anthologie littérature wallonne Maurice Piron

ANTOLOJÎYE DÈ L’ LITÈRATURE WALONE

Anthologie de la littérature wallonne

Maurice Piron (ULg)

éd. Pierre Mardaga, 1979

Antolojîye dè l’ litèrature walone (Maurice Piron (Ulg))

(IX) La littérature wallonne comptera aux environs de l’an 2000 quatre cents ans d’existence. Depuis près d’un siècle et demi, elle atteste un déve­loppement exceptionnel. Celui-ci n’est en rien comparable à la situation de retrait que connaissent la plupart de ses sœurs gallo-romanes aux­quelles elle est apparentée depuis les origines.

Les Wallons ignorent leur patrimoine littéraire dialectal. Pour plusieurs raisons, l’une d’elles étant certainement la répugnance qu’ils éprouvent, par manque d’habitude, à lire le dialecte. La raison principale réside toutefois dans la difficulté d’accès aux œuvres. Sans parler des éditions d’auteurs, souvent malaisées à se procurer parce qu’elles échappent à tous les circuits de distribution, aucun recueil n’existe qui permette une approche des œuvres les plus marquantes de la poésie et de la prose wallonnes. Combler cette lacune est le but du présent ouvrage. Avec ses 296 textes représentant 104 auteurs (plus une douzaine d’anonymes), l’Anthologie de la littérature dialectale de Wallonie, des origines à nos jours, offre la particularité d’être la première du genre.

Il a bien existé au XIXe siècle deux recueils de pages choisies wallonnes. L’un, le Choix de chansons et poésies wallonnes (pays de Liège) par François Bailleux et Joseph Dejardin, rassemble 36 pièces antérieures à 1830 en vue, dit la préface, de « sauver de l’oubli quelques fragments d’un idiome qui s’éteint peu à peu », puisque « on peut déjà prévoir l’époque où, faute de lecteurs, le wallon cessera de s’écrire » (pp. IX-X). C’était en 1844, au moment où se préparait l’efflorescence dialectale qui allait démentir la prévision pessimiste des deux auteurs. L’autre recueil réunit, à la fin du siècle, un premier florilège de ce renouveau : c’est l’Anthologie des poètes wallons (1895) de Charles Defrecheux, Joseph Defrecheux et Charles Gothier où 102 auteurs sont représentés la plupart avec un seul texte. Si le premier de ces ouvrages reste inté­ressant pour la connaissance d’une partie de l’ancienne littérature wal­lonne, le second, en revanche, a nettement vieilli.

Au XXe siècle, les recueils sont plus nombreux, mais aucun n’offre une vue d’ensemble de nos lettres dialectales. On peut les répartir d’après leur contenu ou leur destination.

D’abord, les anthologies à caractère inter-régional. Accompagnées — c’est la première fois — d’une traduction, les Pages d’anthologie wallonne (1924) de Jean Haust proposent des spécimens de nos parlers dialectaux, d’Ath à Malmedy, par le truchement de neuf poètes des xrxe-xxe siècles. Plus modeste encore le Florilège wallon « Dulcissima, o Wallonia » (1931)

(X)

d’Amand Géradin, avec sept poètes contemporains appartenant à la Wallonie orientale. Les quinze Poètes wallons d’aujourd’hui (1961) réunis par Maurice Piron chez Gallimard se situent dans une ligne que dégage l’avant-propos du volume : révéler à un public, qui n’est pas forcément wallon, la modernité de la poésie dialectale. Un large éclectisme a présidé aux Fleurs dialectales (1974) qui groupent, sous l’égide du périodique « Propriété terrienne », quelque 38 écrivains, en majorité des poètes, pour la plupart vivants.

Le souci d’un inventaire exclusivement régional aussi complet que pos­sible a inspiré deux ouvrages volumineux, fort proches l’un de l’autre par la conception comme par la date de publication : l’Anthologie des poètes wallons verviétois (1928) de Jules Feller et Jean Wisimus, et l’Anthologie des poètes wallons namurois (1930) des frères Lucien et Paul Maréchal. On y trouve respectivement 75 et 70 auteurs. A la diffé­rence du groupe précédent, ces anthologies ne comportent pas de tra­ductions. Il en va de même du Panorama de la littérature dialectale du Centre (1971) où voisinent 62 écrivains de la région de La Louvière, tous du XXe siècle, et du Choix d’œuvres wallonnes (1952) établi par Jules Hennuy pour la région de Seraing.

Une troisième catégorie comprend les volumes qui réunissent des auteurs wallons suivant leur appartenance à des groupements particuliers. Citons : La gerbe sanglante (1928) qui émane de l’« Association des écrivains wallons Anciens Combattants » (de la guerre 1914-1918); — le Livre d’or de l’Association royale des auteurs dramatiques, chansonniers et compositeurs wallons de Belgique (1936), monument commémoratif dû à Charles Steenebruggen où sont disposés en ordre alphabétique 242 écri­vains présents chacun avec un portrait, une notice et un texte; — enfin, à l’occasion du 50e anniversaire de l’« Association littéraire wallonne de Charleroi », les 270 écrivains wallons du Pays Noir (1958) recensés par Félicien Barry qui reproduit un, parfois deux textes de 95 d’entre eux, leur localisation débordant d’ailleurs de la région carolorégienne vers le Centre et vers le Namurois. A ces recueils de circonstance, on joindra l’Anthologie du Prix biennal de littérature wallonne (1963) composée par Octave Servais pour rassembler des morceaux choisis des 15 premiers lauréats du Prix, à l’occasion du 35e anniversaire de sa fondation.

Un dernier groupe comprend les chrestomathies.

Chrestomathies scolaires nées de l’utilisation pédagogique du wallon à l’école et limitées, pour des raisons pratiques, à une région dialectalement homogène. On les mentionnera dans l’ordre de leur publication : Po nos scolîs (1942), morceaux choisis par Lucien Maréchal à l’intention des écoliers de la province de Namur; — Anthologie wallonne « Ene kèrtinéye dè fleûrs pou nos scolîs » (1945) destinée au Brabant wallon; (XI) — Anthologie scolaire de l’Est-Wallon (1946) par Roger Brose, avec quelques textes représentatifs des autres dialectes; — Petite anthologie liégeoise. Choix de textes wallons (XVIe-XXe s.) établie par Maurice Delbouille (1950); — Lectures wallonnes (1959) en dialecte liégeois par Robert Grafé, avec un choix de rédactions wallonnes. Ces publications sont, quant au choix des œuvres et au commentaire, de valeur inégale, la plus soignée étant celle de M. Delbouille. Pour une appréciation détaillée, on se reportera aux chroniques annuelles « La philologie wal­lonne en …» parues dans le Bulletin de la Commission royale de Topo­nymie et Dialectologie.

Chrestomathies destinées à faire connaître le wallon dans le programme des études de philologie romane à l’étranger. Deux titres sont ici à retenu: : Testi valloni antichi e moderni (Rome, 1940) par Albert Henry et Dialectul valon par Maria Iliescu dans le volume III de la Crestomatie romanicâ de l’Académie roumaine (Bucarest, 1971).

Enfin, bien qu’il s’agisse d’une édition stencilée, on mentionnera le choix de textes réuni par Willy Bal, avec la collaboration de Marcel Hanart, sous le titre Littérature dialectale de la Wallonie (1970) pour illustrer le cours d’Histoire de la littérature wallonne à l’Université de Louvain.

Il nous reste maintenant à présenter l‘Anthologie de la littérature dia­lectale de Wallonie, à en exposer les principes et la méthode.

TABLE DES MATIERES

ANONYME………………………………………………………………………. 1

Contre les femmes et le mariage………………………………… 1

Hubert ORA……………………………………………………………………… 3

Sonèt lîdjwès………………………………………………………………. 3

ANONYME………………………………………………………………………. 5

Retour à Liège du prince-évêque………………………………. 5

Lambert de HOLLOGNE………………………………………………….. 8

Après le passage des troupes…………………………………….. 8

Monologue de Wéri Clabâ………………………………………… 11

ANONYME……………………………………………………………………… 13

Dialogue entre un Liégeois catholique et un Calviniste . .          13

ANONYME……………………………………………………………………… 18

Le congé de Pasquot et son testament……………………… 18

ANONYME……………………………………………………………………… 21

Les passions politiques dans la cité de Liège ….      21

Lambert de RYCKMAN…………………………………………………… 26

Lès-êwes di Tongue………………………………………………….. 27

Pasquèye so l’an djubilé di Monseû Adam Simonis, Doyin dès mârlîs dè F vèye di Lîdje   31

ANONYME……………………………………………………………………… 35

« Paskaye recitee a la bénédiction du reverendissime Abbé de Saint-Laurent »      35

ANONYMES – Chansons d’amour dialoguées………………. 39

  1. Binamêye Zabê………………………………………………………. 39

IL Dj’han-qui-plôye èt Lînète Makêye         ………………………………………………40

MORAY…………………………………………………………………………… 44

Pasquèye novèle d’ine djonne mariêye èt d’on pôve mâ-marié .          44

ANONYMES – Noëls……………………………………………………….. 48

  1. Bondjoû, wèzène…………………………………………………. 49

IL Bondjoû, mârène…………………………………………………… 50

III. Djans-è foû d’ Jérusalèm……………………………………… 55

Simon de HARLEZ…………………………………………………………. 60

Deux vilains sorts : la maladie et l’amour………………….. 61

Quelle danse préférez-vous ?…………………………………… 64

Jean-Joseph HANSON…………………………………………………… 68

Pasquèye so l’êr dè F « Bot’rèsse di Mont’gnêye »…           68

Abbé GRISAR…………………………………………………………………. 73

Tchanson namurwèse………………………………………………. 73

MARIAN DE SAINT-ANTOINE……………………………………….. 75

Pasquèye di Dj’han Sâpîre, pwèrteû-â-sètch……………. 76

ANONYME……………………………………………………………………… 84

Solo dè bon Diu………………………………………………………… 84

ANONYME……………………………………………………………………… 87

La mêtrèsse dè Dampicou…………………………………………. 87

Gilles RAMOUX………………………………………………………………. 90

Complinte d’ine pôve bot’rèsse ou Li mâ-mariêye …     90

Jacques-Joseph VELEZ…………………………………………………. 93

Lès Prûssiens……………………………………………………………. 93

Charles-Nicolas SIMONON…………………………………………….. 97

Li Côparèye……………………………………………………………….. 97

Henri FORIR…………………………………………………………………. 103

Li k’tapé manèdje…………………………………………………….. 103

Li pasquèye èt F vin………………………………………………….. 106

Charles WÉROTTE………………………………………………………. 109

Nosse mononke Biètrumé……………………………………….. 109

Charles DUVIVIER……………………………………………………….. 112

Li pantalon trawé…………………………………………………….. 112

Joseph LAMAYE…………………………………………………………… 116

Li bourgogne…………………………………………………………… 116

Li pèsse divins lès bièsses………………………………………. 118

Charles LETELLIER……………………………………………………… 122

El mariâje dè 1’ fie Chose……………………………………….. 122

Jean-Baptiste DESCAMPS…………………………………………… 129

Qué biau p’tit fieû !………………………………………………….. 129

Jean-Joseph DEHIN…………………………………………………….. 132

Li k’fèssion d’à Marèye……………………………………………. 132

Li coq’ d’awous’ èt Y frumihe…………………………………… 135

L’ome inte deûs-adjes èt sès deûs mêtrèsses…………. 137

Atote………………………………………………………………………… 138

F.L.P. (Théophile FUSS, Adolphe PICARD, Alphonse LE ROY) 139 Lès feûmes di Lîdje        139

François BAILLEUX……………………………………………………… 142

Marèye…………………………………………………………………….. 142

Ine vèye fâve d’à m’ grand-mére……………………………… 143

Li cwèrbâ èt li r’nâ……………………………………………………. 146

L’âmaye, li gâte, li bèrbis èt P liyon………………………….. 147

Lès voleûrs èt l’âgne……………………………………………….. 147

Li r’nâ èt P cigogne………………………………………………….. 148

Li pâwe qui s’ plint â bon Diu………………………………….. 149

Li ritchâ qui s’aveût fêt gây avou lès plomes dè P pâwe . .          151

Alexandre FOSSION…………………………………………………….. 152

Lès buveûses di café………………………………………………. 152

Louis BRIXHE………………………………………………………………. 155

Lès deûs mofes……………………………………………………….. 155

Jean-François XHOFFER…………………………………………….. 157

Lu poète walon………………………………………………………… 157

Michel THIRY……………………………………………………………….. 162

Ine copène so F marièdje………………………………………… 162

Ine cope di grandiveûs……………………………………………. 165

Auguste VERMER………………………………………………………… 169

Lès misères do méd’cin…………………………………………… 169

Gustave MAGNÉE………………………………………………………… 173

Mi mohinète di tchâmoussîre           173

Avant-propos par Jean Remiche……………………………………. VII

Introduction……………………………………………………………………… IX

Abréviations et sigles……………………………………………………. XIX

Orthographe………………………………………………………………….. XXI

ANONYME………………………………………………………………………. 1

Contre les femmes et le mariage………………………………… 1

Hubert ORA……………………………………………………………………… 3

Sonèt lîdjwès………………………………………………………………. 3

ANONYME………………………………………………………………………. 5

Retour à Liège du prince-évêque………………………………. 5

Lambert de HOLLOGNE………………………………………………….. 8

Après le passage des troupes…………………………………….. 8

Monologue de Wéri Clabâ………………………………………… 11

ANONYME……………………………………………………………………… 13

Dialogue entre un Liégeois catholique et un Calviniste . .          13

ANONYME……………………………………………………………………… 18

Le congé de Pasquot et son testament……………………… 18

ANONYME……………………………………………………………………… 21

Les passions politiques dans la cité de Liège ….      21

Lambert de RYCKMAN…………………………………………………… 26

Lès-êwes di Tongue………………………………………………….. 27

Pasquèye so l’an djubilé di Monseû Adam Simonis, Doyin dès mârlîs dè F vèye di Lîdje   31

ANONYME……………………………………………………………………… 35

« Paskaye recitee a la bénédiction du reverendissime Abbé de Saint-Laurent »      35

ANONYMES – Chansons d’amour dialoguées………………. 39

  1. Binamêye Zabê………………………………………………………. 39

IL Dj’han-qui-plôye èt Lînète Makêye………………………… 40

MORAY…………………………………………………………………………… 44

Pasquèye novèle d’ine djonne mariêye èt d’on pôve mâ-marié .          44

ANONYMES – Noëls……………………………………………………….. 48

  1. Bondjoû, wèzène…………………………………………………. 49

IL Bondjoû, mârène…………………………………………………… 50

III. Djans-è foû d’ Jérusalèm……………………………………… 55

Simon de HARLEZ…………………………………………………………. 60

Deux vilains sorts : la maladie et l’amour………………….. 61

Quelle danse préférez-vous ?…………………………………… 64

Jean-Joseph HANSON…………………………………………………… 68

Pasquèye so l’êr dè F « Bot’rèsse di Mont’gnêye »…           68

Abbé GRISAR…………………………………………………………………. 73

Tchanson namurwèse………………………………………………. 73

MARIAN DE SAINT-ANTOINE……………………………………….. 75

Pasquèye di Dj’han Sâpîre, pwèrteû-â-sètch……………. 76

ANONYME……………………………………………………………………… 84

Solo dè bon Diu………………………………………………………… 84

ANONYME……………………………………………………………………… 87

La mêtrèsse dè Dampicou…………………………………………. 87

Gilles RAMOUX………………………………………………………………. 90

Complinte d’ine pôve bot’rèsse ou Li mâ-mariêye …     90

Jacques-Joseph VELEZ…………………………………………………. 93

Lès Prûssiens……………………………………………………………. 93

Charles-Nicolas SIMONON…………………………………………….. 97

Li Côparèye……………………………………………………………….. 97

Henri FORIR…………………………………………………………………. 103

Li k’tapé manèdje…………………………………………………….. 103

Li pasquèye èt F vin………………………………………………….. 106

Charles WÉROTTE………………………………………………………. 109

Nosse mononke Biètrumé……………………………………….. 109

Charles DUVIVIER……………………………………………………….. 112

Li pantalon trawé…………………………………………………….. 112

Joseph LAMAYE…………………………………………………………… 116

Li bourgogne…………………………………………………………… 116

Li pèsse divins lès bièsses………………………………………. 118

Charles LETELLIER……………………………………………………… 122

El mariâje dè 1’ fie Chose……………………………………….. 122

Jean-Baptiste DESCAMPS…………………………………………… 129

Qué biau p’tit fieû !………………………………………………….. 129

Jean-Joseph DEHIN…………………………………………………….. 132

Li k’fèssion d’à Marèye……………………………………………. 132

Li coq’ d’awous’ èt Y frumihe…………………………………… 135

L’ome inte deûs-adjes èt sès deûs mêtrèsses…………. 137

Atote………………………………………………………………………… 138

F.L.P. (Théophile FUSS, Adolphe PICARD, Alphonse LE ROY) 139 Lès feûmes di Lîdje        139

François BAILLEUX……………………………………………………… 142

Marèye…………………………………………………………………….. 142

Ine vèye fâve d’à m’ grand-mére……………………………… 143

Li cwèrbâ èt li r’nâ……………………………………………………. 146

L’âmaye, li gâte, li bèrbis èt P liyon………………………….. 147

Lès voleûrs èt l’âgne……………………………………………….. 147

Li r’nâ èt P cigogne………………………………………………….. 148

Li pâwe qui s’ plint â bon Diu………………………………….. 149

Li ritchâ qui s’aveût fêt gây avou lès plomes dè P pâwe . .          151

Alexandre FOSSION…………………………………………………….. 152

Lès buveûses di café………………………………………………. 152

Louis BRIXHE………………………………………………………………. 155

Lès deûs mofes……………………………………………………….. 155

Jean-François XHOFFER…………………………………………….. 157

Lu poète walon………………………………………………………… 157

Michel THIRY……………………………………………………………….. 162

Ine copène so F marièdje………………………………………… 162

Ine cope di grandiveûs……………………………………………. 165

Auguste VERMER………………………………………………………… 169

Lès misères do méd’cin…………………………………………… 169

Gustave MAGNÉE………………………………………………………… 173

Mi mohinète di tchâmoussîre…………………………………… 173

Jacques BERTRAND……………………………………………………. 176

Sintèz corne èm’ cœur bat !…………………………………….. 176

Félix CHAUMONT………………………………………………………… 179

Li côp d’pîd qui fêt 1’ bon hotchèt……………………………. 179

Toussaint BRAHY………………………………………………………… 182

Lès dj’vâs d’bwès d’à Beaufils………………………………… 182

Pierre MOUTRIEUX………………………………………………………. 184

È1 canson d’Sint-Antwêne……………………………………… 185

Quée chique !………………………………………………………….. 187

Nicolas DEFRECHEUX……………………………………………….. 189

Lèyîz-m’ plorer…………………………………………………………. 190

Tôt seû…………………………………………………………………….. 192

L’avez-v’ vèyou passer?………………………………………….. 194

Tôt hossant……………………………………………………………… 196

Michel RENARD…………………………………………………………… 198

Invocation………………………………………………………………… 199

Le repas des géants………………………………………………… 200

Fête de la moisson………………………………………………….. 204

Joseph DUFRANE……………………………………………………….. 206

Èn’ c’èst ni co Fram’rîye………………………………………….. 207

Léon BERNUS……………………………………………………………… 211

L’ mort èyèt 1’ fieû d’ fagots…………………………………….. 212

Edouard REMOUCHAMPS………………………………………….. 214

L’envie d’être riche………………………………………………….. 214

Une visite intéressée   215

Dieudonné SALME 219

 

Lès marionètes èmon Con’tî……………………………………. 219

Victor CARPENTIER…………………………………………………….. 232

Tchantchès……………………………………………………………… 232

Emile GÉRARD……………………………………………………………. 236

Li djône fèye……………………………………………………………. 236

Ine pârtèye di plêzîr…………………………………………………. 238

Atoû dè 1’ grand-mére…………………………………………….. 240

Charles GOTHIER………………………………………………………… 242

Li p’tite pasquêye…………………………………………………….. 242

Henry RA VELINE………………………………………………………… 245

Lentégn dou Dâné………………………………………………….. 245

L’Amoûr…………………………………………………………………… 250

El canchon d’ l’alowète…………………………………………… 252

El galant d’zolé………………………………………………………… 253

Joseph VRINDTS…………………………………………………………. 255

Li passeû d’êwe………………………………………………………. 255

Adiè âs vîlès mohones d’â Pont-d’ Bavîre……………….. 257

Henri SIMON………………………………………………………………… 259

Li p’tit rôsî………………………………………………………………… 260

Triptyque :

A ’ne vèye mohone…………………………………………….. 261

Rigrèts………………………………………………………………… 262

Sov’nance…………………………………………………………… 263

Li priyeû…………………………………………………………………… 264

L’alôre……………………………………………………………………… 264

Li mwért di l’âbe………………………………………………………. 265

Li pan dè bon Diu :

