?… Dj’a m’ pistolet, savoz !

—  Oyi, mais, parèt, qui dj’ vou dire, c’è-st-au Bagn !

—  ô, Tèrése, qui d’djoz là?… Dji wadje qui vos crwèyoz aus sôrcîres!… Diâle m’èvole, qui n’ vègn’nut-èle ad’lé mi!… Gn-a

24 pont d’ sôrcîres, ô, Tèrése ! Li diâle li-minme ni pout rin sur nos. Wêtîz : on lî dit tant dès côps « diâle m’èvole », et i n’ nos-èvole jamais po ça !

—  Bin, vos P savoz mia qu’ nos, vos, Mossieû Rigolet, pusqui

28    v’s-avoz studî; mais mi, dj’a todi peu, ça, au Bagn. Si vos savîz

ci qu’on d’djeûve co vêci…

—  Oyi, djè P crwè ! Mais i d’vint tord, et fôt qui dj’ vôye co à Stroûlia. Bonswêr, Tèrése ! Et pwis, diâle m’èvole ! djè P rovieûve :

32    sognîz bin li p’tit, savoz, car i n’ fôt nin djouwer avou P croup’ ! »

II est dîj eûres. I fêt spès, fwârt sipès… I tchêt dès grûzias, i tone, il alume… Afîye, on vwèt tôt P Fond de P Wôrène; au coron,

 

  1. crapôd, petit garçon; plus loin, crapôde, petite fille ou jeune fille; diâle m’èvole !, que le diable m’emporte ! Phrase familière du médecin Rigolet : on va voir ce qu’il en adviendra.
  2. spès, épais, ici : sombre, obscur, en parlant de la nuit. — 17. uch, huis, porte.
  3. parèt, litt* : paraît-(il). Idiotisme wallon qui correspond suivant les emplois à : voyez-vous, vous savez, n’est-ce pas, etc.; [ce] que je veux dire; au Bagn, lieu-dit ensorcelé.
  4. à Stroûlia ou à Stroûvia, dépendance de Faulx, vers Mozet; … je l’oubliais.
  5. … Il tombe des grêlons. — 34. il alume, il fait des éclairs (d’orage); afîye, parfois. —

 

(p.369)

li bwès d’ l’Abîye si mostère tôt nwâr. Li vint twartchîye lès-ôbes,

36   lès nûléyes chûl’nut, on sone à Môj’rèt…

Mossieû Rigolèt d’à 1′ cinse do bwès, qu’a studî, qui vwèt vol’tî lès pôves, qui r’vint d’ Môj’roûle, qui dit todi « diâle m’èvole ! » et qui n’ crwèt ni aus sôrcîres ni au diâle, Mossieû Rigolèt dischind

40 au Bagn su Margot, si blanc tch’fô… I passe li ri sins rin vôy qui lès nwârs sapins su 1′ tiène quand il alume. Vo-l’-là qui gangne li vôye do pus’. Pa-d’zeû, lès nûléyes chûl’nut; mais 1′ méd’çin Rigolèt a studî : i n’a nin peu.

44 Lès-ôbes djèmich’nut; i ploût, i tone, il alume; à Stroûlia, on sone aus nûléyes. È 1′ vôye do pus’, Mossieû Rigolèt fêt couru 1′ blanc Margot. Li blanc Margot est fwârt doûs; i court bin; gn’a pont di tch’fô corne li blanc Margot !

48 Tôt d’on côp, clap ! Qui gna-t-i yeû, ô, sobayî ? Li blanc Margot court todi… Poqwè n’ coûrreûve-t-i pus? Mais w’è-st-i Mossieû Rigolèt d’à 1′ cinse do bwès, qu’a studî, qui dit todi « diâle m’èvole », et qui n’ crwèt ni aus sôrcîres ni au diâle ?

52 Mossieû Rigolèt est store dins one basse ! I n’ set nin quî qui l’a apougnî et foutu djus d’ si tch’fô dins l’êwe et d’dins lès brous; mais il î est!… Ah! qu’il est bin arindjî, Mossieû Rigolèt, d’à F cinse do bwès, li grand strwèt corne on n’è vwèt pus wêre

56 asteûre, Mossieû Rigolèt, qu’a studî, qui vwèt vol’tî lès pôves et qui n’ crwèt ni aus sôrcîres ni au diâle !

Il est dîj eûres et d’méye. I fêt spès, fwârt sipès. L’oradje est yute, li cloke di Stroûlia bat s’ dêrin côp. … El’ vôye do pus’, quî

60   est-ce qui court, quî est-ce qui rote?…

Li blanc Margot court todi : li cinse n’est nin Ion et i s’ rafîye do r’vôy si stôve. I va rwè, F blanc Margot : gn’a pont di tch’fô corne li, yût-eûres long, yût-eûres lôdje !

 

 

  1. chûl’nut, font du bruit, grondent; Môj’rèt, Maiseret, village au nord de Faulx et de

Mozet.

  1. tiène, flanc d’une colline, escarpement. — 42. pus’, puits.

44-45. Les arbres gémissent; sone aus nûléyes (litt* : aux nuages), sonner les cloches pour

éloigner la foudre.

  1. sobayî (agglutination de suis ébahi; cfr BD, 11, pp. 64 ss.), locution namuroise employée

dans les phrases affirmatives ou interrogatives au sens de :  à votre avis, croyez-vous ?,

je voudrais bien savoir…

  1. … est étendu dans une mare. — 53. brous (au plur.), boue.

58-59. L’orage est passé.

61-62. … et il se réjouit de revoir…; aler rwè, aller vite. — 63. … à huit heures à la ronde.

 

(p.370)

64   Mais, vêla, bin Ion padrî li, quî est-ce qui rote?… N’est-ce nin

Mossieû Rigolèt qu’a studî, qui n’ crwèt ni aus sôrcîres ni au diâle

et qui dit todi « diâle m’èvole » ?

Il est tôt paf, Mossieû Rigolèt ! I comince à-z-î sondjî : n’a-ce

68    nin stî 1′ diâle que l’a èvolé ainsi djus d’ si tch’fô dins l’êwe et

d’dins lès brous? Li blanc Margot n’a nin tchèyu, li!… Et qui

va-t-on dire à 1′ cinse?… Li qu’aleûve si bin à tch’fô, jamais i

n’aveûve tchèyu !…

72   Ah !  qu’ Mossieû Rigolèt aureûve bin v’iu fé astôrdjî 1′ blanc

Margot ! Mais 1′ blanc Margot court todi; i n’ètind nin criyî padrî

li :  « Owe, Margot!… Ôwe, Margot!»

Et Mossieû Rigolèt qu’a studî, qui r’vint d’ Môj’roûle, qu’a stî

76   èvolé djus d’ si tch’fô et qu’est tôt paf, Mossieû Rigolèt saye di

moussî fou dès basses et dès warbîres.

I  va yèsse onze eûres. I fêt spès, fwârt sipès. L’oradje est yute… Sobayîy, ô, ci qu’on fêt à 1′ cinse do bwès ? Quand il a comincî

80 à toner, ènawêre, « Mon Dieu ! » a-t-èle dit 1′ cins’rèsse, « et nosse René avô lès vôyes, quén’fîye au fin mitan do bwès ! ». Ossi rade, on a alumé deûs tchandèles divant l’imôdje d’à sint Dônât et i s’ont mètu à priyî tortos : lès djins d’à 1′ cinse, et Tavîye

84   d’èmon 1′ garde qu’èsteûve vineuwe à 1′ chîje, et Tonasse, li vôrlèt.

II  ont priyî d’ bon cœur, surtout Tavîye d’èmon 1′ garde, qui vèyeûve vol’tî Mossieû Rigolèt.

Asteûre qui l’oradje est yute, on d’vise èsconte do feu. Tonasse,

88    li, fêt dès-atches… «Chou!… vo-l’-rilà ! » dit-st-èle li cins’rèsse

tote binôje, et Tonasse court à l’uch po r’mète li blanc Margot…

Mais poqwè r’mousse-t-i tôt d’ swîte ? Poqwè èst-i blanc-mwârt

corne ça ?

92    « N’est-ce nui li ? dimande-t-èle Tavîye.

— Gn-a persone su li tch’fô,  rèspond-t-i Tonasse tôt pèneûs.

Margot est tôt seû, fin miêr-seû ».

 

  1. tôt paf, éberlué. — 69. tchèyu, tombé. 77. warblre, ornière.
  2. ènawêre, tout à l’heure (= il y a peu de temps); li cins’rèsse, la fermière, qui est la mère de Rigolèt.

82-83. Saint Donat est invoqué dans les campagnes contre l’orage. — 83-84. et Tavie (= Octavie) de chez le garde : sobriquet villageois; cMje, veillée, soirée passée en famille.

  1. atche, éclisse, petit éclat de bois dont on se servait pour allumer la pipe. 94. fin miêr-seû, complètement seul.

 

(p.371)

Et i s’ met à brêre, et 1′ cins’rèsse avou li, et Tavîye ossi qui

96 vèyeûve vol’tî Mossieû Rigolèt.

Mais Tonasse è-st-on-ome. Vite, il èsprind s’ lampe, court à l’uch,

potche su Margot, et èvôye ! Dins 1′ rouwale do pus’, il arête li

tch’fô, i choûte, pwis i crîye : «Hê… houpe!… hê… houpe ! »

100 Vêla bin Ion, Mossieû Rigolèt l’a ètindu. Il est binôje, Mossieû

Rigolèt! et i rèspond : «Hê… houpe!… hê… houpe!»

Tonasse a bin rade sitî d’dé li.

« Jésus’ todi, Mossieû Rigolèt, corne vos v’ià ! dit-st-i. Avoz

104 tchèyu ?

— Tchèyu? tchèyu?… Non, dji n’a nin tchèyu! Dj’a stî èvolé

au grand vint ! »

Mossieû Rigolèt r’potche su Margot : mais i tronne et i dit au

108 vôrlèt:

« Rotoz pa-d’vant avou vosse lampe, Tonasse ! »

Tonasse roteûve pa-d’vant, et dins li-minme i sondjeûve : « Èvolé

au grand vint!… I sont bin malins po ça! Ci qu’ c’est quand

112 on a studî : on lès trouve totes ! ».

Il est onze eûres. Dizeû 1′ bwès, inte deûs grosses nûléyes, on bokèt d’ lune vint wêtî à craye. À 1′ cinse do bwès, on crîye, on rît, on brêt. C’est qu’il est riv’nu, Mossieû Rigolèt d’à 1′ cinse

116   do bwès, li grand strwèt corne on n’è vwèt pus wêre asteûre… Il a stî vôy à Môj’roûle li p’tit Patârd qui stronneûve do croup’ ! Lès coméres ont vèyu s’ bia mouss’mint tôt dôboré d’ brous. « Maria !…  binamé bon  Die !…   sinte Geneviève !  crîy’nut-èle.

120   — II a stî èvolé au grand vint ! » lèzî dit-st-i tôt bas Tonasse li vôrlèt, an l’zî clignant l’ouy.

Mossieû Rigolèt, po s’ compte, est riv’nu. Quand i s’aurè dismoussî et r’moussî, i sèrè clér et i pore soper, pwis aler coûtchî et

124   dwarmu… s’i n’a nin peu.

One saqwè d’ sûr, c’est qu’ dispeû ç’ net-là, Mossieû Rigolèt n’a jamais pus dit « diâle m’èvole »… Lès mwêchès linwes dîj’nut

  1. brêre, pleurer.

113-114. un morceau de lune vient regarder par l’entrebâillement [de la porte]. 118. Les femmes (litt* : commères) ont vu son beau costume maculé de boue. 122-123. déshabillé et rhabillé…

126-127. Les mauvaises langues disent encore qu’il a été tout «défranchi»  (=  a perdu toute assurance).

 

(p.372)

co qu’il a stî tôt disfranchi et qui, quand i d’veûve riv’nu d’

128    Môjroûle à 1′ net, il aveûve bin sogne, divant d’ pôrti, di dire à Tonasse, li vôrlèt :

« Vos vêroz au-d’vant d’ mi, savoz, Tonasse !… Ni rovyîz nin di v’nu jusqu’au Bagn, savoz ! ».

132 Vola Pistwêre d’à Mossieu Rigolet d’à F cinse do bwès, li lêd strwèt corne on n’è vwèt pus wêre asteûre; d’à Mossieu Rigolet qui vèyeûve vol’tî lès pôves et qu’a stî vôy à Môj’roûle li p’tit Patârd qui stron-neûve do croup’; d’à Mossieu Rigolet qu’a studî, qui d’djeûve todi

136 « diâle m’èvole » et qui n’ crwèyeûve ni aus sôrcîres ni au diâle; d’à Mossieu Rigolet qu’a stî èvolé djus do blanc Margot, qu’esteuve tôt paf et qu’a stî disfranchi; d’à Mossieu Rigolet qu’esteuve portant bon méd’çin, qu’est mwârt come lès-ôtes, ‘1-a d’djà lontins, et

140 qu’ Tavîye d’èmon 1′ garde vwèt co vol’tî, car èle nos-è d’vise todi…

 

« Contes dau Ion et did près *, Gembloux, 1950, pp. 119-125. Paru d’abord dans « Contes wallons. Les fauves da nosse vie mère », Namur, 1903 (légères variantes).

 

141 Li prumî Flamme!

 

On fieûve li tour di Babel : ainsi, ‘1 a d’djà lontins d’ tôt ça ! Et on 1′ nomeûve Platèzaque !… Gn-a dès cias qui vol’nut fé v’nu lès Flaminds dès Teutons, mais i s’ brouy’nut brâmint. Li père dès Fla-4 minds, c’est Platèzaque; et on a beau v’iu sot’nu 1′ contraire, c’est Platèzaque que l’est, et ç’ sèrè todi Platèzaque que 1′ dimeûrrè. On fieûve li tour di Babel. Et lès-ovrîs d’alors valinn’ bin lès cias d’audjoûrdu : c’èsteûve dès crânes sôcialisses !… Vola: lès fis d’à

 

140-141. … car elle nous en parle toujours.

 

LE  PREMIER FLAMAND

  1. … mais ils se trompent (litt* : brouillent) fort.

 

(p.373)

8 Noé, après 1′ délûje, n’avinn’ pont d’ môjones po d’mèrer d’dins. Noé, li, aureûve bin v’iu qu’i s’aurinn’ sitôré avô 1′ payis et qu’il aurinn’ travayî, corne on fêt quand on est djinti. Mais Platè/aque, qui n’èsteûve portant qu’on p’tit aplopin d’ vint-ans, Platèzaque aveûve

12   rachoné tos ses frères et ses cousins, et i l’zî aveûve dit :

« Choûtez !… Vêci, tôt 1′ monde è-st-égâl ! I n’ fôt nin qu’ gn-eûye onk qui vègne fé on tchèstia vêci, et on-ôte one cahute vêla… « Choûtez-m’ bin !… Si nos f yinn’ one grande tour po nos lodjî

16   tortos?… Nos-avans de 1′ tchaus’, nos-avans dès pires, … nos 1′ f’rans monter jusqu’au d’zeû dès nûléyes ! » Là-d’ssus, tos lès djonnes galopins ont criyî : « Bravo ! Jusqu’au d’zeû dès nûléyes !

20   — Bravo ! Vive Platèzaque !

—  Bravo ! Tôt 1′ monde è-st-égâl ! ».

Et 1′ vî Noé, dismètant, brèyeûve su sès-èfants qu’èstinn’ si Iwagnes.

I vèyeûve li bon  Die  qu’èsteûve bin  mwês sur zèls,   et  quand 24   Platèzaque a v’nu d’dé li après, i lî a dit :

«Platèzaque, mi fi, li bon Die a dès lonkès vèdjes, savoz!… Vos

sèroz puni ! »

On fieûve li tour di Babel… I s’î avinn’ mètu tortos, et c’est qu’ 28   c’èsteûve  dès bons-ovrîs  qu’i gn-aveûve  là !  Ôh !  i montinn’,  i

montinn’ ! Gn-aveûve trwès cints maçons et cinq’ cints maneûves.

Platèzaque èsteûve maneûve. Et on l’s-ètindeûve criyî :

« Jusqu’au-d’zeû dès nûléyes !

32   — Tôt F monde è-st-égâl !

—  Vive Platèzaque ! »

Et pa-d’zeû zèls, li bon Die wêteûve et i choûteûve. Et quand il ont yeû criyî dès côps assez, li bon Die a dit :

36   « C’è-st-assez, lès djins!… Divisez-m’ chakin vosse lingadje ! ». Miséricorde!… Li bon Die d’djeûve ça, et justumint Platèzaque ariveûve su l’ôrdadje ad’dé 1′ maçon Boncœûr. « ‘nez-m’ dès briques ! » crîye-t-i an walon, 1′ maçon Boncœûr.

 

  1. … qu’ils se seraient répandus. — 10. djinti, courageux. — 11. apoplin, garnement.
  2. tchaus’, chaux.
  3. Iwagne, naïf, idiot. — 23. mwês, mauvais, ici : fâché.
  4. … le bon Dieu a de longues verges, c.-à-d. punit tôt ou tard.
  5. … regardait et écoutait.
  6. ôrdadje, échafaudage.
  7. ‘nez-m’, abrév. de dinez-m’, donnez-moi.

 

(p.374)

40    Platèzaque n’aveûve jamais ètindu ç’ lingadje-là. Et i d’mèreûve là

d’vant Boncœûr, li bouche lôdje, lôdje…

« ‘nez-m’ dès briques ! » lî r’dist-i Boncœûr.

Platèzaque douve si bouche co pus lôdje.

44    <c Ah, ti rîs d’ mi ! Tôdje one miyète ! »

Et, purdant one paltéye di mwartî, Boncœûr lî tchèsse au fin fond

di s’ gozî.

Pôve Platèzaque ! Quénès chimagrawes ! Qués sospirs ! Vo-F-là qui

48    dischind lès choies et lès choies, et i s’ met à couru corne on pièrdu,

tôt-an s’ disratchant, po-z-aler bwâre au pus’ ouç’ qu’on tireûve

l’êwe po fé 1′ mwartî.

Au pus’, i trouve si cousin Gropîd.

52    «Help, help!…  crîye-t-i…  Kalk in keel!…  Slecht Goethert!…

Gaan hem slachten !… Eendracht maakt macht ! »

Ni sayîz nin d’ lîre ces mots-là. James vos n’î parvêroz si vos n’avoz

nin do mwartî au gozî. Voci ci qu’ ça vout dîre :

56    « Au s’coûrs, au s’coûrs!… Tchaus’ au gozî!… Bandit d’ Boncœûr!

Alans 1′ touwer !… L’union fêt 1′ fwace. »

Li cousin da Platèzaque tineûve si vinte à deûs mwins tél’mint qu’i

riyeûve !  Jamais  i n’aveûve  ètindu  on parèy  lingadje;  jamais i

60   n’aveûve vèyu aler qwêre lès mots si Ion è s’ gozî!… Et 1′ pus

bia d’ tôt, c’est qu’ Platèzaque a stî tôt seû à d’viser ç’ lingadje-là…

Li vèdje d’au bon Die l’aveûve bin djondu, alez, li pôve lêd m’-vé.

Vèyant qu’ tôt F monde riyeûve di li, Platèzaque n’a nin d’mandé

64    s’ rèsse. Il a spité èvôye ossi rade, et il a roté, roté, tant qu’à 1′ fin

dès fins il è-st-arivé au bwârd de 1′ mer, ad’dé lès vis Ménapyins

qui vikinn’ dins lès mares. À 1′ fin dès fins ossi, il a trové one

comére que l’a bin v’iu et i s’ont marié. Platèzaque a yeû dès fis;

68    ses fis ont yeû dès fis; et vola comint qu’i gn-a dès Flaminds su

P têre… Asteûre, qu’on dîye co qu’ lès Flaminds d’vègn’nut dès

Teutons !

 

4l. … la bouche ouverte, ouverte.

  1. Et prenant une pelletée de mortier, B. [la] lui envoie (litt* : chasse).
  2. chimagrawe, grimace. — 48. … descend des échelles… — 49. s(i) disratchî, cracher fort.
  3. … le pauvre vilain bonhomme.

69-70. … proviennent des T.

 

(p.375)

Po 1′ ci qu’ conèt l’istwêre, li père dès Flaminds, c’est Platèzaque :

72 Platèzaque qu’a stî 1′ prumî sôcialisse, Platèzaque qu’a mougnî do

mwartî, Platèzaque qu’a vèyu qui 1′ bon Die a dès lonkès vèdjes.

Tote si vîye, il a sayî d’ ratchî tôt 1′ mwartî qu’èsteûve è s’ gozî;

mais i nn-î a todi d’mèré one miyète au fin fond, et i l’a passé à 76 sès-èfants.

C’est corne li pome d’Adam : nos l’avans tortos po qu’ nos n’

rovianche nin l’istwêre di nosse prumî père; et por nos-ôtes corne

po lès Flaminds, li vèdje do bon Die est todi là : wêtans à nos !

 

Ibid., pp.  94-97.

  1. … il a essayé de cracher…

 

 

(p.376)

LOUIS LAGAUCHE

(1877-1965)

 

Né et mort à Liège. Armurier de son état, il travailla à la fabrication d’armes en Angleterre durant la guerre de 1914-1918; après son retour, la ville de Liège lui confia un emploi à la Bibliothèque Centrale des Chiroux.

A seize ans, il écrit sa première chanson wallonne (Lès Flaminds) et, peu après, devient régisseur d’un cercle dramatique. Fondateur en 1897 et bientôt président de la société Lès djônes-auteûrs walons, il participe à la même époque au premier cabaret wallon (1895-1900) dirigé par Alphonse Tilkin. Par la suite, il devait animer de ses chansons tour à tour gouailleuses et sentimen­tales les divers cabarets wallons qui se succédèrent à Liège jusqu’en 1925. Ecrivain partagé entre le don du burlesque (avec un penchant pour la loufo­querie) et le désir d’exalter son pays natal jusque dans l’épopée, Lagauche s’est égaré dans des effusions lyriques qui manquent de souffle, de style et de goût. A l’histoire littéraire du mouvement dialectal, il a légué, faute de mieux, les titres de ses œuvres variées : A hazàrd de l’ pêne, oûves walones 1897-1907; Amon nos-autes, tchansons tchûsèyes 1908-1912; So m’ tére, poèmes et tchansons, prumî lîve : 1913-1920 (1921), Mayon, poème en 9 chants (1923), Li p’tit hièrdî [Le petit pâtre], poème en 5 chants (1926); So m’ tére : Lès bèlès-eûres (1928); So lès-éles de l’ tchanson (1932); Tchantchès, istwére d’on Lîdjwès (1935); Prindez vosse bordon [bâton] / tàvlês, contes et novèles en prose (1937); L’aimant, poèmes wallons (1947).

 

 

142                                                                                                         [Liège]

Ine plêhante famile

(Air : Le Dieu des bonnes gens)

 

Dji fa k’nohance, à Parc di li Ç’tadèle,

d’ine djon.ne crapôde frisse come on djoû d’ Tossint…

Ele mi dèrit qu’èle vindéve dès tchandèles

4    å cimitiére, li dîmègne å matin.

Qwèqu’èlle èsteût pus grêye qu’in-èskèlète,

avou ‘ne basse vwès corne sortant d’on sârkô

èt deûs trôs d’oûy qu’ârît chèrvou d’ sârlètes,

8           èle mi riv’na so l’ côp.

 

UNE PLAISANTE FAMILLE

  1. La Citadelle, quartier des hauteurs de Liège, est proche du cimetière de Sainte-Walburge, en wallon Sainte-Wàbeû (cfr v. 10). — 5. … plus maigre qu’un squelette. — 6. sârkô (arch.), tombeau, caveau funéraire. — 7. sârlète, salière (DL, fig. 586). — 8. riveni, revenir au sens de plaire, inspirer de la sympathie.

 

(p.377)

Dji lî d’manda s’èlle èsteût co djonne fèye :

« Awè », d’ha-t-èlle, « et dji so d’ Sainte-Wâbeû.

Mi père et m’ fré ovrèt-st-è li scrin’rèye,

12   fèt dès wahês, dès civîres èt dès creûs.

Mi mére èt m’ soûr gârnihèt dès corones.

Quant’ à m’ mononke, i mon.ne li corbiyârd,

èt m’ dreût cusin, qu’èst k’nohou mî qu’ pèrsone,

16          c’èst l’ pus vî dès croke-môrts ! ».

 

Dji lî d’manda po mî fé si k’nohance,

ca ‘le mi plêhîve mågré si-êr d’ètéremint.

Mins ‘le tchipotéve tot m’ lèyant d’vins lès transes,

20    qwand tot d’on côp, v’là qu’èle dit : « Dji vou bin,

mins dji v’ prévin qui dj’a hanté Bolzêye,

on mêsse fossî qu’ènn’a bin ètèré !

Dj’ava ‘n-èfant qu’èst dispôy ine hapêye

24          mwért dè miséréré.

 

» Mi fré, vèyez-ve, tos lès dîmègnes à 1′ sîse,

fêt li spirite èt djåse ås trèpassés;

si ça v’s-ahåye, vinez ‘ne gote disqu’è m’ djîse :

28    nos v’ frans mori, pwis nos v’ f’rans raviker…

— Bin va !, dèri-dje, båcèle, va-se ti fé pinde !

Et t’ pére èt t’ fré, dji m’ moke di leû pouvwér !…

Mins d’èsse sêsi di çou qu’ dji v’néve d’ètinde,

32          dji touma là… reûd-mwért ! 

 

„So m’ tére. Poèmes et chansons », Liège, 1921, pp. 116-117.

 

  1. jeune fille par opposition à femme mariée. — 11. … travaillent en menuiserie. — 12. wahê, cercueil. — 15. et mon cousin germain.
  2. un maître fossoyeur qui en a beaucoup (litt* : bien) enterré. — 23. hapêye, laps de temps. Le sens ici est : depuis un bon moment.
  3. sîse, veillée, soirée passée en famille. — 27. si ça vous plaît…; djîse (litt. : gîte), logis, demeure. — 32. … raide mort.

 

(p.378)

143

[Les cerises]

 

Hanèsse, jeune pâtre ardennais, tenté par la grande ville, est venu vivre à Liège où il n’a pas tardé à oublier la petite villageoise qu’il aimait. Un jour, à une échoppe du Marché, un de ces bâtonnets garnis de cerises « qu’on vendait aux enfants à l’apparition des premières cerises » (DL, 67 et fig. 65) lui rappelle les naïfs cadeaux qu’il avait promis de rapporter à Magrite en lui faisant le serment de revenir bientôt.

 

Et vola qu’on djoû dès cèlîhes lûhèt

so ‘ne pitite baguète

hågnêye à ‘ne houbète;

èet volà qu’on djoû dès cèlîhes lûhèt

5    so l’ pus vîle dès plèces amon lès Lîdjwès !

 

Et ni v’là-t-i nin qu’ lès cèlîhes tchantèt

lès bèlès promesses

dè hièrdî Hanèsse.

Et ni v’là-t-i nin qu’ lès cèlîhes tchantèt :

10    « Id d’vèt t’ni parole, lès cis qu’ promètèt. »

 

Et ni v’là-t-i nin qu’ lès cèlîhes djåsèt

d’ine mèdaye bènèye

qu’asteûre on roûvêye !

Et ni v’là-t-i nin qu’ lès cèlîhes djåsèt

15    tot fant fé dès hopes å coûr dè valet !

 

Et ni v’là-t-i nin qu’ lès cèlîhes vantèt

l’amoûr sins fåstrèye

qu’èst si råre à l’ vèye !

Et ni v’là-t-i nin qu’ lès cèlîhes vantèt

20   lès-oûys d’ine kimére qu’i qwita sins r’grèt.

 

  1. hågnêye, étalée; houbète (franc, rég. « aubette »), petit édicule, hutte de branchages; ici : auvent en toile, échoppe (syn. de teûtê, DL, fig. 688). — 5. Il s’agit de la place du Marché, face à l’hôtel de ville de Liège, où sont installées des marchandes de fruits et légumes.
  2. La médaille bénite est celle de Notre-Dame de Chèvremont, pèlerinage traditionnel des Liégeois, sur la commune de Chaudfontaine. — 15. … des bonds dans le cœur du garçon.

 

(p.379)

Et volà, loukîz, qu’ lès cèlîhes lî d’hèt :

« T’as bin stu trop vite po roûvî Magrite ! ».

Et volà, loukîz, qu’ lès cèlîhes lî d’hèt :

25    « Rècoûr dilé lèy, èle ti consolerè ! »

 

« Li p’tit hièrdi. Poème », Liège, 1926, pp. 133-134 (extrait du 5e chant).

 

  1. Et voilà, tenez…

 

 

(p.380)

EMILE WIKET

(1879-1928)

 

Né et mort à Liège où il occupa les fonctions de secrétaire à l’école d’armu­rerie de la ville.

Comme Jean Bury, son aîné avec lequel il se lia, Wilket fut un auteur précoce, mais ce n’est qu’après plusieurs années qu’il réunit en deux plaquettes (Douces tchansons, 1907 et Volans-gne tchanter ?, 1909) un répertoire de chansons variées; à la même époque, il écrivit pour le théâtre wallon une quinzaine de comédies. Les unes et les autres se sont rapidement effacées devant le succès durable du P’tit banc que popularisait la mélodie de Pierre Van Damme.

En 1901, une nouvelle en prose, Li sûre ås låmes [La fontaine aux larmes], dont le titre à lui seul rappelle le « lèyîz-m’-plorisme », ouvrait à Wiket une source d’inspiration élégiaque qu’il devait exploiter, notamment dans les dix sonnets de Li tchanson dès båhes (1913) [La chanson des baisers], tandis que les courtes pièces de Li tinrûle corone (1923) [La tendre couronne] le montrent qui ronsardise en mignardant.

Petit maître à la sensibilité mièvre, chantre du bonheur fugitif et de l’amour nostalgique, son œuvre dessine une carte de Tendre où figurent à profusion serments et soupirs, sourires et larmes, papillons et fleurs — toute une emblé­matique de l’érotisme conventionnel et désincarné dans le style de la Belle Epoque.

 

 

144                                                                                                        [Liège]

Li p’tit banc

(Mélodie de P. Van Damme)

 

Tot près dè vî pont, i n-a-st-on p’tit banc

wice qui dj’a sovint miné m’ binamêye,

on banc come in-ôte wice qui lès galants

4   minet leû monkeûr qwand 1′ nut’ èst toumêye…

A ! s’ ti poléves dîre tot çou qu’ t’as vèyou

dispôy qui t’ès là, pitit banc qu’on-z-in.me !

A ! s’ ti poléves dîre tot çou qu’ t’as-st-oyou,

8    dès boûdes, dès sièrmints… èt tofér lès min.mes !

 

LE PETIT BANC — Dans la première version, le titre était Li p’tit banc so l’ quai. 1. Var. de 1899 : So /’ quai, près de pont… — 8. boude, mensonge.

 

(p.381)

Ti rapinses-tu co di l’osté passé ?

Nos t’ vinîs vèyî deûs fèyes li samin.ne…

Binamé p’tit banc, louke, rin qu’ d’î tûser,

12   dji sin qu’ dji frusihe dji r’veû Madelin.ne.

Awè, djèl riveû, èt c’èst là m’ måleûr :

n’è pôrè-dje don måy aswådjî m’ pinsêye ?

Sovenance qui m’ fêt må, ca por mi l’ boneûr

16   n’èst pus qu’on bê sondje, ine doûce djôye passêye…

Mins poqwè fåt-i, là qu’on-z-a vint’ ans,

qui l’ coûr si lêsse prinde à ‘ne clére riyoterèye ?

Et kimint s’ fêt-i, pôves sots qui n’s-èstans,

20    qu’ nos n’ nos dotanse nin qu’ l’amoûr n’èst qu’ tromperèye ?

Tot près dè vî pont, i n-a-st-on p’tit banc

wice qui dj’a sovint miné m’ binamêye,

on banc come in-ôte, wice qui lès galants

24   båhèt leû monkeûr qwand l’ nut’ èst toumêye…

 

« Frûzions de cour. Rîmès tchûsis da Emile Wiket », édition posth. par Octave Servais, Liège, [1938], pp. 66-67. Repris de Douces tchansons, Liège, 1907, p. 10; premier état paru dans Li Spritche, II, n° 21, novembre 1899.

 

 

145

Pawoureûseté

 

Dizos l’ bleu cîr, l’arondje

pidjoléve djoyeûsemint

èt, come lèye, mès p’tits sondjes

4   s’ènêrît lèdjîremint.

 

  1. aswàdfl, soulager.
  2. riyot’rèye, badinage, plaisanterie.

 

FRAYEUR

  1. arondje (var. aronde), hirondelle. — 2. pidjoler, voltiger, caracoler. — 4. s’ènêrî, prendre son envol, son essor.

 

 

(p.382)

Qwand, tot d’on côp, ‘n-orèdje

vina rèvinter tot;

èt mès sondjes, è fouyèdje,

8    si såvît come dès sots.

 

Li tére si lamièn’téve

èt m’ Boneûr djèmihéve

come in-oûhê blèssî…

 

12    Mins qwand, k’hiyant ‘ne nûlêye,

li solo fa ‘ne trawêye,

tos mès p’tits sondjes tchantît !

 

1913

Li tinrûle corone, dans Bull. Soc. de Litt. watt., t. 57, 1923, p. 42. (Ce sonnet n’a pas été repris dans le recueil posthume de 1938).

 

  1. rèvinter, mettre en émoi, agiter.

10 …  déchirant un nuage. — 13. trawêye, trouée.

 

 

(p.383)

HENRI GEORGE

(1879-1952)

Né et mort à Tournai. Une infirmité, contractée dès l’enfance, le contraignit à une vie confinée. Il n’en rompit le silence que pour s’enhardir, discrètement et sur le tard, dans le domaine de la poésie, française d’abord, dialectale ensuite. Le seul recueil qu’il ait consenti à livrer au public — et encore, sous le pseudonyme révélateur de Jacques Tranquille ! — est une plaquette qui ne fut diffusée qu’en exemplaires polycopiés : El trwasième diminche de l’ karmèsse (1935). Elle faisait bien augurer d’un talent dont on regrettera qu’il ne se soit pas manifesté davantage.

 

 

146                                                                                               [Tournai]

Pièrètes et Pièreots

 

Ch’éteot P Mi-Carême, i-aveot dins lés rues

ène masse de musiques, dés tas d’ gins masqués.

In face du Grand-Garde, ch’éteot ène cohue

4   et 1′ cortêche aveot du mal de passer.

Cha, ch’ ‘teot in cortêche ! Lés prumiés in tiète,

i-éteot’tê pus d’ chint, tous’ in calikeot :

juste autant d’ Pièreots qu’i n-aveot d’ Pièrètes,

8    juste autant d’ Pièrètes qu’i n-aveot d’ Pièreots.

 

Après cha, ch’éteot ène éôte mascarate,

pwis v’ià deûs Pièreots qu’i s’ seont ratardés

et qui n’ trouv’tê pus 1′ binde dés camarates :

12   Pièrète par ichi, Pièreot d’ l’éôte coté.

I n’ seont po Fin d’ l’éôte pus d’à cheonk-sî mètes,

mes lès-amoureûs, ch’èst corne dés bièc-beos.

Pièreot, i s’inquiète de n’ pus vir Pièrète,

16   Pièrète, elle est triste de n’ pus vir Pièreot.

 

PIERRETTES ET PIERROTS. — Pour certaines particularités de la prononciation et de la graphie tournaisiennes, on se reportera ci-dessus au texte n° 104.

  1. En face de la Grande-Garde, ancienn* la Halle aux draps. — 6. chint, cent; « tous en calicot », c.-à-d. dans le costume en tissu de coton que portent les jeunes gens et jeunes filles travestis en Pierrots et en Pierrettes.
  2. Ils ne sont pas l’un de l’autre à plus de cinq-six mètres. — 14. … c’est comme des piverts; ici, au fig. : des lourdauds. — 15. Pierrot, il… : sur cette reprise du sujet, tournure courante en picard, cfr la note 7 du n° 104.

 

(p.384)

Pauve petite Pièrète ! elle a l’invie d’ brêre,

elle ortourn’reot bin tout d’ swite à s’ masèon !

Et Pièreot s’ désole, i n’ set pus qwa faire,

20   i va corne quéqu’in qui-a perdu s’ résèon.

Pour Fin corne pour l’éôte, ch’èst ène triste fiète;

au lieu d’ s’amuser, i-eont leûs cœurs bin greos :

par ichi Pièreot cache après Pièrète

24   et par là Pièrète cache après Pièreot !

 

Pindant tout-in tans, j’é suivi 1′ cortêche.

J’areos bin voulu lés vir s’ortrouver,

mes d’ lés vir à deûs, i n’aveot po mèche :

28   j’ véyeos Fin, pwis l’éôte, mes lés deûs, jamés !

J’é rintré dins F bal in m’ disant qu’ pétète,

in dansant t’t-à Feure on s’ rincontréreot.

Mes Pièreot d’ssus F banc atindeot Pièrète

32   et Pièrète bin sache atindeot Pièreot.

 

Et pindant dès-eures, au son de F musique

— vous savez qu’ cha dure tout jusqu’au matin —

i seont restés là come deûs vrés-antiques,

36   pwis i seont partis, chakin pa s’ kémin.

J’ lés-é vu partir : Pièreot baisseot s’ tiète

et j’é intindu Pièrète qu’èle brèyeot…

Et pindant ç’ tans-là, toutes lès-éôtes Pièrètes

40   danseot’tê gaimint avec leûs Pièreots.

 

… Hélas ! dins la vie, ch’èst bin souvint F même :

on resté vièle file ou bin vieûs garchèon;

et ch’t-acor pus triste qu’à F Demi-Carême :

44   F carnaval, ch’èst court, mes la vie, ch’èst lèong…

On est treop timite, treop fier ou treop… biète,

on vient d’ène famile bin treop come i fèot

et Pièreot viélit in r’grètant Pièrète,

48    et Pièrète es’ fane in r’grètant Pièreot.

 

  1. brêre, pleurer. — 23-24. cache, cherche.
  2. … il n’y avait pas mèche, c.-à-d. pas moyen.
  3. … deux vrais antiques, c.-à-d. comme des objets surannés et délaissés. — 38. et j’ai entendu Pierrette qu’elle pleurait, pour : qui pleurait. Cet emploi de la conjonction de subordination que en fonction de pronom « relatif général » est un trait de syntaxe parlée courant dans nos dialectes.

 

(p.385)

Et cha dure insin pindant dés-innées,

et quand on s’ rinconte, on s’ fét dès saluts.

Qwa ç’ que vous voulez, ch’èst ène destinée !

52   I-arife même alfeos qu’on n’ s’orconeot pus.

On s’ résine, ch’èst vré, mes toudi on r’grète,

et alfeos on s’ dit, quand on soufre êd’ treop :

« Corne êj’ s’reos ureûs si j’aveos Pièrète !

56   — Corne êj’ s’reos continte si j’aveos Pièreot ! »

 

Et par in byèo jour in cortêche i passe,

on seone à l’églisse pou in n-intièr’mint,

et l’ vieûs, ou bé P vièle, i dit’ à vwas basse :

60    « Acor in qui passe pou m’ montrer P kémin.

—  Qui ç’ que ch’èst cèle-la qu’on mène à Mulète ?

—  Qui ç’ que ch’èst c’ti-là qu’on porte à Navyèo ? »

On dit : « Ch’èst ène télé ». Pièreot : « Ch’èst t’ Pièrète ! ».

64   Ou bin : « Ch’èst in tel ». Pièrète : « Ch’èst t’ Pièreot ! ».

 

Awi, mes bones gins, ch’èst ène triste istware,

dès-istwares parèles, on in set tèrtous

pace qu’i d-a bokeop — cha, vous pouvez m’ cwâre —,

68    et ch’èst pétète même vo-n-istware à vous.

Et p’tète qu’avec mi, tout bas, in cacheté,

wê, vous P dites tout bas, mi je P dis tout hèot :

« Ah ! lès pauves Pièreots qui n’eont po d’ Pièrètes !

72   Ah ! lès pauves Pièrètes qui n’eont po d’ Pièreots ! »

 

« El’ troisièm’ Diminch’ de /’ Karmesse. Poèmes et Cancheonnes in patois d’ Tournai », s.l., 1935, pp. 44-47.

 

  1. alfeos, parfois (litt* : à la fois). — 53. On se résigne…
  2. … ils disent… — 61-62. Mulette et Naveau sont les noms des deux cimetières de Tournai.
  3. parce qu’il y en a beaucoup (ça, vous pouvez me croire).

69-70. La syntaxe de la phrase présente ici une anacoluthe : des ruptures de construction analogues sont expliquées par L. Remacle, Syntaxe, 3, pp. 279 ss.

 

 

(p.386)

JOSEPH DURBUY

(1882-1963)

 

Originaire de la Hesbaye hutoise (il est né à Vaux-et-Borset), agronome et marchand de bestiaux, Joseph Durbuy — qui débuta comme chansonnier peu après 1900 — devait s’imposer parmi les maîtres de la comédie dramatique, entre les deux guerres mondiales, aux côtés d’Henri Hurard et de Nicolas Trokart. Si les pièces dont il a enrichi le théâtre wallon, telles Bouyote (1926) ou Li fosfate (1928), ont d’autres mérites qu’une connaissance attachante du milieu rural, c’est ce dernier pourtant qui a marqué de son empreinte la personnalité de Durbuy, et peut-être plus encore celle du poète ou du conteur que celle du dramaturge. Sa profession lui inspira, entre autres poésies, le dialogue plein de vivacité, qu’on lira ci-après, entre un habile marchand de porcs et une fermière non moins rusée.

 

 

147                                                                                     [Vaux-et-Borset]

Handèle

 

« Kibin, nosse dame, po lès cossèts ?

— Po qwand ‘nn’aler ? — Londi, cinserèsse.

— M’ènnè donrez-ve à dîh-ût pèces ?

4   — Dîh-ût pèces !… Poqwè nin l’ bilèt,

tant qu’ vos-î èstez ? Ca, ma fwè,

vos n’ droûvrîz nin vosse boke pus lådje

èt vos lèvrîz co pus d’îmådjes.

8    Mins… C’èst bêcôp trop tchîr, parèt !

 

marché

  1. Combien, patronne, pour les porcelets ? Nosse dame : tour familier qui s’adresse, en milieu paysan ou populaire, à la maîtresse de maison. — 2. Pour enlever (litt* : partir) quand? — Lundi, fermière. — 3. ènnè (en) se rapporte à cossèts; … à dix-huit pièces, la pèce désignant autrefois une pièce de 5 francs. A la demande du marchand, la vendeuse fait son prix : 80 francs par bête (le poème a été écrit avant la guerre de 1940…). — 4. … Pourquoi pas le billet [de 100 francs] ? — 7. et vous lèveriez (c.-à-d. toucheriez, recevriez) encore plus d’images (allusion aux billets de banque). — 8. parèt, (il) paraît employé comme interjection : voyez-vous ! sachez-le !

 

(p.387)

—  Trop tchîr, dihez-ve?… Nin tant sûremint;

il åront d’min leûs sèt’ samin.nes,

èt v’ qwîrrîz co lontins ‘ne dozin.ne

12   di pus hêtîs ! — Dj’ènnè convin;

mins dji veû deûs pus p’tits là-d’vins !

Vos d’vrîz co lès wårder ‘ne tchokète;

qwand l’ mére n’årè pus qu’ zèls ås tètes,

16    ç’ sèrè vite deûs clapants noûrins.

 

Fez-me on pris po lès dî pus bês !

—  Dji l’a fêt; c’è-st-à vos dè dîre.

– Djusse !… Li cosselêye è-st-à m’ manîre;

20   vos-årez sèt’ cints po l’ hopê.

—  A quatwaze pèces, vos !… Nèni, dê !

Is n’iront nin foû d’ chal mons d’ saze !

—  A ç’ pris-là wice volez-ve qui dj’ vasse ?

24   Tinez, vos ‘nn’ årez qwinze. Est-ce fêt ?

—  Rimètez l’ pèce ! — Mins dji n’ såreû !

Dji boute chal po fé tére èwale;

dji n’ gågnerè d’djà nin ‘ne vète grusale !

28   — Adon, dji såyerè ‘n-ôte aketeû.

Nos n’èstans nin mariés nos deûs.

—  Si vos savîz come djèl rigrète !

—  Potince ! Wårdez vos quolibètes,

32    èt si n’ sèyîz nin si vîreûs !

 

—  Vîreûs, mi ?… Mins, nosse dame, c’èst vos !

Si dji v’ hoûtéve, diåle mi posséde !,

 

  1. hêtî, sain, bien portant — 14. … les garder un certain temps. — 16. noûrin, nourrain, jeune porc sevré.
  2. dî, dix. — 19. La portée (= l’ensemble des cossèts) est à mon idée (litt. : à ma manière). — 20. po l’ hopê, pour le tas, pour le tout, désigne ici la cosselêye du v. pré­cédent. — 21. A quatorze pièces (cfr v. 3), vous!… Non, certes! — 22. … moins de seizes (pièces).
  3. Remettez les cinq francs. — 26. bouter au sens de ajouter (ici, ine pèce); fé tére èwale (expr. arch.), litt. : faire terre égale, c.-à-d. faire compensation, équilibrer. — 27. Le sens est : au prix que vous me faites, je n’aurai déjà aucun bénéfice (une vète gruzale, groseille verte, est chose sans valeur). — 28. ae’teû, acheteur. — 31. Potince! litt’: [gibier de] potence !, avec forte atténuation comparable à « coquin ! » pris au fig.; quolibètes, sornettes. — 32. et ne soyez pas si entêté (à contredire).

 

(p.388)

dji lêreû chal tote mi boûrsète !

36   — Vos n’avez wåde, vî fin matchot !

Et dji v’ va dîre mi dièrin mot;

avou vos-ôtes, i s’ fåt disfinde :

lès prindrez-ve ? Ou n’ sont pus à vinde !

40   — Fårè co bin qu’ dj’î passe oûy, djo !

 

—  Deûs francs d’ quowe, èdon, come todi ?

Dji n’ vou nin qui l’ hièrdî m’ quèrèle.

— Dji n’ discute djamåy li dringuèle;

44   c’èst l’ boneûr dès bièsses, corne on dit.

Fôrez-lès bin leû-z-apétit.

—  V’ n’avez nin dandjî d’avu sogne;

chal, vos savez bin come on sogne.

48    Vos n’ lès rik’noherez nin londi !

 

—  Po ça, v’s-årez ‘ne pougnèye d’êdants,

èt po qui l’ handèle mi pwète tchance,

po l’ prumî pôve volà deûs cens’.

52 Eco ‘ne afêre di båclèye, djans,

come sovint, tot nos disputant !

Dji m’ va pôr achever m’ toûrnêye !

—  Et mi dj’ va rataker m’ bouwêye.

56   — Bon corèdje, dame ! — Bone tchance, martchand ! ».

 

Bull Soc. de Litt. wall., t. 69, 1953, pp. 41-43 (extrait de « Copules et djavês * [Dizeaux et javelles]).

 

  1. … toute ma bourse. — 36. vous n’avez garde, vieux roublard; sur matchot et fin matchot, cfr DL, 396.
  2. Deux francs de surplus (litt* : de queue), n’est-ce pas, comme toujours ? C’est la dringuèle ou gratification (v. 43) destinée au hièrdî ou vacher (v. 42) qui conduira les bêtes. Le paiement en est réclamé par la vendeuse à l’acheteur, qui accepte suivant la coutume (v. 43-44). — 43. forer, pourvoir de nourriture (le bétail). Le vers peut se traduire : ne les laissez manquer de rien.
  3. êdants, argent, sous, syn. de cens’ (v. 51). — 52. Encore une affaire d’arrangée, bon. — 54. pôr, cfr note 29 du n° 36. •— 55. bouwêye, lessive.

 

 

(p.389)

ADOLPHE FRAYEZ

(1883-1917)

 

Né à Tournai, mort à Lille où les événements de la première guerre mondiale l’avaient contraint de se réfugier.

Adolphe Frayez, qui était le fils d’un chaudronnier, suivit les cours de l’Institut Commercial de Mons, exerça la profession de comptable à Tournai et se consa­cra surtout à la littérature dialectale. Une mort prématurée ne lui permit pas de donner la pleine mesure de son talent de chansonnier, qu’un témoin de l’époque a décrit comme suit : « Entré au Cabaret wallon en 1907, dès sa création, un don de diseur incomparable, une ébouriffante et sobre fantaisie lui assurèrent des succès continus. Barbe noire, cheveux rebelles, les yeux noirs pétillant de malice derrière le binocle, mince dans son vêtement noir, Adolphe dèl Pèquewize (pseudonyme adopté après le succès de Pékeu-Wizeu) lançait ses couplets d’une lèvre moqueuse et d’une voix très personnelle, à la fois souple et rude » (C. Roty, V.W., 27, p. 17).

Ce qu’étaient les chansonniers montmartrois dans la vie parisienne des années 1900, Frayez le fut pour le pavé tournaisien avec ses types, ses traditions, ses scènes de quartier qui lui inspirèrent une veine de réalisme humoristique où se mêlait parfois une note sentimentale. Sous le titre de In lusotant (En musar­dant), il publia en 1910 un recueil de chansons, réédité et augmenté en 1912 et 1913. Au théâtre tournaisien, il apporta aussi sa contribution comme auteur et comme acteur.

 

 

148                                                                                               [Tournai]

Pékeû – Wizeû !

(Dictèon tournizyin)

 

Et 1′ bèon Dieu dit, in-n-étindant ses nains

su leu tiète :

« In vérité, ch’èst mi qui vous F di,

vous s’rez pus tard dins 1′ paradis.

I vous s’ra bôkeop pardoné

car vous arez bôkeop péké. »

(Nouvièo  tèstamint :  ï  pèke miraculeuse).

 

PECHEUR – PARESSEUX. — Dicton populaire à Tournai. L’air est celui de la chanson de Xanrof : Héloïse et Abélard. (Pour certaines particularités de la prononciation et de la graphie tournaisiennes, on se reportera ci-dessus au texte n° 104.)

 

(p.390)

A 1′ pikète du jour, quand 1′ solèl

nous-a lanché s’ prêmié cwin d’ wèl,

i-èst d’jà prêt avec sés-otieûs,

4                 pékeû – wizeû ! (bis).

I s’in va tout 1′ lèong dé 1′ rivière

tout-in ressuyant d’ ses paupières

lés cachives qui colent à sés-yeûs,

8                 pékeû – wizeû ! (bis).

 

Ch’ n’est po in pékeû d’ôcazièon,

s’ pèke elle a pus d’ trwas mètes de lèong,

et à 1′ vîr aussi corajeûs,

12                 pékeû – wizeû !,

in n-orwètyant sés-instrumints,

on n’os’reot po faire autèrmint

que d’ dire : « Ch’èst bin in vrè pékeû,

16          in vrè pékeû, in vrè wizeû ! ».

 

I-èst fort bin conu dés pissèons

et quand i 1′ veot’t-ariver d’ lèon,

i s’ di’ttê d’jà : « Tins, v’ià 1′ swayeû ! ».

20                 Pékeû – wizeû !

Li n’ poureot po in dire autant :

malgré qu’i pèke êd’pus dis-ans,

i n’a jamés pris qu’in blanc-yeûs,

24                 pékeû – wizeû !

 

Més i-a d”jà pris dés tas d’ pwalèons,

dés sorlés, toute inné colèscièon;

mes, intèr nous, ç’ qu’i-a d’ pus curieûs,

28                 pékeû – wizeû !,

on dit qu’i-a inné décoracièon,

pace qu’in jour, au bout de s’n-am’çèon,

i-a pris in nwayé par ses ch’feûs,

32                 pékeû – wizeû !

 

  1. nous a lancé son premier clin d’oeil. — 3. otieû, outil; ici, les instruments du pêcheur. — 7. cachive, chassie.
  2. pissèon, poisson. — 19. swayeû, gêneur, fâcheux. — 23. blanc-ieûs, poisson plat (de l’ordre des pleuronectes).
  3. sorlé, soulier.

 

(p.391)

Assis tout l’ journée dins l’ verdure,

i-atrape… dés kèrvasses, dés-inj’lures

et dés romatisses quand i pleut,

36                 pékeû – wizeû !

Aussi s’ finme dit, avec résèon,

« J’ n’aré jamés d’indijèssièon

avec ce qu’ t’atrapes, te ses, fieû,

40                 pékeû – wizeû ! »

 

Cha i èst ! F bouchèon i-èst-à Fyèo,

pus ryin ne bouje : ni F grand capièo,

ni F pèke, ni F pipe, ni F sarèo bleu,

44                 pékeû – wizeû !

Pwis s’ tiète cominche à bâte la m’zure;

deûs minutes après, on est sûr

qu’i ronfièle corne in binnureûs,

48                 pékeû – wizeû !

 

Tout d’in kèop, i sint que s’ fichèle

èle se tint : d’in bèond i s’ révèle;

d’ssus s’ baguète i saké tant qu’i peut,

52                 pékeû – wizeû !

Mo Dieu, qwa ç’ que cha peut bin n-ète ?

Cha s’reot bin F brôchét-à-neunètes…

Mes néon, ch’ n’est qu’in vieûs tchin ripeûs,

56                 pékeû – wizeû !

 

Come i n’ peut po r’vénir sans ryin,

i-acate deûs trwas douzinnes d’érins

qu’i raporte pus franc qu’in tingneûs,

60                 pékeû – wizeû !

Seûl’mint i n’ vous-a jamés dit

qu’i lés-aveot pris… à Cadie,

mes qu’i lés-a pris li tout seû !

64                 Pékeû – wizeû !

 

  1. … des crevasses (aux doigts), des engelures.
  2. pèke, canne à pêche; sarèo, sarrau.
  3. Ce serait bien le brochet-à-lunettes. — 55. ripeûs, galeux.
  4. … plus hardi qu’un teigneux (dicton populaire signifiant: effronté comme pas un).

— 62.  Cadie  (Léocadie)  Toussaint, marchande de  poissons très  connue  à Tournai,  à

l’époque de Frayez.

 

(p.392)

I s’ couche et tout d’ swite i s’indort…

In l’intindant ronfler si fort,

s’ finme s’évèle et dit : « Bé mô Dieu,

68                 pékeû – wizeû !,

chê n’ s’ra p’acore pour aujordwi,

ch’èst-à peu près F minme tous lés nwits :

ch’èst 1′ cas dé F dire trwas feos pour deûs :

72                 Pékeû – wizeû ! ».

 

« In lusotant… Canchéonnes in patois d’ Tournai », 2céd., Tournai, 1912, pp. 11-14. Pour le texte et les notes, on a utilisé l’édition critique de ce recueil par Marcel Hanart (Mémoire de licence en phil. romane, Louvain, 1968, 243 pages stenc.).

 

 

149

Lés coucoubakes

 

Quand vient l’ Toussaint, dins no bèone vile,

ch’èst la mode qu’on fét d’pwis tout tans,

dés coucoubakes dins lés familes :

4              cha fé tant plézir aus-infants !

Ch’èst-aussi F moumint pou lés gosses,

d’ faire balancher leu pat-à-fleurs;

i sèont fin contints, ces p’tites rosses,

8           acoutez-lés canter d’in bèon keur :

 

LES CREPES. — L’usage de faire des crêpes à la Toussaint est une tradition tournai-sienne. Elle s’accompagnait, chez les enfants, de la coutume des « encensoirs » évoquée également dans la chanson de Frayez et comparable à la fête des « alumoires » et des « cafotins » dans la région voisine, en Flandre wallonne (EMVW, 2, 298 ss.).

  1. pat-à-fleurs, pot à fleurs, ici figurant un encensoir suivant l’habitude qu’avaient les petits Tournaisiens « de remplir de braises recouvertes d’encens ou de résine une simple boîte percée de trous, plus souvent un pot à fleurs. En balançant comme un encensoir leur pot suspendu à des fils de fer ou d’archal, ils se rendaient de porte en porte et sollicitaient, des personnes qui les accueillaient, des Coucoubakes toutes kéôdes ou Inné çans’ pou la Vièrje » (M. Hanart, op. cit., p. 211).

 

(p.393)

Orfrin

A ! lés coucoubakes, lés coucoubakes toutes kéodes,

qu’on f’ra pour nous-éôtes !

A ! lés coucoubakes, lés coucoubakes toutes kéodes,

12              queu bèone chère on f’ra,

quand on lés minj’ra !

 

A tour de bras, mamêre, avite,

siteot qu’on a fini d’ dinner,

16              deot récurer F pus grande marmite :

1′ swar két vite, i n’ féôt po trinner !

Pindint ç’ tans, mi, avec inné pwinte,

j’ fé dés trèos dins in pat-à-fleurs;

20              j’ cache in fil de fier pour mi F pinde,

et d’ssus F rue j’ minkeur corne in voleur.

Alèons, mamêre, i-èst tans qu’on wève.

Ave F fleur, dé F gui et du lét,

24              flic, flac, flic, flac, fêtes vo candwève,

tapez d’dins, pour bin F démêler…

Ch’èst po cha, mi, qui m’antérêsse;

vous n’ voulez po m’ doner du beos :

28              j’ trouv’ré bin mwayin d’ faire dés braises

in cassant êl dessus n’ mes chabeots !

 

Vlà qu’èle me dit d’aler li quêre

dè l’ castonade et du gras d’ lard;

32              « Va vite surtout, tache dé n’ po kêre

èt su l’route en’ perds po tés liards ! ».

Corne i-orvêneot tout juste inné çans’,

èle m’a dit que j’ pouveo l’ warder,

36              ch’éteot bone-bèonê pou d’ l’ inçans’,

j’é keuru bin vite in n-acater!…

 

 

  1. Reprise de la première des deux formulettes de quête citées ci-dessus.
  2. avite, vite. Jusqu’au v. 45, c’est le gamin de Tournai qui parle. — 18. pwinte, clou. — 20. je cherche…
  3. … il est temps qu’on travaille. — 23. Avec de la fleur [de farine], de la levure et du lait. — 24. candwève, pâte.
  4. èle désigne la mère du gamin; elle le charge d’aller lui chercher, pour la préparation des crêpes, de la cassonade et du lard gras (v. 31). — 36. bone-bèonê, la bonne aubaine.

 

(p.394)

Quand 1′ feu s’ra clér, èle prindra s’ louche.

Tout n’ minme êj’ voudro bin savwar

qui c’ qui ara ceule première couche :

on va disputer pour l’avwar !…

Mes r’wètiéz m’n-èome avec es’ bwate,

corne i va d’in n-ér décidé !…

44              Atindez, vous vèrez qu’ ch’èst chwate,

j’ swi bin sûr que 1′ eu va s’ dessouder!…

 

Et cèle odeur d’inçans’ et d’ graisse d

ins 1′ ciel gris, montant sans-éfort,

48              va révèlier corne inné caresse

l’âme de nos parints qui sèont morts…

Acoutez bin F vint qui chufièle,

ch’èst eus’ qui vyinn’t autour de nous

52              répéter l’orfrin qu’on bèrièle,

corne in sourdine, tout dous, tout dous…

 

A ! lés coucoubakes, lés coucoubakes toutes kéodes,

qu’on fét pour lés-éôtes !

56   A ! lés coucoubakes, lés coucoubakes

toutes kéodes, damadje qu’on n’ d-a pas, d’u ç’ qu’on est là-bas !…

 

29 novembre 1910.

 

Ibid.,  pp.  49-51.  Même remarque.

 

  1. ceule, cette (v. 46 : cèle). — 42. Mais regardez mon bonhomme avec sa boîte. Le gamin change tout à coup de sujet pour narguer un rival trop fier de sa boîte à braises !
  2. … le vent qui siffle. — 52. bèrler, crier, pleurer en gémissant.

 

(p.395)

150

L’ Batême du p’tit Nicodême

 

Raconté par inné invitée

C’est l’enfant d’Angélique

qu’an vient de batiser;

i faut que j’ vous esplique

4          tout c’ qui s’a là passé.

Attendez une minute,

l’eau dans 1′ bouloire elle bout.

J’ mets 1′ café dans 1′ minute

8    et 1′ minute eddans 1′ marabout.

Finme, assisez-vous là,

êj’ va vous racanter tout ça.

 

Refrain

Tout d’ même,

12                 ça ç’t-in batême,

que P batême du p’tit Nicodême !

Tout d’ même, ça c’t-in batême !

16                 Tant que j’ vivrai,

j’ m’en souviendrai !

 

Ça fait qu’ainsi, l’ mopère nous avait anvité,

20           disant qu’i-avait l’ fin verre

de vin à déguster; c’était dè l’ buscurisse,

que ça n’est pas permis :

24          j’en ai-z-attrapé P drisse

et j’en suis pas encore ormis !

 

 

LE BAPTEME DU PETIT NICODEME. — Cette chanson n’est pas du tournaisien pur. Dans le recueil de Frayez, elle fait partie du groupe de pièces intitulé « Quand j’ m’aparle ». A Tournai, s’aparler, c’est « vouloir parler français et le parler mal » (M. Hanart, op. cit., p. 193). / n’ cause pus patwas : i s’aparle, savez ! Il en résulte un langage hybride, mélange cocasse de français et de patois.

  1. an pour on. « \Japarlaje manifeste une prédilection abusive pour la nasale an » (M. Hanart, op. cit., p. XLI, note). Cfr ci-après : racanter, ansi, anvité, j’ lui répands, honteux, etc. — 7. minute, filtre à café. — 8. marabout, cafetière.
  2. mopère, père. — 22. buscurisse, boisson plate, sans saveur. — 24. drisse, diarrhée.

 

(p.396)

L’enfant, à 1′ rache du corps,

i criait an n’ peut pas pus fort !

 

28          Ça fait que l’accoucheusse,

en f’sant dès-arias,

ell’ dit d’une voix crincheusse :

« Mes ç’n-infant, quoi ç’ qu’i a ?

32          — Tins, bé, i-orsanne es’ père »

dit 1′ marraine l’air de rien.

« Si i-a beon caractère, i n’orsann’ra

po d’u ç’ qu’i vient ! »

36          L’enfant, à 1′ rache du corps,

i criait d’ pus en pus fort !

 

« Bé, finme, donnez li 1′ tète »

à 1′ manière, que j’ lui dis,

40           « et i’ s’ taira pétète;

alez, risquez toudi ».

Elle me répand tout dak :

« Donnez les votes avec;

44          mi, je n’ suis po ène vake

et les deux miennes, i seont à sec ! »

L’enfant, à F rache du corps,

i criait d’ pus fort en pus fort !

 

48          An s’en va à l’églisse,

l’estomac bien rempli.

Via que 1′ marraine elle glisse,

elle ramasse es’ bouli !

52           Elle me dit :  « Vielle salope,

vous l’avez fait esprès :

vous marchez d’sur ma rope

et j’ vois bien qu’ vous serchez après ! ».

56          L’enfant, à 1′ rache du corps,

i criait d’ pus fort en pus fort !

 

 

  1. « à la rage de », expression marquant l’intensité; ici : de toutes ses forces.
  2. faire dès-arias, faire des embarras. — 32. … il ressemble à son père.
  3. tout dak, du tac au tac.
  4. ramasser s” bouli, ramasser son « bouilli », tomber.

 

 

(p.397)

Moi, f lui répands tout d’une :

« Vous l’avez vite trouvé !

60          Si vous avez vo prune,

moi, je n’ suis pas kèrvé !

Dire que j’ suis-t-une salope,

à moi, ça c’est hanteux !

64          Moi, j’ dis qu’ vous été une prope

et an a menti tous les deux ! ».

L’enfant, à 1′ rache du corps,

i criait d’ pus fort en pus fort !

 

68           Elle met l’enfant par terre,

puis elle me saute à z-yeux;

je n’ me sens pas d’ colère,

je l’attrape par ses ch’feux.

72          J’ lui arrache de s’ tignasse,

les chichis qu’elle a d’dans,

et d’ Faute main j’ lui ratasse

Au fand de s’ bouche tous ses fausses dents !

76          L’enfant, à 1′ rache du corps,

i criait d’ pus fort en pus fort !

 

Infin, an nous sépare,

et sans faire pus d’ pétard,

80           à l’églisse an démarre,

avec une heure d’ortard !

El fête elle est foutue,

mais c’ qui-a d’ pus dégoûtant,

84          c’est qu’au mitan de 1′ rue

elle avait oublié l’enfant !

L’enfant, à 1′ rache du corps, i criait d’ pus fort en pus fort !

88           Puis en t’nant Nicodême

sur les fands batismals,

au moment du batême,

l’ marraine elle se troufe mal.

 

 

  1. avoir sa prune, être émêché. — 61. kèrvé, crevé; ici, au fig, ivre.

 

 

(p.398)

92          Ça fait qu’à 1′ sacristie,

i-a follu la porter; moi, j’ criai :

 « Sale chipie ! Elle a ce qu’elle a mérité ! ».

96          L’enfant, à l’ rache du corps,

i criait d’ pus fort en pus fort !

 

Infin v’là qu’elle s’évèle;

aussi vite êl papa

100          lui dit : « Bin, queu nouvèle,

Maraine, comint cha va ? ».

Elle, comme sortant d’in rèfe,

dit en ouvrant ses yeux :

104           « Donnèz-m’ène goutte de g’nèfe

et j’ parie bin qu’il ira mieux ! ».

L’enfant, à l’ rache du corps,

i criait d’ pus fort en pus fort !

 

108          Mes quoi c’ qu’il a ce gosse

d’ toujours berler ainsi ?

J’ veu en savoir la causse !

L’ curé dit : « Moi aussi ! ».

112          Pou F rende un peu pus sache,

j’ dis à mossieu F curé :

« J’ va lui défaire ses fâches et j’ suis sûre qu’i s’ra rapuré ».

116          L’enfant, à l’ rache du corps,

i criait d’ pus fort en pus fort !

 

Là-d’sus, je l’ démaliote,

êç petit couche-tout-nu;

120           avant qu’ je F rasticote,

j’orgarde vous savez d’u…

Quoi c’ que j’ troufe dans ses fâches,

c’est pas c’ que vous pensez :

124          c’était, bone sainte Arache,

un vieux sale petit sou français !

 

 

  1. bèrler, crier. — 114. fâche, lange. — 115. rapuré, apaisé.
  2. rasticoter, rhabiller (un enfant). — 121. … vous savez où. — 124. sinte Arache, altération, au féminin, de saint Erasme, invoqué dans certaines maladies d’enfants.

 

(p.399)

Juste i sortait de s’ corps,

c’est pour ça qu’i criait si fort !

 

128           « Sacré nom d’in tonère !

Ceule pièche, èj’ l’orconneos ! »

dit tout d’in coup 1′ mopère,

sans l’orwétier deus feos !

132           « J’in suis acor tout biète;

ç’ sou-là, j’ viens de m’ rap’ler

qu’in jeuant à 1′ pile-tiète,

in jour su 1′ quai, j’ l’ai avalé !

136          N’ayant pu ça dans 1′ corps,

1′ petit Nicodême i s’endort !

 

Mopère i s’ fout à rire,

P curé rieot aussi;

140          je n’ savais pus quoi dire

tell’ment qu’ j’étais saisi.

Final’ment an bâtisse

Nicodême qui dormeot,

144          et an sort êd l’églisse

in s’ comprenant sans dire in meot !

Mes on n’a jamés su

par d’u ç’ que P pièche elle aveot v’nu!…

 

148                 Tout d’ même,

ça c’t-in batême,

que P batême du p’tit Nicodême !

Tout d’ même,

152                 ça c’t-in batême !

 

Tant que j’ vivrai,

j’ m’en souviendrai !

 

Ibid., pp. 77-84. Même remarque.

 

  1. Cette pièce, je la reconnais. — 131. orwétier, regarder. — 134. qu’en jouant à la pile-tête, c.-à-d. à pile ou face.

Joseph Calozet

(p.400)

JOSEPH CALOZET

(1883-1968)

 

Né à Awenne, village forestier du Luxembourg belge, mort à Namur. Préfet honoraire de l’Athénée royal de cette ville, après y avoir enseigné les lettres classiques.

Issu d’une famille de sabotiers, Calozet a raconté comment, au terme de ses études accomplies à l’Université de Louvain, il fit la rencontre de Jean Haust qui venait enquêter dans son village natal et lui révéla les beautés du dialecte qu’il avait jusqu’alors dédaigné.

Abandonnant la poésie française à laquelle il s’était essayé, il présenta avec succès, en 1912, à la Société de Littérature wallonne, deux recueils de vers wallons : Su l’orîre di l’Ardène [A l’orée de l’Ardenne] et Lès pauvès djins. Mais c’est en 1924, avec sa nouvelle, Li brak’nî [Le braconnier] qu’il inaugura la tétralogie ardennaise qui le mettra au premier rang des romanciers dialec­taux : Pitit d’ mon lès Ma-tantes [Pitit de chez les tantes] (lre éd. en 1929), O payis dès sabotîs [Au pays des sabotiers] (1933), Li crawieûse agasse [La pie-grièche], suivi de trois contes (1939).

L’ambition de l’auteur, au départ, était des plus modestes : présenter du docu­ment authentique. Et contribuer ainsi à la connaissance de la vie wallonne traditionnelle par l’étude d’un milieu rural où sont campés, dans une action sans péripéties compliquées, des personnages qui ont réellement existé. « Je n’ai aucun mérite puisque je n’ai rien inventé », confesse Calozet en 1937 dans ses Vieux souvenirs. Aveu qui n’explique pas le relief que prennent sous sa plume certaines scènes villageoises, ni le charme, parfois l’émotion, que dégagent de nombreuses pages. « C’est sans doute que les réalités elles-mêmes qui sont évoquées ont leur prestige ou leurs sortilèges : cette Ardenne patriar­cale que n’avait pas encore entamée la banalisation du monde moderne, cette grande et libre nature avec laquelle communie la vie paysanne et qui baigne toute l’œuvre d’une fraîcheur poétique incessamment renouvelée » (W. Bal). Mais la réussite de Calozet est indissociable de la maîtrise d’une langue dont le romancier connaît toutes les valeurs qu’il utilise avec une efficace qui donne au style sa vérité simple et profonde.

 

(p.401)

151                                                                                               [Awenne]

Hapeûs d’êwe

 

Avou s’ pê d’ gade su F dos, one hawe su li spale, Pitit d’ mon 1′ Sorcîre, siyant lès hôbes à l’anêti, è va après F Tombwè po hapè l’êwe. Il a ploû à sèyès tote li sainte djoûrnéye et 1′ lavausse, courant 1′ long dès-ansènîs qui bagnèt dins 1′ bigô, dichind tote toûbyéye après lès Font’nis. « À ! si dj’ p’io l’avèr à méye-nêt ! sondje-t-i. Corne c’è-st-ènêt sèm’di, djol aud’ro tôt t’qu’à londi; mi pré sèrot bin rêwè et lès moss’rês qui stofèt lès-yèbes sèrint nèyès. Que bê foûre, mes djins ! Qués tchèréyes ! Bon corne do té, èco !… Gn’aurot pus dandjî do couru au diâle après lès Plantis’ po code à 1′ séye dès coûbléyes di coriantès-yèbes… Mais c’est Iwagn’rîye do sondjè z-avèr l’êwe por mi tôt seû !… Et lès Zantes et Zidôre di mon 1′ Bodèt et 1′ Rossé d’ mon l’ Tècheû, zês, savèt t-ossi bin qu’ mi qu’il a ploû à lavache; on n’ tchèss’rot nin on tchin à Fuche; mais ç’ n’est nin dès tchins, parit, zèls : il î vêront et il î f’rè co tchaud t’t-a l’eûre, après F chîje. »

Atot rotant, Pitit s’ cause à li-minme, sèrant dins F mwin F mantche di s’ hawe, aspènant pus reû quand i sondjè à s’ bê foûre, rastôrdjant one myète quand i lî sonne qu’il ôt one saquî dins F pré. Ad’lé F fontinne, i zoubule ute do l’hôbe : i tume bôbe à bôbe avou F Blanc d’ mon

 

VOLEURS D’EAU. — « Pour irriguer leurs prairies en pente, les habitants se volaient réciproquement, surtout la nuit, l’eau de pluie qui suivait les petites rigoles longeant les prés. Quand on se rencontrait sur le terrain, on se partageait l’eau; parfois aussi, faute d’un accord, on se battait » (Note de l’auteur).

 

Traduction

Avec sa peau de chèvre sur le dos, la houe sur l’épaule, Pitit de chez la Sorcière, suivant les haies à la brune, s’en va vers le Tombois pour « voler » l’eau. Il a plu à verse toute la sainte journée et la lavasse, courant le long des fumiers qui baignent dans le purin, descend toute trouble vers les Fontenils. « Ah ! si je pouvais l’avoir à minuit ! pense-t-il. Comme c’est aujourd’hui samedi, je la garderais jusqu’à lundi; mon pré serait bien arrosé et les mousses qui étouffent l’herbe seraient noyées. Le beau foin, mes gens ! Quelles charretées! Bon comme du «thé», encore!… Plus besoin de courir au diable vers les Plantis pour couper à la faucille des courgées d’herbes dures… Mais c’est folie de penser avoir l’eau pour moi seul !… Et les Zantes et Zidôre de chez le Bodet et le Roux de chez le Tisserand, eux, savent aussi bien que moi qu’il a plu à torrents; on ne chasserait pas un chien à la porte, mais ce n’est pas des chiens, voyez-vous, eux : ils y viendront et ça va encore chauffer tantôt, après la veillée. »

En marchant, Pitit se parle à lui-même, la main serrée sur le manche de sa houe, allongeant le pas quand il pense à son beau foin, ralentissant un brin quand il croit entendre quelqu’un dans le pré. Près de la fontaine, il saute par-dessus la haie : il tombe nez à nez avec le Blanc de chez Frère qui houe dans le maître-bief et trace des rigoles dans le sentier;

 

(p.402)

Frére qui hawe dins 1′ mêsse-bî et qui fêt dès courotes dins 1′ pazê; on satch, ployé à deûs dins 1′ longueû, lî racoûve li dos avou 1′ cwane qui monte tote dreûte dissus 1′ tièsse. « À ! on-z-î est, mon parant ! dist-i Pitit. — Ây ça, valet; à t’ ratindant djol ê tote pris, pace qui dj’ se bin qu’ t’ènn’ aurès todi bin t’ paurt. — Choûte bin, dj’alans fére martchî èsonne: t’è lêrès v’nu F mitan à m’ pré, et mi dj’î wêt’rê… ça t’ va-t-i?» Sins ratinde li rèsponse, Pitit satche fou do grand bî quéques wazons qui stopèt tote li lavausse au rés do pré do Blanc, et lès brôs bolet avou l’êwe qu’è va bon-z-èt reû. « C’est ça ! dist-i 1′ Blanc; t’t-à l’eûre i toi faurè tote, et mi dj’ sèrê là po dire amen ! — To n’as qu’à z-astokè tes wazons avou ç’ pîre-là, rèspond Pitit, à satchant fou do bi on gros cayô; seûr’mint, le couru m’ paurt, ça dj’ vêro toi rihapè ! »

Et 1′ fi do 1′ Sorcîre è va, à siyant l’êwe qu’il arête à 1′ copète di s’ pré, tins qui 1′ Blanc bèrdèle, à wêtant do rastokè ses wazons. Li bone êwe, pa lès p’tites courotes qui Pitit vint do fére o pazê, rêwe lès-yèbes qui sont co rossètes et lès verts moss’rês… Que chance s’i p’iot z-è tumè tote net ! On-z-aurot do foûre, todi, et lès bièsses ni gueûy’rint pus tôt l’iviêr à tirant l’linwe après 1′ rèslî !… Pitit est là abachè d’ié F mêsse-bî, à wêtant l’êwe qui s’ sitrame… Porveû qui Fs-autes ni v’ninche nin ! Avou F Blanc, ça va co à d’méy, mais ces sacrés djonnes, i Fzî faurot tote l’êwe, tél’mint qu’ ça est d’mougneû !

Li net est tuméye tôt timpe, i fêt spès. Pitit sît F pazê qu’i conut corne si tache et r’monte après F Blanc qui s’ racrampote dizos s’ satch, drî

 

il a le dos recouvert d’un sac plié en longueur, dont le coin se dresse tout droit sur sa tête. « Ah ! on y est, mon parent ? dit Pitit. — Oui-da, camarade; en t’attendant je l’ai prise toute, parce que je sais que tu en auras toujours bien ta part. — Ecoute, nous allons faire accord à nous deux : tu en laisseras venir la moitié dans mon pré et moi je monterai la garde… ça te va?» Sans attendre la réponse, Pitit retire du grand bief quelques-uns des gazons qui barrent tout le flot à la lisière du pré du Blanc, et la vase roule avec l’eau qui se précipite. « C’est cela ! dit le Blanc; tantôt il te la faudra toute, et moi je serait là pour dire amen ! — Tu n’as qu’à maintenir tes gazons avec cette pierre-là, tiens, répond Pitit, en retirant du bief un gros caillou; seulement, laisse couler ma part, sinon je viendrai te la reprendre. »

Et le fils de la Sorcière s’éloigne, suivant l’eau qu’il arrête au sommet de son pré, tandis que le Blanc bougonne, tâchant de raffermir ses gazons. La bonne eau, par les petites rigoles que Pitit vient de tracer dans le sentier, arrose les herbes encore roussies et les mousses vertes… Quel bonheur si elle pouvait tomber toute la nuit! On aurait du foin, au moins, et le bétail ne Meuglerait plus tout l’hiver en tirant la langue après le râtelier !… Pitit est là, courbé près du maître-bief, à regarder l’eau qui s’éparpille… Pourvu que les autres ne viennent pas ! Avec le Blanc, on s’arrange encore à demi, mais ces sacrés jeunes, il leur faudrait toute l’eau, tant ça est insolent.

La nuit est tombée tôt, il fait obscur. Pitit suit le sentier qu’il connaît comme sa poche et remonte vers le Blanc qui se recroqueville sous son sac, derrière la haie, le long de

 

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l’hôbe, li long di s’ pré. « C’est twè, Blanc ? — Ây, qwè vous-s’ ? — Sés-s’ bin ? va-r’z-è, i fêt trop mwês. Mi, dji wêt’rê à l’êwe et dji 1ère lès paurts corne èle sont, an vérité mon Diu, qui df moûre voci su 1′ place ! — To n’aurès nin peu dès-autes ? — Mi ? Tês’-tu do ! on vêt bin qui t’ n’as nin stî sodârd… voltigeur de la garde royale en garnison à Madrid!… Lès-ornes, gn’a nin onk à m’ fére crankiè; dji n’ê peu qu’ dès ruv’nants. — Dji m’è r’va d’abord… Paurt di frères, hin ? Dji t’ rivaurê ça ! »

Li hawe dizos 1′ brès, li tièsse, lès spales et 1′ dos à l’abouche dizos s’ satch à cwane, li Blanc è r’va tôt doûç’mint dins li spècheû, peu d’ s’astrèboukè… Pitit choûte l’êwe qui d’chind dins 1′ mêsse-bî; i satche djus di s’ tièsse si calote à r’clape po 1′ kicheûre, pu i frote ses mwins one conte Faute, rapougne si hawe po z-è raie dins s’ pré… Là, drî lès hôbes, il lî sonne qu’on rote et qu’on copine tôt bas… C’est ça ! là qu’on z-a dja stî stopè ses courotes, et l’êwe è va pus Ion su P pré dès Zantes; i ristope li mêsse-bî, à hawant dins 1′ hoûrlê dès wazons et do P têre. Et ç’ côp-ci, qu’i gn-oye cor onk qui vègne s’î frotè, i saurè à quî cauzè ! Corne do tins qu’il astot sodârd, Pitit est d’ garde, aspoyè su s’ hawe, prêt’ à vorè su P ci qu’ vêrè lî r’hapè l’êwe, li bone êwe qui f’rè ravèrdi s’ pré et crèche si foûre… I n’ ploût pus; drî one grosse nwâreû qui s’ kitwârd, li lune vint bôk’tè. Pitit droûve li caisse di s’ monte… Onze eûres ! Ècor one eûre divant méye-nêt. Adon i pore 7-è raie coûtchè, pace qui c’est l’aladje ainsi o viyadje : li ci qu’a l’êwe dissus s’ pré li sèm’di à méye-nêt, gn’a nolu qui waz’rot

 

son pré. « C’est toi, Blanc ? — Oui, que veux-tu ? — Sais-tu quoi ? retourne, il fait trop mauvais. Moi, je surveillerai l’eau et je laisserai les parts comme elles sont, vérité de Dieu, que je meure ici sur place ! — Tu n’auras pas peur des autres ? — Moi ? Tais-toi donc ! on voit bien que tu n’as pas été soldat… voltigeur de la garde royale en garnison à Madrid !… Les hommes, il n’y en a pas un à me faire broncher; je ne crains que les revenants. — Je m’en retourne alors… Part de frère, hein? Je te revaudrai ça! » La houe sous le bras, la tête, les épaules et le dos abrités sous son sac à pointe, le Blanc retourne lentement dans la nuit, de peur de trébucher… Pitit écoute l’eau qui descend dans le maître-bief, il retire de sa tête sa casquette à oreillettes pour la secouer, puis il frotte ses mains l’une contre l’autre, saisit sa houe pour retourner dans son pré… Là, derrière les haies, il lui semble qu’on marche et qu’on parle tout bas… C’est ça! voilà qu’on est déjà allé combler ses rigoles, et l’eau s’en va plus loin sur le pré des Zantes; il rebouche le maître-bief, arrachant à la houe des gazons et de la terre dans le rebord. Et cette fois, qu’on vienne encore s’y frotter, on trouvera à qui parler ! Comme du temps qu’il était soldat, Pitit monte la garde, appuyé sur sa houe, prêt à foncer sur celui qui viendra lui voler l’eau, la bonne eau qui fera reverdir son pré et croître son foin… La pluie a cessé; derrière un gros nuage qui se tord, la lune risque un œil. Pitit ouvre le couvercle de sa montre… Onze heures ! Encore une heure avant minuit. Alors il pourra aller se coucher, car telle est la coutume au village : celui qui a l’eau sur son pré le samedi à minuit, personne n’oserait la lui reprendre avant les douze heures

 

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lî r’hapè divant doze eûres do 1′ net, do dîmègne o londi. Mais v’ià-t-i nin qu’ tôt d’on côp l’êwe discret dins 1′ grand bî… qu’èle ni court cauzu pus, qu’elle è-st-arètéye !… « À ! lès vaurins ! I m’auront oyu et i sont vôye côpè l’êwe à 1′ fontinne po 1′ mine su leû pré do Font’ni ! » Mwês et tôt fou d’ li, Pitit r’tape si hawe su si spale, et aye-da-daye après 1′ coron do pazê ! i vore, tins qui 1′ lune lût, ça c’est bin Ion vola qu’i faut z-alè r’hapè l’êwe. Lès deûs Zantes sont catches drî on sapin. Pitit ols-a oyu r’mouwè, mais i n’a nin peu : i ristope li mêsse-bî do Font’ni, quand lès Zantes lî criyèt : « Hôwe-là, ou to sèrès hoûrlè ! — Vinez voci, si v’s-avez d’ l’âme… Li ci qu’ mol rihape, djo-lî spotche lès rins d’on côp d’ hawe ! » I ratind là, astampè, montant 1′ garde corne tot-à l’eûre. Lès Zantes, qu’ont peu d’esse assôrçulès pa 1′ mère d’à Pitit et vèyant qu’i gn’a pont d’avance do d’morè là, r’montèt après 1′ viyadje. Pitit choûte on bokèt po véy s’i sont bin r’vôye… I n’ôt pus rin. I faut véy asteûre si lès courotes ni sont nin ristopéyes vola. Abîye divant méye-nêt, i dâre à 1′ valéye do pazê do Stokwè…

D’on plin côp, i s’arète corne on tchin d’ tchèsse divant on lîve : vola, o d’zos di s’ pré, li long do Tiêr do Mont, dès ruv’nants dansèt à bambiant corne dès sôléyes : c’est dès grands diâles qui sont mousses tôt blancs, et vo-lès-ci qui montèt après 1′ copète do pré… Sins ratinde si rèsse, pus mwârt qui vike, Pitit ol trosse à 1′ montéye do pazê. Li qu’ gn’avot nin on diâle à fére mouwè, i lî sonne, à r’passant d’ié 1′ fontinne, qui

 

de la nuit, du dimanche au lundi. Mais voilà-t-il pas que tout d’un coup l’eau décroît dans le grand bief… elle ne coule presque plus, elle s’arrête… «Ah! les vauriens! Ils m’auront roulé et ils sont allés couper l’eau à la fontaine pour la conduire sur leur pré du Fontenil ! » Furieux, hors de lui, Pitit rejette sa houe sur l’épaule, et à toutes jambes vers le bout su sentier ! il galope, tandis que la lune brille, car c’est bien loin là-haut qu’il faut aller reprendre l’eau. Les deux Zantes sont cachés derrière un sapin. Pitit les a entendus remuer, mais il n’a pas peur : il bouche le maître-bief du Fontenil, quand les Zantes lui crient : « Halte-là, ou l’on t’assomme ! — Venez ici, si vous avez du cœur… Celui qui me la reprend, je lui écrase l’échiné d’un coup de houe ! » II attend là, bien campé, montant la garde comme tout à l’heure. Les Zantes, craignant d’être ensorcelés par la mère de Pitit et voyant qu’ils ne gagnent rien à rester là, remontent vers le village. Pitit écoute un moment pour s’assurer qu’ils sont bien partis… Il n’entend plus rien. H s’agit de voir à présent si les rigoles ne sont pas comblées là-bas. Vite avant minuit, il dévale en vitesse le sentier du Stokois…

Soudain, il s’arrête, comme un chien de chasse devant un lièvre : là-bas, au fond de son pré, le long du Thier du Mont, des revenants dansent en zigzaguant comme des ivrognes : ce sont de grands diables tout blancs vêtus, et les voici qui montent vers le sommet du pré… Sans attendre son reste, plus mort que vif, Pitit trousse ses grègues vers le haut du sentier. Lui que nul démon n’aurait fait broncher, il lui semble, en repassant près de

 

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lès rodjes bonètes (1) vont zouble fou d’ l’êwe po couru après li…, i s’abache drî lès hôbes et rarive tôt d’choflè à s’ môjon. Sins wêtè drî li, i r’clape l’uche et tchôke li vèra… i s’ lêt tumè su one tchèrîye ad’lé lès cropecenes… Si cœur toke, toke corne po zouble fou di s’ pê; i choûte… Rin ! i n’ôt qui F brut do balancier dins 1′ caisse d’ôrlodje… pu li r’ssôrt qui crîye et, do côp après, l’eûre qui sone paujîr’mint ses doze côps… Adon, les courotes d’à Pitit astint stopéyes.

Lès Pètcheûrs alint hapè l’êwe après 1′ chîje; il ont rascontrè lès Zantes qui duv’nint do Stokwè. « Vos-alez fè kèrwéye, qui les Zantes olzî ont dit : Pitit d’ mon F Sorcîre nos-a ratchèssè. » Li grand Pètcheûr et Rémi d’ mon Zèf ont fait signe d’è raie; pu, vèyant F bouwéye su l’hôbe o corti do pous’, il ont mètu su leûs bardes tchèkin one tchhnîje tote frèche… il ont vorè après li Stokwè po zbarè F fi do F Sorcîre, et c’è-st-ainsi qu’avou F Blanc d’ mon Frère il ont yu leû paurt d’êwe, ci dîmègne-là.

 

« Pitit d’ mon lès Ma-tantes », 2e éd., publiée par J. Haust, Liège, H. Vaillant-Carmanne (coll. « Nos Dialectes »), 1938, pp. 18-24.

 

la fontaine, que les « bonnets rouges » (l) vont surgir de l’eau pour lui courir sus…, il se baisse derrière les haies et arrive tout essoufflé chez lui. Sans regarder derrière lui, il ferme la porte et pousse le verrou… il se laisse tomber sur une chaise près des chenets… Son cœur bat, à s’échapper de sa poitrine; il écoute… Rien! il n’entend que le bruit du balancier dans la caisse d’horloge… puis le ressort qui crie et, de suite après, l’heure qui sonne paisiblement ses douze coups… A ce moment, les rigoles de Pitit étaient bouchées.

Les Pécheurs allaient prendre l’eau après la veillée; ils ont rencontré les Zantes qui reve­naient du Stokois. « Vous allez faire corvée, leur ont dit les Zantes : Pitit de chez la Sorcière nous a chassés ». Le grand Pécheur et Remy de chez Zèf ont fait mine de retourner; puis, voyant la lessive sur la haie dans le jardin du puits, ils ont mis sur leurs bardes chacun une chemise toute mouillée… ils ont couru vers le Stokois pour effrayer le fils de la Sorcière, et c’est ainsi qu’avec le Blanc de chez Frère ils ont eu leur part d’eau, ce dimanche-là.

 

(Trad. d’Edgard renard, dans l’édition susmentionnée.)

 

(1) « Lès rodjes bonètes : les grandes personnes racontaient aux enfants, pour les détourner des puits, que les fontaines étaient habitées par des êtres extraordinaires qui attiraient les enfants se penchant sur la margelle » (Note de l’auteur). Le crédule Pitit craint pour sa vie, s’il faisait la rencontre des « bonnets rouges ».

 

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[Le retour du soldat]

 

Un jeune ouvrier sabotier, orphelin de père, aime en secret la fille de son patron. Survient la guerre de 1914 : Amand a quitté pour le front la forêt où il travaille à Y baraque dès sabotîs. Après l’armistice, il regagne son village dont il est sans nouvelles depuis longtemps.

 

Corne tos lès sôdârds, Amand ‘nn’a raie quand il a plu o mwès d’ déçambe. Li prumîre djint do 1′ Noûve-Vèye qu’il a vèyu su F vôye di Tchimpion, Bâtisse di mon Miyin, lî a criyè à 1′ vèyant v’nu d’au Ion dins s’ bê costume di sèrdjant : « Tin ! qui vola ! Vosse moman, — bon Diu son âme ! — aurot sti bin fiére di vos r’véy ainsi ! »

Amand n’ s’a nin arête… I rotot corne on fô : i n’avot rin sèpu, mais il ad’vinot… «Bon Diu son âme!… Falot-i ruv’nu po r’tumè dins 1′ guignon? Moman!… M’avèr lèyi tôt seû su têre!… Astot-ce po ça qui 1′ guère m’a spaurgnè ? »

II a r’passè tôt dreût pa 1′ cimintiére et s’ cœur bouchot bin reû d’zos s’ capote… D a sî 1′ dêrinne ranjéye di fosses : one pitite creû d’ bwès nwârîye sitindot ses brès à mostrant lès blankès lètes do nom di s’ moman… Il a tumè à gngnos, et F cwâr ployé cauzu jusqu’à têre, à s’ covrant F visadje avou ses mwins, il a djèmi la tôt seû, il a brêt, il a somadjè sins cauzu p’iu s’ ravèr.

 

Traduction

Comme tous les soldats, Amand est reparti quand il a pu, au mois de décembre. La première personne de Laneuville qu’il a vue sur la route de Champion, Baptiste de chez Emilien, lui a crié en le voyant venir de loin dans son beau costume de sergent : « Tiens ! qui voilà ! Votre maman, — bon Dieu ait son âme ! — eût été bien fière de vous revoir ainsi ! »

Amand ne s’est pas arrêté… Il allait comme un fou: il n’avait rien appris, mais il devinait… «Bon Dieu ait son âme!… Fallait-il reevnir pour retomber dans le guignon? Maman !… M’avoir laissé seul sur terre !… Etait-ce pour ça que la guerre m’a épargné ? »

II a repassé tout de suite par le cimetière et son cœur battait bien fort sous sa capote… H a longé la dernière rangée de tombes : une petite croix de bois noire étendait ses bras en montrant les lettres blanches du nom de sa maman… Il est tombé à genoux, et le corps plié quasi jusqu’à terre, le visage caché dans ses mains, il a gémi tout seul, il a pleuré, il a sangloté à perdre haleine.

 

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A 1′ longue portant, i s’a sintu corne racoradjè, et il a stî s’agngnolè ossi su 1′ fosse di ses frères et soûr… Et gn’avot nolu qu’avot sondjè, tins qu’ ‘1 astot vôye à 1′ guère, à rauyè lès pôplis et lès dints-d’-tchin qu’astint souwès su 1′ têre adjaléye !

Sins-intrè mile pau, il a moussé o bwès, et aye èvôye ! à siyant lès pazês et lès vôyes qu’il avot fêt tant dès côps po-z-alè à 1′ baraque.

Atot rotant, i r’vèyot s’ moman qu’ol ratindot tos lès sèm’dis et quo-lî aprètot s’besace tos lès londis; s’ moman qu’avot peu, corne di l’alumwâre, qui s’ dêrin èfant n’atrape one ètisîye come lès-autes avint yu et qu’ ç’aurot stî on-oûjê po Y tchèt. Pauve moman !

I r’sondjot ossi à 1′ baraque doû-ç’ qu’on s’atindot si bin au mitan do bwès. Come ç’astot Ion tôt ça ! et, portant, i gn’avot rin d’ candjè 1′ long do 1′ vôye, et lès huréyes do 1′ Masblète avint todi leûs grandes tchandèyes di glèce, come quand il avot sti fè s’ compte li djoû di d’vant F Noyé, là djà cauzu cinq’ ans d’ ça.

I r’pinsot à 1′ hute dès Cinq’-Tchinnes, doû-ç’ qui l’iviêr avot stî si dèr, et qu’on n’ fiot pont d’ bin quand on-z-oyot monté on trot di tch’fau, su 1′ vôye dins F bwès. Et portant, qwè-ç’ qui ç’astot d’ ça ‘n-èvèr çu qu’i ‘nn’avint vèyu d’pôy don ?

Come quand il è ralot à F baraque do Hièrdau, à fêt qu’i s’è raprotche, i sondjè pus reû à Juliène et i s’ dimande comint-ç’ qu’on va F ricîr vola, surtout qu’on dit co bin qu’on mâleûr n’arive jamais tôt seû.

 

A la longue pourtant, il s’est senti comme réconforté et il est allé s’agenouiller aussi sur la fosse de ses frères et sœur… Et nul n’avait pris soin, pendant qu’il était à la guerre, d’arracher les renoncules et les chiendents sèches sur la terre gelée !

Sans entrer nulle part, il a pénétré dans le bois et vite en route par les sentiers et les chemins qu’il avait suivis tant de fois pour se rendre à la baraque.

Chemin faisant, il revoyait sa maman qui l’attendait tous les samedis et lui préparait sa besace tous les lundis; sa maman qui avait peur, comme de l’éclair, que son dernier enfant n’attrapât une phtisie comme les autres, et ne fût un oiseau pour le chat. Pauvre maman!

n repensait aussi à la baraque où l’on s’entendait si bien au milieu des bois. Comme c’était loin tout cela ! et, pourtant, rien n’avait changé le long du chemin, et les talus de la Masblette avaient toujours leurs longues chandelles de glace, comme lorsqu’il était allé faire son compte la veille de Noël, il y a déjà quasi cinq ans de cela.

Il repensait à la hutte des Cinq-Chênes, où l’hiver avait été si dur, où l’on ne faisait pas de bien quand on entendait monter un trot de chevaux, sur le chemin dans le bois. Et, pourtant, qu’était-ce tout cela auprès de ce qu’ils avaient vu depuis lors ?

Comme aux jours où il regagnait la baraque du Hièrdau, à mesure qu’il en approche, il songe davantage à Julienne; il se demande comment on va le recevoir là-bas, surtout qu’on dit parfois qu’un malheur n’arrive jamais seul.

 

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Li longueû do 1′ vôye, avou 1′ freûdère qu’i fiot, a breûstè lès rodjeûs qu’il avot autoû dès-oûy d’avèr brêt. I k’mince à fè brun’ quand il arive. Voci lès vis tchinnes avou lès deûs carins, vola F baraque dissus 1′ hoûrlê, avou one lum’rote ou deûs… I toke à l’uche di mon Félis’ et i r’conut 1′ vwès d’à Juliène quo-lî crîye : « Intrez ! ».

Amand clitch’téye; l’uche si droûve, et F sèrdjant si stampe su F su, dreût corne on pikèt, 1′ képi su F tièsse, li grande capote bin abot’néye avou ses mates botons.

Juliène Fa r’conu F prumîre; èle si lève di s’ tchèrîye, dâre après li à criyant : « Mon Diu, Amand ! » Èle li rabrèsse corne on frère, tins qu’ li brêt corne on-èfant.

« Mi pauve Amand ! » dist-èle Marîye, quo-lî fait one caresse. « A la bone eûre ! dist-i Félis’. Bin fwârt et bin pwartant ! »

I n’ savèt k’mint fére autoû d’ li : li patrone lî prind s’ képi; Juliène l’aide à disfére si capote ; Félis’ lî dit qu’i s’assîye dilé F feu.

« Vo-m’-rici ! dist-i Amand d’vant do ployé F djambe. Et m’ pauve moman qu’est vôye ! Vo-m’-là tôt seû asteûre !…

— I-gn-a do F place voci por vos, m’ fi, dist-èle Marîye; et vos pôrez mète coûté su tôve à nosse môjon. Abîye li sopè, Lanîye ! Amand dut z-avèr fwin. »

Juliène a vûdè F gote : on ‘nn’avot aurdè one bone botèye por on djoû corne ènêt; et tortos, onk après l’aute et pus sovint èsonne, on raconte,

 

La longueur du chemin et la froidure ont effacé la rougeur qui lui cernait les yeux

d’avoir pleuré. La brune commence à tomber quand il arrive. Voici les vieux chênes avec

les deux chartils, voici la baraque sur le talus, avec un lumignon ou deux…  Il heurte

l’huis de chez Félix et reconnaît la voix de Julienne qui lui crie :  « Entrez ! ».

Amand tourne la poignée; l’huis s’ouvre, et le sergent se plante sur le seuil, droit comme

un piquet, le képi sur la tête, la grande capote bien boutonnée avec ses boutons mats.

Julienne l’a reconnu la première; elle se lève de sa chaise, s’élance vers lui en criant :

« Mon Dieu, Amand ! ». Elle l’embrasse comme un frère, tandis que lui pleure comme

un enfant.

« Mon pauvre Amand ! » dit Marie, qui lui fait une caresse.

« A la bonne heure ! dit Félix. Bien fort et bien portant ! »

Ils s’empressent autour de lui : la patronne lui prend son képi; Julienne l’aide à ôter

sa capote; Félix lui dit de s’asseoir près du feu.

« Me revoici ! dit Amand avant de plier le genou. Et ma pauvre maman qui est partie !

Me voilà tout seul à cette heure !

— fl y a de la place ici pour vous, mon fils, dit Marie; et vous pourrez mettre couteau

sur table chez nous. Vile le souper, Mélanie ! Amand doit avoir faim. »

Julienne a versé la « goutte » : on en avait gardé une bonne bouteille pour un jour comme

celui-ci; et tous, l’un après l’autre et plus souvent ensemble, on raconte jusque bien tard.

 

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on raconte jusqu’à bin taurd. Juliène riwête Amand sins s’ rapôpiè : que bê sôdârd ! corne il est duv’nu fwârt ! Elle est si bone avou li, et lès patrons sont si djintis, qu’i sondje qu’il est corne à s’ môjon.

Ça lî fêt roviè on pô 1′ dèr côp qu’il a r’cî o cœur à rarivant à 1′ Noûve-Vèye.

« Et vos n’astez nin co marié, vos ? dist-èle Juliène à soriyant.

—  Avou qui do, mi ? rèspond Amand. Et vos, Juliène ? dimande-t-i, avou corne on toûch’lon quo-lî monte à 1′ gwadje…

—  Mi ? rèspont-èle. Dji vos-ê ratindu, Amand. » (…)

Dins lès prèmîs djoûs do prétins, quand lès-ôlouwètes rimontint au d’vant do sole et qu’ lès laboreûs, r’duv’nus messes di leûs têres, travayint à r’tchantant, Juliène et Amand, qui s’avint marié 1′ sèm’di d’ Pauque, retint sur 1′ vôye dès Saint-Michel.

Li sabotî-sôdârd alot mostrè à s’ djonne fème — ç’astot leû tour di nwaces — li jolibwès qui florit 1′ long do 1′ Masblète inte lès grosses pires totes vêtes di mosse, et 1′ baraque doû-ç’ qu’il avot sondje à lèy, à lî fyant dès ramons et dès lèdjîrs sabots d’ bèyôle; li hute dès bokions aus Cinq’ Tchinnes, doû-ç’ qu’il avot co vikè Ion èrî d’ lèy tot-on-iviêr; et Môtchamps, doû-ç’ qu’il alint à 1′ chîje tot-anawète, à-z-oyant chîy’tè lès sonètes pindoûyes o cô dès vatches qui pachint dins 1′ bwès.

 

Julienne regarde Amand sans baisser la paupière : quel beau soldat ! comme il est devenu fort ! Elle est si bonne avec lui, et les patrons sont si prévenants, qu’il se figure être chez lui.

Il en oublie un peu le rude coup au cœur qu’il a reçu en arrivant à Laneuville. « Et vous n’êtes pas encore marié, vous ? dit Julienne en souriant.

—  Avec qui donc, moi ? répond Amand. Et vous, Julienne ? demande-t-il, avec un spasme qui lui monte à la gorge…

—  Moi ? répond-elle. Je vous ai attendu, Amand. »

(…)

Dans les premiers jours de printemps, quand les alouettes remontaient au-devant du soleil et que les laboureurs, redevenus maîtres de leurs terres, reprenaient leur travail et leurs chansons, Julienne et Amand, qui s’étaient mariés le samedi de Pâques, marchaient sur la route des bois de Saint-Michel.

Le sabotier-soldat allait montrer à sa jeune femme — c’était leur tour de noces — le jolibois qui fleurit le long de la Masblette entre les grosses pierres verdies de mousse, et la baraque où il avait tant pensé à elle, en lui faisant des balais et de légers sabots de bouleau; la hutte des bûcherons aux Cinq-Chênes, où il avait encore vécu loin d’elle tout un hiver; et Mochamps, où ils allaient parfois à la soirée, au son des clarines pendues au cou des vaches qui paissaient dans les bois.

 

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Juliène choûtot cauzè s-t-ome à 1′ riwêtant, et s’ lî djot qu’ lèy ossi avot sovint tapé sès-oûy après 1′ grand bwès doû-ç’ qu’i travayot.

Mais i n’astot pus wêre à r’conuche, li grand bwès, surtout là-haut à 1′ Flache : lès grands sapins avint stî abatus tins do 1′ guère. On vèyot bin qui rs-Al’mands avint passé par la.

Nin Ion èrî do 1′ grande Fagne, i s’ont arête dins on p’tit ç’mintiére bin arinjè pa lès gardes, avou dès creûs d’ bwès, dès fosses bin raprô-priéyes et on pazê tot-autoû : ç’astot lès tombes dès prîj’nîs russes et italyins qu’avint stî touwès à v’iant couru vôye et qu’avint motôt, zês ossi, one ptite Juliène dins leû payis…

Et, contints d’avèr passé F djoûrnéye onk dilé Faute, à s’tinant pa F brès et à r’ vikant F tins passé, lès deûs djonnes mariés, qui s’ vèyint vol’tî d’pôy si lontins, ont rid’chindu à F vèspréye su Saint-Michel, po-z-è râlé d’morè èsonne todi, todi, o payis dès sabotîs…

« O payis dès sabotîs », publié par J. Haust, Liège, H. Vaillant-Carmanne, 1933 (coll. « Nos Dialectes >), pp. 126-129 et 131-132.

 

Julienne écoutait parler son homme en le regardant, et elle lui disait qu’elle aussi avait souvent jeté ses regards vers le grand bois où il travaillait.

Mais il n’était plus guère à reconnaîre, le grand bois, surtaut là-haut à la Flache : les grands sapins avaient été abattus durant la guerre. On voyait bien que les Allemands avaient passé là.

Non loin de la grande Fagne, ils se sont arrêtés dans un petit cimetière bien arrangé par les gardes, avec des croix de bois, des tertres bien entretenus et un sentier tout autour : c’étaient les tombes des prisonniers russes et italiens qui avaient été abattus en voulant s’évader et qui avaient peut-être, eux aussi, une petite Julienne dans leur pays… Et, heureux d’avoir passé la journée l’un près de l’autre, à se tenir par le bras et à revivre le temps jadis, les deux jeunes époux, qui s’aimaient depuis si longtemps, sont redescendus à la vesprée vers Saint-Michel, pour aller demeurer ensemble toujours, toujours, au pays des sabotiers…

(Trad. d’Edgard renard, ibid.)

 

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153

A 1′ hausse dès bokèts d’à Bâtisse

 

Deux paysans, Zidore et François dit le Râbieû vivent dans une mésentente provoquée et entretenue par leurs épouses, surtout par l’une d’elles, Gustine, douce alinne et méchante linwe, qui pâtèrnéye à tûzant à mau (douce haleine et mauvaise langue, qui dit ses patenôtres en pensant à mal). Une vente de terrains, faite aux enchères dans le café du village, va les mettre aux prises pour la possession d’un lopin de terre qui touche à leur maison et qu’ils con­voitent l’un et l’autre.

Gn-a yu pus d’ djins ç’ vèspréye-là o cabaret d’ mon Maurice qui d’ssus lès treûs djoûs do F dicauce. Corne di jusse, gn-a brâmint qu’î v’nint pace qu’à dès-ocâsions parèyes on-z-î bwèt su 1′ compte do vindeû; mwint’ ossi qui s’ ribôrint là po véy corne ça îrot avou lès deûs vèjins; gn-avot saquant’ qu’avint bone idéye d’ach’tè on bokèt s’ ça n’alot nin trop tchîr. Tôt 1′ monde savot bin qu’ ça son’rot po li d’méye djurnau.

Quand 1′ criyeû a stî rarivè d’avèr tenante avau lès vôyes à birgançant s’ chiyète : « A 1′ hausse dès bokèts d’à Bâtisse ! » gn-avot dès djins bore. Maurice avot d’vu bagué lès tôves et z-apwartè 1′ long dès paros totes ses tchèrîyes, et co mète dès bancs corne o cèrque quand on djouwe one pièce.

Lès-ornes astint r’ployès à deûs avou F mwin gautche su on n’gno; avou F keûde aspoyéye su Faute djambe, i tètint leû pupe tôt bê doûç’mint à ratchant inte lès côps, si bin qu’à-z-intrant avou s’ clér, Monsieû

 

Traduction

 

A LA VENTE DES TERRES DE BAPTISTE

H y a eu plus de monde cet après-midi-là dans le cabaret de chez Maurice que pendant les trois jours de la «dicace». Comme de juste, beaucoup y venaient parce qu’en de pareilles occasions on boit sur le compte du vendeur; quelques-uns aussi qui se rassem­blaient là, pour voir comment cela irait avec les deux voisins; certains qui se promettaient bien d’acheter un terrain si les prix ne montaient pas trop. Tout le monde savait que cela chaufferait pour le demi-journal.

Quand le crieur est rentré d’avoir chanté par les chemins en agitant sa sonnette : « A la vente des terres de Baptiste ! » la salle était comble. Maurice avait dû enlever les tables et apporter toutes ses chaises le long des murs et encore mettre des bancs, comme au cercle quand on joue une pièce.

Les hommes étaient plies en deux, la main gauche sur un genou; avec le coude appuyé sur l’autre jambe, ils tétaient leur pipe tout doucettement, crachant de temps à autre,

 

1′ Notaire n’a vèyu qu’ dès dos d’ornes, et dès fèmes qui s’ tinint stèkes avou leûs brès à creû su li stomac’.

Maurice a d’mandè o chalè d’ mon Twinne do lî d’nè on côp d’ mwin et, tos lès deûs, avou deûs vêres à gote et on lite — do pèkèt po lès-ornes et do mêlé po lès fèmes, — il ont fêt 1′ tour. Lès-omes, onk après l’aute, ont r’ièvè 1′ tièsse, et lès fèmes li minton, po mète fou.

Su ç’ tins-là, 1′ notaire a moussé o comptwâr et s’ clér a stindu ses papîs et ses rédjisses divant li. Il a k’mincè pa lire fwârt vite — ossi vite qui 1′ maurlî quand i rèspond P de profundis — totes sortes di ramadjes qu’on n’î compurdot rin : il astot question d’îpotèques, di pour-çant, d’ pay’mint. On P savot todi bin, va, qu’ lès p’titès boûsses duvint v’nu s’ drovu tos lès prumîs djûdis d’vant Monsieû P Notaire, qui r’ciyot lès djins à P tchambe d’à Maurice. Et lès-omes satchint su leû pupe, et lès fèmes riwêtint t’t-autou d’ zèles : vola, Françwès et Lalîye assis dins on cwin et, sur on banc drî l’uche, Zidôre et Gustine qu’astint mètus po mî véy lès signes dès Râbieûs. Et tos lès qwate, i sintint leû cœur qui bouchot pus vite.

« Dj’alans vinde one têre di quarante ares o Tchamp Saint-Maurtin, djondant P vôye, Hanri Massèt et Nicolas Maquèt », dist-i P clér qui conut totes lès djins do viyadje pa leû p’tit nom et co pa leû sornom. « Qui met à prix ? »

Gn’a nolu qui boudje.

 

si bien qu’en entrant avec son clerc, Monsieur le Notaire n’a vu que des dos d’hommes, et des femmes qui se tenaient raides, les bras croisés sur la poitrine.

Maurice a demandé au boiteux de chez Toine de lui donner un coup de main et tous deux, avec deux petits verres et un litre — du genièvre pour les hommes et du mêlé pour les femmes — ils ont fait le tour. Les hommes, l’un après l’autre, ont relevé la tête, et les femmes le menton, pour vider à fond.

Entre-temps, le notaire a pénétré dans le comptoir et son clerc a étendu ses papiers et ses registres devant lui. Il a commencé par lire très vite — aussi vite que le chantre quand il répond au de profundis — toutes sortes de ramages où l’on ne comprenait rien : il était question d’hypothèques, de pour cent, de paiement. Bah ! on le savait bien que les petites bourses devaient venir s’ouvrir tous les premiers jeudis devant Monsieur le Notaire, qui recevait le monde dans la chambre de Maurice. Et les hommes tiraient sur leur pipe, et les femmes regardaient tout autour d’elles : là-bas, François et Lalie assis dans un coin et, sur un banc derrière la porte, Zidôre et Gustine qui s’étaient placés pour mieux voir les signes des Râbieûs. Et tous quatre, ils sentaient leur cœur qui battait plus vite.

« Nous allons vendre une terre de quarante ares au champ Saint-Martin, joignant le chemin, Henri Massèt et Nicolas Maquèt », dit le clerc qui connaît tous ceux du village par leur prénom et aussi par leur surnom. « Qui met à prix ? »

Personne ne bouge.

 

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Il aurot falu on sicorîye et 1′ zinglè pa d’zeû 1′ comptwâr po fére rilèvè 1′ dos dès-ornes qu’avint l’air d’esse adwârmus. Et portant gn-avot dès-amateurs, mais nolu po v’iu causé 1′ prumî.

A P fin, Nayis’ di mon Bomblèt a mètu vint francs po k’mincè et on-z-a monté, monté tôt bê doûç’mint, franc par franc, jusqu’à deûs çant cinquante yonk. C’est Flore do 1′ Creû d’ Tchaplîye qu’avot dit 1′ dêrinne, quand 1′ baguète do notaire, qu’avot stî prête à r’tumè dèdjà saquants côps d’vant, a djondu 1′ comptwâr po do bon.

Pu c’a stî on pré à Fal’jonne, qu’ènn’a ‘nn’alè po vint-yon francs; pu on p’tit bokèt d’ sapins, one linguète di doze ares drî 1′ Mont, qu’on-z-a fêt monté jusqu’à çant treûs francs, qui c’est Lucien d’ mon 1′ Marchau qu’ol a yu, et quéques bokèts à l’a-sèlon, à 1′ Justice, drî 1′ Hê, o Wassê.

Quand 1′ notaire a dit qu’il avot lèyi 1′ pus bê po 1′ dêrin, fwârt bin mètu à l’intréye do viyadje, on bon d’méye djurnau, gn-a yu dins 1′ cabaret, si pôjîre jusqu’à c’te eûre, on pô do brut : dès sabots ont froyè 1′ pavéye; gn-a dès fèmes qu’ont tossè on p’tit côp à s’ gougnant do P keûde et à rwêtant à cwarnète Lalîye et pu Gustine. Zèles ni boudjint nin, mais leû paupîre batot pus vite, et leûs massales duv’nint pus rodjes.

« Alons ! Qui met à prix ? »

Françwès et Lalîye avint bin dit inte zês qu’il îrint, s’i falot, jusqu’à chî cints francs; Zidôre et Gustine, qu’i n’ mètrint nin tôt 1′ minme pus d’ set’ cints, qui ç’ sèrot bin payé ainsi. Portant, lès deûs-omes dimorint

 

II aurait fallu un fouet et le faire claquer au-dessus du comptoir pour faire relever le dos aux hommes qui semblaient endormis. Et pourtant il y avait des amateurs, mais aucun ne voulait parler le premier.

A la fin, Naïs de chez Bomblèt a mis vingt francs pour commencer et on est monté, monté tout doucement, franc par franc, jusqu’à deux cent cinquante et un. C’est Flore de la Croix de Chaplie qui avait le dernier mot, quand la baguette du notaire, déjà prête à retomber plusieurs fois auparavant, a touché le comptoir tout de bon.

Puis ça été un pré à Fajonne, qui est parti pour vingt et un francs; puis un petit bois de sapins, une languette de douze ares derrière le Mont, qu’on a fait monter jusqu’à cent trois francs, qui est resté à Lucien de chez Maréchal, et quelques terrains analogues, à la Justice, derrière la Heid, au Wassê.

Quand le notaire a dit qu’il avait laissé le plus beau pour le dernier, fort bien situé à l’entrée du village, un bon demi-journal, il y a eu dans le cabaret, si tranquille jusqu’alors, un peu de bruit : des sabots ont gratté le pavé; des femmes ont toussé un petit coup en se poussant du coude et en jetant un regard de côté à Lalie, puis à Gustine. Celles-ci ne bougeaient pas, mais leur paupière battait plus vite et leurs joues devenaient plus rouges.

« Allons ! Qui met à prix ? »

François et Lalie avaient bien convenu entre eux qu’ils iraient, s’il fallait, jusqu’à six cents francs; Zidôre et Gustine, qu’ils ne mettraient tout de même pas plus de sept cents francs, que ce serait bien payé ainsi. Pourtant, les deux hommes restent assis faisant le

 

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assis à fiant 1′ gros dos, come lès-autes, li tièsse bachéye, lès mwins sèréyes one didins Faute, sins rin dire.

« Hé bin, gn’a nolu qu’è vout ? crîye li clér do notaire.

—  Mètans çant francs, dist-i 1′ gros Dré à riyant.

—  Deûs ! dist-i Françwès.

—  Treûs ! » qu’ Zidôre rèspond.

Et ça monte ainsi jusqu’à ci cints francs, et c’est Françwès qu’ol tint.

« Six cents francs, une fois… six cents francs, deux fois ! » qui 1′ notaire

dit.

A paurti d’adon, on-z-aurot oyu volé one mouche o cabaret. Gn’a pus

qui 1′ notaire et 1′ clér qui drovet F boutche. Nos deûs-amateûrs ni solèvèt

pus qu’on pô F hanète po fére signe. Zidôre a r’ièvè F sinne.

« Sept cents francs à Isidore… une fois… sept cents francs, deux fois… »

Françwès solève li tièsse. « Huit cents francs à François… »

Et F bokèt a monté, monté, maugrè F prix conv’nu d’vant F vinte, pace

qui, chaque côp qui F baguète alot r’tumè, Lalîye ou Gustine gougnot

on pô s’t-ome, çu qui v’iot dire : èco !

A wêtant lès deûs hanètes qui s’ ridrèssint, qui s’ rabachint one après

Faute, les djins copinint tôt bas inte vèjins :

« On dîrot dès gâtes qui sont prêtes à sukè !

—  Ou dès coqs qu’ont d’chindu d’ leûs-ansènî po plonkè onk dissus Faute.

 

gros dos, comme les autres, la tête baissée, les mains  serrées l’une  dans l’autre, sans

rien dire.

« Eh bien, personne n’en veut ? crie le clerc du notaire.

—  Mettons cent francs, fait le gros Dré en riant.

—  Deux ! dit François.

—  Trois ! » répond Zidôre.

Et cela monte ainsi jusqu’à six cents francs, et c’est François qui le tient.

«Six cents francs, une fois… six cents francs, deux fois!» dit le notaire.

Dès ce moment, on aurait entendu voler une mouche dans le cabaret. Seuls le notaire

et le clerc ouvrent la bouche. Nos deux amateurs se bornent à redresser un peu la nuque

pour faire signe. Zidôre a relevé la sienne.

«Sept cents francs à Isidore… une fois… sept cents francs, deux fois… » François lève

la tête. «Huit cents francs à François… » Et le terrain a monté, monté, malgré le prix

convenu avant la vente, parce que,  chaque fois que la baguette allait retomber,  Lalie

ou Gustine poussait légèrement son homme du coude, ce qui voulait dire : encore !

En regardant les deux nuques qui se redressaient, qui se baissaient l’une après l’autre,

les gens parlaient tout bas entre voisins : « On dirait des chèvres qui s’apprêtent à cesser.

—  Ou des coqs descendus de leur fumier pour fondre l’un sur l’autre.

 

(p.415)

—  In’ sont nin à vainqui et i sont tos lès deûs au pus Iwagnes.

—  Li pus malin, c’est 1′ ci qui 1ère dîre li dêrin. »

C’est Francwès qu’a lèyi r’tumè s’ tièsse po do bon à dîj-ûf cints. « Rimèt on napolèyon ! » dist-èle Gustine à Zidôre.

Li Râbieû astot makè, et 1′ baguète, qu’a d’morè on bokèt lèvéye au coron do 1′ mwin do notaire, après 1′ deûzinme côp qu’il avot dit : « Dîj-ût çant vint’», a djondu 1′ comptwâr… «Adjugé à Isidore!»

Maurice s’a dârè su 1′ botèye avou 1′ chalè d’ mon Twinne po vûdè one toûrnéye.

Lès wêteûs, qu’avint d’morè one grosse eûre sins cauzu rin dîre, ont rapougnè 1′ copine; lès dos, onk après Faute, s’ont r’drèssè; Zidôre et Gustine ont sî Monsieû 1′ Notaire dins 1′ tchambe à costè po-z-alè signe; Francwès et s’ fème, zês, ènn’ont profité po moussé fou et z-è raie.

« È faurè-t-i dès kilos d’ bure à treûs francs et dès quautrons d’ous à trante sous po payé 1′ bokèt dès tièstus ! » qui F gros Dré a criyè à choquant avou s’ vèjin.

Li cabaret s’a vûdè tôt doûç’mint; lès fèmes fyint dès-èsclameûres à sortant et lès-omes lèvint lès spales à s’ dijant tortos dins zês-minmes :

« Dès prix d’ fôs à s’ crève ! »

Gn-avot qu’onk qui s’ frotot lès mwins : c’est Bâtisse do Wassê qu’avot profité do 1′ brouye dès vèjins po r’fere ses tchausses au talon.

 

—  Ils ne sont pas à réduire et sont tous deux au plus sots.

—  Le plus malin est celui qui laissera dire le dernier. »

C’est François qui a laissé retomber la tête pour de bon à dix-huit cents. « Remets un napoléon ! »  dit Gustine à Zidôre.

Le Râbieû était vaincu, et la baguette, qui est restée un moment levée au bout de la main du notaire, après la deuxième fois qu’il avait dit : « Dix-huit cent vingt », a touché le comptoir… « Adjugé à Isidore ! »

Maurice s’est précipité sur la bouteille avec le boiteux de chez Toine pour verser une tournée.

Les spectateurs, qui étaient demeurés une grosse heure sans presque rien dire, ont repris la conversation; les dos, l’un après l’autre, se sont redressés; Zidôre et Gustine ont suivi Monsieur le Notaire dans la chambre à côté pour aller signer; François et sa femme, eux, en ont profité pour sortir et s’en retourner.

« En faudra-t-il des kilos de beurre à trois francs et des quarterons d’œufs à trente sous pour payer le terrain des entêtés ! » a crié le gros Dré en trinquant avec son voisin. Le cabaret s’est vidé lentement; les femmes s’esclaffaient en sortant et les hommes haus­saient les épaules en se disant tous en eux-mêmes : « Des prix de fous à crever ! » Un seul se frottait les mains : Baptiste du Wassê qui avait profité de la brouille des voisins pour refaire sa pelote.

 

(p.416)

Et, tins qu’ lès Râbieûs et lès Zidôre si d’mougnint à s’ sohaitant au diâle et co pu Ion, leûs-èfants, Gène et Twènète, è ralint di scole èssonne à s’ racontant dès-ad’vinas.

 

« Li crawieûse agasse », publiée par J. Haust, Liège, H. Vaillant-Carmanne, 1939 (coll. « Nos Dialectes »), pp. 22-28.

Et, tandis que les Râbieûs et les Zidôre s’injuriaient en se souhaitant au diable et plus loin encore, leurs enfants, Gène et Toinette, revenaient de l’école en se posant des devinettes.

(Trad. d’Edgard Renard, ibid.)

(p.417)

HENRI VAN CUTSEM

(1884-1958)

 

Né à Montignies-sur-Sambre, mort à Charleroi. Etudes d’instituteur à l’Ecole normale de Nivelles. Termine sa carrière comme directeur d’école primaire à Charleroi.

Henri Van Cutsem, qui fut l’un des promoteurs du mouvement dialectal au pays de Charleroi, a écrit de nombreuses revues et pièces de théâtre dont la plus connue est Tintin (1930). Outre des contes dispersés dans L’hûlaud d’ Châlèrwè et un roman, Mam’zèle Chose (1950), on lui doit deux recueils, l’un de poésies descriptives, Tchabaréyes [Jonquilles] (1925, 2e éd., 1936),, où il déploie un bon talent d’observateur des types et des réalités populaires, l’autre qui réunit sous le titre Clérs di leune (1941) des évocations en prose et en vers.

 

 

154                                                                                            [Charleroi]

Djouweû d’armonika

 

A purète, su 1′ pas d’ l’uch di drî,

no djouweû d’armonica soye

dès scotichs, dès valses — qu’il èvoye

4   dins lès stos d’ fleûrs pou lès bêrcî.

 

Il èst tout d’kègn, i sère sès-îs;

su lès basses, ès’ n-orâye s’aspoye,

choûtant l’ musike qui coûrt èvoye,

8    tins qui bat l’ musure avou s’ pîd.

 

Come li, gn’a nén trèze à l’ douzène

pou nos skèter dès-ârguèdènes

èt nos fé pèter dès-assauts !

 

JOUEUR D’ACCORDEON

  1. A pur ète, en manches de chemise. — 2. soyî, scier (comp. « jouer une scie »). — 3. scotich, scotish. — 4. stos d’ fleûrs, touffes de fleurs. 5. n est tout de guingois.
  2. … il n’y en a pas treize à la douzaine, c.-à-d. il n’y en a pas deux pareils. — 10. skèter, litt’ déchirer, ici jouer (dans ce sens, s’applique surtout à un accordéoniste); ârguèdène, air (de musique).

 

(p.418)

12   Es’ franc goût, c’est djouwer dins 1′ breune : li qui n’ set nén ‘ne note corne in tch’fo, i rind sondjô Bruno dins 1’ leune…

Journal L’Hûlaud d’ Châlèrwè, 1″ année, 1923, n° 10. Repris dans Tchabaréyes, Couillet, 1936, p. 82.

  1. Son goût préféré, c’est de jouer à la brune. — 14. Bruno (à Liège : Bazin), person­nage imaginaire qu’on croit voir dans la pleine lune (cfr Wallonia, 17, 285 et surtout ALW, 3, 35 b).

 

 

(p.419)

FERNAND BONNEAU

(1885-1962)

 

Né et mort à Jamoigne, au pays gaumais. Après des études moyennes à l’athénée de Virton, il gagna Bruxelles où il devint agent commercial des « Papeteries de Belgique ».

C’est pour animer les soirées du « Cercle gaumais » qui groupait dans la capitale ses compatriotes que Fernand Bonneau composa des poésies et des chansons dans son parler natal. Une quinzaine d’entre elles furent réunies en 1947 sous le titre de A r’wâtant mourè lès dârnîs couvats [En regardant s’éteindre les derniers tisons]. De la cendre de son passé qu’il remue douce­ment, Bonneau fait s’élever la poésie grise des souvenirs, agrémentée souvent chez lui d’un sourire malicieux. On lui doit aussi quelques comédies diver­tissantes jouées par le Cercle gaumais entre 1922 (La Mèlîe à’ la Bouk’tîre) et 1960 (La vichotière) [La souricière].

 

 

155                                                                                 [Prouvy-Jamoignej

Il ant p’tète âk à s’ dère !

 

Vulez-v’, Mèlîe ? Dj’ pass’rans nous deûs

la vèye toucè à la mâjan.

Coume ça dj’ lârans lès-amoureûs

4   tranquiles ou pèle ostant qu’is v’lant.

Is n’ su causant m’ quand dj’ sans d’lé zos.

An dèrot méme qu’is s’ anoyant;

d’ lès vwar inlà sés choufler mot

8    i m’ séné toutdjos quu dj’ lès djénans…

Il-ant p’tète âk à s’ dère.

Oyi ! oyi !

Il ant p’tète âk à s’ dère

12          quu dj’ n’ans m’ dijète d’oyè !

 

ILS ONT PEUT-ETRE QUELQUE CHOSE A SE DIRE!

  1. Voulez-vous, Mélie, nous passerons nous deux; dju = nos, nous. C’est le type j’avons, encore très répandu dans la plus grande partie du Luxembourg où il peut être considéré corne * un trait essentiellement ardennais et gaumais » (L. Remacle, Syntaxe, I, p. 218).

—  2. vèye, veilée, soirée; toucè, ici; mâjan, maison. — 4. ou (art. contr.), en le, dans; pèle, litt. : poêle, pièce où se tient la famille. — 5. Ils ne se parlent pas quand nous sommes près d’eux; sur la négation gaumaise m(i), cfr n° 24, v. 3. — 6. On dirait même…

– 7 inlà, ainsi, comme cela; choufler, souffler. — 8. Il me semble toujours que nous les gênons. — 9. âk, quelque chose. — 12. que nous n’avons pas besoin (litt. : disette) d’entendre.

 

(p.420)

T-à-l’eûre, quand 1′ Pière va s’a ralèy

èt qu’ note Lucîe 1′ rucondûrè,

si èle rèsse lontas das l’alèye

16   n’ alez m’ co bacâyi après.

N’ fez m’ coume èchwa, nu v’ dèmounez m’

à v’ dègrougnant et bayant hôt,

à tout moumant nu la r’hutchez m’;

20   vus savez bèn qu’i n’ fant rin d’ mô.

Il-ant p’tète âke à s’ dère.

Oyi ! oyi !

Il ant p’tète âke à s’ dère

24          quu dj’ n’ans m’ dijète d’oyè !

 

Lès Lanzeuf, c’est dès gros fèrmîs;

c’est lès pus ritches, an put bin 1′ dère.

Gn-è qu’à r’wâti 1′ gros tas d’ feumî

28    qu’il-atèss’lant das leû pôrdjère.

C’est âke du rare, lès bons marieûs,

ça n’ su trouve me d’zous 1′ pîd d’in vé.

N’ fôt m’ dètchèssi lès-amoureûs

32    avu dès plats du r’gugne-mujé.

Il-ant p’tète âke à s’ dère.

Oyi ! oyi !

n-ant p’tète âke à s’ dère

36          quu dj’ n’ans m’ dijète d’oyè !

 

Et peûs, Mèlîe, v’ teumez d’ soumèy,

v’ cleumez vos-ûy, mantans coûtchi.

Dju s’rans bin mieus, racrapotèy

40   l’ènk ô lang d’ l’ôte ou fand d’ note lit.

 

 

  1. … longtemps dans l’allée (le chemin). — 16. bacâyî, gronder. — 17. N’ fez m’, ne faites pas; èchwa, hier; (su) dèmounèy, se démener. — 18. a, en; (su) dègrougni, ron­chonner; bâyi, crier. — 19. ne la rappelez pas à tout moment.
  2. Lanzeuf, sobriquet d’une famille de la région. — 27-28. Il n’y a qu’à regarder le gros tas de fumier / qu’ils entassent dans leur fosse. (C’est à la grosseur de la pôrdjère se trouvant devant la ferme qu’on jugeait de sa prospérité). — 29. C’est quelque chose de rare, les bons partis (litt* : épouseurs). — 30. vé, veau. — 31. dètchèssi, chasser, éloigner. — 32. avec des plats de dégoûté (litt* : à refus de museau).
  3. Et puis, Mélie, vous tombez de sommeil. — 37. cleumèy, cligner. — 39-40. … blottis /

 

(p.421)

Nous-ôtes ossè, dj’ nous r’souvérans

du tas qu’ dj’ètins djones tous lès deûs…

Gn-è djè lontas qu’ dj’ans eu vint-ans,

44   mes ça n’ fat rèn, i m’ séné qu’aneût

dj’arâ p’tète âke à v’ dère…

Oyi ! oyi !

dj’arâ p’tète âke à v’ dère

48   qu’an n’è m’ dijète d’oyè !

 

« A   r’wâtant  mourè   lès  dâmîs   couvais », Charleroi, 1947, pp.45-46.

 

l’un contre (litt. : au long de) l’autre au fond de notre lit. — 42. du temps que nous étions… — 43. Il y a déjà longtemps que nous avons eu vingt ans. — 44. aneût, aujour­d’hui. — 45. J’aurai… — 48. qu’on n’a pas besoin d’entendre.

 

 

(p.422)

JULES CLASKIN

(1886-1926)

 

Né à Grivegnée, mort à Liège, des suites d’une maladie contractée au front de l’Yser en 1914-1918. Il avait exercé le métier de sculpteur sur bois qu’il abandonna pour un emploi de bibliothécaire communal à Liège.

Venu à la poésie wallonne en 1909, il se signala aussitôt comme l’un des meilleurs chansonniers de cabaret. Si Claskin était « un sentimental que l’acuité même de ses impressions a conduit tout droit à la satire » (O. Pecqueur), on peut penser que celle-ci l’éloigna peu à peu de la mièvrerie des feus d’ rîmes liégeois de l’époque. Mélange de pièces conventionnelles et de couplets d’actua­lité où l’ironie le dispute à l’humour, l’unique recueil qu’il publia de son vivant, Côps d’ sàye [Coups d’essai] (1922) est loin, en tous cas, de représenter le meilleur de son talent.

C’est que, dès avant 1914, Claskin avait essayé d’autres coups d’archet. L’un des tout premiers, il conçut pour le wallon des ambitions plus hautes que celles qui le confinaient dans l’apanage habituel des littératures dialectales. Le premier aussi, il pratiqua résolument en wallon le vers libre, un vers libre souvent bref, austère, qui ne découvre que les affleurements de la sensibilité. La pudeur du poète dessine ainsi, sur un fond de mélancolie, les arabesques d’un art subtil, concentré, suggestif.

C’est par là que Jules Claskin s’est affirmé être un précurseur, après qu’un premier choix de ses poèmes inédits, en 1936, eut révélé des perspectives inconnues à une partie de la jeune génération qui, dans l’immédiat après-guerre, s’engagea sur les voies d’une écriture nouvelle où l’ellipse et le sens allusif ont remplacé le discours de la poésie-exutoire.

 

 

156                                                                                                   [Liège]

Disseûlance

 

Li nutl’ si plakue so mi-åme comne on båhèdje di feume.

 

Di l’ôte dès costés d’ Moûse, li bêté s’a win.nî

èt s’ loumîre avå l’êwe kissème dès blankès pleumes.

 

SOLITUDE

  1. … la lune s’est glissée.

 

(p.423)

4                 A l’ baye, ine cope vint s’aspoyî

èt leûs-åbions dansèt

èt pidjolèt so l’êwe avå lès bokèts d’ leune

èt d’ blankès pleumes qui s’ kitwèrtchèt.

 

8                        Ine nûlêye passe, rin qu’eune,

mins ‘ne måheulêye

qui rapwète à crås-vê

totes lès nut’s di l’an.nêye !

 

12   Et sins qu’on pôye dîre wice,

è l’ disseûlance dès quais,

ine saquî brêt…

 

1921.

 

Airs di Flûte et autres poèmes wallons, édit. critique d’après les manuscrits de l’auteur, par Maurice Piron, Liège, Soc. de Langue et de Littérature wall. (Collec­tion Littéraire wallonne, 1). 1956, p. 20. Paru d’abord dans « Côps d’ såy », Visé, 1922, p. 37.

 

 

157

A triviès dè l’ plêve

 

Li nûlêye a drèné,

sès pèsants tonês d’êwe rôlèt tot-avå l’ cîr;

on ôt toner.

4   Lès grozès gotes toumèt come dès baguètes d’acîr.

 

Lès-åbes ont l’aîr d’aveûr dès foyes di veûle

— dès foyes qu’ont l’aîr dè spiyî totes-èt-seûles.

 

 

  1. Au garde-fou [du quai], un couple vient s’accouder. — 5. åbion, ombre, silhouette. — 6. pidjoler, zigzaguer, caracoler. — 7. et de plumes blanches qui se tortillent.
  2. måheulé, ici au sens de malfaisant. — 10. à crås-vê (litt. : à veau-gras), sur le dos; expr. arch. désignant au propre la manière de « porter un enfant sur son dos, les jambes de l’enfant étant renversées sur le devant > (DL et fig. 232).
  3. quelqu’un crie.

 

AU TRAVERS DE LA PLUIE

  1. Le nuage a cédé (= crevé).
  2. … des feuilles de verre. — 6. … de casser d’elles-mêmes.

 

(p.424)

Èmé cisse dilouhe,

8    deûs mohones, là pus lon, podrî lès maronîs,

avou leû masse di leûre èt dès rôses so l’ pas d’ l’ouh,

tûsèt — tot loukant ploûre come on louke sins vèyî…

 

1912.

Ibid., p. 21. Paru d’abord dans le journal Le Cri de Liège du 20 juin 1914.

 

 

158

D’zîr

 

Qu’èstez-ve ureûse, nûlêye,

qui l’ vint pwète èvôye è l’ grande sitårêye !

 

Tofér è plin dè l’ loumîre

4   dè solo qui r’handih, dè l’ bêté qu’ fêt sondjî,

vos ‘nn’alez-st-à l’avîr

po lès clérès vôyes dè pus bê payîs :

li cîr.

 

8    D’ine hauteûr parèye,

nos bins, nos mås, nos clapantès-îdèyes

ni sont rin po ‘ne nûlêye è grand vint.

 

12   Et mi, li sot rîmeû, dji voreû-t-èsse, come vos,

foû d’ nos miséres, foû d’ tot,

èt sins nole ècoute

passer tot-oute !

 

  1. Au milieu de cette averse. — 9-10. avec leur masque de lierre et des rosés sur le seuil / songent — en regardant pleuvoir comme on regarde sans voir.

 

DESIR

  1. nûlêye, nuage. — 2. sitårêye, étendue (ici l’immensité du ciel).
  2. rihanti, réchauffer; bête, pleine lune (litt. : beauté). — 5. à l’avîr, au hasard.
  3. … nos idées magnifiques.
  4. sins nole ècoute, sans rien entendre.

(p.425)

16     Qu’èstez-ve ureûse, nûlêye,

qui l’ vint pwète èvôye è l’ grande sitårêye !

 

1924.

Ibid., p. 46. Paru d’abord dans La Wallonie en fleurs, t. 3, 1925, p. 191.

 

 

159

Li mêsse dè l’ djowe

 

È 1′ guinguète tote frawiante di loumîres,

ine sote musike hingnetêye à l’ visse à l’ vasse,

come po s’ moker dè ci qui passe,

4   di l’ome qu’ènnè ralève tot mahuré d’ poussîre,

nanti, drènant, n’è polant pus,

— èt l’ sote musike qu’a l’aîr dè rîre di lu…

 

Li djowe ratake ine danse.

 

8                 Come s’i volît fé ‘ne målignance

èt disvindjî lès bravès djins,

lès danseûs tarlatèt so l’êr dè l’ tchansonète;

èt çoula v’s-aroufèle è visèdje, d’on côp d’ vint,

12    avou ‘ne tchawerèye di feumes, di flûtes èt d’ clårinètes.

 

Quéle cwahante djôye

po l’ome qui passéve

èt qu’ s’a-st-arèsté

djusse è plin dè l’ clårté

16                        qu’atome so l’ vôye !

 

I m’ sonle qui lès danseûs lêrît ‘ne miyète dè rîre

s’èl vèyît planté là, come ine posteûre di pîre.

 

 

LE CHEF DE MUSIQUE

  1. … toute éblouissante de lumières. — 2. une musique bête grince (litt. : grimace) à tort et à travers. — 4. mahuré, souillé, barbouillé. — 5. épuisé, courbé…
  2. målignance, méchanceté, mauvais tour. — 9. disvindjî, défier. — 12. tchawerèye, criail-

lerie.

  1. cwahant, coupant, poignant. —- 16. qui tombe sur le chemin.
  2. … cesseraient (litt. : laisseraient) un instant de rire. — 19. aswådjî, soulager.

 

(p.426)

« Passez vosse vôye ! » voléve-dju brêre po l’aswådjî.

20                        À bê mitan dè l’ rowe,

come s’i minéve li djowe, l’ome batéve li mèseûre avou s’ pîd…

 

« Passez vosse vôye ! » voléve-dju dîre !

 

24    Ossu, dj’ fouri binåhe qui l’ musike fève ahote

èt qu’ l’ome, tot rèfonçant s’ canote,

ènn’aléve… foû dè l’ loumîre.

 

1924.

 

Ibid., pp. 52-53. Paru d’abord dans l’hebdomadaire Wallonia, n° du 24 mai 1928.

 

 

160  Par après

 

Torade, à l’ cwène dè l’rouwalète,

qwand dj’ m’a vèyou tot seû dilé m’ boukèt d’ violètes

qui fève ine blouwisse tètche à l’tére, è l’poûssîre,

4  come on ramasse ine pîre,

— ine pîre qui djin.ne è l’vôye —

dj’a ramassé mès fleûrs, lès fleûrs di l’åbe-coûte-djôye,

èt tot m’ dihant qu’ n-a nole pon.ne qui n’ si påye,

8     dj’èls-a hiné bin lon, po d’zeû l’ håye.

 

Et pus tård è m’ coulêye, tot fî seû,

dj’aveû co so mes deûts

ine odeûr di violètes qui m’ tèm’téve doûç’mint

12           avou ‘ne rimimbrance d’ine båhe, d’on sièrmint

èt d’on bleû boukèt : on r’grèt…

 

2l. comme s’il dirigeait la musique.

  1. fé ahote, faire arrêt, cesser. — 25. canote, var. de calote, casquette.

 

 

PAR APRES

  1. torade, tantôt. — 3. blouwisse (fém.), bleuâtre. — 6. … de l’arbre-courte-joie : sur ce

symbole de la déception, cfr le n° 126. — 8. hiné, lancé.

  1. coulêye, coin du feu; tot fî seû, solitaire (litt. : tout fin seul). — 11. … qui m’agaçait…

 

(p.427)

Mins come mi coûr rametéve on pô trop’ à m’ manîre

16   po ‘ne cåcarète,

dji lèya ‘nn’ aler m’ pon.ne è bleû boukèt d’ foumîre

d’ine cigarète.

 

1925.

Ibid., p. 50. Paru d’abord dans « Poèmes de Jules Claskin », éd. par M. piron, La Vie wallonne, t. 16, 1936, p. 278-279 et, sous un premier état différent dans Notre Muse, t. I, 1927, p. 8.

 

 

161

Feû qui djômih

 

C’ès-là qu’ont su leû dèstinêye

come in-ètéremint, tot strindant d’vins leûs mins

4       li dièrin boukèt d’ fleûrs di leû binamêye;

 

cès-là qu’ n’ont trové so leû vôye

qui l’åbe-coûte-djôye

èt, d’vant d’èsse djon.nes,

8 s’ont racrampi so leû pon.ne;

 

cès-là qu’ont dispièlé tot 1′ grand tchapelèt dès låmes

èt rindou l’åme

è blamant d’ leûs prumîrès-amoûrs;

12 di zèls, li mwért ni tint d’zos ‘ne pîre

qu’on cwî d’ poussîre,

 

 

  1. rameter (fam.), jaser, bavarder. — 16. cåcarète, grisette.

 

 

FEU QUI COUVE

  1. Sur l’ åbe-coûte-djôye, cfr ci-dessus Par après, v. 6 et la référence au n° 126. — 8. se sont ramassés sur leur peine.
  2. dispièlé, égrené (litt. : déperlé). — 11. dans l’ardeur… — 13. qu’une pincée (litt. : une cuillerée) de poussière. —

 

(p.428)

in-onêe

èt, come on rodje crahê,

16 leû coûr !

 

1925.

 

Ibid., p. 57. Premier état, à peine différent, dans La Vie wallonne, loc. cit., pp. 282-283.

 

 

162

Dizos l’ovreû d’on tèyeû d’ pîres…

 

Dizos l’ovreû d’on tèyeû d’ pires — in-abatou,

on teûtê d’ panes monté so pîces —,

sins l’ome qu’oûveûre là, vos-årîz ‘ne gote pawou

4                 come d’èsse tot fî seû d’vins ‘ne èglîse.

 

Mins l’ ovrî bouhe; on ôt toketer s’ hèrpê.

Åtoû d’ lu, lès creûs d’ pîre si drèssèt hår èt hote

come ine porcèssion qui s’ disfêt.

 

8    Sûremint qui l’ tèyeû d’ pîres a dès-ôtès-îdêyes,

dji l’ô qui gruzinêye

tot sûvant l’êr avou sès côps d’ mahote :

on côp chal, on côp là, come s’i d’néve ine rawète…

12   Tot suvant ‘ne êr di danse qui l’aveut fêt danser,

l’ome markée lès treûs lètes : R. I. P.

 

  1. onê, anneau. — 15. crahê, escarbille, morceau de charbon incomplètement consumé.

 

 

SOUS L’AUVENT D’UN TAILLEUR DE PIERRES  [TOMBALES]…

  1. abatou, appentis.
  2. un auvent de tuiles monté sur perches. — 3. … vous auriez un rien peur.
  3. Mais l’ouvrier frappe : on entend les coups de son ciseau. — 6. se dressent ça et là.
  4. gruziner, fredonner. — 10. mahote, gros marteau. — 11. rawète, chose que l’on donne de surcroît, par-dessus le marché.

 

(p.429)

Mins l’ tèyeû d’ pîres a dispindou s’ frake èt s’ canote

16              qu’ine creûs t’néve à reûd brès’ podri lu.

Et volà l’ome rèvôye. On n’ l’aurè pus.

 

Asteûre qu’i fêt bin påhûle è l’ovreû,

on n’ sint portant nole disseûlance inte di lès creûs.

20   On dîreût qu’ cès pîres-là covrèt dèdjà ‘ne saquî,

ine åme ou l’ôte… Såreût-on dîre ?

Tinez, si dji m’ hoûtéve, dji f’reû ‘ne priyîre…

 

Awè… mins po quî ?

 

Ibid., p. 50.

 

 

163  Come mi, come vos

 

Si tos lès-omes ont stu prustis

come vos, come mi,

on troûve qu’is n’ sont nin fêts turtos

4                 come mi, come vos.

Qu’i sèyèsse lwègnes ou fwért sûtis

come vos, come mi, i fåt qu’ trovèsse à r’dîre so tot,

8                 come mi, come vos.

Ènn’ a qu’on ôt sovint djèmi

come vos, come mi; l’aweûr dès-ôtes lès rind djalots

12                 come mi, come vos.

Tot d’hant qu’ lès gros magnèt lès p’tits

come vos, come mi, po fé parèy, i donrît gros,

16                 come mi, come vos.

 

 

  1. frake (f.), frac, ici un sens de veste ou de paletot; canote, cfr n° 159, v. 25.
  2. à reûd brès’, à bras tendu. — 17. On ne l’entendra plus. 19. … aucune solitude parmi les croix.

 

COMME MOI, COMME VOUS

  1. prustis, pétris. — 4. Qu’ils soient niais ou fort malins.
  2. aweûr, bonheur, chance.

 

(p.430)

Dès-ôtes, s’is polît s’aritchi,

come vos, come mi, tinrît lodjis’ dizeûr èt d’zos

20                  corne mi, come vos.

S’on djâgô l’zî boute on bon pris

come vos, come mi, is prindrît lès cens’ sins fé l’ glot,

24                  come mi, come vos.

 

S’onk di nos grands mêsses si disdit,

come vos, come mi, i sèrè trêtî d’ tos lès nos,

28                  come mi, come vos,

èt s’ dit ténefèye awè-nèni,

come vos, come mi, on dîrè qu’i fêt l’ mårticot,

32                  come mi, come vos.

 

Aw’reûsemint qu’ po lès djins d’èsprit,

come vos, come mi, li monde èst fêt d’ tos bês djodjos,

36                  come mi, come vos,

qui n’ riqwèrèt po s’ divèrti

come vos, come mi, qu’ dès djins qui sont-st-à mitan sots,

40                  come mi, come vos !…

 

Ibid., pp. 131-132. Paru d’abord dans le 32e annuaire de la Société « Lès auteurs walons », Liège, 1939, pp. 21-22.

 

  1. tiendraient logis en haut et en bas, c.-à-d. tireraient profit de tous. — 21. Si un benêt leur offre un bon prix. — 23. ils prendraient l’argent sans faire le difficile.
  2. Si l’un de nos grands maîtres (c.-à-d. de nos dirigeants) se contredit. — 27. no, nom. — 31. mårticot, singe, ici au sens de bouffon.
  3. djodjo, au sens fig. et iron. de plaisantin.

 

 

(p.431)

HENRI PETREZ

(1886-1967)

 

Né et mort à Fleurus. A peine adolescent, il entra dans un atelier de décorateur comme peintre sur émail; par la suite, il devint employé.

Henri Pétrez, qui débuta dans la littérature dialectale vers 1900, est l’auteur de poésies, de chansons, d’un recueil de souvenirs (Fleûru dins m’ vikérîye, 1962) et d’une vingtaine de comédies. Mais c’est comme fabuliste qu’il s’est fait surtout connaître en publiant respectivement en 1928, 1938, 1950 et 1957 les quatre recueils de Fauves du Baron d’ Fleûru qu’il signait d’un surnom emprunté à ses grands-parents maternels, métayers de la censé du Baron à Fleurus.

Les fables de Pétrez sont originales en ce sens qu’il ne transpose pas La Fon­taine, à la différence de la plupart de ses émules wallons. Le risque n’en est que plus grand et, si Pétrez ne manque pas d’imagination, si son vocabulaire est riche, trop de faiblesses techniques empêchent souvent le lecteur de trouver dans ses fables le plaisir escompté.

 

 

164                                                                                               [Fleurus]

Li sacoche, li tchèna èt 1′ banse au mârtchi dès pwin.nes

 

C’est pou wétî di s’ diskèrtchî

qu’ lès twès feumes è vont au mârtchi dès pwin.nes

4                        qui, parèt-i,

si tént l’ samwin.ne dès deûs sèmedis.

 

 

LE SAC A MAIN, LE PANIER ET LA MANNE AU MARCHÉ DES PEINES 1-2. C’est pour veiller (litt. : regarder) / à se décharger.

 

(p.432)

Leûs pwate-maleûrs

8    canletéyenut : « Oyi, dis-èle li sacoche,

si vos wèyîz tous lès boukèts di s’ keûr

qui son.nenut dins l’ cwén, su s’ bia mouchwè d’ poche,

asto dès p’tits bastons d’ couleûr,

12          du murwè èt dè l’ bwèsse à poûre !

Si djon.ne, èt d’djà tant dès chagrins d’amoûr !

— Si kètche n’èst nén pèsante èt sès djambes n’ont pont d’âdje,

rèspond l’ tchèna. Dispûs qu’on a quité l’ vilâdje,

16              èlle èst toudi pa-d’vant !

Qwè-ce qui ça pèse dins l’ vîye dès tromperîyes di galants ?

20    Ène once ? D’abôrd, s’èle avèt ‘ne bèséye come li mène,

èle è f’réve dès mèn’saumènes !

Mwârt d’ome, misére, maladîye :

‘là li spaugne d’ène vikaîrîye

24          pou l’ comére qui m’ pwate à s’ brès !

 

— Jésus’ ! ni rotez nén si rwèd,

suplîye li banse. Li pôve vîye djint qui m’ trin.ne fourboute, èst dins lès transes;

28    sès djambes tron.nenut d’zous lèye, èlle èst toute sanke-èt-neuwe

rén qui d’ pinser qu’èle pouréve ièsse taurdeuwe

pou discandjî lès pwin.nes qui brochenut d’ mès-osiêres.

Taurdjîz ‘ne miyète, choûtez s’ priyêre… ».

 

  1. Les « porte-malheurs > sont les trois objets qui, selon l’âge et la condition des trois femmes, contiennent leurs peines. — 8. canleter, bavarder, jaser; oyi, oui. — 9. boukèt, morceau. — 10. qui saignent dans le coin… — 11. près des petits bâtons de couleur, c.-à-d. de fard. — 12. murwè, miroir; poûre, poudre.
  2. kètche, charge; … n’ont point d’âge, c.-à-d. sont encore jeunes. — 16. elle marche toujours en tête. — 20. bèséye, fardeau. — 21. fé dès mèn’zaumènes (var. à Fleurus : bèraumènes), faire des chichis, des embarras. — 23. spaugne, épargne. Le sens est : voilà ce qu’on gagne en une vie.
  3. … ne marchez pas si vite. — 27. fourbouter, faire des efforts. — 28. tron.nenut, trem­blent; … elle sue sang et eau. — 29-30. … qu’elle pourrait être en retard / pour échanger [au marché] les peines qui débordent de mes [flancs d’]osier. — 31. Attendez un peu…

 

(p.433)

32  Oyi ! compte là-d’ssus !

Saquants-eûres après, on p’lèt vîr su 1′ voye

lès feumes racouru

avou leû kètche qui n’ pèséve pus…

36          Elle ènn’ avèn’ télemint vèyu

dès pus drincîyes qui zèles, qu’èles-ont couru èvoye !

Qui l’ kèdje fuche come èle voûye : quand on a du couradje,

on r’lève li tièsse après l’oradje.

 

” Pro Wallonia », 4e Annuaire de l’Assoc. roy. littéraire wall. de Charleroi, Couillet, 1939, pp. 37-38, avec variantes reprises du 3e recueil de « Fauves du Baron d’ Fleuru». Charleroi, 1950, pp. 37-39. Notre version a été établie avec l’accord de l’auteur en décembre 1956.

 

  1. Quelques heures après, on pouvait voir sur le chemin. — 37. de plus éprouvées (ou maltraitées) qu’elles…

 

 

(p.434)

PAUL MOUREAU

(1887-1939)

 

Né à Jodoigne, mort à Louvain. Professeur à l’Ecole moyenne de Châtelet, il fit de sa ville d’adoption le centre des recherches historiques et folkloriques qu’il étendit à la région avoisinante. Son intérêt pour les choses du terroir l’amena à publier en 1930 une monographie sur Edmond Etienne, un auteur wallon qu’il avait connu dans son enfance à Jodoigne. Attiré de la sorte par la littérature dialectale, Paul Moureau fit paraître, en 1932, Contes d’à prandjêre [Contes de midi], recueil d’impressions et de sou­venirs auxquels se mêlent quelques vers de bonne venue. Peu après, en 1935, Fleurs d’à ï vièspréye [Fleurs du soir] consacrait le talent du poète. Dans ce recueil où la note intimiste et familiale alterne avec le sentiment religieux, la qualité de l’émotion est servie par un métier solide, sans bavures. Moureau est aussi l’auteur d’une pièce de théâtre en vers Pa d’zos l’ tiyou (1933) [Sous le tilleul] inspirée par la figure d’Edmond Etienne et qui eut une suite, Djan Burdou créée en 1939, à la veille de la disparition de son auteur.