Li tchèrwèdje………………………………………………………. 268

Li sèmèdje…………………………………………………………… 270

Awout………………………………………………………………….. 271

Li soyèdje……………………………………………………………. 272

A P tâve………………………………………………………………. 273

A Bèbèt’   275

Théodore CHAPELIER…………………………………………………. 276

Tôt seû…………………………………………………………………….. 276

Po passer T hâhê…………………………………………………….. 277

Louis WESPHAL………………………………………………………….. 280

On vî neûr tchin………………………………………………………. 280

Manîre dè pwèrter 1’ doû…………………………………………. 281

Louis LOISEAU…………………………………………………………….. 284

One sov’nance di djônèsse…………………………………….. 284

Li djeû d’ guîyes………………………………………………………. 286

Martin LEJEUNE…………………………………………………………… 287

Lu Mwêrt………………………………………………………………….. 287

Adolphe WATTIEZ………………………………………………………… 289

L’intièr’mint……………………………………………………………… 289

45me cabarèt walon………………………………………………….. 292

Lès Trwas Rwas………………………………………………………. 293

Georges WILLAME……………………………………………………….. 295

È1 vî………………………………………………………………………… 295

Rinconte………………………………………………………………….. 296

Mèch’neûse…………………………………………………………….. 297

Djan d’ Nivèle………………………………………………………….. 298

Vîyès mésos…………………………………………………………….. 299

In djoû……………………………………………………………………… 300

È1 martchi……………………………………………………………….. 301

Vènez, m’ pètit colô…………………………………………………. 302

Alfred HENNO………………………………………………………………. 303

I-a in gros mort…………………………………………………………. 303

Jean BURY…………………………………………………………………… 306

Li bot’rèsse………………………………………………………………. 306

L’èfant……………………………………………………………………… 307

Ernest BRASSINNE……………………………………………………… 309

Li Pont d’Avreû………………………………………………………… 309

Jean WISIMUS……………………………………………………………… 315

Lu mureû…………………………………………………………………. 315

François RENKIN…………………………………………………………. 318

Li vîye bûse        318

On dîmègne…………………………………………………………….. 321

L’ârmâ……………………………………………………………………… 325

Baraquîs………………………………………………………………….. 327

Arthur XHIGNESSE……………………………………………………… 329

Deûs vîs…………………………………………………………………… 329

Grève……………………………………………………………………….. 330

L’âbe-coûte-djôye……………………………………………………. 331

Boule-di-Gôme………………………………………………………… 332

Jean LEJEUNE…………………………………………………………….. 337

Enfance de Cadet……………………………………………………. 337

Retour du printemps………………………………………………… 340

Le temps des amours………………………………………………. 342

Edouard LAURENT………………………………………………………. 345

Manouwèl……………………………………………………………….. 345

Georges ALEXIS…………………………………………………………… 352

Une rage de dents…………………………………………………… 352

Henri BRAGARD………………………………………………………….. 358

L’âbe du Florihé………………………………………………………. 359

Lu Rènant-Djwif………………………………………………………. 361

 toûrnant do 1’ vôye………………………………………………. 362

Awîr pièrdou…………………………………………………………….. 363

On djoûr vinrè………………………………………………………….. 364

Lu vî tiyoû………………………………………………………………… 364

Lu rôse…………………………………………………………………….. 366

Jules PIROT………………………………………………………………….. 367

Li fârce d’à Rigolèt…………………………………………………… 367

Li prumî Flamind……………………………………………………… 372

Louis LAGAUCHE………………………………………………………… 376

Ine plêhante famile………………………………………………….. 376

Les cerises………………………………………………………………. 378

Emile WIKET…………………………………………………………………. 380

Li p’tit banc………………………………………………………………. 380

Pawoureûsté…………………………………………………………… 381

Henri GEORGE…………………………………………………………….. 383

Pièrètes èt Pièreots………………………………………………….. 383

Joseph DURBUY………………………………………………………….. 386

Handèle…………………………………………………………………… 386

Adolphe PRAYEZ         389

Pékeû-Wizeû !…………………………………………………………. 389

Lés coucoubakes…………………………………………………….. 392

L’ batême du p’tit Nicodême…………………………………….. 395

Joseph CALOZET…………………………………………………………. 400

Hapeûs d’êwe…………………………………………………………. 401

Le retour du soldat…………………………………………………… 406

A 1’ hausse dès bokèts d’à Bâtisse…………………………. 411

Henri VAN CUTSEM…………………………………………………….. 417

Djouweû d’armonica……………………………………………….. 417

Fernand BONNEAU……………………………………………………… 419

Il-ant p’tète âke à s’ dère !………………………………………… 419

Jules CLASKIN…………………………………………………………….. 422

Disseûlance…………………………………………………………….. 422

A triviès dè P plêve………………………………………………….. 423

D’zîr…………………………………………………………………………. 424

Li mêsse dè P djowe………………………………………………… 425

Par après…………………………………………………………………. 426

Feû qui djômih………………………………………………………… 427

Dizos l’ovreû d’on tèyeû d’ pires……………………………… 428

Corne mi, corne vos………………………………………………… 429

Henri PÉTREZ……………………………………………………………… 431

Li sacoche, li tchèna èt P banse au martchi dès pwinnes .        .           431

Paul MOUREAU…………………………………………………………… 434

Le Tins…………………………………………………………………….. 434

Au cemintîre…………………………………………………………….. 435

Marcel LAUNAY……………………………………………………………. 437

Po-z-èsse on payîzan……………………………………………… 437

Vèsprêye…………………………………………………………………. 438

I ploût !…………………………………………………………………….. 439

Sondj’rêye……………………………………………………………….. 440

L’Anonciyâcion……………………………………………………….. 442

Géo LIBBRECHT………………………………………………………….. 445

Incon’nito………………………………………………………………… 445

Karmèsse………………………………………………………………… 447

Décimbe  448

Twanète…………………………………………………………………… 449

Portêlète………………………………………………………………….. 449

Rakèonte-mê lê……………………………………………………….. 450

Malin-maleot……………………………………………………………. 451

Lucien MARÉCHAL……………………………………………………… 453

Djan 1’ monnî………………………………………………………….. 453

Joseph MIGNOLET……………………………………………………….. 455

Qwand i r’sèrèt lès-ouh……………………………………………. 456

Osté…………………………………………………………………………. 458

A bwérd di l’êwe………………………………………………………. 459

Li priyîre dè mâ-sègni………………………………………………. 460

Nut’ di Tossaint………………………………………………………… 463

Edmond WARTIQUE…………………………………………………….. 467

Vacances………………………………………………………………… 467

Gabrielle BERNARD…………………………………………………….. 470

Li braconî…………………………………………………………………. 470

Li ch’mineau……………………………………………………………. 471

Li conscrit………………………………………………………………… 472

Feus d’ ranches………………………………………………………. 473

Filés d’ l’Avièrje……………………………………………………….. 475

L’èboul’mint…………………………………………………………….. 476

Leûs-èfants……………………………………………………………… 477

Robert GRAFÉ……………………………………………………………… 482

Flibotes……………………………………………………………………. 482

Foucâde………………………………………………………………….. 483

Charles GEERTS………………………………………………………….. 484

Bèvèrlô…………………………………………………………………….. 484

Èm’ visène m’a dit……………………………………………………. 486

Louis LECOMTE…………………………………………………………… 487

Ramâdjes………………………………………………………………… 487

Anatole MARCHAL………………………………………………………. 491

Li dérène chîje…………………………………………………………. 491

Marcel HECQ………………………………………………………………… 496

È1 consyince…………………………………………………………… 496

Henri COLLETTE………………………………………………………….. 498

Tins d’ Mènâdes………………………………………………………. 498

Nèni          499

Lû sârteûr………………………………………………………………… 500

Lu djoûr mâdit………………………………………………………….. 501

Jean de LATHUY………………………………………………………….. 502

Portraits……………………………………………………………………. 502

Tauvias dè 1* fièsse………………………………………………… 503

Dozinme Sitacion……………………………………………………. 504

Notru-Dame do Quénze d’Awous’…………………………… 504

Auguste LALOUX…………………………………………………………. 506

On cèréjî au mitan do corti……………………………………….. 507

Mort d’un curé de campagne…………………………………… 511

René PAINBLANC……………………………………………………….. 518

Adon………………………………………………………………………… 518

Franz DEWANDELAER……………………………………………….. 520

Songerie dans la ville……………………………………………… 520

Djan d’ Nivèle………………………………………………………….. 522

Dins 1’ parc……………………………………………………………… 523

L’enfance dont on rêve……………………………………………. 524

È1 fou……………………………………………………………………… 525

È1 Bribeû………………………………………………………………… 529

L’ome qui brét………………………………………………………….. 534

Moman…………………………………………………………………….. 538

Emile LEMPEREUR……………………………………………………… 540

Li plouve………………………………………………………………….. 540

Jean RATHMÈS……………………………………………………………. 542

Ètér’mint………………………………………………………………….. 542

Basse-Mar’hâye………………………………………………………. 544

Albert YANDE……………………………………………………………….. 547

El Djan d’ Mâdi………………………………………………………… 547

Cleumète…………………………………………………………………. 552

Louis REMACLE…………………………………………………………… 553

A P prumîre eûre……………………………………………………… 553

Lu sondje…………………………………………………………………. 554

L’êr qui djâse……………………………………………………………. 555

Sèptimbe………………………………………………………………….. 555

Lès vîhès ponnes…………………………………………………….. 556

Lu sôdâr…………………………………………………………………… 557

Lu vîhe ête          557

Duspôy mèy ans……………………………………………………… 558

Lu dièrin voyèdje……………………………………………………… 559

Lu grande vèye………………………………………………………… 560

Ben GENAUX……………………………………………………………….. 561

Vilâdje……………………………………………………………………… 561

Willy BAL………………………………………………………………………. 566

Afuts d’julèt’……………………………………………………………… 566

Murs blankis…………………………………………………………….. 567

Avri…………………………………………………………………………… 568

Nos n’ pièdrons nin…………………………………………………. 569

È1 complainte dè Djan Pansau……………………………….. 572

Dies irae…………………………………………………………………… 575

Ç’asteut s’ gamin…………………………………………………….. 577

Jean GUILLAUME………………………………………………………… 586

Doû………………………………………………………………………….. 586

Fwace………………………………………………………………………. 587

Glwêre……………………………………………………………………… 587

Iviêr………………………………………………………………………….. 589

Dj’a lèyî tchêr…………………………………………………………… 590

Vîye djint………………………………………………………………….. 591

Lès bias djoûs………………………………………………………….. 592

A plins brès……………………………………………………………… 592

Mi…………………………………………………………………………….. 593

Octoûbe…………………………………………………………………… 594

L’eûre………………………………………………………………………. 594

Marcel HICTER…………………………………………………………….. 596

Géorgique……………………………………………………………….. 596

Doûris’……………………………………………………………………… 597

Léon WARNANT…………………………………………………………… 598

Djun…………………………………………………………………………. 598

Après……………………………………………………………………….. 599

Payis……………………………………………………………………….. 600

Syince……………………………………………………………………… 602

Pâques……………………………………………………………………. 602

Albert MAQUET…………………………………………………………….. 604

Treûs p’titès calin’rèyes         604

A 1’ manîre d’in-ôte…………………………………………………. 605

Li prandjîre………………………………………………………………. 605

I passe li tins qui lî rèsse…………………………………………… 606

Nou visèdje. Noie…………………………………………………. sipale………. 606

Pièrdous………………………………………………………………….. 607

Ètrindjîr…………………………………………………………………….. 608

Fât si pô d’tchwè d’èsse ureûs…………………………………. 609

Pierre FAULX……………………………………………………………….. 610

Maximes et proverbes……………………………………………… 610

André HENIN………………………………………………………………… 612

Tchand’leû………………………………………………………………. 612

Èvandjîle et Prétch’mint…………………………………………… 613

Jules FLABAT………………………………………………………………. 619

Tot-è-st-à s’ place…………………………………………………….. 619

Èvôye………………………………………………………………………. 620

L’ome………………………………………………………………………. 620

Jenny d’INVERNO……………………………………………………….. 622

Bâyes………………………………………………………………………. 622

Ranguinne po on…………………………….. dîmègne qu’i ploût………. 623

Falyite……………………………………………………………………… 624

Georges SMAL……………………………………………………………… 625

Ci djoû-là…………………………………………………………………. 625

Finô-mwès………………………………………………………………. 626

Dji baloujeu mièmu………………………………………………….. 626

Lôvô su P sou………………………………………………………….. 627

Massales sicwaméyes à Patchô……………………………… 628

Èst-ce on sondje……………………………………………………… 628

C’è-st-au solin,………………………………………………………… 629

Dj’è r’pindu mès flayas o P grègne………………………….. 630

Emile GILLIARD……………………………………………………………. 631

Viker………………………………………………………………………… 631

Erdiè………………………………………………………………………… 632

Tchéns r’noûris……………………………………………………….. 633

Dins nosse vile………………………………………………………… 633

Sins r’mète bièsses à djins    634

Èt nos r’vik’rans……………………………………………………….. 635

Jean-Denys BOUSSART……………………………………………… 637

Li guère……………………………………………………………………. 637

Dj ama…………………………………………………………………….   638

Li mwért d’à Tchofile……………………………………………….. 639

Victor GEORGE…………………………………………………………..   641

Nosse viyèdje sok’tèyrè vêlà……………………………………. 641

Signeûr, dèdjà P vèsprèye………………………………………. 642

Après nos-ôtes………………………………………………………. 643

Table des  matières       649

 ABREVIATIONS ET SIGLES

 

alt. altération ou altéré

art. article

ALW Atlas linguistique de la Wallonie, t. 1 et 2 par L. remacle, t. 3 par E. legros, t. 4 par J. lechanTeur, Liège, H. Vaillant-Carmanne, 1953-1976.

arch. archaïque

ASW Annuaire de la Société de Littérature wallonne, Liège, à partir de 1863.

BD Bulletin du Dictionnaire wallon, Liège, 1906-1970.

BSW Bulletin de la Société [de Langue] et de Littérature wallonne[s], Liège, à partir de 1857.

Choix Choix de chansons et poésies wallonnes (pays de Liège) recueillies par MM. B[ailleux] et d[ejardin], Liège, 1844.

DL Dictionnaire liégeois par J. haust, Liège, H. Vail­lant-Carmanne, 1933.

empr. emprunt

EMVW  Enquêtes du Musée de la Vie wallonne, Liège, à partir de 1927. expr. fig. expression figurée

fam. familier

f. ou fém. féminin

fig. figure (dans le DL); figuré ou au /~/

f.rég. français régional

Inventaire Inventaire de la littérature wallonne, des origines (vers 1600) à la fin du XVIIIe siècle par M. piron, Liège, P. Gothier, 1962.

litt. littéralement

m. ou masc. masculin

onom. onomatopée

ord. ordinairement

orig. original(e) : texte ou édition ~

péj. péjoratif

plais. plaisamment

Pirsoul Dictionnaire wallon-français. Dialecte de Namur, par Pirsoul, 2e éd., Namur, 1934.

Remacle, Syntaxe Syntaxe du parler wallon de La Gleize par L. remacle, 3 vol., Paris, Les Belles Lettres, 1952-1960.

syn. synonyme

t. terme

v. verbe

var. variante

VW La Vie wallonne, revue mensuelle (1920-1940) puis trimestrielle, Liège, à partir de 1947.

[   ] dans un texte, indique les mots ou parties de mots ajoutés.

(p.1) ANONYME

[Contre les femmes et le mariage]

 

Six couplets sans titre, découverts en 1925 par Gustave Charlier dans un recueil de chansons manuscrites formé aux environs de 1600. Quoique non daté, ce texte est assurément l’un des plus anciens de la production liégeoise. Il inaugure la longue série des satires wallonnes misogynes : thème légué par le moyen âge français aux littératures dialectales dont il est devenu un des leitmotive principaux.

L’auteur anonyme de la pièce, veuf et désabusé, fustige les péronnelles uniquement soucieuses de plaire et qui, une fois mariées, font la ruine de leur maison. Cette peinture, poussée au noir, des « joies de mariage » reste plaisante par ses généralités outrancières et sa franche allure réaliste.

 

1                                                                                    [Banlieue de Liège]

Bon Dièw ! quu c’èst grand pon.ne d’in.mer [totes] cès bâcèles !

Ci sont totès costindjes qu’i fât mète âtoû d’ zèles :

Quand iles vus-ont lès courtisons,

4   i lès fât lès tchin.nes èt pindonts,

lès fièrs d’ârdjint atot lès pièles,

afin qu’ille avizèhe pus bèles.

 

I lès fât lès cotrês di quatrè-vint florins,

8 dès barètes à dozin.nes èt ot’tant di d’vantrins,

dès blancs, dès bleûs, dès viyolés,

dès cis du sôye, tot passemintés;

po dès tch’mîhes, on n’ louke nin po-d’zos :

12 quand ille ont-eune, c’ è-st-èco trop !

 

  1. Que c’est grand dommage (litt* : peine) d’aimer toutes ces filles. — 2. costindjes, dépenses. Le sens est : on n’a jamais fini de dépenser pour elles. — 3-4. Quand elles vous ont les courtisans (= quand elles se sont fait des galants), il leur faut les chaînes (= colliers) et les pendants (= pendentifs); ile(s), forme archaïque du pronom pers. fém. « elle(s) ». La finale -on (courtisan) en provenance de -an (v. 1 grand) se retrouve à l’ouest et au nord de Liège; les textes wallons du XVIIe siècle attestent souvent le mélange des deux formes (J. Haust, éd. citée, p. 8). — 5. « les fers d’argent » désignent les aiguillettes ou ferrets, attachés aux rubans et cordons (note de J. Haust, ibid., p. 11); … avec les perles.
  2. lès, ici « leur », forme arch. remplacée aujourd’hui par lèzî (id. au v. 4); … les jupes de 80 florins, c.-à-d. d’un prix très élevé. — 8. barète, coiffure en forme de serre-tête; d’vantrin désignerait ici, plutôt qu’un tablier (sens moderne), une garniture mobile se plaçant sur le devant de la robe (J. Haust, ibid.). — 11. quant aux chemises, on ne regarde pas en dessous. Le sens est : peu importe qu’elles aient une chemise à se mettre, puisque tout est pour l’apparence.

 

(p.2) S’i vint-on p’tit haclot qui dimande du s’ marier,

iles vè l’ haperont-â mot, co qui n’ s’ è f’reût qu’ moker.

Onk qui n’ âreût nè d’nî nè mâye,

16 porveû qu’il eûhe dès bonès brâyes,

i s’ f’reût si bin di cès bâcèles,

qu’ i vikereût so s’ pike âtoû d’ zèles.

 

Mins, quand on-z-èst marié, fât dire : « Adieu, bon tins ! »

20 i fât-aler tchaver po wangnî po dè pin,

po noûri on mâssî panê

qui n’ sâreût pèler on navê,

qui n’ sâreût lèver on fistou

24  s’ ile n’ a-t-ine damehèle après s’ cou !

 

C’ èst l’ ruwine d’ on manèdje, ca on n’ èl sét où-ce prinde !

I fâ tot-z-èwadjî djusqu’à lès prôpès cindes.

Co qu’ on n’âreût nè pan nè pèce,

28 s’ i lès fât-i r’parer leû tièsse

di bês paremints tchèrdjîs d’ fins pièles

po d’morer è pâye âtoû d’ zèles.

Ci qui-a fait « la chanson » a stu marié ine fèye,

32 dit qu’ i-èst fou dè l’ prîhon d’pô qu’i-a pièrdou s’ pârtêye;

èt s’a-t-i dit à pére, à mére,

qu’i rîmereût putwèt âs galéres.

S’il atoume bin, c’èst d’avinture,

36 ossi bin à Lîdje qu’à Namur !

 

  1. haust, Le dialecte liégeois au XVIIe siècle : Dix pièces de vers sur les femmes et le mariage, Liège, 1941 (coll. « Nos Dialectes »), pp. 11-13, d’après le ms 430 (410) de la Bibl. de Valenciennes. — Inventaire, n° 284.

 

  1. S’il vient un freluquet… — 14. elles vous le prendront au mot, encore qu’il (= même s’il) ne ferait que s’en moquer (= d’elles). — 15. … ni denier ni maille. — 16. brâyes, habits (litt’ : braies). — 18. so s” pique, en pique-assiette; âtoû a ici le sens de « auprès ».

 

  1. Il faut aller creuser, c.-à-d. gratter, travailler dur; wangnî, gagner. — 21. pour nourrir un souillon (litt* : un sale pan de chemise). — 23. … ramasser (litt’ : lever) un fétu de paille. — 24. dam’hèle, forme arch. de « demoiselle » employée au sens de « servante ».

 

  1. … car on ne sait où le [= l’argent] prendre. — 26. è-wadjî, mettre en gage. — 27. Même si on n’avait ni pain, ni pièce [de pain]. — 28. Litt’ : ainsi (= néanmoins) leur (pron. explétif) faut-il reparer (parer à nouveau) leur tête. — 30. âtoû, cfr v. 18.

 

  1. Ce genre   de   « signature »   est   fréquent   dans   l’ancienne   chanson   populaire.   —

32 … depuis qu’il a perdu sa moitié (litt* : sa partie). — 34. qu’il ramerait plutôt aux galères [que de se remarier]. — 35. S’il (pron. impers.) tombe bien, c’est d’aventure. Le sens est : si l’on tombe bien en se mariant, c’est pur hasard.

Sonèt lîdjwès (Hubert Ora (sic))

UBERT ORA

(1598? -1654)

 

Parmi les pièces liminaires d’un ouvrage de polémique religieuse publié en 1622 par Louis du Château, provincial des Frères Mineurs à Liège, figure un sonnet en wallon signé « F. Houbiè Ora Meneu d’ Lig ». Ce nom de Hubert Ora (qu’on serait tenté de transposer en D’Heure, si le patronyme latin Ora n’était attesté par ailleurs dans les archives liégeoises de l’époque) est celui d’un Frère Mineur conventuel de Liège décédé, selon l’obituaire manuscrit de cette maison, le 16 février 1654, dans la 56e année de son âge, ce qui autorise à placer sa naissance en 1598 ou 1599.

Comme écrivain, il ne nous est connu que par ce sonnet dirigé contre un pasteur calviniste. Durant les deux premiers tiers du xvne siècle, les contro­verses théologiques, au pays de Liège, entre clergé catholique et ministres réformés dégénérèrent parfois en violentes querelles, et c’est dans le cadre d’une de ces disputes que se place l’invective du cordelier liégeois. Le style énergique qui la soutient ne saurait en faire oublier le tour très « littéraire » dû au caractère relevé de ce genre de poème à forme fixe. Deux ans après la classique Ode à Mathias Navasus (1620), le Sonèt lîdjwès, premier texte wallon dont l’auteur et la date sont connus, fournit une nouvelle preuve qu’à leurs origines, les lettres wallonnes, comme les premières productions dialectales d’oïl, n’ont de vraiment populaire que le parler qu’elles emploient.

 

2                                                                                                                    [Banlieue de Liège]

 

Sonet lîdjwès

A minisse

 

Hoûtez dê, Mounseû 1′ prédicant,

Ni pârlez nin tant conte lès mônes;

ca vos f’rîz dîre qui 1′ diâle vis mône

4   come ounk di sès-apartinants.

 

 SONNET LIEGEOIS

Le « ministre » désigné dans le sous-titre est celui auquel répond le pamphlet de L. du Château : il exerçait les fonctions de « pasteur des Wallons et François calvinisez » à Dordrecht où s’était tenu, un peu auparavant, le fameux Synode des théologiens protes­tants (1618-1619).

 

  1. Mounseû, Monsieur. La graphie oun, régulière dans notre sonnet pour on (vv. 4, 5, 11), serait un trait de la banlieue ouest de Liège où l’on ne retrouve aujourd’hui que la forme dénasalisée (J. Haust, éd. cit., p. 27). — 3. … que le diable vous mène.

  Vos-èstez oun grand afahant

après lès bins di nos tchènônes :

mins, po v’ dire tot çou qu’i m’è sône,

8  vos porpôs sont porpôs d’ brigand.

 Si vos-eûhîz sût li Scriteure

èt bin wârdé li lwè d’ nateure,

vos-eûhîz acwèrou boun brut.

 12  Mins qwè ? dîre âs djins dès-indjeures

èt lès spiter di vos r’nârdeures,

ci sont vos-oûves et vos bês fruts.