 

 

165                                                                                          [Jodoigne]

Lë Tins

(Extrait)

 

Est-ce vrai, tot l’ min.me, quë djë d’vén vi ?       Vv1

lès-an.néyes sûvenèt lès-an.néyes

èt, së l grande vôye dè l’ Dèstinéye,

4    le Tins avance sins s’ despétchi.

 

Il avance come on vi Rwè Madje,

sûvant lë stwèle qu’èst djë n’ sai-où,

coudant lès djins, sèmant lès dous,

8    fëjant toumer tot su s’ passadje,

 

fëjant toumer, pa-d’zos sès pids,

tot ç’ qu’ë gn-a d’ bon èt d’ bia dins l’ viye.

Lë viye?… ç’ n’èst pus qu’one angonîye :

12    lès vis sont mwârts, lès djon.nes sont vis.

 

 

LE TEMPS. — La graphie ë en italique (exemple : lë tins) représente une voyelle sourde qui correspond aux i et u brefs du namurois; ce son intermédiaire caractérise le dialecte de l’est du Brabant wallon.

1 … comme un vieux Roi Mage. — 7. coudant, cueillant, ici au sens de : fauchant. 11. angonîye, agonie.

 

(p.435)

O  Tins, qu’avoz fait de m’ djon.nèsse?

Djë n’ wase pës m’ bouter d’vant l’ mërwè,

dj’a peû d’ veûy më tièsse come èlle èst;

 16    on dit qu’èlle èst tchènoûwe, më tièsse…

 

Tot-autou d’ më, dj’a beau wéti :

lès cénk quë dj’ vèyeûve së vol’ti,

où sont-ës co ? Waseriz bén l’ dire ?

20   Non… vos m’ lès-avoz tortos prins !

Po r’trover onk dë mès parints,

I  faut quë dj’ vauye au cëmintîre…

 

O Tins, mourveû Tins què v’s-èstoz !

24   Vos n’aurdez rén, vos brijiz tot,

vos n’avez pont d’ compatëchance;

èt, po vëker come nos vëkans,

quë tos lès bouneûrs foutenèt l’ camp,

28    on dit qu’ lès mwârts ont co pës d’ chance.

 

« Fleurs d’al Vièspréye », Châtelet, 1936, p. 79. (On rétablit, ça et là, des traits de prononciation jodoignoise méconnus par l’auteur.)

 

 

166

Au cëmintîre

 

Lès larmes qu’ont d’djà courë, vécë, dins l’ cëmintîre,

cë qu’on-z-a brêt sès-ouys, cë qu’on-z-a somadji

d’vant lès crwès, lès crwès d’ bwès, lès crwès d’ fiêr, lès crwès d’ pîre

4   èt lès p’tites blouwès crwès, totes croléyes, dë papî !…

 

  1. Je n’ose plus me présenter (litt. : pousser) devant mon miroir.
  2. Vous ne  gardez  (c.-à-d.  respectez)  rien,  vous  brisez  tout.  —  25.   compatëchance, compassion. — 26. vëker, vivre.

 

AU CIMETIERE

1 … qui ont déjà couru, ici… — 2. somadji, sangloter. — 4. blouw, bleu.

 

(p.436)

Lès fleûrs qu’ont d’djà florë come dès tinrès compagnes,

lès tombes où-ce qu’ës dâmenèt, lès cénk qu’on r’grète todë !…

Bèlès fleûrs dë djardén, simpès fleûrs dë campagne,

8    c’è-st-à zèls qu’on pinseûve quand on vos-a coudë !

 

Lès priyêres qu’on-z-a dët come dès mots d’espèrance

quë lès nosses compèrnèt quand on l’zi dët tot bas…

Lès mwârts në sont ni mwârts, tant qu’on aude leû sovenance :

12   is sont-st-èvôye, chone-t-ë, dins-r-on payis pës bia.

 

Ibid., p. 78 (Idem).

 

  1. dâmenèt, dorment; todë, toujours.
  2. que les nôtres (= nos morts) comprennent… — 11. … tant qu’on garde.

 

 

(p.437)

MARCEL LAUNAY

(1890-1944)

 

Né à Ferrières, mort à Liège dans un bombardement aérien, peu avant la fin de la seconde guerre mondiale. Ingénieur agronome des Eaux et Forêts, diplômé de l’Ecole Forestière de Nancy.

Elevé à Liège où ses parents, maraîchers, étaient venus s’établir, Marcel Launay prit goût à la littérature wallonne en découvrant Xhignesse par les Bulletins de la Société de Littérature wallonne. Au sortir des humanités, il publia ses premiers vers en 1909 dans Li Clabot et Li P’tit Lîdjwès, gazettes patoisantes de Liège. Comme ses études et sa profession de forestier l’avaient rapproché de son terroir d’origine, c’est tout naturellement à celui-ci qu’il demanda l’inspiration d’une poésie tournée tout entière vers l’évocation de la vie campagnarde au sein d’une nature scrupuleusement observée. Avec sa première plaquette Tâvlês d’Ârdène (1923) [Tableaux d’Ardenne] qui sera intégrée en 1925 à l’important volume de Florihâye [Floraison] s’affirme l’art rigoureux d’un parnassien liégeois. Sans renoncer à un vocabulaire riche, parfois difficile, et en donnant sa préférence au parler de son village natal, le poète assouplit sa manière dans Lès tchansons dè bèrdjî (1937) [Les chansons du berger] prolongées par Lès tchansons dè mohî [Les chansons de l’éleveur d’abeilles], recueil que la mort de l’auteur laissera inachevé : ici, au-delà d’une précision technique dont Launay ne se départit jamais, sa poésie s’ouvre au merveilleux, au légendaire.

Cette atmosphère de légende avait d’ailleurs fait le charme de la plupart de ses œuvres dramatiques qui reconstituent la vie de l’ancien temps dans le cadre d’une Ardenne sauvage : A l’ Rodje-Minîre (1929) [A « Rouge-Minière »] et Li tchant dè côr (1931) [Le chant du cor], pour ne citer que ces pièces, ont marqué d’une empreinte de réalisme poétique le théâtre wallon trop souvent enlisé, à l’époque, dans le vérisme petit-bourgeois. Quant au prosateur, il n’a pas eu le temps, chez Launay, de tenir les espérances qu’avaient fait naître les quelques pages des Contes dè gârd dè bwès (1937).

 

 

167                                                                                                   [Liège]

Po-z-èsse on payîsan…

 

Po-z-èsse on payîsan — payîsan come djèl so —

i fåt-st-avu brakené so lès hautès gonhîres

l’al-nut’, qwand lès singlés dihindèt-st-å galop

4   vès lès téres, là qu’is v’nèt distèrer lès crompîres.

 

POUR ETRE UN PAYSAN…

  1. brakener, braconner; gonhîre (arch.), colline boisée. — 3. singlé, sanglier. — 4. crompîre, pomme de terre.

 

(p.438)

I fåt-st-aler chake djoû, tchåssî d’ pèsants sabots,

veûyî so ‘ne trope d’åmayes å mitan dès brouyîres;

avu lès tchifes èt l’ front hålés dès qwate solos

8    èt, télefèye, dwèrmi ‘ne nut’ å coûr dès sapinîres.

 

I fåt-èsse côpeû d’ troufe, tèyeû d’ lègne, distriheû,

èt savu k’dûre è mås’, mågré l’ plêve èt l’ houreûs,

ine cope di fwètès bayes atèlêyes à l’èrére.

 

12   Et, si rade qui djulèt’ s’èdwért lôyeminôyemint,

i fåt, sins fé nole hègne, soyî s’ bounî d’ frumint,

tot mouyant di s’ souweûr li bone èt frudjante tére.

 

Li 12 di May 1919.

 

« Tåvelês d’Ârdène », Liège, 1923, p. 8 et « Florihåye », Liège, Vaillant-Carmanne, 1925, p. 71.

 

 

168

Vèsprêye

 

Là-d’zeûr, drî lès tronles bwèrdant l’ reûde gridjète,

li solo d’awous’ nos qwite come à r’grèt.

Si ronde rodjih, dismètant qu’ sès r’djèts

4   si r’hètchèt tot doûs djus d’ l’êwe dè l’ rivelète.

 

L’êr dè grand wêdèdje ridohe di mohètes;

dizos lès tièrcîs saqwants boûs rwèmièt,

èt l’ brîhe qui sofèle apwète dè croupèt

8    li troûblante alène dès fleûrs di sucètes.

 

  1. veiller sur un troupeau de génisses. — 7. tchife, joue.
  2. côpeû d’ troufe, « homme qui découpe et prépare la tourbe dans la tourbière » (note de l’auteur);  tèyeû d’ lègne, bûcheron (litt. :  tailleur de bois); distrîheû, défricheur. —
  3. et savoir conduire en mars, malgré la pluie et le vent d’hiver. — 11. baye, jument baie; èrére, araire, charrue.
  4. lôy’minôy’mint, nonchalamment. —  13.  il faut sans rechigner  (hègne   =   grimace), faucher son bonnier de froment. — 14. frudjant, fécond, fertile.

 

SOIR

  1. … derrière les trembles qui bordent le raidillon. — 3. son disque rougit, cependant que ses reflets (litt* : rejets). — 4. se retirent…
  2. wêdèdje, pâturage; ridohî, regorger. — 6. tièrcî, cerisier; rwèmî, ruminer. — 7. brîhe, brise, vent léger; croupèt, butte, monticule. — 8. la troublante haleine des chèvrefeuilles.

 

(p.439)

A l’ fôdje dè l’ lèvêye, on clér feû s’ distind;

li clårté qu’i tape flåwih doûciètemint…

On n’ôt dèdjà pus lès tchansons d’ l’èglome.

 

12   I k’mince à mati, lès bièsses vont raler,

èt, là, d’vins lès fonds, li basse dè bwès fome

è blouwis’ åbion di s’ djîse èssoketé.

 

Li 31 d’awous’ 1911.

« Tåvelês d’Ârdène », p. 47 et « Florihåye », p. 101.

 

 

169  I ploût !

 

C’è-st-ine pîtieûse plêve dè coûrt-meûs,

ine plêve qui trimpe téres èt hourêyes

èt qu’èspêtche lès tchårs dès tèyeûs

4    dè passer lès wés dè l’ Limbrêye.

 

Låvå, l’ rivelète hoûse bon-z-èt reûd

come s’ èle volahe, amå 1′ vèsprêye,

ènêwer l’ trîhe dè Pré-Houyeû,

8    là qui l’ djinti-bwès s’èbohenêye.

Vès non.ne, li vî rènant qu’ passa

m’a brêt : « Hay ! djônê, tchante sins r’la !

Li plêve t’apontiêye bon tchèrwèdje ! »

 

 

  1. lèvêye, chaussée, grand-route. — 10. flåwi, faiblir.
  2. Il commence à fraîchir, le bétail va rentrer. — 13. basse, mare, flaque d’eau dans

un bois; fume, au sens d’exhaler de la vapeur. — 14. dans l’ombre bleuâtre de son gîte

assoupi.

 

IL PLEUT !

  1. C’est une piteuse pluie de février (litt. : du court mois, février n’ayant que 28 jours). — 2. hourêye, talus, tertre. — 3. tèyeûs (s.-ent. d’ lègne), bûcherons. — 4. les gués de la Lembrée (petit affluent de l’Ourthe qui arrose Ferrières).
  2. Là-bas, la rivière gonfle avec force. — 6. … avant le soir. — 7. ènêwer, inonder; trîhe, « terre laissée en friche et qui sert de pâture » (DL). — 8. djinti-bwès, daphné (arbrisseau); s’èbohener, croître en touffe.
  3. Vers midi, le vieux chemineau qui passa. — 10. sins r’là, sans arrêt. — 11. La pluie te prépare [un] bon labour !

 

(p.440)

12   Et, là qu’ lès gotes batèt nosse flo,

dji vane li dièrin moncê d’ wèdje,

tot rawårdant l’ prumî solo.

 

Li 25 di coûrt-meûs 1912.

 

« Florihåye », Liège, 1925, p. 28. Paru d’abord dans le 17e annuaire des Djon.nes-auteûrs walons, Liège, 1924, p. 41.

 

 

170                                                                             [Burnontige-Ferrières]

Sondj’rêye

 

Qwand qu’ lès sårts di d’vès l’ ban.ne dè cî

lèyèt wêdî lès bèrbîsètes,

dji m’ sohêtereû dim’ni bièrdjî

4 d’one dès hièdes,

dji m’ sohêtereû dim’ni bièrdjî

so lès sårts di d’vès l’ ban.ne dè cî.

 

Là, tot mêsse-tinant d’one brouyîre

8                 ni veûye qu’ås rèvûtes di bon tins.

Lès doûs trèvints !

Toudi lès min.mès fleûrs, toudi l’ min.me tchôke dè vint,

toudi lès min.mès mohes kipwèrtant l’ djène poûssîre !

 

 

  1. Et tandis que les gouttes [de pluie] frappent notre étang. — 13. moncê, tas; wèdje, orge.

 

REVERIE

Quand les essarts au firmament / laissent pâturer les agnelles, / je me souhaiterais berger / d’un des troupeaux / je me souhaiterais berger / dans les essarts au firmament.

Là, tout possesseur de bruyère / ne veille qu’aux périodes de bon temps. / Les doux moments ! / Toujours les mêmes fleurs, toujours le même souffle de vent, / toujours les mêmes abeilles colportant le pollen !

 

(p.441)

12                 Cès djoûs là, 1′ djon.ne bisteû

s’astådje èmé pateure.

Vis-ènn’a-t-i dès tropes ! Bê wangne-pan po 1′ tondeû !

Et tot v’zant qu’èle brosdèt lès cwèrvèces, lès luseures,

16                 on s’ mâdjine vêy tos blancs-îlês

d’on grandissime vèvî mostrant l’ min.me bleûve coleûr

qui 1′ bleû sone-l’-eûre di nos trîhês.

 

20   A l’ tondåye, i s’î fêt, dismètant dès samin.nes,

on-èwèrant vindèdje di lin.ne !

Lès bièrdjîs, zèls, mêsses-djouweûs d’ fladjolèt,

drèssîs so l’ Tchår-Pôcet,

24              si v’zèt tchèrî po t’t-avå 1′ Vôye Romin.ne

èt, d’èstant là, discovrèt tote li plin.ne.

 

Qwand qu’ lès sårts di d’vès l’ ban.ne dè cî

lèyèt wêdî lès bèrbîsètes,

28                 dji m’ sohêtereû dim’ni bièrdjî

d’one dès hièdes, dji m’ sohêtereû dim’ni bièrdjî

so lès sårts di d’vès l’ ban.ne dè cî.

 

Li 4 di may 1926.

 

‘Lès Tchansons dè Bièrdjî’, Liège, 1937, p. 17.

 

Ces jours-là, le jeune bétail / s’attarde en la prairie. / Y en a-t-il des troupes ! Beau gagne-pain pour le tondeur ! / Et tandis qu’elles broutent les petits trèfles, les luzernes, / on se figure voir tous îlots blancs / d’un immense étang montrant la même couleur bleue / que la campanule bleue / de nos coins en friche.

A la tonte, il s’y fait, durant des semaines, / un prodigieux trafic de laine !

Quant aux bergers, experts joueurs de flageolet, / debout sur le « Chariot », / ils se font promener tout au long de la « Voie Romaine » / et, d’où ils sont, découvrent toute la plaine.                                                                                                           » .

Quand les essarts au firmament / laissent pâturer les agnelles, / je me souhaiterais berger / d’un des troupeaux / je me souhaiterais berger / dans les essarts au firmament.

Traduction d’Elisée Legros, ibid., p. 16.

 

 

171                                                                      [Burnontige-Ferrières]

L’Anonciyâcion

 

C’è-st-â Burnontîdje qui l’andje Gâbriyèl

ad’hinda dè cî

po m’ni inte deûs-ofices fé pårt dè l’ bone novèle

4                            à Marêye, li fêye d’on cårî.

 

I v’zéve ci djoû-là on tiène solo d’ mås’,

min.me qui l’ saweûr fouyîve dèdjà;

so s’ soû pus d’one fème rènawive ås tchåsses

8    èt, d’vins lès côpes di d’zeû l’ hamia,

lès bwèhelîs r’tchantint dès-aîrs d’à 1′ dicåce.

 

Qwand qu’ l’andje bouha so l’ouh po qu’on lî v’nahe drouvi,

l’aîr husinant d’ bon vint apwèrta dè buskèdje

12                 lès prumîs-acwêrds dè l’ flûte d’on måvi.

Qwand qu’ l’andje bouha so l’ouh, li mame — on sint visèdje —

fiséve danser l’ bateroûle avå l’ crin.me dè moûssî,

èt l’ fêye, assiove à l’ tåve, finihéve ses cosèdjes

16              divant dè r’prinde li påle po s’ rimète à fouyî.

 

« Intrez ! » criya l’ båcèle atot lèyant dè keûse.

 

Lès bondjoûs discandjîs, onk dès hames avanci,

adjèni l’andje diha : « Marêye, sèyoz-ureûse !

20  Li bon Diu v’s-a tchûsi

foû dès fèmes d’åtoû d’ ci

po-z-èsse li mame dè Cris’; tchantez, sèyoz-ureûse ! »

— « Mi, s’ mame ! rèsponda l’ Vièrje, mi, s’ marne, one pôve Ågneûse ! »

 

 

L’ANNONCIATION

  1. Burnontige, hameau de la commune de Ferrières, au sud de la province de Liège. —
  2. cî, ciel. — 4. cårî, carrier.
  3. tiène, tiède. — 6. à tel point que (litt. : même que) le sureau se couvrait déjà de feuilles. — 7. … remmaillait des (litt. : aux) bas. — 8. côpe, coupe (dans un bois); hamia, hameau. — 9. bwèh’lî, bûcheron.
  4. drouvi, ouvrir. — 11. l’air sifflotant de la brise apporta du bocage. — 12. måvi, merle. 14. bateroûle, batte à beurre ou pilon de moûssî, pot de grès servant autrefois de baratte (cfr DL, fig. 69 et 435-436). — 15. cozèdje, ouvrage de couture. — 16. påle, bêche; fouyî, creuser, au sens de bêcher.
  5. … tout en cessant de coudre.

18 hame, tabouret, escabeau. — 23. Ågneûs(e), Ardennais(e).

 

(p.443)

24  A ç’ moumint-là, l’ vîve clårté dè fornê

qui djouwéve, mågré 1′ djoû, èmé l’ plafond dè l’ plèce,

mèta ‘ne fène åréyole dizeû lès blontès trèsses

dè l’ frisse comére èt s’ léhéve-t-on so l’ rondinê

28                     « Åvé Maria » à l’ clårté dè fornê.

Li mame vormint tote asblåwêye,

ratenant l’ bateroûle po mî hoûter,

lèya djåser s’ pinsêye :

32                           « Sègneûr ! Sinte Trinité !

 

Liqué boneûr dinez-ve à nosse trésôr Marêye !

Cisse gråce-là, c’èst l’pus grande qui vos p’lohe acwèrder

à ‘ne fèmerêye !

36     Mèrci, Grand Mêsse ! Sinte Trinité ! »

 

L’andje, si mèssèdje foû, sohêta l’djouwåde,

èt là qu’i ‘nn’ aléve, one odeûr d’ècins

si m’na rispâde,

40    fièstihant l’Vièrje èt l’bone vîhe mame qui påtrouyint.

 

Èwèreûr ! Å clokî d’ l’ èrmitèdje,

sins qu’on sètchahe so l’ cwède,

li cloke dispièrta s’ vwès,

èt l’èrmite qui fahenéve è bwès

44     si d’ha : « Diu fêt miråke ! I dène li doûs hiyetèdje

di l’Anjèlus’ à l’ cloke di l’èrmitèdje ! »

èt po t’t-avå l’ contrêye li mwinse pitit rèspons

rèpètéve avou l’ cloke : « C’èst l’Anonciyåcion ! »

 

48       L’al-nut’ qwand l’ pére rintra d’avou stou fé s’ payèle,

d’oder d’ l’ècins tot-åtoû d’ lu,

l’ ome si compta divins ‘ne tchapèle

wice qu’on m’néve dè tchanter l’ salut.

 

 

  1. fornê, poêle, foyer. — 25. èmé, parmi, au milieu de. — 27. èt s’, et; sur l’adv. si, avec ou sans la conjonction « et », unissant deux propositions, cfr DL, 591 (plusieurs ex. dans les textes liégeois ci-dessus); rondinê, cercle, petit rond.
  2. asblåwêye, éblouie. — 35. fèmerêye, syn. de fême, femme.
  3. L’ange, son message fini (litt. : hors), souhaita le dieu-[vous]-garde. — 38. ècins, encens. — 40. pàtrouyî, dire des patenôtres (ici, sans acception péjorative).
  4. èwèreûr, étonnement. — 33. fahener, faire des fagots. — 44. Il donne le doux tinte­ment. — 46. … le moindre petit écho.
  5. fé s’ payèle, faire sa besogne.

 

(p.444)

52    Åy, c’èst ‘ne comére d’å Burnontîdje

li mame dè Saveûr.

Pa ! ‘le dimoréve è manèdje là d’zeû l’ tîdje, drî l’ blanke så qu’è-st-è fleûrs !

 

« Les tchansons dè mohî », édit. par E. Legros, dans La Vie Wallonne, XXIII, Liège,  1949, pp. 90-92.

  1. Pa !, exclamation qui « sous-entend comme un mouvement de surprise chez l’interlocuteur et aussi un peu d’impatience devant cet etonnement chez le conteur qui renforce son affirmation» (note d’E. Legros); … dans la maison là au-dessus du chemin de terre. — 55. sa, saule.

 

 

(p.445)

GEO LIBBRECHT

(1891-1976)

 

Né à Tournai, mort à Bruxelles. Originaire d’un milieu modeste (son grand-père était « porion » au charbonnage de Boussu), Geo Libbrecht entreprit à l’université de Bruxelles des études de droit qu’il acheva au retour de la guerre de 1914-1918. Il partit alors au Brésil avec un groupe de compagnons pour y défricher des forêts, puis, l’aventure ayant tourné court, il revint au pays et s’inscrivit au barreau de Bruxelles qu’il abandonna par la suite pour se lancer dans les affaires où il réussit brillamment. C’est alors que, devenu riche, il « entre en poésie », à 46 ans, et partage désormais une activité inces­sante entre sa compagnie d’assurances, le mécénat en faveur des poètes (on lui doit la création de l’Anthologie de l’Audiothèque) et une production litté­raire française qui comprend plusieurs dizaines de recueils de vers, presque tous repris dans les dix volumes des Livres cachés,

Ce grand producteur de poésie, qui aimait les arbres au point d’acheter des forêts, cultivait en lui un poêmier dont on s’aperçut un jour que ses racines plongeaient dans le tuf picard. En 1963, sensibilisé par le fait qu’une antho­logie de poètes wallons d’esprit nouveau ne retenait aucun texte du Tournaisis, Libbrecht renoua d’instinct avec son parler natal. Et ce fut alors la série des plaquettes où l’on sentait d’emblée la connivence s’établir entre le dialecte et une inspiration venue du tréfonds populaire : M’n-acordéyon (1963), Lés clèokes (1964) [Les cloches], A l’ bukète (1967) [A la courte paille], Tour d’Eleuthère (1969), L’s-imaches (1970), L’ créassyéon (1971), U grand possibe (1973), L’èskampe à l’ broke (posth., 1977) [Faux pas]. Le talent de Libbrecht est à facettes multiples. Humeur enjouée et humour crâneur, sensibilité de fond mélancolique, relevée parfois d’une pointe d’éro-tisme tendre, langue décontractée qui se veut avant tout usage parlé — et que le français y aille si le picard…

 

 

172                                                                                               [Tournai]

Incon’nito

 

Alfeos, j’orviens « incon’nito »

faire ël tour dë m’ quartier Sint-Brice

d’u ç’ que pus pèrseone ne m’ coneot,

4    et j’ dékind par êl rue Catrice,

 

Pour certaines particularités de la prononciation et de la graphie tournaisiennes, on se reportera ci-dessus au texte n° 104.

 

INCOGNITO

  1. alfeos, parfois. — 2. Saint-Brice, la paroisse où G. Libbrecht habitait durant sa jeunesse à Tournai. —

 

(p.446)

pwis j’ormeonte êl rue dés Campeaux.

Mes 1′ gnaf Boudin, d’u qu’ ch’èst qu’i-èst,

et l’petite rousse êd chez Panier ?

8    Je n’ veos pus lés mam’zèles Dagrain

d’u ç’ qu’on risqueot ‘ne cinse à l’lot’rie,

Lante, êl barbu, dins s’ farmaç’rie,

Madame Cucu, du Pèont-à pèont,

12    avec ses batèons à cérisses

et ses p’tites fwèles êd macarèons,

ses kiyous, ses lachèts d’ réglisse;

in bèrlant, tous lés vindèrdis,

16   F grand Bastyin, qui vindeot ses moules

à l’karète avec es’ cricri.

Asteûre, je n’ ses pus d’u ç’ que j’ sus,

je m’ sins in perdu dins çeule foule…

20    Qwa c’ qu’i sèont d’vénus lés mouchèons

qui f seot’ bone chère ave lés strèons,

l’rwa Childéric, l’Bergère d’Ivry,

d’ssus l’pas d’ leû porte, tous lés amis,

24    èm’ masèon du trinte-huit’ par tière

qui n’ s’a po pu r’iêver d’ la guerre ?

D’u ç’ qu’i sèont tous lés clake-chabeots

au keop d’ chufleot dés filatures,

28    l’père Lemoine avec es’ pinture,

lés rok’tiés aus roulières à cleos,

et, dins m’ rue d’ Pèont, l’soneû Derasse

qui buveot F vin d’ Verrier du cwin,

32   Hinri, Clara, lés gins d’in face,

m’n-églisse que j’ n’orconeos pus bin ?

Et d’u ç’ qu’elle est m’ prumière mékène

qu’on li promèteot n’ d-avwar qu’ène ?

 

 

  1. gnaf, cordonnier; d’u, où; qu’i-èst : le trait d’union indique qu’il y a synérèse. — 11. Le Pont-à-pont, un des ponts de Tournai, sur l’Escaut. — 13 fwèle, feuille. — 14. kiyou, friandise, petit meringue; lachèt, lacet. — 15. en criant… — 22. Noms de deux cafés tournaisiens dont le poète se souvient. — 24-25. La maison où avait vécu Libbrecht fut au nombre des centaines d’immeubles détruits en mai 1940 par l’aviation allemande. — 26-27. Les clake-chabeots (litt* : claque-sabots) désignaient les ouvriers et ouvrières des ateliers (ici des filatures) chaussés de sabots et que rappelait, à heures fixes, le « coup de sifflet », c.-à-d. la sirène de l’usine. — 29. les carriers aux souliers à clous. — 31. Verrier, nom d’un cafetier. — 34. mékène, fille, bonne amie. — 36. rassortir, ravauder, ici au sens de ranimer. —

 

(p.447)

36   Pou rassarcir ël tans passé,

j’ sus rintré dins ‘n-èstaminèt.

Mes d’u ç’ qu’elle est ceule beone crasse pinte

et, au jeu d’ fier, ceule fène doguète,

40   l’èscampe à P broke à tout casser,

lés pipes in tière au râtelier,

P caufrète in cwife avec lés chintes

d’u ç’ qu’on alumeot s’ grosse toukète ?

44   Vrémint, je n’ coneos pus pèrseone !

… Et l’s-éôtes i dit’ : « T-y-èst ç’ que ch’èst m’n-èome ? ».

 

« M’n Accordêieon », Bruxelles, L’Audiothèque, 1963, pp.  10-11.

 

 

173

Karmèsse

 

Quand i-a r’vénu, ch’éteot l’karmèsse

èt à li on n’ s’atindeot po.

I-aveot garchèné s’ jeonèsse

4    dins lés payis d’in bas, d’in hèôt.

 

 

  1. … ce bon verre de bière. — 39. Le jeu d’ fièr est décrit comme suit par G. Libbrecht : « Longue planche formant un bac planté de broches et d’un pont en métal, posée sur quatre pieds à la hauteur d’une table. La planche est saupoudrée de sable et on y fait glisser des fièrs (rondelles épaisses et polies en acier) à l’aide d’une queue en bois. Le fièr placé le plus près de la broche du fond est gagnant » (Addendum p. V au Petit glossaire tournaisien d’Ernest Ponceau); doguète, volée de coups au sens de défaite, d’insuccès au jeu, idée rendue, au v. suivant, par l’expression synon. èscampe à l’ broke, échec à la broche. — 42. le cendrier en cuivre avec les cendres. La caufrète (litt. : chaufferette) est définie par l’auteur « vase en métal contenant des cendres rouges qui permettent au fumeur d’allumer sa pipe » (Addendum à E. Ponceau). — 43. toukète, pipe bourrée de tabac. — 45. Et les autres ils disent… : sur la reprise du sujet, courante en picard, cfr n° 104, note du v. 7; autres exemples ci-après, n°” 176, v. 15 et 178, v. 6.

 

Traduction

KERMESSE

A son retour, c’était kermesse; / à lui, on ne s’attendait pas.

Il avait perdu sa jeunesse / dans les pays d’en haut, d’en bas.

 

(p.448)

El Diape i sorteot juste dé 1′ messe,

ave s’n-inciène mékène à s’ bras.

Sans crier gare, il 1′ prind pa s’ veste

8    et fout s’ coutyèo dins s’n-èstomac.

Tout s’a passé in sins’ inverse :

ch’èst 1′ tueû tué qui bourla…

 

Ibid., p. 16.

 

174

Décimbe

 

Dorée corne in brunyèon, nerveuse et chatouyeûse,

toute nue intèr mes bras, chair à chair, amoureûse,

on réveot dés-infants que 1′ ciel i nous don’reot

4   pou 1′ boneûr du ménache, autant qu’on in voudreot.

L’ printans i-a passé, m’n-amour, jeué à cache-cache,

l’été i-a flambé, m’n-amour, au travers de 1′ drache…

On atind toudi. D’u ç’ qu’i seont, files et garchèons ?

8    On a perdu 1′ tans d’ s’aimer, dés bêsses, dés frissèons…

I n’èont po v’nu, lés-infants, et dins 1′ triste chambe,

 i kêt de 1′ plwèfe et de F néje d’zeur êl meos d’ décembe.

 Asteure, ch’èst l’ivèr, mamie, on orgrète toudi,

12    et bétéôt ch’ s’ra 1′ tans d’ partir à Mulète aussi,

au nèom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

 

Ibid., p. 39.

 

Le Diable sortait de la messe, / son ancienne promise au bras.

D’un bond, il le prend par la veste, / crac ! son couteau dans l’estomac !

Tout s’est passé en sens inverse: / le tueur tué s’écroula…

 

DECEMBRE

  1. brunyèon, brugnon, pêche à la peau lisse. — 5-6. i-a (synérèse), il a. — 6. drache, averse, forte pluie. — 10. Il tombe de la pluie… — 12. Mulète, cimetière à Tournai.

 

(p.449)

175

Twanète

 

Ch’éteot 1′ tans dés-amûsètes,

on n’éteot foke dés-infants,

on aleot conter fleurète,

4   mes on n’a qu’ène feos séze ans.

 

Prumié baiser d’Antwanète, bras nus,

avec ël restant, seins durs pa d’zous 1′ cotonète

8    du tablier à rubans.

Adieu! sèondjes, violètes…

 

On a vieuzi tout douch’mint.

Alfeos, in n-arière j’orwète

12    et, là-vas, au fèond du k’min,

elle est toudi là, Twanète

èl gamine et mi, l’ gamin.

 

Ibid., p. 42.

 

 

176

Portëlète

 

Ed’ l’agripin à l’ portëlète,

i n’a po lèon : n-a foke qu’à 1′ mète.

Pou l’amour, ch’èst in n-éôte kémin :

sinte Agate d-a mal à sès dints.

 

TOINETTE

  1. on n’était que des enfants.
  2. vieuzi, vieilli. — 11. … je regarde.

ANNEAU. — La « portelette » (en franc. : œillet) désigne le petit anneau rond où s’engage le crochet de l’agrafe, l’agripin.

  1. Du crochet jusqu’à l’œillet. — 2. … il n’y a qu’à le mettre (= simple question d’agrafer). — 3. … un autre chemin, c.-à-d. une affaire plus difficile. — 4. sainte Agathe en a mal aux dents : allusion obscure.

 

(p.450)

Ch’éteot pour mi ène raminvrance :

j’acouvineos 1′ gardin d’ Hortense

et même fagalicheos s’ cotrèon

8   — èd’dins m’ rèfe et sans s’ pèrmissyèon.

 

Afuteû et rwa dés-agones,

Gros-Jean come êd’vant à 1′ marèone,

j’ prétindeos conte êl marissyèo :

12    ch’teot fussyèo et d’mi pou fussyèo.

 

Bèon Dieu d’ vint-chint, queus-aficaches !

Qu’i faleot du cœur à l’ouvrache !

J’aguète acor, quand 1′ nwit èle vient,

16    su l’portêlète et l’agripin…

 

« Lés clèokes », Bruxelles, L’audiothèque, 2° éd., 1965, p. 43.

 

177

Rakèonte-mè le…

 

Ed’vant l’feu ouvert de l’prussiène,

l’in conte l’éôte, disant no p’tit nom,

souvièn’t-acor dés écriyènes

4    d’u ç’ que l’amour markeot l’pwint bèon.

 

  1. raminvrance, remembrance. — 6. je couvais (ou je soignais) le jardin … (sens erotique). — 7. agalir, égaliser, ici dans le sens de : caresser de la main; cotrèon, jupon.
  2. afuteû, qui est à l’affût; ici, guetteur, rusé; et roi des tricheries. — 10. être Gros-Jean corne êd’vant à l’marèone, c’est être sans succès en amour (marèone, pantalon, culotte). — 11. je prétendais contre (= j’affrontais en amour); marissyèo, maréchal; il s’agit, suivant une note inédite de l’auteur, d’un maréchal des logis du 1″ Chasseur à cheval, à Tournai. — 12. fussyèo, futé, malicieux. Le sens est : c’était à malin malin et demi.
  3. vint-chint, litt. : vingt-cent, ici dans une locution interjective en forme de juron; queus-aficaches !, quels accrochages ! (aficache = ce qui est tenu au moyen d’épingles). — 15. aguèter, guetter, avoir l’œil sur.

 

 

RACONTE-LE MOI

  1. prussiène, cheminée prussienne avec foyer ouvert. — 2. … nous appelant par notre prénom. — 3-4. rappelle-toi encore les soirées / où l’amour marquait le bon point (= triomphait).

 

(p.451)

Erfés-mê-le avec tés frisètes

— të 1′ sés bin — t’ pétite mine dë rien,

quand on rintreot d’sous lés couvertes

8   et qu’à t’ mode, j’ féseos l’anochint.

 

Rakèonte-mi, asteure qu’on est vieûs,

come te tranneos à 1′ belle étwale

de m’ prumière bêsse èd’dins tés ch’feûs.

12   Rakèonte-mê 1′ êdvant qu’on détale,

rakèonte-mê le pour mi tout seû…

 

Ibid., p. 50.

 

 

178

Malin – maleot

 

J’éteos mort et raide come ène guisse de beos

et lés gins cachéot’ 1′ martièo et lés cleos.

 

L’ masèon sin-d’sus-d’sous tranneot d’ bas in hèot

4   et mi, par mirake, tout cha j’ l’intindeos.

 

L’ grand Jules, qui s’aprète à m’ mète dins 1′ lusièo,

i dit à m’ byèo-frère : « Rwéte êç’ limérèo,

 

» I-a toudi pété pus hèôt que s’ cu,

8    » mes queul agozile et queu mal foutu !

 

 

  1. frisète, boucle de cheveux. — 3. couverte, couverture (de lit). — 9. et qu’à ton gré, je faisais l’innocent.
  2. comme tu frissonnais… — 12. … avant qu’on ne s’en aille (au sens de mourir).

 

MALIN- MALIN. — Expression tournaisienne intraduisible, malin-maleot s’emploie sur­tout dans le dicton malin-maleot, biète come in peot pour désigner quelqu’un de peu d’esprit.

  1. … comme un morceau de bois. — 2. et les gens (c.-à-d. l’entourage) cherchaient le marteau et les clous.
  2. tranneot, tremblait.
  3. lusièo, cercueil.

7 I-a (synérèse), il a. — 8. agozile, individu peu recommandable, vaurien.

 

(p.452)

» Va kêre èls-otyeus pou côper l’s-ossièos,

» i féôt l’racourchir pour èl foute dins l’trèo ».

 

A malin – maleot-èt d’mi pou l’canète,

12    quand is-èont d-alés, j’é pris l’èscampète…

 

I n’ pouveot qu’à manque, j’ m’é sorti de m’ rève

et j’ su fin bénêsse d’ vir êl jour qui s’ liève !

 

« L’ grand possipe »  dans Livres cachés, t. 10, Bruxelles,  1973, p.  427.

  1. Va chercher les outils pour recouper les os.
  2. canète, chopine. Le vers entier constitue une réplique de dérision, de moquerie (= pas si bête que ça !). — 12. quand ils s’en sont allés, j’ai pris la fuite.
  3. Il ne pouvait en être autrement, je suis sorti de mon rêve. — 14. fin bénêsse, on ne peut plus content.

 

 

(p.453)

LUCIEN MARECHAL

(1892-1964)

 

Né à Saint-Servais (Namur), mort à Liège. Il était chef de bureau aux Douanes et Accises.

En 1909, au moment où s’achevaient ses études à l’Athénée de Namur, il fut l’un des quatre fondateurs du cercle littéraire « Les Rèlîs (l) namurwès » dont il devint le secrétaire. En même temps qu’il donnait de temps à autre à des périodiques des vers et des contes en dialecte, il s’attacha à faire connaître les écrivains de son terroir et publia, avec son frère Paul Maréchal, une Anthologie des poètes wallons namurois (1930), ainsi que des contributions à la lexicographie et au folklore wallons. Outre quelques pièces de théâtre écrites en collaboration, il laisse une œuvre poétique peu abondante mais de forme soignée, recueillie en partie dans Les Cahiers wallons sous le titre Tot-à-t douce (Namur, 1965) et un petit roman de mœurs villageoises, Monsieû li R’civeû qui parut chez Duculot en 1952.

 

 

179                                                                                                [Namur]

Djan 1′ mon.nî

 

Djan, li fi do mon.nî, s’a mètu à l’finièsse.

Il èst tot seû, i tûse, èt d’peûy on bon momint

i d’meûre aspouyî là èt r’wête en lèvant s’ tièsse

4   lauvau, après lès fonds, maîs qwè ? — On n’è sét rin.

 

Li tik-tak do molin raguéyit tot l’ viladje,

l’êwe zoubèle su l’ vîye reuwe èt r’glatit au solia,

les bèdots brostéyenut d’zos les-aubes do rivadje

8    èt l’ bièrdjî pète on some, coutchî drî on mûlia.

 

 

JEAN LE MEUNIER

  1. l’eau se précipite sur la roue et brille au soleil. — 7. bèdot, mouton; brostéy’nut, broutent. — 8. mûlia, tas de foin.

 

(1) Litt. : les choisis, « avec une pointe d’ironie et peut-être de fierté » (J. Haust). Sur l’histoire de ce groupe, cfr le numéro spécial des Cahiers wallons, sept.-oct. 1958.

 

(p.454)

Totes binaujes d’on bia djoû, dins l’ vèvî lès-aublètes

pus lûjantes qui l’ârdjint féyenut dâner l’ pècheû,

do tins qui l’ dimwèzèle, èfouféye èt fringuète,

12   toûne èt zûne au-d’zeû d’ l’êwe, atiréye pa l’ frècheû.

 

Dins lès pachis, lès coches pléyenut d’zos l’ pwès dès grintches

pus rodjes didins l’ fouyadje qui l’ pawè dins les blés.

On vwèt v’nu à maraude sauvèrdias èt masindjes

16    à 1′ baube do spawèta qui s’ fêt portant bin laîd.

 

Djan, li bia djon.ne mon.nî, sondje-t-i à scrîre on lîve,

qu’i tûse insi ? Portant, li sonète do molin si cotape

 èt s’aradje come s’èlle aureûve lès fîves

20    pace qui lès pîres toûnenut, sins rin moûre, là lontins.

 

Li pôve Djan, i n’a d’ cure dès djins, ni dès bèdéyes,

ni dès mouchons, ni d’ l’êwe, ni do blamant solia,

ni d’ l’ovradje… Mais volà : il a vèyu Zîréye

24    qui fène lauvau, dins l’ pré, à grands côps di s’ rèstia.

 

 

Bull. Soc. de Littér. wall, t. 60, 1926, p. 95.

 

  1. vèvî, vivier, étang. — 10. … font endêver (litt. : damner) le pêcheur. — 11. tandis que la demoiselle animée et pimpante.
  2. Dans les vergers, les branches ploient sous le poids des griottes (cerises). — 14 pawè, coquelicot. — 15. sauvèrdia, moineau. — 16. spawèta, épouvantait.
  3. la sonnette est destinée à avertir le meunier que la trémie est vide. — 19. se démène et fait l’enragée comme si elle avait (litt. : aurait) la fièvre (au pluriel, ici). — 20. les pierres, c.-à-d. les meules; moûre, moudre; là, voilà.
  4. bèdéye, jeune brebis (cfr v. 7). — 23. … il a vu Déskée. — 24. rèstia, râteau (ici de faneur).

 

 

(p.455)

JOSEPH MIGNOLET

(1893-1973)

 

Né et mort à Liège. Il fit des humanités modernes au collège Saint-Barthélémy et il accomplissait son service militaire lorsqu’éclata la guerre de 1914. Fait prisonnier au fort de Pontisse lors de la défense de Liège, Mignolet passa quatre années dans les camps du Hanovre. Rentré au pays après l’armistice, ce fut lui qui marqua la reprise des activités dialectales par la publication, en 1919, de Fleurs di brouwîres [Fleurs de bruyères], recueil de vers qui suc­cédait aux deux minces plaquettes qu’il avait fait paraître dès 1911 et 1913.

L’héritage de sa famille, propriétaire depuis trois générations d’une auberge prospère au cœur du vieux Liège, lui permit de se consacrer entièrement à la littérature jusqu’à ce que la politique vint l’en détourner pour son malheur. Elu sénateur en 1936 sur une liste rexiste, Mignolet fut, après la seconde guerre mondiale, frappé par la justice et réduit au silence.

Si l’on en juge par le peu d’intérêt que présentent ses deux derniers volumes de poèmes Lès lames [Les larmes] (1938) et Payîs d’ Lîdje [Pays de Liège] (1943), on peut croire qu’à ce moment, son message était virtuellement terminé. Celui-ci n’avait vraiment débuté qu’en 1921 avec le recueil Lès håyes sont r’florèyes [Les haies sont en fleurs], aussitôt suivi des 3 actes de L’avièrje di pire [La madone de pierre] (1922) et du roman Vès l’ loumîre [Vers la lumière] (1922). A partir d’alors, et pendant près d’une vingtaine d’années, Mignolet allait occuper le premier plan des lettres dialectales. Si sa prose romanesque manque de nerf (au roman cité, qui fut remanié en 1929, on ajoutera Li payîs dès sotês [Le pays des gnomes], 1926 et Li blanke dame [La dame blanche], 1933), si le style quelque peu emprunté de ses pièces de théâtre, malgré le succès de certaines d’entre elles comme Li mêsse (1931) ou Li vôye qui monte (1933), dessert parfois les intentions du dramaturge engagé dans le drame de l’homme, c’est que Mignolet est et ne sait être que poète.

Influencé par ses lectures françaises, de Vigny à Rostand, il a développé une manière de romantisme qui réserve la part belle à l’expression de l’idéal, qu’il soit sentimental, religieux ou patriotique. Faite de lion digéré, sa poésie n’en est pas moins originale par ses élans oratoires d’une envolée unique en wallon et par un sens de la composition ample et aérée, que déparent ça et là des maladresses de langue ou des images d’un baroquisme outré. La meilleure partie de son œuvre lyrique contenue dans Fleurs di prétins (1927), Fleurs d’osté (1931) et Fleûrs d’årîre-såhon (non publié sous ce titre) a été élaguée pour être reprise dans Lès treûs adjes de l’ vèye [Les trois âges de la vie] (1939). Parallèlement, l’ambition de montrer jusqu’où peut aller le dialecte dictait à Mignolet deux épopées, l’une, Li tchant dè l’ Creûs (1932) sur le thème de la Rédemption, l’autre, Li tchant di m’ tére (1935) inspirée par les luttes entre Liège et Bourgogne au XVe siècle.

A cet écrivain, qui fut le plus doué de sa génération, il n’aura manqué que d’avoir préféré l’émotion à la perfection.

 

 

180                                                                                                        [Liège]

Qwand is r’ssèrèt lès-ouhs..

 

Qwand is r’ssèrèt lès-ouhs avou leûs tchin.nes d’acîr,

dji råye å pus-abèye mi boulèt d’ prisonîr,

èt lès sovenances di m’ prumîr adje aswådjèt m’ pon.ne…

4   C’èst l’eûre qu’on tûse, lès-oûys clawés d’zeû lès-avon.nes

qui l’ friscåte d’après-nône carèsse tot susinant…

Å-d’-foû, lès sentinèles hahelèt-st-åtoû dè camp,

sins loukî l’palås d’ôr qu’in-årtisse dè l’ nutêye

8   batih à côps d’ pincê so l’blanke teûle dès nûlêyes.

Li qwite-po-qwite dès cwayes hiletêye divins lès grins,

li tchin dè k’mandant hawe…  Et lès-éles dè molin

qui soketêye, rèspouné d’zeû l’ croufe d’ine sapinîre,

12   ont l’aîr è plin steûlî d’ine grandissime creûs d’ pîre…

Mins dji n’ veû pus l’payîs là qu’ dji lanwih… Nèni,

tot s’ raface à mès-oûys : camp, plin.ne, mohones, cortis…

È m’ patrèye, li djoû lome on bleu cîr di djulèt’.

16   Dj’ô l’samerou dès flots d’ Moûse èt l’riya d’ nos wihètes.

A l’copète dès teûts d’ Lîdje, li fîr clokî d’ Sint-Pau

riglatih å solo come li lance d’on drapau,

èt lès-anchins rèspleûs qui s’ clér cariyon djowe

20   tapèt l’djôye à pougnèyes avå nos streûtès rowes…

Vès l’Tchafôr, dès cårpês fèt l’sôdâr è såvion,

tot k’hustinant l’monkeûr qui tchoufetêye si mayon…

So l’martchî, nosse Pèron, l’èssègne di nos frankîses,

24   èvôye todi ‘ne clignète à l’Violète todi grîse…

 

QUAND ILS REFERMENT LES PORTES…

1 i (ils) désigne ici les geôliers allemands. — 2. j’arrache au plus vite. — 3. … de mon jeune (litt* : premier) âge soulagent ma peine. — 4-5. … les yeux fixés (litt’ : cloués) par-dessus les avoines / que la fraîcheur d’après-midi caresse en chuchotant. — 6. haheler, rire aux éclats. — 7. nutêye, syn. de nut’, nuit. — 9. qwite-po-qwite, onomatopée imitant le cri des cwayes, cailles; hileter, sonner. — 10. hawer, aboyer. — 11. rèspouné, caché, dissimulé; croufe, bosse, ici : éminence de terre. — 12. steûlî (néol. littéraire), firmament, ici au sens général de ciel; grandissime, très grand. — 13. … où je languis. — 15. lome, éclaire. — 16. J’entends le clapotis…; et le rire de nos jeunes filles. — 17. à l’ copète, au sommet; ici emploi impropre pour « au-dessus »; Sint-Pau, la cathédrale Saint-Paul. — 18. riglati, briller. — 19. et les anciens refrains… — 21. Tchafôr, « Chaffour », ancien quartier au centre de Liège; des gamins jouent au soldat dans le sable. — 22. en bous­culant l’amoureux… (monkeûr ne se dit que d’une fille courtisée, mais Mignolet n’en est pas à une impropriété près); tchoufeter, étreindre ou embrasser avec transport; mayon, bonne amie. — 23. … notre Perron, le symbole (litt. l’enseigne) de nos franchises. — 24. clignète, clin d’œil; la Violette est le nom donné à l’Hôtel de ville, sur la place du

 

 

lVison-visu, r’vindrèsses, harèdjerèsses èt Flaminds

magnèt-st-on qwårtî d’ blanke tot d’visant dè tchîr tins.

A 1′ Hale, li pormineû martchande poye ou robète.

28 « Hê là! fré… Vinez, soûr! » So l’ Gofe, Båre houke Babète

po lî payî ‘ne bone tasse avou deûs crås boulèts.

Chal, ine grosse payîsante qui drène dizos s’ bodèt,

 si trèbouhe è l’ corote èt s’ trête-t-èle di dôrlin.ne

32 li p’tite chèrvante qui rèy tot l’ loukant fé s’ pèrtin.ne.

Lès crapôdes, gåy-moussèyes, ènnè vont vès Dju-d’là,

po danser deûs’ treûs danses à son d’ l’armonica.

C’èst l’ fièsse !… Volà l’ boukèt !… Tchantchès tape ine hahelåde !

36   Et l’ cråmignon s’èmantche tot sûvant lès-ombådes…

Lîdje zûne come ine tchèteûte… Djèl veû, là so l’ neûr cîr,

qwand is r’ssèrèt lès-ouhs avou leûs tchin.nes d’acîr…

 

Soltau, 1915.

 

« Lès treûs-adjes dèl vèye », Liège, 1939, pp. 35-36; 1″ édition dans Fleurs di Fretins, Liège, 1927, pp. 39-41.

 

Marché. — 25. vizon-vizu, vis-à-vis, en face; r(i)vinderèsse, revendeuse; harèdjerèsse, haren-gère. — 26. … un morceau de [tarte] blanche, c.-à-d. de tarte au riz. — 27. … poule ou lapin. — 28. Gofe, quai de la Goffe où se tenait le marché aux fruits; c’est dans cet endroit animé que se trouvait l’auberge des parents du poète; Båre, Barbe. — 29. boulèt, boulette de viande hachée. Les détails donnés dans tout ce passage par Mignolet sont caractéristiques des types de la rue qu’il met en scène. — 30. … qui ploie sous son panier (sur le bodèt, cfr DL 89 et fig. 94). — 31. trébuche dans la rigole…; dôrlin.ne, fille nonchalante ou paresseuse. — 32. pèrtin.ne, culbute. — 33. Les filles, joliment vêtues…; Dju-d’là [Moûse], Outre-Meuse, quartier populaire de Liège. — 34. armonica, accordéon. — 35. Tchantchès lance un éclat de rire; sur ce personnage représentant le peuple liégeois, cfr n° 73. — 36. ombåde, litt. : aubade, désigne, au pluriel, la sortie en musique du samedi qui précède la fête paroissiale (cfr DL, fig. 453).

 

(p.458)

181

Osté

 

È peûr lès brès’, on djon.ne soyeû,

fêt zûner s’ fåcèye è s’ tchamp d’ wèdje,

mahant-st-å doû brut dè fouyèdje

4 li vigreûse cadince di s’ rèspleû.

 

Drî lu, wåkèye d’on norèt d’ tièsse,

ine racôyerèsse ås-oûys lurons,

a l’aîr d’on grandissime påvion

8 rèspouné so ‘ne bohêye di gngnès’.

 

Ine cloke dang’têye èn-on hametê…

Dè l’ tére ine tchanson d’ålouwète

s’èmonte sins r’la disqu’å crèstê…

 

12 Et d’zeû lès dîhins, lès mohètes

ricwèrdèt leûs pus bês rîmês

so l’ cwède d’acîr di leû vièrlète.

 

Awous’ 1925.

 

Ibid., p. 91, repris de Fleûrs di Prétins, p. 58.

 

ETE

  1. En bras de chemise, un jeune faucheur. — 2. wèdje, orge. — 3. mahant, mêlant. —
  2. rèspleû, refrain.
  3. … coiffée d’un foulard de tête (DL, fig. 445). — 6. une « recueilleuse », l’ouvrière qui rassemble les épis en gerbes. — 7-8. …  d’un énorme papillon / caché sur une touffe de genêts.
  4. dang’ter (onom.), résonner. — 11. … sans arrêt; crèstê, crête, sommet.

12-14. Et sur les dizeaux, les mouchettes / répètent leurs plus beaux poèmes / sur la corde d’acier de leur petite vielle.

 

(p.459)

182

Å bwérd di l’êwe

 

Vochal li nut’ èt d’lé l’ hadrène,

on pèheû, trossî disqu’ås gngnos,

si tint keû po haper lès dj’vènes

4    qui pidjolèt d’zos lès cladjots.

 

Li mohe zûne à l’ teûle dè 1′ rivelète,

tél li doûs sospîr d’in-êrçon.

Divins lès bouhons, lès favètes

8    sayèt dè fé blåme ås pîssons.

 

Li vèye èst bone, li tére èst bèle.

Portant, dji sin monter di m’ coûr

come in-anôyemint qui m’ troûbèle…

 

12    Qwand lès valèts djêrèt d’amoûr,

qwand l’ fètchîre droûve si vète dintèle,

Signeûr, poqwè fåt-i qu’on moûre ?

 

Ibid., p. 14, repris de Fleurs di Prétins, p. 28.

 

AU BORD DE L’EAU

  1. hadrène, haut-fond, endroit peu profond et plat, en parlant d’un cours d’eau. — 3. keû, coi, ici au sens d’immobile; dj(i)vène, chevenne. — 4. qui frétillent sous les glaïeuls.
  2. zûner, siffler, bourdonner. — 6. sospîr, soupir; êrçon, archet. — 7-8. … les fauvettes / essaient de rivaliser avec les pinsons.
  3. vèye, vie. — 11. anôyemint, ennui, spleen.
  4. Quand les garçons languissent d’amour (au sens propre, djêrî, c’est éprouver une faim déréglée). — 13. fètchîre, fougère.

 

(p.460)

183

Li priyîre dè må-sègni

 

Moussèye d’on neûr mantê, li nut’ å front d’årdjint

s’èmonte à grands côps d’éle à l’dilongue dès gonhîres,

soflant, l’eune après l’aute, lès dièrin.nès loumîres

4    qui l’bleû cîr a lèyî tot avå l’bwès d’ sapin.

Li labureû, nanti d’ovrèdje, rinteûre à l’cinse

pièrdowe come ine niyêye èmé l’fouyèdje dè l’vå.

Ine siteûle mèt’ on pièle å cîmê d’on plorå

8    là qu’ dès trûlêyes di sprèwes fèt pèter leû loquince.

Po d’zeû li scrène d’on tiér, li leune a pris s’ hiyon;

sès rodjes ridjèts keûvrèt l’teût d’ wå dès mohinètes,

èt l’campagne qui tchantéve fî parèye qu’ine wihète,

12   si têt po mî hoûter lès råtchås dè zûvion…

 

Li bièrdjî, lôyeminôye,

a rassonlé s’ tropê

qui wêdîve, là, drî l’vôye.

16                                  Lès-ognês

riqwèrèt d’djà leû mére, èt l’tchin qu’a ‘ne gote pawou

dè l’grande påye qui ravôte lès viyèdjes èt lès téres

20    hawe so l’bèrbis qu’ s’astådje å pîd d’on vî tiyou…

 

Dizos l’heûve dè l’tchårnale

qui twèse li p’tit hametê,

on veut ‘ne anchin.ne potale

24  sins-ouh èt sins teûtê.

 

 

LA PRIÈRE DU MISÉREUX. — Dans l’expression må-sègnî (litt.: mal-signe), sègnî =

faire le signe de croix sur quelqu’un ou quelque chose; le mâ-sègnî est proprement celui

sur qui on a jeté un sort, à qui échoit la guigne.

 

1-2. Vêtue d’un manteau noir, la nuit au front d’argent / s’élève à grands coups d’ailes

sur le flanc des coteaux. — 5. nanti, fourbu, épuisé. — 6. … comme un nid parmi la

frondaison de la vallée. — 7. met une perle à la cîme d’un saule. — 8. sprèwe, étourneau.

— 9. … l’échiné d’un « thier », d’une côte; hiyon, élan, essor (au sens propre: secousse,

soubresaut). — 10. keûvrer, cuivrer; teût d’ wå, toit de chaume. — 11. wihète, « fillette

folâtre et coquette » (DL, 710). — 12. råtchå, verbiage, propos sans consistance, boniment;

zûvion (néol. litt), zéphyr.

  1. lôyeminôye, nonchalamment. —  15.  wêdî,  paître. —  18.  pawou,  peur,  crainte. —
  2. ravôtî, envelopper. — 20. s’astådje, s’attarde.
  3. Sous le feuillage de la charmille. — 22. twèser, toiser. — 23. potale, niche de saint et ici, par analogie, petite chapelle dressée au bord d’un chemin pour abriter une statue

de la Vierge. —

 

 

C’è-st-ine avièrje di pîre,

ine avièrje d’ine ôte tins,

qu’on gårnih di fètchîres

28 ine fèye tos lès prétins.

 

Ca d’pôy bin dès-an.nêyes

èlle adègne lès-âvé

qui l’ pôvriteûs bètchetêye

32 tot s’ ratenant dè plorer.

 

Av’nou d’lé l’ vîle posteûre

qu’on blanc r’djèt d’ leune caresse,

li bièrdjî, come po dîre diè-wåde à l’ mére di Diu,

si sègne tot clintchant l’ tièsse,

36 èt d’bite deûs’ treûs pâtérs, adjèni so l’ talus,

 

È l’nut’ qui tome, li tére rapinse ine grande èglîse,

on n’ veût pus rin bodjî…

 

Dj’ènnè raléve è m’ djîse,

40 dj’oya priyî l’bièrdjî :

 

« Dji n’ so qu’on payîsan dè deûr payîs d’Ardène,

on payîsan qu’ nolu n’acompte, on payîsan

qu’a r’batou sins-ahote fondrinêyes èt bassènes

44 po noûri sès-èfants.

 

Vos, nosse Dame, vos-èstez l’royène dè l’sinte Patrèye,

li Cisse qui k’mande ås-andjes dè veûyî so nosse teût,

li Cisse qui done dès frût’s ås tchèr’sîs d’ nos prêrèyes,

48 dè corèdje ås bribeûs…

 

Vos, vos-èstez li steûle, mi, dji n’ so qu’ine poussîre…

Dji wâde portant l’èspwér qui vos m’ pwèterez sècoûrs,

mi consyince n’a nole tètche èt m’ måtwèrtchèye priyîre

52  s’èmonte dè fond di m’ coûr.

 

 

  1. qu’on orne de fougères.
  2. elle accueille les « Ave-Maria ». — 31. que le pauvre marmonne (litt. : bégaie).
  3. diè-wåde, Dieu-[vous]-garde (formule de salutation). — 35. clintchî, incliner, courber.

— 36. adjèni, agenouillé.

  1. … auquel personne ne fait attention. — 43. qui a rebattu sans arrêt fondrières et fossés.
  2. royène (arch.), reine. — 47. tchèr’sî, cerisier. — 48. bribeû, mendiant.
  3. … n’a aucune tache et ma prière maladroite (litt. : mal torchée).

 

(p.462)

Vo-me-chal, pôve èt d’sseûlé… drènant d’zos 1′ pwès dès pon.nes,

èt dji tronle mågré mi tot loukant là bin lon,

ca 1′ vèye dè plin d’ misére è-st-on deûr tiér qui mon.ne

56 è 1′ corote… è l’ prîhon.

 

Li bonté so nosse monde ni coûrt djamåy lès vôyes,

èle si catche tot parèy qui 1′ violète è pazê, èt l’amoûr

— min.me l’amoûr — riplôye sès-éles di sôye

60 sin d’biter s’ doûs rîmê…

 

Po s’ rikfwèrter, nosse Dame, li pôve hère in.me dè creûre

qui l’ Mêsse dè cîr èl coronerè d’on vért law’ri.

Chal i linwetêye… Pus tård, i k’noherè 1′ clére vèrdeûre

64 dès prés d’ vosse Paradis.

 

Portant, qwand 1′ måle aweûr lî mèt’ li song’ è l’ fîve,

à fwèce dè trawer s’ coûr èt dè l’ fé hoûler d’ fin,

pardonerez-ve, vos, nosse Dame, å må-sègnî qui s’ lîve

68 po r’clamer s’ pårt di bin?

 

Lès plins d’ miséres si r’pahèt vite d’èspwér èt d’ låmes,

is-ovrèt pés qu’ dès tchins, sins r’naker, sins tûser,

tant qui l’ neûre djaloserèye mousse è fî fond d’ leû-z-åme

72 tot brèyant : Est-ce assez ?

 

Adon, måleûr å cis qu’åront viké d’ ribotes !

Come ine hèrlêye di leûps nos roufèlerans tot djus,

nos towerans, nos… Nosse Dame, dji so tot-à clicotes

76 èt m’ coûr ènnè pout pus !

Vo-m’ chal, mêgue èt d’sseûlé… Dizos l’ pon.ne mi spale drène…

 

O ! twè qui stind lès brès’ à tos nos p’tits-èfants,

kissème dès boukèts d’ rôses avå nos vôyes di spènes,

80                        aswådje lès vis rènants !

 

 

  1. d(i)sseûlé, esseulé, solitaire; drènant, ployant. — 55-56. … est une dure montée qui

mène / au ruisseau… à la prison.

  1. pasê, sentier.
  2. law’ri, laurier. — 63. linweter, désirer fortement quelque chose, languir.
  3. … quand la mauvaise fortune lui met le sang en (la) fièvre.
  4. … se repaissent vite (= sont vite rassasiés). •— 70. … sans renâcler, sans penser.
  5. … nous renverserons tout. — 75. clikote, loque, chiffon.
  6. … sous la peine mon épaule s’affaisse. — 80. soulage les vieux errants, c.-à-d. ceux

qui vont ça et là, sans demeure fixe.

 

 

(p.463)

Li guère m’a hapé m’ fis, l’in.nemi distrûha m’ djîse.

Oûy, dji rôle lès payîs, sins corèdje, sins vol’té,

tot djouwant so m’ vièrlète l’aîr d’ine tchanson, afîs’

84                         dè roûvî m’ pôvrité…

 

Rind ‘ne miyète pus lèdjîre li misére qui m’ ravôte !

Torade, si dj’a manecî, pardone-mu, dj’a må fêt :

dji r’tûséve ås potês d’ôr qui dji soya po l’s-autes

88                         qwand dj’ sètchîve å gorê…

 

Bin qu’ dj’åye tofér sofrou, dji n’ kinoh nin l’èvèye,

ca dji t’ prèye po 1′ ritchå qui strind deûremint li p’tit,

dji t’ prèye, bone Notru-Dame, po qu’ ti m’ houkes è t’ patrèye,

92                         Bone Notru-Dame, insi seûye-t-i… »

 

Å cou dè vî bièrdjî, påhûle, li tropê passe

èn-on doûs tîtamåre di foyes qu’on råye, di fleûrs

qu’on spate, di tére qu’on r’mowe…

Asteûre li nut’ raface

96   li campagne èt sès djôyes, li vèye èt sès måleûrs.

 

Ibid., pp.  147-150;  1er état dans Lès hâyes sont r’florèyes, Liège, [1921], pp. 61-64.

 

 

184

Nut’ di Tossint

 

I ploût… Vochal nôvimbe avou sès-eûres di doû

qui v’ ravôtihèt l’ coûr divins lès pleûs d’ine rance.

Lès grawes, à grands côps d’éles, tchèrèt vès 1′ tére di France

4   èt l’gris dè cîr mousse d’anôyemint nos pèneûs djoûs.

 

 

  1. Tantôt (= il y a un instant), si j’ai proféré des menaces… — 87-88. je repensais

aux épis dorés que je fauchai pour les autres / quand je tirais au collier (=  quand je

travaillais sous le joug).

  1. Bien que j’aie toujours souffert, je ne connais pas l’envie.

94-95. en un doux bruissement de feuilles qu’on arrache, de fleurs qu’on écrase, de terre

qu’on remue…

 

NUIT DE TOUSSAINT

  1. qui vous entourent le cœur dans les plis d’un crêpe. — 3. grawe, grue. — 4. pèneûs, plein de peine, triste.

 

(p.464)

Tos lès trésors d’octôbe ont stu bin vite èvôye,

ca lvint, come on voleûr, a branscaté lès hés.

Oûy, tot d’cwèlih èt moûrt, èt po r’grèter l’osté

8    i n’ dimeûre pus qui l’ rèw qu’on-z-ôt djèmi so l’ vôye.

 

Dji m’a r’traukelé d’vant l’êsse avou tos sots råvelês

qui m’èpwèrtèt bin lon vès dès clérs payîs d’ sondje,

èt s’ roûvèye-dju nôvimbe po sûre on vol d’arondjes,

12    dismètant qu’ mès-orèyes s’implihèt d’ tchants d’oûhês…

 

Å-d’-foû, l’ nut’ sipite d’intche lès cwårês di m’ finièsse.

I ploût todi… Moûse hoûle dizos lès-åtches dè pont.

Èmé l’vèye, rèsdondih in-êr di carilion

16    qui v’ vûde è fî fond d’ l’åme ine riminbrance di fièsse.

 

Mins tot fant qu’ dji m’ rapinse li bon tins rèvolé,

dès-oûys qui dj’a k’nohou florihèt-st-è m’ coulêye;

dès lèpes mi v’nèt djåser d’ mès prumîrès-an.nêyes,

20  èt dj’ sin so m’ cwér ine freûde carèsse qui m’ fêt tronler…

 

Divins l’cèke d’ôr qui l’feu markêye è mi p’tite tchambe,

dji veû ‘ne trûlêye d’åbions qu’ s’aminèt-st-ad’lé mi,

dès-åbions qui l’roûviance a deûs fèyes èssèveli,

24    èt s’ veû-djdju dès visèdjes sorîre åtoû di m’ lampe.

 

C’èst tos mès mwérts… awè, c’èst zèls, c’èst tos mès mwérts,

mès péres — èfants come mi dè l’hêtèye tére walone —

qui passèt lôyeminôye inte lès meûrs di m’ mohone,

28    tot s’ racontant leû vèye å freûd payîs dè l’mwért.

 

 

  1. … a dépouillé les coteaux. — 7. d(i)cwèli, dépérir. — 8. rèw, ru, petit ruisseau.
  2. Je me suis retiré devant l’âtre avec de (litt* : toutes) folles rêveries. — 11. arondje, hirondelle.
  3. Au-dehors, la nuit éclabousse d’encre… — 14. La Meuse gronde sous les arches… — 15. Parmi la ville retentit… — 16. qui vous verse (litt. : vide) au fin fond de l’âme.
  4. coulêye, coin du feu. — 19. lèpe, lèvre.
  5. je vois toute une troupe d’ombres qui s’approchent de moi. — 23. … que l’oubli a deux fois ensevelis.
  6. … oui, c’est eux, c’est tous mes morts. — 26. hêtî(-èye), sain, vigoureux.

 

(p.466)

I sont là-st-ad’lé l’êsse, dj’èlzès veû, c’èst bin zèls !

Dji rik’noh tos mes tåyes èt ratåyes, lès-anchins,

lès cis d’ mèye ût-cint trinte, lès manants dè vî tins,

32   lès cis qu’ont fêt nosse Walonerèye djoyeûse èt bèle.

 

Dji r’veû m’ grand-mére… Èle rèy avou sès p’tits-èfants

èt-z-è-st-èle frisse, Jésus ! avou s’ neûre rôbe à fleûrs !

Mi papa, qui mora tot djon.ne, mi louke èt pleûre,

36   èt dji raprind dès djèsses tot r’vikant mès vint’ ans…

Pus près d’ mi, chal djondant, c’èst mès k’pagnons dè l’ guère,

tos lès cis qu’ sont-st-èvôye po qu’on n’ si bate måy pus;

c’èst Piére, Djôsèf, Françwès, tos pèlés mimbes di Diu

40   qu’avît-st-è fond d’ zèls-min.mes l’amoûr di nosse bone tére.

 

Et, tot loukant tos cès måcrawés visèdjes-là,

visèdjes souwés, djènis, tot blèmes, freûds come dè l’ pîre,

dji n’ pou rat’ni lès lames de mouyî mes pâpîres,

44   dismètant qu’ dji groumetêye deûs’ treûs påtérs tot bas…

 

« Ô ! tos vos-ôtes, lès mwérts qui dji n’ roûvia djamåy,

sôdårs, ovrîs, priyèsses, powêtes, martchands, bribeûs,

djåzez-me on pô dè monde qu’a s’ plèce è grand cîr bleû,

48    èt s’ dihez-me si c’èst vrêy qui v’s-î k’nohés’ li påye…

 

Dispôy li djoû qui l’ dèstinêye vis trawa l’ coûr,

divins quélès contrêyes ave situ bate carasse ?

Vis-avez-ve ènêrî vès l’ loumîre d’ôr dès-asses,

52    afîs’ d’î ramèhener dès ritchès fleûrs d’amoûr?

 

 

  1. tåye, aïeul; au plur., l’expression tåyes èt ratåyes désigne l’ensemble des ancêtres d’une famille; anchin, ancien. — 31. L’allusion à 1830 désigne les patriotes de la Révo­lution belge.
  2. djondant, joignant, chalèt, ici tout près. — 39. pèlé, pelé; mimbe di Diu, membre de Dieu (appl. à une personne). L’ensemble de l’expression est intraduisible littéralement, on pourrait la rendre par : tous malheureux braves types.
  3. mâcrawé, difforme, tordu (ici, avec une nuance de familiarité affectueuse). — 42. souwé, séché. — 44. groumeter, grommeler, marmonner : cette valeur dépréciative est étrangère au contexte, mais Mignolet déplace ou brouille souvent les niveaux de langue.
  4. priyèsse, prêtre.
  5. bate carasse, courir ça et là, vagabonder (même remarque qu’au v. 44). — 51. Vous êtes-vous envolés…; asse, astre. — 52. ramèhener, moissonner.

 

(p.466)

Mi qu’èst 1′ seul èritîr di m’ lignêye, pou-dje sins pawe

loukî d’vins 1′ blanc dès-oûys mi pus vî ratayon ?

Come bon crustin dj’a chèrvou 1′ Mêsse, èt come Walon

56    dj’a r’vindjî Lîdje avou m’ fisik èt m’ pèlêye gawe.

 

Vis-a-dje in.mé d’adreût ? Ciète on n’in.me måy assez,

mins l’ome è-st-ine hirwète qui tchèrèye à l’avîr…

Et s’ po tchanter ‘ne paskèye, dji v’ martchanda ‘ne priyîre,

60   pardonez-m’ di tot coûr, si v’ polez pardoner.

 

Li vèye è-st-ine sins-åme qui v’ tint come èn-on vis’,

avou sès fåâzès djôyes, sès handèles èt sès mås;

êdîz-me à roter dreût èt s’ dinez-m’ çou qui m’ fåt

64   po-z-aler vès l’ payîs d’ l’Amoûr èt dè l’ Djustice. »

 

Et dj’èlzî djåse insi lontins, lontins, lontins, po qu’ pus tård,

qwand l’ lêde mwért mi vinrè fé dès mowes,

i m’ riçûvèsse å mitan d’ zèls, tél on pôve rowe

68    qu’a mèrité d’ passer l’ouh d’ôr di leû djårdin.

 

Å-d’-foû, l’ nut’ sipite d’intche lès cwårês di m’ finièsse.

I ploût todi… Moûse hoûle dizos lès-åtches dè pont.

Et, dismètant qu’ Sint-Pô faît hileter s’ carilion,

72   dj’ètind dès samerous d’åme divins lès cwènes di m’ plèce…

 

Ibid., pp. 171-173.

 

  1. sins pawe, sans crainte. — 54. … mon plus lointain (litt. : vieux) ancêtre. — 55. crustin, chrétien. — 56. r(i)vindjî, défendre; … avec mon fusil (allusion à la guerre de 1914) et ma pauvre guimbarde; sur pèlêye, cfr v. 39.
  2. d’adreût (litt. : d’adroit), comme il faut. — 58. hirwète, girouette (ici, sens fig.); tchèrî à l’avîr, charrier au hasard, dévier. — 59. paskèye, chanson wallonne (cfr n° 77).
  3. … qui vous tient comme dans un étau. — 62.  … ses marchandages et ses maux.
  4. fé dès mowes, faire des grimaces. — 67. on pôve rowe, un pauvre hère (rowe, n. masc., litt. : « roue », trope pour désigner un individu digne du supplice de la roue; ici, dans l’expr. pôve ~, employé avec un sens atténué et familier).
  5. Saint-Pô, la cathédrale Saint-Paul, à Liège. — 72. j’entends des bruissements d’âme dans les coins de ma chambre.

 

 

(p.467)

EDMOND WARTIQUE

(1893-1953)

 

Né à Vilvorde, mort à Mont-Saint-Guibert. Fonctionnaire de l’Etat, affecté successivement aux Contributions, à la Trésorerie et enfin à l’Instruction Publique où le ministre François Bovesse le chargea du service des Lettres wallonnes.

Les vacances qu’il passait régulièrement chez son grand-père à Arsimont (Basse-Sambre) décidèrent de sa vocation d’écrivain dialectal après la lecture d’un numéro de la gazette namuroise Li cwarneu tombé par hasard entre ses mains. Le premier poème, Li vîye môjone qu’il écrivit alors, aux environs de 16 ans, ne devait avoir de suite que plus tard, lorsque ses parents se fixèrent à Namur et qu’il y fit la connaissance des frères Maréchal qui l’ame­nèrent aux « Rèlîs namurwès ». Dans l’intervalle, la guerre était survenue et Wartique, qui était artilleur au fort de Dave en 1914, fut fait prisonnier : de sa captivité au camp de Soltau, en Allemagne, il tira longtemps après un émouvant volume de mémoires, Lès crwès dins lès bruwères (1932), qu’il signa avec son ancien compagnon d’armes, Edouard Thirionet (1891-1930).

Le talent de Wartique en poésie s’est manifesté de manière épisodique et avec des bonheurs variables. Cette modeste production a été réunie dans Tote ène vîye (1941).

 

 

185                                                                                             [Arsimont]

Vacances

 

Dj’a rintré qu’i fièt brun dins l’ maujone disseûléye,

dj’a r’pris m’ place dins m’ fauteuy po-z-î passer l’ swèréye

èt d’mèrer sins lumiére; tot doûcemint li nwâreû

4   s’a stindu autoû d’ mi. Dji m’a sintu mérseû.

 

C’èst vacances. Li moman èt l’s-èfants sont-st-èvôye.

Ènawêre, di d’ssus l’ trén, tot 1′ tins qu’is m’ont seû vôye,

is m’ont fêt signe adiè avou leûs p’titès mwins.

8    Asteûre, dj’è so bén sûr, i n’ sondjenut pus qu’à d’mwin.

 

vacances

  1. qu’i fièt brun, à la brune. — 3. nwâreû, obscurité.
  2. ènawêre, tantôt (= il n’y a guère); trén, train: le en (bén, nén, molén, etc.) note un son nasal intermédiaire entre é et in; vôy, voir.

 

(p.468)

Dimwin, c’èst l’ lîbèrté, c’èst couru èt c’èst rîre,

èt c’èst s’ rôler dins l’ foûre, èt c’èst taper dès pîres

po fé dès ronds dins l’eûwe au ri padrî 1′ molén,

12    ou z-î fé dès-astantches avou lès p’tits vwèséns.

C’èst nanchî dins lès bwès po-z-aler coude dès nwêjes,

foncî dins lès bouchons à n’ pus-è sawè rèche,

c’èst djouwer à l’ clignète, aus quate cwéns, au frumau,

16    au cèke, à 1′ pwâre à glace ou à 1′ pète aus cayôs.

A l’ chîje, on choûte grand-pére qui raconte dès-istwêres.

Mins ça n’ dure nén longtimps, pace qui l’ome aus poûssêres

passe timpe po les-èfants qu’ont tant couru do djoû.

20   À ! i gn’a pus dandjî d’ lès-èdwârmu su s’ choû !

Di tènawète, tot l’ min.me, is m’èvôyeront ène lète,

po m’ dîre qu’on-z-a fêt l’ taute, ou dès bonès galètes,

qui l’ parén ni s’ plint nén qu’is féyenut trop d’ disdût,

24    qui 1′ tchèt a fêt sès djon.nes, qu’i gn-a branmint dès frûts,

qu’is-ont stî pormwinrner dins lès bwès d’ Claminfwadje,

ou bén qu’il ont stî vôy fèrer dès tch’vaus à 1′ fwadje.