 

  1. Haust, Le dialecte liégeois au XVII’ siècle : Les trois plus anciens textes, Liège, 1921 (Bibl. de la Fac. de Phil. et Lettres), p. 29. Paru pour la première fois dans Le Chasteau du moine opposé à la Babel de Hochedé Nembroth de la Vigne, Liège, Chr. Ouwerx, 1622, fol. [15]. — Inventaire, n° 1.

 afahant, avide (de s’emparer), rapace, cupide. Sur cet hapax, cfr J. Haust, éd. cit., p. 30. — 7. sône, semble. — 8. porpôs, métathèse de « propos >.

9-10. Si vous eussiez suivi l’Ecriture et bien gardé la loi naturelle. — 11. brut, bruit, au sens ancien de renommée.

  1. et les éclabousser de vos vomissements. — 14. ce sont vos œuvres et vos beaux fruits.

(p.5)

ANONYME

[Retour à Liège du prince-évêque]

 

Le texte ci-après est extrait d’un dialogue en deux parties sur les déprédations commises par la garnison espagnole que le gouverneur de Maestricht main­tenait à Herstal depuis 1628. A cette époque, au milieu des puissances voisines entrées en guerre, la principauté de Liège, fidèle à sa curieuse et tradition­nelle « neutralité », permettait le libre passage des armées belligérantes sur son territoire. De là, dans la pratique, de fréquents pillages et des violences de toute sorte. Quatre dialogues wallons imprimés, de 1631 à 1636, en ont conservé l’écho. La douleur et l’indignation du paysan rançonné s’y exhalent avec un réalisme naïf, dans une forme incisive, relevée par la saveur d’une langue drue et colorée, foncièrement peuple.

La première en date de ces pièces met en présence Crèspou, Djam’sin et Mâyeleû qui, tous trois, ont décidé de vendre leurs biens et de partir pour la guerre afin d’échapper aux vexations des soldats. Ratifié au cours d’une « plaisante débauche », le projet est bientôt abandonné, car Mâyeleû annonce à ses interlocuteurs que le prince-évêque, Ferdinand de Bavière, après une absence de neuf ans, vient de regagner sa capitale pour mettre fin aux désordres des pillards. Le paysan raconte, en témoin oculaire, le débarque­ment du prince, sur un quai de la Meuse, au cœur de la cité, spectacle qui l’a vivement impressionné.

 

[Banlieue de Liège]

 

Dj’èsto à Lîdje mardi passé                             Vv. 235-294

qui nosse bon Prince vinve è s’ cité

so l’êwe divins on grand ponton.

4 Djèl vèyi, ci bê gros godon !

So m’ fwè, dji fou tot-z-ahuré

quand dj’oyi lès tabors soner.

Dji n’ savo pinser cou qu’ c’èsteût

8 qui tôt 1′ monde èsteût si djoyeûs,

 

  1. La désinence -o (dj’èsto, j’étais), aujourd’hui inconnue en liégeois, alterne avec la dési­nence normale -eu au singulier de l’imparfait et du conditionnel de certains verbes. On la retrouve plusieurs fois dans cet extrait (vv. 7, 27, 38 et 59). — 2. vinve, « vint », forme ancienne du passé simple de vint. — 4. La désinence -t (djèl vèyi, je le vis) du passé simple, empruntée sans doute du français (je vis, je fis, etc.), alternait, au xvn° siècle, avec la forme actuelle en -a (vv. 36 hapa, 37 a/a, etc.); gros godon, t. d’affection intra­duisible en français. — 5. ahuré, ahuri. — 6. Quand j’entendis les tambours sonner. —

 

 

(p.6) si ci n’ fourit onk qui m’ dèrit

qui nosse Prince sièreût tot-rade ci.

So mi-âme, c’èsteût on grand plêzîr

12   dè vèyî voler lès banîres.

Lès Lîdjwès qu’èstint èquipés,

ainsi qu’on coq djôbâ hos’lé.

I nn’y-aveût tôt fin près d’ine pièce

16 qu’avint dès tchôdrons so leû tièsse

ossi clérs qui dès plats di stin :

Diè mi-âme s’on n’ s’eûhe bin muré ins !

s’astint-i là come dès bragârds

20  atot dès scadjolés ploumârds,

nè pés nè mîs qu’ nos gâdisseûs

à 1′ dicâce quand is f’sèt dès djeûs.

Dès-âqués qu’avint dès djav’lènes

24 qu’èstint bin ossi bèles qui 1′ mène,

ossi longues qui dès linwes di vatche

èt tortos avâ dès-ovradjes;

mins dji n’avo d’ rin si grand doû

28 qui dès flotches qui pindint-âtoû.

Dès-ôtes qu’avint dès longs picots

qu’on eûhe batou lès djèles atot.

C’èsteût plêzîr di lès vèyî

32   si bin armés et si djolis !

On k’mincit à tirer l’ canon,

qui fève tronler totes lès mohons;

di façon qui dj’eû ine téle crinte,

 

  1. Litt. : si ce ne fut un (= quelqu’un) qui me dit. — 10. … serait bientôt ici. — 11. Sur mon âme (interj.). — 13-14. Phrase nominale, à introduire par « II y avait »; … un coq jambard (= haut sur pattes) houselé (= comme s’il portait des houseaux, des bottes, tant il avait de plumes aux pattes). La comparaison est plaisante pour désigner la garde d’honneur liégeoise en grande tenue. — 16. Pour l’auteur qui reconstitue ce spectacle unique vu par un homme du peuple, les « chaudrons » désignent évidemment les casques des hommes d’armes comparés, au vers suivant, à des plats d’étain. — 18. Dieu [ait] mon âme…; ins, a.fr. ens (lat. intus). — 19-20. Et se tenaient-ils là comme des capitaines de jeunesse, avec des plumets bariolés. — 21. «ni pis ni mieux »; l’expression se retrouve encore au xix” siècle chez le poète H. Forir; gâdisseû, joyeux drille. — 22. Dans l’ancien temps, à la fête paroissiale (dicâce « dédicace »), des jeux divers étaient organisés par les capitaines de jeunesse revêtus d’habits de circonstance. — 23. La forme âqué, hapax dans le dialecte moderne, correspond à l’anc. wallon aquel, certain; J. Haust interprète : [II y en avait] d’aucuns qui…; djavelène, javeline. — 26. et entièrement ouvragées. — 27. … si grande crainte (litt* : deuil). — 28. flotche, gland frangé, houppe. — 29-30. … de longues piques avec lesquelles on eût gaulé les noix. — 32. djoli, joli, sans doute par allusion à leurs chamarrures. —

 

(p.7) 36   qui dj’hapa on si grand mâ d’ vinte

qui tot ‘nn’ala divins mès tchâsses :

dji v’ mosturro co bin l’èplâsse.

Djamây dji n’eû ine téle hisdeûr;

40   dji pinséve mori è 1′ même eûre.

Mins, todi, dji n’ mi rindi nin;

dj’avanciha è l’prèsse dès djins,

là qu’in-y-aveût dès hal’bârdîs,

44    qu’èstint si fayêyemint moussîs

atot dès bagues di deûs coleûrs :

dji pinse qui c’èsteût blanc èt neûr;

s’avint-i dès grossès brâyètes

48    èt dès flotches di sôye à l’ bètchète.

Vos-eûhîz dit qui leûs bragârds

eûhint so leû tièsse dès ploumârds.

Lès pontons v’nous, hoûte-mu, djèrmin,

52   djamây ti n’oyis té passe-tins :

lès Lîdjwès k’mincint-à d’hièrdjî

leûs musquèts come tos-arèdjîs.

So mi-âme si dji n’ fou tot soûrdô

56    d’oyî insi peter lès côps !

on k’minça-t-à criyer vîvât,

quand on vèya ci dine Prélat.

Ciète, dji n’ vis saro dîre l’oneûr

60   qu’on fit-à ci très digne Sègneûr.

 

« Complainte des paysans liégeois sur le ravagement des sol­dats : suivye d’une plaisante débauche », placard à 3 col. [1631], Bibl. de l’Univ. de Liège, Réserve : Varia in-folio, 52. On suit en principe le texte établi par J. haust, Le dialecte liégeois au XVIIe siècle : Quatre dialogues de paysans (1631-1636), Liège, 1939 (coll. «Nos Dialectes»), pp. 34-37. — Inventaire, n° 2.

 

  1. mohon (auj. mohone), maison. — 37. tchâsses, chausses. Ce genre de détails n’a rien de surprenant, compte tenu de la scatologie qui est l’un des motifs obligés de maintes pièces « burlesques ». —• 38. «… l’emplâtre », c’est-à-dire la marque, la trace. — 39. hisdeûr, épouvante. — 44. … si drôlement habil­lés. — 45. atot (arch.), avec; bagues, vêtements. — 47-48. Et avaient-ils de grosses bra­guettes (= bourrelets au-devant du haut-de-chausses) et des nœuds de soie à la pointe. — 50. ploumârd, plumet — 51. djèrmin, germain (s.-ent. cousin), terme d’affection qu’on rendrait aujourd’hui par « frère ». — 54. Les décharges de mousqueterie faisaient partie du cérémonial d’honneur dans les fêtes d’autrefois.

(p.8)

LAMBERT DE HOLLOGNE

(avant 1656)

 

Une tradition qui remonte au poète Ch.-Nicolas Simonon (né en 1774), lequel était aussi un walloniste érudit, attribue l’Entre-Jeux de paysans au notaire Lambert de Hollogne. Encore qu’on ne sache rien de précis sur ce tabellion liégeois, son existence comme poète ne saurait être contestée puisqu’il signe de son nom et de son titre un pompeux éloge en alexandrins français : A noble et très honoré seigneur Monsieur Erasme Foullon, Echevin de la Haute Justice de Liège, etc. (Bibl. Univ. de Liège, Varia 52). Ce poème, adressé à un conseiller du prince-évêque en 1656, a été imprimé en placard, tout comme ÏEntre-jeux, dont la date, qui n’est pas connue avec certitude, n’est cependant pas antérieure à 1636.

Nous tenons dans cette pièce de 274 vers le plus remarquable de nos quatre dialogues de paysans liégeois (voir ci-dessus). Malgré les allusions aux soldats du comte de Mansfeld, commandant une partie de l’armée espagnole des Pays-Bas, la pièce semble ne se rattacher à aucun fait bien précis. L’auteur de ÏEntre-jeux s’inspire des brigandages, si fréquents alors dans les campagnes, et cherche à faire œuvre littéraire en mettant sous nos yeux la détresse des habitants d’un village anonyme des environs de Liège. Cet essai dramatique qu’on pourrait diviser en six tableaux s’impose par l’énergie concise du style et le naturel, souvent pathétique, des situations et du dialogue. La langue abonde en traits imagés, en trouvailles expressives, et sa rudesse renforce encore la sincérité de certains cris tout vibrants de colère au souvenir des outrages subis. Tel est, en particulier, le véhément monologue de Wéri Clabâ aux accents vengeurs et d’une éloquence populaire qu’on ne retrouvera, un siècle et demi plus tard, que sous la plume du P. Marian de Saint-Antoine.

 

 

[Ouest de Liège] [Après le passage des troupes]

 

Stasquin

 

Li tièsse mi toûne, amor di pére,                  

come onk qu’a magnin de 1′ mistére !

Dj’a 1′ boke oviète èt 1′ coûr sèré

4 èt, qwand dj’a bin considéré,

 

  1. … père bien aimé; litt. : amour de père. La langue de ces dialogues abonde en formules affectueuses; comp. le n° 7. — 2. Comme [quelqu’] un qui a absorbé de la drogue; magnin pour magrii, « forme à finale nasalisée, fréquente dans nos vieux textes »

 

(p.9) dji so mwért, i n’y-a wêre à dîre…

I m’ fât rèpwèrter so ‘ne civîre;

dji n’ sâreû pus aler avant !

 

Djâmin Brokèdje

8  Sus, prind corèdje, amor d’èfant !

Dji so si plin d’anôye qui dj’ hère,

si n’ vou-dje nin cor moussî è tère.

Dji n’a pus pont d’ tchâr dizos 1′ pê,

12 mi mèyole heût foû d’ mès-ohês…

Si ti vous mori, si t’ dihombe;

dji n’ pou câzi ster so mes djombes…

Mi song’ si pièd’, dji d’vin tot freûd;

16 i n’ fârè qu’ine fosse po nos deûs :

nos f’rans bin de mori èssône…

 

Stasquin

Dji sin ècor bate on pô m’ vône,

s’a-dje si pawou qui dj’ vèsse d’angohe,

20    èt, di m’ lèyî mori so l’ cohe,

ma fwè, dji nèl fê nin vol’tî.

Si dj’ poléve conte li mwért plêtî,

dji mètreû on pârlî èn-oûve.

 

Djâmin Brokèdje

24   Lès mwérts, di tère on lès-acoûve

qwand on l’s-a boute è wahê.

Il èst sèdje qui sét wârder s’ pê.

 

Stasquin

C’est don 1′ mèyeû dè prinde corèdje

28 sins nos lèyî bouter è sètch.

 

(J. Haust, éd. cit., p. 16); mistére, coque du Levant. — 9. … que je crève (litt’ : dé­chire). — 10. et pourtant je ne veux pas encore entrer en terre. — 12. la moelle me sort par les os; heût, secoue (au point de tomber). — 13. … (ainsi) dépêche-toi. — 14. ster (archaïque), se tenir debout; djombes pour djambes : l’alternance -an/-on a été signalée plus haut (texte n° 1, note du v. 3). — 19. angohe (archaïque), angoisse. — 20. et de me laisser mourir sur la branche, c’est-à-dire : encore jeune. Stasquin est le fils de Djâmin Brokèdje. — 23. pârlî, avocat, plaideur; èn-oûve, en œuvre. — 26. sèdje, sage, sensé. —

 

(p.10) Dè mori, vor’mint, diâle çoula !

Padiè ! quî èst mwért, i djît là.

Roûvians lès mwérts èt lès tristesses,

32   s’ qwèrans après 1′ banstê âs pèces;

trovans moyin dè ragraweter

d’ine sôrte èt d’aute nosse bone santé :

dè tant djèmi, c’èst grand lwègnerèye

36   èt racoûrci nosse vicârèye.

I vât bin mis trover moyin

dè qwèri po raw’hî lès dints :

on pô d’ pan tchèrdjî d’ crâhe di ros’,

40    çoula sièreût ciète bin à m’ gos’,

ou on batis’ à lècê d’ boûre,

il èst si bon po 1′ mâ dè coûr,

èt d’ beûre so çoula ine dimêye !

 

Djâmin Brokèdje

44   Tot çou qu’ ti dis, il èst fin vrêye.

A qué propôs nos rompi l’ tièsse

à copiner d’ cisse mètchante rèce?

S’il ont bouté 1′ feû d’vins nos cinses,

48    s’il ont magnî tote nosse simince,

s’il ont tortos nos bins broûlé,

ossi 1′ diâle lès-a-t-èvolé.

Ni nos-a-ç’ nin stu bone aweur

52   dè claper l’ouh so 1′ trô dè beûr

èt d’ nos sâver ci d’vins lès bwès

sins nos fé k’tèyî à brikèts ?

 

  1. djît, gît. — 32. L’expr. fig. qwèri (ou riprinde) li banstê âs pèces, le panier aux pièces [pour se raccoutrer], signifie : reprendre le dessus, se remettre à la vie. — 33. ragraweter, ressaisir (fam.). — 35. … c’est une grande sottise; dans nos anciens textes, grand est souvent invariable au fém. — 38. L’expression raw’hî (aiguiser) lès dints a ici le sens de manger. — 39. un peu de pain recouvert de graisse de rôti. — 41. batis’, « mélange battu de lècê d’ boûre (babeurre) avec du sucre, des jaunes d’œufs, et de la cannelle » (J. Haust, éd. cit., p. 61). — 42 et 44. il est, c’est. — 46. rèce, race. — 48. Allu­sion à « la réserve de grains qui devait servir à ensemencer les terres » (J. Haust, ibid.). — 51-52. Cela ne nous a-t-il pas été un bonheur de tout laisser en plan ? Cette dernière idée est rendue par une expression figurée qui signifie litt1 : fermer (bruyamment) la porte sur l’ouverture du puits de mine, autrement dit : abandonner les travaux d’extrac­tion. — 53. ci, ici. — 54. sans nous faire tailler en morceaux. — 56. Litt* : voyons de rejoindre pâture, c.-à-d. tâchons de rentrer chez nous.

 

(p.11)

Stasquin

Diè dè glôre ! nos n’avans fait qu’ sèdje !

56   Loukans dè raprèpî wêdèdje.

 

« Entre-jeux de paysans sur les discours de Jamin Brocquege, Stasquin son fils, Wéry Clabâ et un soldat françois », placard à 5 col. [± 1636], Bibl. de l’Univ. de Liège, Réserve : Varia in-folio 52. On reproduit le texte de l’éd. J. haust, Quatre dialogues de paysans (cfr supra), pp. 59-61. — Inventaire, n° 4.

Wéry Clabâ

[Monologue de Wéri Clabâ]

 

Dji n’ sé si l’ diâle n’èvolerè nin                      Vv. 73-we

ci dâné Mansfèl èt sès djins,

s’i nos fârè lètchî nos plâyes

4   sins çou qui l’ boye l’abatrè mây,

si l’ tonîre nèl dirèn’rè nin,

si l’ plate pîre Diè n’ l’ assomerè nin,

si l’ feû griyeûs n’ djèterè nin s’ flâme

8   qui lî graf’rè foû dè cwèr l’âme,

ci diné lâron, ci diâle volant,

qui towe pére èt mére èt èfants !

Si-f’rè ! i lî vârè-t-ine fèye !

12   mins dj’ so mâva qui ç’ n’est pus twèy !

Qui fês-s’ lâvâ, howe, Lucifièr?

Poqwè n’ acoûrs-tu foû d’ n-èfièr?

 

Le personnage de Wéri Clabâ, la vedette de l’Entre-jeux, débite ce monologue après que Stasquin et son père se sont mis en route pour regagner leur maison ou ce qu’il en reste.

  1. Le pronom çou (ce) a ici un emploi explétif; boye, bourreau. — 5. ne l’éreintera pas. — 6. L’expression « la plate pierre [de] Dieu » est obscure, note J. Haust, éd. cit., p. 63; le déterminant Dieu pourrait faire penser à la pierre d’autel, mais, de toute façon, l’allusion reste énigmatique. — 7. feû griyeûs, feu grégeois. — 8. qui lui arra­chera… — 9. ce parfait (litt. : digne) larron, ce vrai démon; diâle volant, « allusion au diable représenté avec des ailes de chauve-souris. L’expression est restée en wallon pour désigner le tarare cribleur » (note de 3. Haust, ibid.). — 11. Ainsi en sera-t-il (litt1 : si fera) ! La suite du vers est moins claire. Il faut sans doute corriger le « varet » de l’original en vairè, fut. de vint, et comprendre : il (= cela) lui viendra une fois, c’est-à-dire : ces souhaits s’accompliront un jour. — 12. twèy pour twèt, tôt. — 13. howe (interj.), hue ! —

 

(p.12)

Poqwè n’acoûrs-tu nin pus vite

16   foû dè gofê dè l’grande marmite ?

Qui n’ t’avances-tu po v’ni haper

ci diâle qui nos-a ruwiné ?

Mins dji veû bin qui l’ diâle n’a wâde,

20   ca, ciète, c’èst bin trop s’ camarâde !

Portant l’a l’ bon Diè condâné

d’èsse pére à tortos lès dânés

èt dè cûre è l’ tchôdîre à l’ôle

24   tant qui l’ djoûr-èt-djamây si sôle.

Qui n’ so-dje on djoûr cusenî d’ n-èfiér,

po vindjî m’ corèdje so cès liéres !

Dji t’ f’reû leû couhène si salêye

28   èt dès si bolantès hièlêyes

qu’i n’ lès sârint mây avaler

sins s’avu tot l’ palâs broûlé !

Dji t’ lès hèr’reû, pa Diè djè l’djeure,

32   è l’ gueûye ine locêye di hôdeure !

Diè boli ! qu’èl f’ro-dje di bon coûr !

Mins c’èst l’ mâ qui ç’ n’èst nin co m’ toûr !

 

Ibid., Edit. J. Haust, pp. 63-65.

 

  1. gofê diminutif de gofe, gouffre; marmite : l’enfer est familièrement assimilé à un grand chaudron (comp. v. 23). — 21. Inversion du sujet (/’ bon Die). — 22. tortos (auj. à Liège, turtos), à côté de tos, tous, signifie : tous sans exception. — 24. tant que le jour-et-jamais (= l’éternité ?) se saoule. Expression forte autant que bizarre. — 25. … cuisinier d’enfer. — 26. liére (archaïque), forme du cas sujet de luron (cfr v. 9). — 28. hièlêye, contenu d’une Mêle, écuelle. — 31-32. Je te leur fourrerais, par Dieu, je le jure, dans la gueule une louche (litt* : louchée) d’eau bouillante (litf : échaudure). — 33. Bon Dieu ! comme je le ferais…; boli (litt1 : bouilli) est un euphé­misme pour béni, fréquent dans les anciens jurons liégeois; sur la désinence -o du conditionnel, cfr le n° 3, v. 1.

(p.13)

ANONYME

[Dialogue entre un Liégeois catholique et un calviniste]

 

Chanson contre les Réformés, qui pourrait avoir été composée sur le timbre, célèbre au xvii” siècle, Si le Roi m’avait donné / Paris sa grand-ville. La langue en est suffisamment archaïque pour qu’on puisse la dater du milieu du xvir8 siècle; on y perçoit même comme un écho des polémiques qui mirent aux prises, entre 1655 et 1657, le curé d’Olne, A. Delva, et le pasteur Xhrouet, originaire de Spa.

Ce dialogue bilingue forme une sorte de controverse au cours de laquelle un ministre protestant exhorte, en français, un homme du peuple à embrasser la religion réformée. Celui-ci, dont les connaissances théologiques ne dépas­sent guère la foi du charbonnier, lui donne la réplique en patois. La pièce est vivante, bien agencée, et la nature des personnages se reflète dans leur discours : au langage maladroitement emprunté du prédicant s’opposent les réflexions du Liégeois frappées au coin d’un bon sens un peu court, mais volontiers goguenard et combien savoureux.

 

[Liège]

 

Mon compère et mon ami,

dis-moi, je t’en prie,

le ministre d’aujourd’hui

4         n’a-t-il point ravie

ton âme d’affection

à notre religion,

la plus assurée

8         comme réformée ?

 

— Hoûte, kipére, dji t’èl dîrè

tot-insi qu’ djèl pinse :

dji dû mî po fé 1′ vârlèt

12         divins 1′ heûre d’ine cinse,

ou bin po fé l’pantalon

turtos vindant dès tchansons

â pîd dè Pont d’s-âtches :

16         li pièce èst pus lâdje.

 

 

C’est à l’issue d’un prêche calviniste auquel le Liégeois a assisté que le dialogue débute. — 9. kipére, compère. — 11. je conviens mieux… — 12. he-ue, grange. — 13. … faire le Pantalon, c’est-à-dire le bouffon. — 14-15. C’était au Pont-des-Arches, le principal pont de Liège sous l’Ancien Régime, que les chanteurs de rues et les histrions rassemblaient

 

(p.14)

—  Quoi, compère, ne crois-tu

ce que dit la Bible ?

la foi sans d’autre vertu

20         nous rend si paisible

hors la crainte du tourment

d’enfer et du jugement,

dans tous les fidèles

24         comme éternelle.

 

—  Léhez bin vos Tèstamints,

vos troûverez contrâve.

Vosse minisse boûde po sès dints

28  et conte totès fâves.

Vos ‘nn’ îrez, sins-avu fêt

li k’mandemint d’ Diè tot-z-à fêt,

ossi dreût qu’ine crâwe

32 è Paradis dès-âwes !

 

—  Si tu venais plus souvent

à notre assemblée

entendre nos prédicants

36 les psaumes chanter,

tu ne serais pas longtemps

sans en être plus content

que de tes pratiques

40 à la catholique.

 

—  Qu’îreû-dje fé là? Hoûter brêre,

ine grande hiède di bièsses ?

Loukî voler [l’ coûrt] mantê

44 qui n’ coûve nin lès fèsses,

li cou-d’-tchâsse âs streûts canons,

li pougnâr èt l’ muskèton

 

les badauds, tout comme au Pont-Neuf, à Paris. — 26. vous y trouverez [le] contraire. — 27. … ment par [toutes] ses dents. — 29-30. … sans avoir accompli la loi de Dieu entièrement. — 31. crâwe, propt crosse à jouer, par ext. ce qui est courbé ou tordu. — 32. Le « paradis des oies » désigne par ironie celui qui est opposé au paradis des chrétiens. — 43-46. On a ici, en quelques traits, la silhouette des prédicants habillés d’un costume civil : le court manteau avec dague à la ceinture, qui ressemblait à la cape mise à la mode depuis Henri III (le mousqueton paraît plus étrange) et la culotte (cou d’ tchâsses) aux canons étroits, légèrement moulante, telle qu’elle se portait sous Louis XIII.

 

(p.15) di cès lwègnes fis d’ vatche

48         atot leû mustatche ?

 

—  Pauvre aveugle, je vois bien

que tu [t’] opiniâtres.

Je ne te touche de rien

52         non plus qu’un bon ladre.

Tu penses être catholique

et que je suis hérétique :

mais je suis [d’]Eglise

56         fraîchement remise.

 

—  Luther èsteût-i savetî?

K’pwèrtéve-t-i dès foûmes

po r’fôrmer l’Eglîse so 1′ pîd

60         atot s’ dan.nêye loûme ?

Ine mâhon qu’ n’èst nin toumêye

ni deût nin èsse rimacenêye

di s’-fêtès truvèles :

64         Calvin èt s’ bâcèle !

 

—  Quoy ! tu blâmes ces prophètes

dans leurs mariages

comme des purs sacrilèges

68         ou concubinages !

L’apôtre n’ a-t-il pas dit

que la femme et le mari

d’une compagnie

72         passeraient la vie?

 

—  C’est fwért bin fé di s’ marier,

cès qu’èl polèt-èsse.

I n’ fât nin rompi 1′ sièrmint

76         qwand on-z-èst priyèsse.

Calvin èsteût on tchènône

èt Luthér, on d’bâtchî mône.

 

  1. de ces stupides fils de vaches. — 48. atot (archaïque) avec. — 58. foûme, forme servant de moule. Le Liégeois plaisante assez lourdement sur le sens de réformer = remettre en forme. — 60. avec sa damnée garce (allusion à l’épouse de Luther); loûme, t. d’inj. inédit, probab* de l’allem. lump, vaurien. — 63. Les réformés qui se mêlent de replâtrer l’Eglise sont ravalés par dérision au rang de « truelles ». — 78. … un moine débauché. —

 

(p.16) A diâle lès cwèrnêyes

80         atot leûs cûrêyes !

 

—  Si tu savais, mon ami,

la sainte doctrine

de ces deux galants esprits,

84         tu ne ferais mine

de te jetter si loin d’eux,

mais deviendrais amoureux

de la foi nouvelle

88         de ces deux chandelles.

 

—  I fêt pus clér divins ‘ne fosse

di méye pîds è tére

qui d’vins l’ lîve Djihan Calvin

92         èt Martin Luther !

Dji n’ mèrvèye nin di çoula,

ca l’ci qui lès-aprinda èsteût dè l’ coleûr

 96         d’on diâle qu’èst tot neûr !

 

—  J’en connais bien toutefois

qui, de ta paroisse,

ont fait la Cène avec moi

100         en grande allégresse,

renonçant par leur serment

l’usage des sacrements,

bien heureux de vivre

104         au choix de nos livres.

 

—  Nos n’î visans nin bêcôp :

ci sont cindes djus d’ l’êsse,

is vont âs danses dès crapauds,

108         là qu’ lès p’tits sont mêsses;

 

79-80. Au diable les corneilles avec leurs charognes ! — 91. … le livre [de] Jean Calvin. — 93. Je ne m’étonne pas de cela. — 105-106. Nous n’y prêtons pas beaucoup attention : ce sont cendres tombées de l’âtre. Jolie expression figurée pour désigner ceux qui se sont mis en dehors de la communion de l’Eglise. — 107-108. Allusion aux sabbats des sorciers. —

 

(p.17)

qwand l’ maladèye lès prindrè

ou l’morèye lès-abatrè,

i vwèront bin rèsse

112         è l’grâce dès priyèsses.

 

—  J’ai vécu tout comme toi,

bien que je te blâme,

croyant dans la même loi.

116         Ç’ a été ma femme

qui m’a montré le chemin;

c’est le verbe de Calvin,

lisant dans sa Bible

120         des choses terribles.

 

– Vosse grand-pére, in-ome di bin,

vosse pére èt vosse mére

ont stu turtos bons crustins :

124         prindez on cristére

si purdjîz voste hérézèye

èt rik’minçîz ine ôte vèye :

i n’est mây trop târd

128         dè fûr on hazârd.

 

Edit. orig. inconnue. On reproduit le texte d’après le carnet de chansons d’une ancienne famille liégeoise (détruit en 1944), copie que nous améliorons en plusieurs endroits à l’aide de la version publiée par le Choix de 1844, pp. 162-166. — Inventaire, n° 7.

 

  1. ou [que] la camarde les abattra; morèye (ou morrèye ?), dér. de mori, mourir, se rencontre dans les archives comme t. d’inj. au sens de charogne, pourriture. — 111. rèsse, être à nouveau. — 124. cristére, altération de clistére, lave­ment. — 128. de fuir un danger.

 

(p.18)

ANONYME

[Le congé de Pasquot et son testament]

 

Extrait d’une pièce de 462 vers qui flétrit les exactions des Impériaux à Huy, en 1675. Elle offre des analogies d’inspiration et de développement avec les dialogues de paysans liégeois, en particulier avec la Complainte de 1631, quoiqu’elle n’en ait ni la richesse de langue ni la variété. L’un des personnages, Robièt, après de violentes diatribes contre le général Chavagnac, prend la résolution de s’expatrier pour une contrée lointaine; il persuade son ami Pasquot de l’accompagner. Le départ est fixé au lendemain. Pasquot fait part à sa femme de ses dernières volontés. Sur ce, Robièt vient annoncer qu’il n’est plus besoin de partir puisque le maudit Chavagnac et ses troupes ont quitté la ville.

Les propos échangés entre Pasquot et sa femme Houbène sont émouvants dans leur familière simplicité. Pour se témoigner leur attachement mutuel au moment des graves décisions, ces gens du peuple trouvent des mots d’une délicatesse imagée qui fait contraste avec la bouffonnerie un peu triviale de certaines « clauses » du testament de Pasquot.

L’extrait que nous reproduisons forme le début de la seconde partie du poème.

 

[Condroz liégeois]

 

Pasquot

Binamêye amor di brantchète,                         Vv. 333-390

i fât qui dji v’ bâhe à picètes

tortos asteûre, èco tint fîyes,

divant d’ènn’aler è 1′ Turkîye !

Nos pât’rans d’min atot Robièt.

I m’ fârè fé oûy mi pakèt.

 

Houbène

Ha ! qui d’hez-v’, binamé baron,

8 binamé amor di m’ coûrçon?

 

  1. Le syntagme amor di (amour de) + nom commun est employé comme vocatif d’affec­tion dans l’ancienne poésie liégeoise; brantchète, litt. : branchette, petite amie, terme familier à rapprocher de l’anc. fr. branchage, lignage, et du fr. popul. ma (vieille) branche d’après l’image des branches d’une même souche, symbole de lien très étroit. — 2. bâhî à picètes, litt. : à pincettes, embrasser à la pincette, c’est-à-dire « en prenant doucement les deux joues avec le bout des doigts » (Littré). — 3. tortot asteûre, tout de suite. — 5. atot (archaïque), avec. — 7. binamé, bien-aimé, gentil; baron (archaïque) mari. — 8. coûrçon, dimin. de cour, cœur, sur le modèle : enfant/enfançon. — 14. … et votre sœur Catheline.

 

(p.19)

Si vos ‘nn’alez, i fât qui dj’moûre !

Dj’è sin dèdja on batemint d’ coûr,

on mâ d’ tièsse qui m’ vint di v’ni.

12   Binamé Pasquot, qu’èst-ce çouci?

Volez-ve lèyî là vosse Houbène,

vos-èfants èt vosse sou Kètelène ?

Dji n’î wèzereû djamây pinser :

16   i m’ fât mori si vos ‘nn’alez !

Li p’tit Pascolèt, qu’èst doumièsse,

èl lêrez-ve mori d’vins mes brès’,

avou nosse pôve pitite Djîlète

20    qui vint èco dè prinde li tète ?

Qwand vos-ârîz on coûr di pîre,

vos ‘nn’îrîn’ nin di cisse manîre !

Qu’i v’ sovègne qwand dji m’a marié,

24   v’s-avez djuré à nosse curé,

divant m’ fré Dj’han et m’ soû Kèt’lène,

qui vos n’ qwitrîz mây vosse Houbène !

 

Pasquot

Binamêye fème, ti m’ fês plorer.

28 I èst trop târd d’ènnè pârler :

tos lès Alemands qu’ènnè sont câse…

I fât rakeûse mès grozès tchâsses,

mi djustâcôr èt [m’] tchimîhète.

32   I fât dj’è vasse, coûr di brantchète;

po l’pus târd, ci sèrè d’min.

I fât qui dj’ fasse oûy tèstamint.

Dji v’ 1êrè mès deûs neûrès vatches,

36   mès deûs pourcês avou l’grand batch

 

  1. Je n’oserais jamais y penser. — 17. Pascolèt, dimin. de Pasquot qui est le nom du père de l’enfant; doumièsse, docile, facile à vivre. — 20. … de prendre le sein. — 30. Il faut réparer mes grosses chaussettes. — 31. mon justaucorps et ma camisole (litt1 : chemisette). — 32. En liégeois moderne : i fât qu’ dj’è vasse, il faut que je m’en aille. L’omission de la conjonction « que », fréquente après « falloir », appartient aujour­d’hui à la syntaxe de l’Ardenne liégeoise, plus archaïsante (cfr L. remacle, Syntaxe, 3, pp. 138 ss.); cour (cœur) di brantchète : cfr v. 1. — 35. Ici commence le testament de Pasquot, genre hérité de la poésie de la fin du moyen âge, reconduit par la poésie« burlesque ». —

 

(p.20) èt [l’] trôye : qwand ille ârè cos’lé,

vos l’ècrâherez por vos viker.

Vos f’rez noûri tos lès cossèts :

40   ç’ sèront po l’ pitit Pacolèt;

li cot’hê avou 1′ prêriye

sièront por lu si vicâriye,

èt s’ lî done-dju lès deûs poûtrins,

44    avou 1′ morê èt l’ grande djumint.

Mi noû mantê èt m’ hongurlène,

dji lès lêrè à m’ soû Kètelène.

Po totes mès tch’mîhètes èt sârots,

48    tot çoula, ci sièront por vos.

Lès pious qui sont è m’ vîye casake,

dj’è f’rè présint à Chavagnac,

qwand i r’vêrè è garnison.

52    Sov’nez-ve qui c’è-st-on grand lâron !

Qwand vos-ôrez pârlez d’ ci leûp,

fisez todi li sine dè l’ creû !

[èt] s’èl fez fé à vos-èfants

56    qwand [c’èst qu’] on pâlerè dès-Alemands.

Dji lêrè là lès strons d’ pourçê

po fé présint à cès houlpês…

Vola l’ tèstamint qui dj’ vou fé,                          397-398

60   binamêye, divant d’ènn’aler.

 

« Dialogue entre Pasquot et Robiet «, manuscrit 2e moitié XVIIe siècle (Edition dans Annales du Cercle hutois des Scien­ces et Beaux-arts, XIX, 1922, pp. 158-201). — Inventaire, n° 10.

 

  1. trôye, truie; cos’ler, mettre bas, donner des cossèts, des porcelets. — 38. vous l’engraisserez « pour vous vivre » = pour votre subsistance. — 41. cot’hê, courtil, jardin potager. — 42. si vicâriye, sa subsistance. — 43. poûtrin, poulain. — 44. morê, cheval noir. — 45. hongurlène (archaïque), hongreline, manteau ample avec de grandes basques. — 46. … à m’ sou K., au v. 14, c’est la sœur de sa femme. — 49. pious, poux. — 57. … les étrons de cochons. — 58. … à ces misérables.

 

(p.21)

ANONYME

[Les passions politiques dans la cité de Liège]

 

La longue pasquèye (1) dialoguée entre Houbièt (Hubert) et Pîron — deux compères qui représentent chacun à leur façon l’homme de la rue — évoque l’une des périodes les plus sombres de la lutte qui opposa le pouvoir princier à la démocratie liégeoise.

Pour tenir en échec le despotisme de Maximilien de Bavière, les 32 Bons Métiers de Liège avaient élu comme bourgmestres, le 25 juillet 1684, deux des chefs du parti populaire, les avocats François Renardi et Paul Giloton. A la faveur de cette élection qui désavouait la magistrature précédente cou­pable de modérantisme, les passions se rallumèrent et les factions politiques firent de nouveau régner dans la ville un climat de violence. Ces excès allaient coûter à la capitale de la principauté la perte de ses libertés démocratiques, après que Maximilien, rentré dans sa ville épiscopale sous la protection de troupes françaises et bavaroises, lui imposa le fameux Règlement du 28 novembre 1684, cependant qu’il faisait décapiter en place publique les responsables de l’agitation.

La pièce dont nous publions la première partie est un témoignage de la réaction (bourgeoise ou aristocratique ?) destinée à préparer le rétablissement de l’autorité princière contre les fauteurs de désordre incarnés dans la per­sonne des nouveaux bourgmestres et de leurs partisans. Par la bouche de Houbièt, l’auteur n’a, pour ceux-ci, qu’injures et sarcasmes. Son invective, d’une violence de ton soutenue par un style dru, aux raccourcis expressifs, est ponctuée d’une même sinistre prédiction : tous à la lanterne ! L’inter­locuteur Pîron, avec ses réflexions ou ses questions, n’est là que pour per­mettre à la colère de rebondir au récit des faits et gestes du parti vilipendé. Avec cette remarquable pièce de 1684 prend fin, en wallon, une littérature d’action qui a accompagné certains événements de la politique liégeoise au XVIIe siècle. Elle ne reparaîtra qu’au moment de la Révolution.

 

8                                                                                                      [Liège]

 

Houbièt

Tortos compté, tot rabatou,                                Vv. 1-94

on dit qu’ trinte-deûs nètches sont saze cous.

 

 

«PASQUEYE»  ENTRE HUBERT ET PIRON

 

  1. En inversant les deux termes de la formule, c’est la traduction de « tout débattu, tout bien pesé » qu’on lit chez La Fontaine, Fables, IX, 7. — 2. nètche (archaïque), fesse (lat. natica). «  Trente-deux fesses font seize culs » : allusion caustique aux 32 Métiers de qui dépendait l’élection des magistrats communaux et que le Règlement de novembre

 

(1) La forme liégeoise pasquèye correspond au français pasquille, terme qui n’a guère vécu que dans le nord. Bien qu’apparentée lexicalement à pasquin et pasquinale, la pasquèye, dans ses emplois modernes dont on trouvera des exemples plus loin, n’est pas nécessairement une œuvre satirique.

 

Wârdez-ve, vos djins ! corez-èvôye !

4   Ni v’ trovez nin avâ lès vôyes !

Lès tchins corèt po tos costés,

pés qu’arèdjîs : i s’ fat sâver !

on n’ veût ôte tchwè, po-d’vant, po-drî,

8   qui tos moudreûs, qu’ tos banqu’rotîs,

tos grands lârons, tos grands piyeûs :

co lès fât-i loumer « Monseû » !

Si vos loukîz onk è grognon,

12   ou [v’] frè présint di côps d’ baston,

di côps d’ bourâde, di côps d’èpèye :

louke di t’ sâver, ca c’èst po t’ vèye !

On n’ lès wèz’reût mây dîre on mot,

16   si vos ‘nn’avîz tot plin on bot.

Sont lès hape-tchâr di nos monseûrs :

loukîz, môrdiène, quéle bêle oneûr !

I n’ si sarint tot’fwès passer

20   di cès canayes à leû costé,

seûy po magnî ou d’ner l’ papî

po horbi l’ cou qwand il ont tchî !

Qu’is fèsse bone cîre tant qu’is pwèront !

  • Dji creû qu’on djoû s’è r’pintïront,

 

1684 allait réduire à 16 chambres électorales. — 3. Gardez-vous…; vos djins !, litt’: vous gens ! Dans une interpellation à plusieurs, le pron. pers. vos peut s’unir à un nom « pour donner de la véhémence à l’apostrophe » (DL, 700; cfr aussi L. Remacle, Syntaxe, l, pp. 239-240). — 6. pés qu’arèdjîs, pires que [s’ils étaient] enragés. — 8. moudreûs, meurtriers ou assassins; banqu’rotîs, banqueroutiers, faillis. — 9. piyeûs, pilleurs, sous-entendu : de biens publics (cfr v. 30). — 10. Encore les faut-il appeler : Monsieur 1 Dans la société antérieure à la Révolution, le titre de * monsieur » ne s’appliquait qu’aux gens des classes aisées. Le monseû dans les campagnes wallonnes désignait le châtelain du pays. — 11. grognon, groin, plais’ : frimousse. Le sens de ce vers et du suivant est : si vous dévisagez un de ces « monsieurs » (provocation ou effronterie), on vous rossera. — 13. èpèye, épée. — 14. L’interpellation s’adresse à un auditeur qu’on tutoie pour rendre plus pressant le conseil donné à tous de prendre la fuite. — 15. On n’oserait jamais leur dire une parole; lès « leur », aujourd’hui remplacé par lèzî est, en liégeois, la forme courante jusqu’au début du xvni8 siècle (cfr L. Remacle, Syntaxe, I, p. 196, n. 1). —

  1. si vous n’en [= des paroles] avez une hotte pleine. Le sens est : pour s’adresser à ces prétentieux, il faut avoir la langue bien pendue, savoir se répandre en beaux discours. —
  2. [Ce] sont les oiseaux de proie de nos Messieurs; hape-tchâr (arch.), happe-chair, homme rapace, pillard (DL, 308). Dans  tout ce  passage,  Houbièt s’en prend  aux factieux du parti des nouveaux  bourgmestres  qui  profitent impunément de leur zèle  démagogique. La forme francisante en -eûr de monseû a été rétablie pour la rime. — 19. Ils ne sauraient toutefois se passer; le sujet se rapporte,  semble-t-il, non aux factieux,  qui sont plutôt les   « canailles »   du  vers   suivant,   mais   aux   « messieurs »   eux-mêmes,   c’est-à-dire   aux comparses des bourgmestres Renardi et Giloton : Mathéi, de Looz, Le Rond, Plenevaux, Malpas, etc. — 22. horbi l’ cou, torcher le derrière. — 23. Qu’ils fassent bonne chère tant qu’ils pourront. — 24. … un jour [ils] s’en repentiront. — 27. lès, leur (cfr supra

 

(p.23) qui leû stoumak sèrè poûri

èt qu’is n’ sâront pus rin riteni,

qu’on lès hèr’rè l’ deût è gosî

28   po fé r’nârder tos cès plats-pîds,

totes cès canayes, cès-afamés

èt tos cès magneûs d’ bins d’ Cité !

I vikèt tot come dès monseûs;

32   divant l’ côp, n’èstint qu’ tos bribeûs,

qu’à pône avint-i p’on cwârelèt !

Asteûre, è l’ hale, i n’y-a qu’ por zès !

Tote li tchèrêye divant lès grés,

36    divant Noûvice, 1′ pus-assuré,

ou à Saint-Djîle avou dès lètes :

âs bons mèstrés n’ lès fât qu’ine cwède !

 

Pîron

Kipére Houbièt, ti plêdes tot seû,

40   sins-avocât, sins procureû.

Dji n’ sé, so m’ fwè, çou qu’ ti vous dîre,

ti m’ f’reûs torade plorer èt rîre.

Esplike-tu, parole foû dès dints :

44    dji n’ veû nole pât qu’ tos bravés djins,

dès braves monseûs divant lès grés

qui sont assez bin rèspèktés,

l’èpèye so 1′ cou, 1′ tchapê r’trossé,

48   dès bês cordons bin galonés,

 

  1. 15); il y a pléonasme ou redondance dans l’emploi de lès à côté de tos cès plats-pîds (v. 28); hèr’rè, futur de hèrer, fourrer, pousser avec force. — 28. r(i)nârder, rendre gorge, dégobiller. — 30. tous ces mangeurs de biens de Cité. — 31. Ils vivent tout comme des messieurs : le pronom sujet, ici, renvoie aux « canailles » dont il vient d’être ques­tion. — 32. bribeûs, mendiants. — 33. p’on = po on, pour un; cwârelèt (arch.), petit pain pétri au lait (DL, 189). — 34. … il n’y en a [de la nourriture] que pour eux; zès, variante arch. de zèls, sans doute ici pour la rime. — 35. tchèrêye, allusion à la charretée des futurs condamnés à mort; divant lès grés, devant les degrés de la cathédrale Saint-Lambert où se faisaient les exécutions capitales par décapitation, à côté de la place du Marché, voisine de Noûvice, Neuvice (cité au vers suivant). — 37. Le plateau de Saint-Gilles, sur les hauteurs de Liège, était autrefois le lieu où l’on exécutait les criminels par pendaison; « avec des lettres » : les condamnés y étaient conduits, suivant l’usage, avec un écriteau dans le dos. — 38. aux bons musiciens (litt* ménestrels), une corde suffit : jeu de mot sur « corde », celle du violon, celle du gibet. — 39. kipére, compère. — 42. torade, tantôt. — 43. … parle hors des dents, c’est-à-dire de façon claire et expli­cite. — 44. je ne vois nulle part que… = partout que… — 45. lès grés, les degrés

 

(p.25) ine bèle dintèle à mazarin

qu’èst pus lâdje qui deûs-ou treûs mins,

qui s’ porminèt, k’tapant lès brès’

52   tot insi qu’ine côr’çêye boterèsse;

lès tchâsses di sôye r’lûhèt so l’ djambe,

tot insi qu’on stron divins [‘ne] lampe.