Mins is n’ont wêre di tins po scrîre au pôve papa;

28    is n’ si doutenut nén, zèls, come i transit vêlà !

Portant, is n’ sont-st-èvôye qui po saquants samwin.nes…

Et quand is sèront grands ? Sins sondjî à nosse pwin.ne

is nos quiteront po d’ bon. C’èst l’ sôrt dès vîs parints

32   di s’ ritrouver d’sseûlés avou tos leûs toûrmints.

 

 

  1. … dans l’eau du (litt. : au) ruisseau derrière le moulin. — 12. astantche, petit barrage fait avec du gazon et des pierres.
  2. C’est fureter dans les bois pour aller cueillir des noisettes. — 14. … dans les buissons à n’en plus pouvoir sortir. — 15. … à cache-cache, aux quatre coins, à colin-maillard. —
  3. au cerceau, à la toupie, aux billes.
  4. Le soir, on écoute… — 18. Sur l’homme aux poussières, cfr n° 64, v. 8. — 20. choû, giron.
  5. (di) tènawète, de temps en temps. — 23. que le parrain (ici : le grand-père) ne se plaint pas qu’ils font trop de bruit. 25 Claminfwadje, Claminforge, lieu-dit sur le territoire d’Aisemont, dans le Namurois. 29. … que pour quelques semaines.

 

(p.469)

Lès-èfants n’ séyenut nén come on lès wèt voltîy.

Grand, is n’ voulenut qu’ène sôrte : c’èst-avancî dins l’ vîye.

Come au tins dès vacances, is n’ sondjenut qu’à l’avenîr.

36   Dimwin, c’èst do novia… Lès parints, c’è-st-ayîr.

I gn-a nén à r’niketer, i s’ faut fé à l’idéye di s’ ritrover in djoû,

tot seû au cwén d’ l’êstréye. Quand ç’ momint-là vêrè

— dji sin qu’ dj’ènn’a d’jà peû —

40    qui l’ Bon Diè vouye, au mwins’, qui nos fuchanche co deûs.

 

28 juillet 1925.

 

Paru dans la revue Le Guetteur wallon, t. 3, Namur, 1926, pp. 42-43.

  1. Les enfants ne savent pas comme on les aime (litt* : voit volontiers). — 36. ayîr, hier.
  2. r(i)niketer, répliquer, résister. — 38. … au coin de l’âtre. — 40. … que nous soyons encore deux.

(p.470)

GABRIELLE BERNARD

(1893-1963)

 

Née et morte à Moustier-sur-Sambre. Elle avait rêvé de devenir institutrice, elle se contenta d’être employée d’industrie. Marquée par le drame de la première guerre mondiale — elle y perdit son fiancé —, cette femme, intel­ligente et cultivée, fit de sa solitude la trame d’une vie intérieure dont la richesse s’exprima dans plusieurs recueils de poèmes français : elle n’en publia qu’un seul, En attendant la Caravelle (1936), sous le pseudonyme de F.-José Maugis, d’après le nom de son parrain qui lui fit aimer le monde mi-rural mi-industriel où elle vivait.

Ce n’est qu’en 1930 qu’elle s’intéressa vraiment au wallon en acceptant de présenter, sur le conseil du compositeur Ernest Montellier, un poème dia­lectal, Li Bètch aus Rotches (nom d’un lieu-dit à Spy) qui lui permit d’entrer aux « Rèlîs namurwès ». L’année suivante, la Société de Littérature wallonne la distinguait pour C’èsteûve ayîr [C’était hier], un groupe de 14 sonnets d’une technique variée, d’un art souvent subtil. Ces brèves visions d’une vie villageoise en train de disparaître, Gabrielle Bernard les approfondit dans des poèmes d’une facture plus large en même temps qu’un lyrisme plus per­sonnel en tournait certains vers l’élégie. Aux Boles di savon [Bulles de savon] (1942) succédèrent les quatre grandes pièces en vers libres : Lès tèris’ (Les terrils), Ouyeûs (Mouilleurs), Li dérén (Le dernier) et Leûs-èfants (Leurs enfants) qui composent la partie sombre du dernier recueil Do vêt’, do nwâr [Du vert, du noir] (1944). Quatre fresques qui forment comme une synthèse puissante du pays minier de la Sambre : le décor, les êtres, leur destin, leur descendance. On ne s’attendait pas à une telle « plainte sauvage » sortie de cette voix d’ombre, qui était en réalité « une voix de feu » (J. Guillaume).

Le folklore a fourni à Gabrielle Bernard la matière d’un drame poétique en 4 actes, Flora d’à l’Oulote [Flora du Hibou] (1949).

 

 

186                                                                             [Moustier-sur-Sambre]

Li braconî

 

Po discouviè one trace ou po tinde one bricole,

on n’ trouvereûve nén s’ parèy; po l’ prinde corne afûteû,

lès pus malins dès gardes poul’nut raler è scole :

4   I gn-a co todi pont à s’ vanter d’ l’awè ieû.

 

 

LE  BRACONNIER

  1. bricole, lacet pour attraper le gibier. — 2. nén : sur la graphie en, ici et plus loin, cfr n° 185, note du v. 6; afûteû, celui qui va à l’affût du gibier. — 4. … de l’avoir eu, c.-à-d. attrapé.

 

(p.471)

Corne i broke fou dès-aubes, kèrdjî d’on bia chèvreû,

tot d’on côp, d’zeû l’ pî-sinte, on rossignol èvole…

Do brût… Come li mouchon, l’ome sint l’ peû dè 1′ gayole

8    èt r’cule… djurant tot bas : ci n’èst qu’ deûs-amoureûs !

 

Honteûs d’ s’awè saîsi po dès maraudeûs d’ bètch,

nosse vî coureû dès bwès, qu’ a lèyî rider s’ kèdje,

li r’prind en bèrdèlant, tins qu’ lès-ôtes si r’catchenut.

 

12  Et podrî lès sapéns, li lune qui lût, fine ronde,

a l’aîr di rîre, tote seûle, binauje d’awè vèyu

s’èwarer po-n-on l’ôte lès grands-instincts do monde.

 

 

« C’èsteûve ahîr » dans Bull. Soc. de Litt. wall, t. 64, 1932, pp. 493-494. (Repris dans le recueil du même nom, Gembloux, Duculot, [1943], p. 7.)

 

 

187

Li ch’mineau

 

Dins l’poussêre dè l’lèvéye, i passe, tapant li s’mèle,

on p’tit pakèt d’ guènîyes barlokant à s’ baston,

èt pace qui l’solia lût èt pace qui l’route èst bèle,

4    en traversant l’viladje, i tchante come on pénson.

 

Tot rotant, i sorit, d’zeû lès ayes, aus bauchèles,

qui sondjenut en choûtant discrèche au lon s’ tchanson.

Divant sès-ouys trop francs, r’lûjants come dès tchandèles,

8    lès-omes si distoûnenut en l’traîtant d’ vagabond.

 

 

  1. broker, s’élancer, foncer; … chargé  d’un beau chevreuil. — 6.  pî-sinte, sentier. — 7. mouchon, oiseau; gayole, cage, ici au sens de prison.
  2. bètch, baiser (litt. : bec). — 10. … qui a laissé glisser son fardeau (litt. : charge). — 11. bèrdèler, maugréer.
  3. s’effrayer l’un pour l’autre…

 

LE CHEMINEAU

  1. Dans la poussière de la chaussée… — 2. … de guenilles pendillant à son bâton. 5. En marchant, il sourit, par-dessus les haies, aux filles.

 

(p.472)

Mins pus d’onk, maugré li, sint s’ colé qu’èl sitron.ne,

èt s’ dit qu’i compurdeûve ossi, èstant pus djon.ne,

qu’il èst quékefîye mèyeû d’ fini dè l’ mwart do leûp,

 

12    après-awè conu tos lès bias tch’mins dè l’ têre,

qui dè l’awè grèté — po-z-è r’ssatchî si wêre ! —

pwis s’ vôy lontins moru, vî tchén, au cwén do feu !

 

Ibid., pp. 494-495 (Idem, p. 8).

 

 

188

Li conscrit

 

Por li, s’ mame a ieû beau fé dès noûvin.nes à make;

maugré qu’il a bin pris l’ cossète avou trwès dwèts

èt qu’on vwèle di l’Avièrje èst keûdu dins s’ casake,

4   li pôve pitit Gustin a stî satchî 1′ bidèt.

 

I s’ dijeûve bén ossi qui tot ça, c’èst dès crakes,

qui pèrsone ni tombereûve, tot l’ monde fiant one saqwè…

Pa d’zos l’ plove di fèvri, dissus l’ grand-route qui plake,

8   i sût lès-ôtes conscrits qui tchantenut à plin.ne vwès.

 

 

9-11. … sent son collier qui l’étrangle / et se dit qu’il comprendrait aussi, en étant plus jeune, / qu’il est parfois meilleur de finir de la mort du loup. 13. … pour en retirer si peu.

 

LE CONSCRIT. — Avant la loi de 1909 instaurant le service militaire obligatoire, les jeunes gens en âge de porter les armes se présentaient à la conscription où ils tiraient au sort un numéro enfermé dans un des petits étuis, appelés « cossettes », qu’ils extraiyaient d’un tambour métallique (DL, fig. 693), Celui qui tirait un numéro supérieur au chiffre fixé pour le contingent était exempté du service. La journée du tirage au sort était animée par le va-et-vient, dans les rues et les cafés, des conscrits en goguette qu’accompagnaient fanfares et chansons.

 

  1. … des neuvaines [de prières] à foison. — 2. cossète, étui contenant le numéro. La croyance populaire était qu’en prenant cet étui avec trois doigts seulement, on conjurait le mauvais sort. — 3. Autre pratique magique : le conscrit a fait coudre à l’intérieur de sa veste « un voile de la Vierge », suivant le nom populaire donné à la « coiffe » ou membrane couvrant la tête de certains nouveau-nés et qui est considérée comme un présage de chance. — 4. … a été tiré le «bidet», c.-à-d. le numéro 1.
  2. tot ça, tout ça, toutes les pratiques destinées à ne pas « tomber » (v. 6). — 7. Sous la pluie de février …

 

(p.473)

I r’wête, morant d’invîye, lès cocâdes à 1′ calote

dès chançârds qui sont hôrs ! Li sét bén qu’i ‘nn’ îrè

po quatre ans aus lanciers — ou trwès dins lès piyotes.

 

12   Et, sondjârd, i si d’mande : « Est-ce qu’èle mi ratindrè ? »,

en pinsant aus nwârs-ouys, trop spitants, d’à Zabèle. …

Et 1′ pwarteû d’ cane vèrkine, èt l’armonica bwèle !

 

Ibid., pp. 495-496 (Idem, p. 9).

 

 

189

Feûs d’ ranches

 

Au fond dès djardéns, au-d-di-long dès têres,

dèviès l’ fén d’ sètimbe, on lès wèt blameter,

èt dji r’wête vol’tî leûs blankès fumêres

4    qui sont come lès twatches dè l’ mwârt di l’èsté.

 

Lès-èfants pwatenut totes sôrtes di ramechis’,

dès vîs rabéns d’aye ou bén dès favas,

èt dès fleûrs sètchîyes, dès strins, dès ronchis’,

8    c’è-st-au cia qu’ârè l’ pus bia dès forgnas !

 

Tot ç’ qui d’zos 1′ solia fieûve li glwêre do monde

frîle en s’ cotwartchant dins lès grifes do feû

qui copète, cotoûne, cohagne èt s’ rènonde !

2    autoû dès sètcheûs, grûlant pîre qu’on leup !

 

  1. lès cocâdes, les cocardes qu’affichent sur leur casquette ceux qui sont « hors » (exemptés). — 11. piyote, pioupiou, fantassin.
  2. en songeant aux yeux noirs, trop délurés, d’Isabelle. — 14. le porteur de canne, c.-à-d. le capitaine de la fête; vèrkiner (dim. de « ver »), se contorsionner, se démener; et l’accor­déon beugle.

 

FEUX DE FANES

  1. blameter. flamber. — 3. et j’aime à regarder (litt. : je regarde volontiers) leurs blanches

fumées. — 4. twatche, torche.

  1. ramechis’ (plur.), émondes, ramilles. — 6. de vieilles tiges de haie ou bien des cosses

de fèves. — 7. strin, paille; ronchis’, ronce. — 8. … la plus belle des flambées.

  1. grésille en se tordant… — 11. qui crépite, s’enroule, mord et s’élance. — 12. sètcheûs,

déchets sèches; grûler, gronder.

 

(p.474)

Li fumêre, mwints côps, rabat, pike lès-ouys,

l’êr sint d’djà l’uvièr, i tchêt dè 1′ creuweû,

i passe on vint fris’ qui done li tchau d’ pouye;

16   on sondje aus mwaîs djoûs, si coûts, si grigneûs…

 

Et portant dj’in.me bén, po vôy lès stindéyes

dès têres dispouyîyes èt dès p’tits cortis

où-ce qui lès feûs d’ ranches mètenut leûs blametéyes,

20   di griper su l’ tiène, quand l’ vièspréye finit.

 

Dji m’ dimande adon : quand nosse têre djon.nèsse

a pièrdu sès fleûrs fautchîyes pa lès-ans,

à qwè bon aurder l’ sovenance di s’ promèsse,

24   ramechis’ qui sètchit en nos disbautchant,

 

dèbris où-ce qui l’ keûr cache ses vîyès nanches,

bias-èspwêrs sins sûte, amoûrs disfloris… ?

Mins qu’§st-ce qu’a l’ coradje di fé on feû d’ ranches

28    dès chérès fènasses dès boukèts d’avri ?

 

Qu’èst-ce qui sâreûve bén, au sou dè l’ vîyèsse,

brûler l’ fleûr sins seûve où-ce qu’on r’wèt l’ vî tins,

sèpant bén qu’ l’uvièr qui manecîye nosse tièsse,

32   n’amwin.ne nén, à s’ sûte, on novia prétins ?

 

Aurdans nos sovenîrs flanis, sins nos plinde;

si nos lès brûlin.n, nosse keûr rafrèdi

îreûve co, bén sûr, rimouwer leûs cindes

36   po r’trover one breûje èt plu s’î r’chandi !

 

 

Poèmes choisis de G. B., édit. par M. Piron dans La Vie wallonne, t. 18, Liège, 1938, pp. 238-240. (Repris dans « Les boles di savon *, Gembloux, Duculot, [1942], pp. 10-11.)

 

  1. … une bruine humide tombe. — 16. mwaîs, mauvais.

17-18. … pour voir les étendues / des champs dépouillés et des petits jardins. — 19. où les feux de fanes mettent leurs flambées. — 20. de monter sur la colline…

  1. têre, tendre. — 23. aurder, garder. — 24. … en nous désolant.
  2. nanche, cachette, coin secret. — 27 et 29. qu’èst-ce… = qui est-ce… — 28. fènasse, tige desséchée.
  3. … la fleur sans sève où l’on revoit le passé. — 31. sachant bien que l’hiver qui menace…
  4. Gardons nos souvenirs flétris…  — 36.  pour  retrouver  une  braise  et pouvoir  s’y réchauffer.

 

 

(p.475)

190 Filés d’ l’Avièrje

 

Quand octôbe èrunit lès bwès

on lès wèt tinki leûs-èchèts

come one blanke sôye, d’one aye à l’ ôte…

 

Lès matinéyes ni sont wêre tchôdes,

5    il a rèlé su lès pachis…

Filés d’ l’Avièrje au bord dès ris

où-ce qui l’roséye èfile sès pièles…

 

L’uvièr s’anonce, li bîje sofèle.

 

Filés d’ l’Avièrje pa tos costés,

10    èst-ce li blanc doû do clér èsté,

tèchî pa lès dwèts dès macrales,

su lès rouwaus, su lès rouwales ?

 

Filés d’ l’Avièrje avau lès tch’mins;

on sondje à dès frèds lèd’dimwins;

15    lès cinses ont rintré leûs dinréyes…

 

Filés d’ l’Avièrje su lès-uréyes.

Filés d’ l’Avièrje su lès bouchons,

blanc doû frumejiant dè l’ bèle saîson,

tron.nant su lès fouyes dèdjà cûtes…

 

20   Filés d’ l’Avièrje à mès timplis…

à qwè bon lès gurgnîs rimplis,

quand on sint s’ keûr èt sès brès vûdes ?

 

Ibid., pp. 240-241.

 

 

FILS DE LA VIERGE

  1. èrunit, rouille. — 2. on les voit tendre leurs écheveaux.
  2. rèler, givrer; pachi, pâture.

10-12. est-ce le deuil blanc du clair été / tissé par les doigts des sorcières / sur les rigoles,

sur les ruelles ?

  1. dinréyes, récoltes.
  2. uréye, talus.
  3. bouchon, buisson. — 18. frumejiant, frémissant. — 19. tremblant sur les feuilles déjà brûlées (par la gelée).
  4. timpli, tempe. — 21. gurgnî, grenier.

 

(p.476)

191  L’èboulemint

 

Lès-omes si tukint l’ coûde en r’purdant leû-z-ovradje,

èt nén onk n’a moufté quand Batisse, li porion,

mostrant lès pîres di stape qui boutint d’zos l’ sauvlon,

4   leû dit : « Stancenans, lès fis ! Rachonez vosse coradje ! »

 

Il achèveûve à pwin.ne qu’on gros meurtia d’ tchèrbon,

avou on brût d’infêr, si crèvaude èt s’ distatche,

èt, vèyant autoû d’ zèls travayî lès bwèsadjes,

8    lès vis ouyeûs crîyenut : « Ci côp-ci, c’èst po d’ bon ! »

 

Adon, l’ long dè l’ galerîye, c’è-st-on pèlmî-pêrmèle;

li voûssûre a churé su l’ moncia qui s’ comèle;

tote li win.ne si rècrase èt stofe lès ûrlèmints.

 

12   A l’ copète, i fêt clér. On tchèron crîye : « Au… ritte !… »

Dès-èfants, dins on pré, coudenut dès marguèrites,

èt l’ grand solia d’ julèt’ fêt meûri lès frumints…

 

Ibid., pp. 243-244. (Repris dans « Do vèt’, do nwâr », Editions des Cahiers wallons,  1944, p. 20.)

 

L’ÉBOULEMENT

  1. si tukint, se heurtaient. — 2. porion ou contremaître qui dirige les ouvriers dans la mine. — 3. montrant les pierres de soutènement qui faisaient saillie sous le sablon. —
  2. Stancenans, étançonnons.
  3. … qu’un gros mur de charbon. — 6. si crèvaude, se crevasse. — 7. … s’ébranler les boisages [de la galerie].
  4. … c’est un méli-mélo (= un désordre fou). — 10. la voûte s’est déchirée sur le tas [de pierres] qui s’écroule (litt1 : s’entremêle). — 11. win.ne, veine; stofe, étouffe.
  5. tchèron, charretier.

 

 

(p.476)

192   Leûs-èfants

 

Méngurlèts ou soflés, blatchots,

en gros solés ou en chabots,

is sont-st-aujîyemint r’conichauves,

4           avou leû tchau sins seûve di plantes di cauve,

lès-èfants do coron,

lès pôves-èfants qui pwatenut dins leû song

li misére d’one race alan.yîye.

 

8                            Et i gn-a bran.mint !

Lès fé, c’èst l’ seûl plaîji qui n’ cosse rén… su l’ momint !

Et sovint,

â ! pus sovint qu’à s’ toû, èle atrape si choûrchîye,

12                            li feume d’ouyeû !

 

S’mince di bribeû,

s’mince di misére…

Est-ce qu’èle sondje à 1′ doûce glwêre d’ièsse mére ?

A-t-èle li tins, 1′ feume do aveû

ou do ièrtcheû ?

On p’tit à v’nu, onk dissus s’ brès, onk à sès cotes,

one fornéye d’ôtes, plantés tortos inte deûs ribotes !

 

20    Ci n’est nén d’ faute, portant, qu’à s’-t-ome — li malèreûs —,

èle ni r’proche si p’tite gote !

I dit qu’ ça fêt rovî lès cigâres do porion,

li creuweû dè 1′ fosse, li poûssêre èt 1′ crasse,

24   mins 1′ pôve djint sét bén qui, si wêre qu’i-gn-a place,

quand i r’vént sô, si compte d’à lèye èst bon !

 

 

LEURS ENFANTS

  1. Maigrelets ou bouffis, blafards. — 3. … facilement reconnaissables. — 4. avec leur chair sans sève de plantes de cave. — 5. coron, quartier d’habitations ouvrières en pays minier. — 7. alan-yîye, alanguie, épuisée.
  2. … le seul plaisir qui ne coûte rien. — 11. choûrchîye, dér. de chou, giron; on peut traduire familièrement : son paquet.
  3. aveu, « haveur ». ouvrier de mine qui excave, qui entaille la pierre. — 17. yèrtcheû, « hiercheur », manœuvre qui pousse ou traîne les berlaines.
  4. … que ça (le genièvre) fait oublier les réprimandes du chef. — 23. creuweû, humidité.

 

 

(p.478)

Onk di pus à noûri quand on n’ fêt nén crosse soupe !

C’èst lèye qu’è patirè… Li n’ f’rè nén djoûrnéye doube !

 

28                            Lès-èfants do coron,

mau noûris, mau r’nipés, mau tchaussîs… dès p’tits d’ome

tot l’ min.me… Is-ont bén l’drwèt, n’ chone-t-i nén, d’ viker comne

lès-ôtes-èfants ?

 

32   Ça n’ vike wêre, ça vike mau… ça n’ conèt nén l’carèsse !

Est-ce qu’èlle a l’tins, l’moman ?

Lès pus p’tits ont d’djà pris lès deurs visadjes dès grands

èt leûs djèsses.

 

36   Ça n’ vike wêre, ça vike mau… èt trop sovint l’ mwârt fautche;

èlle èst tintéye, èle wèt trop d’uchs au laudje,

trop d’ peûmons disfwarcîs, trop di stomaks nantis,

trop d’ fwèbes-ouchas èt trop d’ song racléri

40                     pa lès cint-ans d’ misére

qu’ont-èvoyî à l’fosse lès fis après lès péres.

 

Et lès cias qui crèchenut

èle lès a d’djà tchwèsi po lès gueûléyes à v’nu

44                     dè l’mougneûse d’omes, li fosse :

lès gamins, c’èst po l’fond, lès fèyes gangneront leû crosse

dins lès besognes do djoû.

 

Li tchèrbon mèt l’payîs d’ grand doû :

48    do nwâr dissus l’tèris’, lès cârés, dins lès reuwes,

su lès maujones èt su lès cous.

Li solia lût èt l’ aîr èst bleuw,

mins l’coron d’meûre tot bribosé,

52                 èt dès bindes d’èfants machurés

djoûwenut dès djès à fé tron.ner,

drî lès tèris’ èt dins lès prés djanis d’ fumêres…

 

 

  1. … quand on ne mange pas gras.
  2. … ne semble-t-il pas…
  3. trop de poumons affaiblis, trop d’estomacs fatigués. — 39. oucha, os; et trop de sang

éclairci.

  1. Et ceux qui grandissent. — 43. … pour les bouchées (litt. : goulées) à venir.
  2. tèris’, terril; câré, carreau de la mine. — 51. bribosé, maculé, souillé. — 52. machuré, barbouillé. — 55. jaunis par les fumées.

 

(p.478)

56                 Promètus aus-infêrs dè l’ têre,

c’èst dè l’tchau po l’fosse, lès gamins;

 lès fèyes, c’èst dè l’tchau d’amûsemint,

po comincî… Feumes divant l’âdje,

60                 — èst-ce qui l’mame a l’tins d’î wêtî ? —

pus taurd, trissès feumes di mwin.nâdje,

vîyes à trinte ans, lès rins spotchîs,

fumèles nantîyes…

 

64   Et, pôves-èfants blatchots, aus tch’vias come disténdus,

c’è-st-au djè dè l’vîye

qu’is djouwenut,

drî lès tèris’, drî lès murayes :

68    is djouw’nut au mwin.nâdje èt ça d’vént dès batayes,

is djouwenut aus-ouyeûs, po-z-awè ètindu

leû pére raconter lès-istwêres dè l’ taye.

Is conèchenut l’ nom dès-ostis,

72   is djurenut come dès Scotchs, sèpenut tos lès laîds contes

qui lès-ouyeûs lachenut, à l’ diskinte, à l’ rimonte,

lès pôves pitits !

 

Inocints portant, qwèqu’is frént rodji

76          pus d’one grande djin qui lès choûtereûve !

 

Is sont là, face à l’ fosse, ni sondjant qu’à djouwer.

Leu tchau blatchote di plante sins seûve

èt leûs cwârs moflasses ou nukés

80   vos fêyenut mau à vôy. Gn-a dès cias qu’on r’vièssereûve

en lès djondant !

 

Où-ce qu’is sont, lès-èfants gâtés pa leû moman ?

lès-èf ants qu’on carèsse, qu’on pompone, qu’on dôrlote ?

84   lès bauchèles à poupènes èt lès bias p’tits gamins

qu’ont dès cacayes tant qu’is voulenut, dès bons parints ?

 

 

  1. … les reins brisés. — 63 femelles éreintées.
  2. … aux cheveux comme déteints. — 68. ils jouent au ménage. — 71. osti, outil. — 72. ils jurent comme des Ecossais, savent tous les propos grivois. — 73. que les bouilleurs « lâchent » à la descente [et] lors de la remontée.
  3. et leurs corps mollasses ou noués. — 81. en les touchant.
  4. les fillettes à poupées. — 85. cacayes, objets de peu de valeur, brimborions, ici au sens de jouets.

 

(p.480)

Cès-ti-ci ont pus d’ clatches qui d’ pwin!…

 

Gamins à trop tènès culotes,

88                 en gros solés ou en chabots…

on wèt pus d’on p’tit raculot

qu’ûse one paîre d’à s’ frére.

Ça chalbote, i bwèstîye, i n’ sâreûve couru !

 

92                 Et l’ fosse, po ses gueûléyes à v’nu,

guigne lès-èfants markés do signe dè l’ race dan.néye…

 

Li pus’ est là, d’vant zèls, dins s’ man.nèsté;

dès tch’minéyes si drèssenut come lès nwârès tchandèles

96                            d’on nwâr auté…

Li fosse ratche èt ronfèle, avou totes sès côrwès,

sès machinerîyes èt sès tch’volèts,

100                            si bèfrwè…

C’est 1′ monse sins keûr qui mougne li tchau dès-omes !

Èle ronfèle, li fosse, come s’èle freûve on some

après awè lofé tot s’ sô.

 

104                           Et, tot d’on côp,

on dîreûve qui l’bèfrwè stind s’ cô…

One cloke a soné dins l’ djoù qui discline,

li monse rèwèyî si r’mèt à l’afut :

108           dès-omes ont r’monté, dès-ôtes diskindenut…

 

Dins 1′ nût qui tchêt, l’ fumêre dès tch’minéyes si disline…

 

  1. clatche, claque. — 89. raculot, dernier né d’une famille ou d’une couvée. — 90. ça ballotte. — 91. il boitille.
  2. Le puits [du charbonnage] est là, devant eux, dans sa saleté.
  3. La fosse  crache  et ronfle.  — 98.  côrwè,  courroie.  — 99.  tch’volèt,  chevalet.  —
  4. bèfrwè, « beffroi »   (en  liég.  bêle-fleur),  haute  charpente  en  bois  « supportant les poulies qui font monter et descendre les cages dans le puits »  (DL 73 et fig. 72). —
  5. monse, monstre. — 103. lofé, goinfré.
  6. … tend son cou. — 107. rèwèyi, réveillé. — 109. si disline, s’effiloche.

 

(p.481)

Dilé l’ tèris’, dès-inocints

djoûwenut à fé lès grands, do tins qu’on-ulau bawe

112   èt qui l’ pus’, cor on côp, si rimplit jusqu’à l’ gawe;

one molète grûle; dins l’ ombe, sournwèse, li fosse riprind

l’aîr d’one mwaîje bièsse qui chîme sès grawes

 

èt qui ratind.

 

Ibid., pp. 244-248. (Idem, pp. 28-31).

 

  1. … sur le temps qu’une sirène aboie. — 112. … s’emplit jusqu’aux mâchoires. — 113. une molette gronde… — 114. … d’une mauvaise bête qui aiguise ses crocs.

 

 

(p.482)

ROBERT GRAFE

(1896-1968)

 

Né et mort à Liège. Fils d’un professeur d’université, lui-même docteur en Philosophie et Lettres (philologie romane), il enseigna le français, notam­ment dans les athénées de Seraing, puis de Liège. Le culte que ce lettré, qui était aussi un humaniste, vouait à son pays natal et à son histoire, lui fit découvrir la valeur insigne du dialecte wallon (pour rester dans sa note mieux vaudrait dire : liégeois) et il se consacra avec ardeur à l’œuvre du « wallon à l’école ». S’il composa une anthologie de Lectures wallonnes (1959) destinée aux écoliers liégeois, il se préoccupa aussi d’illustrer par lui-même le langage qu’il défendait; et ce furent quelques proses, quelques poèmes, aussi brefs que suggestifs, auxquels il donna un jour le titre de Fâves à cowe di pèhon (Fables en queue de poisson) sans que jamais l’idée lui vînt d’en faire un recueil, la publication occasionnelle dans l’un ou l’autre périodique suffisant à sa modestie.

 

 

193                                                                                                   [Liège]

Flibotes

 

Li tchawe-soris rèy dè saveûr

qui l’ leune a fêt sogne ås voleûrs.

 

I n-a-st-ine bôme dizos l’ tchèstê

wice qu’i n-a d’ l’ôr plin dès tonês.

 

On djoû qu’i tchèssîve ås bègasses,

li vî går nèya-st-è marasse.

 

On n’a pus vèyou l’rôbaleû,

c’èst qu’il a stu magnî dès leûs.

 

Traduction

EFFILURES

La chauve-souris rit de savoir / que la lune a fait peur aux voleurs, n y a un souterrain sous le château / avec de l’or plein des barriques. Un jour qu’il chassait la bécasse, / le vieux garde se noya dans le marais. On n’a plus vu le vagabond, / c’est que les loups l’ont dévoré.

 

(p.482)

Djon.ne fèye à l’fignèsse aspoyèye,

oyez-ve li monså qui rôkèye ?

 

Dizos l’ teûle di l’êwe dè vèvî

florih li fleûr qui fêt roûvi…

 

Marche Romane (Liège), décembre 1951, p. 81.

 

194

Foucåde

 

L’iviér a s’ daye, ca vochal lès pas d’ågne.

Rôle à fahène èt s’ fê dès coupèrous è tchôd solo.

Tûse à çou qui t’ahågne.

 

4   Home li djoûrnêye come in-oû fris’ ponou,

lê lès mèhins ènn’aler è hî-fèsse

èt 1′ lêd Wåtî fé ses hègnes ås Tchåtrous.

 

L’oûhê s’ènûle è cîr, tot rècokès’;

8    è nosse cot’hê, lès pîhîs vont flori;

li prétins, veûs-se, va dårer d’ine plinte pèce.

 

Tchante èt hufèle èt tarlatèye, pusqui

vo-te-là tot seû è cisse carimadjôye :

12   i n-a nou meûs si bê qui l’ meûs d’avri.

 

Abèye ! Va-s’ côpe li fleûr di l’åbe-coûte-djôye !

 

Les Cahiers wallons (TSTamur), octobre 1978, p. 121.

 

Jeune fille à la fenêtre accoudée, / entendez-vous le ramier qui roucoule ? Sous la toile unie de l’étang, / fleurit la fleur qui donne l’oubli…

 

GOURME

  1. L’hiver a son coup; pas d’ågne, tussilage. — 2. rôler à fahène (litt. : à fagot), se laisser

rouler du haut d’une pente gazonnée; coupèrou, cabriole. — 3. ahågnî (var. de ahåyî),

agréer, plaire.

  1. houmer, humer; … comme un œuf frais pondu. — 5. laisse les ennuis s’en aller de

travers. — 6. et le fossoyeur (litt. : le laid Wauthier) faire ses grimaces au cimetière;

le lieu-dit ås Tchåtrous (litt. : aux Chartreux) désignait autrefois le principal cimetière de

Liège, à Robermont.

  1. rècokès’, vif, plein d’allégresse. — 8. pîhî, pêcher. — 9. dårer, jaillir, s’élancer.
  2. tarlater, fredonner. — 12. … en cette enjolivure de fête (sur carimadjôye, cfr DL, 136).

— 13. … la fleur de la joie éphémère (sur l’expr. åbe-coûte-djôye, cfr n° 126).

 

 

(p.484)

CHARLES GEERTS

 

Né à Morlanwelz en 1900. Militaire de carrière, il exerça les fonctions de comptable au 1er Régiment des Carabiniers cyclistes. Directeur de la revue dialectale El mouchon d’aunia (La Louvière).

Œuvres wallonnes :

Poésie : Brike-broke [Par-ci par-là], Bruxelles, Labor, [1938]. — Lès p’tits boneûrs [Les petits bonheurs], Auderghem-Bruxelles, 1953. — Zines [Lubies], La Louvière, 1972.

Théâtre : quelques vaudevilles et revues.

 

 

195                                                                                         [La Louvière]

Bévèrlô

 

Réjimints d’ barakes

qui sè r’chènetèt d’ trop

(tout pûres fordjes à crakes !);

4   twas longs djoûs sans lètes,

deûs pîds à clokètes

èy’ in sak à s’ dos.

 

Toûrnikèts trankîyes

8    sans-anias ni k’vaus

(in bleû lès r’nètîye);

vindeûs d’ pètotes frites,

pachis sans magrites

12    èyèt sales frèchaus.

 

BEVERLOO. — Nom d’un camp militaire, isolé dans la Campine, où les soldats accom­plissaient une partie de leur service avant 1940.

  1. qui se ressemblent trop. — 5. clokète, cloche, ampoule (allusion aux longues marches forcées).
  2. sans anneaux, ni chevaux. — 9. un bleu, c.-à-d. une nouvelle recrue. — 11. prés sans pâquerettes. — 12. frèchau, endroit humide, bourbier

 

(p.485)

Laîdès gardes à prinde

pou wére à warder

(co mwins’ à dèsfinde);

16   saquants nût’s à l’uch,

« l’inn’mi » qui s’ dèsmuche,

pindant què l’ pleûve tchét.

 

Dringuèyes par trop râles

20 qu’on ratind à bon

(Bon Dieu, ç’ qu’on d-in pâle !);

invîye d’ pèter ‘ne guinse

dou costè dè l’ cinse

24 qu’a si fayè nom…

 

Cinémas miséres;

dès piotes dèsloketès

èyèt pont d’ couméres.

28 Payis dès clignotes,

dès trop bèlès cotes

èyèt dès r’kinès !

 

Scrènes dèssus ‘ne payasse

32 qu’a bran.mint chèrvi.

Bia souveni qui r’passe…

In condji à s’ potche,

in trin qui s’arloche,

36   in soudâr qui rit…

 

“Brike Broke”, Bruxelles, Labor, 1938, pp. 43-44.

 

  1. pour peu de chose à garder. — 17. l’ennemi (iron.) qui débusque (litt. : se découvre).
  2. dringuèye, « dringuelle », pourboire, gratification; râle, rare. — 20. à bon, pour de bon. — 21. … ce qu’on en parle ! — 22. pèter ‘ne guinse, faire la noce. — 23-24. du côté de la ferme / qui a si mauvais renom.
  3. dèsloketè, déguenillé. — 27. et pas de femmes. — 28. clignote, œillade. — 30. r’kinè, sans le sou, « fauché ».
  4. (è)scrène, veillée, soirée. — 32. qui a beaucoup servi (= qui est fort usée). — 33. beau souvenir qui revient. — 34. condjî, congé au sens de permission (militaire). — 35. s’arlochî, se remuer, s’agiter; ici, en parlant d’un train : cahoter. — 36. soudâr, soldat. — Nous laissons tomber, de l’édition originale, la reprise finale : Béverlo : / Réjimints d’ barakes / qui sè r’chènetèt d’ trop.

 

(p.486)

196

Em’ visène m’a dit…

 

Èm’ visène m’a dit : « Au Bos dès Brasséyes,

lès godèts sont près’ à s’ léchi coyî ! »

Mi, d’aî rèspondu : « Mon Dieu ! qué idéye !

4   Al’z-in d-acatè à vo fourboutî ».

 

Èm’ visène m’a dit : « Au bal dè l’ ducace,

du voûroû dansé twâs djoûs avû vous ! ».

Mi, d’aî rèspondu : « Mamezèle, à vo place,

8    du candjeroû tékefwas pou n’ pont fè d’ djalous…

 

Èm’ visène m’a dit : « In r’vènant d’ grand-mèsse,

Ralon’ come lès-autes pa l’ piè-sinte d’Amoûr ! ».

Mi, d’aî rèspondu in l’ ravisant d’ crèsse :

12    « El voye èst fin stwate èt c’è-st-in dèstoûr… ».

 

Èm’ visène m’a dit : « Vos mèritèz ‘ne trimpe;

du vos vwa vol’tî, c’èst pus foûrt què mi ! ».

Mi, d’aî rèspondu : « Foloût l’ dîre pus timpe,

16   il-a bîn deûs-ans què d’atind ç’ djoû-ci… ».

 

« Les ptits boneûrs », Auderghem, 1953, p. 60.

 

MA VOISINE M’A DIT…  — Dans l’édition originale figure en exergue une citation d’A. de Musset : « Ce n’est pas imiter / Que de planter des choux ».

  1. Au Bois des Embrassements : lieu-dit imaginaire comme le sentier d’Amour au v. 10. —
  2. godèt, jonquille. — 4. Allez-en acheter chez votre maraîcher.
  3. ducace, fête paroissiale. — 6. je voudrais danser…
  4. ralon’, retournons. — 11. … en la regardant de travers. — 12. Le chemin est fort étroit…

 

(p.487)

LOUIS LECOMTE

(1900-1971)

 

Né à Quaregnon (Borinage) et mort à Charleroi. La plus grande partie de sa vie s’est écoulée dans la région carolorégienne où il était établi comme tech­nicien en électricité. Plus tard, il alla vivre dans l’agglomération de Bruxelles et s’y livra au commerce. C’est alors qu’ayant renoncé à la littérature dialec­tale, il écrivit, sous le pseudonyme de Louis Gall, des chansons et des contes en français pour le disque et la radio.

Si l’on excepte quelques pièces de théâtre et un volume de vers, Bètchîyes [Becquées] (1940), l’œuvre de Lecomte se compose d’un recueil de contes, Nwâre bîje [Vent du nord] (1936) et de nouvelles qui sont parmi les meilleures de la littérature wallonne : Dèdè (1941), histoire du premier bonheur, à peine rêvé sitôt détruit, d’un gosse des corons’, Ramâdjes [Paroles] (1942), deux brèves évocations dont l’une, qui donne son titre à la plaquette, passe pour être autobiographique; Premî bidon (1943) ou récit de la première journée d’atelier d’un tout jeune apprenti.

Le talent de Lecomte est celui d’un observateur précis doublé d’un analyste habile à mettre au jour les replis de l’âme, aidé par une technique qui associe notations et réflexions, affleurements de monologues intérieurs et changements de perspectives, dans un style parlé, à la fois sobre et nerveux.

 

 

197                                                                                         [Châtelineau]

Ramâdjes

(extrait)

 

Dans un accès de désespoir, Léon, personnage principal du récit, a voulu mettre fin à ses jours au moyen d’une carabine. Il s’est manqué et se retrouve à l’hôpital, frappé de cécité.

 

L’opitâl s’a mètu su s’ trente-èt-yin. On dîreut qui l’tchambe d’à Lèyon est pus riyôte pace qui c’est dimègne. In bia bouquet garnit 1′ fènièsse. Lès djins qui sont-st-autoû du lét on fét leû twèlète ètou.

4 Lèyon n’ lès wèt nén. I n’ wèt nén ne rèn ène rayîye di solia qui djoûwe avou 1′ fleur du pav’mint. I n’ wèt pus : il è-st-aveûle.

L’uche de 1′ petite ârmwêre ni djoke nén d’ s’adrouvu pou avaler in moncha d’ bounès afêres à mindjî.

 

PAROLES

  1. ètou, aussi. — 4. un rayon de soleil.

6-7. … ne cesse de s’entrouvrir pour absorber un tas… (il s’agit des friandises que les

visiteurs apportent au malade).

 

(p.488)

8 Stindu su lès couvertes, in brès ratind, presse à co doner dès pou-gnîyes di mwin. Lèyon r’conèt lès vwès d’ ses camarades : il est contint d’ lès-ètinde. I lyî chêne qu’i gn-a d’s-anéyes qu’i n’ lès-a « vèyus ». Dès larmes voûrît bén spiter; èle dimeur’nut arokéyes à

12 P gâye. I brét dès bondjoûs, dès mèrcis, corne i pout. Tanawète, lès niêrs du goyî infèl’nut. Ses dwèts broy’nut lès draps d’ lit. S’reut-ce di douleur ?

« Qu’est-ce qui t’as là fét, Lèyon ? »

16 Ses lèpes si sèr’nut pus fwârt. C’èst-au mwins P dîjième côp qu’on lyî dit P minme afêre.

Rigrèt’reut-i di n’ nén yèsse chîs pîds d’zous têre ? « Faut yèsse couradjeûs, Lèyon, ça r’véra ! »

20 Lèyon n’ lieû-z-è vout nén. I set bén qu’on n’ discourâdje jamés in malade, minme s’il est presse à moru.

« A qwè-ç’ qui t’as sondji, Lèyon ? »

Lès spales ont rèspondu; ses lèpes radrouvûwes èyèt r’sètchîyes

24   voûrît bén ramadjî : Lèyèz-P tranquîye, alèz ! Vos n’ wèyèz nén qu’i cache à roubliyî ?

I n’ vûde qu’in p’tit djèmich’mint.

El curieûs mârtchand d’ légumes ni trouve pus rén à dire.

28 Put-ète aveut-i l’idéye qui Lèyon aleut lyî raconter P fin-fond d’ Pafêre. L’ér ginnè, i si r’satche dins n-in cwin avou yin d’ ses vijins qui n’è rabat nén yène.

Qwè dîrît-i, après tout ?

32    « I parèt qu’on dwèt vinde leûs bidons ! » El vijin a dit P séné à l’orâye di s’ camarade. « C’est ç’ qu’on m’a dit, savez ! » Dimwin, tout P vilâdje chufèl’ra P minme ér.

 

8-9. Couché sur les couvertures, un bras attend, prêt à encore donner des poignées de

mains. — 11. arokéye, arrêtée, accrochée. — 11-12. à l’ gâye, à la pomme d’Adam. —

12-13. De temps en temps, les nerfs du cou enflent. Ses doigts froissent…

23-24.  …  ses lèvres entrouvertes de nouveau et retirées voudraient bien murmurer. —

  1. qu’il cherche à oublier. — 26. Il ne sort…
  2. qui n’en souffle pas une (= qui se tait).
  3. leurs bidons, c.-à-d. leurs meubles (par saisie d’huissier).

488

 

(p.489)

36   Lôvô, aspoyi su 1′ fènièsse, les pons stitchis dins lès potches di s’ djîlèt, èl cousin parvenu tatèle avou Gèlique. « Si dj’èsteu à vo place, dji d-ireu trouver in grand spécialisse… à l’après d’ saquants biyèts. »

40   S’reut-ce de F mannôye ou bén lès clés di s’n-auto qui ses dwèts

fèy’nut clicoter ainsi ?

« Dji dis ça et dji n’ dis rén, savez ! »

An stoufant in bôyâdje avou s’ gauche pougn’, i donc in côp d’oûy

44 à s’ monte-bracelet. Èl djîlèt a r’nôdè lès p’titès clés; èle verkin’nut

corne dès sotes autoû d’in dwèt du cousin, èle sont contènes de

râler djouwer à F bèrlondjwêre su F tableau d’ l’auto. Lès eûres

di visite s’ront bén rade woute. Dès nèrveûs pîds s’ pourmèn’nut

48 dins F place. Tanawète, dès pwintes di soles wét’nut du costé d’

l’uche. Lès parints ont fét rintrer Fs-èfants qui djouwît d’ssus F gazon.

Qu’est-ce qui lès bèguènes vont dire quand èle vîront lès plates-bindes

pèstèléyes ?

52 Èl bon Dieu a fét r’muchî F solia dins lès nuwâdjes. I fét branmint pus trisse. Lèyon a mau s’ tièsse; il est cagnâr. C’èst-à pwène s’il a dit arvwêr à tout F monde.

Gèlique èst-èvoye rimwinner ses djins djusqu’au d’bout du coulwêr…

56 I n’ dimeure pus au pîd du lét qu’ène vîye feume disbôtchîye.

« C’est vous, man ?

— Em’ petit !… Em’ pôve petit ! »

Ène pitite mwin longûwe, plène di crèvôdes, caresse dès longs 60 tch’vias dispôrdus su F coussin.

Èle rabrèsse Lèyon lontins. Èle soumadje.

Lèyon a trouvé F fwace di mé&tri ses soufrances. I n’ vout nén

moustrer à s’ marne qu’il a mau. Èl bouche s’alôrdjit pou sourire. 64 « En’ brèyèz nén, man; ça r’vénra, alèz ! »

 

  1. … le bout des doigts enfoncé… — 37. … le cousin «parvenu» bavarde avec Gèlique (Angélique, la femme de Lèyon). —• 39. … quitte à débourser quelques billets (de banque). — 41. clicoter, cliqueter. — 42. Façon de dire : faites ce que vous voulez de ce que je dis. 43. bôyâdje, bâillement. — 44. … a rejeté les petites clés: elles s’agitent… — 46. de retourner jouer à la balançoire… — 50. lès bèguènes, les religieuses (de l’hôpital). —
  2. pèstèléye, piétinée.
  3. … a fait se cacher le soleil… — 53. cagnâr, de mauvaise humeur, hargneux. 56. disbôtchîye, désolée, attristée. — 61. soumadjî, pleurer silencieusement.

 

(p.490)

Suis F voulwêr, i répète dès mots qu’on lyî a dit à li-minme. « Vos vîrèz corne ça va bén d-aler, asteûre qui dji n’é pus mau. » El pôve djint ni rèspond nén; on n’aprind nén à in vî séndje à fé

68    dès grimaces. I roublîye qu’on n’ sâreut tromper ène marne.

Lèyon s’a rèdôrmu sins brut. Il a ôrdè in sourire su ses lèpes. I rêve put-ète à ‘ne saqwè qui lyî fét du bén. Es’ vîye marne dimeure là, banôle et sins corâdje. Èle èst-aviyîye di dîj ans; cœur moûdri pa

72 lès pwènes, èle sondje à ses maleûrs passés, au nouvia qui vent d’ s’aflachî su F famîye…

Lèyon bèrote dèdjà pa-t’t-avô F môjo.

Su F boneûr-di-joûr, ène musique à F bouche ratind qu’on voûye

76 bén F mète à place. A costè, su in moncha d’ papîs à rimpli, ène père di nwârès banques si r’pôs’nut. El tic-tac d’in vî régulateur chût F brut di deûs pantoufes qui trinn’nut autoû de F tâbe. Lès djambes èr’sint’nut F dandjî d’ s’iskeûre.

80   Lèyon d-è vûde bén tout seû pou si r’conète.

Roci, li tch’minéye. Là, c’est yin d’ mes pôrtréts. Rolà, èl bâre à pupes. Roci, c’est… yène di ses mwins rèscontère in crampon, et ‘core èn-aute nén Ion èri. Lès dwèts s’ pourmèn’nut su F tapis corne

84   pou mesurer F longueû. C’est roci qu’il èsteut acrotchi; i n’î est pus…

Aureut-i v’iu F discrotchî ‘core in côp ?

Lèyon dimeure sondjâr…

Aureut-i co l’idéye di r’comincî? S’reut-i co à F disbôtche?

88   Èl mârtchand d’ parapuis aveut dandjî d’ène carabine. I faleut in blanc baston pou Lèyon. Pouqwè nén candjî pusqui yin amwinne Faute ? C’est ç’ qui Gèlique a fét…

 

« Ramâdjes », Gilly, L’Edition moderne. 1942, pp. 31-36.

 

  1. il a ôrdè, il a gardé… — 71. banôle (litt* : banal), ici, au fém., inoccupée, interdite. 74. bèroter, marcher ça et là, aller et venir. — 75. « bonheur-du-jour », petit meuble à tiroirs. — 76. mète à place, ranger. — 79. les jambes ressentent le danger de s’agiter (au sens de : se dépenser). — 80. L. en sort bien tout seul pour se retrouver. — 81. roci, ici. — 81-82. là, le râtelier aux pipes. — 82. crampon, crochet que l’on enfonce dans une muraille (ici, pour poser une arme). — 83. su V tapis, sur la tapisserie du mur. —
  2. à l’ disbôtche (Utt* : à la débauche), au désespoir.
  3. aveut dandjî, avait besoin.

 

(p.491)

 

ANATOLE MARCHAL

(1901-1966)

 

Né à Durnal (prov. de Namur), mort à Bruxelles. Instituteur en 1920, il n’enseigna guère et entra, en 1922, dans le corps de gendarmerie qu’il aban­donna, en 1943, pour occuper des fonctions administratives dans le secteur privé.

Esprit curieux, passionné de connaissances scientifiques particulièrement dans le domaine de l’astronomie où, quoique autodidacte, il se fit remarquer par des articles publiés entre 1956 et 1966, Marchai s’était d’abord voué à la littérature, se partageant entre des écrits français (restés la plupart inédits) et une œuvre wallonne qui a révélé un talent original de prosateur. Cette œuvre comprend Au tins des nûtons [Au temps des lutins] (1937), Durnal, mi bia viladje, poèmes en prose (1939), Li dérène chîje [La dernière veillée] (1941) et Sondfrîyes dins les chavéyes [Songeries dans les chemins creux] (1951), poèmes en prose et en vers libres. A ces volumes, on ajoutera Padrî l’ murwè [Derrière le miroir], un recueil de « contes d’épouvanté » qui n’a pas été imprimé.

Doué d’imagination et de sens poétique, Marchai a réinvesti dans son terroir dinantais tout un matériel folklorique composé de légendes et d’êtres fan­tastiques ou surnaturels. Le merveilleux est au centre de ses contes, replacés le plus souvent dans le cadre des veillées villageoises. L’animisme ingénu prêté aux éléments et aux choses, la fraîcheur du coloris font oublier ce qu’il y a d’un peu factice dans ces affabulations nées du désir de recréer le charme du « bon vieux temps ».

 

 

198                                                                                                [Durnal]

Li dérène Chîje

  1. 197-199

 

Li Baron a r’clô 1′ bawète do stôve. I s’ va rassîte è s’ fauteuy et i ralume si pupe. Maria vos-autes qu’i gn-a lontins qu’on-z-a ri en choûtant les prêtes et lès couyonâdes ! ‘L-a dès samwinnes et dès

4 samwinnes. I m’ chone qui ça est si Ion. C’est 1′ vré, portant, qu’i gn-a dès nets qui durèt dès samwinnes et dès mwès. Ci tins-là est distrût ossi.

 

LA DERNIÈRE VEILLÉE

  1. « Le Baron » surnom du vieux conteur villageois chez qui les veilleurs ont l’habitude de se réunir; bawète, ouverture, guichet. — 2. Maria vos-autes, loc. interj. exprimant la surprise. — 3. proie, baliverne, conte en l’air; ‘l-a, il y a. — 5. net, nuit.

 

(p.492)

Qui est-ce qu’aureut bin pinsè ça ? Et si ç’ net-ci aleut todi duré ?

8 Jusqu’à F fin d’tôt, et co quék’fîye di pus ? Jusqu’à todi ? Dji r’wéte

li vîye ôrlodje, et dji veu qu’elle a on drôle d’air. Li Baron, s’i vout,

n’a qu’à stinde si mwin après po l’èmacralè, po qu’èle rote, qu’èle

rote et qu’èle rote, po n’ si pus jamais arête. Ou bin po qu’èle s’arète

12 d’on plin côp, po n’ pus jamais s’ rimète en route. Ci sèreut 1′ minme

afêre, li minme èmacralûre, d’on costè corne di l’aute.

Ci qu’i gn-a d’ sûr, c’est qui F Baron a stindu s’ mwin après l’ôrlodje qu’est là drèssîye dins one cwane, sins qu’ nos 1′ vèyanche, et dj’a

16 Fidéye qui l’éreûre ni vérè jamais carèssi lès câraus do F fignèsse. Dji sin qui dj’a frèd, tôt d’on côp. Mins pokwè ? O djoû, trop clér, trop rimpli, trop brûtiô, gn-a pont d’ place po lès fôves.

Li Baron nos a-t-i mine dins on-aute monde, one aute tère ?

20 Nos-aurans F tièsse loûte, torate, en z-èralant. Mins ènn’a-t-on raie ?

Ci chîje-là dure co todi dins m’ sondj’rîye, et m’ sondj’rîye n’aurè pont d’ fin.

24 One musique tenante è m’ tièsse. Li musique dès tchansons qu’on n’a quék’fîye nin tchantè. Li musique do vint o F tchiminéye. Li musique dès mots di nosse bon vî walon, qui caresse mès-orèyes.

Siya, portant, on-z-a tchantè, o F vîye coujène, on-z-a tchantè, tôt

28 près do djîvô, pa-dzos F gros quinquèt.

One vwè… Nonna, tant dès vwès difèrintes ont fêt disclôre dès sondjes tot-autoû dès vis meûbes. Li mistérieûse vwè dès-âmes astôrdjîyes autoû dès vîyès môjons, qu’on z-ètind s’ toûrmintè o vint

32 qui pîle por zèles, puce qui nos nèl savans choûtè. Li vwè disbèlîye do F bêle Mélusine, qui crèv’reut F cour dès cis qu’aurint d’s-orèyes

 

 

  1. émacralè, ensorceler. — 13. èmacralûre, ensorcellement.
  2. éreûre (néol. littér.), pointe du jour, aurore.
  3. o djoû, dans le jour. •— 18. brûtiô, qui brûtîye, fait un bruit confus; fôve, fable, ici : conte de veillée.
  4. … la tête lourde, tantôt, en retournant.
  5. Siya, si, adv. d’affirmation; coujène, cuisine. — 28. djîvô, tablette de cheminée.
  6. Nonna, non, adv. de négation pour contredire; disclôre, éclore. — 31-32. … dans le vent qui gémit pour elles [la voix des âmes] puisque nous ne savons l’écouter. — 32. disbèlîye, attristée; la légende de la fée Mélusine n’appartient pas au folklore wallon.

 

(p.493)

po l’ètinde… Li complinte do dérin Nûton, mwârt do 1′ faute dès-ornes, dins s’ valéye tote arèdjîye; l’angoche dès-ôbes sitrindus qui

36   n’ v’ièt nin moru, et qui fièt monté è l’êr, corne on-ètranje concert, tote li musique dès coleûrs…

Et ces vwès-là s’ sont rachonéyes tortotes o 1′ minme tchanson, li ciné qu’on-z-ètind dins Y grande vwè do vint quand on 1′ va choûtè

40   dins one trawéye do bwè, d’à F copète dès tiènes, au d’zeû do 1′ valéye.

Ci tchanson-là, on l’a co ètindu lontins, o 1′ vîye coujène d’èmon 1′ Baron, quand 1′ dérène fôve n’a pus stî qu’one sov’nance, quand

44   1′ vwè qui raconteut s’a têt po tôt d’ bon.

Ele m’a fêt moussi dins dès sondjes mirôculeûs, et dji n’ su nin co rèwèyi.

Mins ci n’est qu’ dès sondjes, et lès pus bias sondjes toûn’nut à rin, 48   au fond d’ l’âme, mougnis pa-r-on brouyârd, onk à onk, et tôt doûç’mint.

Mélusine,   Gâte  d’or,  Nûtons,  Lum’rotes,   Macrales.   Sondjrîyes. Ignwères. Imôdjes brouyîyes. Musiques fondûwes o vint qui flûtéye

52   dins lès sapins. Pus anoyeûses, à fét qu’èles discrèch’nut au Ion, dins 1′ net sins-éreûre.

Gn-a qu’ lès blawtantès vûzions qu’ont rimpli nos-ouy qui n’ mouss’-ront jamais pus fou. Corne li mouchon do père Noé, nos-avans vèyu

56 di d’ tôt près li grand stwèlî. Gn-a tant dès-ornes qui rot’nut todi l’tièsse è tère, sins jamais lève leûs-ouy aus stwèles ! Mins nos-autes, nos-avans minme sitî veûy jusqu’à là; c’est co-r-aute chose qui do r’ièvè nosse tièsse ! Et, pwis, nos-avans passé yute. Adon, nos-avans

60   trèvèyu 1′ môjon do Bon Die.

Dji n’ se pus comint qui 1′ chîje s’a-t-achèvè. Mins l’a-t-èle sitî, achèvéye, seûrmint ?

 

— 34. La croyance populaire aux nûtons, petits lutins serviables, à barbe blanche, vivant dans des grottes ou trous (trô d’ nûtons) était particulièrement répandue en Ardenne. La légende de leur disparition a fait chez Marchai l’objet de deux récits, l’un dans Au tins dès nûtons (pp. 77-81), l’autre dans Li dérène crûje (pp. 59-68). — 35. angoche, angoisse.

  1. lum’rote, feu-follet. — 51. ignwère, fumée. — 52-53. … à mesure qu’elles décroissent au loin, dans la nuit sans aurore.

55-56. Comme la colombe (litt1 : l’oiseau) du père Noé, nous avons vu de tout près le grand firmament. — 60. trèvèyu, entrevu.

 

(p.495)

Li quinquèt bacheut tôt doûç’mint, corne one âme qu’è va ‘nn’alè.

64   L’ombrîle, jusqu’asteûre rèclôse dins lès cwanes lès pus rèsculéyes et pa-dzos lès meûbes, a k’minci à rimpli 1′ coujène, elle a monté au plafond, et elle a nèyi tôt.

On n’ vèyeut pus rin, qui 1′ tène bondiè d’ keûve qu’èst-au mitan do

68    djîvô, pace qui 1′ morante flame do quinquèt F fieut co blawtè one miyète. (…)

Li dérène chîje, djè l’a rascoudu divant qui li spècheû do 1′ net ni stofe li lum’rote do quinquèt, divant qui lès chîj’leûs n’èrvonche

72 coutchi, divant qui lès dérins mots do 1′ dérène fôve ni seûy’nuche èvôye pa 1′ tchiminéye, djè l’a rascoudu bin précieûs’mint, avou totes ses fôves, corne on bouquet d’ fleurs qui n’ disclôrint qu’ do F net, au clér di lune.

76 Dj’a pris 1′ vîye môjon, avou 1′ vî décor di s’ coujène et d’ ses chîj’leûs, et dj’ l’a stî mète dins on payis où ç’ qui lès sondjes sont rwès, dins on payis où ç’ qui lès-ôbes ont dès visadjes corne lès nosses et dès coches corne dès brès, où ç’ qui lès blûwes riches sont plins

80   d’ péchons d’or, où ç’ qui 1′ vint djoûwe do 1′ flûte didins lès djons.

Djè l’a stî mète vêla por mi tôt seû, et quand dji vou, dji m’î va, à P vèspréye, quand P tins m’ chone par trop Ion; dji n’a qu’a mète mi mwin su l’uch qui s’ douve ossi rate, po r’veûy tos mes chîj’leûs,

84 fin parèy qui P dérin côp qu’ djèls-a vèyu; lès-omes et lès coméres choût’nut P Baron qui raconte one istwère qu’on n’ètind nin.

Corne s’is-èstint tournés à pîre, i sont là tortos; i rîy’nut, et leûs lèpes ni bodj’nut nin; i sondj’nut, et dins leûs-ouy, i gn-a dès-ètranjès

88   louweûrs.

C’est vêla qui P dérène chîje è-st-èvôye po s’ catchi. Dins lès môjons dès-ornes, on n’ chîj’léye pus.

 

 

  1. bacheut, baissait. — 64. ombrîle, ombre. 67. … que le mince crucifix de cuivre…

70…. je l’ai recueillie; spècheû, épaisseur. — 70-71.  … n’étouffe la lueur du quinquèt (lampe à huile ou à pétrole). — 71. chîj’leû, celui qui participe à une veillée.

  1. … et des branches comme des bras. — 79-80. où les bleus ruisseaux sont remplis de poissons d’or.
  2. … sur la porte qui s’ouvre aussitôt.
  3. chîj’ler, passer la chîje, veiller (pour s’amuser ou pour travailler).

 

(p.495)

Lès chîjes sont mwates.

92   Li dérène chîje est dins mes sondjes.

Li dérène chîje ni s’achèvrè jamais, o 1′ vîye môjon d’èmon 1′ Baron, o 1′ vîye môjon qui dj’a stî pwartè por mi tôt seû o payis dès grands-ôbes aus visadjes d’orne, dès blûwes richos aus péchons d’or, o payis 96   do vint qui tchante dins lès flûtes dès djons au bwârd di l’êwe.

Li dérène chîje ni s’achèvrè nin, pace qui 1′ dérène fôve ni sèrè jamais racontéye.

 

« Li Dérène Chîje », Gilly, L’Edition Moderne,  1941, pp. 197-201.

 

 

(p.496)

MARCEL HECQ

(1903-1950)

 

Originaire de Haine-Saint-Pierre, dans le Centre, ce docteur en sciences péda­gogiques fit carrière dans l’inspection de l’enseignement primaire de l’Etat et devint, en 1948, chargé de cours à l’Université de Liège.

Il avait débuté tôt dans la poésie wallonne — à dix-huit ans — et fut, en vers et en prose, un collaborateur assidu du Mouchon d’aunia, la revue dialectale de La Louvière. Premî” mèchon [Première glane], qui connut deux éditions (1932 et 1937), apportait la gerbe d’espérance d’un poète capable de faire plus et mieux que rajeunir les thèmes traditionnels du régionalisme patoisant.

 

198 bis                                                                           [Haine-Saint-Pierre]

E1 consyince

 

I m’ chène què dj’intind dès pas d’ssus 1′ pavè.

Piane-piane, piane-piane… Ça soune dins 1′ djèléye !

4          On intind dès pas djumi d’ssus 1′ pavè.

Piane-piane, piane-piane… Què l’vîye est fayéye !

 

C’èst potète lès pas d’ène poûve vièye grand-mé.

8                     Piane-piane, piane-piane…

Come is sont rèyus’ !

D-alez l’assister ? — Mès sét-on jamés

(piane-piane, piane-piane)

12                     d’ssus qué tch’min au djusse?

 

I gn-a tant d’ pavès

qui vièn’t-èt qui vont,

qui tindetèt leûs mangns

16                     à tous lès vilâdjes.

 

LA CONSCIENCE

  1. Il me semble… 2. piane-piane, tout doucement. — 4. djumi, gémir, ici au sens de: résonner tristement. — 6. Que la vie est mauvaise !
  2. potète, peut-être. — 9. rèyus’, découragé, désespéré. — 10. Allez-vous l’aider?

 

(p.497)

Quand vos-ariverèz,

ça s’ra co si long

qu’ vos-arèz, d’ m’in.mangne,

20                     rade pièrdu corâdje.

 

I m’ chène què dj’intind dès pas d’ssus l’pavè.

Piane-piane, piane-piane…

Ça soune dins l’ djèléye !

24          On intind dès pas djumi d’ssus 1′ pavè.

Piane-piane, piane-piane,..

Què l’vîye est fayéye !

 

I gn-a pourtant nîn tant dès pavès qu’ ça ?

28                     Piane-piane, piane-piane…

I gn-a què l’dwate route !

Vos n’ vos pièrdrèz nîn ! Vos r’trouverèz lès pas !

Piane-piane, piane-piane !

32                     Vo consyince ascoute.

 

Mès dèspéchèz-vous !

C’èst potète trop târd!

Coupèz pa l’piè-sinte

36                     pou rascourci l’voye.

Mès dèspéchèz-vous !

C’èst potète trop târd !

On mwêrt sins qu’on l’sinte :

40                     èl vîye èst rade voye.

 

Au d’bout du pavè, l’cloke soune à trépas.

Piane-piane, piane-piane

pa t’t-avau l’djèléye !

44   D’au d’bout du pavè, r’toûrnèz d’ssus vos pas…

Piane-piane, piane-piane…

Què l’vîye èst fayéye !

 

Premin mèchon,  Bruxelles, Labor,  [1937], pp. 30-31.

 

  1. qui tendent leurs mains. — 19. d’ m’in.mangne (alt. de dju m’in.maye, je m’étonne), j’en suis sûr, sans doute; comp. le nam. sobayî. — 20. rade, vite, bientôt.
  2. piè-sinte, sentier. — 39. On meurt sans qu’on s’en aperçoive. — 40. … bientôt partie.

 

 

(p.498)

HENRI COLLETTE

 

Né à Malmedy en 1905. Docteur en philosophie et lettres (philologie germa­nique) de l’Université de Liège où il fut assistant. Ancien professeur d’allemand.

Œuvres wallonnes :

 

Poésie : Ploumes du co [Plumes de coq], 53 sonnets dans Bull, de la Soc. de Littérature wallonne, t. 63, Liège, 1930, pp. 250-280; 2e édit. comprenant 41 sonnets, Liège, Georges Thone, 1934, 54 p.

 

199                                                                                             [Malmedy]

Tins d’ Mènâdes

 

I nn-a on grand sapin qui s’ ployét à l’orizon,

èzès fouyîres on-z-ot hûseler l’ mètchante tempête.

Tot corant â gurnî, afin d’ clôre lu bawète,

4    dj’ô taketer totes lès hayes so l’ teût do 1′ vîje mâhon.

 

L’agnê, télemint qu’a pawe, catche su tièsse o wazon.

One colvûsion lî prind qwand qu’ l’ârvau do cî pète,

èt qu’i mousse foû do 1′ hire one rulûhante rakète,

8    qui tape one bleûse clârté so montagne èt valon.

 

Haha ! Lès vîjès fèmes toûrnèt l’ dos à l’ finièsse,

po n’ nin vèy l’aloumîre qui l’s-èstoumake timpèsse,

èt n’ prustèt nin l’orèye azès côps qu’èclatèt.

 

12   Maîs mi, dj’ veû rodje du djôye; dju mousse foû do manèdje,

po m’ lèyî ploûre so l’tièsse èt mî goster l’arèdje,

èt dju stind mès deûs brès’ quu mès-ohês crakèt.

 

Ploumes du Co, 2e éd., Liège, 1934, p. 28.

 

PAR TEMPS DE MENADES O

  1. fouyîre, cheminée. — 3. gurnî, grenier; bawète, lucarne. — 4. j’entends claquer toutes

les ardoises…

6-7. Une convulsion le saisit quand la voûte du ciel éclate / et que sort de la déchirure

un étincelant craquement.

  1. aloumîre, éclair (d’orage); timpèsse, adv., brusquement, fortement.
  2. … je sors de la maison. — 13. … et mieux savourer la tempête (litt. : la rage).

 

(1) Ménades :  « compagnes délirantes du dieu Dionysos » (note de l’auteur).

 

(p.499)

200

Nèni

 

Assis d’zos l’ crucifis, dju sin v’ni l’ pâye è m’ coûr

d’ôre clapeter lès sabots so l’ pavée do l’ cuhène

èt d’ houmer ciste odeûr mêlée d’ créme èt d’ansène

4   qui sofèle à goûrdjons foû do 1′ câve èt do 1′ coûr.

 

Tins quu 1′ cinsî raîsone so l’aparence do foûre,

su fèye, bastie d’ rodje lârd, vèyant ruveni l’ wasène,

mèt 1′ cokemâr djus do feû, po-z-aler à l’ wihène :

8    on s’ pôreût bin doter qu’èles vont djâser d’amoûr !

 

Dju vin d’azès tropikes : lu viyèdje, c’èst 1′ frisse ombe.

Dju m’ plêreû bin volà…, s’i n’i f’sahe nin si sombe

èt su leûs-idèyâl crèhahe pus haut qu’ leû r’gon.

 

12   Mais leû vèye èst si pâle quu leûs tchifes sont roselantes;

nèni, dju coûr èvôye : is vikèt come dès plantes…

Vive lu payis dès palmes, mâgré lès scorpiyons !

 

Ibid., p. 36.

 

NON

  1. et de humer cette odeur mêlée de laitage et de fumier. — 4. goûrdjon, gorgée, ici : bouffée.
  2. Pendant que le fermier pérore (litt. : raisonne) sur l’apparence des foins. — 6. … bâtie de lard rouge (= rougeaude bien en chair); wasène, voisine. — 7. cokemâr, cafetière; aler à l’wihène, aller au voisinage, c.-à-d. aller bavarder.
  3. vola, ici. — 11. et si leur idéal montait plus haut que leur seigle. 12. Mais leur vie est aussi pâle que leurs joues sont vermeilles.

 

(p.500)

201

Lu sârteûr

 

Po wârder sès brès’ libes èt mî goster s’ vigueûr,

i r’trosse sès mantches du tch’mîje dusqu’à l’ crosse du sès spales,

 

èt d’zos s’ burtèle i mèt dès frisses tchapês d’ macrales,

4    afin d’ p’leûr flabârder sins sofri do 1′ tcholeûr.

 

Come i lance l’aloumîre avou s’ cougnie d’ sârteûr,

i fêt flâwi d’vant lu lès grands tchênes dès Fohales.

Qwand qu’i nâhich’ on pôk’, i ramasse lès-astales

8    èt respire barbâremint l’odeûr du s’ prôpe souweûr.

 

Mais qwand qu’on gros rintî vint porminer s’ bodène

rimplie d’ totes lès lètcherèyes du s’ rafinée cuhène,

po p’leûr mî dijèrer o l’êr hêtî dès sârts :

 

12   l’ovrî dès bwas qui l’veût, su r’drèsse come on sâvadje,

dusmètant qu’i blasféme duzos s’ mètchant moustatche,

èt creuchelêye sès deûs brès’ tot pougnant d’vins sès tchârs.

 

Ibid., p. 40.

 

L’ESSARTEUR

  1. … jusqu’au moignon de l’épaule (litt* : de ses ép.). — 3. burtèle, bretelle; tchapê d’ macrale désigne, à Stavelot-Malmedy, une sorte de rhubarbe sauvage croissant en lieu humide. — 4. flabârder, faire des mouvements violents.
  2. flâwi, faiblir, ici au sens de flancher; lès Fohales, «  forêt en face de Bévercé, mainte­nant abattue» (note de l’auteur). — 7. Quand il fatigue (= se sent fatigué) un peu…; astale, éclat de bois. — 8. « Barbare a ici le sens élogieux de plantureux, primitif. All. urwuechsig » (note de l’auteur).
  3. … vient promener sa panse. — 10. lètcherèyes, lécheries au sens de mets délicats. — 11. hêtî, sain.
  4. Cependant qu’il profère un juron… — 14. tot pougnant, en poignant.

 

 

(p.501)

202

Lu djoûr mâdit

 

Dj’a pawe do djoûr qwand l’ bâbe neûriherè vosse minton,

qu’èst plus clér èt pus doûs quu do l’ blanke pôrçuléne,

qwand qu’ vosse vwas si djoyeûse quu l’ murmure d’one fonténe,

4   rôkinerè s’ one même note on languèdje bariton.

 

Ci mâdit djoûr, wice quu vos-ûs du p’tit moton

loukeront l’ monde o visèdje sins-amoûr èt sins djéne,

tins qu’ vosse sorîre f’rè place à-n-one mine mâconténe,

8   èt qu’ vos pwarteroz dès pleûs come lu censeûr Caton.

 

Nin tant pace quu vosse tchife nu sofèrrè pus m’ lèpe

ou qu’ vos diroz : « Co lu ! » qwand qu’ vos veûroz qu’ dj’aprèpe,

dju m’ pôreû consoler du v’s-aîmer sins v’s-aveûr.

 

12   Maîs c’èst qu’adonk voste âme pièdrè s’ bèle inocince,

p’adôrer l’ fwace dès brès’, lu passion èt lu syince,

èt qu’ vos cèsseroz d’èsse po k’mincî à valeûr.

 

Ibid., p. 43.

 

LE JOUR MAUDIT

  1. J’ai peur du jour où (litt. : quand) la barbe noircira votre menton. — 4. rôkiner, parler

d’une voix grave.

  1. moton, mouton. — 6. regarderont le monde en face (litt. : dans le visage).
  2. aprèpî, approcher.
  3. pour adorer…

 

(p.502)

JEAN DE LATHUY

 

Né à Gembloux en 1906. Docteur en droit, ancien substitut du Procureur du Roi.

Œuvres wallonnes :

Poésie : Les djardéns sins vôyes, Salzinnes-Namur, 1930, 166 p. — Lès sèt’ pètchis capitaus, sonnets dans Les Cahiers wallons, n° 9, Châtelet, 1937, pp. 134-137.

Une centaine de fables adaptées de La Fontaine (non réunies en volume) dans le journal Le courrier de l’Orneau de 1950 à 1958.

 

 

203                                                                                            [Gembloux]

Portraits

 

Ô vos vis portraits on pô Djan-cocoye,

pindus su l’ muraye ètur lès tchandelés,

avou dès sinteûs di sadje èt d’ pilé,

4   lès moches su vos câdes ont sèmé leûs broyes.

 

Mi sûti galant, dji vos wè, godoye !

Quén plêji d’auspler por lèye tchène èt lén,

èt l’ bauchèle achîde astok di s’ molén

8    vos cause doûcètemint sins lachi s’ conoye.

 

Tèrchèdon qui l’mame ristoke lès tijons,

vos sondjîz sins manke à l’tinrè saujon

où-ce qui lès-oujas covenut leû nitéye.

 

PORTRAITS

  1. Litt. : O vos vieux portraits, c.-à-d. : vieux portraits que vous êtes; la tournure wallonne comporte une nuance affective; Djan-cocoye, personnification de la naïveté. — 2. ètur, entre, au milieu de. — 3. avec des parfums de sauge et de thym. — 4. moche, mouche; broyé, fiente.
  2. sûti, futé; godoye ! (juron atténué), bon Dieu ! — 6. auspler, dévider; tchène èt lén, chanvre et lin; sur la graphie en, cfr n° 185. On remarquera le changement de discours (mi, por lèye). — 7. et la jeune fille assise près de son rouet. — 8. conoye, quenouille. 9. tèrchèdon qui, tandis que; ristoke, rassemble; tijon, tison. — 10. sins manke, sans faute, sûrement; à la tendre saison; au lieu de à l’tinrè saujon, il faudrait aus tinrès saujons car la sonorisation de la finale (-è) de l’adjectif placé devant un nom féminin ne se produit qu’au pluriel (cfr v. 12). — 11. où les oiseaux couvent leur nichée.

 

(p.503)

12   À ! dârmoz, dârmoz, nos mwatès-amoûrs,

— vosse coûr a toketé come li nosse toketéye —

dins lès vîs portraîts qui s’è vont vièrmoûr.

 

Lès djardéns sins vôyes. pp. 125-126.

 

 

204

Tauvias dè 1′ fièsse

 

Asteûre qui lès djins vont aploûre

èt qui l’ djoûrnéye è-st-achèvéye,

alans-è dins l’ombe dès chavéyes

4   coude à nos lèpes dès baujes d’amoûr.

 

On rèyon d’ôr su l’ campagne moûrt,

li lune dins l’ sapén èst lèvéye.

Vinans coûtchi padrî one mwéye

8    èt nos lêrans causer nos coûrs.

 

I fêt êtî. On n’ôt pèrson.ne.

Roviyans tot, nos-èstans djon.nes

èt l’ djon.nèsse ni vike nén todi.

 

12   Li vint dè l’ vièspréye qui trivièsse

li pâ-ûle bruweû dès pachis

apwate d’au lon li brût dè l’ fièsse.

 

Ibid., p. 119.

 

  1. s’è vont vièrmoûr, tombent en ruines, s’en vont en poussière.

 

TABLEAUX DE FETE. — Il s’agit de la « ducace » ou fête patronale du village. Cette pièce est la cinquième et dernière d’un groupe de sonnets qui porte ce titre.