Dji creû qu’is sont djins d’ qualité,

56    qu’ont bin dès-afêres à d’mèler.

 

Houbièt

Qu’ès-se on loûrdaud ! Où est ti-èsprit ?

T’es pus lwègne qui 1′ ci qu’èst drî mi,

qui m’ taburî là qu’ dji sî d’ssus.

60   Hoûte-mu, dji t’è dîrè bin pus.

Ci n’ sont qu’ tortos r’toûrnés boyês

qui n’ont nî pus d’esprit qu’ dès vês !

On ‘nnè f’rè mây bone fricassêye

64   s’is n’ont pindou à ‘ne fwète djalêye !

Lès fât r’côper èt bin r’tèyî atot on coûté

d’ deûs bons pîds ! So lès mèstîs, i s’ diminèt

68    come lès-arèdjîs d’ Sint-Houbièt.

N’ lès-as-se mây oyou, tot passant,

fé so leû tchambe li prèdicant?

 

(cfr note du v. 35). — 49. une belle collerette (litt4 : dentelle) à la Mazarin. Le passage (vv. 47-54) trace une peinture discrètement ironique de ces avantageux qui jouent aux gentilshommes. — 51-52. … jetant les bras en l’air / tout comme une hotteuse cour­roucée. Allusion à la renommée de ces femmes du peuple énergiques et peu commodes qu’étaient les boterèsses liégeoises. — 53. les bas de soie brillent… — 54. Référence moqueuse au proverbe liégeois : (cela reluit) comme un étron (stron) dans une lampe [de cuir] = cela ne reluit pas du tout. — 57. Que tu es lourdaud !… — 58-59. Tu es plus niais que celui qui est derrière moi, / que le tambour sur lequel je suis assis. Le taburî (arch.) désigne le joueur de tambour; le mot est employé ici par une métonymie comparable à celle de mèstré dont le sens de violoneux se double, dans les Noëls wallons, de celui d’instrument dont se sert le mèstré. — 61. … tous individus versatiles (litt. : boyaux retournés). — 63-64. On n’en fera jamais bonne fricassée / s’ils n’ont pendu ( = n’ont été pendus) par une forte gelée. — 65. [Il] les faut raccourcir et bien retailler. — 66. atot (arch.), avec; le « couteau de deux bons pieds » annonce sans doute la hache du bourreau. — 67-68. Dans les [chambres de] Métiers, ils se démènent / comme les enragés de [la] Saint-Hubert; le v. 68 fait allusion à la coutume des gamins qui tam­bourinaient sur les portes à l’occasion de la fête de saint Hubert (3 novembre), patron de la ville de Liège. — 69. oyou, entendus. — 71. Il s’agit probablement de Gilles

 

(p.24) Mây Goffârd ni pârla si bin,

72   qwand ‘1-èspliqua 1’ Bîbe à sès tchins,

qui Mathèi qwand ‘l èst so s’ tchambe,

drèssî so l’ tâve po fé l’ harandje;

i passe fré Djirâ so l’ Martchî

76    qwand i s’ kidjète avâ s’ mèstî.

N’èst-ce nin po rîre qwand ci bribeû,

so deûs treûs djoûs, divint Monseû ?

Qu’i louke si djèniyalodjèye !

80    S’ grand-pére n’aveût qu’ totès gobèyes

qui lî pindint po-d’vant, po-drî,

li hièle è l’ min atot l’ couyî,

qu’èsteût binâhe qwand ine bone djint

84   lî d’néve on brikèt à magnin!…

Si fi a stu pus djènèreûs,

il a hanté tos ritches monseûs;

atot on bê abit d’ bout-d’-sôye,

88    dîreût-on bin qu’i vint [d’ cânôye] ?

Qwand l’ tâve Plenevaux lî a flêrî,

i s’a foré d’lé Rènârdî,

d’lé Le Rond, Ernest et de Looz

92    po fricasser tortos s’ lâdje sô.

Dès s’-fêts d’ cokerês à on djibèt,

po vèyî d’ lon qué tins qu’i f’rè !

 

« Pasqueye ente Houbiet et Piron », manuscrit 1022 (n° 28) de l’Univ. de Liège, 2e moitié xvne siècle (Edition défectueuse dans Ann. Soc. de Litt. watt., IX, 1884, pp. 135-148). — Inventaire, n° 17.

Goffârd,  pasteur  de  l’Eglise  réformée  à  Dalhem  (cfr  A.S.W.,   IX,  p.   139,  n.   1).  —

  1. … à ses chiens : terme de mépris pour désigner les auditeurs du pasteur protestant. —
  2. E. Mathèi, l’un des suppôts du parti populaire visé par l’auteur. — 74. harandje, déformation de harangue. — 75-76. il (= Mathèi) surpasse le frère Gérard (allusion à un religieux connu pour ses propos outranciers ?) sur le Marché / quand il se déchaîne à travers son Métier (réuni en assemblée). •— 79. Qu’il regarde sa généalogie ! — 80. gobèyes, guenilles. — 82. l’écuelle en main avec la cuiller : c’est, en deux traits, l’esquisse d’un gueux de Cour des miracles. — 84.  … un quignon de pain à manger; magnin, forme arch.  de  magnî,  manger.  — 85.  djènèreûs,  au  sens  ancien  de :  courageux,  ambitieux, avec ici une nuance d’ironie. — 87. avec un bel habit de fil de soie. — 88.  … qu’il provient d’une fainéante?  La leçon du manuscrit  « d’  kénayrye »   (=   de  canaillerie ?) est probablement altérée; elle ne convient en tous cas ni à la mesure, ni à la rime. — 89. flêrî, puer, sentir mauvais. Le sens est : quand il a été congédié de la table de Nicolas de Plenevaux, l’un des bourgmestres du Magistrat élu en 1676. — 90. il s’est fourré auprès de Renardi, ce qui signifie qu’il a choisi l’autre camp, par opportunisme. — 91. Noms d’anciens bourgmestres, prédécesseurs de Renardi. —• 92. Le sens est : pour s’en donner tout son soûl. — 93-94. De pareils oiseaux (lit. : coqs de clocher) à un gibet / pour voir de loin le temps qu’il fera !

(p.26)

LAMBERT DE RYCKMAN

(1664-1731)

 

De famille patricienne liégeoise, né et mort à Liège, le premier de nos écrivains dialectaux sur lequel les renseignements sont plus nombreux, appa­raît comme un personnage considérable. Lambert de Ryckman, licencié es lois, devint, en 1693, membre du Conseil ordinaire de la Principauté de Liège où il siégea en qualité de représentant de la Cité. Ses séjours en diverses villes de l’Empire, ses relations avec l’Electeur de Trêves, dont il fut le conseiller, et son second mariage (1705), qui le fit entrer dans la famille de l’industriel Mariette de Schoenestadt, lui permirent de jouer un rôle dans le monde des affaires et de la politique.

Au cours d’une lettre (inédite) adressée en 1685 à son frère aîné, le capitaine Jean de Ryckman de Betz, notre futur avocat, plus porté alors vers le métier des armes que vers les arcanes de la procédure, reconnaît que son engouement n’est peut-être bien qu’un trait de plume, mais —• poursuit-il — « un homme de plume se peut tromper comme un autre et, en resvant un peu trop, au lieu de mettre la plume à son oreille, il la peut mettre à son chapeau »… Cette plume au chapeau de Lambert de Ryckman, ce fut la musa leodiensis qui la lui mit contre toute attente, après qu’il eut rimé, en homme d’esprit amusé par le jeu, les quelques centaines de vers qu’il ne prit même pas la peine de signer. Sa réputation de poète dialectal n’est en effet fondée que sur une œuvre — couramment appelée Lès-êwes di Tangue — qu’on lui attribue d’après les témoignages de deux érudits, le baron de Villenfagne (apparenté à ses descendants) et Charles-Nicolas Simonon.

Ryckman avait été mis en verve par un traité de 1699 où l’on vantait « les vertus admirables des eaux de Spa » : l’année suivante, il écrivit un Eloge des vertus admirables des aiwes di Tangue pour discréditer la fontaine miné­rale, dite de Pline, à Tongres, dont un collège, composé de trente-deux médecins, avait solennellement proclamé les vertus thérapeutiques, le 24 août 1700.

Avec une virtuosité servie par la netteté d’un style épigrammatique, Ryckman, usant d’un procédé fréquent en polémique, met à l’actif des eaux de Tongres maintes cures merveilleuses plus bouffonnes et désopilantes les unes que les autres. Sans rien en laisser paraître, l’auteur entendait de la sorte ruiner les espérances médico-touristiques de la bourgade thioise, jalouse du prestige de Spa.

Les 382 octosyllabes du placard anonyme firent merveille. Des copies cir­culèrent auxquelles on ne se fit pas faute d’ajouter quelques développements parfois heureux, tandis qu’une plate Réplique al paskèye des Aiwes di Tangue permettait de mesurer l’écart avec « la reine des satires wallonnes » (J. Haust).

A Lambert de Ryckman on peut aussi attribuer une pièce que les circons­tances de sa composition font remonter au plus tôt à l’extrême fin du xvii6 siècle. C’est l’éloge mi-figue, mi-raisin d’un prêtre, doyen des marguilliers de Liège, pour célébrer son jubilé de desservant à Saint-Adalbert, la paroisse (p.27) natale de Ryckman et de ses ancêtres. Pasquèye vivement enlevée, savoureuse avec ses détails familiers et cléricaux, modèle accompli dans un art de bal’ter le prochain dont on sait qu’il ne prend jamais sans vert les fils de la tur­bulente nation liégeoise.

 

9                                                                                                      [Liège]

[Lès-êwes di Tongue]

(Extraits suivis)

 

Les eaux de Tongres, dit l’auteur, opèrent des cures miraculeuses…

 

I n’y-a nole sorte di maladèye,                         

qui fwète seûy-t-èle èt arèdjèye,

qui ciste êwe-là ni tchèsse pus lon

4   qui dè Martchî djusqu’â Pèron;

èt si djamây tot l’ monde è prind,

sièrè co bin pés avou l’ tins,

ca minme lès Tîhons ont èspwér

8    qu’ile pwèrè fé r’viker lès mwérts

èt, qu’à ‘nnè beûre, tos lès dj’vâs d’ Tongue

di roncins pwèront div’ni hongues,

qu’ile sièrè bone po lès pucèles

12    qu’âront lèyî spiyî leû hièle,

èt ‘l lès sârè si bin r’sôder

qu’ lès-aveûles s’î lêront tromper…

 

Kibin n’y-a-t-i dèdja d’ mirâkes                          

16 qu’ile nos-a fêt dèpô lès Pâkes ?

Hoûtez : po n’ nin bêcôp minti,

dji n’ vis raconterè qu’ lès pus p’tits.

 

LES EAUX DE TONGRES

  1. quelle que forte et forcenée soit-elle. — 4. Le sens est ironique : chasser la maladie « du Marché jusqu’au Perron », cela revient à ne pas la chasser du tout puisque le Perron liégeois se trouve sur la place du Marché. — 6. [ce] sera…; sièrè, diphtongaison analogique de sèrè. — 7. Tîhons, Thiois, nom ancien donné par les Liégeois aux germano­phones, ici Flamands. — 8. … faire revivre les morts. — 10. roncin, étalon; hongue, cheval hongre. — 11. île, forme arch. pour èle, elle. — 12. qui se seront laissé déflorer; hièle, litt. écuelle. — 13. car [l’eau] les ressoudra si bien. — 14. aveûle, aveugle (ici, au fig.). 16. dèpô, depuis. — 19. tchîr, chier. Ici et plus loin, la scatologie est fréquente. On rappellera une fois pour toutes, à propos de nos anciennes pièces dialectales, le jugement de J. Haust : « Le parler populaire tient plus de Rabelais que des précieuses » (DL, p. XXIII). —

 

(p.28)

In-ome di Spâ qui n’ poléve tchîr,

20    qwand ‘l-eût seûlemint odé 1’ foumîre,

fout oblidjî dè d’fé là min.me

si cou-d’-tchâsses èt tchîr è l’ fontin.ne.

Ine Lîdjwèsse qu’èsteût si halcrosse

24 qui s’ curé 1′ coudant è l’ fosse,

nosse fontinne lî fit si grand bin

qu’il î pièrda 1′ dreût d’ètéremint.

On nôbe, qu’aveût si pièrdou l’ gos’

28 qu’i n’ poléve pus magnî dè ros’,

so dî djoûs magna treûs motons,

quatwaze coks d’Inde èt vint tchapons.

Ine pôve sôlêye, à Coronmoûse,                               225-252

32 sortant dè ro rôla è Moûse;

i n’ fourit nin quidem cwahî,

mins i manka bin d’èsse nèyî

èt s’ hapa ine si grosse hisdeûr

36 qu’i n’ féve qui hiter à tote eûre.

I vinve à Tongue èt, fwèce di sogne

dè beûre di l’êwe (qwèqu’ile seûy bone),

si sèra l’ coûr èt l’ cou si fwért

40 qui, fâte dè tchîr, i touma mwért.

On vî bouname di nonante ans                                257-250

qu’aveût vol’té de fé ‘n-èfant,

mins come vos polez bin pinser,

44 i n’aveût nin dè l’ fwèce assez,

 

  1. … respiré la fumée (ici, la vapeur). — 22. cou-d’-tchâsses, haut-de-chausses, pantalon. — 23. halcrosse, ici : mal portante. — 24. … la condamna à la fosse (des trépassés). Le passé simple en -i se rencontre dans les textes liégeois des xvne-xviii’ siècles; -dani èl : jeu de mot sur le nom du médecin liégeois Daniel, l’un des 32 docteurs mandés pour attester les « vertus » de la fontaine minérale de Tongres; l’auteur use de ce genre d’allusions en plusieurs endroits de sa pasquèye. — 26 qu’il (le curé) y perdit son casuel de funérailles. — 27. Un noble qui avait tellement perdu le goût. — 28. dè ros’, du rôti. Nouveau calembour, cette fois sur le nom d’un des trois délégués du prince-évêque de Liège à l’analyse des eaux : le baron de Roost. — 29-30. … trois moutons, / quatorze dindons et vingt chapons. — 31. sôlêye, ivrogne; Coronmoûse, faubourg à la limite de Liège et de Herstal, en bordure de la Meuse. — 32. ro, terme de batellerie : cabine située au milieu de la péniche (DL); de ro, approximation sur le nom du médecin liégeois Derord (comp. w. 24 et 28). — 33. il ne fut pas [vraiment] blessé. L’insertion de l’adv. latin quidem ne s’explique sans doute que par un jeu de ricochet à partir de l’initiale cw-. — 34. nèyî, noyé. — 35. hisdeûr, frayeur. — 36. hiter, foirer, avoir la diarrhée. — 37. il vint à Tongres et, à force d'[avoir] peur. — 39. il se

 

(p.29) buva lès-êwes qwinze djoûs durant

èt d’on seû côp fit treûs-èfants.

In-îpoconde, qu’aveût è 1′ tièsse

48   ine niyêye di djônès-aguèces,

prit di noste êwe po s’è fé qwite

èt lès hita turtotes è vike.

On scorbutike à quî lès dints

52   come dès cayets d’ bwès lî r’mouwint,

n’avala d’ nos-êwes qu’on hèna

èt tote li machwére lî touma.

Onk à quî treûs deûts d’zeû l’ narène                    259-262

56    èsteût crèhou ine pére di cwènes,

ni mèta qu’on pô d’êwe so s’ front

èt sès cwènes toumint è poûhon.

On bômèl si inflé d’êwelène                                     271-278

60   qu’à pône lî vèyéve-t-on s’ narène

buva treûs pots, piha sî tones,

èt d’vinve ossi grêye qui pèrsone.

In-ètike, si mwért èt si lêd

64   qui 1′ Lazâre èsteût è wahê,

buva d’ nos-êwes èt d’vinve si crâs

qu’è râlant i crèva on dj’vâ.

On marihâ, pité si fwért                                        287-298

68    qui 1′ fiér di dj’vâ moussa è s’ cwér,

à bout d’ dî djoûs piha sî clâs

et l’onzin.me djoû li fiér di dj’vâ.

Ine feume di sèptante ans èt d’mèy,

72   qui mây n’aveût stu grosse è s’ vèye,

si bagna d’vins l’êwe disqu’âs spales

et, so noûf meus, eût-ine djèrmale.

 

ferma (litt. : serra) le cœur… — 48. une nichée de jeunes pies. Fantaisie plaisante puisqu’il s’agit d’un malade imaginaire. — 50. è vike, en vie. — 51. Le scorbut compte parmi ses symptômes le déchaussement des dents. — 52. [les dents] lui remuaient comme de petits morceaux de bois. — 54. L’effet de la cure est dérisoire : le patient perd sa mâchoire. — 55. narène, nez. — 56. … une paire de cornes (signe de cocuage, nouveau trait bouffon). — 58. poûhon désigne ici la fontaine d’eau minérale. — 59. Un obèse si gonflé par l’hydropisie. — 62. et devint aussi maigre que quiconque. — 63. Un chétif si cadavérique… — 64. è wahê, dans le cercueil. — 66. qu’en s’en retournant… — 67. marihâ, maréchal-ferrant; pité, qui a reçu un coup de pied. — 69. … six clous. — 74. djèrmale, deux enfants jumeaux. — 75. bol’djî, boulanger. — 77-78. en trois jours,

 

(p.30) On pôve bol’djî qui, so treûs-ans,

76   n’aveût polou magnî qu’ treûs pans,

so treûs djoûs vinve si ragoster

qu’i s’ formagna èt s’ va briber.

On pèlurin qui, d’ seû morant,                              309-320

80 avala s’ calebasse tot buvant,

èl vinve rinârder è 1′ fontin.ne

ossi plate qui covis’ di rin.nes.

On pôve hayeteû si fwért toumé

84   d’ine grande toûr, qu’i s’aveût towé,

ossi twèt qu’ nos-êwes ‘1 eût sintou,

l’âme lî r’moussa divins po 1′ cou.

Ine feume qui fwèce dè claboter,

88    aveût s’ linwe qui voléve toumer,

buva lès-êwes qui lî r’clawint

si fwért qu’ile tinéve à sès dints…

Enfin, si di fi èn-awèye,                                            529-352

92   dji d’héve li rèsse di ses mèrvèyes,

dj’ènnè d’vreû fé on lîve po l’ mons

come li ci dè qwate fis-Aimon ! [1700]

 

« Eloge de Vertu admirable des aiwe di longue », pla­card à 4 col., s.l.n.d. — Original demeuré inconnu du Choix et du Bull. Soc. de Litt. wall., XXI (1886) qui reproduisent un texte plus ou moins altéré. — Inventaire, n° 231.

vint se remettre en appétit [si bien] / qu’il mangea avec excès et va [maintenant] men­dier. — 81. vint la vomir. — 82. aussi plate (il s’agit de la calebasse ou gourde du pèlerin) que frai de grenouilles. — 83. hay’teû, couvreur de hayes, ardoises. — 84. towé, tué. — 85. aussi vite qu’il eut senti nos eaux. — 86. l’âme lui rentra dedans par le c. — 87. … à force de bavarder. — 88. avait la langue sur le point de (litf : qui voulait) tomber. — 89. … qui [la] lui reclouèrent.

  1. … de fil en aiguille. — 94. C.-à-d. un gros volume, le roman de chevalerie des Quatre Fils Aymon comportant de nombreux épisodes.

 

(p.31) 10

Pasquèye so l’an djubilé di Monseû Adam Simonis,

Doyin dès mârlîs de 1′ vèye di Lîdje

(Extraits suivis)

 

Dèpus qu’Adam, li prumî ome,                           Vv. 1-26

a stron.né 1′ monde tot magnant ‘ne pome,

on n’eût djamây ine si-fête fièsse

4   inte lès curés èt lès priyèsses

qui l’ cisse d’oûy qu’on mâssî d’pihî,

qu’a stu pus d’ vint’-cink ans mârlî,

nos fêt fé tos, mâgré nos dints,

8    po s’ fé r’passer po ome di bin.

I s’ lome mêsse Adam Simonis :

Diè-wâde di lu èt d’ tos sès vices !

Ca s’i v’s-èl faléve imiter,

12   il eûh mîs fêt dè mons viker.

Prumîremint, c’è-st-ine sôlêye

qui n’est mây sêve tot l’ long d’ l’an.nêye;

c’è-st-on trèmeleû si èstchâfé

16    qui v’ djouwereût djusqu’â strin di s’ lét;

il a pus d’ françwès d’vintrin.nemint

qu’i n’ djowe divins l’ mér di harings;

c’è-st-on coreû qu’èst pus vol’tî

20    avâ lès tchamps qui d’vins s’ mostî,

 

« PASQUEYE »  SUR LE JUBILE DE MONSIEUR ADAM SIMONIS, DOYEN  DES MARGUILLIERS  DE LA VILLE DE  LIEGE

 

Simonis, forme latinisée de Simon; le personnage est cité dans un texte d’archives de 1693 (cfr note du v. 64).

 

  1. Allusion plaisante au prénom du jubilaire. — 2. a étranglé le monde en mangeant une pomme. — 4. priyèsse, prêtre. — 5. … qu’un sale compissé; comp. v. 76. — 6. mârlî, marguillier. Dans l’organisation paroissiale de l’Ancien Régime, l’office de marguillier était parfois confié à un prêtre, qui cumulait alors ces fonctions avec celles de vicaire ou de chapelain. — 7. «… malgré nos dents », c.-à-d. malgré nous. — 10. Dieu [vous] garde de lui et de tous ses vices ! — 12. Le sens du passage est : ses défauts sont si nombreux que, s’il vous fallait l’imiter, il eût mieux valu qu’il vive moins longtemps. — 14. sève (opposé à sô, saoûl), qui est lucide. — 15. trèmeleû, joueur qui s’adonne aux jeux de hasard. — 16. … jusqu’à sa paillasse. — 17. françwès, francs, monnaie de France; d(i)vintrinn’mint, par devers lui. — 18 qu’il (impersonnel) ne joue (au sens de : bouger, frétiller) de harengs dans la mer. — 19. coreû, coureur (ici : de femmes). — 20. … que

 

(p.32) èt s’i s’a lèyî fé priyèsse,

ç’a stu po s’ vindjî di s’ mêtrèsse…

Admirez d’ là çou qui pout v’ni

24   di ciste èplâsse qu’a stu tchûzi

di turtos lès mârlîs dè l’ vèye

po èsse li doyin d’ leûs soterèyes !

 

L’auteur énumère ensuite brièvement les profits du casuel qu’Adam Simonis retire de sa charge, avant de conclure sur ce point :

 

Ossi, dji m’ trompe si, d’vins pô d’ tins,                 33-48

28   on n’ vièrè nin ci bon doyin

cori à l’ copète di s’ grand dj’vâ

li rôlant tch’min di l’ospitâ !

Mins lèyans-le à bon compte aler.

32   Pârlans seûlemint di s’ djubilé

èt priyans turtos ci djoû-ci

qui 1′ bon Dièw èl vôye convèrti,

qu’i 1′ lêye èco viker trinte ans,

36    rin qu’à 1′ peûre êwe èt à neûr pan,

à l’ discipline, âs tchôtès lâmes

afin qu’i pôye co sâver si-âme.

Et po n’ nin troûbler cisse djoûrnêye,

40    ni lî d’hans nin co totes sès vrêyes :

çoula lî freût monter l’ foumîre.

Ça ! boûrdans putwèt po l’ fé rîre !

 

On en arrive ainsi à la fête jubilaire proprement dite. D’abord la grand-messe solennelle qu’Adam, glorieûs d’èsse èrî di s’ lèçenî (de son lutrin) et raide comme un piquet — i s’ tint pus reûd qui l’ Roy dès fèves ! —, célèbre au maître-autel, entre diacre et sous-diacre. A l’office religieux succède le banquet, qui s’achève en liesse générale…

 

dans son église (litt. : moûtier). — 24. èplâsse, emplâtre (ici, au fig.); tchûzi, choisi. — 26. — Allusion dédaigneuse (soterèyes, folies) à l’usage des marguilliers liégeois de se choisir un doyen (doyin, forme arch.) qui était sans doute le plus âgé d’entre eux.

  1. à l’ copète, au sommet; ici : à la tête (de son cheval). — 30. le roulant chemin de l’hôpital, c.-à-d. le chemin bien carrossable, celui où l’on avance vite. — 36-37. Allusion aux pratiques de l’ascèse chrétienne. — 40. ne lui disons pas encore toutes ses vérités. — 41. … la fumée (de la colère ?). — 42. putwèt, plutôt.

 

(p.33) Après qu’il a si bin tchanté,                                91-fln

44   i prèye turtos 1′ monde à dîner.

Tot l’ monde s’î troûve qui èst priyî,

Min.me pus vite à l’ tâve qu’è mostî.

On fêt téle fièsse èt téle magnerèye

48 qu’on freût mây è l’ pus ritche abèye,

à l’ grande souweûr dè l’ pôve Marèye,

loumêye cint fèyes cûrèye è s’ vèye.

Tot çou qu’on sâreût mây pinser

52 si troûve à l’ tâve di djubilé.

Il a min.me divant s’ longue narène

dès prôpès tripes di Célèstènes,

èt dji creû qui l’ duk di Bavîre

56    ni fit nin è s’ paye si bone cîre,

li trazin.me djoû dè meûs dès pouces,

qwand on lî d’na s’ cocogne d’awous’.

On î beût tot come dès Timplîs,

60   dè blanc, dè rodje èt dè mahî.

Li k’pagnèye èst d’ si bèle oumeûr

qu’on crîve à rîre ot’tant qu’à beûre.

Adam ni parole pus d’ procès

64   conte Doupèye qui lî touwa s’ tchèt,

qu’èsteût ine si binamêye bièsse

qui d’ lontins i n’ l’eût foû di s’ tièsse.

On §st si èbirlicoké

68    qui si on fouhe èco monté

 

  1. Le sens  est :  on  se  presse  bien  plus  vite  à  la  table  du  dîner  qu’à l’église.  —
  2. magn(e)rèye, mangerie (dans le sens de l’abondance). — 48. abèye, abbaye. — 49. à la grande sueur de la pauvre Marie : il s’agit de la cuisinière, habituellement maltraitée (cfr vers suivant). — 50. loumêye, autre forme de noumêye, nommée, appelée; cûrèye, charogne.  L’auteur cherche visiblement un effet comique, dont il s’amuse, par l’accu­mulation des  finales  en -èye;  ce  goût de la fantaisie verbale  apparaît aussi  dans les Ewes. — 54. d’authentiques tripes de Célestines : ce mets, sans doute fort apprécié, nous est inconnu. — 55-58. Quel est ce duc de Bavière dont on nous dit qu’il ne fit jamais si bonne chère (cîre),  « en sa paix », qu’au « treizième jour du mois des puces, quand on lui donna ses œufs-de-Pâques du mois d’août » ? Nous supposons qu’il s’agit d’une plaisanterie burlesque, liée peut-être à quelque dicton populaire. — 60. du [vin] blanc, du rouge et du coupé. — 61. L’assemblée… — 64. Il s’agit de Lambert Doupèye, membre du clergé de Saint-Adalbert; on le trouve cité en 1693, faisant fonction de notaire pour la rédaction d’un acte testamentaire où est témoin  « Adam Simon, prêtre »  (Arch.  de l’Etat à Liège, S’ Adalbert, Stock 186, fol. 120). — 67-70. èbirlicoqué (arch.), embrelu-coqué. Les invités ont la tête trouble à la manière dont les visiteurs qui montent au sommet de la tour de Dinant (= la citadelle ?) se sentent pris de vertige : on perd même son

 

(p.34) à 1′ copète dè l’ toûr di Dinant :

on pièdreût s’ tchapê tot d’hindant.

Sès parochins sont si plins d’ djôye

 72   qu’is dansèt tot-avâ lès vôyes :

is s’ont mètou so leû pus gây;

qui târd qu’il èst, pèrsone ni bâye;

is sont turtos pus dispièrtés

76    qui qwand Adam piha-t-è lét.

Ci n’ sont qui djeûs èt [qui] tchansons,

dès fouwâs èt dès cramiyons,

èt, po loumer lès rontès danses,

80   on broûle èco mèye vèyès hanses.

Vos vièrez min.me qui, cisse swèrêye,

on lî f’rè voler dès fizêyes;

po l’ mons dè monde lès djins d’ rouwale

84   lî vêront djèter dès macrales,

èt, si ç’ n’èsteût l’ mâjôr dès pwètes,

on lî djowereût min.me lès palètes.

Mês dji n’âreû djamây tot fêt

88    si dji v’ racontéve tot-à-fêt.

Têhans-nos don, ni d’hans pus rin

afin qu’i vasse dwèrmi contint !

 

Copie par Fr. Bailleux (vers 1850) faite sur un manuscrit de la main d’un des petits-enfants de L. de Ryckman. Aucune édition connue. — Inventaire, n° 143.

chapeau pendant la descente ! — 71. parochin, paroissien. — 73. so leû pus gây, expr. comparable au fr. « sur leur trente-et-un ». — 74. si tard qu’il est, personne ne bâille. — 75. dispièrtés, éveillés. — 76. … pissa au lit. — 78. des feux [de joie] et des farandoles; cramyon, à l’origine : zigzag, s’est altéré au XIXe s. en crâmignon. — 79. loumer, éclairer. — 80. on brûle aussi mille vieux paniers. — 82. fizêye, fusée; allusion probable à un feu d’artifice. — 83. à tout le moins, les habitants des ruelles (les petites gens). — 84. macrales : détail obscur. Le sens de sorcières » est exclu; peut-être faut-il y voir un synonyme de plake-madame, nom liégeois de la capitule bardane dont s’amusent les enfants ? — 85. Le « major des portes » était, à Liège, l’officier chargé de veiller à la fermeture des portes de la ville, à la nuit tombée, et à l’observance du couvre-feu; il était responsable du calme qui devait alors régner dans les rues. — 86. djower les palètes, faire un charivari. — 87-88. Cornp. avec les derniers vers cités des Ewes.

 

(p.35)

ANONYME

« Paskaye récitee a la benediction du reverendissime Abbé de Saint-Laurent »

(Extrait)

 

Le 7 janvier 1718, les moines de l’abbaye bénédictine de Saint-Laurent à Liège élisaient Grégoire Lembor à la tête de leur monastère. Le nouvel abbé mitre était âgé de 39 ans. C’est à l’occasion de sa consécration, qui eut lieu le 26 juin suivant, que fut composée une longue pasquèye de 224 vers dont nous reproduisons la fin.

Sous l’Ancien Régime, il était courant de célébrer par une pièce de cir­constance en vers les succès et les promotions des notables, principalement des gens d’Eglise. Au pays de Liège, l’usage se répandit, surtout au xviir3 siècle, d’utiliser le parler du cru pour les compliments de cette sorte. L’emploi du dialecte, par son naturel et sa vivacité, permettait au panégyrique d’échap­per au ton ampoulé et au style conventionnel.

La wallonade en l’honneur de dom Lembor appartient au courant de la pasquèye cléricale et elle en constitue une des réussites les plus typiques. Signée «par son très humble serviteur L*** », elle émane incontestablement de l’entourage du nouvel élu, comme le prouvent sa connaissance de la vie monastique et de l’Ecriture autant que la bonhomie avec laquelle, s’adressant à lui (il est probable qu’il lisait sa pièce après la cérémonie religieuse), il remémore souvenirs et anecdotes. Sans avoir la verve sarcastique de Lambert de Ryckman évoquant le jubilé du prêtre-marguillier Adam Simonis, l’auteur agrémente d’un tour personnel un éloge qui ne cesse de se montrer enjoué d’un bout à l’autre de la pièce. Après le « vivat » d’acclamation (1), celle-ci débute par le récit du scrutin avec les échos qui en résultèrent; c’est alors les congratulations du tout Liège, la joie de la famille, le passé du nouveau dignitaire — tout cela dans une langue spontanée pleine d’exclamations et d’anacoluthes qui en soulignent le caractère oral… Pour terminer par la description du prélat en habits pontificaux et de plaisants souhaits de longue vie. Mais cédons ici la plume à l’auteur.

 

(1) Vîvâ, vîvâ, vîive è liyèsse, / vîive nost-abé qu’a l’ mite so l’ tièsse !

 

(p.36)

11                                                                                               [Liège]

 

C’è-st-âdjourdou, c’è-st-âdjourdou                         Vf. 169-fin

qui quî ni f’âreût mây vèyou

pinsereût, d’pu lès pîds djusqu’à 1′ tièsse,

4   vèyî on diamant tot d’ine pèce.

Qwand Monsègneûr di Tèrmopole.

avou sès-oficîs d’ Hoscol

(dji vou dire turtos lès-abés

8    qu’èstint nécèssêres po v’ mitrer),

so m’ fwè, s’is n’ sont nin coturîs,

i v’s-avint galan.mint moussî,

èt dji n’ creû nin qui tot Paris

12   vis tèyereût dès pus bês-abits.

Pére Côrèt, qu’on mè l’ vasse houkî,

lu qu’a vèyou dès-andjes à [l’] mîs,

i toumerè d’acwérd avou mi

16    qui v’s-èstez eune dè Paradis.

Vos n’ mètrez pus è vosse hatrê,

come lès-ôtes mônes, ine poyowe pê;

li côp d’ calote di v’loûr pèterè,

20   èt ine creû d’ôr come on pâbiè

qui barlokerè tot-avâr vos,

èt tot plin vos deûts dès dorlots;

vos prôpès tchâsses èt vos solés

24   d’ôr èt d’ârdjint turtos brosdés !

 

  1. f’ = v’ (vous); de même au v. 41. Le DL 700 relève ce passage de v à f en quelques points de l’aire liégeoise. — 5. Il s’agit de Louis-François Rossius de Liboy, évêque suffragant de Liège promu en 1696 au siège de Thermopyle; le suffragant ayant dans ses charges la bénédiction des abbés mitres, notre évêque in partibus procéda à la con­sécration d’une vingtaine de supérieurs de monastères entre 1702 et 1728. — 6-7. Les « officiers » désignent ici les deux prélats qui assistaient l’évêque suffragant au cours de la cérémonie de consécration. Le nom propre de * Hoscol » nous est resté impéné­trable. — 9. coturîs, couturiers. •— 13-14. Le père Jacques Coret, natif de Valenciennes, était connu à l’époque comme auteur d’opuscules pieux, imprimés à Liège. Certains titres en révèlent la tendance « angélique » : La semaine des soupirs amoureux envers l’enfant Jésus, L’ange gardien, protecteur spécialement des mourants, etc. — 18. La poyowe pê (peau de poil) désigne l’aumusse dont les moines se couvraient les épaules durant les offices. — 19. Vers difficile à traduire, mais on imagine bien la calotte violette se poser sur le crâne d’une main assurée ! — 20. et une croix d’or comme un papegai : la croix pectorale du prélat est comparée à l’oiseau suspendu au collier que portaient sur la poitrine les dignitaires des compagnies d’arbalétriers. — 22. dorlots, anneaux, bagues. — 24. tout brodés d’or et d’argent. — 34. et votre haut-de-chausses tient bien ses plis : sa raideur lui vient sans doute de ce qu’il est bien rempli… —

 

(p.37) S’is v’ div’nint trop p’tits ou trop vis, hê !

wârdez-me lès por mi tchâssî.

Dji creû qu’is sont bons po l’s-aguèsses,

28 di pawou qu’ lès pîds n’ èdjalèsse,

dji r’vindreû lès solés, lès tchâsses

èt dj’è f’reû dès bonès-èplâsses…

Dji sohête qui d’vins cinkante ans

32 nos-è polanse co fé ot’tant !

Vos v’ pwèrtez bin, à çou qui dj’ veû,

èt vosse cou-d’-tchâsses tint bin sès pleûs;

èt vosse mène nos fêt èspérer

36 qu’âhèyemint vos f’rez djubilé.

Li mite — dîrez-ve — è-st-on fârdé

qui m’ f’rè racrampi mès-ohês.

N’âyîz nin sogne : po dès gros rins,

40 lès p’titès cohes ni ployèt nin,

èt on f’ a d’né dés-âdjourdou

ine crosse po qwand v’ sièrez tchènou.

Dji v’ sohête l’âme colêye è cwér

44  come âs cis d’ Hêve, deûre come dè fiér !

Vikez dès-an.nêyes à qwâtrons,

èt todi l’ pây è vosse mohon !

Vikez dès-an.nêyes avou nos

48 ot’tant qu’i n-y-a d’ pièles avâr vos.

Pa ! vos n’èstez nin èhalis’,

vos n’ fez nin pus d’ brut qu’on novice.

Vikez, dène Prélât, co pus vî

52 — dès s’-fêts qu’ vos costèt trop’ di d’nîs —

 

39-40. rins, branches d’arbre. On peut traduire : ce ne sont pas les grosses branches qui font plier les petits rameaux. Autrement dit : ce n’est pas parce que la charge est lourde qu’elle vous anéantira. — 43-44. « L’âme rivée (litt* : collée) au corps comme les gens de Hervé » reprend un dicton populaire qui attribuait une réputation de durs-à-cuire aux habitants de la petite ville de Hervé, au nord-est de Liège. — 45. qwâtrons, quarterons. — 49. èhalis’, encombrant. — 52. des pareils que vous coûtent trop de deniers. Allusion à la dépense somptuaire qu’entraînaient pour une communauté religieuse l’élection et l’installation d’un nouveau supérieur.

 

(p.38) vikez (ho ! qui n’ si pout-i fé !)

noûf cints-ans come Matîsalé !

 

Et tandem

56   Loukîz dè fé dès vîs-ohês :

c’è-st-ine bèle plome à vosse tchapê !

 

  1. piron, Un poème wallon de 1718 pour un nouvel abbé de Saint-Laurent de Liège, dans le collectif Saint-Laurent de Liège, église, abbaye et hôpital militaire. Mille ans d’his­toire, Liège, Solédi, 1968, pp. 182-184 (d’après le placard imprimé à 3 col., Bibl. de l’Univ. de Liège, Réserve : Varia in-folio 51). — Inventaire, n” 146.

 

(p.39)

ANONYMES

Chansons d’amour dialoguées

I [Binamêye Zabê]

 

« Ancienne chanson (1700 ?) » dit laconiquement l’Annuaire de la Société de littérature wallonne (t. 6), qui la publie en 1871 sans nom d’éditeur ni indication de source. Jean Haust, en la reproduisant à la fin d’un recueil où les femmes et l’amour sont passablement malmenés, écrit à son sujet : « La courtoisie du jeune paysan, l’accueil sérieux et prudent de la jeune fille, la réponse résolue de l’amoureux et ses projets d’avenir, cette naïve oaristys fait sourire sans doute, mais quel gentil couple sympathique et quelle humble leçon de confiance dans la vie ! A peine un mot de sentiment dans ce duo, et cette sorte de pudeur est bien de chez nous. Enfin la pièce semble inachevée, ce qui est peut-être un charme de plus… ». On ne saurait mieux dire.

 

12                                                                                                     [Liège]

« O ! bondjoû, m’ binamêye Zabê ! (bis)

âdjourdou qu’i fêt si bê,

dj’ so v’nou à Montegnêye;

èscusez-me si dji v’ displê :

5              c’èst po 1′ prumîre fèye.

 

  • O ! qui v’nez-v’ fé si Ion voci ? (bis)

n’y-a-t-i nin è vosse payîs

dès djônès bâcèles, èco dès pus ritches qui mi,

10              èco dès pus bèles ?

 

  • O ! siya, m’ binamêye Zabê ! (bis)

n’y-ènn’ a bin, mins ç’ n’èst nin m’ fêt,

dji v’s-èl wèse bin dîre :

èles n’ont nin dès s’-fêts-atrêts

15              qui vos, à m’ manîre !

 

  1. Zabê, Isabeau. — 3. à Montegnée, banlieue de Liège. — 6. … si loin par ici. — 12. il y en a bien, mais ce n’est pas mon genre. — 13. wèse, ose. — 19. pour épargner quelques sous; broûlé, ancienne monnaie liégeoise en cuivre. —

 

(p.40) —  O ! dji n’ mi pou co mariyer ! (bis)

i fat qu’ dj’aprinse à ovrer,

dj’ nèl wèse câzî dîre,

po spârgnî deûs’ treûs broûlés

20              po mète po l’avenîr.

 

—  Nos-îrans è bwès d’ Robièmont, (bis)

nos-îrans fé dès ramons

et s’ lès-îrans-ne vinde;

nos pwèrans fwèrt bin spârgnî

25              po dès bonès rintes.

 

Et si nos n’ polans fé insi, (bis)

nos-îrans avâ 1′ payîs

po vinde dès-îmâdjes,

et s’îrans-n’ tchanter d’ nosse mîs

30              à Lîdje, so 1′ pont d’s-Âtches. »

 

  1. haust, Dix pièces de vers sur les femmes et le mariage. Coll. « Nos Dialectes », Liège, Vaillant-Carmanne, 1941, pp. 94-95. — Inventaire, n° 293.

 

II

[Dj’han-qui-plôye et Lînète Makêye]

 

Autre chanson d’amour, également dialoguée, transcrite d’un vieux carnet de famille où l’on trouve d’autres pièces qu’il est possible d’assigner au milieu du xvme siècle. Notre dialogue est un badinage entre un amoureux que l’amour n’a point transi et une très jeune fille hésitante entre la sincérité et la coquetterie. Le débat forme l’embryon d’une petite scène enjouée où l’on devine des emportements, des moues, des agacements, des inquiétudes, le tout couronné de nouveau par une confiance en l’avenir. « Je serai toujours Lînète et vous serez toujours Jean ». Façon de dire : nous serons toujours les mêmes l’un pour l’autre, sans changer.

 

  1. pour mettre de côté… — 23 et 29. èt s’, loc. copulative (= et). — 21. dans le bois de Robermont, sur l’une des hauteurs de Liège. — 22. ramon, balai. Le type de la martchande di ramons était encore commun à Liège, au XIXe siècle : voy. la fig. 551 du DL. — 24. pwèrans, forme archaïque pour pôrans, pourrons; spârgnî, épargner. — 30. Le pont des Arches, à Liège, était le lieu de prédilection des chansonniers populaires, qui y proposaient aux badauds leurs pasquèyes.

 

(p.41) Mais cette façon de dire est le langage même de la vie, primesautier, concret, imagé. La naïveté du dialogue n’empêche pas la pièce d’être fort habilement composée sur deux rimes. Ce qui nous vaut ça et là quelques gallicismes, atours un peu artificiels qui ne sont pas pour gâter la parure charmante et fraîche de ces accordailles villageoises. Car la chanson du peuple, quand elle parle d’amour, se fait volontiers une chanson jolie…

 

13                                                                                      [Ouest de Liège]

Tchanson ou dialogue inte Dj’han-qui-plôye et Lînète Makêye

 

« Djo-wâde fèye, djo-wâde brantchète,

vos-èstez todi m’ diamant !

Ni tchante nin co l’âlouwète

4   qwand v’s-èstez avâ lès tchamps.

Por vos, dj’a todi 1′ hikète,

dji n’ pou pus magnî dè pan

si dji n’ vis-a po m’ poyète,

8    si dji n’ so voste ortolan.

— Ci sont totès colibèt’

qui vos m’ contez, loyâ Dj’han !

Dji so èco trop djônète

12   po intrèteni dès galants.

Mês dj’a ‘ne sakwè qui m’ toûrmète,

dji creû qu’ c’è-st-on diâle volant

qui fêt qui dj’ so-t-inquiyète,

16    qui m’ fêt avu l’ trosse-galant !

 

TITRE. … Jean-qui-plie; Lînète, dim. fém. de Lînâ, Léonard; makêye, sorte de fromage blanc et mou, ici, au fig., sans doute pour désigner l’extrême blancheur de Lînète.

  1. Dieu [vous] garde; brantchète, sur le sens affectueux de « branchette », voy. plus haut le texte no 7, note du v. 1. — 3. Inversion du sujet. — 5. Avoir la hikète (litt’ : hoquet) pour un être ou un objet, c’est le convoiter ardemment. — 7. poyète, poulette (ici, t. d’affection).
  2. colibèt’, sornettes, baratin. — 10. loyâ Dj’han, lourd Jean (en fr. pop. : grand sot, nigaud). — 14. … que c’est un diable qui ne tient pas en place; diâle-volant n’a rien à voir ici avec le nom liégeois du tarare. — 16. le « trousse-galant » désigne, au figuré, le mal que définit Littré (s. v°) : « sorte de maladie violente et rapide qui abat, emporte le malade en peu de temps ». Lînète ne saurait mieux avouer son envie d’avoir un amou­reux, car le jeu de mot sur galant est évident.