 

  1. aploûre, affluer. — 3. chavéye, chemin creux. — 4. coude, cueillir.
  2. Allons [nous] coucher derrière une meule.
  3. êtî, sain; ici, il faut comprendre : il fait calme (ou serein).

12-13. Le vent du soir qui traverse / la paisible brume des prés; pâ(h)ûle à la place de pôjêre, forme du namurois, est un emprunt au liégeois.

 

(p.504)

205

Dozyin.me Sitacion

 

I n-a pus nén onk dilé li :

vo-lès-là èvôye come sint Pîre,

dji vous wadji qui l’ diâle dwèt rîre :

4   Jésus, vosse calice èst rimpli.

 

Et lès cias qui l’ wèyenut èvi

s’ont rachoné tortos po l’ vîr

èt s’ foute di li, èt j’qu’à lî diîe :

8    « Si t’ès l’Cris’, diskind èt vindje-ti. »

 

Lès sôdârds racontîn’ leûs fauves,

ca lès bauchèles èstîn’ afiauves

èt lès djins vikîn’ come todi.

12   Il èst mwârt dins l’gnût sins vôssûre,

li tièsse bachîye po nos wéti

èt lès brès au laudje po nos r’çûre.

 

Ibid., p. 35. On suit la version, très légèrement différente de l’originale, parue dans Les Cahiers wallons d’avril 1976, p. 59.

 

206

Notru-Dame do Quénze d’Awous’

 

L’Avièrje n’èst nén mwate

mins par one clére gnût

èlle a ètindu

4   rinachi à l’pwate.

 

DOUZIEME STATION. — La forme s(i)tacion n’est pas dialectale au sens de station

du Chemin de croix.

 

  1. Il n’y a plus un seul près de lui.
  2. … qui le voient d’un mauvais œil, qui le détestent. — 8. gallicisme au lieu de diskind

èt t’ vindji.

  1. leûs fauves. leurs blagues. — 10. afiauve, affable, aimable. 12. vôssûre, voûte

 

NOTRE-DAME DU QUINZE AOUT. — Quatrième pièce dans le groupe des « Mystères

Glorieux ».

  1. rinachi, remuer en cherchant; ici, gratter (à la porte).

 

(p.505)

C’è-st-on andje. « Madame,

dist-i, dji so v’nu

dè l’paurt di Jésus

8    qui vout rawè s’ mame. »

 

Marîye ni taudje né

ca po rèmwinrner

one nûléye èst près’.

 

12   Diè l’ ârè d’lé li

po qu’èle seûye hièderèsse

dès rôses do stwèli.

 

Ibid., p. 161.

 

  1. qui veut revoir sa mère.
  2. hièderèsse, bergère. — 14. stwèli, ciel étoile, firmament.

 

 

(p.506)

AUGUSTE LALOUX

(1908-1976)

 

Né à Dorinne, au nord-est de Dinant, mort dans cette dernière ville. Ayant renoncé après un an aux études universitaires qu’il avait commencées à Namur en 1925, il enseigna à l’école abbatiale de Maredsous et au collège Saint-Paul de Godinne. Au moment de la guerre de 1940, il abandonna l’enseignement pour renouer avec la vie agricole dans son village condruzien. C’est là, en 1945, qu’il accueillit chez lui des élèves de Maredsous retardés dans leurs études pour les remplacer, après quelques années, par des enfants moralement aban­donnés (placés par le juge) et créer ainsi une grande famille, intégrée à la sienne propre, où l’éducation se ferait dans l’harmonisation des études, des activités artistiques •— il était lui-même musicien — et des travaux de la terre.

Homme de caractère et d’engagement, vivant son wallon natal comme il vivait sa foi chrétienne, Auguste Laloux avait hérité de son père un don de conteur qu’il mit à profit après qu’il eût rejoint les « Relis namurwès » en 1963. Il reprit alors un projet qu’il avait ébauché avant 1940 et qui aboutit, en 1969, à la publication de Li P’tit Bêrt [Le Petit Albert], « histoire d’une sorte de montée spirituelle que vit un jeune tailleur de pierres affiné par l’épreuve » (W. Bal). Ce coup de maître fut suivi d’autres récits en prose axés sur une vision plus anecdotique, plus détendue aussi, de la vie et des types villageois. Ce sont principalement Lès soçons [Les camarades] (1971) et Mi p’tit viyadje dès-ans au long [Mon petit village au fil des ans] (1974) qu’édita la Société de Littérature wallonne, tandis que « Les Cahiers wallons » de novembre 1971 faisaient paraître Les deûs maurticots [Les deux espiègles], une bande dessinée avec la collaboration de Sabine de Coune.

Dire que le wallon de Laloux colle à la peau de ses personnages n’est que partiellement vrai : l’auteur lui-même entre dans ses personnages. Sa langue, d’une modulation orale richement expressive, épouse leur point de vue à travers un monologue intérieur ponctué de phrases nominales, d’énoncés en suspens, puis « au milieu du narratif, tout à coup le discours sans crier gare, et le discours direct côte à côte avec le discours indirect » (A. Goosse). Une technique de « pensé écrit » qui, pour rendre l’instantané de la vie, ne s’était pas encore trouvé en wallon une évidence aussi profonde.

 

 

207                                                                                              [Dorinne]

On cèréjî au mitan do corti

 

Du haut de son cerisier, le P’tit Bêrt regarde le village, ses maisons, ses jardins et, à travers eux, revoit le pur visage d’Yvonne. C’est la fin des beaux jours, avant les longues peines…

 

Parèy fûrladje, à bin non ! ça n’ p’ieut pus duré. Tos lès djoûs au matin, Bêrt court à s’ finièsse au d’zos êr, qui r’wête su 1′ djârdin : quéne arèdje o cèréjî ! Dès spruwes, dès môvis à make trouplèt

4   come dès disguèrnachis après lès cèréjes. Bisquant quand minme ! on si bia ôbe, tôt pôjêre au mitan do corti… Et ç’t-anéye-là, dès cèréjes à blâme. Au d’triviès dès fouyes, dès p’titès massales, totès ros’lantes : et qui rîy’nut au prumî solia, qui

8   rîy’nut, one véci, et là cor one et cor one; dès mile et dès mile.

Lès mouchons n’avint nin stî lès dérins à l’s-avisè; i l’s-avint dèdjà ataquè qu’èle n’èstint nin co totes rodjes.

 

À 1′ vèspréye, li P’tit Bêrt a gripè î stampè on sbara : one vîye

12   grîje cote bôguîye avou do strin, tchikéye sur one pièce. Pa d’zeû

tôt, on fayé tchapia d’esté d’à Miyin…

« Visoz do tchêr, savoz, m’ fi. » Mèrence tint co 1′ choie et li P’tit

Bêrt potche dèdjà d’one coche su l’ôte. Corne on spirou.

16   On vrê spirou, dins l’ôbe. I 1′ faut veûy : on pîd sur one coche,

i s’aspôye su l’ôte. I s’ènonde : zoup’ ! i rabrèsse li ope qui blonce,

qui clince corne au vint.

« Mon Die ! si vos tchèyîz !

20   — Dji n’ pou mô. » Nui 1′ tins d’ deûs-amèn’, li sbara è-st-av’tè à 1′ fine copète et, tôt bonasse, i wéye su lès cèréjes corne on-ome.

 

UN CERISIER AU MILIEU DU JARDIN

  1. fûrladge, gaspillage. — 2. finièsse au d’zos êr, fenêtre mal exposée (la chambre de ses sœurs est en façade). — 3-4. arèdje, tintamarre. Des étourneaux, des merles en masse se jettent comme des sauvages sur les cerises.
  2. à blâme, à profusion. — 7. des petites [cerises] joufflues.
  3. stampè, dresser, mettre debout; sbara, épouvantait. — 12. … bourrée avec de la paille, fichée sur une perche. — 13. fayè, hors d’usage; Miyin (Maximilien) est le père du P’tit Bêrt. — 14. Prenez garde de ne pas tomber; Mèrence (Emerance) est la mère; choie, échelle. — 15. coche, branche; spirou, écureuil.
  4. … le sommet qui se balance. — 18. qui penche… 20. av’tè, accrocher. — 21. … il veille sur les cerises…

 

(p.508)

« ê ! moman, sitindoz vosse divantrin. »

Et one pougnîye di cérèjes è-st-abrokéye o chou.

Pwis, dins on tchèna, li P’tit Bêrt s’a mètu à

24 coude por après 1′ sopè. I s’assît sur une coche qui fêt one fotche. Tènawète, lès cèréjes avor’nut à 1′ têre, ça ses sous sont-st-acou-ruwes… Li, dins one troke, i tchwèsit li ciné, d’astchèyance, qu’a stî bètchîye. Il a sûnè one miète di djus, saqwants gotes qu’ont

28 r’ssètchi, brunôsses, et r’ssèrè 1′ cwachûre : one nukète di suke tôt d’on côp, qui fêt doûs o 1′ bouche, corne on vî goût, on pô passé, qui r’vint d’au Ion.

 

Il a fêt cûjant tote li djoûrnéye, dispôy au matin; i souwint dèdjà

32 en d’tchindant à 1′ cariére. Li plin solia blameut fui blanc pa t’t-avô 1′ ciel. Ci n’est qu’au fin coron dès têres qu’on p’ieut bin lève sès-ouy au wôt sins yèsse ablouwi. O cèréjî, lès fouyes ni s’avint nin co rapéri, totes moflasses, molitches. Lès frais èstint co tôt tiènes.

36 Portant, asteûre, on sinteut d’au Ion l’anéti, di d’si Ion : i choneut qui ci n’ sèreut nin por audjoûrdu.

Tôt d’on côp, one êr a monté : li P’tit Bêrt chufleut. Lès notes filint doûç’mint; on n’ lès-oyeut nin passé d’one à l’ôte. W’aveut-i

40 stî rapèche ci musique-là ? Au k’minç’mint, ça r’choneut à ç’ qu’on tchante è l’églîje; tôt d’ swite après, on n’aveut jamais oyu ça nule pau. Portant on 1′ rimèteut quand minme, mins on n’ saveut nin d’èwou. One miète après, il a sayi one tiroliène, qui djipleut en

44 montant è tournant. Mon Die todi ! n’aleut-i nin cassé s’ vwès ? Mins 1′ tchant rid’chindeut asteûre, lès notes tchapotint, en tronnant, en frum’jant.

 

« Crâne idéye, là ça ! di-st-i Miyin à moman, do fè tchante 1′ coudeû

48    aux fines cèréjes. »

 

  1. … tendez votre tablier. — 23. choû, giron, ici, syn. de tablier en tant que contenant; tchèna, panier. — 24. coude, cueillir. — 25. tènawète, parfois, sou, sœur. — 26. troke, grappe; celle qui, par hasard, a été becquetée. — 27-28. Il a suinté un peu de jus, quelques gouttes qui ont séché, brunâtres, et refermé l’écorchure; nukète di suke, petit grain de sucre. 31. i souwint, ils suaient : li s’agit des compagnons du P’tit Bêrt, qui travaillent à la carrière.

—  34-35. … les feuilles ne s’étaient pas encore rafraîchies, toutes molles, affaissées; tiens, tiède. — 36-37. … on sentait de loin le soir, de si loin: il semblait que ce [=  l’orage] ne serait pas pour aujourd’hui.

39-40. Où avait-il été repêcher cette musique-là? — 42. … on la reconnaissait quand même.

—  43-44. … qui éclatait dans ses montées en spirales. — 45-46. … les notes clapotaient, en tremblant, frémissantes.

47-48. Fameuse idée ! dit Maximilien à la maman, de faire chanter le cueilleur de fines cerises.

 

(p.509)

Do d’là pa d’zeû, li P’tit Bêrt veut tote one page do viyadje : li clotchî ètur lès deûs tiyous, et d’zos lès-ôbes, lès trwès bèguènes qu’èvont brévôdè è l’èglîje…

 

52 Pus wôt, lès djârdins, clincis au bon vint, d’aus môjons di d’ssus 1′ Plin. Dès djârdins si bin arindjis qu’ d’au Ion i r’chon’nut, astok onk di l’ôte, à dès draps à 1′ rimouye di totes lès coleûrs.

 

Et pus près, au mitan dès pachis, rèclôs dins lès ayes, li ci d’aus

56   coméres d’èmon Rolinne. Li p’tit pré avou dès-ôbes à fruts, qu’est

djondant 1′ corti d’à Miyin. Pwis, deûs longuwès pîsintes si crèj’lèt,

bwârdéyes, corne à 1′ cure, avou dès pôquîs pontieûs’mint tondus

à F brosse; èle discôp’nut F djârdin è quate : on quôrtî à discandji

60   tos l’s-ans, avou lès parcs, l’ôte dès mange-tout à scôrsons et dès

nintes; cor on quôrti po dès fréjîs et F dérin po lès r’piquadjes.

Ci djârdin-là, i F coneut lès-ouy sèrès. A-t-i stî on seul côp è leû

djârdin, sins guédyi pa d’zeû l’aye. Au matin, i lûtche dèdjà à

64   F finièsse, et cwésyi par là…

 

… Et quand do docsô, il F riwête à grand’mèsse…

 

On djoû, là dès-ans, elle aleut cor è scole; elle aveut co ses tresses

su s’ dos… En F rèscontrant su F vôye, il aveut stî, tôt d’on côp,

68 si tapé qu’i n’aveut côzu seû rèsponde au bondjou d’à F crapôde. I s’aveut sintu bolant d’on plin côp, guêy jamais… I lî aureut falu tchantè. On-ôte, mwins’ djîvis’ qui li, aureut bin vèyu qui ç’ n’èsteut d’djà pus one crabaye; qui c’èsteut one pitite comére qui s’ fêt,

72    s’apinse qu’on dit.

 

I F riveut corne au prumî djoû; i rovîye bin sovint do sîre si messe, li dîmègne, en F riwêtant. Tènawète èle fêt on rond chignon côzu è s’ cô; afîye ses tch’fias èvont corne i v’ièt su ses spales, loyis avou

 

  1. tiyou, tilleul. — 51. brévaudè, lire ses prières.
  2. clincis, penchés. — 53. Plin, plateau en élévation (lieu-dit de Dorinne). — 54. … à du linge de toutes les couleurs sur la pelouse.

55-56. … au milieu des vergers, enfermé dans ses haies, le jardin des dames Rolaine. — 56-59. … qui touche le courtil de Maximilien. Puis, deux longs sentiers se croisent, bordés, comme à la cure, de buis soigneusement tondus à la brosse; ils découpent… — 60. mange­tout à scôrsons, haricots à perches. — 61. ninte, haricot nain. — 63-64. … sans regarder furtivement par-dessus la haie. Le matin, il épie déjà à la fenêtre, et lorgner (= il lorgne); sur l’infinitif substitut, trait remarquable de la syntaxe wallonne, cfr L. Remacle, Syntaxe, 2, pp. 120 ss.

  1. Et quand, du jubé, il la regarde à la grand-messe…
  2. tapé, ému; crapôde, fille. — 70. djîvis’, réservé. — 71. crabaye, fillette. — 72. s’apinse qu’on dit, comme on dit. — 73. … il oublie bien souvent de suivre la messe. — 75. spale,

 

(p.510)

76 on p’tit ruban… Ses tch’fias si blonds, qu’ont 1′ coleûr dès potes, à l’awous’, one anéye qu’il a fêt sètch… Qu’il est binôje do 1′ veûy, rin qu’ d’au Ion, do docsô. Binôje à criyi; ossi binôje qu’en dressant one pire et qu’ l’arèsse tôt doûç’mint soude bin di sqwêre dizos

80   1′ fèreû…

 

À sèze ans, quéne bêle pitite djint ! nin fou grande. Su F vôye, en rotant, elle aspôye rin qu’one idéye si drwète djambe one miète pus fwârt; ça fêt qu’èle blonce tôt doûç’mint ses antches et ses spales…

 

84 En r’montant d’à 1′ cariére, lès côps qu’il a fêt one bone djoûrnéye, qu’il est contint à n’ si pus sinte ode, dispôy après F bwès, i rapinse qu’i va r’passè d’vant s’ môjon : quéne chance quand i l’avise rin dèdjà qu’one tote pitite miète. I s’ chone crèchu; i rovîye qu’i

88 duvreut bin sûr si drèssi su F bètchète di ses pîds po yèsse ossi grand qu’ lèye.

 

Tènawète, aus dicauces, en dansant, i gn-a saqwantes qui s’ont lèyi rabrèssi, dins on cwin et pus d’on côp. À ! bin non ! ci n’est nin

92 F minme avou Ivone, li nèveûse d’èmon Rolinne. Mins sovint en-z-achèvant one pire bin r’tonduwe ou bin chèpléye, s’il aveut stî tôt seû, il aureut, su F pire deure et frède, aspoyi s’ front et ses mwins, dès-eûres au long, en sondjant à lèye.

 

96 I n’ Faveut jamais atôchi. Po lî dire qwè ? I ne F waz’reut couyonè corne one ôte maraye qui rodjit, tote èfoufîye qu’on-ome fêt après, minme quand c’est li P’tit Bêrt, on si nintieûs p’tit y-ome, todi si crèkion…

 

100 Là on bokèt qui F tiroliène est rèvoléye. Li P’tit Bêrt est li tôt seû o corti. Et si, d’astchèyance, elle aveut v’nu baloûji o djârdin d’aus matantes, aureut-i co bin r’mètu Ivone è l’ombrîre qui s’ coûtcheut

 

 

épaule. — 76. pote, épi. — 78-80. … en façonnant une pierre, dont l’arête tout doucement se dessine avec justesse sous le burin (allusion à son métier de tailleur de pierres).

  1. … pas trop grande. — 82. … elle appuie légèrement (litt*: rien qu’une idée). — 83. blond, balancer.
  2. … heureux au point de ne plus sentir sa fatigue. — 87. Il lui semble qu’il est grandi. — 92. nèveûse, nièce.
  3. … une pierre bien polie ou bien ciselée.
  4. atôchi, aborder. — 96-97. Il n’oserait la taquiner comme une autre jeune fille qui rougit, toute exaltée parce qu’un homme la remarque (litt* : fait après). — 98-99. un petit bonhomme si rabougri, toujours si fluet.

101-102. Et si, par hasard, elle était venue se promener dans le jardin des « ma-tantes >

 

(p.511)

d’zos lès-ôbes ? Li brune rascouvieut fêt-à-fêt totes lès coleûrs; i

104   n’ lûj’teut pus qu’one rôye di clér tot-au coron, padrî lès tiènes. Tôt rate, ci sèrè plin tôt 1′ ciel, s’apinse qu’on dit, li froche dins lès stwèles; dès mile, dès mile…

 

Lès fouyes d’au cèréjî ont faum’ji : one passe di vint vinu d’èwoù…

108   I l’a oyu frotè 1′ copète dès ayes do pachi; pwis lès grantès opes d’aus-aubes d’à 1′ cure ont chûlè à 1′ fin. Sins sèpe dispôy quand, i fieut fris’.

 

« ê ! m’ fi, vinoz sopè ? »

 

112   Et li P’tit Bêrt a d’tchindu avou s’tchèna… F’rè-t-i co bon d’mwin ? Et F binôj’tè è-st-èlle ossi casuwéle qui F bon tins à l’esté ?

 

« Li P’tit Bêrt >,  Ciney,  1969. pp.  59-62.

 

208

[Mort d’un curé de campagne]

 

On n’ brêt nin on curé. C’est nin F mode. Mins quand minme, tôt F viyadje èsteût d’ doû. Et F vî Macadaye, qui n’ va ni à messe ni à rin, et qu’è conte dès chayètes et dès lêdes su lès curés, s’aveut

4   rèssèrè è s’ cayon, peu do veûy lès djins.

 

On fèneut co, mins c’èsteut, su F campagne, corne s’on n’aviseut pus F bon tins. O-z-aveut deur po travayi, pesant dins tôt ç’ qu’on fyteut.

8   T’as bèl-à-dîre qui ç’ n’est pus li qu’est là su F tôve. On l’a conu pôrlant et vikant; qui d’djeut messe, qui prétcheut à ses djins. Que

 

(son jardin à elle). — 103. ombrîre, ombre. — 103-104. … il ne luisait plus qu’un trait de clarté tout au fond, derrière les collines. — 105-106. … foison dans les étoiles.

  1. Les feuilles   du   cerisier   ont   tressailli:   une   bouffée   de   vent  venu  d’où…   — 108-109. … les grandes cimes des arbres de la cure ont bourdonné.
  2. Et le bonheur est-il aussi éphémère que le bon temps en été ?
  3. On ne pleure pas un curé. — 3. … qui en conte des mûres et des laides sur… —
  4. cayon, bicoque.
  5. On faisait encore les foins… — 5-6. comme si on ne remarquait plus…

 

(p.512)

odis’ co bin, et tofêr lès minmès tarâmes. On saveut bin qu’ c’èsteut li qu’aleut 1′ drwèt do djeu. Tènawête, i pwârteut 1′ Bon Die à on

12 malade après messe. I s’ pormineut afîye aus grands djoûs, autoû d’ Fèglîje po dire si bréviaire. Dès-ans au long avou nos-ôtes. D’à nos-ôtes, co d’ pus qu’ nos tiènes, et qu’ nos têres et nos pires.

 

I n’anteut wêre di djins. Jamais lès cis qu’ ça l’zî aleut. Aus djoûs

16 d’ dicôce, i s’ rècwèteut o 1′ cure. Nin corne li ci di Spontin, qui lûtche todi po vos prinde à grogne. I n’ pleut mô, 1′ nosse. Li, c’èsteut addé 1′ ci qu’a do guignon, qu’i coureut. Que l’advineut, quand v’s-èstîz o pènin.

 

20 A 1′ anêti, côzu tos lès carioteûs s’ont lavé et r’fè aie leûs tch’fias. Pwis avou 1′ camusole dès-ovrôves dîmègnes, il ont stî à binde dire leû tchap’lèt à nosse curé. Lès cis qui rarivint d’à 1′ campagne, après F sopè, ont stî wèyi on bokèt. Et ç’ n’èsteut nin corne afîye qu’on

24 va aus mwârts : on dit saqwants « Salut, Marîye », pwis on cause d’ovradje, d’on martchi ou d’one passéye. Po trèlondjinè F chîje, on conte aus prêtes…

 

Ewoù qu’on-z-aveut mètu nosse curé, o F tchambe di d’zos, on-

28    z-oyeut zûnè one moche, cwinkyi one tchèyêre co bin. Et d’au Ion, on-z-ètindeut grucyi lès pîrètes do F rouwalète d’autoû d’ Fèglîje… Cor one saquî qui v’neut.

 

Monseû F Curé èsteut moussi corne po dîre messe tins d’ cwarème.

32   Et gn’a nin on chinâr qu’a gougni s’ vèjin po lî mostrè lès deûs pîds, avou dès nwârès tchausses di linne, qui brikint fou d’zos F blanke aube… corne deûs-orèyes d’à on lîve è cwète.

 

  1. odis’, lassant; et toujours les mêmes rabâchages. — 14. tiens, colline.
  2. n ne fréquentait guère de gens. Jamais que ceux à qui ça leur convenait. — 16. … il

se renfermait au presbytère; Spontin, village voisin de Dorine. — 17. lûtchi, épier, regarder

en cachette; prinde à grogne, houspiller, réprimander avec humeur. —  18-19.  Qu’il le

devinait quand vous étiez dans la misère.

  1. A la brune, presque tous les ouvriers de carrière se sont lavés et « refaire aller leurs

cheveux » (= se sont recoiffés); autre exemple d’infinitif substitut : comp. ci-dessus n° 207,

  1. 64. — 21. à binde, en bande, en groupe. — 23. … ont été veiller [le mort] un moment.

— 25. passéye, vente publique; trèlondjinè, prolonger. — 26. prôte, blague, plaisanterie

qu’on raconte.

27-28. on entendait bourdonner une mouche, et même grincer une chaise. — 29. … crisser

les cailloux…

  1. Et il n’y a pas eu un moqueur qui a heurté du coude son voisin… — 33. brikè, faire

saillie, ressortir. — 34. … d’un lièvre à l’abri dans son gîte.

 

(p.513)

En-z-oyant sonè à mwârt, li P’tit Bêrt v’ieut couru à 1′ cure tôt 36 d’ swîte. Moman l’a rat’nu : « Tôrdjoz on pô, m’ fi, qu’on l’eûye

arindji. » II î a chorè one miète après. I s’î a èrtchi o 1′ place. On

p’tit crèkion, tôt rastrindu. Et qui s’ sinteut bin tel qu’il èsteut.

Ratchuchu pitit saqwè, va ! Si gauche antche brikeut pa padrî

40 s’ camusole. On p’tit bolome… Lève tes pîds, don Bêrt, o 1′ place

do buclè parèy’mint su lès rondes liesses d’aus cayôs o 1′ vôye. I n’a

nin d’djà yeû l’idéye do r’ioukè par là, en passant d’vant 1′ môjon

d’aus coméres d’èmon Rolinne.

 

44 S’il aveut p’iu yèsse tôt seû addé 1′ mwârt. Djonde ses mwins. Et 1′ riwêti lontins, lontins (…)

 

Et s’i p’ieut causé one miète avou. Lî dire tôt. Tôt, ç’ côp-ci. Lî d’mandè ci qu’i saveut bin, li, asteûre. Bêrt n’est nin stornè assez

48 po n’ nin bin sèpe qu’il a s’ croke ossi. Qu’on djoû ou l’ôte… I n’ si r’mèt nin rwè assez. Après si-t-accidint, i lî choneut yèsse rifêt po d’ bon : ses fwaces ruv’nint; tos lès djoûs il èsteut pus virlitche. Li ? on-ome à vikè cint-ans. Moru ? Bon po l’s-ôtes. Tôt

52 nintieûs qui dj’ su, djè l’s-ètèr’rè tortos. I faurè on côp d’ ma po m’awè.

 

Que côp di stomac’ quand ça lî aveut r’fêt mô tôt do long di s’ gauche djambe. Et ç’ n’aveut nin stî on côp en passant. Li jinne

56   ènn’aleut jamais po d’ bon. Il èsteut djostè, rin d’ pus sûr.

On n’ périt nin pa s’ djambe. Non, mins i n’ lî faleut pus fè 1′ luron asteûre, en solèvant dès tchèdjes. I div’neut todi pus flôwe. Et F minme pîre, li mwès passé qu’i fieut bôd’lè corne rin, asteûre i 60 d’veut ratinde papa ou 1′ Blanc po F lève zèls deûs. Et dj’ n’è pou rin, é mi, s’i m’ faut massyi, et r’massyi li minme goléye corne

 

 

  1. En entendant le glas. — 36-37. … qu’on l’aie arrangé, c.-à-d. enseveli. — 37-38. Il y est filé un instant après. Il s’est traîné dans la pièce. Un petit gringalet… — 39. Petite chose toute ratatinée. — 39. antche, hanche. — 40-41. … au lieu de heurter ainsi le dessus arrondi des pierres du chemin. — 43. La maison de chez Rolaine est celle où habite Yvonne.

47-48. — Bêrt n’est pas assez stupide pour ne pas bien savoir (= pour ignorer) qu’il a son coup également. — 49-50. Après son accident, il lui semblait être guéri (litt1 : refait) pour de bon. Rappel de l’accident survenu dans la carrière où Bêrt s’est brisé une jambe, infirmité qui s’aggrave et dont il pressent, ici, qu’elle lui sera fatale un jour. — 51. virlilche, fort, en bonne forme. — 52. nintieûs, chétif; ma, masse, marteau.

  1. djostè, touché, condamné.
  2. … qu’il faisait tournoyer comme [si ce n’était] rien. — 60. Le «Blanc», sobriquet d’un de ses compagnons. — 61. s’il me faut mâcher et remâcher la même bouchée.

 

(p.514)

si dji mougneu dès spènes. Et qu’ ça n’ distchind nin. Si dj’ n’a pus goût po rin di ç’ qu’i gn’a à 1′ tôve.

 

64 I r’wête ses mwins d’à li. Ses mwins qui sont si spitantes, si adrwètes. « I fêt ç’ qu’i vout d’ ses mwins » dist-on dins lès djins. En-z-oyant ça, i div’neut grandiveûs, grand co pus qu’ l’églîje. I fêt djouwè ses deûts, qui sèr’nut ossi deur qu’on vérin… « Nost-Albêrt,

68 dist-i papa, il a dobe nier. » Et dire qui ça tchêrè tot-è pèces. Co bin ça lî donc di Pangoche… one angoche qu’i cour’reut bin fou. One radje ossi. Et n’ rin sawè fè conte, don !

 

Et tôt d’on côp, divant nosse curé, si cwéy, si binôje, dîreus-s’ bin?

72 Moru, ci n’est nin quét’fîye ci qu’on puise : cloupè dins on fond nwâr trô… Li trô d’à 1′ citiène èwou qu’ l’orne au avèt assatche lès-èfants, s’apinse moman quand nn’èstins roufions. Ci n’est nin quét’fîye si tèribe qui ça. Moru sins brut, corne on s’èssoktéye

76 tins d’ prandjêre : l’êr tot-autoû chandîye au solia, brouye cor on pô en balzinant su dès mûzadjes di moches d’api. Tôt d’on côp, on-z-èst Ion. On-z-ètind cor one pitite saqwè, on n’ set pus qwè… C’est tôt. (…)

 

On est en fin de semaine et il y a eu un dimanche sans cloches.

 

80 Li lond’mwin, li djoû d’ l’ètèr’mint, do matin, li môrli qui montent 1′ bî èsteut corne a-oûrlè avou totes ces couratrîyes-là d’ curés. Il è voreut d’ tos costès o chœur. Dès-èfoufyis, dès Djan-mèlis’. Wête bin, P bia mossieû ! corne si c’èsteut P prumî côp qu’ dj’aprète

84 por on-ètèr’mint. Dès-ènovrès qui fyint volé P cote. Corne ‘1 aurint stî è leû-z-èglîje.

 

Ayayaye ! qui ça fieut mô ossi : lès curés qui tchantint tôt P tins.

Portant i s’è p’lint bin passé, lès bwèrlôs ! Li ci d’ Durnal, avou

88    s’ bwargnasse vwès à disdjokè lès  saints,  qui vout mêstri tôt

 

 

  1. grandiveûs, fier, orgueilleux. — 67. vérin, étau. — 68. nier, nerf; … que ça tombera tout en pièces (= tournera à poussière). — 69. angoche, angoisse.
  2. cwéy, coi, silencieux. — 72. cloupè, s’enfoncer. — 73-74. … la citerne où l’homme au crochet attire les enfants (croyance enfantine); [comme] dit maman quand nous étions gamins. — 76. prandjêre, sieste. — 76-77. l’air ambiant se réchauffe au soleil, vibre encore un peu en hésitant sur des bourdonnements d’abeilles.
  3. môrlî, sacristain. — 81. bî, catafalque; a-ourlè, assommé, excédé. — 82. vorè, s’élancer, arriver vivement; èfoufyi, exalté, excité; Djan-mèlis’, Jean-mêle-tout. — 84. ènovrè, affairé; cote, ici : soutane.
  4. bwèrlô, braillard; Durnal, comme Purnode ci-après, villages voisins de Dorinne (les

 

(p.515)

F tchètî. Et 1′ grand èwarè tchante co do nez, corne on pèn’teû. Lès-ôtes sayint do 1′ racsîre, en av’tant, en tchapotant o « Dies Irae ». Dès spitûres di latin qui stritchint d’ tos lès sins. One pire 92 dins one basse. Co bin 1′ gréye tanis’ vwès do ci d’ Purnode poûssèle divant l’s-ôtes, boute et boute ! fliche-flache, corne ‘1-astchêt. Côzu à mode di riséye. Co pés qu’à veupes à l’adoration, pace qu’adon li nosse lès t’neut à gougne.

 

96 Li parintéye, dès bias djémènes ! dès djins d’à 1′ vile. Stèk’ corne dès scôrsons, qui fyint 1′ rinflè véci. Adon qu’ c’èsteut nosse curé d’à nos-ôtes tortos. Deûs monseûs, dès pèle-panse à pète-au-cu et tchapias-bûses. Li trwèsinme su lès tchèyêres, on rèfwârci gamin, 100 tôt bot’ne o visadje. Do costè dès comeres, one madame qu’aveut l’air seur au d’ià, avou dès fines lèpes.

 

L’ofrande dureut co qu’ messe èsteut fête : totes lès djins d’ Dorène. Et brâmint dès cis qui n’ mouss’nut è l’églîje qu’aus-ètèrmints et

104    à Méye-Nêt, au Noyé.

 

Li mayeûr, li p’tit talieûr tôt jinnè do yèsse, H, onk dès prumîs. Et 1′ secrétaire. Tènoz ! il a tchèssi 1′ tchin à l’uch… I clapeut s’ boule su s’ pwètrine. Vous-s’ wadji qu’il a répète one eûre au long d’vant

108 s’ murwè po s’ tinu d’à façon, à s’ chonance, corne i veut aus monseûs. Et i t’a co l’air d’awè cassé 1′ pâte à Coco, sês-s’ ! qui c’est li qu’a tôt fêt. Dj’inme ostant veûy Félis’ di Mauyin, qui fêt

 

 

curés des alentours sont venus célébrer les obsèques de leur confrère). — 87-89. avec sa voix de lourdaud, à déboulonner les saints de leur socle, qui veut dominer tout le bas­tringue; èwarè, ahuri; pèn’teû, qui prise du tabac. — 90. Les autres [prêtres] essaient de le rattraper en raclant [les syllabes], en bredouillant… — 91. Des bribes de latin qui jaillissent en tous sens. — 92. basse, mare. — 92-93. la petite voix lassante de celui de Purnode devance les autres; corne ‘l-astchêt, comme ça tombe. Presque comme pour rire.

—  94. Encore pis qu’aux vêpres, à l’adoration : allusion à la journée eucharistique orga­nisée,  autrefois,  à tour de rôle,  dans  chaque paroisse et à laquelle prenaient part les desservants des paroisses avoisinantes. — 95. lès t’neut à gougne, leur en imposait (pour la mesure du chant).

  1. La parenté, de beaux demeurés ! — 96-97. Raides comme des échalas, qui faisaient l’important ici. —- 98-99 … des poseurs en habit et en gibus; rèfwârci gamin, adolescent.

—  100. bot’ne, boutonneux. — 101. l’air seur au d’ià, l’air pincé outre mesure.

  1. L’expression ironique « il a chassé le chien [de sa niche] » (remplacé ici par : « à la porte ») signifie : il s’est coiffé de la niche du chien, et se dit par moquerie d’un homme coiffé d’un chapeau qui lui sied mal; dans le texte, il s’agit du secrétaire communal, prétentieux avec son boule ou chapeau melon. — 108-109 … comme il voit [faire] aux messieurs; awè cassé V pâte à Coco (expr. fig), avoir inventé la poudre. — 110. Félix de Maillen (localité du Namurois).

 

(p.516)

1′ comissaire avou on vî brassard, qu’on n’ lî d’mande rin, aus fores

112    et aus passéyes.

 

Lès cinsîs s’avint moussi à dîmègne. Saqwant’ n’èstint nin au drî do sîre lès modes. Portant leûs-âdes n’alint nin fwârt avou zèls : trop lôdjes, ou bin trop strètes. Surtout lès cis qui brokint co bin

116 o costume qu’i s’avint marié. Avou dès plèyûres qui n’alint pus avou lès djouw’rîyes d’ leû cwâr. I gn’aveut qui li P’tit Henri qu’èsteut bin dins ses loques; i n’a qu’à tchwèzi dins totes sôtes di camusoles qui va kèn’tè are et ote, qu’i pice à onk ou l’ôte; ça

120 fêt qu’ c’est s’ dos et ses brès qui s’ont mètu di sqwêre avou totes ses pîces.

 

Lès carioteûs avint rabizè d’à 1′ cariére abîye po passé à l’ofrande.

I n’èstint rabiazi qu’à dadaye : one prôpe camusole et leûs soles

124    d’ dîmègne. I montint o 1′ grande nef, en t’nant leû calote dizos

1′ gauche brès. One miète jinnès do yèsse si wôt è l’èglîje. Afîye

i sayint do ‘nn’avisè onk su lès tchèyêres, po lî cligni l’ouy. Rin

qu’à ça, li P’tit Bêrt que lès wêteut do docsô, lès-aureut r’conu,

128    minme dins on-ôte viyadje. Et qu’ leûs tch’fias sont todi corne crôs,

blankis avou 1′ poûssère di pîre.

 

On vèyeut cor one kèwéye d’omes tourné autoû do mwârt, et lès

coméres si bourint o 1′ nef, peu do yèsse lès dérènes. Efoufîyes

132    corne dès pouyes qui cour’nut à yute à 1′ pleuve. Ele ni s’ mètint

one drî l’ôte qui d’vant 1′ bî. Et quand elle avint bôji 1′ platène,

en rid’tchindant, toûrnéyes su lès djins, èle rabrouyint on pîtieûs

visadje, corne on pô dôrlin.

 

136   Lès curés, o chœur, riwêtint après 1′ fond. Est-ce tôt, ç’ côp-ci?…

Su 1′ prumîre rindjîye, li parintéye : lès deûs-omes copinint èchone;

li rôpin tîj’neut è s’ nez avou on deut, à mitan r’toûrnè su lès

coméres qui montint co.

 

 

  1. moussî   à   dîmègne,   s’endimancher.   —   114.   âdes   (litt* :   bardes),   vêtements.   —

115-116. … ceux à qui il arrivait de s’engoncer dans leur costume de mariage; plèyûre,

pli. — 117. … avec les entournures de leur corps. — 119. kèn’tè are et ote, chercher à

gauche et à droite; qu’il pique à l’un ou l’autre… — 120-121. qui se sont mis d’accord

flirt* : d’aplomb) avec toutes ses nippes.

  1. carioteû, carrier; abîye, vite. — 123. rabiazi, ici : faire toilette; à dadaye, en grande

hâte, précipitamment.

  1. kèwéye, kirielle. — 131. si bourint, se poussaient. — 132. … qui courent se mettre

à l’abri de la pluie. — 133. platène, patène (servant à l’offrande). — 134-135. … elles

prenaient un visage sombre et triste, un peu las.

  1. copine, bavarder. — 138. le gamin grattait…

 

(p.517)

140 Adon, pa 1′ pwate do passe au lôdje, il a couru plin l’églîje one blaméye d’êreû cor on pô chandîye, frisse quand minme. On-z-oyeut brûtyi dès djins corne dès moches di d’ pad’zos lès tiyous. Lès dèrins-èfants, lès deûs pus p’tits pa 1′ mwin d’à ma-sœûr, passint cor

144   à Fofrande, on-z-a brokè bon-z-èt rwè o Libéra.

 

…In paradisum… En lèyant 1′ mwârt drî zèls, tos lès curés avorint en s’ kiboutant o 1′ nef qu’a stî d’on plin côp bôguîye di soutanes et d’ blancs surplis. Lès cis qui sayint do passé d’ cresse av’tint lès

148   tchèyêres.

 

Et 1′ soçon et Pière d’èmon Jènîye, qu’avint mètu leûs calotes su 1′ bènitî do fond, ont rid’tchindu 1′ bayô, zèls deûs.

 

Et on-z-a tchèrdji 1′ vacha sur on camion à deûs tch’fôs. On 1′

152   rèmineut à Parfond’vîye, aveut-on dit.

 

Et n’-n’ans pus stî qu’ètur nos… fin-mièrseûs. Dès-ôrfulins.

 

… Lès ruwes d’au camion ni grûcyint nin co su 1′ vôye divant mon Céline, et li p’tit curé d’ Purnode èsteut dèdjà dis télé. I monteut

156   à grantès-asplanéyes li rouwale Joassin, po-z-èralè pa li d’zeû, en sèrant s’ bréviaire dizos s’ brès.

 

Ibid., pp. 144-149.

 

  1. Alors par la porte du grand porche… — 141. une bouffée d’air encore un peu chaude, [mais] fraîche quand même. — 142. brûtyi, faire un bruit confus, une rumeur; tiyou, tilleul. — 144. … on a entonné ferme le Libéra (le chant de l’absoute).

145-146. En précédant la dépouille, tous les prêtres se pressent en avant…; bôguîye, encombrée. — 147-148. Ceux qui essayaient de passer sur le côté accrochaient les chaises.

  1. bayô, civière.
  2. vacha, cercueil. — 152. Parfond’vîye, Profondeville, au sud de Namur (lieu d’inhu­mation du curé de Dorinne).
  3. Les roues du camion ne grinçaient pas encore… — 155. distèlè, dételé (ici, en parlant du prêtre qui a quitté les ornements liturgiques). — 156. asplanéye, enjambée.

 

 

(p.518)

RENE PAINBLANC

 

Né à La Hestre (région du Centre) en 1908. Travaileur manuel devenu par la suite comptable dans des entreprises commerciales. Ancien secrétaire de rédaction de la revue El mouchon d’aunia de La Louvière.

Œuvres wallonnes :

Poésie : El gros moncha [Le gros tas], Haine-Saint-Paul, Editions de l’Alti-plano, 1975, 43 p. (stenc.).

Prose : Fauves de l’aye à sokes [Contes de la haie aux souches], Charleroi, Editions du « Bourdon », 1963, 47 p.

Théâtre : une trentaine de comédies et de jeux radiophoniques.

 

209                                                                                            [La Hestre]

Adon…

(extrait)

 

Vv. 53-64

Il a ieû dès ducaces,

dès danses su l’ pètite place

èt vos n’astîz nîn là…

4   Il a ieû dès Nowés, dès bètchs dè bone anéye,

dès Cras-Mardi à Binche dins dès bindes insnoufiéyes

èt vos n’astîz nîn là…

On-a brûlé lès bosses à tous lès Létârés

8    èt quand lès pètes du feû chîlinetèt à l’ coupète

 

ALORS…

  1. Il y a eu des ducaces (= fêtes paroissiales, kermesses). — 4. … des baisers de nouvel an. — 5. des Mardi-gras à Binche dans des bandes exaltées (allusion aux mouvements de foule lors de la grande journée du célèbre carnaval de Binche). — 7. Dans certaines localités du Centre, le carnaval se déroule, non à la veille du Carême, mais à l’époque de la Laetare : le dernier jour, les bosses, bourrées de paille d’avoine, que les gilles (cfr v. 10) portent sous leur blouse sont jetées par eux pour être brûlées sur un bûcher de fagots surmonté d’un mannequin. — 8-9. et quand les étincelles jaillissaient en sifflant au

 

(p.519)

du bréjî tournayant qui f’soût lûre lès colés,

què l’ djîle, in dèrnîn coûp, arlochoût sès sounètes,

dins l’ mascarâde morante qui brèyoût alintoûr,

12   du vos-é ratindu ‘squ’au dèrnîn coûp d’ tamboûr…

 

« El gros Moncha », p. 28.

 

sommet / du brasier… — 9. le colé (litt. : collier) désigne la ceinture du gille à laquelle sont attachées des sonnettes (cfr v. 10). — 10. djîle (prénom Gilles, acteur du Théâtre de la Foire), nom porté par le masque qui représente le personnage traditionnel du Carnaval dans la région de Binche-La Louvière; arlochoût, agitait. — 11. mascarâde, groupe de masques. Allusion à l’apothéose qui termine la fête.

 

 

(p.520)

FRANZ DEWANDELAER

(1909-1952)

 

Né à Nivelles, mort à Bruges. Issu d’un milieu modeste, il interrompit ses classes à l’athénée pour travailler à Bruxelles chez un agent de change avant d’entrer à l’Administration communale de Nivelles où il devint chef de service. Sa mort prématurée, des suites lointaines d’une captivité en Silésie (1940-1942), interrompait une activité de publiciste et d’animateur : l’œuvre poétique était achevée depuis 1936. Elle avait débuté tôt, en 1928, et s’était imposée, cinq ans après, avec Bouquèt-tout-fêt (1933), recueil voué à la ville natale auquel succéda El moncha qui crèch [Le monceau qui grandit] paru seulement en 1948, ainsi qu’un chœur parlé sur le monde du travail, Bokèts de l’ nui’ (1935) [Morceaux de la nuit]. A part L’aveûle (1939), El bribeû (1948) et El fou (1950), trois poèmes que des amis lui arrachèrent, Dewandelaer ne publia plus de son vivant. Certaines de ses grandes compositions à reprises thématiques circulaient pourtant. Mais l’ensemble de son message ne fut réuni qu’en 1970 dans l’édition du P. Jean Guillaume.

Poète dialectal hors du commun, Franz Dewandelaer est le plus puissant de sa génération et, sans doute, de la période contemporaine. Chez lui, la virtuosité de l’écriture trouve son dépassement dans une rhétorique du cri qui fait fleurir les images et les rythmes. A l’écoute d’un monde que divisent l’égoïsme, l’injustice et la douleur, il trouve, pour le juger au nom de sa dialectique manichéenne, une fougue passionnée et juvénile dont les outrances ne sont que le revers d’une tendresse déchirée.

 

 

210                                                                                               [Nivelles]

[Songerie dans la ville]

 

Pa-coups, quand djè dèstèle dèvant douze eûres par nut’,

djè m’in va barlôrer, mièrseû, d’ssus lès boulevârds;

dins l’chabrake du stwèlî, èl bèle fét come in scârd,

4   lès mésos s’ ratassont come pou s’ mète à gayute…

 

Come in f’seû d’imbaras djè n’èrwéte nî lès djins,

dj’é toudi tant d’s-afaîres qui scafotont dins m’ tièsse…

Djè sondje au pô què d’ sû, à tout ç’ què d’ voûrou ièsse,

8    djè sondje au manokeû qui n’ s’a seû mète à djint…

 

  1. Parfois, quand je dételle (= cesse le travail) avant minuit. — 2. barlôrer, errer, flâner. — 3. chabraque, châle, mante; stwèlî, ciel (étoile), firmament; … la lune fait comme une échancrure. — 4. à gayute, à l’abri.
  2. … qui taraudent ma tête. — 8. manokeû, homme malhabile; à djint, comme il faut, en bon ordre (ici, à l’aise).

 

(p.521)

Djè sondje à tous lès cyins qui noyont dins 1′ dèsbine,

à lès-èfants sans méres, à lès méres sans-èfant,

au cyin qui crève dè fangn èt qui more in blèfant,

12   au cinsî qui sârkèle, au mènûsiè qui bine…

 

Djè sondje à lès-ûlaus qui ratiront d’asto

l’ouvrî qui r’va toudi come si ‘ne feume fésout signe,

djè sondje à dès bribeûs qui pèfiont, quand i r’ligne,

16 dins 1′ bèrdouye dès piè-sintes come dins l’iau dès richots…

 

Djè sondje à lès cwachîs, lès mèsalés dè l’ guère,

à tous lès cyins qu’ djè vu, sans pîds, sans-îs, sans mins,

d-aler cachî, à l’ brune, pour ieûs’ s’èrpoûser d’min,

20    ène place, au pîd d’ène soke, yu-ce que l’ârzîye èst têre…

 

Djè sondje à lès-arnas qu’on a d’vant d’ièsse djondu,

yèt ça m’ va télemint lon què d’ bré, austant qu’ djè ‘n bisse,

si bî què l’ cyin qui passe èm’ prind pou in fou-guise,

24    ou bî pou in galant qui cache après pièrdu…

 

[1928-1930]

 

« Bouquet-tout-fait », II, 2e éd., Nivelles, 1936, pp. 18-19 et Œuvres poétiques, édition critique (…) par J. Guil­laume, Liège, Soc. de Langue et de Littérature wall. (Collection littéraire wallonne, 4), 1970, p. 16.

 

  1. … qui se noient dans la malchance. — 11. blèfer, envier, désirer ce qu’on n’a pas. —
  2. sârkèler, sarcler; biner, chômer.
  3. … aux sirènes [d’usine] qui font revenir sans relâche. — 15-16. … qui pataugent, au dégel, / dans la boue des sentiers comme dans l’eau des ruisseaux.
  4. cwachî, blessé; mèzalé, infirme, invalide. — 20. soke, souche d’arbre; ârzîye, argile; têre, tendre.
  5. arna, attirail, ici au sens de charge à supporter, tourment; djondu, touché (ici, par la mort). — 22. … que je pleure autant que j’en bisque.
  6. in fou-guise, un drôle, un ahuri. — 24. … qui cherche ce qu’il a perdu.

 

(p.522)

211

Djan d’ Nivèle

 

Dè d’lon, bokèt d’ solèy, d’asto, pifot d’ guèrnî,

il èst, come tous lès-omes, sans keûr dèdins s’ carcasse,

mins li n’ f’ra jamés rî, ne fut-ce qu’à l’eûre qui passe,

4   yèt c’èst peû d’ fé du mau qu’i fét ni mau, ni bî…

 

El nédje yèt lès guèrjas lî-z-ont tcheû d’ssus s’ tignasse,

èl solèy l’a racût, 1′ pieuve a ratchî dins s’n-î.

I sét, dins l’ér du temps, vîr èl misére qui s’ brasse,

 8   mins brére, ça n’èst nî s’ gout, yèt rîre, ça n’ lî va nî…

 

Tél quél, si l’ bon Dieu l’ vût, il èst co voye pou ‘ne baye.

On pârlèra co d’ li qu’ nos sârons djà ratayes.

I sâra là pou dîre s’o n’a nî tchèryî dwèt.

 

12   Yèt quand d’ lî di queutefwès : « Ç’tilâl, c’è-st-ène canaye »,

i m’ chène-à-vîr, pa-coups, qu’i drouve ès’ bouche à craye,

yèt djè n’ sârou nî paf s’i m’ rèspondrout : « Djè l’ vwè… »

 

[1928-1930]

 

Ibid., VIII, p. 30; éd. J. Guillaume, p. 24.

 

JEAN DE NIVELLES. — Comp. n° 110.

  1. d’asto, de près; pifot, vieillerie. — 3. Le second hémistiche fait allusion au jaquemart qui frappait autrefois les heures.
  2. guérja, grêlon. — 6. … la pluie a craché dans son œil. — 8. brére, pleurer.
  3. pou ‘ne baye, pour longtemps. —- 10. rataye, trisaïeul. — 11. … si on n’a pas marché droit
  4. Il me semble parfois; drouvi à craye, entrouvrir. — 14. paf, étonné, surpris.

 

(p.523)

212

Dins 1′ parc                                          

 

I n’ sont rî qu’à deûs, su 1′ banc qui tchamousse,

lé l’Dodin.ne qui doûrt intrè lès rojas,

in n-osse-cu, lauvau, cache après sès crousses,

4   in pidjon vît vîr, toûne, èrvît, s’è va…

 

In p’tit vint d’awous’ cacouye èl coupète

dès pouplîs pansus corne yun qu’a bî l’temps,

èl ri, vos dîrîz qu’i r’passe es’ cwèjète

8    devant d’ fé l’plondjon dins l’murwè d’ l’étang.

 

‘Squ’à dins lès racwins, l’solèy qui s’èstitche

coule intrè lès feuyes corne dins-in tamis,

èyèt lès pèchons passent leû guèsitchs

12    cî, doûlà, pus lon, co doûlà, co ci…

 

L’èstwèlî s’ fét bleû, pus bleû qu’ène bleùse cote,

il a dès pièrots dins tous lès bûchons,

ène mwèse dins chake fleûr, ène fleûr dins chake pote;

16    o mâche dès-oufiéyes avè dès tchansons.

 

Tout r’glatit, tout sint, tout tchante yèt tout vike…

Mins, vos d-alez m’ dîre : « Eyèt cès deûs-là… ? »

Boun sang! téjîz-vous… pèrdez vos bèrlikes,

20    wétiz ç’ mouchon-cî fé ses trimouyas…

 

Wétîz cî, lauvau, mins nî pa-lé ieûs’,

fèsez come djè fé, djè cache à fé l’loûrd…

Blancs come ène godiche dès bounès sieurs bleûses,

24   Martine yèt Martin s’ fèsont dès mamoûrs.

 

 

DANS LE PARC

  1. tchamousser, moisir. — 2. près de la Dodaine; nom de l’étang formé par le Mierson

dans le jardin public de Nivelles; roja, roseau. — 3. osse-cu, hochequeue; crousse, croûte.

  1. cacouyî, chatouiller; coupète, cîme, sommet. — 6. pouplî, peuplier. — 7. cwèjète (arch.),

« croisette ». alphabet.

  1. … qui se pointe. — 11. pèchon, poisson; guèsitch, visage, frimousse.
  2. pièrot, moineau. — 15. mwèse, guêpe; pote, petit creux dans le sol. — 16. on mêle

des odeurs avec…

  1. perdez, prenez; bèrlikes, lunettes. — 20. Regardez cet oiseau-là faire ses cabrioles.
  2. pa-lé ieûs’, vers eux, de leur côté. — 23. godiche, bonnet, guimpe; sieur bleûse,

sœur bleue, religieuse hospitalière de l’ordre de Jésus au Temple.

 

(p.524)

Pa-coups, 1′ cariyon s’èskeût pou fé tchér

es’ n-ér come dès liârds dè l’ poche d’in mossieû.

Ascoutez, wétîz, èç’ temps-ci vaut tchêr…

28    Mins n’ zès wétîz nî, pour l’amoûr dè Dieû !

 

Is n’ sont rî qu’à deûs, su l’ banc qui tchamousse,

lé 1′ Dodin.ne qui doûrt intrè lès rojas;

in-n-osse-cu, lauvau, cache après sès crousses,

32   in pidjon vît vîr, toûne, èrvît, s’è va…

 

[1928-1930]

 

Ibid., XI, pp. 35-36; éd. J. Guillaume, pp. 27-28.

 

 

213

[L’enfance dont on rêve]

 

C’è-st-intrè vos vis murs què d’ vî r’trouver mès rèves,

tous lès filés d’ bouneûr què d’ prind quand l’ bon Dieu blèfe,

tous lès plans qu’ dj’é monté, dins l’uviêr pou l’èsté,

4   — iun djè ll’é fét d’coûchî, èyèt l’aute d’èstampé —,

lès coups què d’ m’é vu riche quand tout m’ criyout :

« Misére ! » tous lès coups què d’ riyou quand djè n’ volou nî brére,

lès coups qu’ dj’astou tout seû, pinsant d’ièsse vu volti,

8    lès coups qu’ dj’avou trop wêre dè pangn pou m’n-apétit,

tous lès coups qu’ djè m’é pinsé bia, bî vu, bounasse,

si bî qu’ djè n’ sintou rî quand i m’ tchèyout ‘ne tanasse,

lès coups qu’à foûrce de m’ cwêre binéje dj’é sté contint,

12   lès coups qu’ djè m’é pinsé ome quand dj’astou gamin,

lès coups què d’ m’èrsuwou quand l’ bèle disout : Djèléye !,

lès coups qu’ dj’é pris l’ brouyârd pou dès-èchèts d’ buwéye,

 

  1. s’èskeût, se secoue, s’ébranle; tchér, choir, tomber.
  2. vos vieux murs : le poète s’adresse à sa ville de Nivelles. — 2. filé, filet; blèfer, baver. — 4. d’coûchî, en position couchée; d’estampé, debout. — 9. bounasse, naïf. — 10. … quand il me tombait une tuile (litt1 : raclée). — 11. On remarquera l’opposition subtile entre les deux quasi synonymes binéje (bien aise) et contint (satisfait). — 13. … que je m’épongeais alors que la lune disait : Gelée ! — 14. èchèt, écheveau. — 17. ploumiou, plumet. —

 

(p.525)

quand dj’é vu l’èstwèlî tout bleû quand i stout gris,

16   lès coups, quand l’ vint r’beûlout, què d’ disou : « Come i rit !»

lès coups què d’ pèrdou l’ nédje pou lès ploumious dès-anjes

yèt lès tchapelèts d’am’djoûs pou lès queûyes dès dimanches,

lès coups qu’ djè m’ cwèyou tout ç’ què djè n’ sâré jamés,

20   què d’ m’é là vu r’vènu come èl pausse dèdins l’ mé,

rî qu’ pace que d’ m’avou dit què d’ n’astou pus flastasse,

tout ça, come in.ne oufiéye qui s’invole woûr d’ène tasse,

tous mès bias rèves d’èfant qui n’ont jamés sté vrés,

24    c’èst d’lé vous qu’is-ont sté, à ç’ qu’is-ont sté scapés.

À mwins qu’ ça sârout co iun d’ mès balons qui crève

yèt qu’ vos m’ f’rîz co rèver què d’ pu rèver d’ mès rèves.

 

[1930]

« El moncha qui crèche », IV, Namur, Les Cahiers wallons, 1948, p. 9; éd. J. Guillaume, p. 56.

 

 

214

E1 fou

 

In coup, dj’astou-st-èvoye trin.ner pa d’zous l’s-èstwèles,

pa ‘ne piè-sinte qu’a tout l’aîr dè grimpyî ‘squ’au stwèlî,

quand 1′ brune tchét d’ssus lès prés yèt qu’èl bèle drouve ès’ n-î

4    à 1′ coupète dès-avênes yèt dès pièches dè trinèle…

 

Il avout saquants bieus qui r’beûlin’ su lès prés,

i f’sout boun’, èl froumint lûjout dins lès campagnes,

in feu dansout, bî lon, roudje come in dwèt qui sagne;

8    in tchat miawout, lauvau, quand djè ll’é rincontré.

 

  1. et les chapelets de jours de semaine pour les suites (litt’ : queues) des dimanches; comp. G. Willame, ci-dessus n° 114, v. 6 : prinde lès-am’djoûs d’uviêr pou dès dimanches dè fièsse. — 20. … comme la pâte dans le pétrin. — 21. flastasse, flasque, mou. — 22. oufiéye, relent; woûr, hors. — 24. … en même temps qu’ils se sont échappés.

 

LE FOU

  1. sur la crête des avoines et des champs (litt. : pièces) de trèfle.
  2. bieu, bœuf.

 

(p.526)

Tout d’ swite, i m’a parlé come si dj’astou dè s’ course,

tout bas, intrè sès dints, come iun qu’ a ‘ne masse soufri;

yèt come on passout d’lé l’ètang qui noye èl ri,

12    in liève, qu’avout peû d’ nous, a pèté voye à 1′ course…

 

Nos nos-avons d’visé, achîs conte in pikèt; dj’aspoyou,

pou 1′ ployi, dèssus 1′ fil dè cloture; dins l’ètang

iu-ce qu’èl vint wétout d’ fé dès câssures,

16    lès rênes yèt lès crapauds tchantin’ djè n’ sé pus què.

 

I m’ parlout sans djokî, tout près, sans r’lèver s’ tièsse,

i m’ disout : « Fuchîz brâve, èm’ colau… ». I m’ disout :

« Après ‘ne masse dè dimanches yèt dès monchas d’am’djous,

20   l’ cyin qu’ âra ieu du mau tout l’ temps poura fé fièsse.

 

Èl cyin qui n’a rî fét n’ mèrite poun d’èstotchè,

èl cyin qu’a gârciné çu qu’il a crèvera d’ fangn,

èn’ volez jamés rî, nè fût-ce qu’ène crousse dè pangn,

24    fuchîz boun pou lès cyins qu’ont dandjî d’ vo pîtiè.

 

I n’a qu’in cras bon Dieu d’ssus têre, yèt nî saquant’ :

lès-omes èn’ valont nî qu’o leu d-è fasse in cint !

Pusquè vos stez frérots, rimbrassîz vo vijin,

28    yèt n’ vos cabuchîz pus, come dès puns dins-ène mande.

 

I n’ faut pus poun d’ mossieus, i n’ faut pus nu bribeû,

i faut qu’èl cyin qu’a d’ trop lèye au cyin qu’a trop wêre;

quand o n’ vos fét nî bî, ratchîz d’ssus vo mémwêre :

32    fèsez come l’èscolî qui frote in d’vwèr fayeûs…

 

  1. dè s’ course, de son âge. — 11. … qui noie (= absorbe) le ruisseau.
  2. Nous avons devisé, assis… — 15. … où le vent essayait de faire des rides. — 16. rêne, grenouille.
  3. djokî, cesser, arrêter. — 18. colô, cfr n° 114. v. 1. — 19. … et des tas de jours de travail. La source de ce passage est dans l’évangile selon saint Mathieu, V, 5. — 20. èl cyin qui, celui qui.
  4. èstotchè, salade de pommes de terre et de légumes. — 22. gârciner, galvauder.

25-26. Il n’y a qu’un bon Dieu gras sur terre, et non plusieurs : / les hommes ne méritent pas qu’on leur en fasse un cent (= des quantités). — 27. vijin, voisin. — 28. ès’ cabuchî, se heurter, se faire mal; pun, pomme; mande, manne, panier.

  1. … qui efface un devoir fautif; cfr Math., V, 7.

 

(p.527)

El cyin qu’âra trîmé d’au lon dè s’ garce dè vîye,

qu’âra kèrtchî l’ musète à tous lès coups d’ûlau,

èl cyin qu’âra toudi ieu wêre ou bî trop pô,

36    qui s’a r’pachî d’èspwèr èyèt, pa coups, d’invîye,

 

èl cyin qu’a d’vu wéti s’incrachî lès richârds,

qu’âra péyi après leûs danseréyes, leûs n-èscrènes,

in djoû, poûra leû dîre, in rabachant leû pène :

40    « Dj’é suwé djusqu’asteûre; poûsson’-t-inchène au tchâr ! ».

 

L’ouvrî n’ dèmorera nî toudi 1′ baudèt qui satche,

i n’ bachera nî toudi s’ dos pou qu’o tchane dèssus,

mins c’èst quand i s’ra moûrt, dins 1′ misére, ène sadju,

44   qu’i poura s’ d-in doner come in vèrautdins s’ batch.

 

Bin.neureûs lès bribeûs ! Bin.neureûs lès manants !

Leû place èst dèstènue dèlé l’ fonteuy dè m’ Pére,

yèt tout ç’ qui chène mèyeû yèt tout ç’ qu’o trouve dè têre,

48    i   ll’ âront sans djokî pusqu’is n’ l’ont nî ieû d’vant.

 

Il a deus soûrtes dè djins t’t-avau 1′ têre yu-ce qu’o vike :

doûci, c’èst lès spotcheûs; doûlà, c’èst lès spotchîs;

èl vîye, c’èst come in tchâr qui dèsmoûrkine in tchî;

52   wétîz d’ nî ièsse èl tchâr; fuchîz l’ tchî, fuchîz 1′ bike !

 

Il âra dès bias djoûs pou l’ cyin qui s’a crèvé,

il âra du boun temps pou lès mougneûs d’ dèsbine,

pou l’ fossetî qu’ èst chômeû, pou l’ tapeû d’ fiêr qui bine,

56   pou lès-ouvrîs qu’ ont ieû in pîd, in bras inlevé…

 

  1. kèrtchî, charger; musète, sac à victuailles que l’ouvrier emporte pour sa journée; ûlau, sirène d’usine. — 36. qui s’est repu d’espoir…
  2. s’incrachî, s’engraisser. — 38. péyî, convoiter; danseréye, bal; èscrène, veillée, soirée, ici dans le sens de fête mondaine. — 39. … en rabaissant leur visière (de casquette) = en rabattant leur caquet. — 40. inchène, ensemble.
  3. … pour qu’on tape dessus. — 43. ène sadju, quelque part. — 44. … s’en donner ( = s’empiffrer) comme un verrat… Ces deux dernières strophes sont une paraphrase matérialiste du Beati qui esuriunt… (Math., V, 6).
  4. chène, semble; têre, tendre. Cfr Math., V, 3.
  5. spotchî, écrasé (d’où spotcheû, celui qui écrase). — 51. dèsmourkiner, mettre en pièces; tchî, chien.
  6. mougneû d’ dèsbine, litt. : mangeur de déveine, malchanceux.
  7. fossetî, mineur, bouilleur; pour l’ouvrier de forge qui chôme.

 

(p.528)

Maleur à lès ape-châr qu’ont l’ keûr à l’place du fwète !

S’is-arivont jamés ‘squ’à l’apas du bon Dieu,

i sâra bîn-éjèle au pus pèsant d’ nos bieus

60    d’ s’imbrokî pa ‘ne trawéye dins in.ne aye dè stapètes…

 

T’t-aussi vré què d’ su ci, d’ vos di qu’in djoû véra

què lès-omes sâront çu qu’on a spoté « l’ Justice » :

adon, l’ cyin qu’a mau fét sâra pèté dè l’ lice,

64   mès l’ cyin qu’a sté tout dwèt poûra fé d’s-imbaras… »

 

Quand il a ieû fini, i ‘stout djà târd par nût’,

il-avout pus d’èstwèles què d’ goutes dins-in-tacha;

èl bèle lûjout toudi come ène téle dè lacha,

68   lès blés bachin’ leû tièsse come pou s’ mète à gayute…

 

Il è-st-èvoye tout d’ swite yèt dj’é d’meuré sondjaud

dj’é barlôré lon.mint, tout seû, d’au long dès ayes

yèt, come èl fin fumeû qui fét spiter lès sayes,

72    dins ç’ qu’i m’a rabrôsené, dj’é rèlî l’ bî yèt l’ mau.

 

Djè m’é dit bî souvint : « Quî-ce què ça pourout ièsse ?

I n’èst nî dè d’ par-ci, maugré qu’i pâle come mi.

Bî seur qu’i r’vît dè d’lIon… Il a d’vu raméri;

76   i dwèt mindji pus d’ér dè temps què d’ér dè drèsse… »

 

Dj’é d’mandé sans pus d’ conte à tout çu qui vikout :

« Quî-ce què c’èst ? ». O m’a dit : « C’è-st-in gayârd nu-z-ome !

C’èst l’gârçon d’ène avièrje, in Dieu qui s’a fét ome… »

80    I n-a qu’ l’Ome qui m’a dit : « Ça ? In twès-quârts dè fou ! »

 

1928.

 

  1. piron dans La Vie wallonne, t. 24, 1950, pp. 119-122; éd. J. Guillaume, pp. 77-80.

 

  1. ape-châr, avare (litt. : hape-chair). — 58. apas, seuil. — 59. éjèle, facile. — 60. s’im­brokî, s’introduire, se frayer passage; trawéye, trouée; aye dè stapètes, rideau de branchages servant de tuteurs aux pois; cfr Math., XIX, 24. 62. spoter, surnommer. — 63. … sera chassé de la lice.
  2. … la nuit était déjà avancée. — 66. il y avait plus d’étoiles que de gouttes dans un nuage de pluie.
  3. barlôrer, errer au hasard. — 71. sayes, déchets (ici : de tabac) : emploi synonyme de cendres. — 72. rabrôsener, ressasser; rèlî, choisi.
  4. raméri, maigrir. — 76. ér dè drèsse, air de garde-manger, en opposition à ér dè temps détaché de l’expression « (vivre de) l’air du temps » ; le sens est : il doit avaler plus de vent que de nourriture. 78. nu-z-ome, sans pareil, incomparable (litt* : nul-homme).

 

(p.529)

215

El Bribeû

 

Dins 1′ nédje qui tchét, qui tchét, qui tchét,

èl bribeû sètch èt mèsalé

s’in va dins ses monvés soles

4   briber çu qu’on vût bî lî d’ner d’ène cinse à l’ôte…

 

Lès ploumious tchèyont sans djokî,

come lès fleûrs tchèyont du pumî,

8    come dins l’ grègne, à l’awous’ tchèryî,

lès pautes…

 

Èl bribeû, dins l’ nédje qui s’èstind,

clapant d’ sès pîds, s’ plindant d’ sès mins,

12   rève à pus târd dins l’ vint qui r’beûle…

 

I rève à lès nieuvès-èsteûles,

à lès fleûrs qui crèchont toutes seûles,

à l’èfant qui crèch come ène fleûr…

16    I ruve au lûjant dès puns meûrs,

au djus dès pwêres qu’on n’ pût nî coude,

à l’ tchanson du marchau qui boute,

à s’ mârtia qui soune in f’sant r’bond.

20    I sondje au richot qui s’infute

pa-d’zous lès saus, come dins ‘ne gayute,

à lès mouchons qu’ont l’abutude

dè grimpyî, mwins waut qu’ leûs tchansons…

24   Èl vint racoûrt… Vuût’… Il èst lon..,

 

 

LE MENDIANT

  1. qui tchét, qui tombe. — 2. sètch, sec, au sens de maigre; mèsalé, infirme, accablé de

maux.

  1. ploumiou, flocons; djokî, cesser. — 8. comme dans la grange, la moisson rentrée. —
  2. potes, épis.
  3. n rêve aux éteules à venir. — 16. à l’éclat (litt* : au luisant) des pommes mûres. — 17. coude, cueillir. — 18. … du maréchal-ferrant au travail. — 20. … au ruisseau qui se glisse. — 21. sau, saule, gayute, abri.

 

(p.530)

El nédje prind dès pus spès pôvions,

fét dès bondieus d’ssus lès buchons,

stind dès blancs draps-d’-min d’ssus l’s-uréyes.

28 Èle mèt dès tapis dins lès tchamps

yèt dès plumas d’ fumiêre tout blancs

à lès blancs pouplîs dè l’ pavéye…

 

El bribeû, li, satchî-satchant,

32    n’ sint nî co què 1′ fwèd d’vît pikant

yèt què l’ nédje a pèrcé s’ caban tout-oute,

come ène pupe qu’on culote…

 

I rève… I rève… Es’ tièsse toûne sote.

 

36    Il a ‘ne cinse dèssus s’ gauche, doûlà,

mins s’ rève èn’ vût nî l’ mèner là…

Co ieune doûcî… Co ieune à dwète…

Ène liche abaye… El rive s’èskète…

 

40   El bribeû n’èst pus qu’in bribeû.

 

« Eûchîz pitiè d’in maleûreûs… »

 

L’uch a clapé. Toudi tout seû

dins l’ nédje qui chame come ène sav’néye,

44   èl poûve avance co d’ène pichéye.

Mins, ça n’ va pus, pus, pus du tout…

Boû… Qu’ i fét fwèd… Qu’i fét fwèd… Boû…

 

Yu-ce qu’il èst co, l’ dèbout dè s’ rève ?

48    Au trèviès d’ tout, l’ bîje èll’ inlève

yèt l’ lèche èrtchér dins l’ nédje qui tchét…

Èl bribeû sètch èt mèsalé

s’in va dins sès monvés solés

 

  1. pauvion, papillon. — 26. fait des bonshommes (de neige) sur les buissons. — 27. uréye,

talus.

  1. satchî-satchant, réduplication expressive pour désigner le fait d’avancer en traînassant.
  2. liche, chienne; s’èskète, se brise.
  3. … qui écume comme une eau savonneuse. — 44. pichéye, « pissée » au sens de courte distance.
  4. /’ dèbout, le bout, la fin. — 48. A travers tout, la bise l’emporte. — 49. èrtchér, retomber. —

 

(p.531)

52   co pus vî, pus scrans, pus skèté,

viè l’amia qu’arive à s’ rinconte.

 

— Ène cinse, twès mésos, tout-in monde… —

 

Il a du feu dins lès mésos,

56    in feu qui danse come in grand sot,

dès flames qui nwèrcichont lès bos

foûrce qu’èlzès rimbrassont d’asto

dins l’ tchèminéye,

60   du feu, du feu, du feu, du feu,

roudje come du sang, djaune come in-n-ieu,

pût-ète même ène jate dè cafeu,

pût-ète même — oyi —, pût-ète même,

64   ène jate dè tchaud lacha sans crême

come èl cinsî donc à sès vias…

 

El poûve a rintré dins l’amia.

 

« Clop-clop. »

 

L’uch à pèrnia dè l’ cinse

68    a bauyî ‘ne dèmi-s’gonde dè temps

—  du feu, du cafeu, ‘ne vwès d’èfant… —

 

Èyèt « clap » à 1′ barbe du manant !

 

« Eûchîz pitiè »… Mins l’ tchî qu’abaye

72   fét transi l’ bribeû pou sès-ayes…

 

« Tok, tok, tok » à lès twès mésos.

 

Lès twès mésos, twès-uchs dè bos,

twès-uchs dè bos, twès keûrs dè tchène,

76   in stoumak vûde pou twès panses plènes,

 

 

  1. scrans, fatigué, las; skèté, brisé. — 53. amia, hameau.
  2. Il a, il y a. — 57. … qui noircissent les bûches. — 58. … qu’elles les embrassent longuement. — 64. lacha, lait.
  3. uch à pèrnia, porte coupée en deux parties superposées. — 68. a bauyî, s’est entre­bâillée. 71. … le chien qui aboie. — 72. ayes, hardes (à distinguer de aye, haie: cfr v. 107).

 

(p.532)

in crève-dè-fangn qui crève dè fwèd,

in nouvia Jésus-Christ sans s’ cwès…

 

El poûve avance co d’ène pichéye…

 

80   El nédje prind dès pus spès pôvions,

fét dès bondieus d’ssus lès buchons,

stind dès blancs draps-d’-min d’ssus l’s-uréyes.

Èle mèt dès tapis dins lès tchamps

84   yèt dès plumas d’ fumiêre tout blancs

à lès blancs pouplîs dè l’ pavéye…

 

El poûve avance co d’ène pichéye…

 

Mins, ça n’ va pus, pus, pus du tout…

88    Boû… Qu’i fét fwèd. Qu’i fét fwèd… Boû…

 

El vint qui toûrnikout dins 1′ vûde,

dèspû dès djous, dèspû dès nût’,

racoûrt à 1′ plène dodop’ sur li…

92    I r’beûle, i r’beûle, i r’beûle, i rit.

I r’lève èl nédje come ène poussière,

lès pouplîs s’ toûrdont come dès viêrs,

lès bondieus n’ sont pus qu’ dès buchons,

96    lès trawéyes ont d’djà dès bouchons,

lès stapètes èskètont…

Lès couches

bèrlondjont come dès swèyes dè brouche

100    quand on bèrlondje ès’ mangn dèssus…

 

Èl vint tcha.ûle… Â, pû… â pû…

On 1′ cwèt maflé, on 1′ cwèt rindu,

ba, wit’… On 1′ cwèt moûrt ? I r’couminche.

104   I grawe. I rape. Il agne. I grinche.

Vuût’… il èst cî… Vuût’… il èst là…

Vuût’… Vuût’… à gauche, à dwète, in bas…

 

  1. et des panaches de fumée…
  2. i r’beûle, il beugle. — 95. les bonshommes (de neige) ne sont plus que des buissons. — 96. les trouées sont déjà bouchées. — 97. les rameaux craquent. — 98-99. Les branches / ondulent comme des soies de brosse.
  3. tcha.ûler, hurler. — 102. maflé, essouflé. — 103. Bah, ouiche… — 104. Il gratte. Il râpe. Il mord. Il grince. — 108. Il fait peur aux enseignes.

 

(p.533)

Vuût’… su lès-ayes, vuût’ su lès grègnes,

108    vuût’… Vuût’… I fét peû lès-insègnes,

i r’beûle, i r’beûle, i r’beûle, i rit…

 

I fét r’beûler lès tchîs pus qu’ li.

 

Yèt quand il a tout raboukyî,

112   tout bî scrèpé, rifté, rayî,

t’t-à-n-in coup, tout r’tchét d’ssus lès voyes.

Tout s’ raproprîye…

                            Il è-st-invoye…

Lès plumious tchèyont sans djokî,

116   comne lès fleûrs tchèyont du pumî,

come dins l’ grègne, à l’awous’ tchèryî, lès pautes…

 

El deûsième nédje racouvrit l’ôte…

 

120   Yèt dins lès tchamps pus blèmes què blancs,

on n’ vwèt pus voye, ni bos, ni tchamp,

pus rî qu’in blanc pachi, grand, grand,

avè — lauvau, nèt’ au mitan —

124   ène saquè d’ nwêr qui d’meure in plan

come ène tatche su ‘ne nieuve braye d’èfant…

 

Yèt 1′ vint qui r’vît in tcha.ûlant,

qui va ièsse là, foûrce qu’i s’ dèspétche,

128   va co rîre, t’t-à-1’eûre, in viyant

1′ bribeû, fî long stindu, qui fét s’ pôrtrét dins l’ nédje.

 

1931

 

« Poèmes wallons 1948 », Liège, L. Gothier, pp. 23-33 (avec trad. franc.); éd. J. Guillaume, pp. 85-90.