 

(p.42) —  C’est l’amor qu’è-st-à l’aguiète :

i fât qu’il âye bin dalant !

C’è-st-ossi lu qui v’ dispiète

20   qwèqu’i fasse li fâs-dwèrmant.

S’i vout intrer po vosse pwète,

i n’a qu’ fé d’on paze-avant :

qwand ‘1 a s’ bonèt à hiyètes

24   i fêt pés qu’on p’tit volant.

—  Vos-avez 1′ linwe qui v’ cakète,

qu’èst tot come ine pîre d’êmant;

dj’ô bin à vos tchansonètes

28    qui v’s-avez lé l’alcoran…

Vos vwèrîz bin di m’ pansète

po magnî avou vosse pan.

Dji so come po brêre « hovelète ! »,

32 dji n’ m’ègadje nin pus-avant.

—  Po ci côp-là, dji m’ va piède,

ou prindez-me po voste amant !

Hoûtez-me don, mi p’tite moulète,

36 dji so fidéle èt constant.

Si dj’èsteû vosse lamponète,

vos sèrîz m’ mureû ârdant…

Nos djouwerins à l’ rèspounète,

40 c’èst-on djeû qu’èst si charmant !

 

  1. amor, amour; être à l’aguiète, « à l’aiguillette », se déboutonner (pour satisfaire un besoin, ici sexuel). — 18. Le sens est : il faut qu’il [l’amour] se montre bien pressant. L’expression aveûr dalant a disparu de l’usage. — 23. bonèt à hiyètes, bonnet à grelots. On se souviendra que le grelot est anciennement l’attribut de la folie — et que la folie mène l’amour… — 24, «un petit volant» probablt dans le sens de galopin.
  2. pire d’êmant, pierre d’aimant ou aimant naturel, qui possède une propriété magné­tique. — 28. L’alcoran, plus connu sous le nom de coran. On dirait de même au figuré : « Vous connaissez la Loi et les Prophètes ». — 29. vwèrîz, (vous) voudriez; pansète, t. arch. de triperie, gras-double produit avec l’estomac du bœuf. — 31. hovelète !, brosse ! bernique !
  3. « me perdre » au sens de : me détruire, faire un malheur de mon corps. — 35. moulète (arch.), caillette de veau (pris ici comme t. d’amitié). — 37-38. Si j’étais votre petite lampe, vous seriez mon miroir ardent : autrement dit, le prisme qui m’enflammerait_ (la propriété du miroir ardent est connue anciennement et cet instrument figurait dans les cabinets de physique; il y en avait un dans celui du prince-évêque Velbruck). Dans ce distique, on a comme une ébauche du thème amoureux des métamorphoses, largement répandu dans la chanson populaire et dont la Magali de Mistral (Mirèio, III) demeure un exemple fameux. — 39. à l’ rèspounète, à cache-cache (avec un sous-entendu grivois).

 

(p.43) — Dji veû bin qu’i fat qu’i pète :

vos-èstez trop complêzant !

Mês si vos-èstez ‘ne trompète,

44   dji sèrè tambour batant !

Et po rik’nohe nosse houbète,

nos-î mètrans on crèhant…

Dji sèrè todi Lînète

48   èt vos sèrez todi Dj’han ! »

 

  1. piron, Une chanson d’amour en dialecte liégeois du XVIII’ siècle, dans La Vie wallonne, t 29, 1955, pp. 205-207 (d’après copie manuscrite du xvili* siècle). — Inventaire, n° 308.
  2. … il faut que cela se fasse. — 43-44. Jeu de mots sur trompette et tambour battant sous l’influence de tromper et de battre. — 45. houbète, hutte de branchages, cabane : c’est le nid de nos amoureux. — 46. crèhant, croissant de lune; il s’agit d’une enseigne, pourvue peut-être d’une valeur symbolique (amour croissant ?).

 

(p.44)

MORAY

(18e siècle)

 

On n’est pas sûr de son nom : Mathieu Moreau, suivant le Choix de 1844, ou Winand (Wynans ?) Moureau d’après un dossier anonyme de la même époque ? Appelons-le simplement Moray, respectant ainsi la forme wallonisée sous laquelle il se fit connaître et réussit à se maintenir dans la mémoire de plusieurs générations de Liégeois.

Quand vécut-il au juste ? Il devait être mort depuis quelque temps déjà en 1781, puisque cette année-là, dans une wallonade anonyme relative à l’affaire Bassenge-Raynal, son ombre est évoquée :

Dji so Morê, martchand d’ tchansons,

qui so l’ Martchî a co mèye fèyes

tchanté dès complintes, dès pasquèyes…

 

Lui-même se met en scène au dernier couplet d’une chanson (Choix, pp. 113-115) sur la désolation des jeunes filles après le départ des Danois : on sait que des troupes danoises tinrent garnison à Liège, de l’été 1735 au printemps 1736. Ces repères chronologiques permettraient-ils d’identifier notre chan­sonnier à Wathieu Moray, fils adultérin de Wathy Moray, baptisé à la paroisse Sainte-Foy le 5 octobre 1706 ? Ou encore à Winand Moray alias Winand Moureau (1697-1775) qui naît et meurt en Outre-Meuse, paroisse Saint-Nicolas, après avoir été veuf trois fois ? Au regard de ces conjectures, la tradition qui attribue à notre chanteur ambulant un solide penchant à l’ivro­gnerie semble moins hasardeuse.

Chanteur de rues et type populaire, c’est bien ainsi en effet que se dégage la figure de Moray à travers les rares textes qui lui sont attribués (Inventaire, n08 246, 310 et 317). On l’imagine sans peine, improvisateur né, mimant au milieu des badauds, qu’il interpelle à l’occasion, l’événement du jour ou le récit de quelque aventure qui met les rieurs de son côté. La pièce qui suit est un spécimen suggestif de ce savoir-faire.

 

 

14                                                                                                     [Liège]

Pasquèye novèle d’ine djonne mariêye et d’on pôve mâ-marié

 

Djon.nês èt djon.nès fèyes, acorez [tos] voci !

 

« PASQUEYE • NOUVELLE D’UNE JEUNE MARIEE ET D’UN PAUVRE MAL­MARIE. — La première strophe est un leitmotiv de chanson populaire où l’auteur cherche à capter l’attention du public avec lequel il restera en contact au long de la pièce.

 

(p.45) Dj’a [fêt] ine bèle paskèye,

4   c’èst po [bin] nos d’vêrti.

Dji n’ mi sâreû [mây] têre,

qwand dji d’vreû èsse blâmé;

nos rîrans d’ ciste afêre,

8    wârdans bin d’ nos d’hiter !

 

L’ôte djoû d’vins ine taviène,

on k’minça à m’ conter

ine tourneûre dès pus fènes,

12    dji fou [tôt] èwaré.

Dji tron.néve so mes djambes

èt s’ fi-dje co bin ôte tchwè :

[tot] â pus bê dè l’ tchambe,

16    dji fi on grand gros pèt !

 

Ça ! i fât dji v’s-èl dèye

tot come on l’a conté :

c’èst d’ine plêzante djon.ne fèye

20    qui s’eûhe vol’tî marié

po d’biter s’ martchandèye,

come iles pwèrint totes fé.

Ni pinsez nin qui dj’ rèy,

24    ca i l’èst-arivé.

 

Ille aveût ine bèle rôbe,

dès bês volants d’ coton,

dès cotes à l’ novèle môde

28  èt dès solés mignons,

dès cwèfeûres à dintèles,

on bê ruban d’ôr fin…

Mins çou qu’ èl rindéve bèle,

c’èsteût s’ vèrtugadin !

 

  1. taviène, taverne. — 11. une tournure des plus fines, c.-à-d. une aventure des plus piquantes. — 12. je fus tout étonné. — 16. Pour ce genre de détail scatologique, voy. la note 19 du n° 9.
  2. il faut [que] je vous le dise. Sur l’omission de la conjonction de subordination, voy. le texte n° 7, note du v. 32. — 22. comme elles pourraient faire toutes. — 24. i, il (impersonnel).
  3. solé, soulier. — 32. vèrtugadin, robe bouffante, rembourrée aux hanches, qui, en France, fut surtout à la mode au xvii” siècle.

 

(p.46) Vocial on bê djonne ome

qui dji n’ vis loumerè nin,

qu’èl pinséve bèle èt bone,

36   va ! nos ‘nnè rîrans bin !

Si 1′ bâcèle aléve tchîr,

èl sûvéve tos costés…

Vos-ôrez d’ quéle manîre

40   qu’il a stu atrapé !

 

Ci conteû d’ caracoles,

tot hantant corne on sot,

i lî d’manda 1′ parole,

44   ile lî prinda â mot.

Il acora è 1′ vèye

po atcheter dès dorlots…

On rîrè pus d’ine fèye

48 dè vèyî ci lwègne sot !

 

Li bâcèle bin binâhe

a tot fêt prèparer

po coviér ine bèle tâve

52   po qwand sèrint spozés.

Djambon èt tchâr salêye,

çoula n’î mâkéve nin,

dès floyons, [dès] dorêyes

56   èt dès botèyes di vin.

 

On lès mine à l’èglîse

avou basse èt violon :

vocial ine grande surprîse

60   èt on bê cariyon !

 

  1. loumer, nommer. — 37. bâcèle, jeune fille; tchîr, chier.
  2. Ce conteur de caracoles; ce dernier terme est employé dans un sens figuré et péjoratif qu’il serait sans doute vain de préciser. — 42. hanter, faire la cour (en parlant d’amou­reux). — 43. il lui demanda la parole, c.-à-d. sa main. — 45-46. Il accourut à la ville / pour acheter des « dor(e)lots » (cfr note 22 du n° 11) : sans doute les alliances en vue du mariage. — 48. lwègne, nigaud; le groupe Iwègne sot est évidemment tautologique.
  3. binâhe, content(e). — 52. pour quand ils seraient mariés. — 53. … viande salée. — 55. floyon, flan; des « dorées », c.-à-d. des tartes.

58-59. Aux noces villageoises de jadis, il était d’usage de faire précéder le cortège par un ou deux musiciens pour se rendre à l’église et en revenir. — 60. « carillon », ici, au fig.,

 

(p.47) Li bâcèle adjènèye à l’âté,

so 1′ passe-pîd,

tot fant lès céremonerèyes

64   kiminça à travyî !

 

N’èst-ce nin ine bèle aubâde

po ci pôve aveuglé ?

On criya « à 1′ mostâde ! »,

68    qwand i fourint ralés.

Li sèdje-dame dè viyèdje

dèt â novê marié :

« Djihan ! prindez corèdje,

72   vos-èstez pére… èt fré ! »

 

Hoûtez, tos vos djonnes-omes

qu’ont vol’té di s’ marier,

qwèrez dès noûvès tones

76    qui 1′ cou n’ seûy nin d’foncé !

Bêcôp d’ cès lâtchès cotes

ni qwèrèt qu’ d’atraper

l’oûhê divins ‘ne tchabote

80   po l’aprinde à hufler!…

 

Copie de la main de Fr. Bailleux, vers 1850. Aucune édition connue. — Inventaire, n° 310.

dans le sens de branle-bas, tohu-bohu. — 61-62. La fille agenouillée / à l’autel, sur le t passe-pied », t. arch., marchepied d’autel ou agenouilloir de prie-Dieu. — 64. travyî, forme contractée de travayî; ici, entrer en travail d’enfant, accoucher.

  1. « à la moutarde !» : cri de rues, ici par dérision, en manière de charivari. — 68. quand ils furent rentrés [chez eux]. — 69. sèdje-dame, sage-femme. — 71. Djihan, Jean. — 72. fré, frère. Il faut supposer que l’épousée a été engrossée par le père du marié.
  2. L’interpellation, qui ouvre la strophe finale et sert de conclusion, pourrait se rendre par : Ecoutez tous, jeunes hommes que vous êtes. Sur le tour vos bonès djins, vos correspond à « vous » et non au possessif « vos », cfr L. Remacle, Syntaxe, I, pp. 236-240. — 73. qui ont volonté…, c.-à-d. qui désirent se marier. — 75 tone, tonneau, ici au fig. et péjor. — 76. cou, cul, jeu de mot sur le sens de « fond ». — 77-78. Les « larges jupes » désignent les personnes du sexe féminin; ouhê, oiseau, tchabote, creux (où l’on peut nicher, etc.), hufler, siffler sont associés en une métaphore filée dont le sens erotique est évident.

li Noyé (Noël)

 

(p.48)

ANONYMES

Noëls

 

Connus en français dès le XIIIe siècle et dans divers patois d’oc et d’oïl à partir du XVIe, jouissant d’une vogue sans cesse accrue, comme en témoignent les nombreux recueils imprimés de Paris à Lyon, les chants populaires de Noël se sont répandus chez nous où, sous le nom de noëls wallons, ils ont donné naissance à un genre nouveau dans la littérature en dialecte. Ce genre, importé de France (l’identité de caractère entre les mélodies de ces noëls et les airs du vaudeville français popularisés dans les campagnes le prouverait à elle seule) est représenté par une cinquantaine de textes originaires du nord-est de la Wallonie. Une première édition philologique de ces textes a été procurée en 1909 par Auguste Doutrepont; elle a été remaniée et enrichie de nouveaux textes par Maurice Delbouille en 1938.

Le thème des noëls est l’annonce de la naissance de Jésus et la visite des bergers à la crèche; subsidiairement, l’adoration des rois mages. Les bergers ne sont autres que les bonnes gens de nos campagnes qui s’interpellent ou s’extasient sur la venue du Messie et s’en vont, copieusement munis de langes et de victuailles, vers l’étable où repose l’Enfant. L’anachronisme y fleurit, conférant à ces pièces, avec un parfum de terroir, un charme que la médiocre qualité du style leur refuserait bien souvent.

Sur la destination exacte des noëls, il est permis de s’interroger. Etaient-ils chantés à la veillée du 24 décembre ? Ou exécutés avant la messe de minuit, durant le trajet vers l’église ? Ou peut-être au moment même de l’office ? Leur âge non plus ne saurait être précisé avec certitude. Presque tous nos textes, si l’on se reporte aux témoins qui nous les ont conservés, remontent au xviiie siècle. Il est probable que certains datent du XVIIe. Le genre en tous cas appartient à la période ancienne de nos lettres dialectales. Il n’a plus été pratiqué, sauf par imitation et très exceptionnellement, lors du renou­veau qui marque les deux derniers tiers du XIXe siècle.

Des trois noëls que nous avons retenus, le premier est antérieur à 1757 puisqu’on le trouve dans le manuscrit Weber dont la copie fut commencée le 4 février 1757 (édit. Doutrepont-Delbouille, p. 75); le second voit l’un de ses vers cité en tête d’une chanson française de Noël imprimée à Stembert en 1764 (*). Celui que nous donnons en troisième lieu — il se rapporte à la fête des Rois — est plus ancien : il a été transcrit par le Liégeois Grumselle dans un cahier dont les écritures se situent entre 1708 et 1715 (édit. citée, ibid.).

 

(1) La découverte de cette « Nouvelle chanson pour la veille de Noël » est postérieure à l’édition Doutrepont-Delbouille.

 

 

15                                                                                                [Liège]

 

Bondjoû, wèzène, dwèrmez-ve èco?

Dispièrtez-ve : dji vous pârl’ à vos.

 Dispièrtez-ve don, dji v’s-è prèye;

4   drovez voste ouh, dji so ravèye

di cisse musike qu’on tchante â hôt :

Gloriya in-èxcèlsis’ Dêyô. (bis)

 

Qwand n’s-ârans stu à deûs’ treûs mèsses,

8    nos vêrans cial magnî dès cwèsses,

si magnerans-ne ine ône di tripe —

n’èst-i nin vrêy, cusène Magrite ? —

èt s’ beûrans-ne deûs’ treûs bons côps :

12    Gloriya in-èxcèlsis’ Dêyô. (bis)

 

Matante Kètelène èsteût là d’vins

qui fève on bon bâtis’ à vin.

Voci v’ni Biètemé so 1′ fêt

16    avou dès-oûs tot plin s’ tchapê,

èt Marôye qui loukîve â trau :

Gloriya in-èxcèlsis’ Dêyô. (bis)

 

Compére Ernou dit tot passant :

20    Qui fez-v’ là, tos mes bês-èfants ?

Tint-on cial on staminé,

qu’on-z-î tchante èt qu’on-z-î brêt?

Lès-andjes rèpètint â hôt :

24    Gloriya in-èxcèlsis’ Dêyô. (bis)

 

— O, nèni ciète, compère Ernou,

c’èst-in-èfant qu’èst novê v’nou.

 

Le canevas strophique de ce noël offre la particularité d’avoir un 3e vers de 7 syllabes et un vers-refrain de 9 du fait de la diérèse de gloria rendue nécessaire par la mélodie.

 

  1. wèzène, voisine. — 2. … je veux vous parler. — 4. ouvrez votre porte, je suis ravie. 8. cwèsses, côtes. — 9. et nous mangerons une aune de boudin; cette ancienne unité de mesure valait à Liège un peu plus de 66 centimètres. — 10. … cousine Marguerite. 13. Kètelène (arch.), Catherine. — 14. bâtis’, voy. la pièce suivante, note du v. 61. — 15. Voici venir Barthélémy sur le fait, sur ces entrefaites. — 17. et Marie qui regardait par le trou; Marôye, arch. pour Marèye. — 22-23. Mesure faussée : 7 syllabes au lieu de 8. 19. Ernou (arch.), Arnold. — 21. staminé (arch.), estaminet. — 23. … répétaient en haut; rèpètint, forme anc. pour rèpètît.

 

(p.50) I-èst si bê, i-èst si plêhant :

28   dj’ n’a mây vèyou parèy èfant.

On dit qui c’èst 1′ fi du Très Haut

Gloriya in-èxcèlsis’ Dêyô. (bis)

 

Djans don, corans, tos nos bièrdjîs,

32   è Bètlèyèm vèyî 1′ Mèssîe !

C’èst-ine chôse di vèritâve

qu’il èst-oûy né divins on stâve.

Corans-î [turtos] d’on plin saut :

36    Gloriya in-èxcèlsis’ Dêyô. (bis)

 

Aug. doutrepont, Les Noëls wallons, nouvelle édition par M. delbouille, Liège, 1938, Société de Littérature wallonne (« Bibliothèque de Philologie et de Littérature wallonnes »), pp. 94-95. — Inventaire, n° 376.

 

16                                                                                                     [Liège]

 

II

Bondjoû, mârène, èt bone santé : (bis)

dji vin qwèri m’ cougnou d’ Noyé !

Sav’ bin, à çou qu’ dj’ô dire,

4    qui l’ Saveur dès-âmes nos-èst né,

pus bê qu’in-andje dè cîr ?

 

Divins on stâ ‘l èst-ad’hindou : (bis)

lès bons bièrdjîs sont-st-acorous,

 

3l. Allons donc, courons, nous tous les bergers; sur cet emploi de nos, cîr supra, n° 14, v. 73. — 34. qu’il est aujourd’hui né dans une étable; stâve, forme plus particulière, en wallon de l’est, à l’Ardenne. — 35. Courons-y tous d’un plein saut, d’un même élan.

1-2. cougnou, petit gâteau allongé qu’on mange à la Noël. Ces deux premiers vers, qui paraissent, dans leur anachronisme, assez étrangers au reste de la pièce, ont dû être empruntés à une ancienne chanson de quête. L’altération, cependant, s’est largement imposée à date ancienne et, comme l’écrit A. Doutrepont repris par M. Delbouille, « les trois derniers vers du premier couplet se rattachent si naturellement [aux précédents] que nous croyons être en possession du début authentique, sinon dans ses termes, au moins dans son esprit » (p. 105).

  1. stâ, étable. — 8 tous au plus vite.

 

(p.51) 8  tèrtos’ â pus-abèye.

Il èst si bê, ‘1 a l’ êr si doûs :

corans vite l’aler vèy.

 

Hay, djans, corans-î tot dansant, (bis)

12 vèyî l’ mirâke di cist-èfant

qu’èst né d’ine djône pucèle !

Dihombe-tu, Dj’hène ! Dihombe-tu, Dj’han !

Dihombe-tu don, bâcèle !

 

16 Hay [don], bin vite, nosse Nicolas ! (bis)

Prind abèyemint tos tès hèrnas

èet si t’ dihombe bin rade !

Si dji n’ mi trompe, is sont d’djà là,

20 ca il ont pris l’ savate.

 

Djans [don], noste Ernou, rimowe-tu : (bis)

ti prindrès l’ djambon, s’il èst cût,

si n’ roûvêye nin l’ makêye !

24 Vas-è bin rade, ni t’ ritoûne pus

èt s’ cour tôt à F valêye !

 

O, soûr Marôye, vinez avou ! (bis)

Nos passerans po mon m’ fré Ernou,

28  qu’i nos mône à l’ valêye :

i fêt si spès qui dj’a pawou

qu’ nos n’ sèyanse dirôbêyes.

 

  1. Dépêche-toi, Jeanne…
  2. Prends rapidement tout ton attirail. — 20. prinde II savate (ou fé savate), prendre ses jambes à son cou, partir en hâte.
  3. … grouille-toi. — 23. si (lat. sic) = et; makêye, sorte de fromage blanc et mou, caillebotte. — 25. « et cours (ainsi) tout en bas », c.-à-d. là où se trouve l’étable avec le Christ.
  4. Marôye, arch. pour Marèye, Marie. — 27. litt. : par chez mon frère Arnold. — 28. Cfr v. 25. — 29-30. Il fait si sombre [litt. : épais] que j’ai peur / que nous ne soyons détroussées.

 

(p.52) Marôye

Grand-pére, vos pwèterez bin 1′ fisik ! (bis)

32   So vosse nez v’ métrez dès bèrikes

èt s’ louk’rez-ve è 1′ potale,

tot-â coron di nosse botike :

vos troûverez dès brocales,

 

Djihène

36    O, souh ! Marôye, qui fêt-i freûd ! (bis)

Lès dints m’ cakèt, s’a-dje ma mès deûts

très doûs Dièw, quéle djalêye !

Cist-èfant sèrè mwért di freûd :

40          pwèrtans-lî po ‘ne blamêye !

 

Djihan

Por mi, dj’ lî pwèterè dès fagots (bis)

èt dès loumerotes tot plin m’ sârot,

qui sont è nosse coulêye :

44   ç’ sèrè po lès r’tchâfer turtos,

Djôzèf, Dièw et Marèye.