 

  1. raboukyî, terrassé, maltraité. — 114. s’ rapropriyî, se remettre en ordre, se calmer.
  2. pachi, pré. — 124. … qui reste « en plan », c.-à-d. sans bouger. — 125. braye d’èfant, lange. — 129. le mendiant, étendu de tout son long, qui fait son portrait dans la neige. Cette dernière image, empruntée aux coutumes enfantines, devient ici d’une tragique dérision.

 

(p.534)

216

L’ome qui brét

(extraits suivis)

 

Dans une chambre inondée de soleil, un homme pleure au chevet de sa jeune femme ensevelie.

 

… Elle est doûlà, bladje èyèt rwède                Vv50^

come ène posture dè deûs-twès francs,

l’ coussin lî fét ‘ne doûce à s’n-anète…

4              Es’ drap d’ lit, yèt sès bras?… du blanc…

 

L’ome èn’ boudjerout nî d’ène sèmèle,

il a s’ tièsse abachéye… i brét…

Solèy èyèt fleûrs, tout s’ coumèle…

 8              O vourout bî l’ vîr s’in d-aler.

 

Mon Dieu, c’èst pourtant iun d’ vos cousses,

èl cyin qui brét sès-îs, doûlà.

Sans minti, què-ce què ça vos cousse

12              dè lu dîre : « Tènez… Wé… Vè-l’-là… »

 

Si vos d’sez : « Stampez ! », 1′ feume s’èstampe

toute riyaude dèssus 1′ boûrd du lit;

vint solèys lûjont t-avau l’ tchambe,

16              si li dit : « Ièle », si ièle dit : « Li ».

 

C’ èst nî pourtant si tant d’ouvrâdje.

(Pou fé mau vos n’ balzinez nî !).

Tènez, pèrdez dîj ans dè m’n-âdje

20              s’i faut qu’o vos paye pou fé bî…

 

Il avout lès stwèles dè sès-îs,                           100-112

l’ solèy dè sès tch’veûs dins l’ solèy,

sès bètchs qui savin’ rinvèyî,

24              sès carèsses

doûces come in soumèy…

 

 

L’HOMME QUI PLEURE

  1. Elle est là, blême et roide. — 3. l’oreiller lui fait une caresse à la nuque.
  2. cousse. ami. — 11. … qu’est-ce que ça vous coûte.
  3. (è)stamper, mettre debout, dresser.
  4. balziner, hésiter, tergiverser; … prenez dix ans de ma vie.
  5. bètch (litt. : bec), baiser.

 

(p.535)

N’avout-i nî l’ tchanson dè s’ vwès

qui f’sout r’lûre èl cèrîje dè s’ bouche,

yèt n’ viyout-i nî pa sès dwèts

28              s’ coûrps pus r’djiblant qu’in swèye dè brouche ?

 

N’avout-i nî l’ feu dè s’n-amoûr,

sès mots come dès péles dè roûséye ?

Yèt tout ça n’èst pus… tout èst moûrt

32              pace qu’èle vike lé vous… dins 1′ nuwéye.

 

Elargissant sa vision, le poète se fait l’intercesseur de la souffrance humaine auprès du « Bon Dieu de Pitié » auquel s’adresse sa prière.

 

Mon Dieu, vous qu’èst boun, tuwez nos misêres,         137-156

dèsbrijîz lès maus qui ploumont d’ssur nous,

r’tapez lès plaukîs, impétchîz lès guêres,

36   l’amitan du monde èl dèmande à dj’nous…

 

Vous qu’èst djusse ètou, fèsez qu’ tout seûche djusse,

mètez l’ poûve à s’n-éje èyèt l’ riche ètou,

lèchîz l’ grin d’ssus l’ ére, lès-iaus dins lès pus’ :

40 què l’ iau, l’ blé, l’ solèy seûchonse à tèrtous’.

 

Vous qu’èst boun, fèsez l’ Paradis tout d’ swite…

(L’ cyin qu’ vos nos prometez, quand ç’ què nos l’ ârons ?)

Dèsfacez sôdârt, canon yèt guèrite,

44   tous lès payis n’ front nî pus d’in canton.

Vous qu’èst djusse ètou, d’nez l’ mangn à lès flauwes,

tapez d’ssus lès dwèts du cyin qu’a l’ cron dwèt.

Qu’ chake ome mindje à s’ fin yèt què l’ monde s’apowe,

48    què l’ cyin qu’a dès dwèts eûche au mwins sès dwèts.

 

  1. (è)r’djiblant, souple, flexible; swèye dè brouche, sole de brosse.
  2. … comme des perles de rosée. — 32. nuwéye, nuée, nuage (= l’au-delà).
  3. dèsbrijî, détruire; ploumer, s’abattre.
  4. ètou, aussi, également. — 38. éje, aise. — 39. laissez le grain sur l’aire, les eaux dans

les puits. — 40. … soient à tous.

  1. dèsfacez, supprimez.
  2. flauw, faible. — 46. … de celui qui a le doigt crochu (c.-à-d. qui vole). — 47. s’apower, se rassasier, se gorger.

 

(p536)

Mon Dieu, vous qu’èst boun, tuwez nos miséres,

dèsbrijîz lès maus qui ploumont d’ssur nous,

r’tapez lès plaukîs, impétchîz lès guêres,

52   l’amitan du monde èl demande à dj’nous…

 

Révolté devant la misère du monde, le poète cite Dieu au tribunal des peuples rassemblés pour un terrifiant Jugement dernier.

 

In djoû,                                       lss-224

— In djoû d’ blanchès fièsses ? In n-am’djoû ? —

Lès peûpes véront vos dîre bondjoû,

56              yèt vos d’mander saquants p’tits comptes…

 

Vos d-alez l’s-intinde, leûs quèstions…

 

Pinsez qu’ vos sârez leû rèsponde ?

 

I n’ leû faura ni « way » ni « non »,

60                            Is vos diront :

« Què ç’ què nos-avons fét d’ssus têre ? »

Dins l’trèfond d’ vous, vos dîrez :

brére, yèt pourtant, vos n’ sârez qu’ vos tére…

 

64              Is sâront là, tous lès bribeûs,

qu’ont mougnî mwins d’ pin què d’ malchance,

lès cyins qu’on a spoté « lès Gueûs »

pace qu’is n’ont què d’ l’ér dins leû panse,

 

68              tous lès plaukîs, lès mèsalés,

lès cyins qu’ont sté riches dè dèsbine

yèt qu’ont télemint ployî leû skine

qu’o pinse toudi l’zès vîr skèter…

 

72              Lès nékieûs, lès stropyîs, lès léds

qu’ont d’vu s’ crèver dèvant d’ crèver,

is sâront là, blêmes dè colêre…

is vos raconteront leû-n-istwêre…

76                            Què leû dîrez ?

 

  1. un jour de fêtes blanches ( = fêtes carillonnées), un jour de semaine ? 66. spoté, surnommé.
  2. tous les malades, les infirmes. — 70. skine, échine. — 71. (è)skèter, casser. 72. nékieû, miséreux.

 

(p.537)

Què leû dîrez, bon Dieu d’ misére,

quand lès feumes qui n’ savont pus brére

véront criyî : « Pouquè lès guêres… ? »

80                            Què leû dîrez,

quand is sâront d’lé vous, paketés ?

 

Què leû dîrez pou leûs-èfants moûrts djoûnes,

pou lès momans qu’on inlève à l’s-èfants,

84 pou lès bouneûrs qu’in seûl coup d’ bîje èrtoûne…

(Quand vos volez, tout pût ièsse bia, pourtant ?)

 

Què leû dîrez pou lès plaukes yèt lès pèsses,

pou lès sôdârds qui mindjont 1′ pin dès vîs,

88   pou lès minîrs qu’ont l’ machèle come èl fèsse,

pou lès roûleûs qu’ont l’ vint à moûde dè vî ?

 

Pa-d’vant vous, cmne ène têre dè sâbe,

èl peûpe dès poûves, dès misèrâbes

  • s’èstindra pus lon qu’o pût vîr…

 

Què leû dîrez,                                      236-fin

quand is sâront d’lé vous, paketés,

come dins-in crabot, lès grins d’ sé ?

96              Vos-anjes, asto d’ vous monteront d’ gârde,

tout blancs, come dès nût’ d’assasin;

sâront-is jôliers ou bî gârdes,

pindint l’ temps d’ vo dèrnî jujemint…?

 

100              Ça durera dès mwès, dès-anéyes…

Chacun véra dîre vos pèchés

yèt vos d’meurerez 1′ tièsse abachéye,

yèt — si vos stez boun —, vos r’grèterez.

 

8l. paketés, entassés, massés.

  1. … pour les épidémies et les pestes. — 88. minîr, richard; machèle, joue. — 89. pour les vagabonds qui n’ont que du vent à boire (litt. : le vent en guise de vin).
  2. crabot, petit récipient, bocal (ici, pour le sel).
  3. asto, près. — 97. L’image du vers joue sur l’adj. blanc : les nuits d’assassin sont les nuits blanches (= de cauchemar) à cause de la blancheur des anges faisant la garde autour de Dieu.

 

(p.538)

104              Mins ça n’ d-in vaura nî lès pênes,

èl monde condan.nera, yèt pourtant

vos n’ârez ni prijon, ni tchêne

télemint qu’ vos crimes âront sté grands…

 

108              Èl feu d’ l’infiêr poûra dèstinde,

(ça s’rout trop doûs pour vous d’ rosti)

yèt lès-omes s’in r-îront pa bindes,

viè leû dèsbine, viè leû-n-osti…

 

112              Èl monde sâra co pus misére,

lès djins, co pus manants qu’is l’ sont,

mins vos sârez ç’ qu’o vwèt d’ssus têre,

yèt ça sâra vo pûnicion.

 

1932

 

Œuvres poétiques, édit. J. Guillaume, pp. 110-111, 114 et 116-119.

 

217

Moman

(extraits)

 

Insi, dj’astou au trèfond d’ vous

come in rî d’iau qui triyènerout

dèdins ‘ne potèle.

 

4 Insi, vos-îs viyin’ pour mi,

insi, vos pîds marchin’ pour mi,

yèt vo coûrps pâtichout pour mi.

 

Insi vos pouvès mangns

8    scranses dè s’avwè r’dôré pour mi,

ç’astout sur mi qu’ vos lès cwèjîz.

 

  1. rosti, rôtir, brûler. — 110. … s’en retourneront en bandes. — 111. dèsbine, déveine, destin malheureux; osti, outil, ici au sens élargi de labeur en général.

 

MAMAN. — Adaptation de Mère (1935) de Maurice Carême.

 

2-3. comme un ruisselet qui tremblerait / au fond d’un creux.

  1. pâtichout, souffrait.
  2. fatiguées de s’être dépensées pour moi. — 9. … que vous les croisiez.

 

(p.539)

Insi vo keûr tokout pour mi,

yèt c’è-st-avè vo sang

12    què vos f’sîz m’ keûr.

 

Moman,

vos stez r’bènîye

intrè toutes lès feumes.

 

16   Djè m’ souvî co…                                           101-116

L’amia s’ rinvèyout

dèdins l’ frisse dintèle

dè sès pumîs floris.

 

20    Lès jates dèssus l’ tâbe

riyin’, yèt lès mouchons

ratindin’ su l’apas.

 

El pikète du djoû dins vos tch’veûs

24   brichôdout dè l’ lumiêre

yèt vos tayîz dins l’ pin

avè dès mins si simpes,

avè dès mins si bounes

 

28    què l’ grand bondieu d’èrâbe

dèskindout djus dè s’ cwès

yèt s’achîdout à tâbe

rî qu’ pou mindjî d’lé nous.

 

[1938]

 

Ibid., pp. 165-166.

 

  1. amia, hameau. — 19. pumî, pommier.

21-22. … et les oiseaux / attendaient sur le seuil.

23-24. L’aurore (litf : le point du jour) dans vos cheveux / répandait de la lumière.

29-30. descendait de sa croix / et s’asseyait à table.

(p.540)

EMILE LEMPEREUR

 

Né à Châtelet en 1909. Instituteur honoraire. Essayiste et animateur de la vie artistique et littéraire au pays de Charleroi.

Œuvres wallonnes :

Poésie : Spites d’âmes [Eclats d’âme]. Visâdje 1934, poème wallon avec tra­duction française, Châtelet, Editions A. Dandoy, 1935, 54 p.

Prose : Discôpè dins in keûr, nouvelle, Charleroi, Impr. Barry, 1938, 20 p.

 

 

218                                                                                               [Châtelet]

Li Plouve

 

Ukant lès zines à l’ sicoupeléye,

li Plouve di toudi,

su l’eûre qui s’èssère,

4    paujêre, s’aviyit,

dimère.

E-st-i dèdjà si vî, 1′ djoû,

qu’il èst plissi come in gadelâdje ?

8    A-t-i djà s’ croke, li djoû,

qu’on lît s’ tourmint dissus s’ visâdje ?

 

L’ombe dè l’ Plouve s’ûse à mès-oûys.

L’ombe dè l’ Plouve brét dissus m’ keûr.

12   Lès lârmes sont dilé m’ douleûr.

L’aîr hume lès dérènès foûyes.

 

Li Plouve avou mès r’gârds su lès pavès si staure,

s’ lét rider d’ssus lès twèts, ridjibèle aus pègnons,

16   pourchût, come in sprowetére, lès pôves pitits mouchons

tchofetès dè l’ vîr si dispaure.

 

LA PLUIE

  1. Faisant venir des caprices à la volée : traduction libre de ce vers à l’expression un peu sophistiquée (âne, lubie, caprice, manie; sicoupléye, pelletée). — 3. … qui se renferme. — 4. paisible, se fait vieille. — 7. gadelâdje, tronc d’arbre rabougri. — 8. croke, coup mortel.
  2. hume, aspire.
  3. … sur les pavés s’étale. — 15. r’djibèle, rebondit. — 16. poursuit comme un épouvantail… — 17. tchofetè, souffleté; si dispaure, se répandre.

 

(p.541)

Su leû pîre agnîye èt scrèpéye

pa lès dints d’ l’eûwe,

20   lès fègnèsses brèyenut mès pinséyes

ridant viè l’ seûwe.

 

Chake goute tcheyant èst come ène lârme

qui trawe mès pwènes, lès-anombrit.

24   Dj’ètind râner, sauteler, nachî

Colau-roudje-bètch pa t’t-avau mi-âme.

Di d’ drî lès âyes èt lès bouchons

qui n’ chènenut pus du tout lès min.mes

28    èt qui pus jamés nèl sèront,

dji wè bârloker di sclimbwagne

tous mès-èspwérs.

Du fond dè l’ reuwe, truviè l’ ridau

32    qui mindje ou grète toutes lès maujos

èt qui si r’sint du contrècôp

di mès pinséyes,

acourenut mès vintès-anéyes

36    avou leû peû, leû swèf dè l’ vîye.

Combe di stwales vont ièsse agnîyes ?

 

« Spites d’âmes. Visâdje 1934 », pp. 11-13.

 

  1. Sur la pierre mordue et râpée. — 19. eûwe, eau. — 20. les fenêtres pleurent… —
  2. seûwe, égout.
  3. tchèyant, tombant. — 23. anombrit, dénombre. — 24. râner, racler; nachî, fureter. — 25. Colau-roudje-bètch, nom personnifiant la bise. — 27. qui ne semblent plus… — 29. bârloker,  vaciller,  tituber;  di sclinbwagne,  de travers. —  31.  truviè,  à travers.  — 32. maujo, maison. — 35. accourent mes vingt ans. — 37. Combien d’étoiles vont être mordues ?

 

 

(p.542)

JEAN RATHMES

 

Né en 1909 à Boncelles, venu habiter la commune voisine de Seraing, cinq ans plus tard. Secrétaire adjoint honoraire auprès du Parquet du procureur du Roi à Liège.

Œuvres wallonnes :

Poésie : Les Hoûlâs d’zos lès steûles [Sirènes sous les étoiles], Seraing, Editions « Le Point », 1954, 36 p.

Théâtre : une quinzaine de comédies dramatiques, non imprimées, et plusieurs jeux radiophoniques (1955-1977).

 

219                                                                                                [Seraing]

Etéremint

 

Piére, acropou so ‘ne basse tchèyîre,

tot foumant ‘ne pîpe si r’hape ine gote.

Si feume Catrène qu’a-st-aponti

4    si neûre calote, si blanke tchimîhe,

si noû paletot, sès fins solés,

riqwîrt à 1′ vole on boton d’ col

8               è 1′ bwète âs clâs

qu’èst so l’djîvâ.

 

Piére, acropou so ‘ne basse tchèyîre,

si r’hape ine gote di Magârni,

12    li pus deûre tèye dè beûr Marîye.

Et s’ feume Catrène, po l’blanke tchimîhe,

riqwîrt à l’vole on boton d’ col

16               è l’bwète âs clâs

qu’èst so l’djîvâ.

 

 

ENTERREMENT

  1. si r’hape ine gote, reprend haleine, se repose un peu. — 4. calote, casquette. — 6. recherche en hâte. — 8-9. dans la boîte aux clous / qui est sur la tablette de la cheminée.
  2. Magârni, « Malgarnie », nom d’une veine dans le charbonnage nommé au v. suivant. — 12. tèye, « taille » : dans une houillère, « endroit de la couche où les abatteurs détachent et dépècent le charbon » (DL, 655); beûr, bure, puits de mine; Marîye, nom d’un char­bonnage faisant partie des sièges de Marihaye (cfr n° 220).

 

(p.543)

Èle lî a dit qwand ‘l a rintré

di s’ deûre djoûrnêye à Magârni :

20    « Pusqui v’s-alez à l’ètéremint

d’à Célèstin, vosse mêste-ovrî,

dj’a-st-aponti vosse neûre calote,

vosse blanke tchimîhe, vos fins solés

24              èt dj’ qwîr à 1′ vole

on boton d’ col

è 1′ bwète âs clâs

qu’èst so l’ djîvâ ».

 

28   Piére, acropou so ‘ne basse tchèyîre,

a rèspondou à s’ feume Catrène :

« Rawâde ine gote qui dj’ foume mi pîpe !

Li mête-ovrî m’a-st-aminé

32    so Magârni po m’ fé crèver;

èt 1′ mâhêtî, so Magârni,

m’a v’nou cwârer lès djoûs passés.

À l’ètéremint d’à Célèstin,

36    fât qu’ dji halcote :

dji beûrè ‘ne gote èt pwis co ‘ne gote èt gote so gote…

40              Done-mu m’ calote

èt m’ blanke tchimîhe,

mi noû paletot,

mès fins solés

44              èt s’ qwîr à 1′ vole

on boton d’ col

è l’bwète âs clâs

qu’èst so l’ djîvâ !… »

 

Journal « L’onde wallonne », Liège, n° des 9-16 novembre 1952.

 

  1. mêste-ovrî, maître-ouvrier : dans une houillère, c’est le chef mineur ou chef de la surveillance des travaux de fond.
  2. A rapprocher du v. 12 : H pus deûre tèye. — 33. et le salaud (mâhêtî ne se dit normalement que de ce qui est malsain). — 33. cwârer, mettre à l’amende par la retenue du cwârt (quart) d’un salaire journalier. — 36. (il) faut que je balance (= que je m’enivre). — 37. gote, goutte, petit verre de genièvre.

 

(p.544)

220

Basse-Mar’hâye

(extraits)

 

Li clârté qui monte a disminti 1′ nut’;

c’èst 1′ djoû qui dit l’ vrêy.

 

Çou qu’ nos-avîs pris po dès djeûs d’ tchandèles

4   so l’âté dè cîr

n’èsteût qu’ dès loumîres dizeû lès-ovreûs.

 

Wice qu’i n’aveût rin, volà dès mohones

è hô d’ leû porotche.

 

8    Li stindêye èst grîse là qu’on l’ ratindéve

avou mèye coleûrs;

là qu’on ratindéve on cîr disgadjî,

lès tch’minêyes plakèt dès tètches di foumîre.

 

12    I fêt pèneûs so lès-èrîves di Moûse.

 

Tot qwitant sès sondjes, à l’ prumîre êreûre,

l’ome a d’vou roter.

Pidjote à midjote, i droûve ses deûs-oûys !

16   i k’mince à s’ rik’nohe, i k’mince à s’ rimète.

 

 

BASSE-MARIHAYE.   —  Nom   d’un   des   sièges   de   la   Société   des   Charbonnages   de Marihaye (bassin de Seraing).

1-2. La clarté qui monte a contredit la nuit; / c’est le jour qui est dans le vrai. 4. aie, autel. — 5. ovreû, atelier.

  1. dans le giron de leur paroisse. Pour le sens du distique : avec le jour qui renaît, on retrouve les maisons bien à leur place.
  2. stindêye, étendue, espace illimité. — 10. … un ciel dégagé.
  3. n fait maussade sur les rives de la Meuse. Moûse, dans l’usage wallon, s’emploie sans article, comme un nom de personne.
  4. … à la première lueur (de l’aube). — 15. Peu à peu…

 

(p.545)

I s’arèstêye tot-èwaré d’esse dèdjà là.                    62 – f’n

 

I s’ ritoûne èt i louke so valêye,

i louke tote li stindêye qui foume èt qui brasih.

20    I louke si destineye,

si dèstinêye qui s’alouwerè corne on hasin s’alowe.

 

Dizos lès wagonèts qui s’ pôrminèt

à 1′ lôyeminôye divins lès-êrs,

24   i n-a l’acîr qu’on aprustêye à fonde,

l’acîr qu’on coule, qu’on toûne po fé dès-obus,

dès canons, l’acîr qui hagne èt qui k’hèye.

 

28    I-n-a l’acîr qui towe.

 

Et l’ome s’èmonte disconte dè l’ mècanike,

pace qui c’èst 1′ mècanike qui l’a markè.

C’èst 1′ mècanike qui l’a-st-atcheté.

32    I fât qu’i moûre por lèye.

 

I lî deût ça, 1′ pôve hère, il lî deût ça !

 

Por lu,

i n’a pus nole louweûr d’èspwêr

36    è cîr qu’i n’ wèsereût pus loukî

sins s’ rissoveni d’ sès sondjes.

 

I s’ rimèt à roter.

I d’hind on pazê inte deûs hourêyes.

40    I d’hind dè min.me pas qu’il a monté,

londjin.nemint, èt todi londjin.nemint,

i qwite li ban.ne dè cîr.

 

  1. èwaré, étonné.
  2. so valêye, vers la (litt. : sur) vallée. — 19. … tout l’espace qui fume et s’embrase. — 21. … qui s’usera comme s’use un rivet.
  3. à l’ lôyeminôye, lentement, paresseusement. — 24. il y a l’acier qu’on prépare pour la fonte. — 27. … qui mord et qui déchire.
  4. … un sentier entre deux talus. — 42. … il quitte l’horizon (= il disparaît peu à peu).

 

(p.546)

Loukîz-le !

44    Tot s’ cwér èst d’djà pièrdou,

li cèke di sès deûs spales mousse è l’ tèrêye,

si tièsse sût

èt pwis s’ calote

48    èt pwis… pus rin…

 

… pus rin qu’ine râme di nûlêyes,

ine râme qui passe

èt qui d’cwèlih, â lon,

52    dizeû l’ crèstê d’on vî tèris’.

 

” Les Hoûlâs d’zos lès steûles », pp. 27 et 29.

 

  1. le cercle de ses épaules pénètre dans la descente. Au sens propre, tèrêye = terrier, renfoncement dans le sol.
  2. plus rien qu’un train de nuages. Le terme râme, rame, (comp. rame de wagons) appartient au lexique de la houillerie où il désigne un convoi de chariots ou de « berlaines » accrochées en file. — 51. d(i)cwèli, décliner, ici au sens de disparaître.

 

 

(p.547)

ALBERT YANDE

 

Né en 1909 à Harinsart (Villers-sur-Semois). Directeur honoraire au Gouver­nement provincial du Luxembourg.

Œuvres wallonnes :

Poésie : Pa t’t-avau lès-autes côps [Vers autrefois], Virton, Editions des « Lettres gaumaises », 1954, 52 p. — El Djan d’ Mâdi [Jean de Mady], « poème épique en patois gaumais », Virton, Editions des « Lettres gaumaises », 1957, 48 p. — Lès pâmes su lès-èteûles [Les épis sur les éteules], Virton, Impr. Michel frères, 1961, 40 p. — Dokèt d’ fènasses [Bouquet de graminées], Virton, Editions Michel frères, 1966, 56 p.

Théâtre : La Térêsse et lès-électians, comédie dans Les lettres gaumaises, Vir­ton, t. 3, 1953, pp. 21-63 et à part.

 

 

221                                                                                 [Villers-sur-Semois]

E1 Djan d’ Mâdi

(extraits suivis)

 

L’auteur s’adresse à ses auditeurs réunis pour la veillée.

 

Banswâr tourtous, bouchans lès-uchs,               Vv. 377-452

i djale, savez-ve, èt 1′ vèt choufèle.

Pou s’ rachandi, câssez dès cuches :

4              dj’arans bin tchaud, t’t-à l’eûre an pèle !

 

JEAN DE MADY. — Ce sobriquet (« Mady » = Montmédy, ville française au sud-ouest de Virton) désigne un type populaire ayant probablement vécu au 17e siècle et dont la tradition a fait un ménétrier, joyeux drille et conteur d’histoires. Ce personnage légendaire, devenu le héros folklorique du pays gaumais, a inspiré, en français et en dialecte, diverses œuvres parmi lesquelles l’épopée de 1.118 vers (divisée en quatre «veillées») d’Albert Yande se signale comme la plus importante. — La tournure « le Jean de M. ». où l’art, défini précède le prénom ou le nom d’une personne déterminée est un trait de la parlure populaire tant française que dialectale; en wallon, elle n’est connue que sporadiquement (cfr L. Remacle, Syntaxe, 1, p. 127).

 

1.- La graphie an note une nasale brève intermédiaire entre an et on, propre à certains parlers du canton d’Etalle; bouchåns, fermons. — 2. … et le vent souffle. — 3. s’ rachåndi, se réchauffer; cuches, petites branches séchées (pour allumer ou entretenir le feu). — 4. pèle, « poêle » au sens de : salle de séjour contiguë à la cuisine.

 

(p.548)

Varat ! v’ez fat dès roustiquètes !

Ça s’ node, savez-v’, d’dès la ruwâye.

Vous v’ià r’pachis et bin sûr prêt’

8              pou toute la vèye rîre à gavâyes.

 

Coume lès gosses nu vânt-m’ co coûtchi,

qu’i s’assiyinche drî lès grandes djans,

qu’il ècoutinche et ses boudji,

12              s’i v’lânt co ôre la flauve du Djan,

du Djan d’ Mâdi qu’è tant cranté ses vis parants,

dès djans pâjôles, qu’an pôrout dère, ses mèchanç’tè,

16              qu’il è toudjou ‘tu in rûjôle !

 

L’enfance et les espiègleries de Jean de Mady.

 

« Dôdô, pâpâ-minète »

qu’èle tchantout la Marîye

quand 1′ Djan à la fachète,

20              wîclout coume in courî.

 

« Vas-t’ t’adormi, sacré maraud ?

Si tu n’ tu tâs-m’, la Mâr-Jêzeuf

va co hèssi s’ gros blanc bèrau

24              pou v’nu t’ tukè, va, diabe m’ anleufe ! »

 

 

  1. Varat (litt* : verrat, porc mâle), interjection ou juron d’emploi courant en gaumais, seul ou en syntagme (cfr n° 222, v. 6); v’ez, vous avez : l’aphérèse de la voyelle initiale est de règle dans certaines formes verbales (ci-après v. 16, 75, 76); roustikètes, prépa­ration de pommes de terre rôties au lard dont la cuisson s’achève à sec (mets traditionnel du souper d’hiver, autrefois, en pays gaumais. — 6. Ça se sent…; ruwâye. ruelle. — 7. r(u)pachi, repu, rassasié. — 8. vèye, veillée; à gavâyes (litt. : à gueulées), aux éclats.
  2. … ne vont pas encore coucher; sur la négation gaumaise du type «ne mie», cfr ci-dessus n° 24, v. 3. — 10. … derrière les grandes personnes. — 11. ses, sans. — 12. … entendre l’histoire (litt* : fable) de Jean. — 13. … qui a tant fatigué. — 14. pajôle, paisible. — 15. an, on. — 16. qu’il a toujours été un difficile (ou un insupportable).
  3. «la» Marie est la mère de Jean. — 19. à la fachète, au maillot (=  au berceau).

—  20. wîclè, criailler; courî, goret. — 21-24. Si tu ne te tais pas, la Marie-Joseph / va encore exciter son gros bélier blanc / pour venir te donner des coups de tête, va, que le diable m’emporte. Allusion à une croyance enfantine.

  1. Mais (le) Jean pleurnichait… — 26. On ne fermait l’œil qu’à la pointe du jour.

—  28. on en avait son soûl, on grommelait.

 

(p.549)

Mâs l’Djan pîlout toutes lès neutîyes !

An n’ cleumout l’ûy qu’aus-âres du djou,

et, pârdiè !, d’ôre toutes ses brârîyes,

28              an ‘nn’avout s’ sô, an s’ dègrougnout.

 

Et tout tchèkin v’nout l’èrwâti, et quand an d’jout :

« L’ bé p’tit valet ! », èl père dijout : « L’arassoti !

32              Ç’ n’est rin du F vwâr, faut l’ôre tchantè ! ».

 

An peut dère qu’il è tenante djône !

Tout gamin, il avout in creu

qu’i p’iout bâyi ses r’pinre alône,

36              co si tèl’mèt qu’an l’oyout d’ Breux !

I s’rè keurè, qu’an s’ dijout, pou qu’

i tchantiche coume in n-orgâmus.

Mas lu ‘nn’è v’iu ne quu d’ tchâ d’ bouc,

40              ni d’ la nwâre frake, ni d’orémus’.

Toudjou prêt’ à djouwè dès tous,

i trênayout pa d’vés lès tchamps

et d’dès lès bos. Quand an F trakout,

44              i grimpout coume in n-èkeuran.

Ç’atout ‘ne holbrète et in briche-boule,

in saute-aus-bloces, in n-agayant,

et aveu ça, âque plin la boule,

48              et pus fugnâ qu’in nwâr fouyant.

 

Quand pa dès côps, F keurè F hutchout

pou F tes d’ la messe t’nu la sounète,

i p’iout s’atède, s’i s’ rutônout,

52              quu F Djan lak’rout la roudje beurète…

 

 

  1. èrwati, regarder. — 31. arassoti (var. de assotï), tout à fait fou.
  2. in creu, un coffre (litt’ : un creux) au sens de : poitrine qui a du volume, souffle

puissant. — 35-36. qu’il pouvait pousser des cris sans reprendre haleine / tellement fort

qu’on l’entendait de Breux (=  village français, à la frontière). — 37. keurè, curé. —

orgâmus, chantre d’église, avec nuance péjorative. — 39. Mais lui n’en voulait pas plus

que de la viande de bouc (=  pas du tout). — 40. nwâre frake, ici au sens de soutane.

  • — 43. Quand on le poursuivait. — 44. èkeuran, écureuil. — 45. holbrète, écervelé, espiègle;

briche-boule  (litt* :  éclabousse-boue),  polisson.  — 46.  saute-aus-bloces (litt. :  saute-aux-

prunes), irréfléchi; agayant, au sens fig. de : futé, folâtre (en parlant d’un enfant). —

  1. âque, quelque chose. —• 48. et plus fureteur qu’une taupe.

49-50. Quand parfois le curé l’appelait / pour, le temps de la messe, tenir la sonnette

 

(p.550)

El père pourtant, co la Marîye

fayint ç’ qu’i p’lint pou 1′ fâre tchèdji,

et — vous p’iez m’ crwâre — gn’è-m’ ène gueûz’rîye

56              qu’ lî ânt passé ses 1′ coridji.

 

A la sortie d’ l’ivér, in bé djou, la Marîye

l’avout prins aveu lîye à la fête à Sît-Mâ,

tchû P nonnon Djâque-Jêzeuf qu’ atout sês-èritî

60   mas qu’êmout bin note Djan et lî wardout t’t-à fat.

Pa d’zous lès marounîs, dès tas d’ hourlâns trèlint,

quand P Djan, l’après-mîdi, è v’nu lès dèhossi.

Et v’ià qu’au ré d’ la neût, d’dès ses potches qui rèflint,

64    i ‘nn’avout tant mussi qu’i n’ savout pus couri !

Coume an P hutchout soupe, èl Djan s’ dit : « Dj’ seu cudu !

N’ faut qu’in hourlân à d’iîve pou fâre bâyi P nonnon… ».

Èl tes qu’ la tante Zabèt’ s’ a-n-alout r’cude lès-us,

68    qu’ la Marîye la cheujout, èl Djan s’ dit : « Ça node bon !

Via ‘ne cowète d’ètuvâyes qui ratchaufe au culot :

si dj’ soûlevou P couché pou-z-î mète lès hourlâns?… ».

I n’è-m’ canî lântès… Quand aveu la kî d’ pot,

72    la Zabèt’ è servi la toufâye et P razân,

èl Djan plutchout in pô, mas P nonon si pâjôle,

qui cruchout bel et bin a fant hossi P matân,

tout d’in côp dit : « Varat ! v’ n’ez jamâs ‘tu frayôle,

76   mas m’ séné, Zabèt’, qu’ aneût, v’ez mins tout plin d’ kèrtâns ! »

 

(=  servir à la messe). — 53. il pouvait s’attendre… — 54. boirait (litt*: lécherait) la burette [de vin].

  1. … pour le faire changer. — 55. … il n’y a pas une mauvaise action. 58. Saint-Mard, à côté de Virton. — 59. chez l’oncle Jacques-Joseph qui était sans héritier. •— 61. des tas de hannetons tombaient dru. — 62. dèhossi, secouer avec force. — 63. neût, nuit, crépuscule; d’dès, (de)dans; rèflint, enflaient, gonflaient. — 64. il en avait tant cachés… — 65. … « je suis pris » (litt* : cueilli). — 66. Il ne faut qu’un hanneton en liberté pour faire crier l’oncle. — 67. [Sur] le temps que…; Zabèt’, hypocoristique d’Elisabeth; s’en allait recueillir les œufs. — 68. cheujout, suivait. — 69. cowète, marmite en fonte; ètuvâyes, « pommes de terre cuites sans eau, avec du lard et des oignons hachés que l’on fait préalablement roussir dans la marmite » (E. Liégeois, B.S.W., 41, p. 155); au culot, dans l’âtre. — 70. couché, couvercle. — 71. Il n’a pas chipoté longtemps…; kî d’ pot, louche. — 72. toufâye, « étouffée », plat gaumais composé d’aliments, surtout de pommes de terre, cuits à la vapeur en marmite fermée (à rapprocher d’ètuvâyes); razân, « partie des étuvées (ètuvâyes) restée collée au fond et aux parois de la casserole et, partant, plus roussie et plus savoureuse » (note de l’auteur). .— 73. plutchi (litt’ : éplucher), manger à petits morceaux. — 74. cruchi, croquer, écraser avec les dents quel­que chose de dur; matân, menton. — 75-76. … «Diable! vous n’avez jamais été gaspil­leuse / mais il me semble, Zabeth, qu’aujourd’hui, vous avez mis beaucoup de « créions » (lardons).

 

(p.551)

Jean de Mady a grandi; le voici ménétrier et conteur.

 

Dès danses, i ‘nn’è djouwè d’dès tous lès cabarets,       529-540

à fant houpè lès fîyes tant qu’èles-avint d’ l’alêne.

I fout toutes lès dicâces (et lès r’nos bin souvèt)

80    et, dud’peû lès-ambârdes, zim’zimout lès djalônes.

lès crantout tourtous lès trwas djous, mas 1′ land’mé

— on quand i ‘nn’avout s’ sô — i r’pèrnout ses mûzètes,

et 1′ viyolân su 1′ dos et 1′ bâta à la me,

84   i s’ a-n-alout pu lân aveu ses tchansounètes.

 

A l’ivér, tchû lès djans, i fayout 1′ cordounî,

i bridout lès sabots ou fout keure la cûj’nâye,

hossout F beure d’dès F hulté ou fèssout dès pènîs,

88   t’t-a racântant dès flauves tout au lân d’ la djournâye.

 

L’auteur prend congé de son auditoire.

 

Wây ! vos varats, vous n’ dijez rin,                    611-614

et v’ cleum’tiyez coume dès marcôs;

v’atez hodès, dju F gadj’rou bin,

92              gn’è qu’ mi qui cause, sacrés marauds !

 

Dj’ m’a r’va, savez-v’, bânswar tourtous !           639-646

Dj’ crwa quu t’t-à l’eûre, dj’ s’râ dèhutchi;

an dèrè co : « Mân Dieu toudjou !

96              i bablote tant qu’i s’ f’rè mouri ! ».

 

  1. en faisant sauter…; alône, haleine, souffle. —• 79. fout (forme syncopée), faisait; dicôce, « ducasse », fête paroissiale; lès r(u)nos, l’octave de la fête. — 80. dud’peû, depuis; ambârdes, aubades, promenade en musique marquant, la veille de la fête, le début des réjouissances; zim’zimout, raclait sur son crin-crin; djalône, ancienne danse villageoise où les couples tournent en se tenant par les bras. — 81. Il les épuisait tous… — 82. mûzète, musette, petit sac en toile où les routiers mettent leur nourriture ou leurs objets. — 83. viyolân, violon, batàn, bâton.
  2. tchû, chez. — 86. … on faisait cuire la chaudronnée (pour les cochons). — 87. battait le beurre dans la baratte ou tressait des paniers.
  3. vos varats !, interpellation expressive et familière dont la valeur dépend du contexte : drôles (ou diables) que vous êtes ! Sur ce tour arch., cfr n° 8, v. 3. •— 90. vous fermez les yeux à demi comme les chats. — 91. hodè, fatigué. — 92. … sacrés farceurs !
  4. dèhutchi, grondé, admonesté. — 96. bablote, « parler beaucoup pour dire des riens » (E. Liégeois, loc. cit., p. 296).

 

(p.552)

Quand dju r’vinrâ, dju v’ dérâ p’tète

coume il est mort, lu, F Djan d’ Mâdi,

et coume, aveu sa zinzounète,

100              i djouwe dès danses… an Paradis!

 

« El Djan d’ Mâdy », extraits de la «  2e vèye » (2e veillée), pp. 25-26, 28-29 et 30-31.

 

 

222

Cleumète

 

Dj’ la ratèdou quand’ èle nu v’nout-m’.

Quand’ elle è v’nu, dj’ n’atou-m’ toulà.

Ele s’arè dit : « Où èst-i co ?

4   Dju gadj’rou bin qu’i canline

co à hâr à hète, pa-t’t-avô-là.

Mon Die toudjou, que varat d’oume ! ».

 

Et v’ià qu’asteûre, dj’â bin d’ l’anoûye.

8    Tchabaye s’èle nu m’anna vôrè-m’ ?

Ink et co l’ôte, an s’ fat ratède :

 v’ià coume an djouwe à la cleumète.

 

Dju ratèd’ co, èle nu r’vinrè-m’…

12   Et s’èle ruvint… dj’ s’ra p’tète ruvoûye !

 

Dokèt d’ fènasses, p. 29.

 

  1. zinzounète, nom plaisant d’un instrument de musique, crincrin.

 

CACHE-CACHE

  1. … quand elle ne venait pas. — 2. … je n’étais plus là. — 4. Je parierais bien qu’il bavarde encore. — 5. à hâr à hète, à gauche à droite, dé-ci dé-là. — 6. … quel diable d’homme !
  2. anoûy, ennui, chagrin. — 8. Je me demande si elle ne m’en voudra pas. Tchabaye, je suis curieux de savoir…, est-ce que par hasard…, je me demande…, forme contractée (en chestrolais : sabaye, en nam. : sobayî), cfr n” 140, n. 48. — 9. …( on se fait attendre.
  3. J’attends encore, elle ne reviendra pas.

 

 

(p.553)

LOUIS REMACLE

 

Né en 1910 à Neuville-Francorchamps. Professeur émérite de l’Université de Liège où il succéda à Jean Haust, en 1938, pour l’enseignement de la dialec­tologie wallonne avant d’occuper la chaire de linguistique romane. Auteur des deux premiers volumes de l’Atlas linguistique de la Wallonie (1953 et 1969) et de nombreux travaux dialectologiques parmi lesquels une Syntaxe wallonne en 3 volumes, sur la base du parler de La Gleize (commune dont faisait partie le hameau natal de L.R.). Fondateur des Cahiers d’analyse textuelle. Prix Francqui (1956).

Œuvres wallonnes :

Poésie : Frâdjèlès tchansons [Chansons fragiles], Stavelot, s.d. [1931], 16 p. — A tchèstê d’ poûssîre [Au château de poussière], Liège, L. Gothier et fils, 1946, 64 p. (avec adaptation française de Madeleine Peuvrate). — D’on-an à l’ôte [D’une année à l’autre] dans le collectif Poèmes wallons 1948, Liège, L. Gothier et fils, 1948, pp. 65-77 (avec traduction). — Fagne, Namur, « Les Cahiers wallons », 1969, 24 p. (avec traduction et notes). — Mwète-Fontinne [Morte-Fontaine], Namur, « Les Cahiers wallons », 1974, 24 p. (avec traduction et notes).

 

 

223                                                                       [Neuville-Francorchamps]

A 1′ prumîre eûre

 

Lu cî do lèvant è-st-à bèrbisètes,

dès rotchès loumîres corèt tot-avâ;

lu solo apond; blankasse èt come mwète

4   lu broheûr s’adjît inte lès hés, lavâ…

 

C’èst l’eûre do bon Diu, do sondje, du 1′ priyîre :

dès rôzès blawètes trèssièt so lès teûts;

èt lès-âbes, vwèlés d’one tinrûle poûssîre,

8    so l’ crèstê do tiêr avisèt tot bleûs…

 

A LA PREMIERE HEURE

  1. (…) à bèrbisètes, ciel moutonné. — 4. la brume se tasse entre les collines…
  2. blawète, bluette, petite étincelle; trèssyèt, tressaillent. — 7. tinrûle (néol. litt.), tendre. — 8. au sommet du coteau paraissent…

 

(p.554)

C’èst l’eûre do bon Diu, c’èst l’eûre qu’on sint s’ coûr

afûlé d’ bonté, èfîvré d’agrè; è l’ douceûr,

i passe dès frèssons d’amoûr;

12   è frâdjèle solo, lès-âmes s’adjègnèt…

 

Por mi, dju n’a d’ core dès pon.nes ni dès djôyes,

Sègneûr, quu vosse min spâdrè oûy sor mi;

quu dj’ gostèye, dè mons, qwand dj’ârè fêt m’ vôye,

16   lu paye dès voletés qui s’ savèt mêstri !

 

1930.

 

Frâdjèlès tchansons, p. 14.

 

 

224

Lu sondje

 

Dj’aveû fêt on bê sondje, et m’ cour aveût trèssyi.

Asteûre, tot qwand dj’i r’pinse, i s’èlîve â fond d’ mi

on mâvas r’grèt, qu’a totes lès coleûrs du m’ djônèsse…

4    Gn-a tant dès djônès fèyes qui m’ont drouvi leûs brès’,

Et d’on côp qu’ dj’a stou v’ni qui m’ont lèy ènn’aler.

Mês vos qu’ dj’aveû tchûsi èt n’ vos mây rèscontrer,

cumint avans-ne don fêt po nos hiwer tofêr?…

8    Dj’avans viké dès-ans, sins nos vèy, so l’ minme têre,

èt qwand qu’à l’ fin dès fins, nos-ûs s’ont ruc’nohou,

lès djoûrs èstint èvôye èt lès sondjes dustindous…

 

1936

 

Poèmes wallons 1948, p. 69.

  1. afûlé, enveloppé; … animé (litt. : enfiévré) d’énergie. — 12. s’adjègnèt, s’agenouillent.
  2. dju n’a d’core, je n’ai cure. — 14. spâdrè, répandra. — 10. la paix des volontés qui savent se maîtriser.

 

LE REVE

5 … que j’avais choisie et que je n’ai jamais rencontrée (litt1 : et ne jamais vous ren­contrer); sur l’infinitif substitut, déjà mentionné plus haut, cfr L. Remacle, Syntaxe, 2, pp. 120 ss. — 7. … pour nous ignorer (litt. : écarter) toujours. — 8. Nous avons vécu…, litt’: j’avons…; sur cet emploi, courant dans l’ancienne langue, de «je» pour «nous», cfr L. Remacle, Syntaxe, 1, pp. 217-218. — 9. … nos yeux se sont reconnus.

 

 

(p.555)

225

L’êr qui djâse

 

Dju loukéve vos-ûs et v’là qu’on-z-a oy

one êr, one fène êr, djâser èzès foyes.

Vos loukîz mès-ûs, lès foyes ont trèssyi,

4    èt nos n’ savans nin çou qu’ l’êr nos-a dit…

L’amoûr èt l’ bouneûr lûhint d’vins nos coûrs;

i gn-aveût d’zeû l’ monde lu cî d’on bê djoûr;

èt l’ solo clignetéve à l’ cwène d’one noûlé.

8    L’êr s’a tê on pôk, pwis ‘lle a co djâsé,

tot doûs, maîs si doûs ! come po s’ fé comprinde…

Quu sofléve-t-èle là ? Çu n’èsteût noule plinte.

Èle pârléve d’amoûr èt d’ bouneûr, moutwè ?

12   Mês poqwè pinsins-ne qu’èle duhéve ôte tchwè ?

 

[1943]

 

A tchêstê d’ poûssîre, p. 23.

 

 

226 Sètimbe

 

Çou quu l’ djoûr mu sonle amér,

tot-z-èstant come nos 1′ volins !

I fêt bon èt bleû èt clér,

4   èt portant vos n’ vinroz nin…

 

Dju v’s-oûh dit : « Come èles sont bèles,

lès foyes, avou l’ djène solo ! »

Vos-oûhiz louki vèr zèles,

8    èt mi, dj’oûh louki vèr vos…

 

L’AIR QUI PARLE. — êr, fém., air de musique.

  1. … et voilà qu’on a entendu. — 2. èzès foyes, dans le feuillage. — 7. … clignotait au coin d’un nuage… — 8. L’air s’est tu un moment (litf : un peu).

 

SEPTEMBRE

  1. Je vous eusse dit; on notera, ici et plus bas, le maintien en ardennais du subj. plus-que-parfait. — 7. Vous eussiez regardé vers elles.

 

(p.556)

Et v’là m’ pon.ne, è 1′ doûce loumîre,

è l’ loumîre qui tchante, qui rît,

mu pon.ne qui coûrt èt qui qwîrt,

12   tot criyant, tot-avâ l’ cî.

 

[1943]

 

Ibid., p. 35.

 

 

227

Les vîhès pon.nes

 

Elle ont ruv’ni, lès vîhès pon.nes du m’ vèye…

Totes dreûtes, avou leûs visèdjes èdwèrmis,

èles hoûtint là, èzès cwènes, âtoû d’ mi.

4    Dj’oû bèle d’à fé lès cwanses du n’ lès nin vèy;

dju lès sintéve aprèpi tot doûcemint.

Come dès sâvadjes, èles s’ont tapé so m’ coûr,

èt s’ l’ont rumwé avou leûs bètchous mins…

8    Dj’a moussi foû. C’èsteût l’ fin d’on bê djoûr.

Avâ lès-âbes, dju m’a k’toûrné lontins.

Lès foyes èt l’ nut’ m’ont djâsé d’ noste amoûr;

èt come mès vîhès pon.nes mu d’rayint co,

12   mu coûr houkéve dès grands côps après vos…

 

[1944]

 

Ibid., p. 51.

 

  1. … et qui cherche.

 

LES VIEILLES PEINES

  1. elles écoutaient là, dans les coins [de la pièce]. — 4. J’eus beau faire semblant de ne pas les voir. — 5. aprèpi, approcher. — 7. et (ainsi) l’ont remué avec leurs mains pointues. — 8. Je suis sorti. — 9. s(u) k’toûrner, ici : déambuler en tous sens. — 11. … me déchiraient encore. — 12. houkéve, appelait.

 

(p.557)

228

Lu sôdâr

 

Dju n’ sé s’il èsteût twèt ou târd.

Dju loukéve ruveni lès sôdârs :

leû bouneûr nu saveût qwè dîre.

 

4   I gn-aveût qu’onk, drî on camion,

pus vî quu l’s-ôtes, lès-ûs â lon,

come s’i n’ rutrovéve nin s’ payis.

 

Tot d’on côp, dj’a pinsé ruc’nohe

8   lès pleûs du s’ front, lu rôye du s’ boke;

èt t’oûh dit qu’i m’aveût louki.

 

Dju li a fêt sine avou m’ min;

mais s’ pôve visèdje n’a nin candji.

12   Adon, dj’a vèyou qu’ c’èsteût mi.

 

1946

 

Poèmes -wallons 1948, p. 77, repris dans Fagne, p. 6.

 

 

229

Lu vîhe ête

 

Adré l’ vîhe vôye, gn-a one vîhe ête

plin.ne du grandès sâvadjès wêdes.

 

C’è-st-on bê dimègne du prétins

4    qui r’glatih come l’ôr èt l’ârdjint.

 

LE SOLDAT

  1. … la ligne de sa bouche. — 9. et tu eusses dit… : tour expressif de syntaxe populaire où le pronom personnel remplace l’indéterminé «on».

 

LE VIEUX CIMETIERE

  1. … de grandes herbes sauvages. 4. r(u)glati, briller.

 

(p.558)

À fond d’ l’ête, gn-a one vîhe tchapèle

qui n’a pus ni sints ni tchandèles.

 

Et 1′ foûre qu’on vint d’ soy à costé

8    ode à fwèce lu sève èt l’ clarté.

 

So lès tombes, i d’meûre quékès pîres

quu nouk n’apwète pus noule priyîre.

 

È 1′ vîhe têre, gn-a dès vîhès djins

12    qui sont mwêrts duspôy bin lontins;

 

dès djins d’ volà, d’âvâ l’ viyèdje,

qui t’nint dès bièsses, qu’êmint l’ovrèdje,

 

èt qu’èstint ureûs come dju so,

16    è 1′ vîhe vôye quu dj’ rote â solo.

 

1950.

 

La Vie wallonne, t. 27, 1954, pp. 33-34, repris dans Mwète-Fontinne, p. 9.

 

 

230

Duspôy mèy ans…

 

Duspôy mèy ans, dj’a roûvyi tant dès-ans,

di-st-èle lu Têre, dj’a roûvyi tant dès djins !

Et fêt-à-fêt qu’ tot s’alowe, dju rastrind

4    èt dju stind tot d’vins mès porfonds ridants.

 

  1. et le foin qu’on vient de faucher (litt. : scier). — 8. oder, répandre une odeur; à fwèce, à force, abondamment.
  2. où personne… (litt.: que personne).
  3. qui tenaient (= élevaient) des bêtes…
  4. dans le vieux chemin où (litt. : que) je marche au soleil.

 

DEPUIS MILLE ANS…

3-4. Et à mesure que tout s’épuise, je range / et j’étends tout dans mes profonds tiroirs.

 

(p.559)

I gn-arè nouk qui dut’tinrè lontins

lu brut qu’ tu f’séves so 1′ vôye avou t’ bordon.

Su çoula t’ plêt, va s’ raqwîr lès dèssins

8    quu tu k’ssèméves è sâvion dès sâhons !

 

Louke ! quu gn-a-t-i qui vint d’ blaweter â lon ?

Mês nouk nu lîve lu tièsse; on n’ su d’mande nin

su c’èst dès fleûrs ou dès steûles qu’ ènnè vont,

12    su c’è-st-on-ome ou on sondje qui dustind.

 

On t’ kunohéve, on t’a k’djâsé sovint.

Vo-te-là tot seû, èt tès cayès r’ssont blancs.

Mês quu n’ rôs’ avâ l’ djoûr dès vwès d’èfants,

16    ou avâ l’ nut’ on loûrd hawèdje du tchin !

 

1951

 

La Vie wallonne, t. 27, 1954, pp. 34-35, repris dans Mwète-Fontinne, p. 11.

 

 

231

Lu dièrin voyèdje

 

I f’séve one supèheûr d’osté, lèdjîte èt clére.

I gn-aveût conte do mur nos grandès rôses du mér.

Vos-av vuni so l’ soû, èt qwand v’ m’av aporçu,

4   vos m’av dit tot riyant : « Dj’a tot d’né â Bon Diu. »

Dj’a oy quu dj’ rèspondéve sins l’ savu : « Djans-r’-zès, mamne. »

I gn-aveût deûs bordons qui plantint podrî 1′ hame.

Oute dès bwès, oute du l’ nut’, dj’avans roté lontins

8    vè nosse prumî viyèdje qui sèrè nosse dièrin.

 

  1. Il n’y aura personne qui retiendra (= se rappellera)… — 6. bordon, bâton. — 7. raqwîr, rechercher. — 8. que tu dispersais dans le sable des saisons.
  2. dustinde, s’éteindre.
  3. k(u)djâser, décrier, calomnier. — 14. … et tes cahiers sont de nouveau blancs. — 15. que ne réentends-tu… — 16. hawèdje, aboiement.

 

LE DERNIER VOYAGE

  1. s(u)pèheûr, obscurité. — 2. rôse du mér, rosé trémière. — 5. J’ai entendu…; djans-r’-zès, allons-nous en. — 6. … deux bâtons qui se dressaient derrière le banc. — 7. oute, à travers.

 

(p.560)

Dj’avans r’monté èssonle totes lès gritchètes du Wène

vè nosse prumî mâhon qui sèrè nosse dièrène.

I splènihéve tot bleû po totes lès cwènes do cî,

12   èt nosse tchin nos sèwéve, qu’èsteût duveni si vî…

 

1972

 

Mwète-Fontinne, p. 16.

 

 

232

Lu grande vèye

 

On n’èst nin tot seû è l’ grande vèye :

on k’no treûs djins so treûs cint mèye;

on ‘nn’a dès novèles qwand sont mwêrts.

 

4 Lès clokes sonèt sins qu’on lès-ôye.

On bahe lu tièsse; on rote su vôye,

come dès frumihs, oute lès trotwêrs.

 

Lu long dès murs sins fin, wice va-dje ?

8    Fât-i couri come on sâvadje

po heûre l’anôye quu dj’a so 1′ cwêr ?

 

Nu lîve nin l’ tièsse : è lu spèheûr,

è 1′ plèce dès steûles, on veût dès fleûrs,

12    lès neûrès fleûrs do désèspwêr.

 

1973

 

Ibid., p. 16.

 

— 9. … tous les raidillons de Wanne (village au sud de Stavelot où l’auteur a vécu ses premières années). — 11. splèni, faire des éclairs de chaleur. — 12. … nous suivait…

 

LA GRANDE VILLE

  1. on connaît trois personnes..
  2. frumih, fourmi.
  3. pour secouer l’ennui.

 

 

(p.561)

BEN GENAUX

 

Pseudonyme d’Oscar Genaux, né en 1911 à Ransart (Charleroi). Directeur d’école honoraire et surtout peintre et illustrateur.

 

Œuvres wallonnes :

Poésie : 27 au quautron [27 au quarteron], fables wallonnes, Gilly, L’édition moderne, 1941, 128 p. — Skèrlaches [Balafres], Charleroi, Imprimerie pro­vinciale, 1969, non pag,

Prose: Kègn 42 [Travers 42], Couillet, 1942, 118 p.; 2e éd., Luttre, Office d’édition Dantinne, 1959, 120 p.

 

 

233                                                                                               [Ransart]

Vilâdje

 

C’è-st-in drôle di vilâdje di kègne, à 1′ tchiroupe intrè twès tèris èy in brouyârd di Sambe. Ostont dire qu’i gn’a qu’ène rûwe : ç’ n’est nén lès saquantes cassures qu’ ont stî spotchîyes intrè

4 deûs môjos et qui spit’nut su 1′ costè qui fèy’nut d’ l’èfèt. Lès môjones is’ poûss’nut pau eu, aclapéyes yène su l’aute, dispûs 1′ fond d’ l’èglîje djusqu’à 1′ fosse du d’zeû. On dîreut qu’èle sont prèsséyes d’ariver à l’copète, du costè du soya.

8 Mau stitchîyes, mau r’iâvéyes, èle si r’chèn’nut tèrtoutes. I gn-âreut yène dins l’binde avou in griyâdje èy in scayî, — vos savez bén ‘n’do ? — qui ça vos-âreût l’air d’ène guèrnouye su l’nez d’ène bêle djonne fîye. Ou bén d’in muguet dins in royon d’ canadas.

12 Corne vos v’ièz ! Gn-a dès cènes qui n’ont nén yeû l’pacyince di griper ‘squ’au d’zeû du tiène, swèt-i qu’elle èstît mafléyes ou qu’èle d-avît leû sô d’ ratinde leû tour. Èle s’ont donè l’mwin,

 

VILLAGE

  1. di kègne, de travers, de guingois. C’est en détachant kègne de la locution dont il est inséparable que l’auteur a conçu le titre de son livre « Kègn 42 », pour signifier, dit-il, « que l’année 1942 [année de guerre] ” n’allait pas trop droit ” pour les gosses de ma classe que j’ai croqués sur le vif en cette fin d’année de misère aiguë » (lettre du 8 février 1943); à V tchiroupe, à croupetons. — 3. cassure, bicoque, cahute; spotchîye, écrasée. •— 4. qui spit’nut (au fig.), qui font saillie, qui éclatent hors de l’alignement. — 4-5. Les maisons se poussent au derrière, accolées l’une à l’autre…; is1 (se) et plus loin il art. (le) : antéposition de la voy. caduque dans certains monosyllabes; ce type se rencontre en Hainaut et en Hesbaye liégeoise. — 7. soya, soleil.
  2. Mal fichues, mal entretenues, elles se ressemblent. — 9. scayî, escalier. — 10. èn’do, n’est-ce pas. — 11. royon, sillon, rangée; canada, pomme de terre. — 13. tiène, côte,

 

(p.562)

corne dès-èfonts qui fêy’mit in rond pou djouwer à 1′ machine

16    qu’ est passéye. Du djoû, èle tatèl’nut corne dès vîyès conlètes

qu’èle sont, et par gnût, si l’lune a l’air di moustrer s’ mouzon,

èle pèt’nut d’s-assauts corne dès djonnes di gâtes qu’o vent d’

dislachî. Et c’è-st-ainsi qui 1′ vilâdje a yeû s’ place comune, à

20    mode dès grondés viles…

I  d’mèreut ‘ne vintène di mètes à vûde. Lès-ouyeûs di dlà d-ont profité pou z-î stitchî l’iscole : in miton pou 1’ cou, l’aute pou l’bâtimint. Gn’a nén in vert diâle qui sâreut vos dire çu qu’est

24 F pus vî : lès bèrdoûyes de l’coû ou bén lès poussières di d-pa d’zous lès bancs. A mwins qu’ ça n’ s’reut lès-aragn’rîyes di d-padrî l’tableau…

II  messe vike là-d’dins corne in moulon à keuwe dins Fonsègnîy :

28    « Chakin à s’ place ! » dist-i.

Dins lès preumîs tins qu’il èsteut là, il a cachî d’ raclapoter çu qu’i pouveut : il a muchî lès crâyes dès murs avou dès-imâdjes èy il a d’mondè qu’o r’bouche lès cènes du plafond, pace qu’i

32   plouveut su l’estrade mia qu’à Fuch. In djoû ou l’ôte, il plafond lyi tchéra su l’tchèrpinte. I l’set bén èy i ratind. Pusqu’i gn’a rén d’ôte à fé… I s’ continte tout boun’mint d’ ramoner l’tchumunéye à F rintréye

36 dès scoles et di r’nachî pa t’t-avô l’tchombe et l’môjo pou trouvu dès grîyes et dès coûsses pou s’n-istûve. Ç’ n’est nén ç’ mèstî-là qu’o lî a aprîs à scole, mins i set bén qui, si n’ s’è d-ocupe nén, gn’âra pèrsone pou l’fé à s’ place : c’est l’twèsième anéye qu’i

40 manque in boukèt corne mes deûs pougn au pot d’ l’istûve. I r’clame dispûs l’preumî djoû : c’est corne s’i clatch’reut s’ tièsse au mur !

 

montée; maflé, essoufflé. — 16-17. … elles font des commérages comme de vieilles bavardes qu’elles sont; mouzon, museau, visage. — 18-19. elles se livrent à des danses mouve­mentées. — 19-20. à mode, à la manière.

  1. … pour y fourrer l’école; iscole, de même plus loin istûve (poêle, cuisinière) et irwéte (regarde) : sauf en quelques endroits (dont Ransart), le timbre i est rare comme voyelle prosthétique; miton (var. de mitan), milieu. — 24. lès bèrdoûyes, la boue. — 27. … comme une larve de mouche dans le fumier.
  2. … il a cherché à rafistoler… — 30. … il a caché (= masqué) les interstices… — 32-33. … le plafond lui tombera sur la carcasse.
  3. r’nachî, fureter. — 37. coûsse, coude (de tuyau de poêle). — 40. … un morceau [de fonte] comme mes deux poings… — 41. clmchî, claquer, ici : lancer ou projeter bruyam­ment.

 

(p..563)

Ça z-a stî dur, mins il a fini pa n’ pus s’ d-è fé : i faut in messe

44   là-d’dins corne o z-astoke in bos dins ène winne au tchèrbon :

ça tént çu qu’ ça tént. Quand ça poûrit et qu’ ça s’ dismougne,

0  1′ fout au diâle èy o d-è r’prind èn-aute…

Pusqu’i d-è faut yin,  ostont qu’ ça fuche li :  n’a-4-i nén djà

48    l’abutude dispûs lontins ?

1 s’ console en r’cachant lès spites di lumière dins lès-îs dès-èfants, quand i dèssin’nut dès-aréyoplanes à cint places et dès sous-marins à cinquante canons su leûs-ârdwèsses. Çu qu’i n’ lyeû z-a jamés vu

52 dessiner dispûs lès-anéyes qu’il est là, c’est dès gamins bén abiyîs, avou dès « cols-marins » et dès tchapias à platènes, corne su lès-îmâdjes, et dès bêles Madames qui mindj’nut de 1′ taute avou yeûs’ dins lès bias boutiques de F vile…

56 Pourtant, ç’ qu’i d-a d’djà vu, dès gamins ! I lès conèt corne s’is-èstît d’à li : i set bin qu’i faut mète Gustave tout près d’ l’istûve pace qu’il a toudi frèd et qu’i faureût co 1′ mète au preumî banc pace qu’i n’ vwèt nén clér di l’î dwèt. I set co bén qui s’ vijin

60 a yeû 1′ gale l’anéye passéye, qui Robert a yeû lès roudjeûs et qui P pus p’tit de P binde in’ pout nén couru pace qu’il a ‘ne doube-èrnîye. L’orâye de P pitite Djouwète sûne dispûs saquants mwès : si ça continûwe, i d’véra sourd di ç’ costè-là.

64 I gn’a né ène brogne qu’o sâreut lyi catchî. D’ayeûrs, lès gamins vèn’nut lès moustrer d’yeûs’ minmes : à qui ç’ qu’i d-irît bén s’ plinde d’ôte ? In bon r’nètchâdje roci, in boukèt d’ wate rolà èy ène loque au-d’zeû du mârtchi quand c’est pus sérieûs. I n’ sâreut nén conter

68 lès spènes qu’il a r’tirè dès dwèts, mins çu qu’i pout vos dire, c’est qu’i gn’a jamès yin qu’a brét tins d’ l’opèrâcion. Et pourtant, ça n’ fét nén toudi doudoûce !

 

  1. … par ne plus s’en faire… — 44. … comme on cale un bois dans une veine de galerie

minière.

  1. … en épiant les éclats de lumière dans les yeux…
  2. … il ne voit pas clair de l’œil droit. — 60. lès roudjeûs, la rougeole. — 62. Djouwète a ici valeur de sobriquet pour désigner le gamin de la classe qui aime trop le jeu, qui est une « jouette » ; sûne, suinte.
  3. brogne, contusion, ecchymose. — 66. Un bon nettoyage ici, un tampon d’ouate; rolà, là (opposé à roci).

 

(p.564)

 « Bah !, dist-èle il feume du Flincheû, il est payî pou ça, hein,

72    m’n-ome ? Èy après tout, ça pout bén awè ‘ne miyète di rûjes; ça n’ fout rén et ça gangne tous lès liârds ! »

Çu qu’èle ni set nén, 1′ feume du Flincheû, c’est qui 1′ dérin dès-ouvrîs luve ène ossi grosse quinjène qui li… Èle li sâreut co,

76    d’ayeûrs, qui ça n’ condj’reut rén à rén.

Et lès djoûs pass’nut dins ç’ vilâdje-là, yin après l’ôte, corne à Brussèle. In côp gris, in côp mwins gris. Mins gris tout 1′ minme.

Quand lès-èfonts s’ téj’nut et qu’o n’ètind qui 1′ brut dès touches

80    su lès-ârdwèsses, il messe irwéte pa côps pa 1′ fègnèsse èy i choûte

il richot qui passe à ène pichîye di d-là. L’eûwe qui vent de 1′ fosse

du d’zeû bèrwète dès bwèsses à conserves à truviès tout 1′ vilâdje.

Ça fét ène drôle di musique : à ikèts, corne in vî ér di viole dé

84    1′ contwèr d’ène bwèsse à chnik. Et c’est ç’n-ér-là qui 1′ messe

a fini pa vîr voltî. S’i trinne ène rayîye di soya à 1′ rawète, i d’vént

tout sondjâr èy i rouvîye qui, 1′ samwène di d’vont, il feume qui

r’iâve lès scoles a stièrdu s’ pupite avou ç’n-eûwe-là. Et vos 1′ savez

88    bén, ‘n-do, quand in richot passe toute is’ vikérîye intrè deûs

rindjîyes di môjos, il a tout 1′ tins d’ fé dès drôles di con’chances…

A ces momints-là, il voûreut bén yèsse in diâle qu’on n’ vireut nén et qui d-ireut r’luver lès twèts dès baraques, corne o r’luve

92 li couviète d’ène bwèsse à cigares. Ou bén F crape d’in mau. I lyi chêne qu’i vîreut d’s-afêres à tchér au r’vièrs, lès-afêres qu’il ètrèvwèt quand il r’luve il couviète dès tièsses di ses gamins…

« Après tout, c’est co p’tète pire dins lès môjos de 1′ vile ! » dist-i.

 96    Si ç’ n’est nén tout-à-fét F vré, ça Firconsole toudi ‘ne miyète et c’est toudi ça d’ gangnî !

 

 

7l. Flincheû (sobriquet), cogneur. — 72. m’n-ome, mon bonhomme (l’instituteur); rûjes, difficultés (litf : ruses).

  1. … lève (= reçoit) une aussi grosse quinzaine (= salaire) que lui. — 76. condj’reut (var. de candj’reui), changerait.
  2. touche (franc, rég.), crayon d’ardoise d’écolier. — 80-81. … et il écoute le ruisseau qui passe à quelques pas (litt* : une pissée) de là; fosse, puits de houillère. — 82. … charrie (litt*. brouette) des boîtes à conserves… — 83. à ikèts, par secousses, à petits coups. — 84. près du comptoir d’un boui-boui. — 85. rayîye di soya, rayon de soleil; à l’rawète, en surplus. — 87. stièrdu, essuyé.
  3. couviète, couvercle; crape, croûte; mau (litt* : mal), plaie, blessure. — 93. … qu’il verrait des choses à tomber à la renverse.

 

(p.565)

Çu qu’est seûr, c’est qui 1′ messe est contint corne in bossu quand 1′ bèrzéke di l’iscole — gn-a toudi yin pa tous costes — lî apôte

100 saquantes tchabaréyes. Quand ç’ n’est nén quate fleurs di pichoulis et deûs sûrèles di vatche. Yène corne l’ôte, avou 1′ minme pléji, i lès stitche dins ène bwèsse à conserve, su s’ pupite. En-n-uchant bén sogne di r’culer lès poussières…

 

« Kègn 42 », pp. 7-11.

 

  1. /’ bèrzéke,  le  braque,  l’idiot.  —  100.  tchabaréye,  jonquille;  pichouli,  pissenlit.  — 101. surèle di vatche, oseille d’eau.

Willy Bal

(p.566)

WILLY BAL

 

Né en 1916 à Jamioulx (Charleroi). Professeur de linguistique romane à l’Uni­versité catholique de Louvain après avoir enseigné à l’Université Lovanium à Kinshasa (ex-Léopoldville). Auteur d’études de dialectologie wallonne, de critique littéraire, de linguistique, notamment d’une Introduction aux études de linguistique romane (1966) et de divers travaux sur les contacts romano-africains.

Œuvres wallonnes :

Poésie : Oupias d’avri [Bouquets d’avril], extraits dans La vie wallonne, t. 15, Liège, 1935, pp. 208-214 et édition de la lre partie, [Namur, 1949], t. à part (20 ex.) du journal Vers l’Avenir, [34 p.]. — Au soya dès leups [Au soleil des loups], poème, Namur, n° spécial des Cahiers wallons, octobre 1947, 16 p. — Nos ri pièdrons nin [Nous ne perdrons pas], poème dans le collectif Poèmes wallons 1948, Liège, L. Gothier et fils, 1948, pp. 7-21 (avec traduc­tion). — Poques et djârnons [Plaies et germes], Charleroi, Les éditions du Bourdon, 1957, 62 p. (avec traduction).

Prose : Trwès contes, Charleroi, Impr. Barry, 1938, 12 p. — // aveut porté r soya dins s’ besace [II avait porté le soleil dans sa besace], nouvelle, [Namur, Impr. des Cahiers wallons], 1951, 20 p. — Fauves dèl Tâyes-aus-Frêjes et contes dou Tiène-al-Bîje [Fables de la Taille-aux-Fraises et contes de la Côte-à-la-Bise], Liège, Société de Langue et de Littérature wallonnes, Collection littéraire wallonne n° 2, 1956, 107 p.

Essai : El région dins ï monde, Charleroi, Impr. Barry, 1936, 18 p.

 

 

234                                                                                              [Jamioulx]

Afuts d’ julèt’

 

O lès breunes qui tchèyeneut dins lès-èstès d’afut,

lès breunes come ène alêne dès djoûrnéyes dè fènâdje,

èldjêres èt pourtant plènes dès sinteûrs dou fourâdje

4   ramoncelè pa-z-utias dèssus lès pachîs nus !

 

 

AFFUTS DE JUILLET

  1. breune (litt* : brune), crépuscule; tchèy’neut, tombent. — 3. èldjêre, légère. — 4. ras­semblé par gros tas sur les prés dénudés.

 

(p.567)

O lès breunes qui tchèyeneut d’in gout d’ rôse èspanîye

ou dè céréjes fôrt meûtes qui pèteneut d’ trop d’ soya,

en fiant brotchî leû djus come èl sève ramatîye

8    qui sûne su lès sapins dins lès findaches dè l’ pia !

 

O lès breunes qui tchèyeneut su lès tiènes arondis

en s’ modelant docîlemint au cripèt rapauji

come dins l’ pâme dè l’ mwin ployé ène tinre baguète d’osiêre,

12    quand lès-omes dèlé l’ feu trèsseneut dès mandes, l’iviêr…

 

Oupias d’avri, dans La Vie wallonne, t. 15. p. 210.

 

 

235 Murs blankis

 

Lès vîyès, vîyes mésos dèssus l’ tins d’à plandjêre,

lès vîyès, vîyes bounes djins qu’ s’assoupicheneut paujêres

en-n-aspoyant leû tièsse conte èl dos dè l’ tchèyêre…

 

4   Èl gris marou somîye dèdins l’ foncha dou skoû,

èet toute èl mésonéye sondje èt rève dès vîs djoûs,

èt l’ grande ôrlodje en tchin.ne bârloke ès’ pwès tout doûs.

 

Lès murs dè l’ place sont blancs èyèt l’ soya d’awous’

8  a l’ balzin, èsbartè ‘ne miyète, èt pwîs s’èrmousse,

tameji pau tène èstaure èyèt s’ brichôde à l’ doûce.

 

  1. èspanîye, épanouie. — 6. ou de cerises trop mûres qui éclatent de (trop de) soleil. — 7. ramatîye, humide. — 8. sûne, suinte.
  2. tiène, colline. — 10. … sur la crête apaisée. — 11. comme dans la paume de la main plie une tendre baguette d’osier. — 12. trèsseneut dès mandes, tressent des paniers.

Traduction

 

MURS BLANCS

Les vieilles, vieilles maisons au moment de la sieste, — les vieilles, vieilles bonnes gens qui somnolent paisibles — en appuyant la tête au dossier de la chaise…

Le chat gris sommeille au creux du tablier, •—• toute la maisonnée songe et rêve des vieux jours, — la grande horloge de chêne balance son poids, tout doux…

Les murs de la pièce sont blancs et le soleil d’août — tremblote, un brin effarouché, puis reparaît — tamisé par le fin store et se répand en douce.

 

 

(p.568)

Et l’ méso ‘st-adôrmîye, pitète en ratindant

‘ne saqui d’avoye arî… et qu’on wâde dins l’ ridant

12   1′ pôrtrét jauni dès-ans qui fét brére èl mouman.

 

Lès vis pèteneut leû quârt; dins lès blès, c’èst l’awous’.

Més droci s’a brèchi ‘ne sinteû d’ pâke qui s’èsplousse

à 1′ pâdje dou lîve dè mèsse què l’ dwè s’aspoye èt frouche.

 

16    Et lès meûbes sont lûjants d’zous l’ soya pètant d’ crèsse,

polis pa mwintès pâmes, come dodinès d’ carèsses,

èt c’èst l’ bouneûr-du-joûr, l’encwègnure èyèt l’ drèsse.

Trwès-eûres soneneut; l’ méso va sè r’mète à ranchener…

20   Èl cokemâr tchante su l’ bûse; bin râde faura r’ciner !

 

Ibid., pp. 211-212.

 

 

236

Avri

 

Nos stins d’ l’aci trimpè dur pou lès tayants d’èpe;

èt v’ci l’âvri qui vint nos ratinri.

 

Nos djèrèts astint reuds come in tchènelin r’ssuwè;

4   l’ solia tout nieu, v’ci qu’i nos dèstinguèle.

 

La maison dort, peut-être en attendant — quelqu’un parti au loin… dont on garde en un tiroir — un vieux portrait jauni qui fait pleurer la mère.

Les vieux font la sieste; dans les blés, on moissonne. — Mais ici s’est glissé un parfum de buis qui s’effeuille — à la page du paroissien que le doigt presse et froisse.

Et les meubles sont luisants sous le soleil oblique, — polis par tant de mains, comme choyés de caresses, — et c’est le « bonheur-du-jour », l’encoignure et le dressoir.

Trois heures sonnent; la maison commence à s’agiter… — la bouilloire chantonne sur le poêle; bientôt l’heure du café !

 

AVRIL

  1. Nous étions [semblables à] de l’acier trempé dur pour les tranchants de hache.
  2. tchèn’lin, chêneau (tchinnia, archaïque, ne survit qu’en toponymie, à Jamioulx); r’ssuwè, essuyé, c’est-à-dire dont le bois est devenu sec après l’écorçage. — 4. soya, soleil; … voici qu’il nous détend.

 

(p.569)

Wé ! dè l’ djoute à-z-ôrtîyes, ‘ne salade à pichoulis;

sclèpes d’a, vinégue… l’amér nètîye èl sang.

 

Nos tchikerons dou bôli avou 1′ djon.ne séve qui sgoute

8    èyèt l’ vint coumèlera lès florisons.

Adon l’esté véra pèter s’ some à plandjêre.

 

La Flûte de Pan, hebd., n° du 4 avril 1937. Version nouvelle revue par l’auteur.

 

237

Nos n’ pièdrons nin

(Extrait)

 

Ô ! dins vo-n-istwêre, mès djins,                            Vv– 120-fin

l’istwêre dè vos djoûs longs come dès djoûs sins pwin,

l’istwêre dès djoûs èt dès-anéyes què vos-avèz scrèpè,

4   come ène gade su l’uréye, come ène gade au pikèt !

Dès vîyes t’t-intiêres à n’ rin lèyi piède,

ni ‘ne grûjète dè tchèrbon ni ‘ne brokète dè bos,

ni ‘ne pan.me dè fromint quand on d-aleut mèchener,

8    ni in pun d’ coupète quand on d-aleut rabassiner

dou tins dès grands pachîs d’ peumîs,

ni co in canada roubliyi pau binwè…

 

  1. ajoute, nom donné non seulement à une préparation culinaire dont le chou est la base, mais aussi à tout légume vert (ici, des orties) cuit avec des pommes de terre; pichoulis, pissenlits.

 

— 6. sclèpe, éclat d’une gousse; a, ail.

  1. bôlî, bouleau; zgouter, égoutter. — 8. florison, floraison. — 9. … viendra faire sa méridienne.

 

NOUS NE PERDRONS PAS

2 .scrèpè, raclé, en sous-entendant ici : pour chercher la nourriture. — 4. comme une chèvre sur le talus. — 6. grûjète (ou groûjète), petit morceau, en parlant du charbon ou du bois; brokète, chevillette (de bois). — 7. pan.me, épi; mèch’ner, glaner. — 8. pun d ‘coupète, pomme restée au sommet de l’arbre; rabassiner, recueillir les fruits qui restent après la récolte. — 9. au temps des grandes prairies [plantées] de pommiers. — 10. … une pomme de terre oubliée par le « binoir » (petite charrue servant à butter les pommes de terre).

 

(p.570)

ô ! dins vo-n-istwêre, mès djins,

12   i gn-a pont d’ grands nos,

i gn-a pont d’ grandès dates à r’tèni !

Est-ce qu’i-gn-aureut quate lignes dins dès lîves ?

 

Vo-n-istwêre, èt co ‘ne miyète èl nowe,

16   èle èst toute courte !

Vos-avèz vikè, vos-avèz ieû dès rûjes,

vos-avèz grasenè, vos d-avèz pâti d’ toutes lès cougnes.

 

Èyèt maugrè tout, ‘n-don…

 

20   Maugrè qu’ lès manants come nous-ôtes

ont toudi trouvé dès sègneûrs pou leû fé bate l’eûwe

èt dès rwès d’ Prusse — dè toutes lès sôtes —

pou lès fé travayî pour ieûs’,

24   èt dès trafikants pou s’ pèker su leûs p’tits liârds,

èt dès fèyeûs d’ guère pou leû prinde leûs djon.nes-omes,

èt dès bonèts à pwèy èt dès frakes à dorures

pou tout dèstèrminer pa t’t-avau 1′ djeu

28    èyèt satchî dès troupias d’ sôdârds

d’in d’bout à l’ôte dou monde,

V’là lès sôdârds, grand mére, sauvèz vo gade,

32    grand mère, sauvèz vo ftye !

 

Maugrè lès sôdârds èt lès monseûs,

maugrè lès-ussiers èt lès gabeleûs,

vos-avèz t’nu, vos-avèz d’mèrè,

36   come èl bone a t’nu, léye, sins crankyî,

sins crombyî, come èl bone a wéti su no boukèt d’ têre…

 

 

  1. èl nowe, la nôtre. — 17. rûjes (litt. : ruses), difficultés, épreuves. — 18. vous avez gratté dur, vous avez souffert de toutes les façons. — 19. (è)n-don, n’est-ce pas.
  2. s’ pèker, se jeter. — 26. et des bonnets à poils et des vestes à dorures : allusion aux uniformes de la valetaille policière de l’ancien temps. — 27. sens : pour tout renverser. — 30-32. Arrangement d’un ancien refrain populaire contre la soldatesque.

33-34, lès monseûs, les maîtres. — 34. gabeleû, gabelou. — 36. comme la borne a résisté, elle, sans broncher. La première partie du poème chante la découverte que vient de faire le poète d’une borne plantée par ses ancêtres et enfouie dans le champ qu’il remuait : elle lui apparaît comme le symbole de la continuité paysanne, victorieuse du temps et des hommes. — 37. crombyî, se courber, fléchir. — 38. a wéti, a veillé.

 

(p.571)

Et come, à fét qu’ène saqwè skèteut,

40   vos r’pèrdîz l’osti pou l’ rabistoker

ou dô bin pou l’èrfé à nieu…

 

Hô ! mès djins, vous-ôtes, lès cins qui n’ ployint nin,

lès stokasses, lès durès tièsses,

44   lès toûrseûs, lès coriants tchin.nes,

lès tièstus baudèts,

lès cayaus, lès bones dè pîre

qui mârkeneut lès têres gangnîyes,

48    in-n-apas après l’ôte !

 

Maugrè tout,

maugrè lès-eûres qu’on s’alan.mit,

lès niûts qu’on s’ dèsbautche,

52   l’awous’ gâtéye, lès campagnes poûrîyes,

lès pwins toudi trop courts et lès djoûrnéyes trop longues,

lès dîminces sins bouli su l’ tâbe

èt lès grèves pièrdûwes dins lès corons sins soya,

56    maugrè l’ colèra dins l’ payis, maugrè l’ cocote ou staule,

De la famine, de la peste et de la guerre,

délivrez-nous, Seigneur !

 

Maugrè lès cints d’anéyes qu’il a falu viker ascroupis,

60    à soufler su l’ pètite flame,

maugrè tout,

vos n’avèz nin lyi dèstinde èl feuwéye,

maugrè tout,

64   vos n’avèz nin pièrdu èt nos n’ pièdrons nin,

t’t-ossi lontins qu’ nos wâderons ‘ne rayîye dè soya,

in quârti d’ jwè,

t’t-ossi lontins qu’ nos-agnerons au pwin qu’ nos-aurons gangni,

 

 

  1. … à mesure que quelque chose se brisait. — 40. osti, outil; rabistoker, réparer. —
  2. ou dô bin, renforcement expressif de « ou bien ».
  3. toûrseû, lutteur; cariant, coriace. — 48. apas, enjambée, pas.
  4. s’alanmi, se faire du mauvais sang. — 51. les nuits où l’on se désole. — 52. awous’,

moisson. — 54. les dimanches sans bouilli (plat de viande). — 56. … malgré la « cocotte »

(stomatite aphteuse) dans l’étable.

  1. feuwéye, petit feu. — 65. rayîye, rayon. — 66. une portion (litt. : « quartier ») de joie.
  • choû, giron. — 71. fosses à bètch, fossettes à baisers.

 

(p.572)

68   t’t-ossi lontins qu’au niût,

nos s’rons binaujes dè l’ djoûrnéye bin fête,

èt qu’ nos-aurons, dins 1′ bèrce ou bin su 1′ choû dè l’ moman,

in p’tit visâdje avou dès fosses à bètch

72   èyèt ‘ne bouche à risètes,

nos n’ pièdrons nin,

pace què nos-astons lès vrés vikants.

 

1946-1947

Poèmes wallons 1948, pp. 17-21.

 

 

238

E1 complinte dè Djan Pansau

 

« Djan Pansau n’a nin co soupè,

i d’mande in p’tit boukèt,

tayèz bin, tayèz mau,

4   in p’tit boukèt pou Djan Pansau !

 

Djan Pansau n’a nin co soupè,

ni co din.nè, ni co d’djènè.

8          I d’mande in p’tit boukèt.

Tayèz bin, tayèz mau,

in p’tit boukèt pou Djan Pansau !

 

LA COMPLAINTE DE JEAN PANSARD. — Pansau (pansard) a ici le sens de glouton par dérision. Djan pansau « sorte de gueux légendaire qui personnifie les mendiants récla­mant la part de Dieu dans les repas de noces, les fêtes et les festins » (J. Waslet, Dict. wallon-givetois cité dans EMVW, 4, 172) est connu par une chanson de quête du Carnaval attestée naguère dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, les Ardennes et la Champagne où elle pré­sente un incipit à peu près invariable qui forme le début de la complainte de W. Bal (vers 1-4). De type folklorique un tantinet grotesque, le minable Djan Pansau s’élève ici au symbole de l’enfance malchanceuse qui pleure son abandon et sa faim.

  1. boukèt, morceau.

 

(p.573)

— Passèz vo tch’min, crèkion !

12    In djoû d’ Carnaval, nos n’avons

nin 1′ tins d’ fé toutes vos misaumènes.

Nos mindjons dès restons,

riyons plin no boudène,

16          pètons saquants fèrdènes.

Passèz vo tch’min, crèkion !

 

— Vos n’avèz nin 1′ tins,

mès bounès djins,

20                 çoula s’ comprind :

faut fé dès vôtes

en racontant dès prautes,

danser dès rigodons,

24                 tûter saquants canons

èt cakyî lès grossès dondons !

 

Et mi, dj’ seû Djan Pansau,

Djan qui sint mwés come in vèssau,

28    Djan qu’èst t’t-ossi blanc qu’in nîyau,

Djan qu’èst t’t-ossi léd qu’in bwègne-clau.

Si dj’ seû Djan Pansau, c’èst d’ fé djène

t’au d’ dèlon dè l’ samwène,

32          iviêr, campagne, toudi carème.

 

Si dj’ seû-st-in Djan Pansau,

c’èst què dj’ n’é jamwés mougni m’ sô,

in seul côp dè l’ samwène !

36          Escusèz-me don, mès djins !

 

Si dj’ seû-st-in Djan Pansau,

c’èst què dj’ n’é jamwés mougni m’ sô

 

 

  1. crèkion, gringalet, avorton. — 13. misaumènes, mômeries. — 14. rèstons, crêpes légères, pâtisserie traditionnelle du Mardi-gras; on en mange pour ne pas être mordu des mous­tiques. — 15. Rions plein notre bedaine; boudène, nombril, p. ext., ventre. — 16. Le sens est : faisons le fou; fèrdène, litt. : fredaine.
  2. vôte, crêpe ordinaire. — 21. prautes, plaisanteries. — 24-25. lamper quelques grands

verres et lutiner les grosses donzelles.

  1. qui sent mauvais comme un péteur. — 28. nîyau, œuf de craie. — 29. bwègne-clau,

bouton de fièvre.

  1. fé djène, jeûner. — 34. mougnî (péj.), manger, en parlant des bêtes; le terme relevé est

mindjî.

 

(p.574)

dèspûs bin dès samwènes !

40           Èscusèz-me don, mes djins !

Èm’ marne è-st-ène putin,

èm’ pa, c’è-st-in vaurin

èt mi dj’ seû tout crombin

44           pou payî leûs fèrdènes.

 

Dj’ seû 1′ djon.ne qu’on n’a nin fét èsprès,

vûdi d’ène boutêye dè pèkèt.

Dîrîz bin comint dj’é scapè,

48    comint-ce què dj’ n’é nin stî span.mè ?

èm’ mame a tout asprouvè…

 

Èrsuwè au vint d’ bîje,

pus souvint cu tout nu qu’en tch’mîje,

52           dîrîz bin comint dj’é scapè ?

Èspani avou de 1′ lapète,

ambèrnè quand dj’î-st-à l’ fachète,

diriz bin comint dj’é scapè ?

56   Faut crwêre què dj’ tèneû dins m’ cossète !

 

Pus sovint docsinè

què dodinè, pus souvint maclotè

60                  què bètchotè,

djè seû iun qu’on n’ wèt nin pus vol’tî

qu’ène èrèsse dins s’ goyî,

qu’in cras moulon

64                  dins n-in djambon.

« In djon.ne parêy, qui-èst-ce qui m’ l’a tchî !

ça n’a qu’ dès léds vices à l’ boudène ! »

El ragoutâdje dè leûs fèrdènes !

 

 

  1. crombin, tordu, contrefait.
  2. Diriez-vous bien comment j’ai réchappé (allusion ici et dans les deux vers suivants aux

pratiques abortives de la mère). — 48. span.mè, rincé. — 49. … a tout essayé.

  1. Sevré avec de la lapète : breuvage insipide ou trop léger. — 54. embrené quand j’étais

au maillot. — 56. cossète, étui, gaine; tèni dins s’_, être bien accroché (là où on est).

  1. docsinè, frappé, battu. — 58. dodinè, cajolé. — 59. maclotè, qui a reçu une « danse ».

— 60. bètchotè, embrassé (t. affect. et enfantin). — 62. qu’une arête dans son gosier. —

  1. moulon, ver. — 65-66. Le monologue de Djan Pansau est ici interrompu par les propos

qu’on rapporte de la mère indigne. — 67. ragoutâdje, action de recueillir les dernières

gouttes d’un liquide qu’on extrait; ici, au fig. : la séquelle de leurs turpitudes.

 

(p.575)

68    On m’ rabîye « Au Pania Trawè »,

on m’acrache « Au Clér Bruwèt ».

Dj’é pus d’ grésse su lès pans dè m’ frake

què dj’ d-é su mes rognons,

72    à fôce d’atraper dou plom’zak

èt dou rocheton pus souvint qu’ d’awè dès restons.

Et pus d’ ranchenéyes

76                 què d’ fricasséyes.

Mwins’ dè bètch què d’ mouzons

èt pus souvint dès « pète au diâbe ! »

què l’ fauve dou mârtchand d’ sâbe.

 

80   Djan Pansau n’a nin co soupè,

i d’mande in p’tit boukèt.

Tayèz bin, tayèz mau,

in p’tit boukèt pou Djan Pansau !

 

84                 — Oh, soye soyète !

passe èt’ tchèmin,

tu r’véras d’mwin.

Audjoûrdu, vive lès-amûsètes ! »

 

Pogues et djârnons : tchansons, complaintes et priyêres, p. 45.

 

 

239

Dies irae

 

Ç’asteut èn-ome qu’on mak’sôdeut,

èt qui brèyeut èt qui criyeut,

timpe au matin èt tins d’ douze eûres,

 

 

  1. On m’habille « Au pan [de chemise] troué ». — 69. On m’engraisse « Au Brouet léger ».

— 71. rognons, reins. — 72. dou plom’zak, de la schlague. — 73. et de la trique. —

  1. Et plus de raclées. — 77. mouzon, mine renfrognée. — 79. Allusion à un conte (fauve)

pour endormir les petits enfants.

  1. Locution expressive dant le sens équivaut à « la barbe ! »; soyète, personne « sciante »,

ennuyeuse.

 

(p.576)

4    èt qui oupeut èt qui ukeut

co toudi à mègnût-mègne-z-eûres.

 

Més gn’aveut, dins lès djins,

lès mourzouks qui rûtyint,

8           lès blèfauds qui tatelint,

lès pèketeûs qui tûtint

èt lès losses qui djipint,

qu’i n’asteut co nule eûre

12           dèqu’à mègnût-mègne-z-eûres.

 

 

Èn-ome qu’on aflacheut,

ç’asteut ‘ne bouche qui san.neut,

ène vîye chaurdéye bouche qui grigneut

16   ène grande fayéye trape qui r’beûleut,

ène pôve bouche qui brèyeut.

 

Lès bounes-âmes, pou n’ pus ièsse alan.mîyes,

l’aurint vol’tî stoupè avou d’ l’ârzîye :

20    si vos savîz, l’ome qu’on tûwe, come i crîye !

 

Més ça n’a nin stî rèquis.

què l’ bon Dieu fuch èrmèrcyi :

l’ome a fini pa stoufi.

 

Novembre 1956.

Ibid., p. 26.

 

Traduction

DIES IRAE

C’était un homme qu’on massacrait — et qui pleurait et qui criait, — tôt le matin et à

la pause de midi, — et qui hélait et qui appelait, — encore toujours à minuit-mille heures (*).

Mais, dans la foule, il y avait — les grincheux qui grommelaient, — les bavards qui

péroraient, — les ivrognes qui trinquaient, — les libertins qui bouffonnaient, — de l’aube

à peine levée — jusqu’à minuit-mille heures (1).

Un homme qu’on abattait, — ça faisait une bouche tout en sang, — une vieille bouche

fendue qui grimaçait, — un affreux trou béant qui gueulait, — une pauvre bouche tout

en larmes.

Les bonnes âmes, pour avoir la paix, — l’auraient bien fermée avec de l’argile : — si vous

saviez, l’homme qu’on tue, comme il crie !

Mais ce n’a pas été la peine. — Que le bon Dieu soit remercié : — l’homme a fini par

étouffer.

 

(1) L’expression wallonne signifie : à minuit et au-delà.

 

(p.577)

240

Ç’asteut s’ gamin

 

«… Nos cœurs vibrent à l’unisson, en ce jour sacré où nous commémorons le sacrifice glorieux du plus valeureux de nos enfants… »

 

— Èm’ gamin, dist-i Gus’ dou Tchique, mes nin tout haut pace

5    qu’i n’est nin contrariant.

C’est 1′ mayeûr qui pète in si bia francès, en fiant s’ discours pa d’vant 1′ monument aus morts. I s’èrcrèsse corne in coq de sôte. Il a s’ visâdje t’ossi roudje que F curé, dès dîminces qu’i gn-a, quand i tchante vèpes et qu’i met s’ barète ène miyète su 1′ costè

10 (c’est bon signe !).

Èl vilâdje est p’tit. Eûreûs’mint, gn-a yeû qu’in tuwè à ç’ guère-ci : èl garçon d’à Gus’ dou Tchique. On-z-a scrît s’ no pa d’/ous lès cins d’ quatôze.

Qu’i fét bon audjoûrdu !  C’est pléji : in bia dîmince d’esté; èl

15    soya lût, i toke même (corne èç’n-anéye-là, au mwès d’ me). On

fièsse èl victwêre : grand-messe tchantéye à trwès curés au matin,

cortéje au monument après 1′ dinner, avou lès-èfants d’ l’èscole,

dès fleurs pa t-t-avô, au pîd dou sôdârd de pire, èl fanfare qui

sûwe et qui r’lût. Tout plin d’ djins. Branmint dès clérès cotes.

20    Lès-èfants avou leû bia costume, èl mwésse qui leû r’boule dès

grands-îs pou qu’i s’ djok’neuch. Èl camion de 1′ brassène a fét

‘ne toûrnéye èsprès au matin.

 

C’ETAIT SON GARS. — Traduction approximative. Le fils grandi est resté pour son père le jeune garçon, autrement dit le « gamin », ce terme ne comportant pas ici la même valeur qu’en français.

  1. Gus’ dou Tchique, sobriquet combinant le prénom Auguste et le nom fém. chique (de

tabac), suivant une habitude du personnage décrite aux lignes 89-90. — 6. mayeûr, maire,

bourgmestre.

  1. coq de sôte, coq de combat.

12-13. On a ajouté son nom en dessous de ceux de quatorze (allusion au monument commémoratif des soldats morts à la guerre de 1914-1918). — 15. le soleil brille, il frappe même, comme cette année-là, c.-à-d. en 1940. — 19. Beaucoup de toilettes claires. — 21. le maître [d’école] qui leur roule de grands yeux pour qu’ils se tiennent tranquilles. — 21. brassène, brasserie.

 

(p.578)

Au preumî rang, v’ià 1′ Président d’Honeûr. Il a ‘ne pane de

24 vêre, i tint s’ tchapia à s’ mwin, deûs dwès pus haut que s’ tièsse,

peu d’ tourner à kèrton. Pwîs v’ià in Président et co èn-aute

Président, in Major de 1′ garnison qui r’présinte le Rwè èyèt

1′ Commandant d’ Gendarmerie et Mossieu Debeurre de l’Usine

28 de Fier (in boutique, coula, qu’a toudi bin route; c’est même à

n’ nin crwêre ! on n’a n’in chômé ène eûre de toute èl guère !).

Èyèt v’ià dès bêles Madames avou leû stomac’ qui r’monte bin

haut — ce n’est nin corne èl grosse Mèlîye !

32 Gus’ dou Tchique, il aveut couminci pa yèsse ètou au preumî rang : èl mwésse d’èscole l’aveut fé avancî. Mes, ène miyète au côp, v’ià qu’i r’cule. Gn-aveut dès Mossieus qu’astint târdus qui v’nint s’ mète à mousse. I l’èrbourint sins trop s’èscuser. Même

36 yun ou l’ôte qui n’asteut nin dou vilâdje èrwéteut Gus’ de kègne. Dîrîz bin qwè ç’ que ç’ petit crâwyeûs-là, in roucha co bin, fout à ‘ne si bêle place ? Gus’ n’aureut nin v’iu gêner ces grantès djins-là avou dès manchètes et dès faus cols… ça fét qu’i r’culeut

40   tout doûç’mint.

 

-X-

 

Èl mayeûr causeut toudi. C’ît vrémint « la Patrie » qui soneut dou cléron aus quate cwins d’ ses grandes foûyes de papî minisse. Tout 1′ monde choûteut et chacun compèrdeut à s’ manière.

44 C’est ça qu’est pléji ! In discours su « la Patrie », c’est corne ène vitrine de pâtisserîye à 1′ vile : chacun chwèsit 1′ boukèt d’ taute qui lyi plét 1′ mieu. Èl commandant d’ gendarmerie, i wèyeut in payis réglé corne in papî à musique avou estant d’ornes à bleus

48 képis qu’ dès coupiches dins in bo d’ sapins. Pou 1′ major, c’î-st-in batayon, en rangs dreuts corne dès djons, qui rintreut à 1′ caserne en fiant in « tête-à-gauche » à vos skèter l’tchinne dou cô. Mossieu

 

23-24. pane de vêre, calvitie (au sens premier : tuile de verre pour donner du jour dans un grenier). — 25. … par crainte de tourner à «creton». — 28. … qui a toujours bien marché (en affaires).

  1. ètou, aussi. — 34. tarda, tardif, en retard. — 35. s’ mète à mousse, se mettre en évidence; èrbourer, repousser. — 36. regardait Gusse de travers. — 37. crâwyeûs, tordu, rabougri; in roucha, un rouquin.
  2. C’ît, c’était. — 48. coupiche, fourmi. — 50. tchinne dou cô, vertèbres cervicales. — 56-57. et leurs yeux picotaient… — 58. Comme l’air était léger et fort…

 

(p.579)

Debeurre sondjeut à in bon gouvernement qu’a de P pougne et

52   d’ Pidéye; vos savez bin là, in gouvernement qui sauve èl franc,

qui s’ rind mwésse,  qui n’ fét nin bèle-bèle avou lès inn’mis

d’ Forde, mes qui n’ taxe nin trop fort lès p’tits liârds qu’on-z-a

spârgni. Dès cins qu’avint stî à P guère pinsint qu’ leû no aureut

56   t’t-ossi bin poulu yèsse ètou scrît au burin dins P cayô et leûs-îs

chôpyint en sondjant à yeûs’-mêmes. Èl soya n’aveut jamwés lu

si clér ! Corne l’ér ît lèdjère et fôte en même tins ! Vos-aurîz dit

de P boune bîre.

60 Èl mayeûr ètou, il aveut s’ goyî qui scrèpeut èyèt s’ gaviote qui r’monteut à-z-iquèts : en s’ choûtant li-même, en pinsant qu’i pârleut bin, il ît tout r’toûrnè ! Gn-aveut ètou saquants friquètes qu’avint dès lèves et dès ongues corne dès cèréjes de Sint-Piêre :

64 yeûs’, èle wèyint in bia sôdârd avou in visâdje tout rosé corne dès sukes de batème, in fin costume de fantésiye et in bouquet d’ fleurs à s’ mwin.

I sondjint tèrtous à ç’ qui lyeû pléjeut P mieu. Gus’ dou Tchique,

68    i sondjeut à s’ gamin. (Vos é-dje dit qu’il asteut ‘ne miyète simplot, Gus’, mes nin tout d’ même inocint, savez ?)

 

*

 

I sondjeut à s’ gamin, il asprouveut d’ l’èrvir, es’ petit Frèd’, mes bernique ! On-z-èst vî, on-z-a P tièsse qui s’ broûye et i gn-a

72 d’djà dès-ans qu’il è-st-avoye, èl gach’nâr. D’alieûr, èl dérin côp que s’ garçon est r’vènu en permission, il l’a à pwène vu. Nulu n’ sondjeut co à P guère. Gus’ d-aveut pou ‘ne coupe de djoûs à droder P grande âye dou monnî. Èl sôdârd, qwè ç’ qu’il aureut

76 foutu à P méso, tout seû ? Ène méso sins marne, c’è-st-in culot sins feu. Frèd’ aveut stî vir dès matantes et dès camarades, aveut-i dit. Et bèroter à vélo d’ène place à Pote. Il ît rintrè tout djusse pou r’prinde es’ valîse. C’ît l’eûre dou train. « Arvoûye bin, pa ! »

 

60-61. … il avait le gosier qui raclait et la pomme d’Adam qui remontait par à-coups… — 63. friquète, fille coquette, donzelle; … comme des cerises de la Saint-Pierre (= mûres à la fin de juin). — 64. elles, elles voyaient un beau soldat… — 65. suke de batème, dragée.

  1. simplot, simplet. — 69. inocint, innocent au sens de retardé, faible d’esprit.
  2. … il essayait de le revoir, son petit Frèd. — 72. gach’nâr, luron, gaillard (t. fam.). — 75. droder, tailler. — 76-77. in culot sins feu, un foyer sans feu. — 78. bèroter, circuler.

 

(p.580)

80 Arvoûye hin, pa ! Il a bin in pôrtrét d’ li, oyi, su 1′ tchèminéye de 1′ cwîsine, mes de d’ quand il a fét ses pâques, faut nin d’mander ! Après tout, c’est co p’tète mieu insi : il ît co dà li, adon, F gamin avou F costume marin qu’ asteut d’vènu trop p’tit

84   po F fi dou boutchî.

Gus’, il a s’ manière à li, quand gn-a ‘ne saqwè qui n’ va nin. I n’èrnifèle nin, i n’ soumadje nin, i n’ toûrpine nin ses dwès, i n’a nin ses îs qui rlègn’neut. . . Non, Gus’, i ratche. Crr, i ratche,

88 i ratche tant qu’i set, sins i pinser. Tout F tins que F mayeûr bèrdèleut, Gus’ ratcheut. Et come c’ît Gus’ dou Tchique pou ‘ne saqwè, qu’il a toudi ‘ne boune grosse rôle aclapéye d’in costè de s’ bouche, vos vièz ça de d’ci lès djins qu’i s’èrsatchint. . . Si leûs

92 tchausses en nîlon avint stî spitéyes… ou Fèrbôrd de leû marone adaglè, in djoû come audjoûrdu ! Ça fét que, quand F Mayeûr a yeû tout causé, Gus’ ît tout seû, avou dès ratchons d’ tchique autoû d’ li, câsimint come dès strons d’ tchèvô. Il ît tout seû au

96 mitan d’in rond vûde de djins, come il ît tout seû pou viker, et co tout seû pou sondjî à s’ gamin.

Asteûre, èl Major aveut s’ tour pou parler : i lîjeut in papî qui d’viseut d’ Fârméye et dou caporal Duquenne Alfred et d’ène

100 dècorâcion « à titre posthume ». Et adon, on-7-a fét ravancî Gus’. I n’ saveut nin pouqwè. Il ît gêné come yun qu’a dès pus et qu’ ça li chôpîye. Èl Major li a acrotchi ‘ne mèdaye à s’ djaquète, i s’a clinci d’sur li, d’in costè pwîs d’ Fôte, come pou F rabrassî mes

104 sins trop F djonde. À bin alèz ! Ça fét qu’insi Frèd’ est mort pou « la Patrie » et il a gangni ‘ne bêle mèdaye. Tidieu, èl Major, i d-a fét d’s-afêres pou « la Patrie », li ! Wète ça toutes lès mèdayes qu’il a ! C’est Gus’ qui sondje à coula. (Dj’ vos-é dit ‘ndo qu’il

108    ît ‘ne miyète simplot.)

 

8l. ses pâques, sa communion solennelle.

86-87. Il ne renifle plus, ne sanglote pas, ne se tord pas les doigts, il n’a pas les yeux

qui se mouillent (litt* :  dégèlent)…;  ratchî,  cracher. — 89.  bèrdèler, bavarder, radoter.

— 90. rôle, rouleau de tabac à chiquer. — 92. spité, éclaboussé; marone, pantalon. —

adaglè, souillé.

101-102. qui a des poux et que ça le démange. — 103. clinci, penché.

 

(p.581-

Come de djusse et d’ réson, i faleut co qu’in Président pâle. A fét qu’ lès discours es’ dèsboulotint corne èl moulinet d’ène ligne à trûtes, Gus’ sinteut s’ tièsse tourner, tourner et brouyî

112 corne ène toûrpène… corne èl toûrpène de s’ gamin quand i djouweut à foute dès brognes, en r’vènant d’ l’èscole. Es’ petit Frèd’, mes i n’ l’èrconeut pus dins tout ç’ qu’on raboulote là. C’est p’tète pace qu’il est d’vènu in héros, s’apinse à yeûs’.

116 I cause bin, 1′ Président, Cou qu’ c’est d’awè d’ l’instruccion. Gn-a pus nin yun qui pèstèle ni qui tchafîye. Tins-in-tins, yun qui r’nifèle ou qui tousse corne pou dèscrayî s’ goyî et pa t’t-avô P place s’awouv’neut dès mouchwès d’ poche, corne dès grosses

120 marguerites dins P pachî. Gn-a là trwès, quate djonnès fîyes avou ‘ne petite rouséye au cwin d’ leûs-îs et qui cafougn’neut leûs gants dins leûs fines mwins. Dès djonnès fîyes come-i-faut, bin al’véyes; èle ont stî à scole cheu lès Ma-seûrs et èle ont ‘ne douce

124 vwès. Abayi, pinse-t-i Gus’, si Frèd’ èrvereut, si èle dans’rint avou li à P ducace. (Dj’ vos-é dit qu’i n’asteut nin tout d’ même inocint.)

Lès frases s’anondint toudi d’ pus bêle : i d-y-aveut parêyes à dès blancs pidjons qui stindint leûs pènas; dès-ôtes, on aureut dit

128 qu’èle d-alint à bèrlondjwêre et co dès cènes qui findint l’ér corne dès chîlètes, et pwîs èle s’awouvrint, corne dès cosses de dj’niesse au soya, pou lèyi spiter dès bêles paroles à scapouyète dins P bleu ciel dès grands sintimints.

132   Lès frases montint corne dès baies à clokî, èle surmontint lès r’wétants come ène tach’lète de mwésse-livreû.  Èle surmontint

 

  1. A mesure que les discours se déroulaient… — 112. toûrpène, toupie. — 113. foute des brognes, donner des coups (à la toupie du partenaire). — 114. mbouloter, enrouler (ici, à propos de paroles). — 115. s’apinse à yeûs’, expression figée signifiant: comme pensent les autres, comme on dit.
  2. Il n’y en a plus un [seul] qui remue les pieds ni qui bavarde. — 118. … comme pour se racler la gorge. — 119. s’awouvri, s’ouvrir, se déployer. — 121. cafougn’neut, chiffonnent. — 124. abayi (comp. ci-dessus n. 48 du n° 140 : sobayT), je me demande.
  3. s’anonder, s’élancer. — 127. … qui étendaient leurs ailes. — 128. à bèrlondjwêre, en balançoire. — 129. chîlète, petite pierre éclatée de schiste qui siffle en fendant l’air; des cosses de genêt. — 130. à scapouyète, à l’aveuglette, n’importe où.
  4. Les phrases montaient comme des balles en chandelle (litt* : en clocher, la trajectoire de la balle ayant une flèche élevée). L’auteur amorce ici une comparaison, qui sera

 

(p.582)

Gus’, ratchitchi dins s’ nwêr costume de d’ quand il a atèrè s’

feume, tout stritchot, mérseu au mitan de s’ vûde et d’ ses ratchons.

136   Èle surmontint Frèd’ qu’ît r’piquè dins têre, lôvô à Y Freude-Rûwe.

Mes wétèz ! quéle idéye qui bouteut à 1′ tièsse de Gus’ ! I s’ crwèyeut au djeu d’ baie : èl président qu’adjusteut si bin ses mots, il ît corne in lîvreû qu’asprouve es’ baie, qui F fét r’boner su F tamis,

140 qui prind s’n-arondéye, in côp pou lès fîyes, in côp pou d’ bon. Mayeûr, major, présidents, i djoûw’neut tèrtous à rinde bêle. Pou F pléji, pace qu’il ont ‘ne bêle èscoudéye et co F manière pou cassî, pace que leû moustatche èrcrole… Et lès gaviots qu’ ouv’neut

144 dès crâyes corne dès potelés de guèrnî, lès couméres qu’ont dou feu dins leûs-îs et dès lèves ène miyète mates corne dès fréjes à F rouséye et lès ornes yeûs’-mêmes qui clatch’neut dès mwins pace que c’est dîmince et qu’i fét bia… Lès musicyins rèspir’neut ‘ne

148 boune bouchîye devant d’ataquer et F cabartî ride su F costè, corne yun qu’a F chite, pou d-aler aprèster ses batch de bîre.

Adon Gus’, i pinse à èn-ôte djeu d’ baie, avou ètou dès mwésses-lîvreûs, dès présidents, dès majors, dès fanfares et tout F bataclan…

152 mes lès baies chîlint co pu reu qu’ène tachlète au tamis, èle driglint dins lès âyes, èle cruwôdint lès fènasses. Ce n’ît nin dès baies à clokî, mes dès rasantes, dès cènes qui stritch’neut lès passîs, dès cènes qui traw’neut F pètit-mitan, F grand-mitan, F dèrî… dès

 

poursuivie, entre les phrases des discours et les livrées du jeu de balle au tamis; sur le vocabulaire de ce jeu, très populaire dans l’ouest-wallon, cfr W. Bal dans les « Mélanges Jean Haust », 1939, pp. 21 ss. — 133. les r’wétants, les spectateurs; ène tach’lète, une livrée à V tach’lète, de flanc, exécutée d’un élan rapide. — 134. ratchitchi, ratatiné. — 135. (è)stritchot, étriqué.

  1. … il était comme un «livreur» qui essaie sa balle; (è)rboner, rebondir. — 140. aron-déye, élan; un coup pour les filles (= pour la galerie). — 141. jouer à rinde bêle (litt* : à rendre belle), pour s’amuser, sans se fatiguer. — 142. èscoudéye, façon de livrer la balle. — 143. cassî, rechasser (une balle). — 143-144. Et les mioches qui écarquillent leurs yeux comme des lucarnes de grenier. — 145. frêle, fraise. — 146. … qui claquent des mains, qui applaudissent. — 149. chite, foire, diarrhée.
  2. … mais les balles sifflaient encore plus fort qu’une livrée rapide au tamis; drigler, remuer violemment le feuillage (ici. les haies). — 153. … elles tranchaient d’un coup les hautes herbes. -— 154. rasante, balle qui rase le sol. Dans ce passage, l’homonymie entraîne une autre analogie : pour Gusse, la balle à jouer devient la balle à tuer. — 154. de celles qui entravent les joueurs d’avant; au jeu de balle, (è)stritchî, c’est « lancer la balle juste au ras des cordes, de sorte que les adversaires de la ligne d’avant ne puissent la rechasser » (glose de l’auteur). — 154-155. de celles qui passent outre (litt* : trouent) du centre-avant,

 

(p.583)

156 cènes qu’i gn-a pont d’ gant pou lès cassî. Es’ petit Frèd’, i djouweut à passe, en preumiêre ligne, s’apinse à yeus’. Il aveut rascoudu 1′ baie d’Honeûr et gangni 1′ médâye.

Choûte : c’est pour li Y « Brabançonne » !

160 El concours est fini. Dèspindèz vos gayoles, dist-i 1′ pinsonisse. Lès musicyins r’mèt’neut leû-n-instrumint dins leû satch de nwêre twèle. Gn-a dès djins qui s’in r’vont pou sognî lès vatches et lès pourchas; dès-ôtes, c’est pou s’ rapéryî, à Tombe, devant ‘ne chope

164 qu’a deûs dwès d’èskème. (In djoû parêy, on d-è fét dès pintes au lite, savez !) On tchafîye, on raguète, on djipe, on sère dès mwins, on s’ moustère, on s’èrcrèsse, on s’ palante, on félicite lès cins qu’ont si bin parlé. Gus’ èdmère là, tout pèneûs : nulu pou sondjî

168 à F féliciter. El féliciter d’ qwè ? D’awè yeû ‘ne médâye pace que s’ gamin è-st-in héros et qu’il a moreû à vint ans ?

El poupa dou héros, asteûre, c’est Gus’ dou Tchique, corne tous lès djoûs. In man’dâye qui marque lès chasses quand on djoûwe

172 al’ baie, qui vûde èl tchiyote cheu F fârmacyin, F mayeûr et co d’s-ôtès places et rintrer F tchèrbon et fouyî F djârdin et droder Fâye. In man’dâye qui sint F pôve, surtout quand i plout, corne lès tchins sint’neut F tchin.

176 Dès ancyins sôdârds racont’neut dès souv’nances en mouchant au cabaret — dès bêles souv’nances puisqu’i sont là pou lès raconter. Èl mayeûr a pris F major pa in bras, in président pa Fôte et i lès satche tout doûç’mint dou costè de s’ méso pou bwêre ène boutêye.

 

du (grand) centre, de l’arrière. — 156-157. djouwer à passe, jouer à l’avant; s’apinse à y eus’,

cfr note 115; rascoudu, recueilli.

  1. Enlevez vos cages, dit l’amateur de pinsons (expression prise au fig). — 163. s’ rapéryî,

se remettre d’une fatigue. — 164. (è)skème, écume, mousse (ici, de bière). — 165. tchafyî,

bavarder; raguèter, clabauder, caqueter; djiper, rire aux éclats. — 166. s'(è)rcrèster, faire

le crâne; s’ palanter, se pavaner.

  1. man’dâye, homme à tout faire (péj.); chasse, point d’impact d’une balle, endroit où

elle s’est arrêtée. — 172. tchiyote, latrine, fosse d’aisances. — 173. et rintrer… et fouyî

(bêcher)… et droder (tailler), infinitifs substituts (cfr n° 207, n. 63-64).

  1. en mouchant, en entrant.

 

(p.584)

180 C’est tous-ornes qu’ont bin dinnè, coula, et il ont co dès bons restants pou souper.

I n’ manque que de F taute èyèt ‘ne baraque à frites pou que ç’ fuche ène petite ducace.

184 Gus’ a quand même d-alè bwêre ène pinte cheu 1′ Blanc-dou-Pèquèt. Es’ mèdâye èl gêneut : i ll’a stitchi dins s’ poche. El canto-nier li a d’mandé s’i n’ djouweut nin ‘ne part au couyon. Mes Gus’ è-st-èrvoye pa F ruwèle, en routant ‘ne miyète de crèsse; il aveut

188    F pêne de s’ casquète su sès-îs pace qu’il aveut F soya en plin.

Il è-st-à s’ méso asteûre : i prind ‘ne jate, i vièrse èl fond dou pot au café. C’est tout freud, tout nwêr, tout spès : dès bèrdoûyes. Il aleum’reut bin dou feu pou r’fé dou nieu café, mes audjoûrdu,

192 i s’ suit pesant come in vî tch’fô. I pinse. (Crwèyéz qu’i pinse, vous ? N’avîz nin dit qu’il ît ‘ne miyète simplot ?)

I pinse. Bâ ! A dès tchicot’rîyes, à dès bièstrîyes, à ‘ne saqwè que F mwésse d’èscole 11 aveut dit in djoû de s’ gamin, à ‘ne gayole

196 à pinson… d’adon, à in grand gach’nâr qui s’reut là, ène miyète brusque, ène miyète dure tièsse, mes vikant, vikant, astampè su Fuch. Li, F vî Gus’, i rintèr’reut, i F wétreut là, i F pèdreut pau gros de s’ bras et i sintreut ‘ne saqwè d’ tchôd, dès niêrs qui

200 fèrtîy’neut. Il intindreut, t’t-à Feûre quand i f’ra niût pou d’ bon, ène vwès qui n’est nin trop douce : « Hé pa ! d’mwin, c’est co yû, ses’ ! Mi, dj’ va coûtchî. » Ce s’reut tout…

Mes non ! Dèmwin, ce n’ s’ra pus jamwés yû. Et Gus’ a sintu 204 ‘ne mèdâye, dins s’ poche, à costè de s’ paquet d’ toubac’. Èle ît freude come in mouzon d’ tchin. Il a intindu ‘ne vwès et co ène ôte qui causint bin, si bin… et c’a stî come si s’ gamin moreut in deûsiême côp.

 

  1. au couyon, nom d’un jeu de cartes : « les cinq lignes ». — 187. de crèsse, de travers. 190. bèrdoûyes, saletés, connote ici péjor* le marc de café.
  2. tchicot’rîyes, vétilles. — 196-197. astampè su l’uch, debout sur le pas de la porte. — 199-200. … des muscles qui travaillent. — 201-202, dèmwin, c’est co yû (dicton), demain il y aura encore de la besogne (yû = hue !).
  3. mouzon, museau. co/*

 

(p.585)

208 Gus’ a vu dès djoûs qu’i faureut tout d’ même user ‘ne miyète au côp, corne on rûje in tayant spès su 1′ mieule, dès djoûs qui s’èrchèn’neut corne dès goûtes de plouve, dès djoûs grigneus corne de 1′ plouve su de 1’ nîve. Ène longue tchôke sins dèstèler pou

212 plandjêre. Dès grîjès djournéyes au eu yeune de l’ôte, sins qu’on more au gnût pou saquants eûres.

Mes pitète,  sondje-t-i en s’  coûtchant su 1″  costè  qu’il  a  dès

rumatisses, corne il est 1′ poupa d’in héros, qu’i trouvèrra  dès

216 bons parlants et qu’ lès djins d’ l’Administrâcion n’ s’ront  nin trop tchins pou li doner ‘ne place à l’ospice. Pitète.

 

« Fauves dèl Tâye-aus-Fréjes èt contes dou Tiène-al-Bîje », pp. 41-49.

 

208-209. (è)ne miyète au côp, un peu à la fois; rûjî, aiguiser; tayant, tranchant; mieule, meule. — 211. tchôke, laps de temps; sans arrêter pour faire la sieste. — 212-213. De grises journées qui se poussent l’une l’autre, sans que le sommeil de la nuit apporte un répit (litt* : sans qu’on meure la nuit pour quelques heures).

 

(p.586)

JEAN GUILLAUME

 

Né en 1918 à Fosses-la-ville, dans le Namurois. Prêtre de la Compagnie de Jésus, professeur aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Pak, à Namur, où il enseigne les lettres françaises. Auteur d’importants travaux sur la poésie de Charles Van Lerberghe, spécialiste des études nervaliennes, il a procuré, en littérature wallonne, des éditions critiques d’oeuvres de Michel Renard, Georges Willame et Franz Dewandelaer.

Œuvres wallonnes :

Poésie : Djusqu’au solia [Jusqu’au soleil], avec adaptation française de l’auteur et avant-propos de M. Piron, Namur, Les Editions mosanes, 1947, 132 p. — Grègnes d’awous’ [Moissons en granges], Namur, Les Editions mosanes, 1949, 52 p. — Aurzîye [Argile], Namur, édition hors commerce tirée à 150 exem­plaires, 1951, non pag., 43 feuillets.

 

241                                                                                                  [Fosses]

Doû

 

Le songe d’une ombre… Pindare.

 

Djè l’ a rèscontré su lès voûyes,

au long dès pî-sintes, astok dès soûrdants;

i gn-a portant d’djà saquants-ans

4    qu’il è-st-èvoûye.

 

N’a wêre candjî. C’èst todi li,

todi sès-oûys si doûs por mi.

Et s’ keûr toketéve, wê, come li mink,

8    èt m’ keûr toketéve, wê, come li sink…

 

Nos n’s-avans achî dins l’ cléria,

à sorîre,

sins rin dîre.

12   Mins quand dj’a v’lu douviè mès-oûys, n’èstèt pus là.

 

Djusqu’au solia, p. 18.

 

1945

 

DEUIL

  1. au long des sentiers, au bord des sources.
  2. [Il] n’a guère changé. — 7. wê, interj. pour renforcer l’affirmation; li mink, le mien.

— 8. // sink, le sien.

  1. cléria, clairière. — 12. [il] n’était…

 

 

(p.587)

242

Fwace

 

Et renovabis faciem terrae.

Nos taperans l’ foûre dins lès cinas

à plin.nes fortchîyes,

nos r’vièsserans su l’ dagn lès dîjas

4                 d’one laudje brèssîye,

 

binaujes d’ièsse dès-omes dislachîs

dins 1′ vint qui cwache,

di s’ lèyî skèter sins crankî,

8                 sins lèver 1′ dache,

 

pace qu’i nos plêt d’ièsse pus qu’ jamaîs

fwârts come dès-aubes,

èt d’ prusti dins dès neuves mês

12                 tot 1′ grin dès djaubes.

 

1945

Ibid., p. 25.

 

 

243

Glwêre

 

Drapias churés,

tamboûrs trawés,

doûrnis’ à tchêr di fîve,

il ont r’passé, pièrdus dins l’ nîve.

 

 

FORCE

  1. cina, fenil. — 2. par pleines fourchées. — 3. dagn, aire de la grange; dîja, dizeau (de blé). 5. dislachî, déchaîné. — 6. qui cwache, qui cingle. — 7. skèter, rompre, briser; sins crankî, sans broncher. — 8. lèver l’ dache, lever la semelle.
  2. et de pétrir dans des formes neuves (me, maie, pétrin).

 

GLOIRE

  1. Drapeaux déchirés. — 3. doûrnis’, pris de vertige, titubant. — 4. Le « ils » désigne des soldats : l’évocation, ici et plus loin, fait penser à la Grande Armée, au retour de la campagne de Russie.

 

(p.588)

Dins lès flotchîyes èt lès toûbions

li vint bwârléve one rodje tchanson

qui vos-èmacraléve lès cwârs

8    divant d’èmacraler dès mwârts.

 

Et lès drigléyes di spawètas

à buk di tchau d’zos lès mantias

douvyinn’ leûs dints à l’ bîje trop fèle :

12   deûs djoûs dèdja qu’ ‘l-avint scrèpé l’ fond d’ leû gamèle.

 

Deûs mwès qu’on roviéve di sokî,

deûs mwès qu’ faléve cobèzacî

on vîy fuzik

16   trop pèzant po dès spales d’ètiques.

 

Rivièront-is

leû p’tit viladje, leû p’tit corti,

èet leû p’tite fèye

20    qu’i miloutin.n jamaîs parèy ?

 

Iront-is co sèmer l’ frumint ?

Mougneront-is co leû tâye di pwin,

achîs d’ssus l’ crama d’ leû-y-èrére ?

24   Dwameront-is dins leû cimintiére?

 

Mins qu’est-ce qui chîle dins lès-orèyes dès crève-di-fwin ?

Lès clokes quét’fîye d’on-ètèrmint…

D’à quî ? D’à mi, d’à vos. C’èst pa fornéyes

28    qu’is s’aflachin.n, sins qu’on moufetéye.

 

 

  1. flotchîye, flocon (de neige); toûbion, tourbillon. — 7-8. èmacraler, ensorceler (ici au fig. et dans un sens très fort).
  2. drigléye, file, ribambèle; spawèta, épouvantai!. — 10. le torse nu sous les manteaux (buk = tronc). — 11. Dans la version française de l’édition originale, ce vers est traduit: mâchaient dans leurs dents la tempête. — 12. scrèper, racler. — 13. … qu’on oubliait de sommeiller. — 14. cobèsacî, traîner, trimbaler.
  3. milouter, dorloter, choyer; « jamais pareil » équivaut à :  comme jamais.
  4. tâye, tranche. — 23. assis au bord de leur charrue; le crama ou crémaillère est une pièce dentelée qui se trouve à l’extrémité opposée du mancheron de l’araire traditionnelle (cfr DL, fig. 266-268).
  5. chîler, bourdonner. — 28. qu’ils s’affaissaient sans dire un mot.

 

(p.589)

Et nos lès ratindans

dispû cint-ans.

 

1947

Ibid., pp. 101-102.

 

 

244

Iviêr

 

Dji vos vièrè todi avou l’ crawieûs baston,

avou vos nwârès guètes èt vos chabots plins d’ broû,

avou vosse grîje èchêrpe qui vos rèfârduléve,

4   vosse mouchwêr à câraus, vosse pupe di cèréjî,

èt vosse minâbe sauro qui l’ plouve a distindu.

 

Gn-a qu’ dès fleûrs flanîyes o corti

dispû qu’on djoû, lès pîds pa-d’vant, li tièsse padrî,

8   vos-avoz passé 1′ soû.

 

Et asteûre dji m’ disbautche pace qui tot 1′ long di m’ vîye

dji n’ vos-a nin in.mé assez,

pace qui dj’ n’a nin vèyu qui vos deûs brès trop scrans

12    ritchèyin.n à l’ vièspréye.

 

V’ n’èstîz qu’on payisan, mins vos l’èstîz tot plin,

fiér d’ièsse on sèmeû d’ grins dins nosse monde

qui rovîye li mèstî dès tayons,

16    on payisan do tins passé — i gn-a pus wêre ! —

qui crwèyéve à si-èrére come on crwèt au bon Diè.

 

Li tchèreuwe èst d’mèréye arokéye à plin.ne roûye…

 

  1. « depuis cent ans » exprime ici une durée indéterminée (= depuis toujours).

HIVER

  1. … avec le bâton noueux. — 2. brou, boue. — 4. cèréjî, cerisier.
  2. dji m’ disbautche, je nie désole. — 11. scran, fatigué, épuisé. — 12. retombaient, le soir. 13. … mais vous l’étiez totalement. — 15. tayons, ancêtres.
  3. tchèreuwe, charrue (synon. de èréré); … arrêtée en plein sillon (aroké, arrêté par un obstacle).

 

(p.590)

Et lès cwârbaus d’ nôvimbe covolenut pa drigléyes

20   dins 1′ ciél nwâr di nûléyes, nwâr di plouve, nwâr di doû.

 

Aviè 1′ disclin d’ l’esté,

dismètant qu’on kèrdjéve lès dêrènes djaubes à tchaur,

vos d’mèrîz là, sondjaud, divant vos pautes fautchîyes.

 

24   Et là qu’ l’iviêr a v’nu d’on coûp.

 

Ibid., pp. 105-106.

 

 

245

 

Dj’a lèyî tchêr mi keûr d’èfant

su l’ brîsé.

Dès spiyûres dins mès mwins. Vint-ans.

4                     On-auté…

 

Et dj’a tot stitchî dins l’ tchabote

d’on vî tchin.ne

— djon.nèsse, bokèts. Faut bin qu’on rote

8                     su sès pwin.nes.

 

I m’ chone portant qui dj’auréve bon

d’aler voûy

s’i n’ coûrt nin saquants gotes di m’ song

12                     dins lès foûyes.

 

Poèmes wallons 1948, p. 37.

 

  1. … tournoient en groupe.
  2. cependant qu’on chargeait…; tchaur, char. — 23. paute, épi (de céréales).

 

Traduction de fauteur

J’ai laissé choir mon cœur d’enfant — sur la route. — Des débris dans mes mains. Vingt ans. — Un autel…

Et j’ai tout caché dans le creux — d’un vieux chêne — jeunesse, deuils. Il faut qu’on marche — sur ses peines.

H me serait pourtant bien doux — d’aller voir — s’il y a des gouttes de mon sang — dans les feuiUes.

 

(p.591)

246

Vîye djint

 

Nos l’avans lèyî d’ssus l’ costé,

qu’on-z-auréve ieû dit nosse mèskène.

Et tofêr nos-avans chorté

4    dins s’ keûr, qui n’èstéve qu’one coyène.

 

« Elle èst dè l’ soûrte qu’i gn-a branmint »,

dijin.n-t-i co, à moûde di d’vise.

« Dès parèyes, on ‘nn’ auréve po rin…

8    « Sourtôz vosse vêre, alons, Félis’ ! »

 

Nos n’avans wêre frèchi nos-oûys

Li djoû qu’èlle a stî po ‘nn’ aler.

Po distrûre on nom scrît à l’ croûye,

12    avou deûs lârmes i gn-a po fé.

 

Mins poûves nos-oûtes qui n’ sét pus brêre !

Gn-a co tant d’ saqwès à raprinde

po waîtî d’ moru avou l’aîr

16   d’awè viké — divant d’ distinde !

 

1948

Grègnes d’awous’, p. 32.

 

VIEILLE FEMME

  1. chorter, tailler grossièrement. — 4. coyène, couenne, au fig., peau épaisse.

5-6. Elle est de l’espèce dont il y a beaucoup, / disaient-ils (= disait-on) encore, en guise

de parole (= affaire de parler). — 7. « on en aurait pour rien », sous-entendu : tellement

il y en a (de semblables). — 8. Videz votre verre…

  1. frèchi, humecter, mouiller. — 10. le jour qu’elle a été pour partir (= le jour où elle

est morte). — 11. croûye, craie.

  1. Mais pauvres de nous qui ne savons (litt. : ne sait) plus pleurer. — 15. waîtî, regarder,

ici au sens de : tâcher, essayer.

 

(p.592)

247

Lès bias djoûs

 

Dji sondje au tins qu’ vos sèroz r’faîte

èet qu’ dji r’dîrè « bondjoû, moman… »,

si bèle dins 1′ solia qui vos r’waîte.

 

4   Dji mètrè dès bètchs tant qui dj’ pou

su vosse visadje, èt nos ‘nn’îrans,

binaujes po dîj, èwou-ce qu’on vout.

 

Co todi d’assène, li vîye Téje

8   vos-apwaterè s’ pus gros cabus

en ratindant l’ tins dès cèréjes…

 

Mins l’ bwache qui brûle n’èst nin si tchoûde

qui 1′ lârme qu’on n’ saurè rastinu

12   quand vos r’coûperoz l’ pwin po nos-oûtes.

 

Ibid., p. 35.

 

 

248

A plins brès

 

Gn-aurè su 1′ meur Tombe di vosse tièsse.

Dji n’aurè pus qui mes deûs mwins

à vos-ofri. Pa T grande fègnèsse

4   on-z-apwat’rè lès blancs mous’mints.

 

 

LES BEAUX JOURS

  1. … au moment où vous serez guérie. — 3. … dans le soleil qui vous regarde. 4. bètch, baiser (litt.: bec). — 6. heureux pour dix…
  2. d’assène, d’aplomb, bien portant; Téje, dimin. de Tèrése. — 8. cabus, chou. 10. bwache, bûche. — 11. ractinu, retenir.

 

Traduction

A PLEINS BRAS

Sur le mur, il y aura l’ombre de votre tête. — Je n’aurai plus que mes deux mains à vous offrir. Par la fenêtre — on passera la robe blanche.

 

(p.593)

Tos lès-aubes sèront dispouyîs.

Dji n’ béyerè pus qu’après l’ solia.

One vwès dîrè : « Gn-a one saquî. »

8    Dji rèspondrè : « C’èst Vos, po ça ? »

 

Et d’zos l’ poûssêre voléye èvoûye,

‘là qui l’ novia pwin frè r’glati

lès dêrènès lârmes di nos-oûys.

12   Et nos sèr’rans l’uch po todi.

 

 

Ibid., p. 36.

 

 

249

Mi

 

Qu’èst-ce qui dj’è pou si dins mès mwins

dji sin co todi l’ pwèds dès djaubes ?

Po l’intche èt lès lîves, ruvenoz d’mwin.

4   — Pârin, djè l’a chîmé, vosse saupe.

 

Dji m’a d’mandé mwints coûps : « Quî so-dje ? »

di m’ sinte si bin brutieûs, si deur

come si dj’ m’aviche avou lès fotches

8    di mès tayons clawé au meur !

 

Aurûye (non pag.)

 

Tous les arbres seront dépouillés. — Je n’attendrai que le soleil. — Une voix dira : « Me voici. » — Je répondrai : « C’est vous, enfin ? »

Et sous la poussière envolée, — voilà que le pain nouveau fera briller — les dernières larmes de nos yeux. — Et nous fermerons la porte pour toujours.

 

MOI

  1. Qu’y puis-je si… — 2. … le poids des gerbes. — 3. Pour l’encre et les livres, revenez demain (= le poète les refuse). — 4. Parrain (= grand-père), je l’ai aiguisée, votre serpe.
  2. brutieûs, rugueux, âpre. — 7-8. comme si je m’étais avec les fourches / de mes ancêtres, cloué au mur.

 

(p.594)

250

Octoûbe

 

Feus d’ ranches ascropus su lès tiènes,

Jènîye qu’aprustéye li lantiène

por nos râler.

 

4   Bègnon qui rèche fou dès bétrâles,

strwèt laurd qui frîlèt dins l’ grande sâle

come on dâné.

 

Lès-avans-ne vèyu lès vikants

8    s’aflachî à tauve au mitan

di leûs brès djus,

 

Et mindjî là, calote su l’oûy,

leû tchau, leû frumint, leûs dispoûyes

12                 po n’ nin moru.

 

ibid.

 

 

251

L’eûre

 

Dîre qui ça passe ètur nos pougns

èt qu’on nèl sét jamaîs r’trover

à s’t-auje — come on cwârbau qui mougne

4   dins l’ dispoûye d’on bèdot crèvé.

 

 

OCTOBRE

  1. Feux de fanes amoncelés sur les coteaux. — 2. Jènîye, dimin. d’Eugénie (désigne ici

une ouvrière agricole); lantiène, lanterne (ici, d’un attelage).

  1. bègnon, tombereau; bétrâles, betteraves (ici, champ de ~). — 5. strwèt laurd, lard

maigre, petit salé; frîler, grésiller.

8-9. se laisser tomber à table au milieu / de leurs bras épuisés.

  1. calote, casquette. — 11. tchau, viande (litt. : chair); dispoûyes, dépouilles, au plur. et

au sens ancien : ce qu’on récolte d’une bête tuée ou du produit de la terre.

 

L’HEURE

  1. … entre nos poings. — 3. à son aise… — 4. dans les restes d’un agneau crevé.

 

(p.595)

Dîre qu’adon nos pudrans nosse tièsse,

sèrant l’ bwèsse à djoûs d’ nosse pus fwârt,

èt qu’au d’truviè dès-ètricwèsses

8    onk après l’oûte is tchêront mwârts !

 

C’èstèt ça portant, m’ fis, viker.

C’èstèt lèyî l’eûre fé à s’ moûde,

c’èstéve, en s’ catchant d’ssus l’ costé,

12   bèrwèter s’ keûr dins l’ cia dès-oûtes.

 

Ibid.

  1. étreignant au plus fort le coffre (litt. : boîte) aux jours. — 7. ètricwèsses, tenailles. 12. colporter son cœur dans celui des autres (bèrwèter, dér. de bèrwète, brouette).

 

 

(p.596)

MARCEL HICTER

 

Né en 1918 à Haneffe (Hesbaye liégeoise). Docteur en Philosophie et Lettres (philologie classique). Directeur général de la Jeunesse et des Loisirs au Minis­tère de l’Education nationale et de la Culture, à Bruxelles.

Œuvres wallonnes :

Poésie : Awè, vi fré [Oui, vieux frère], Liège, L’Horizon nouveau, 1939, 32 p. — Gentils gallans de France, poèmes et textes wallons, Liège, Georges Thone, 1956, 62 p. — Cous d’âbes-souches [Grosses souches d’arbres], poèmes wal­lons avec gravures sur bois de Marc Laffineur, Liège, hors commerce, 1975.

 

 

252                                                                                               [Haneffe]

Géorgique

 

Djans ! rihapans-nos ‘ne gote. I n’a pus qu’ deûs manêyes.

Li solo toke qu’arèdje. Nos lès flaherans-st-èvôye

divant sîh eûres, èt pwis, volà l’ cinsî rèvôye…

4   Li mêsse-vârlèt qu’ minéve, tot rèné so si skèye,

 

hèmela-st-on côp tot s’ ridrèssant èt, di s’ gros pougn,

siprâtcha so s’ massale l’êwe qu’i souwéve à gotes.

D’on côp d’oûy, i mèsera lès djâvês à rascode,

8   pwis s’ toûrna vès l’s-ovrîs qu’ lî faléve tére à gougne.

 

Lès fèmerèyes, ègadjîyes po drèssî lès dîhês, s’aprèpîn’.

S’acovetant tot-âtoû d’ leu so ‘ne djâbe,

èle toûrnît vès 1′ djône ome leû neûre tièsse di breusès.

 

GÉORGIQUE

  1. Allons! reposons-nous un peu; manêye, cmanée»; pour le faucheur, quantité d’épis, sur la profondeur d’une ligne, correspondant à la largeur d’un coup de faux. — 2. qu’arèdje (loc. exprimant l’intensité), avec une force extrême, violemment; flahî, abattre (ici en parlant des blés). — 4. li mêsse-vârlèt, le premier valet de ferme; miner, commander (empl. ici sans compl.); tot rèné so si skèye, courbé de fatigue sur sa faux (skèye, sape, faux à manche court).
  2. hèm’ler (onom.), toussoter. — 6. massale, joue; l’eau qu’il suait à gouttes (= qui le faisait suer…). — 7. mèserer, mesurer; djâvê, javelle; rascode, réunir, rassembler. — 8. … tenir en respect : ici, au sens atténué, de diriger de près.
  3. fèmerèyes, les femmes en général; dîhê, dizeau. — 10. acoveter, entourer (propr. : couvrir en enveloppant); leu (liég. lu), lui. — 11. breusès (plur.), braise.

 

(p.597)

12   Leu, bawant vès l’ pus bèle ou co l’ pus-amistâve,

grand èt fwèrt come on tchin.ne, raspoyi so s’ trèyin,

lèya cori s’ vwè d’ôr so l’ôr dè tchamp d’ wassin.

 

1939

Gentils Gallans de France, p. 12.

 

 

253 Doûris’

 

Assiou so si p’tit hame, li grand potî d’El’lâs’

modelêye po 1′ gros martchand l’ârzèye so 1′ panse d’on vâse.

 

Tot doûcemint so l’ rodje tère, i stâre li neûre êmay

4   lûhant come on fouwâ èt qu’on n’ ritroûverè mây.

 

Li danse dès tchîvri-pîds potchetêye à 1′ cwène d’on bwès

èt djêrich so 1′ bâcèle qui s’ meûre à 1′ clére fontin.ne.

 

L’ârtisse sint frusi si-âme â coron d’ si spécê :

8    tot bablou d’vant s’ tchè-d’oûve, i hoûte flâwi si-alêne.

 

Prustiherans-ne nos vêt-ans come li potî si-ârzèye

èt d’on bleu di steûlî, f’rans-ne riglati nosse vèye ?

 

Si dj’ poléve mète dissus, quand dj’ârè-st-ovré l’ mène,

12   come li fameûs potî: Doûris’ êpoïêsèn’ !…

 

1939

 

Ibid., p. 23.

 

  1. bawer, lorgner, regarder furtivement; amistâve, aimable, désirable. — 13. trèyin, trident. — 14. wassin, seigle.

 

DOURIS. — Nom d’un potier grec de grande renommée, qui fut aussi un peintre de vases. Il vécut en Attique dans la première moitié du Ve siècle avant J.-C. Dédicace du poème : A Jules Labarbe, mon anacréontique ami.

  1. hame, petit siège de bois, sans dossier; potî, potier; El’lâs’, Hellas, nom de la Grèce ancienne. — 2. ârzèye, argile.
  2. … il étend l’émail noir. — 4. fouwâ, brasier, feu en plein air.
  3. La danse des satyres sautille… — 6. djêrî, convoiter; bâcèle, fillette, jeune fille.
  4. fruzi, frémir, au bout de son pinceau. — 8. ébloui devant son chef-d’œuvre, il écoute

défaillir son souffle (litf : son haleine).

  1. Pétrirons-nous nos vingt ans… — 10. et d’un bleu de ciel, ferons-nous briller notre vie ?
  2. Le si marque un souhait; … quand j’aurai façonné la mienne (= ma vie). — 12. fait par Doûris (litt’ : Doûris a fait), signature grecque de type usuel.

 

 

(p.598)

LEON WARNANT

 

Né en 1919 à Oreye (Hesbaye liégeoise). Professeur à l’Université de Liège où il est titulaire de la chaire de « Linguistique synchronique du français moderne et d’enseignement du français ». Auteur de travaux de dialectologie et de linguistique wallonnes, ainsi que d’un dictionnaire de la prononciation française et d’un dictionnaire français des rimes.

Œuvres wallonnes :

Poésie : Blames èt Foumîres [Flammes et fumées], Liège, Impr. G. Michiels, 1953, 40 p. — Lès-an.nâyes èt lès vôyes [Les ans et les routes], Liège, Impr. G. Michiels, 1955, 64 p. (avec traduction).

Prose : contes dans La Vie wallonne, t. 44 et 45, Liège, 1970 et 1971.

Théâtre (sous le pseudonyme de Léon Noël) : Li Dictateûr, 3 actes, 5 tableaux, en vers, 1960. — Sale 1417, 1 acte, 1960.

 

 

254                                                                                                  [Oreye]

Djun

 

Djun !

Lès crapôdes

Qui vont-st-à vélo so l’ pavâye,

4              leûs coûtès cotes,

leûs blankès djambes !

 

Lès crapôdes

qui s’ porminèt so lès lèvâyes,

8                 leûs brès si doûs,

leûs dècoletés.

 

juin

  1. crapôde (syn. bâcèle), fille ou jeune fille. — 3. pavâye (liég. -êye’, comp. w. 7, 15, 16), chemin pavé, chaussée. — 4. cote, jupe.
  2. lèvâye, « levée », chaussée.

 

(p.599)

Lès crapôdes èt 1′ tètche di leû boke,

12                        rodje

come on p’tit pètchî !

Lès crapôdes qui riyèt

d’esse èwarâyes

16              èt d’èsse djin.nâyes !

 

Djun!

Tot fant qu’ twè t’aprindéves !

T’aveûs dès-ègzamins…

 

20                        Djun !

I n-a co lès min.mès crapôdes,

èt c’èst dès-ôtes, avou dès lonkès djambes,

24           avou dès brès pus têres,

avou dès bokes pus rodjes.

 

Djun ! Et t’as rèyussi !

Et ti tûses

28           à tès treûs blancs dj’vès.

 

Blames èt foumîres, pp.8-9.

 

255  Après

 

Après lès lonkès neûrès pâdjes,

vo-te-là-st-à l’ blanke pâdje dè dîmègne.

vo-te-là-st-è purète, â solo.

4   Ôs-se lès clokes qui sonèt-st-à vèpes ?

 

15-16. d’être étonnées / et d’être gênées.

  1. Pendant que (litt* : tout [en] faisant que) toi, tu étudiais.
  2. têre, tendre.

 

APRES

  1. Après les longues pages noires. — 3. è pureté, en bras de chemise. — 4. ôs-se, entends-tu…

 

(p.600)

Après lès sî pâdjes totès scrîtes,

Vo-te-là-st-à 1′ pâdje qu’on pout r’loukî,

qu’a dès-îmâdjes !

 

8   Wèy, t’èl vas dîre ! Qui d’min n-ârè dès-ôtès pâdjes,

dès lonkès pâdjes,

èt qu’ t’ârès mâ t’ pogn à ‘zzès scrîre.

 

Mins qu’ çou qui compte

12                        sèreût d’ savu,

quand t’ sèr’rès l’ lîve,

qué novê lîve qu’on t’ahèrerè ?

Et quélès pâdjes qui t’î troûverès.

 

16              Et dè savu s’ n-ârè-st-on lîve?

 

Ibid., p. 21.

 

256

Payis

 

Quand c’èst qu’ t’ènnè r’va-st-è t’ payis,

ti n’ pous t’ ritrover d’vins tès wêdes.

Qui n’a-t-i co qu’ n’a nî candji ?

4   Qwîr wice qui ti vous, min.me è l’ête…

 

Volà ‘ne têre qu’àst dimenowe pus p’tite,

èt pwis 1′ pazê qui n’èst pus là…

Et quî èst-ce ci frisse bâcèle-là

8       qui lêt veûy on bê bokèt d’ djambe

tot potchant oute dès fis d’ârca?

Quî èst-ce cilà qui côpe âs jèbes ?

po ses robètes ?

 

  1. Après les six pages toutes écrites.
  2. [ce] serait de savoir. — 13. sèr’rès, fermeras. — 14. … qu’on te poussera (= présentera).

 

PAYS

  1. wêde, prairie. — 3. (liég. nlri), nég. (ne) pas. — 4. été, cimetière.
  2. en sautant la clôture (litt’ : fils d’archal). — 10-11. … qui coupe des (litt’ :  aux)

herbes / pour ses lapins.

 

(p.601)

12    Ti n’ ric’noh minme pus lès cassis qui t’ vélo lèyîve so 1′ costé.

Alonpwis ti gripes so 1′ havâye,

et ti les m’ni,

16        monter ver twè de fond dès plinnes li vint qu’ t’apwète l’odeur dès tares, ciste odeur de 1′ sêzon dès plêves, dès tchèrwés, dès plaques di lézêre, 20           dès prés razés qui djanihèt,

li vint qu’ ti r’troûves,

qu’est di t’ payis.

Ti r’ioukes d’on bwêrd à l’ôte de cîr 24           couri F flouhe dès blankès nûlâyes

qui s’ kiboutèt, qui s’ kihèrèt, et qui passèt…

28                  Et ti d’meures là…

Et pwis, d’à Ion, di so 1′ pavâye, li vint t’apwète li brut d’on tram’.

32    Ti t’ sins planté è 1′ blanke loumîre,

tot-èstèné, tot-ènocint, corne on pôve vî molègn à vint

qu’a fini s’ tins,

36       et qui d’meûre là, on n’ set poqwè, sins-éles.

 

Lès annâyes et lès vôyes, pp. 11-13.

 

  1. alonpwis (liég. adonpwis), ensuite, puis; havâye, talus d’un chemin creux (sur la finale, cfr n° 254, v. 3). — 15. et tu laisses venir. — 19. des labours, des plaques de luzerne. — 24. flouhe, foule, nûlâye, nuée. — 25-26. qui se poussent / qui se bousculent.
  2. tout étonné, tout bête.

 

(p.602)

257 Syince

 

Quand t’årès compté totes lès steûles

èt qu’ t’årès mèseré tos lès mondes,

quand t’årès r’mîsé l’ vî Bon Diu

è vî-warîy dès bråvès djins,

louke dè n’ nî ramasser on freûd,

ca ti d’hotereûs…

come on pôve pitit ènocint.

 

Ibid., p. 23.

 

258 Påke

 

È l’ blanke loumîre dè clér di leune,

li tour di l’èglîse a mètou s’ clokîy so l’ costé,

4       come li blanke calote d’on mônîy.

 

Et n-a tot 1′ rèsse dè batimint

qu’ pind’ so sès rins

come on sètch di brikes èt d’ mwèrtî

8                     bouré d’ pètchîs.

Lès confèchonåls qu’ont craké

ont laché l’ flouhe di leûs miséres

èt l’ Bon Diu s’a catchi d’vins ‘ne cwène

12                     dè l’ såcristîye.

 

science

  1. è vî-warîy, dans la friperie, parmi les vieilles hardes… — 5. regarde à ne pas attraper un rhume. — 6. d(i)hoter, mourir (fam.). — 7. comme un pauvre petit imbécile.

 

PAQUES

  1. mounîy, meunier. 9. … qui ont éclaté.

 

(p.603

Moncheû 1′ Notêre èt Moncheû 1′ Comte,

Moncheû 1′ Mayeûr, Moncheû 1′ Voleûr,

èt 1′ Bankîy qui prind’ sès vacances

16                     fèt bombance.

Il ont l’åme lèdjîre :

‘1 ont-st-invité Moncheû l’ Curé !

 

Quand 1′ grosse ôrlodje,

20       avou si p’tite cloke qui toûne sote,

pète sès dî côps, onze, doze, traze côps,

pète co traze côps,

24          li vî mônîy qui sowe à gotes

èt qu’ f’rè sès påke on djoû ou l’ôte

tape on riya… Pwis djeure tot hôt

28    pace qu’è sètch qu’i hine djus d’ sès rins,

n-a l’ grin qu’est fèrou è mohètes.

 

Ibid., pp. 25-27.

 

  1. mayeûr, maire, bourgmestre. — 15. banquîy, banquier.
  2. … qui tourne folle, c.-à-d. qui est déréglée. — 21. pète, fait retentir. — 25. La tradition veut que le meunier soit le dernier à remplir son devoir pascal (je ses påkes). — 6. riya, rire (subst). — 28-29. … dans le sac qu’il jette bas de son dos, / il y a le blé qui est frappé en mouchettes, c.-à-d. infesté de charançons.

 

 

(p.604)

ALBERT MAQUET

 

Né en 1922 à Liège. Professeur à l’Université de Liège où il est titulaire de la chaire d’italien. Auteur d’études relatives aux lettres italiennes et françaises (notamment d’un essai sur Albert Camus) et d’articles de critique littéraire dialectale.

Œuvres wallonnes :

Poésie : Saminne, Liège, L’Horizon nouveau, 1941, 16 p. — Djeû d’apèles [Jeu d’appeaux], Liège, L’Horizon nouveau, 1947, 112 p. (avec traduction). — A l’ toumêye dès djoûs [Au hasard des jours], dans le collectif Poèmes wallons 1948, Liège, L. Gothier et fils, 1948, pp. 51-53 (avec traduction). — Lûre èl sipèheûr [Luire dans le noir] en édition bilingue avec Henri Espieux, Lutz dins l’escur, poèmes provençaux et wallons avec traduction française et un avant-propos de René Nelli, Paris, Pierre Seghers, 1954., 40 p. — Come ine blanke arièsse [Comme une arête blanche], Namur, Les Cahiers wallons, 1975, 24 p. (avec traduction).

Théâtre : L’êrdiè sins solo [L’arc-en-ciel sans soleil], 1 acte (collab. E. Petit-han), 1952. — Li téléfone, 2 tableaux, 1977.

 

 

259                                                                                                        [Liège]

Treûs p’titès calinerèyes

(3e pièce)

 

Ci djoû-la, i plovéve.

Vis-ènnè somenez-ve bin ?

On s’ diha qu’on s’in.méve.

4   Mon Diu, qui n’ dit-st-on nin !

 

I plova tant qu’ l’Amoûr

bouta foû d’on plin côp.

Nosé tchampion dè coûr

8    qui crèh vite, qui vike pô.

 

Faléve-t-i qu’i plovasse !

(Trop’ d’êwe ni våt måy rin.)

C’èsteût pôr on lavasse…

12    … Noste amoûr nèya d’vins.

 

Dieu d’apèles, p. 95.

 

TROIS PETITES GAMINERIES

  1. se mit à pousser d’un coup. — 7. nosé, gracieux, mignon; tchampion, champignon.

 

(p.605)

260

A I’ manîre d’in-ôte

 

Qu’èstez-ve anoyeûse, nûlêye

qui l’ vint pwète èvôye è l’ grande sitârêye !

Hay ! so tchamps so vôyes, tofér, djoû èt nut’,

4   èt måy nole ahote po v’ lèyî ravu !

 

Qu’èstez-ve anoyeûse, nûlêye

di n’ djamåy poleûr on pô taper djus,

8    po loukî lès-åmes s’èsprinde eune à eune

so lès blankès vôyes dè pus doûs payis : li Leune !

 

Ibid., p. 97.

 

 

261 Li prandjîre

 

Li novê minisse alouma s’ cigåre, si tapa è s’ fauteûy èt dèrit à s’ hussî : « Vos m’ètindez bin, èdon, Arnol : dji n’ so chal po pèrsone ».

Et qwand Arnol èl vina dispièrter, si cigåre aveût distindou, èt lu n’èsteût pus minisse…

 

Ibid., p. 99.

 

A LA MANIERE D’UN AUTRE. — L’« autre », c’est Jules Claskin dont l’auteur parodie ici le poème D’zîr (ci-dessus, n° 158).

 

  1. hay ! interj., en avant !; so tchamps so vôyes, expr. figée, en chemin partout. — 4. ahote, arrêt, halte. — 5. ravu : si rv, se ressaisir, reprendre force.
  2. taper djus (litt. : jeter bas), cesser le travail. — 8. pour regarder les âmes s’allumer une à une.

Prandjîre, sieste.

 

(p.606)

I passe li tins qui lî rèsse

à loukî crèhe come ine fleûr

si min plakêye so l’ fignèsse,

4    si foû longowe min d’ voleûr.

 

Lès-ôtes, assious è l’ coulêye,

s’èssoketèt èt fèt leû r’trêt,

là qu’ leû sondje avou l’ rålêye

8    a pris disconte de cwårê.

 

Nou brut qu’i n’ si dispièrtèsse !

Ni fez nou brut si v’s-intrez.

Li min èt 1′ fleûr èt 1′ fignèsse

12   ni sont nin çou qu’ vos comptez.

 

Ibid., p. 59.

 

263

 

Nou visèdje. Nole sipale.

Rin qui m’ coûr divins mès mins.

È-st-i vrêy qu’à l’ouh i djale

4           ottant qu’ chal å d’vins ?

 

Rin qu’ mès mins. Rin qui m’ coûr.

Et l’eûre qui s’a-st-arèsté.

A ! si dj’ poléve prinde à coûrt

8          po l’ôte di costé !

 

Traduction

H passe le temps qui lui reste — à regarder grandir comme une fleur — sa main collée à la fenêtre, — sa très longue main de voleur.

Les autres, assis au coin du feu, — s’assoupissent et se tassent, — puisque leur rêve à cause du gel — s’est figé contre les vitres.

Point de bruit qu’ils ne s’éveillent ! — Ne faites aucun bruit si vous entrez. — La main, la fleur et la fenêtre — ne sont pas ce que vous croyez…

 

  1. nou (nol devant voyelle), nul, aucun. — 3. à l’ouh, à la porte, au-dehors; djaler, geler. 7-8. … couper au court / par l’autre côté.

 

(p.607)

È-st-i vrêy qu’è viyèdje

il a djalé tant qu’ çoula ?

Ni spale. Ni mins. Ni visèdje.

12    Mi coûr, èstez-ve là?

 

Ibid., p. 69.

 

 

264

Pièrdous

 

Dji m’a stindou so m’ lét sins-îdèye dè dwèrmi.

Dj’a tant tûsé ås-ôtes, dj’a tant tûsé à mi,

dji m’a d’mandé tote djoû tant dès kèsses èt dès messes

4    qui dj’ so come on pièrdou èt qu’ tot s’ rimahe è m’ tièsse.

Et volà, so mi stôre, lès-åbions qui bodjèt

tot s’ tinant po lès spales come s’is d’visît d’on scrèt.

Is savèt portant bin qu’ po comprinde leû lingadje

8    nos d’vrîs poleûr come zèls nos rafiyî foû-z-adje.

Mins ‘l ont bon d’ fafouyî sins hoûter çou qu’is d’hèt,

d’abôrd qu’il åyèsse l’aîr dè talmahî ‘ne saqwè !

C’èsteût co bin lès pon.nes di nos heûre chal so l’ tére

12    si d’pôy, åtou d’ nos-ôtes, on n’ sét fé qu’ dès mistéres !

Nos loukans dès visèdjes qui nos k’djåsèt podrî.

Nos qwèrans d’vins dès lîves çou qu’on n’î a nin scrît.

I nos sonle qu’i fêt djoû èt c’èst l’ nut’ qu’on roûvèye.

16   Nos n’èstans nin min.me sûrs qui nos vikans nosse vèye !

Nos rotans d’vins on sondje èt nos sondjans tot m’nou.

Qui n’ fanse çou qu’ nos volanse, nos nos sintans djondous.

Et s’ n’a-t-i co nou mwért qu’åye awou l’ has’ di coûr

20    dè racori tor chal po m’ni à nosse sècoûrs !

 

Poèmes wallons 1948, p. 53.

 

PERDUS

  1. sins-îdèye, sans intention. — 3. dès kèsses èt dès messes (loc. altérée de « des qu’est-ce et des mais») désigne ici des questions qui restent sans réponse. — 4. … et que tout se mêle dans ma tête. — 5. … les ombres qui remuent. — 8. si rafiyî, se réjouir à l’avance; foû-z-adje, litt. :  hors  [d’]âge.  L’auteur  traduit cet hémistiche :  espérer hors  du temps. — 9. fafouyî, chuchoter. — 10. pourvu qu’ils aient l’air de machiner quelque chose. —
  2. heure, faire tomber (en secouant). — 13. k(i)djåser podrî, dire du mal (de qqn) par derrière. — 17. tot m’nou, de façon continue, sans relâche. — 18. djondou, atteint, attrapé. 19-20. … qui ait eu le cœur (has’ di coûr, as de cœur, au j. de cartes) / de raccourir par ici (= vers nous) pour venir à notre secours.

 

(p.608)

265

Etrindjîr

 

Lès djins, totes lès djins qu’ dj’åreû håbité

f’rît lès qwanses d’èsse mwérts po n’ pus m’aconter.

Lès-ôtes mi loukerît passer come li pèsse

4    di stant lon èrî d’ leûs streûtès fignèsses.

Qui ç’ seûye wice qui ç’ vôye, i n’åreût pus qu’ mi.

Tot s’ houwereût èvôye rin qu’à m’ vèy vini.

Lès-êwes, lès vèvîs ribouterît m’ visèdje

8    èt mi-åbion lu-min.me ni f’reût pus nole tètche.

Ci sèreût-st-on djoû qui n’è finih pus,

come si li spèheûr åreût sogne por lu.

Et s’ freût-i påhûle à-z-ôre voler ‘ne mohe !

12    Dji m’ vôreû fé sène po dîre di m’ ric’nohe;

adon, dji m’ sintereû, so l’ côp, si d’sseûlé

qui dji n’ såreû pus wice qui dj’ deû aler.

Dji m’ sitindreû là, tot long, so lès pîres

16   èt dj’ veûreû l’ solo oute di mès påpîres.

Dji n’ tûsereû à rin. Dji m’ lêreû r’wèri.

Dj’aureû bouhî m’ song’ qui po-z-assoti.

Et d’vant qui dj’ n’avahe à m’ rapinser d’îr,

20    dji ratakereû m’ vèye, sins pleû, à m’ manîre.

 

Ibid., p. 55.

 

ETRANGER

  1. habiter, fréquenter. — 2. feraient semblant d’être morts…; aconter, faire attention à (qqn). — 3. pèsse, peste. — 4. Litt* : d’étant loin arrière… — 6. si houwer, s’écarter, s’éloigner. — 7. … les étangs repousseraient… — 10. s(i)pèheûr (litt : épaisseur), obscurité, ténèbres (ici: de la nuit); âreût sogne, aurait peur. — 11. ôre, ouïr, entendre. — 12. fé sène, faire signe. — 13. d(i)sseûlé, esseulé, solitaire. — 17. Je ne penserais à rien. Je me laisserais guérir. — 18. J’entendrais mon sang battre à la folie (litt1 : que pour devenir fou). — 20. Je recommencerais ma vie, sans [un] pli, à ma guise.

 

(p.609)

266

 

Fåt si pô d’ tchwè d’èsse ureûs

tot fant qui l’ monde crîve di misére.

 

Fåt si pô d’ tchwè di s’ fé hére

4   à mostrer lès triyonfes di s’ djeû.

 

Fåt si pô d’ tchwè d’ bouhî ‘n-ome djus

à tot rotant dreût sor lu

avou l’ boneûr divins lès-oûys.

 

8   Fåt si pô d’ tchwè dè roûvî

çou qu’on-z-a stu d’vant l’ djoû d’oûy,

èt dè n’ pus poleûr candjî.

 

Fåt si pô d’ tchwè dè n’ pus comprinde

12    à fwèce d’avu lès deûs mins plintes

èt dè ratinde, sins sèpi qwè.

 

Fåt si pô d’ tchwè d’ s’afêti

à n’èsse qu’ine pîre å solo.

 

Lûre è l’ sipèheûr, p. 12.

 

Traduction

II suffit d’un rien pour être heureux — alors que le monde crève de misère, n suffit d’un rien pour se faire haïr — en montrant les atouts de son jeu.

Il suffit d’un rien pour renverser un homme — en marchant droit sur lui — avec le bonheur dans les yeux.

H suffit d’un rien pour oublier — ce qu’on a été avant le jour présent, — et pour ne plus pouvoir changer.

Il suffit d’un rien pour cesser de comprendre, — à force d’avoir les deux mains pleines — et d’attendre, sans plus savoir.

Il suffit d’un rien pour s’habituer — à n’être qu’une pierre au soleil.

 

 

(p.610)

PIERRE FAULX

Né en 1922 à Roux (Charleroi). Employé de bureau.

Œuvres wallonnes :

Prose : Pensées wallonnes, édit. de F« Association littéraire wallonne de Char­leroi », Jumet, 1972, 30 p. — Deuxième bouquet d’ pinséyes walones, s.l., 1976, 136 p. Théâtre : quelques comédies d’un acte.

 

 

267                                                                                                   [Roux]

[Maximes et proverbes]

 

  1. A vîr èl sôrte di djins qu’on salûwe djusqu’à têre, on èst tout binauje di ièsse dins lès cens qui n’ont qu’ dès p’tits bondjoûs.
  2. Gn-a prèsqui pupont d’ tchuvaus, mins gn-a co ostant d’ gorias.
  3. On n’ sâreût nén fé dès grandès fritches ave dès p’tits canadas.
  4. Avè tout ç’ qu’is vîyenut fé padrî lès bouchons, gn-a byin dès-ârbes qui r’grètenut d’ièsse di bos.
  5. L’ cén qu’a dès poufs pa tous costès a toudi branmint pus long pou rintrer à s’ maujone.
  6. Ç’t-ène saqwè d’ tèribe di vîr mau èvi l’ cafè èt d’ièsse ramponau !
  7. Quand 1′ feume du cabarèt n’ plét pus, on a rade dit qui l’ bîre èst surte.
  8. On n’ divreut jamés bwâre di l’eûwe quand on a ‘ne santé d’ fièr : c’èst tous djeus pou l’èrouyî.

 

  1. binauje, content.
  2. goria, collier (de cheval), ici au fig.
  3. canada, pomme de terre.
  4. bouchon, buisson.
  5. pouf (argot), dette qu’on ne paie pas.
  6. vîr mau èvi, voir avec aversion, détester; ramponau, filtre de cafetière formé d’une bourse en tissu (DL, fig. 552).
  7. … on a bientôt dit que la bière est aigre.
  8. … c’est le moyen (litt. : c’est tous jeux) pour la rouiller.

 

(p.611)

  1. Faut toudi sawè t’nu s’ ran, di-st-i l’ pourcha.
  2. Pouqwè-ce qu’ène tartine tchét toudi du costè du bûre ?

 

Pensées wallonnes, pp. 9, 11, 13, 14 et 15.

 

(p.611)

  1. Amoûr du matin scrandit l’ pèlèrin.
  2. S’i gn-âreut à Brussèle in Manikènpis’ walon, i s’ toûnereut du costè du mur.
  3. A vos-ètinde, i n’èst nén come èn-ôte. Et ç’n-ôte-là, c’èst vous ?
  4. L’ pus grand dès mèrcis qu’on dwèt à s’ pére, c’èst d’ vos-awè chwèsi ç’ moman-là.
  5. Quand on d’vént pus vî, d’meurer come on èst, c’èst radjon.ni.
  6. C’èst co pus dur di mori quand on a ieû ‘ne bèle vîye.

 

Deûsième bouquet d’ pinséyes walones, pp. 17, 79, 89, 95 et 131.

 

  1. Calembour sur « tenir son rang » et ran d’ pourcha, étable à porcs.
  2. bure, beurre.
  3. scrandit, fatigue. Parodie du prov. franc. «La pluie du matin réjouit le pèlerin». 13. /, a, c.-à-d. quelqu’un dont on vient de parler.

 

 

(p.612)

ANDRE HENIN

 

Né en 1924 à Han-sur-Lesse. Ordonné prêtre à Namur en 1949, curé-doyen de Gembloux.

Œuvres wallonnes :

Poésie : Tchansons po l’iviêr, Namur, Les Cahiers wallons, 1977, 16 p.

Prose : Li nwâr Tatiche [Le Diable noir], conte dans Les Cahiers wallons de décembre 1975, pp. 153-163.

 

 

268                                                                                      [Han-sur-Lesse]

Tchandeleû

 

Ça fêt tant dès-ans qui 1′ vî Siméyon

si lève divant 1′ djoû, qu’i pleuve ou qu’i bîje,

arive en soflant, ployi su s’ baston,

4   ratinde li curé su l’uch di l’ èglîje.

 

Tot do long do l’ vôye, i sème sès pâtêrs. …

I faut bin priyi po totes sôtes di djins,

i faut bin tchantè avou tote li têre

8    po lès cis qu’ dwârmèt èt qui n’ont nin l’ tins.

 

Ascropu su s’ banc, li calote au gngno,

i sgote si tchapelèt dins sès crawieûs deuts,

tot bin uje di vèy, quand i r’lève si dos,

12    li tchandèle bènite blametè su l’auteu.

 

CHANDELEUR. — Célébrée le 2 février, la Chandeleur commémore la présentation de Jésus au temple de Jérusalem, le quarantième jour après sa naissance. L’évangile de la fête rappelle l’accomplissement de la prophétie faite au pieux vieillard Siméon qu’il ne mourrait pas sans avoir vu le Messie. Le nom de Chandeleur est lié à l’usage liturgique de bénir, ce jour-là, les cierges ou tchandèles (cfr v. 12 du poème) dont la flamme sym­bolise la lumière nouvelle du Christ.

 

  1. Ici et plus loin, on remarquera l’anachronisme qui fait le charme naïf de la pièce.
  2. ascropu, recroquevillé; gngno, genou. — 10. I sgote, il égrène; crawieûs, noueux, rabougri. — 12. blametè, luire; auteu, autel.

 

(p.613)

 « Au djoû do 1′ Tchandeleû, n’ pinserîz nin, Sègneûr,

à lèyi rintrè vosse vî parwassyin ?

Dj’aî passè l’iviêr, dji sé bin qu’asteûre

16   li pus lêd èst iute, dj’alans su l’ bon tins… »

 

I n’a nin paupyi quand mèsse a stî fête,

i s’a raguêyi en r’waîtant d’asto,

au mitan dès sints, dès-andjes, dès profétes,

20    li Bon Diè qu’ passot — èt qu’ l’a pris au mot.

 

Tchansons po l’iviêr, p. 12.

 

Nous reproduisons ici la traduction, due à l’abbé Henin, d’un passage de l’Evangile lu au cours d’une messe célébrée en wallon dans l’église Saint-Jean-Baptiste à Namur, à l’occasion des fêtes de Wallonie, en septembre 1977, suivie de l’homélie prononcée par l’auteur.

 

 

269

Evandjîle

(saint Djan, XXI, 15-19)

 

Quand is-ont iu tot fêt d’ mougni, Jésus atauche Simon d’èmon Djan, qu’il avot li-min.me sorlomè Piêre. I lî dit : Simon, èst-ce qui vos m’ vèyoz voltî ? »

Et Piêre sins tchiketè :  « Ayi, Sè­gneûr, dji Vos veu voltî ». On deûzin.me côp, i 1′ prind su 1′ costè èt lî dîre :  « Simon, èst-ce qui vos m’ vèyoz voltî ? » Piêre iketéye on bokèt : il a dès sovenances, noste ome : « Ayi, Sè­gneûr, Vos l’ savoz bin qui dj’ Vos veu voltî.

 

Lorsqu’ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre :

« Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ?» Il lui répondit : « Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime ». Jésus lui dit : « Pais mes agneaux ». Il lui dit une se­conde fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Pierre lui répondit : « Oui, Seigneur, vous savez bien que je vous aime ». Jésus lui dit : « Pais mes agneaux ». Il lui dit pour la troisième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? »

 

è

13-14. Paraphrase libre du Nunc dimittis servum tuum, Domine… (Luc, II, 29) : Mainte­nant, Seigneur, vous laisserez partir votre serviteur… — 16. dj’alans, sur cette forme, cfr ci-après, n° 269, n. 57.

17-19. Il n’a pas cillé quand [la] messe a été achevée, / il s’est mis en joie en voyant tout près, / au milieu… — 20. … et qui l’a exaucé.

 

(p.614)

— È bin d’abord, vos-auroz sogne di mes djins ».

On trwèzin.me côp, Jésus ratake èt lî dîre :   « Po d’ bon,  Simon, èst-ce qui vos m’ vèyoz voltî ? » Pôve lêd Simon, i biketéye. Tot vî, on-ome èt pèneûs come on baudèt qu’a rovyi s’ nom. « Bin, wê, Sègneûr, Vos savoz bin çu qu’ dj’aî faît èt çu qu’ dji n’aî nin faît. D’abôrd, Vos savoz bin qui dj’ Vos veu voltî.

—  Vos-auroz sogne di mès djins » di-st-i l’ Maîsse.

» Et mi dj’ vos 1′ di : quand vos-èstîz djon.ne, vos-ablouketîz vosse cingue vos-min.me èt fè à vosse môde. Quand vos sèroz divenu vî, c’è-st-on-ôte qui v’s-ablouketéyerè èt v’ minè d’où-ce qui vos n’aurîz nin l’idéye ».

Jésus causot insi po mostrè à Piêre comint-ce qu’on djoû i vêrot à moru por li. Là d’ssus, i lî dit : « Vinoz avou mi ».

 

Pierre fut centriste de ce que Jésus lui demandait pour la troisième fois : « M’aimes-tu ? » et il lui répondit : « Seigneur, vous connais­sez toutes choses, vous savez bien que je vous aime ». Jésus lui dit : « Pais mes brebis. » En vérité, en vérité, je te le dis : Quand tu étais jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais où tu voulais. Mais quand tu seras vieux, tu éten­dras les mains et un autre te ceindra et te conduira où tu ne voudras pas aller ».

Jésus parlait ainsi pour indiquer par quel genre de mort Pierre devait glorifier Dieu. Et il ajouta : « Suis-moi ».

 

 

Prétchemint

 

Ci-t-anéye-ci, i m’a v’nu l’idéye di vos causè d’ sint Pîre. Poqwè sint Pîre ? Poqwè nin ? Di tos lès cis qui toûrnikèt autoû d’ Jésus dins l’Evanjîle, c’èst co li qui dj’ veu l’ pus voltî.

 

4 Po dîre li vraî, on n’ sét nin grand tchôse di li. Lès cis qui fièt dès statûwes èt dès postures, li mostrèt tofêr come on vî ome avou

 

homelie

  1. De tous ceux qui fréquentent Jésus… chercher ça.
  • 6-7. Du diable si je sais où ils sont allés

 

 

(p.615) s’ grande baube èt s’ pèléye tièsse. Dji n’ sé nin au diâle d’où-ce qu’is-ont stî quére ça. On sét jusse qu’il èstot pus vî qu’ sint Djan,

8   mês ça n’ vout co rin dire. Et di tote maniére, il èstot fwârt djon.ne di caractére.

Sint Pîre, c’èstot on pècheû. Mês atincion :  nin on pècheû d’ Moûse come vos-ôtes li dîmègne do l’ vèspréye quand vos-aloz

12 v’s-assîr au bwârd di l’êwe èt ratinde lès bètchadjes tot soketant à mitan su vosse pani. Li pèche, po sint Pîre èt po sès camarâdes, c’èstot on rude mèstî; ènn’alè d’vant l’ djoû maugrè 1′ mwaîs tins èt lès-oradjes, waîti d’ vinde saquants pèchons po gangni s’ crosse

16 èt noûri s’ famile, do l’ vèspréye rastokè l’ naçale èt raboketè lès filèts po r’prinde l’ovradje tot-au matin.

Qu’èst-ce qu’on sét co d’ sint Pîre ? Qu’il èstot marié dandjereûs pusqu’on cause di s’ bèle-mére. Gn-a min.me dès mèchantes linwes

20 po dîre qui Note-Sègneûr n’a jamaîs faît qu’on mwaîs côp su tot s’ vikadje : c’èst quand il a r’faît li bèle-mére d’à sint Pîre qu’èstot malade. Mês faut-z-èsse mau tourné, savoz, po-z-è dîre dès parèyes ! Pace qui lès bèlès-méres, c’èst come tortos : c’èst come lès mayeûrs,

24 lès médecins, lès curés. Gn-a d’ totes lès sôtes : dès bones, dès mwaîjes èt dès trèlârdéyes. Et 1′ bèle-mére d’à sint Pîre, c’èstot sûr one bone djin pusqui (c’èst l’Èvanjîle què l’ conte), do côp qu’èlle a stî r’faîte, èle s’a lèvèèet l’zî fè l’cafè à tortos.

28 Djè l’ dijo tot-à l’ eûre : sint Pîre èstot fwârt djon.ne di caractére. On djoû vo-le-là tot-èfoufyi èt tot foû d’ li : «… Dji sèraî avou vos, vos p’loz comptè sur mi, dji vos sîraî jusqu’au coron… » Rastrind : li londemwin, tot cacame noste ome : «… Atincion, nin

32 trop rade, faut waîtî à li… » On djoû qu’on vint mète li mwin su Note-Sègneûr, Piêre sôte’ li grand couté èt s’ bate come on diâle po l’ disfinde… èt trwès-eûres après, à l’ chîje, autoû do feu,

 

 

  1. pècheû, pêcheur. — 12. bètchadje, action de mordre, en parlant du poisson. — 14. mwês tins, mauvais temps. — 16. … le soir, caler la barque et regrouper les filets.
  2. dandj(u)reû (invar.), sans doute. — 21. r(i)fêt, guéri. — 24. mwêje, mauvaise. — 25. dès trèlârdéyes, des entre-les-deux, des moyennes. — 27. èt l’zi fè, cette tournure dite infinitif substitut (cfr n° 207) se retrouve plusieurs fois dans la suite du texte; on traduira ici : et leur a fait…
  3. èfoufyi, excité, exalté. — 30. … je vous suivrai jusqu’au bout — 31. rastrind!, imper. de rastrinde, restreindre, formule adressée plais’ à celui qui exagère; cacame, penaud, confus. — 32. … faut regarder à soi… — 33. … Pierre sort le grand couteau … Remarquer la forme franc, pour le prénom employé seul et la forme wall. figée dans sint Pire.

 

(p.616)

divant one mèskène et on simpe sôdâr :  «… Dji n’ conu nin

36    ç’t-ome-là, dji n’ê rin à véy avou li… »

Portant c’èst li qui Note-Sègneûr a tchwèsi po-z-èsse li preumi èt po r’mostrè l’s-ôtes. Poqwè ô, sabaye ? S’il aurot iu v’lu, i ‘nn’ aurot bin trouvu dès pus malins èt dès mèyeûs : sint Paul, tènoz, là,

40 qui vérè pus taurd èt qu’èstot on-ome fwârt capâbe èt qui causot come on-aurmonak, si télemint bin qu’on n’ compurdot nin l’ mitan di ç’ qu’i v’lot dîre. Et 1′ binamé sint Djan, on djon.ne ome fwârt come i faut èt qu’èstot l’mî vèyu d’ tos. Et Luc qu’èstot médecin

44 à ç’ qu’i parèt. Et min.me Matieû qu’èstot r’civeû dès contribucions èt qu’avot sûr fêt ses mwayènes.

Poqwè sint Pîre ? Pace qui, dispôy li preumî djoû, i s’a fiyi au Bon Diè. Et nin à mitan. Quand l’ Bon Diè l’a iu r’waîti èt lî dîre :

48 « Vinoz avou mi », il l’a sî èt il a todi roté, maugrè tot, maugrè sès pètchis èt sès fèrdin.nes. Il a todi bin sèpu qui l’Bon Diè l’ in.mot bin èt il î a crwèyu. Min.me après l’afaîre do cok. Vos savoz bin : Note-Sègneûr lî avot dit : « Quand l’cok tchanterè, vos m’aurez

52 r’noyi deûs côps. » Et ç’a stî l’vraî. Mins i n’ s’a nin stî pinde come li pôve lêd m’ vêt d’ Judas. Non. Quand l’Sègneûr l’a iu r’waîti, Piêre a bachi lès-ouys èt il a braît, come on-ome.

Dji su fin binauje, vèyoz, qui Note-Sègneûr auye tchwèsi Piêre pus

56 vite qu’on-ôte pace qui c’èst li qui nos r’son.ne li pus, èt çu qu’il a faît, djè l’ p’lans fè ossi. Waî ! Nos n’èstans nin tortos dès djins fwârt capâbes come Paul èt come Djan èt come Luc. Maîs ça, on n’è pout rin. Nos n’èstans nin non pus tos lès djoûs dès djins fwârt

 

  1. et pour éclairer les autres [disciples]. Pourquoi donc, à votre avis ? Sur sabaye, cfr n° 140, n. 48; aurot iu v’lu, forme surcomposée du conditionnel passé, là où le fr. n’use que d’un temps composé : (s’il) avait (litt* : aurait) voulu; sur la surcomposition, fréquente en dialecte, comme emploi de l’expression de l’irréel, cfr L. Remacle, Syntaxe, 2, pp. 74-76. —• 41. aurmonak, almanach; c’est l’équivalent du fr. : parler comme un livre; si télemint, tellement. —

41-42. Allusion aux épîtres de saint Paul dont l’exégèse est ardue. — 45. sès mwayènes, sous-ent. : classes; l’école moyenne comprenait naguère trois années parallèles au cycle inférieur de l’enseignement secondaire.

  1. sî, suivi; roté, marché. — 49. fèrdinnes, fredaines, peccadilles. — 53. comme le misé­rable Judas; l’expression lêd m’ vêt marque la répulsion ou la réprobation, pôve y ajoute une nuance de pitié qui domine dans l’expr. pôve mi-vét (ci-après, 1. 67); sur m(i) vêt, cfr n° 22, n. 1 et passim.
  2. fin binauje, tout à fait content. — 57. Litt. : je le pouvons faire aussi; sur l’emploi de « je » au lieu de « nous » comme pron. pers. sujet à la 1re pers. du plur., cfr L. Remacle, Syntaxe, 1, pp. 217-218 et carte 9; le même tour se retrouve dans la suite du texte en

 

 

(p.617)

60 come i faut : faut l’ dîre come il èst. Maîs dj’èstans tortos capâbes di nos fiyi au Bon Diè. Platèzak ! Et c’èst ça qui 1′ Bon Diè nos d’mande, li preumî. C’èst ça qui compte por li. Come po sint Pîre. À la bone eûre ! Ça racoradje, savoz, ça.

64 Causant d’ sint Pîre, on cause voltî di s’ cok. Djè l’aî dit, tot-à l’eûre. Ô ! por li ça n’ duvot nin-z-èsse one fwârt bèle sovenance, èt tos lès côps qu’il a oyu tchantè lès coks au matin, i n’ duvot nin-z-èsse pâr trop fiér, li pôve mi-vét.

68 Nos-ôtes, justumint, lès Walons, quand dj’avans v’lu prinde one imaudje po nos-î r’trouvu èt nos rachonè t’t-autoû, nos n’avans iu qu’ fè do couru long èt laudje come dès cis qu’i gn-a, po-z-alè quére one grosse laîde bièsse qu’on n’è trouve pont avaurci. Non, dj’avans

72   pris on cok, tot bonemint.

Maîs atincion : li cok, d’où-ce qu’on 1′ trouve dins nos viyadjes ? À deûs places : su l’ansègnî èt à 1′ copète do clotchî. Su l’ansègnî, ayi : lès deûs pîds à têre èt, pa dès côps, one miète pèstèlè dins

76 lès brôs, maîs ça n’ faît rin… èt qu’on n’ vègne nin nos-èdwârmu avou dès bwagnes contes. S’on-z-a mwints côps « lès tch’vés fwârt près do 1′ tièsse », come dins nosse tchanson, c’èst pace qu’on n’ faît nin voltî 1′ plat-pîd èt l’ douce alin.ne. Mougneû d’ Bon Diè

80   èt tchiyau d’ diâle, nos n’in.mans nin ça.

Maîs à l’ copète do clotchî ossi : li tièsse dins 1′ bleû do ciél èt n’ nin vikè come dès nawes, sins pont d’ameû, come dès lumeçons dins do 1′ farène. O ciél, d’où-ce qui 1′ Bon Diè nos ouke po nos

84 r’ssatchi foû d’ nos wébes èt nos r’drèssi d’astampè èt nos fè rotè sins fè 1′ long cu à non-syince.

 

 

alternance avec le type habituel « nous ». — 60. come il èst, comme cela est. — 64. Platèzak (liég. plat’-kizac), platement, tout net. sans ambages; adv. employé comme interjection.

  1. imaudje, image au sens d’emblème (ici le Coq wallon). — 71. « la grosse laide bête qu’on n’en trouve pas par ici », c’est évidemment, vu le contexte, le lion de Flandre.
  2. ansègnî, tas de fumier près de la ferme. — 75. pèstèlè, piétiner. — 76. brô ou brou, ordt au plur., immondices, boue. — 77. bwagnes contes, sornettes; mwints côps, maintes fois. — 77-78. Allusion au Tchant des Walons de Bovy et Hillier. — 79. … le pied-plat et l’hypocrite. — 80. « chieur de diable » en contraste avec « mangeur de Bon Dieu » pour figurer un comportement à double jeu.
  3. nawe, paresseux; sins pont d’ameû, sans consistance, sans ressort; lumeçon, limace. — 83. … Dans le ciel là où le Bon Dieu nous appelle… — 84. foû d’ nos wébes, hors de nos habitudes (au sens de routine); d’astampè, debout. — 85. fè l’ long cu, traînasser, lambiner; à non-syince, à tort, vainement.

 

(p.618)

Su l’ansègnî èt à 1′ copète do clotchî.

Lès pîds à 1′ têre èt 1′ tièsse dins 1′ bleû do ciél, come li cok walon, come li cok d’à

88    sint Pîre.

Vos n’ m’è vôrez nin, don, sint Pîre, si dj’ê tûzè à tot ça en sondjant à vos audjoûrdu. Pôrot valu qui dj’ sèrins come vo li djoû qui l’ Bon Diè nos satcherè su l’costè èt nos d’mandè : « Piêre,

92 Djôsèf, Françwès, Fine èt Caterine èt vos-ôtes tortos, èst-ce qui vos m’ vèyoz voltî ? » Et nos-ôtes, sins iketè : « Ayi, Sègneûr, dji vos vèyans voltî. » Nin si vite, mon parent ! « Piêre, vormint, èst-ce qui vos m’ vèyoz voltî ? » Et nos-ôtes, one miète rafrèdis : « Bin

96 ayi, Sègneûr, dji vos vèyans voltî. » Et on trwèzin.me côp : « Piêre, po d’ bon ç’ côp-ci, èst-ce qui vos m’ vèyoz voltî ? — Choûtoz, Sègneûr, c’èst l’ vraî qu’i gn-a branmint dès man.nèstès à chovè dins nosse maujon. Maîs n’aloz nin trop rade po lès foute à l’ rigole. Pace

100 qui, au mitan dès poûssîres èt dès stramûres, gn-a tofêr on pitit pièle qui r’lut corne di l’ôr. Pace qui, maugrè ç’ qu’on pout dîre èt pinsè, c’èst l’ vraî qui dj’ Vos vèyans voltî. » Âmèn.

 

Les Cahiers wallons, n° de février 1978, pp. 20-23.

 

  1. don, n’est-ce pas. — 90. Pôrot valu (expr. figée), il serait souhaitable. — 93. sins iketè (litt. : sans hoqueter), sans hésiter. — 94. mon parent, loc. franc, à valeur familière : mon ami ou l’ami!; vormint, vraiment, avec nuance d’intensité. — 98. … beaucoup de saletés à balayer… — 100. stramûres, balayures, détritus; pièle (masc.), perle.

 

 

(p.619)

JULES FLABAT

 

Né en 1925 à Jodoigne. Attaché à la direction de la société Solvay et pro­fesseur à l’Ecole des Arts d’Ixelles. Président du cercle des « Romans scrijeûs » (écrivains du Roman Pays de Brabant).

Œuvres wallonnes :

Poésie : Noces d’ardjint, s.l.n.d. [1972], [28] p. — Dè blanc sauvion së lès tîlias [Du sable blanc sur le carrelage], s.L, 1975, [68] p. (avec traduction).

Bandes dessinées : Fîrin conte lès-Arsouyes, édition de la « Corporation dès Romans Scrijeûs », Wavre, 1973, [20] p. — Fîrin èt Manëkèn-Pis, même édit., 1974, [20] p. — Lès djins d’ôte paut [Les gens d’ailleurs], même édit., 1976, [16] p.

 

 

270                                                                                              [Jodoigne]

Tot-è-st-à s’ place

 

Lès colons sont-st-à leû bawète

èt lès rampioules së l’ vî pègnon.

Lès roûwes sont pa-d’vant lès bèrwètes

4    èt l’a au mitan dès-agnons,

lë clotchî à stok dë l’èglîje,

lès deûs-awîyes dëssës 1l cadran,

lë chabrake avou lès vints d’ bîje,

8    lès clëkotias amon l’ martchand.

Lès naujes sont së lès tchèyêres,

lë cougnîye à costé dè l’ blo,

lès sauvèrdias dins lès colwêres

12              … èt më d’lé vos!

 

Noces d’ardjint, p. [9].

 

TOUT EST EN PLACE

  1. bawète, lucarne; ici,  petite baie par où le pigeon  (colon)  rentre  dans sa  case,  au colombier. — 2. rampioule, lierre; pour la valeur de la graphie e italique, cfr n° 165. — 3. roûwe, roue. — 4. et l’ail au milieu des oignons. — 5. à stok, contre (ici. au-dessus). — 6. les deux aiguilles sur… — 7. chabrake, châle pour se protéger du froid. — 8. clikotia, brimborion. — 9. naujë, fatigué (ici : paresseux). — 10.   la cognée à côté du billot. —
  2. sôvèrdia, moineau; colwêre, gouttière.

 

(p.620)

271

Evôye

 

On a clawé tote lë nêt

amon 1′ tchaurlî, dins 1′ vëladje.

On n’ sârot nî fé, parèt,

4    on vacha sins grand tapadje.

 

Ça a despièrté tot 1′ monde,

sauf on vî ome èdârmë

dins s’ nwêre frake à quèwe d’aronde

8    quë 1′ baurbî lî a mètë.

 

Dè blanc sauvion së lès tîlias, p. [61].

 

 

272

L’ome

 

Intrez, l’ome, èt boutez-ve à tauve,

nos paurtadje’rans nosse bokèt d’ pwin;

après, nos raconte’rans dès fauves,

4   vos dâame’roz vêcë dësqu’à d’mwin.

 

Come vos-avoz l’aîr naujë, l’ome,

n-a dès longuès vôyes padrî vos.

Vos nèyeroz tot ça dins on some.

8    Au matén, quand vos v’ despièteroz,

 

PARTI

  1. tchaurlî, charron (faisant souvent,  à la campagne, office de menuisier). — 3. parèt, litt. : paraît-[il] (= n’est-ce pas). — 4. vacha, cercueil.
  2. èdarmë, endormi.

 

L’HOMME

  1. vêcë, ici.
  2. Vous noierez…

 

(p.621)

N’-ârans aprèsté dè frëmadje,

on lëte dè vén, dè novia pwin…

Mins poqwè catchîz vosse vësadje ?

12   Vosse coutia a tchê së 1′ pavemint.

 

Non, në d’djoz rén. Pa-côp, nosse vîye

n’èst ni todë come on l’ voûrot.

V’s-avoz passé pa l’ trau d’ l’awîye.

16   L’ome, boutez-ve à tauve avou nos.

 

Les Cahiers wallons, n° de juin 1975, p. 100.

 

  1. Votre couteau est tombé sur le dallage.
  2. … par le chas de l’aiguille (= à travers les pires détresses).

 

 

(p.622)

JENNY D’INVERNO

 

Née en 1926 à Liège. Assistante sociale.

Œuvres wallonnes :

Poésie : Li botique ås spènes [Boutique aux épines], partiellement publié sous le titre Poèmes en dialecte de Liège dans Les Cahiers wallons de novembre 1952, pp. 133-152. — On neûr vèvî qu’on nome amoûr [Un étang noir appelé amour], Liège, Société de Langue et de Littérature wallonne, 1978, coll. « Littérature dialectale d’aujourd’hui » n° 4, 36 p.

Prose : Contes dans Marche Romane (Cahiers de l’A.R.U.L.g.), t. 4, Liège, 1954 et dans le Bulletin de la Société liégeoise de Langue et de Littérature wallonnes, t. 70, Liège, 1962.

Théâtre : Antigone, d’après Sophocle, repr. par le « Théâtre Dialectal popu­laire », Liège, 1957.

 

 

273                                                                                                        [Liège]

Bayes

 

C’è-st-ine tchanson, tote lôyeminôye,

c’èst m’ coûr, tot neûr come on tåvelê,

c’èst l’ sondje, qu’î scrît sès djeûs d’ macrê

4    avou dès deûts come dè l’ blanke crôye.

 

Coûr qui s’ lêt fé, coûr qui s’anôye.

C’èst l’ feû, qui roûvèye dè broûler,

c’èst l’ plêve, qui s’ ratind dè tchoûler.

8    C’èst l’ vî rèspleû…

 

Bon Diu ! quéle sôye !

 

On neûr vèvî qu’on nome amoûr, p. 26.

 

BAILLEMENTS

  1. lôyeminôye, nonchalant(e). — 3. macrê, sorcier. — 4. crôye, craie. 7. … qui se retient de pleurer. — 8. rèspleû, refrain.

 

(p.623)

274  Ranguin.ne po on dîmègne qu’i ploût

 

I n-aveût ‘ne fèye

on vî passé

tot rabroketé

4   d’avu chèrvou  po lès dîmègnes.

 

Et totes lès fèyes

qui l’ vî passé

èsteût r’mouwé,

8    à l’èmantcheûre, i fève ine hègne.

 

Et l’ vîle djône fèye

qui l’ vî passé

fa tant tchoûler

12   nèl wèséve heûre, sogne dès-arègnes.

 

— Hîy hay ! mi fèye !

Vos v’ fortûsez po l’ vî passé…

16   Alez’ hanter :

li ci qu’alowe ni d’vint nin strègne.

 

Ibid., p. 11.

 

RENGAINE POUR UN DIMANCHE DE PLUIE

3-4. tout rapiécé / d’avoir servi pour les dimanches.

  1. èmantcheûre, emmanchure (d’un vêtement), ici correspond à : entournures; hègne, moue, grimace.
  2. n’osait le secouer, par crainte des [toiles d’]araignées.
  3. si fortûser, penser trop loin, se laisser emporter par la songerie. — 17. celui qui dépense ne devient pas avare.

 

 

(p.624)

275  Falyite

 

Qwand l’ houssî vinrè po marker m’ manèdje,

n-årè dèdja ‘ne tchoke qui djèl ratindrè.

Dji tchoûk’rè d’vant lu li p’tit blanc norèt

4   qui dj’årè noukî so tôo mi-èritèdje :

 

dès bokèts d’ djônèsse, on maketé rèspleû,

dè 1′ pacyince — fwért pô — èt dès båhes pièrdowes,

dès ploumetchons d’ corèdje, deûs’-treûs gotes d’èhowe,

8    èt 1′ djoû qu’ n’ a nin v’nou, d’vins tos sès reûds pleûs;

 

dès d’sîrs à crahês, dè 1′ påsse d’ènocint,

ine pîre à r’sin.mer l’èspwér èt lès djôyes,

on mureû po rîre, ine mèseûre po rin,

12    èt 1′ houlêye ôrlodje d’on coûr qui s’anôye…

 

Qwand 1′ houssî lêrè dè marker m’ manèdje,

dji n’årè pus d’ keûre di s’ souwé moufetèdje.

Et come c’è-st-in-ome qu’on n’ lî èsplike rin,

16    dj’ ènn’ îrè tote seûle vè l’ pasê qui d’hind.

 

Ibid., p. 3l.

 

FAILLITE

  1. il y aura déjà un certain temps… — 3. norèt, mouchoir. — 4. noukî, nouer.
  2. … un refrain qui s’entête. — 7. ploum’tchon, filament; èhowe, énergie. — 8. … dans tous ses plis raides.
  3. Des désirs calcinés, de la pâte de naïf. — 10. r(i)sin.mer, aiguiser.
  4. Quand l’huissier cessera (litf : laissera) de… — 14. keûre, cure, souci; souwé, sournois; moufetèdje, muflerie, maussaderie. — 16. … vers le sentier qui descend.

 

 

(p.625)

GEORGES SMAL

 

Né en 1928 à Houyet. Technicien syndical.

Œuvres wallonnes :

Poésie : Vint d’ chwache [Vent qui blesse (1)], Namur, J. Servais, 1953, 56 p. — A l’ tachelète [En livrant la balle (2)], [Namur], J. Servais, 1956, [36] p. — Cayôs d’êwe [Galets], Namur, Les Cahiers wallons, juin-juillet 1973, pp. 85-115 et à part, s.l.n.d., 32 p (avec traduction).

 

 

276                                                                                                [Houyet]

Ci djoû-là

 

Quand nosse tièsse ritchêrè, pèsante, dissus l’ tièstîre,

quand nos djambes sèront rwèdes èt nos mwins come do 1′ pîre,

quand l’oûrlodje di nosse keûr aurè d’chèrè si r’ssôrt,

4   nos-irans sins mankè r’trouvè nos péres o saurt.

 

Nos-aurins v’lu d’morè avou lès fis d’ nos fèyes,

nos-aurins v’lu r’taurdji li dêrène eûre do l’ pèye,

nos-aurins v’lu vikè seûlemint jusqu’au matin

8    po véy scléri 1′ solia su dès novèlès mwins.

 

Maîs s’ i nos faut ‘nn’ alè èvè méyenêt méye-z-eûres

èt s’ i nos faut suwè divant qu’ nos n’ soyanche meûrs,

nos pudrans 1′ tins qu’i faut po distwatchi l’ loncha

12  èt nos mousserans, vikants, nos coutchi o vacha.

 

Vint d’ chwache, p. 12.

 

CE JOUR-LA

  1. tièstîre, taie d’oreiller. — 3. aurè d’chèrè, aura cassé. — 4. o saurt, dans le champ [des morts].
  2. scléri, luire, briller.
  3. … vers  «minuit-mille heures»,  c.-à-d,  à minuit  et au-delà  (moment qui  n’est  pas précisé). — 10. suwè, suer; mûr (pour la mort). — 11. … pour détordre l’écheveau. — 12. vacha, cercueil.

 

(1) Exactement, vent du nord-ouest (froid et humide).

(2) Traduction approximative. L’expression appartient au jeu de balle au tamis pour désigner une livrée de flanc faite avec promptitude (cfr n° 240, note 138). — Au glossaire final, l’auteur a transposé ce titre : Comme en se jouant.

 

(p.626)

277  Finau-mwès

 

Ièrdî sins tchin èt sins baston

avou tot jusse

one dozin.ne di motons.

 

4   Ç’asteut li, don, mès djins, qu’ènn’ aleut djà d’vant 1′ djoû

mwinrnè tchampyi sès bièsses su lès bokèts do Rwè !

Poqwè nèl veut-on pus su lès crèstias, fin drwèt

au mitan d’ sès bèrbis ? Tènoz ! vos-astoz d’ doû !

 

8    Ièrdî sins tchin èt sins baston

po moru, jusse,

come on mokion inte deûs ratchons.

 

Ibid., p. 29.

 

 

278

 

Dji baloujeu mièrnu po rapauji mès fîves

èt dji strimeu lès nwârs pasias blancs d’ nîve.

 

Et volà qu’ padrî mi dj’ oyeu montè doûcemint

one tchanson qu’ lès vikants n’ conuchint nin.

 

A chake pas qui dji fieu, lès vwès astint pus fèles.

Li nîve tchèyeut todi, pus blanke, pus bèle.

 

 

MOIS DE LA FENAISON

  1. ièrdi, herdier, pâtre.
  2. don, n’est-ce pas. — 5. mener ses bêtes aux champs; lès bokèts do Rwè, prés et terres

de la dotation royale à Houyet, sens relevé par le symbolisme religieux du poème pour

suggérer les  pâturages  du  Bon  Berger. — 6.  crèstia,  crête,  sommet d’une  colline.  —

  1. Tiens ! vous êtes en deuil !
  2. mokion, morve; ratchon, crachat.

 

Traduction

J’errais seul pour apaiser ma fièvre — et j’étrennais les sombres chemins blancs de neige. Et voilà qu’à ma suite j’entendis doucement monter — un chant qui était inconnu des vivants.

A chacun de mes pas, les voix étaient plus dures. — La neige tombait toujours, plus blanche, plus belle.

 

(p.627)

Et dji sondjeu qu’ mès-ascaujîyes astint trop nwâres

8  po fè rawyi lès vikants qu’astint mwârts.

 

Ibid., p. 37.

 

279

 

Lauvau su 1′ sou, blanke di farène

come one andje èsconte do solia,

li djon.ne mon.nerèsse waîte su l’ pasia

4  one ombrîre d’éyes. — Sèreut-ce lès sènes ?

 

Qui n’ su-dje o l’ bèséye di frumint

qui vos trèwidoz dins lès batchs !

Dji s’reu l’ pouye qui d’meureut o satch

8    po qu’ vos m’ purdoche avou vosse mwin.

 

Mon.nerèsse, si vos-astîz one pîre

dji tchantereu en m’ lèyant moudri

èt mès pwin.nes ènn’ îrint su l’ ri

12 come lès chos qu’ont passè l’ baurîre.

 

Maîs o gurnî, on craus molon

aveut v’nu taraudèé lès-éyes. …

Gn-‘a pus qu’one poussîre su 1’ pavéye,

16   èt l’ fèye do mon.nî waîte pus lon.

 

A l’ tachelète, p. [14].

 

Et je songeais que mes foulées étaient trop noires — pour réveiller les vivants qui étaient

morts.

 

  1. Là-bas sur le seuil… — 3. mon.n(e)rèsse, meunière, ici fille du meunier; pazia, sentier, petit chemin. — 4. ombrîre, ombre (d’un objet); éye, aile.
  2. bèséye, contenu d’une besace, d’un petit sac en toile, d’où l’objet lui-même. — 6. trèwidi. transvaser. — 7. satch, sac, ici syn. de bèséye.
  3. moudri, meurtrir, blesser. — 12. cho, balle du grain; qui ont traversé la barrière, c.-à-d. qui ont été passées au van.
  4. Mais au grenier, un ver épais. — 14. tarauder, au sens de percer.

 

 

(p.628)

280

Massales sicwarnéyes à l’atchau,

on ronchis’ pindant d’zeû sès-ouy,

tôt ç’ qu’i faut po fè on-arsouye

4   rimoussi dès pleumes d’on ritchau.

 

C’èst l’ vaurlèt do l’ cinse do « 1′ Mwate-tchau »

qui codaucséye après sès pouyes

en tot ‘nn’ alant pwartè 1′ dispouye

8    do curè qu’a s’ paurt do crachau.

 

I n’a nin v’lu por one bleuwe vatche

qui dj’ pwate li tchau en fiant s’ mèssadje.

Zidôre èst gaîy maugrè l’ Tossint !

 

12    Dji wadje qu’i va co fè dès sènes.

Aye, maîs dj’î su…, c’èst ça qu’i sint :

nosse curè vint d’ candji d’ mèskène.

 

Ibid., p. [15].

 

281

 

Est-ce on sondje, èst-ce on sondje di maîy ?

Est-ce li Noyé, èst-ce nosse boneûr?

Rawîye-tu, feume, rispaume li têye,

4   l’ èfant d’awous’ vint d’ trawè l’eûre.

 

  1. Joues taillées à la hache. — 2. ronchis’, roncier, ici, au fig. pour désigner les sourcils épais. — 4. revêtu des plumes d’un geai (ail. indirecte à la fable du Geai paré des plumes du Paon).
  2. vôrlèt, domestique de ferme. — 6. codaucser, creteler (en parlant du coq). — 7. dispouye (cfr n° 250, v. 11), produit d’une bête tuée. — 8. du curé, c.-à-d. destinée au curé; crachau, porc à l’engrais.
  3. … pour une vache bleue, équiv. du fr. : pour tout l’or du monde. — 10. li tchau, la viande.
  4. … faire des siennes. — 14. mèskène, servante.

 

  1. maîy, mai (mois). — 3. rispaumer, rincer; têye, terrine de terre.

 

(p.629)

Tè l’ sés bin, mes dj’ nèl pou nin scrîre,

lès tchansons sokyint dins lès bwès,

tè l’ sés bin, dji n’ pou nin m’ disdîre :

8  l’ èfant d’à nos, c’èst bin d’à twè.

 

Dj’aî pris li scwace dès blankès bôles,

dj’aî d’rôyi l’ tchin.ne po li fè s’ keûr,

dj’ê suci tos lès-aubes à maule,

12  djèl aî fignolé come one fleûr.

 

Dimwin, quand nos d’chindrans èsson.ne

come li boneûr dissus lès maîy,

ti saurès bin qui ç’ qu’èle risson.ne :

16   c’è-st-on sondje, c’è-st-on sondje di maîy.

 

Ibid., p. [16].

 

 

282

 

C’è-st-au solin, au mitan dès boyéyes di gngnèsses

qui dj’aî macenè m’ tchèstia su l’ tins dès chîjes d’iviêr.

Li vôye qu’î mwin.ne si watrouye come on viêr

4          èt l’ solia risglatit su lès fignèsses.

 

Li baurîre come todi èst sèréye au lokèt

— dji vou-z-î ièsse mièrseû quand dji vin brêre à m’ auje —

Po mès soçons dj’ aî amantchi one auje,

8           is vêront m’ véy quand i f’rè deur vikè.

 

Esson.ne nos passerans l’ tins à scrèpè lès-èrièsses,

maîs si, po m’ fè plaîji, is causèt do solia,

dji lès mwin.neré d’vant l’uch dissus l’ pazia

12          èt dji dîré : « Waîtoz-le; mi, dj’aî mau m’ tièsse. »

 

Ibid., p. [21].

 

  1. sokyint, sommeillaient. — 7. disdîre, dédire.
  2. … l’écorce des bouleaux blancs. — 10. d(i)rauyî, arracher. — 11. môle, moelle.
  3. maîy, « mai », c.-à-d. arbre de mai, arbre planté pour les fêtes le long du chemin.
  4. solin, endroit exposé au soleil; … des touffes de genêts. — 3. … se tortille comme

un ver.

  1. … pleurer à mon aise. — 7. soçon, compagnon; auje, petite barrière de bois.
  2. scrèpè, racler; èrièsse, arête. Le sens est : grignoter les restes (pour se nourrir).

 

 

(p.630)

283

 

Dj’aî r’pindu mès flayas o l’ grègne.

C’èst tot ! Dji n’aî pus qu’à moru.

En ratindant, volà dîmègne,

4   c’èst l’ preumî côp qui djèl veu v’nu.

 

C’è-st-asteûre qu’on-z-a fêt djournéye

qu’on-z-a l’ tins do tûsè pus lon :

faureut stancenè l’ôbe d’à l’ valéye,

8    faurè pinsè à candji l’ nom.

 

Ti veus bin qu’ dji n’ su nin à m’ auje,

dji n’ wase mi stinde ni m’ rascrampyi;

c’è-st-avou l’ swèye qu’on fêt lès moches

12   èt c’èst do swèye qu’on vout loyi.

 

Coyôs d’êwe, XIII, p. 15.

 

  1. flaya, fléau; grègne, grange.
  2. [il] faudrait soutenir l’arbre d’en bas.

9 …  à mon aise. — 10. si rascrampyi, se recroqueviller. — 11. swèy, seigle; moche, lien de paille.

 

 

(p.631)

EMILE GILLIARD

 

Né en 1928 à Malonne (Namur). Bibliothécaire-gestionnaire de la Bibliothèque régionale « Reine Astrid » à Mons.

Œuvres wallonnes :

Poésie : Chimagrawes [Simagrées], Moustier-sur-Sambre, 1955, 64 p. — Pâtêr po tote one sôte di djins [Oraisons pour toutes sortes de gens], Namur, s.d. [1959], [40] p. — Vias d’ mârs’[Giboulées], Namur, Les Cahiers wallons, 1961, [30] p. — Rukes di têre [Mottes de terre], Mons, 1966, 78 p., ill. (impr. sur offset). — Li dêrène saîison [La dernière saison], Liège, Société de Langue et de Littérature wallonnes, 1976, coll. « Littérature dialectale d’aujourd’hui », n° 2, 44 p.

 

 

284   [Moustier-sur-Sambre]

Viker

 

Faut-i s’ lèyî viker ?

Faut-i rovî qu’on vike ?

 

Bouter po p’lu mougnî,

4   mougnî po p’lu bouter,

 

s’achîr su l’ansègnî,

brèchî pa-côp lès broûs…

 

Si c’èst po ça qu’on vike,

8    atèlez-me avou l’ boû !

 

Chimagrawes, p. 26.

 

VIVRE

  1. rovî, oublier.
  2. bouter, travailler, peiner.
  3. ansègnî, tas de fumier près de la ferme. 8. boû, bœuf.
  4. remuer parfois les saletés.

 

(p.632)

285

Erdiè

 

Mon Diè,

vo-me-ci d’vant vos-ouys,

come one têre sins-eûwe,

4   come one têre ridagnîye

pèstèléye pauzès pîds dès mècheneûses,

come one têre di steûles après l’awous’

dins l’ sètch êreû d’esté.

 

8    Vo-me-ci d’vant vos-ouys

avou m’ bèséye fine vûde,

avou mes pîds plins d’ broûs,

lès broûs qu’èstén.n su l’ vôye.

 

12   Dj’a roté dins lès sankes,

dj’a bèroté pa tos lès tins,

su totes lès vôyes,

come on bribeû,

16    avou l’ keûr sètch come on pus’ qu’è-st-à vûde.

 

Dj’ènn’a m’ sô ! Dji vôréve vôy voltî.

Waserè-dje co bén bouchî à l’uch ?

Et si vos v’lîz m’ pruster lès-ouys

20    do cia qui wèt po l’ prumî côp…

 

Ibid., p. 43.

 

Traduction

ARC-EN-CIEL

Mon Dieu, — me voici sous vos yeux, — comme une terre desséchée. — comme une terre damée — foulée par les pieds des glaneuses, — comme une éteule après la moisson

—  dans la dure lumière d’été.

Me voici devant vos yeux — avec mon sac vide, — avec mes pieds couverts de souillures,

—  les souillures du chemin.

J’ai marché dans les ordures, — j’ai bourlingué par tous les temps, — sur toutes les routes, — comme un vagabond, — avec le cœur aride comme un puits mis à sec.

J’en ai assez ! Je voudrais aimer. — Oserai-je bien encore frapper à la porte ?

Et si vous consentiez à me prêter les yeux — de celui qui voit pour la première fois…

 

(p.633)

286

Tchéns r’noûris

 

T’as ieû dès caurs et dès môjos,

dè l fwace à r’vinde èt totes tès-aujes,

pont d’èfants, pont d’ bruts, pont d’èrnaujes.

4   T’as ieû do plaîji à gogo.

 

Ti cours astampé su l’ grand tchaur,

foû dès ronchis’ èt dès cayôs,

mougneû d’ bon bûre, di tâte èt d’ tchau,

8    èt nos grètans l’ coyène di laurd.

 

T’as ieû tot ç’ qui t’ v’lès sins pêyî,

sins ratinde on d’méy djoû d’adîre

èt t’âréves fêt son.ner lès pîres

12    co pus rade qui di d’vu plèyî.

 

Ramoncèle tant qui t’ vous, rèsseléye,

fês l’ grandiveû qui s’ rècrèstéye.

Gn-ârè dès viêrs dins tès-oûchas

16    quand l’ batch ritoûnerè su l’ pourcia.

 

Pâtêrs po tote one sôte di djins, p. [21].

 

 

287

Dins nosse vile…

 

Dins nosse vile i gn-a dès djins

qu’ont dès maujones pîres qui lès blesses,

avou dès lokes auzès finièsses

4    èt, su leûs léts, dès vîs moussemints.

 

CHIENS REPUS

  1. dès caurs, des gros sous, de l’argent. — 3. èrnauje, espiègle.
  2. astampé, dressé. — 6. à l’écart des épines et des cailloux. — 7. tâte, tarte.
  3. pêyî, désirer, convoiter. — 10. … un demi-jour de retard. — 12. plèyî, plier.
  4. ramonç’ler, amonceler, mettre en tas; rèss’ler, râteler, ramasser au râteau. — 14. fais

le prétentieux qui se rengorge (litt* : se « rencrête »). — 15. oûcha, os.

 

DANS NOTRE VILLE…

  1. … de vieux vêtements (en guise de couvertures).

 

 

 

(p.634)

Dins nosse vile, aviè l’ Tossint,

i gn-a dès mwârts qu’ont dès potéyes

èt dès boukèts d’ fleûrs èdjaléyes

8    qu’âront costé dès biyèts d’ tint.

 

Dins nosse vile i gn-a d’s-èfants

qui vont chiner li p’tite manôye

à cu tot nu, su tchamp su vôye,

12   pus man.nèts qui 1′ poûrcia dins s’ ran.

 

Dins nosse vile i gn-a dès tchéns

qu’ont do rosti po leû prandjêre.

S’is sont malades, on dit ‘ne pâtêr;

16   mins lès mèskènes, on n’ lès paye nén.

 

Ibid., p. [3l].

 

 

288

Sins r’mète bièses à djins

 

Piyâne à piyâne,

èlesvègnenut do martchi,

lès vijènes,

 

4   piyâne à piyâne,

lès pouyes ont stî tchampî su l’ tiène.

 

Èles s’ astaudjenut po s’ rapaupî,

8    lès grossès feumes èt leûs tchènas,

lès grossès pouyes èt leûs pènas.

 

  1. potéye, pot de fleurs.
  2. chiner, mendier. — 12. man.nèt, sale.
  3. qui ont du rôti pour leur repas de midi. — 16. mèskène, servante.

 

SANS COMPARER LES BETES AUX GENS

  1. Tout lentement. — 3. les voisines.
  2. les poules ont été aux champs. — 6. tiène, côte, terrain en pente.
  3. Elles s’arrêtent pour se remettre. — 8. tchèna, panier. — 9. pèna, aile (d’un volatile).

 

(p.635)

Et codâcser lès pouyes,

èt bètchî lès viêrs

12   èt s’ rapêri.

 

Et canleter lès feumes,

fé pèter s’ linwe po l’ ranêri.

 

16   Et bârloker d’one pate su l’ôte,

piyâne à piyâne,

tot ravenant do martchi,

tot ruvenant do pachi.

 

1970

 

Li Dêrène saison, p. 33.

 

 

289

Et nos r’vikerans

 

Vosse bolèdjî, is fièt do pwin

bon come li pwin, mârine Ziréye,

èt tot l’vijenauve oûdèt l’cûjéye,

4   c’èstèt d’ l’ovradje à môde di djin.

 

Nosse bolèdjî, i n’ fêt qu’ dès caurs,

sûr qu’i n’ tchante pus quand i prustit,

c’è-st-one corwéye, il èst nanti

8    di d’vu ovrer èt timpe èt taurd.

 

  1. bètchî, becqueter. — 12. si rapêri, se rafraîchir.
  2. canleter, cancaner. — 15. pour l’aérer.
  3. bârloker, balancer, osciller. — 19. pachi, pâture.

 

ET NOUS REVIVRONS

  1. mârine, marraine; Ziréye, Désirée. — 3. et tout le voisinage sentait l’odeur de cuisson. — 4. à môde di djin, à la manière d’une personne, c.-à-d. comme il faut, bien fait.
  2. … que de l’argent (= du profit). — 7. c’est une corvée, il est épuisé.

 

 

(p.636)

Gn-a dè l’ farène avau lès cinses,

nn-îrans qwê, nos l’ prustirans,

nos r’frans dès chwanes di payisans

12    èt nos r’vikerans ‘ne vîye à crèchince.

 

On r’fouyerè l’ têre èt poqwè nén ?

Ârîz peû d’ vôy vos mwins askéyes ?

Tot coûrt à trî dispûs d’s-anéyes :

16   purdoz l’ locèt, nos f’rans l’ djârdén…

 

1975

Ibtd., p. 27.

 

  1. nous irons en chercher, nous la pétrirons. — 11. chwane, grosse tranche de pain. —
  2. à crèchince, en croissance. Le sens est : une vie à grandeur d’homme.
  3. On creusera la terre… — 14. aské, craquelé. — 15. à trî, en friche. — 16. prenez la bêche…

 

 

(p.637)

JEAN-DENYS BOUSSART

 

Né en 1940 à Liège. Employé à l’Office du tourisme de Liège, « mayeur » de la commune libre de Saint-Pholien-des-Prés, en Outre-Meuse, animateur folkloriste — et folklorique.

Œuvres wallonnes :

Poésie : Li prumîre vôye, Liège, A l’enseigne de l’aigle à deux têtes, 1966, [28] p. — Mi porotche po ‘ne neûre cens’, Liège, 1968, 4p. — Li botike ås-arèdjas [La boutique aux brimborions], Liège, A l’enseigne de l’aigle à deux têtes, 1968, 32 p.

Prose : Li rodje dame, Liège, Société de Langue et de Littérature wallonnes, 1976, coll. « Littérature dialectale d’aujourd’hui », n° 1, 36 p.

Théâtre : Li grande cisète [Le grand ciseau], 1971.

 

 

290                                                                                                  [Liège]

Li guêre

 

On fizik

deûs sètchês d’ poûre

treûs måyes di plonk’

4       qwate côps

po cink cens’

Li guère è-st-on djeû

 

Eune – deûs – treûs

8       li guère è-st-on djeû

Qwate – cink – sîh valèts

t’ as wangnî ine mèdaye di pourcê

12       deûs pâtêrs

treûs-âvés po Notru-Dame

qwate truv’lêyes d’ârzèye so t’ wahê

cink cens’ di pinchon po t’ vîle mame

 

LA GUERRE

  1. deux sachets de poudre. — 3. måyes di plonk, billes de plomb (= balles de fusil). 14. quatre pelletées d’argile sur ton cercueil. — 15. pinchon, pension.

 

(p.638)

16   Li guère è-st-on djeû

Sèt’ – ût’ – noûf

vos-èstez fou

po tos lès djoûs

20       valèt t’as pièrdou

cink-an.nêyes rèvolêyes

qwate camarådes

treûs låmes rademint po chaskeun’

24       deûs gotes di song’ chal èt là

ine djône mon-keûr qu’ ènnè va

 

Li guère è-st-on djeû

eune – deûs – treûs

28    Djans

ratakans mès-èfants

 

22 di décimbe 64

 

Li prumïre vôye, p. [5].

 

 

291

Djama

 

Ti t’as mètou so t’ pus bê

frake à lam’kènes

blanke tchimîhe et reû golé

4   Ti t’as mètou so t’ pus bê

 

Li bårbî a sèré s’ botike

po v’ni apontî t’ pèrike

èt t’ mustatche di fi d’ârca

8    Vo-te-là prèt’ po l’ grand djama

 

 

  1. vous êtes hors (dans les comptines wallonnes, formule d’élimination). — 23. trois larmes en vitesse pour chacun. — 25. mon-keûr, bonne amie, fiancée.

JOUR DE FÊTE. — Au sens premier, djama désigne une fête chômée deux jours de suite. 1. si mèle so s’ pus bê, mettre ses plus beaux vêtements. — 2. lam’kène, basque, pan d’habit. — 3. … et col raide.

  1. apontî, apprêter au sens de faire la toilette; pèrique, perruque, ici chevelure. — 7. et ta moustache de fil de fer (= mince comme un fil).

 

(p.639)

Ti vî mon-n-onke èt t’ sorodje

djâzèt d’ twè avå l’ porotche

Tès k’nohances èt tès plankèts

12       acorèt avou l’ Boukèt

 

Ti t’as mètou so t’ pus bê

Diè-wåde

 

on sére ti wahê

 

30 di djulèt’ 65

 

Ibid., p. [23].

 

 

292

Li mwért d’à Tchofile

 

Tchofile di Bin.ne, qu’ovréve à 1′ vonne à Wèristêr, a tapé l’ouh so 1′ beûr.

Li novê rintî prind s’ rawète di vèye de bon costé : i magne on

4   pô, i beût tot plin, èt s’ fome-t-i pés qu’ine rinawèye tchåsse è l’osté !

Djans, c’è-st-on bon vikant !

Portant, il est mwért ad’vant-z-îr ! Marîye Fistou, si vwèzène qui

8    tint botike, l’a trové tot broûlé å pîd dè l’ plate-bûse, èt lès Bin.netîs qu’ont voltî tote li comeune so leû linwe, d’hèt dèdjà qu’il èsteût reûd bleû mwért sô qwand c’èst qu’i s’a trèbouhî so si stoûve.

 

  1. sorodje, beau-frère. — 11. plankèt, compagnon, camarade. — 12. Il s’agit du grand « bouquet » portatif du quartier d’Outre-Meuse, à Liège (DL, fig. 124).
  2. Diè-wåde, Dieu [vous] garde (formule d’adieu). — 15. sèrer, fermer; wahê, cercueil.

 

LA MORT DE THÉOPHILE

  1. Bin.ne, Beyne-Heusay, dans la banlieue de Liège, où se trouve le siège du charbonnage de Wèristêr; taper l’ouh so l’ beûr, expr. fig. empruntée au langage de la mine (beûr = puits d’extraction) avec le sens de : renoncer au travail.
  2. … prend son reste de vie… — 4. me rinawèye tchâsse, une chaussette ravaudée, donc usée.

9 plate-buse, poêle-cuisinière (DL, fig. 147); Binn’tî, habitant de Beyne. — 9. qui font volontiers aller leur langue sur tous les gens de la commune… •— 10. reû bleu mwért sô, association expressive de deux composés : mwêrt-sô, ivre-mort et reû bleu, roide [jusqu’à en être] bleu; s(i)toûve, poêle (syn. de plate-buse).

 

(p.640)

Ci n’èst nin vrêy !

 

12   Mi, dji l’a vèyou mori…  èt l’poupå d’ mès-oûys ènn’a candjî d’ coleûr !

Èdon qu’ vos n’ mi crèyez nin !

 

Dji l’a vèyou d’estant à mi f’gnèsse : dji n’ poléve dwèrmi cisse nut’-là.

 

16   Tchofile n’a lofeté qu’ quékes vêres, èt nin dès calices, dès hûfions bons po mète so on dasot : djusse po dîre dè rispåmer 1′ pwèce !

 

Tot l’ rèsse dè tins, sès treûs dints n’ont nin ridé djus dè touwê di s’ pîpe.

 

20   Enn’ a-t-i broûlé, ç’ nut’-là, dès p’tits bounakês !

 

Qwand l’ pot à l’ toûbak fourit vûdî, dj’ oya Tchofile brêre :

« Dji dôreû mi-åme å diåle po ‘ne lîve di Lamâtche ! »

 

Adon…

 

24   Adon,  lôye-minôye lôye-minôyemint,  li bètchète di si p’tit deût èsprinda.

Èdon qu’ vos n’ mi crèyez nin !

 

Elle èsprinda, v’ di-dje ! èt Tchofile sèra sès-oûys come po dîre :

 

« Quéne bone fwète toûbak ! »

28 Dji vèya ‘ne vète foumîre cori so sès lèpes…

 

Dji vèya…

 

Dji vèya toûrner, pitchote à midjote, dès p’tits hopês d’ cinde…

 

Tchofile s’a foumî èvôye…

 

32   Adon, l’ lèd’dimin, ine vwèsène qui tint botike…

 

Et d’pôy ad’vant-z-îr, dji tchike !… Èdon qu’ vos n’ mi crèyez nin !

 

 

16 di djanvîr 1968.

 

Li Rodje Dame, pp. 17-18.

 

  1. poupå. pupille de l’œil. — 13. N’est-ce pas que vous ne me croyez pas !
  2. lofeter (fam.), avaler; hûfion, petit verre à liqueur. — 17. … pour mettre sur un doigt

d’enfant; rispâmer l’ pwèce, humecter le porche, c.-à-d. l’entrée du gosier.

  1. touwê, tuyau de pipe.
  2. bounakê, petit bonhomme. Il s’agit ici d’un « groupe de petits personnages représentés,

en  gravure  sur  bois,   sur  le  papier  d’emballage   d’une  vieille  manufacture  de  tabac »

(DL, 104). La fig. 126 qui accompagne cette définition indique le nom de la firme en

question : Lamarche, dont le tabac a la préférence de Tchofile (1. 22).

24-25. … l’extrémité de son petit doigt prit feu.

  1. pitchote à midjote, peu à peu; hopê, tas.
  2. … je chique (s.-ent. : plutôt que de fumer).

 

 

(p.641)

VICTOR GEORGE

 

Né en 1927 à Bois-Borsu (Condroz liégeois). Professeur d’enseignement secon­daire.

Œuvres wallonnes :

Poésie : Adiu, k’pagnon, Namur, J. Servais, [1963], 34 p. — Gris pwin, s.l., 1965, [62] p. — In paradisum…, Namur, Les Cahiers wallons, juin 1978, pp. 81-104.

 

 

293                                                                                           [Bois-Borsu]

 

Nosse viyèdje soketèyerè vêlà,

on èrî dè r’vint èt dè r’va.

 

Li vîye djint f’rè s’ prondjîre so l’ hame,

4   l’ èfont sèrè so l’ hoû d’à s’ mame.

 

Lès-eûres toumeront djus dè clokî

èt l’ molin toûnerè po l’ moûnî.

 

Li galont sèrè d’dé s’ mon-keûr

8    èt l’ djône marièye compterè lès-eûres.

 

N-årè dè l’ frisse êwe è bari,

dè pwin so l’ tåve, dès djoûs à v’ni.

 

I n-årè dès påtes so l’ cina

12    èt dè solo so lès pasias,

 

èt nos-ôtes, nos n’ sèrons pus là.

 

In paradisum…, p. 87.

  1. loin arrière du va-et-vient.
  2. prondîjre, sieste; hame, escabeau, petit siège de bois. — 4. hoû, giron. — 3-4. prondjîre, èfont, etc. : la voy. nasale on pour an, en dial. liégeois, est caractéristique de certains parlers condruziens et hesbignons (comp. n° 1, v. 3).
  3. H y aura de l’eau fraîche dans la cruche.
  4. påtes, épis de blé; cina, fenil. — 12. pazia, sentier.

 

 

(p.642)

294

 

Signeûr, dèdjà 1′ vèsprèye, èt mi qu’ n’a nin co fêt.

Dèdjà l’eûre qu’on distèle, èt 1′ fièr tchåfe è fornê.

C’èst bin vosse mwin, portont, qu’ s’a v’nou mète so mi spale,

4   dismètont qu’on m’ dihéve : « Il èst tins, m’ fis, ç’ côp-chal ».

 

Et mi qui v’nève dè mète nosse tchivå è trava,

vola qu’ Vos m’ dimondez dè d’djà r’ployi l’ hèrna !

Dîre qui 1′ cinserèsse prustiche èt qu’ nos n’ magnerons nin s’ pwin,

8    qui lès neûs sont hayètes èt qu’ nos n’ lès croherons nin !

 

Djè l’ sé bin, va, qui l’ molin brôye li grin dès-eûres.

Mins ‘nn’ aler sins moti, à l’ tchame, come on voleûr !

Dj’avû co tont dès sondjes à fini d’vont l’êreûr,

12    dj’avû co tont èt tont… Mins V’s-av’ djåsé, Signeûr.

 

 

Ibid., p. 97.

 

  1. «fait», c.-à-d. fini. — 2. distèler, dételer, cesser le travail.
  2. trava, travail de maréchal-ferrant, box où est maintenu le cheval à ferrer (DL, fig. 703). — 6. r(i)ployî l’ hèrna, replier le filet (attirail de l’oiseleur), au fig. : mourir. — 7. Dire que la fermière pétrit [la pâte]… — 8. que les noisettes sont à point…; crohî, croquer.
  3. sins moti, sans dire mot; à l’ tchame, à la sauvette (empr. d’un jeu de poursuite; DL, 631).

 

 

(p.643)

295

Après nos-ôtes

 

Lès pîres pus grîses qu’on djoû d’ Tossint,

lès p’tits vinåves è l’påme di s’ mwin.

 

Li makèye qui sgote å havèt

4    po l’ blonke Mérète qu’èl rilinwetrè.

 

Treûs colons so l’ tût dè vî Nès’,

tins qui s’ feume brêt : « Crès måssîtes bièsses ! ».

 

Lès påtes qu’on strûle inte di sès dûts;

8    quékefîye, li gos’ dè pwin qui cût.

 

Li bwèye à l’ rimouye so l’ pahi,

li cina plin djusqu’å sômî.

 

Tès solés qu’ lûhèt so l’ hourèye

12    pace qu’å matin ‘l a fêt rosêye.

 

Tès deûs mwins po-d’zeû l’ tère mièrnoûe,

l’årzèye, à plins brès, nut’ èt djoû.

 

C’èst çoula, m’ fèye, après nos-ôtes,

16 c’èst tot çoula, sav’, èt rin d’ôte…

 

« Adju, c’pagnon », p. [17]. Publié d’abord par M. Piron dans La Vie wallonne, t. 35, Liège, 1961, pp. 275-276.

 

CHEZ NOUS. — « Au-delà de la brève litanie que composent ces distiques sans éclat, c’est une manière de choc existentiel qui nous attend et nous surprend : d’humbles choses y découvrent tout à coup leur splendeur quotidienne. Cette présence qui devient vérité, cette simplicité bouleversante dans sa discrétion, ne sont-ce point là, en définitive, les talismans les plus sûrs de la poésie dialectale, lorsqu’elle ne triche pas ? » (VW, t 35, p. 275).

 

  1. vinåve désigne ici un groupe de maisons à l’écart; è l’ påme : ils semblent si petits qu’ils tiendraient « dans la paume » d’une main.
  2. havèt, crochet servant à suspendre la makèye (caillebotte, fromage blanc) qu’on a mise à égoutter (sgoter) dans un drap. — 4. Mérète, nom de chat; rilinweter, laper.
  3. tût, toit. — 6. crè pour sacré (juron).
  4. Les épis qu’on froisse entre ses doigts.
  5. La lessive en train d’herber sur le pré. — 10. cina, fenil; sômî, poutre faîtière.
  6. hourèye, talus.
  7. mièrnoûe, dénudée; årzèye, terre glaise; à plins brès, en abondance (le sens littéral « à

pleins bras » ne convient pas ici).

 

 

 

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littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie 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anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron

anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie 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Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron 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Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie 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Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie 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Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie 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Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron anthologie littérature wallonne Maurice Piron

Arlon (Arel en arlonais1 et en allemandn 1) est une ville francophone de Belgique située en Wallonie. Il s’agit du chef-lieu de la province belge de Luxembourg, elle est également chef-lieu de son arrondissement administratif. L’ancienneté de la ville remonte à la période gallo-romaine. La langue luxembourgeoise y a longtemps été traditionnelle2,3. La ville est aujourd’hui un grand centre administratif et commercial dans la région. C’est l’agglomération la plus peuplée du Pays d’Arlon. Le secteur tertiaire, notamment l’enseignement, y développe ses activités (faculté universitaire et enseignement secondaire). Arlon (Arel en arlonais1 et en allemandn 1) est une ville francophone de Belgique située en Wallonie. Il s’agit du chef-lieu de la province belge de Luxembourg, elle est également chef-lieu de son arrondissement administratif. L’ancienneté de la ville remonte à la période gallo-romaine. La langue luxembourgeoise y a longtemps été traditionnelle2,3. La ville est aujourd’hui un grand centre administratif et commercial dans la région. C’est l’agglomération la plus peuplée du Pays d’Arlon. Le secteur tertiaire, notamment l’enseignement, y développe ses activités (faculté universitaire et enseignement secondaire). Arlon (Arel en arlonais1 et en allemandn 1) est une ville francophone de Belgique située en Wallonie. Il s’agit du chef-lieu de la province belge de Luxembourg, elle est également chef-lieu de son arrondissement administratif. L’ancienneté de la ville remonte à la période gallo-romaine. La langue luxembourgeoise y a longtemps été traditionnelle2,3. La ville est aujourd’hui un grand centre administratif et commercial dans la région. C’est l’agglomération la plus peuplée du Pays d’Arlon. Le secteur tertiaire, notamment l’enseignement, y développe ses activités (faculté universitaire et enseignement secondaire). Arlon (Arel en arlonais1 et en allemandn 1) est une ville francophone de Belgique située en Wallonie. Il s’agit du chef-lieu de la province belge de Luxembourg, elle est également chef-lieu de son arrondissement administratif. L’ancienneté de la ville remonte à la période gallo-romaine. La langue luxembourgeoise y a longtemps été traditionnelle2,3. La ville est aujourd’hui un grand centre administratif et commercial dans la région. C’est l’agglomération la plus peuplée du Pays d’Arlon. Le secteur tertiaire, notamment l’enseignement, y développe ses activités (faculté universitaire et enseignement secondaire).

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