 

Marôye

Por mi, dji lî pwèterè m’ cot’rê (bis)

po fé dès fahes èt dès lignerês

48          èt à 1′ mére dès tchâssètes.

Vos lèzî keûzerez bin, s’i v’ plêt :

dj’a dè fi è m’ tahète.

 

3l. fisik, litt. fusil, et, de là, briquet : l’allusion aux brocales (allumettes, v. 35), que le briquet devait servir à enflammer, selon une opération usuelle jadis, rend cette inter­prétation évidente. — 32. bèrikes, besicles. — 33. potale, niche. — 35. brocale, allumette ancienne, brin de chènevotte, de sureau ou de bois éventuellement soufré aux extrémités.

  1. souh!, interj. marquant une impression de chaud ou de froid, ici « brr »; … qu’il fait froid. — 37. Les dents me claquent, et j’ai mal aux doigts. — 38. Dièw (ou Die), arch. pour l’actuel Diu ou Dju; djalêye, gelée. — 40. blamêye, flambée.
  2. loum’rotes, jadis : brins, torchons de paille pour allumer ou éclairer; d’où, aujour­d’hui : petite lumière; sârot, sarrau. — 43. coulêye, coin du feu.
  3. cot’rê, cotillon, jupon. — 47. fahes, maillots; lign’rês, langes. — 49. Vous les leur coudrez bien… — 50. tahète, petite poche en toile où la femme du peuple mettait surtout la menue monnaie et qu’elle portait sous le tablier ou le jupon, attachée à la ceinture (DL, 624).

 

(p.53) Li Mére

Por mi, dji lî pwèterè m’ vantrin; (bis)

52   il est si bê, s’èst-i si fin

qu’on dîreût dè l’ prôpe sôye :

ç’ sèrè po lî fé dès béguins !

N’èst-i nin vrêy, Marôye ?

 

Djihan

56 Por mi, dji lî pwèterè m’ sâro; (bis)

i n’èst nin fin, s’ n’èst-i nin gros;

èt s’a-dje dès plomes di cîne.

Vos métrez tot-à-fêt è m’ bot

60  po pwèrter à 1′ payîne.

 

Li Mére

Dj’a dè souke po fé on batis’ (bis)

po l’ mére di l’èfant, qu’èst si trisse,

si trisse èt si d’zolêye.

64    O, qu’ n’èsteût-èle è nosse lodjis’

qwand èle fout acoûkêye !

 

Djihène

Cusène Marôye, alez’ bouter : (bis)

i m’ sonle qui dj’ô l’èfant criyer…

68          — Doûs Dièw, so-dje èwarêye ! —

èt pwis dè côp vos racoûrrez,

qui nos sèpanse li vrêye.

 

5l. vantrin, tablier. — 52. … et il est si fin. — 53. … de la vraie soie. — 54. bèguins, béguins, bonnets d’enfant.

  1. … et il n’est pas gros. — 58. cîne, cygne. — 59. bot, hotte. — 60. payîne, accouchée.
  2. bâtis’, t. arch. et rural désignant un mélange battu, soit à base de lait, sucré, aroma­tisé et mêlé d’œufs (chaudeau), soit à la bière ou au vin. — 63. d’zolêye, désolée.
  3. cusène, cousine. — 68.  èwarêye, étonnée,  bouleversée. — 69-70.  et puis vous rac-courrez / que nous sachions la vérité.

 

(p.54) Marôye

Âwè, ciète, i sont là leû treûs : (bis)

72   l’èfant so 1′ foûre,

tot mwért di freûd,

èt l’ mére tot-èdjalêye;

li vî bouname lès louke tot reûd :

v’ dîrîz qu’i méditêye.

 

76   Moussans d’vins,

èt s’ nos-adjènans : (bis)

nos-îrans adorer l’èfant

èt lî ofri nosse coûr.

C’èst çou qu’i vout, l’ divin-èfant

80          qu’èst là coûkî so l’ foûre.

 

Die v’ wâde, dègne mére èt li k’pagnèye ! (bis)

Lès-andjes nos-ont dit dès mèrvèyes,

nos-ont fêt si binâhes,

84    di cist-èf ant qui nos v’nans vèy !

Vis plêt-i bin qu’ djèl bâhe ?

 

Li Vièrje

Oh ! oui, bergère, en l’adorant, (bis)

baisez les pieds de cet enfant

88          qui est né ent’ les bêtes.

Il est le fils du Tout-Puissant : honorez bien sa fête !

Djihène

Hoûtez don, mére, qu’èle parole bin ! (bis)

92   Loukîz cisse boke, ci bê mintyin :

ni dîrîz-ve nin in-andje ? Nèni, ciète, mère, n’ènn’ alans nin :

assians-nos so cisse plantche !

 

Ibid., pp. 99-104. — Inventaire, n° 377.

 

  1. foûre, foin. — 73. èdjalêye, gelée. — 74. le vieux bonhomme les regarde tout raide.
  2. Rentrons dedans, et agenouillons-nous.
  3. Dieu vous garde, digne mère et la compagnie. — 85. bâhi, embrasser.

91 … comme elle parle bien!

 

(p.55) 17                                                                                                     [Liège]

III

Djans-è foû d’ Jérûsalèm;

corans tos an Bètlèyèm !

Sûvans cès novèlès djins

4    qu’ènn’alèt si djoyeûsemint !

 

Refrain

Tchantans tos li Roy qui bwèt

so nos flûtes èt nos hâbwès !

 

Sont treûs roys, deûs blancs, on neûr,

8    deûs vis, on djône plin d’ tcholeûr.

Dji n’ sé s’is n’ sont nin mariés :

nole feume n’èst-à leûs costés.

 

Leûs dj’vâs ont dès grantès croufes,

12 zèls dès tch’mîhes à mantches à boufes,

èt dès fleûrs so leû mante,

d’ôr, d’ârdjint : mây rin d’ pus bê !

Leûs casakes sont fêts di vloûr,

16    di taf’tas « qui li retour » (?).

Il ont dès corones so l’ tièsse :

dji n’ sé s’is sont dès priyèsses.

 

Ce noël, à la différence des deux précédents, rattache le thème de la visite à la crèche à une description de l’adoration des mages. Le refrain montre que la pièce était destinée au jour de l’Epiphanie (6 janvier); on sait que la fête des Rois occupe, avec la Noël, l’un des points culminants dans ce que les folkloristes appellent le Cycle des Douze Jours. — 1. Allons[-nous] en de…

 

  1. li Roy qui bwèt, le Roi qui boit. Allusion à un usage connu de la fête des Rois; le manuscrit distingue « roye » (= roy’) et * boy », « haboy », etc. (= bwèt, hâbwès, etc.). — 6. hâbwès, hautbois.
  2. [Ils] sont trois rois… — 8. … un jeune plein de chaleur.
  3. croufe, bosse. — 12. eux [ont] des chemises à manches bouffantes. — 14. … jamais [il n’y eut] rien de plus beau.
  4. Le sens de ce vers altéré paraît être : « de taffetas est la doublure [retour} »; faut-il corriger, avec l’éditeur de 1938, di tafetas gris li retour ? — 18. priyèsse, prêtre.

 

(p.56) Leûs sèpes sont d’ine grande valeûr;

20    sont dès bastons d’impèreûr.

Si dj’aveû dès s’-fêts bastons,

dj’ènnè f’reû dès patacons.

 

Il-ont tchâssî dès bonèts;

24   po 1′ fôrûre dji n’ sé çou qu’ c’èst :

i m’ sône qui c’èst dè rolèt,

d’ l’ourtèye ou dè triyolèt.

 

Si font-i 1′ sâbe à costé,

28   1′ foré d’èpèye gabriyolé,

l’ cou-d’-tchâsses fêt à la turqwèsse,

fôré d’ine pê d’ sâvadje bièsse.

 

Louke ci neûr, cisse crèspowe tièsse,

32 qui va d’hinde djus d’ine grosse bièsse !

I fêt çou qu’ lès-ôtes ont fêt :

i mèt’ sès parts â wastê.

Mins qu’èst-ce qui c’èst, cisse siteûle,

36    qui r’lût d’ lon come on clér veûle ?

Et poqwè loukèt-i tant

tot d’mandant après l’èfant ?

 

Est-ce là li bê Diè qui-èst né ?

40    I l’ fât bin, on l’a tchanté;

èt lès-andjes di Paradis ont dit

âs bièrdjîs : « Vo-le-ci ! »

 

  1. sèpe, sceptre. — 21. … de tels bâtons. — 22. j’en ferais des sous; patacon (arch.), patagon, ancien écu de Liège.
  2. tchâssî, coiffé. — 24. fôrûre, fourrure (ord* en doublure). — 25-26. L’éditeur de 1938, contrairement à celui de 1920, croit qu’il s’agit de « trois noms de plantes : rolette (bette), ortie, triolet (trèfle) ». En tenant compte du v. 23, on s’attendrait plutôt à des noms de fourrure; rolet est en tous cas attesté comme nom de tissu (cfr L. Remacle, Notaires de Malmedy, Spa et Verviers, 1977, p. 219).

27-30. Et ils vous ont le sabre au côté, / le fourreau d’épée bariolé (= damasquiné), / le haut-de-chausses fait à la turque, / fourré d’une peau de bête sauvage. Le v. 28 est boiteux.

  1. crèspowe, crépue. — 34. il met ses parts au gâteau. 36. … comme un verre brillant.

 

(p.57) Djans’ vèyî on pô pus près !

44   Tê-s’, Houbièt, lê là t’ huflèt !

Hoûte on pô çou qu’on dit là !

I m’ sône qu’on crèye : « Quî va là ? »

 

Non fêt, ci sont dès mèstrés

48 èt dès basses qu’on fêt djouwer :

asseûrémint qu’ c’èst 1′ bon Diè,

qui sès vârlèts l’ rècrèyèt.

 

« Monseû, fez-me on pô dè 1′ plèce

52    afin qu’ dji veûsse tote li fièsse !

Rècoulez-on pô pus drî

po m’ lèyî à mi-âhe loukî ! »

 

Èy, bon Die, qu’èst-ce cist-ârdjint

56    qui dinèt ces bonès djins

èt qui vout dîre cist-ècinse

qui foume là è vosse prézince ?

 

Qui vout dîre cisse salêye drogue

60    qui dinèt cès-astrologues ?

Dji creû por mi qu’i s’ roûvièt

ou qu’is n’ savèt çou qu’i fêt.

I m’ sône portant qu’i fêt bin

64   di fé là ces treûs présints

èt, si n’s-èstins ritches come zèls,

vos-ârîz ‘ne mohon pus bèle.

Ni veûs-s’ nin, k’pére, cist-èfant,

68   come il èst crâs èt roselant ?

 

43-44. Allons voir un peu plus près ! / Tais-toi, Hubert, laisse là ton sifflet !

  1. mèstré, ménétrier; désigne ici par synecdoque, comme en d’autres noëls, l’instrument dont se sert le ménétrier. — 50. que ses valets (le) récréent.

53-54. Reculez un peu plus (derrière) / pour me laisser regarder à mon aise.

  1. ècinse, encens.
  2. … cette drogue salée. — 61 … qu’ils s’oublient (sens scatologique ?).
  3. èstins, forme ancienne pour èstîs, étions. — 66. mohon, arch. pour mohone, maison.
  4. k’pére, compère. — 68. … gras et vermeil. — 69. hatrê, cou.

 

(p.58 ) Louke sès-oûys, s’ boke

èt s’ hatrê on l’ noûrih â bon lècê !

 

Li cisse qui lî done li tète

72   n’èst ni frèsêye ni rossète !

C’èst l’ pucèle mére tot d’on côp :

on n’ sâreût l’admirer s’ sô.

Qui fêt là ci bê bouname

76    qu’èst-assis so on p’tit hame ?

N’èst-ce nin Djôzèf li tchèpetî,

li pére di Dièw mâ moussî ?

 

Hâstez-v’ vite, Mèssieûs lès Roys :

80   dinez-li po dès scarmoyes,

po dès fahes èt dès lignerês

èt ine cote di pê d’ognê !

Dinez-li d’ l’ôr èt d’ l’ârdjint

84   po l’ rik’nohe vosse sovèrin,

di l’ècinse po l’adôrer,

ca c’èst l’ Dièw qui f’ a crèyé.

C’èst-in-ome qui deût mori,

88 èt après, èsse èssèveli :

dinez-li po si-ètéremint

dè l’ mîre qu’èst-è vosse bassin.

Hoûtez bin çou qu’ l’andje vis dit :

92   ralez dreût è vosse payis.

Érôde vout touwer l’èfant :

distournez-ve tot ‘nnè ralant.

 

  1. n’est ni grêlée ni rousse. — 74. s’ sô, son soûl.
  2. bouname, bonhomme. — 76. hame, escabeau. — 77. tchèpetî, charpentier.
  3. scarmoye, sorte de petit gâteau. — 81. fahes, maillots; lignerês, langes. — 82. et une cotte de peau d’agneau.
  4. … qui vous a créés.
  5. Le sens est : retournez par un chemin détourné. Allusion au texte de l’Evangile : « Ayant été avertis en songe de ne point retourner vers Hérode, ils Des Mages] rega­gnèrent leur pays par un autre chemin. » (Matth., 2, 12).

 

(p.59) Binamé pitit poupâ,

 96   bènihez là-hôt lâvâ !

Fez-nos 1′ grâce di nos sâver

po tote ine étèrnité.

 

Aug. doutrepont, Un noël inédit, dans La Vie wallonne, I, 1920, pp. 176-180; repr. dans l’édit. M. Delbouille, pp. 173-178. Nous suivons la copie Grumselle, xvm” siècle (ms 1478 de l’Univ. de Liège). — Inventaire, n° 383.

 

  1. poupâ, poupon. — 96. bénissez là-haut là-bas.

 

(p.60)

SIMON de HARLEZ

(1716-1781)

 

Né à Liège, mort dans son château de Deulin, en Condroz, seigneur de Fronville, Deulin, Montville, Noiseux et Rabosée, chanoine tréfoncier de la cathédrale de Liège, prévôt de la collégiale Saint-Denis, conseiller du prince-évêque Charles d’Oultremont, Simon de Harlex fut aussi l’un des artisans de la vie musicale et littéraire dans la capitale liégeoise au xvnr8 siècle. C’est autour de lui notamment que se forma le petit groupe de notables et d’aristocrates qui écrivit le livret des quatre opéras connus sous le nom de « Théâtre liégeois » (*).

Le premier de ces opéras « burlesques » est resté le plus célèbre. Dû à la collaboration de quatre auteurs : Simon de Harlez, Jacques-Joseph Fabry, Pierre-Grégoire de Vivario et Pierre-Robert de Cartier de Marcienne, Li voyèdje di Tchôfontinne (Le voyage de Chaudfontaine) fut joué en 1757. De la même année datent Li Lîdjwès ègadjî (Le Liégeois enrôlé) et Li fièsse di Hoûte-s’i-ploût (La fête d’Ecoute-s’il-pleut) que signèrent respectivement Fabry et Vivario; enfin, Simon de Harlez mit le point d’orgue avec Lès-ipocondes (Les hypocondres) au début de 1758.

La partition de ces œuvres était de l’excellent compositeur Jean-Noël Hamal, maître de chapelle à la cathédrale; à son retour de Rome et de Naples, celui-ci avait développé à Liège le goût de la musique italienne en même temps qu’il faisait connaître à ses amis les ressources de l’opéra buffa napolitain.

Destinés aux concerts de Hamal (la tradition en remontait à 1738) plutôt qu’à la scène proprement dite, les opéras comiques de 1757-1758 illustrent des types pittoresques dans le langage populaire du cru. Par là, leur texte s’apparente au genre poissard que, vers le même temps, Vadé imposait à Paris.

Ceci est vrai surtout des trois premières pièces. Le cas des Ipocondes est un peu différent. Par son décor et ses personnages, cette peinture amusante de la clientèle des eaux de Spa révèle des prolongements qui s’inscrivent dans la satire des mœurs contemporaines : misanthropie des désœuvrés, vogue de la thérapeutique médicale du mouvement, danses à la mode, engouement pour la musique italienne. Ces motifs dessinent leurs entrelacs au travers d’une intrigue amoureuse qui n’est que le support d’un divertissement spirituel, encore qu’un peu artificiel en wallon.

On doit aussi à Simon de Harlez, entre autres pièces de circonstance, trois cantates, mises également en musique par Jean-Noël Hamal, pour célébrer l’élection (1763) puis la confirmation (1764) de Charles d’Oultremont à la tête de la principauté de Liège (Inventaire, nos 26, 46 et 47; voir aussi nos 162 et 254). On y retrouve l’aisance et la virtuosité rythmique d’un librettiste à qui les secrets de l’art musical n’étaient point demeurés étrangers.

  1. C) La dernière édition publiée sous ce titre est celle de bailleux et capitaine en 1854.

 

(p.61) 18                                                                                                [Liège]

 

[Deux vilains sorts : la maladie et l’amour]

 

La scène est entre Mèsbrudjî, li pus fèl dès hypocondes et Houlpê, galant de Melle Tchâtchoûle.

 

Mèsbrudjî

Dji so tot plin di lê-m’-è-pâye !

O ! po ç’ côp-là, c’èst todi pés;

dji creû qui dji n’ mi rârè mây,

4   tos lès djoûs, dji d’vin pus fayé.

îr, dji n’a bu ni vin, ni bîre,

dj’a magnî tos saqwès d’ lèdjîr,

nole sipécerèye, rin d’ mâ-hêtî;

8    dj’a bin trimpé, dj’a bin k’dâssî;

dj’a pris treûs gotes di mi-élicsîr;

dj’a-t-awou sogne di n’ nin m’assîr

po bin lèyî d’hinde l’amagnî :

12   qui f’reût-on pus po èsse hêtî ?

On m’a dit min.me qui dji m’ pwèrtéve

ossi bin qu’â monde i s’ poléve.

Mês, mâgré totes mès précaucions,

16   volà qui dj’ fê-t-èco dès bâyes…

Binamé Dièw ! ni sèrè-dje mây

qwite di mès-indijèstions ?

 

Oyez-ve li vicârèye

20 qui s’ fêt d’vins mes boyês ?

On dîreût on boulèt âs bèyes

qu’on fasse rôler d’vins on tonê.

 

Mèsbrudjî, éclopé, mutilé; li pus fèl, le plus fameux; Houlpê, malingre, caduc; Tchâtchoûle, pleurnicheuse (nom de fantaisie à partir de tchoûler, pleurer).

 

  1. … plein de « laisse-moi-en-paix », c.-à-d. d’humeur chagrine. — 3. que je ne me remet­trai (litt1 : raurai) jamais. — 4. fayé, indisposé, mal en point. —• 6. … toutes choses légères. — 7. s(i)péc(e)rèye, épice; mâhêtî, malsain. — 8. k(i)dâssî, mâcher avec effort. — 10-11. La recommandation de marcher, de se promener était faite à ceux qui prenaient les eaux par de nombreux médecins, tel le docteur Jean-Philippe de Limbourg, l’auteur des Nouveaux amusements des eaux de Spa (1763). Sur l’ensemble de la question, voir l’article de Marcel Florkin, Simon de Hurlez, Molière des eaux de Spa (Revue médicale de Liège, t. VIII, 1953, pp. 152 ss.). — 16. baye, bâillement. — 19. Il vicârèye, comparer en fr. le remue-ménage (à propos des gargouillements de l’intestin). L’exagération bouf­fonne de ce que ressent M. est le fait d’un malade imaginaire. — 21. boulèt âs bèyes, boule de jeu de quilles. —

 

(p.62) Qui di-dje ? dji l’a-t-è cwér !

Çoula ni s’ pout ôtemint.

Si ç’ n’èsteût nin on s’-fêt acsidint,

mi vinte ni hoûlereût nin si fwért !

 

Houlpê

A ! Mèsbrudjî, ni v’ plindez nin !

28   Lèyîz-me pârler, vos n’avez rin.

Dj’a bin ine ôte afêre â brès’ :

c’èst l’amor ou 1′ mwért qui m’ kitchèsse !

 

Mèsbrudjî

Binamé Houlpê, tant pés vât :

32   vos-avez là deûs vilins mâs.

 

Houlpê

Awè, qwand vos sârez mi-istwére,

vos-ârez pîtié di m’ pôve cwér.

Vos k’nohez mès vîs-acsidints ?

36    Oûy, tos cès-là ni m’ fèt pus rin,

mi-minme câzî, dji lès roûvèye :

i n’ mi d’meûre qu’ine mélancolèye

qui m’ sût è carotche come à dj’vâ…

40    On djoû don, porminant mès mâs

po m’ distriyî, come c’èst m’ métôde,

dji m’ hièrtchîve d’ine mohon à l’ôte.

Nâhi d’ mi-min.me, fwért anoyeûs,

44   dji tûzéve tot loukant è feû.

Ine djon.ne fèye, bèle come li pinsêye,

tûzéve come mi è l’ôte coulêye…

Mi, djèl loukîve di tins-in tins

48    èt sès-oûys rèspondint à d’mèy;

dji lî parole di m’ maladèye,

 

  1. hoûler (onom.), mugir, gronder. — 31. Litt. : tant pis vaut. — 38. mélancolèye : la forme liégeoise est mirâcolèye. — 39. carotche, carrosse. A rapprocher du vers de Boileau « Le chagrin monte en croupe et galope avec lui ». — 41. si distriyî, se distraire. — 42. je me tramais d’une maison à l’autre. Le sens est : je me trouvais tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre. — 43. nâhl, fatigué, lassé. — 46. coulêye, coin du feu. — 59. fûrè, fuira. — 60-62. … un rêveur / quelque peu qu’il aide à se laisser prendre / peut s’enflammer même plus vite qu’un autre. —

 

(p.63) èle hoûte, èle sospére, èle mi plint :

dji n’ sé si c’èsteût simpatèye,

52   èlle èsteût come mi djustumint,

èt nos nos plindins à l’ pus fwért.

Infin, çou qui mây on n’ creûreût,

tot djâzant d’ maladèye, di mwért,

56 nos nos prindins d’amor tos deûs.

 

Mèsbrudjl

 ! dji n’ sâreû djamây vis plinde :

c’èst vosse fâte, poqwè nin v’ difinde ?

Quî n’ vout nin broûler fûrè 1′ feû.

60    On mélancolike, on tûzeû,

qui pô qui l’êde à s’ lèyî prinde,

min.me pus rade qu’in-ôte pout s’èsprinde.

 

L’amor ni pièd’ djamây sès dreûts :

64   on d’vint ossi bin amoureûs

divins 1′ tristèsse come divins 1′ djôye.

Qwand ine djon.ne fèye plint on djon.nê,

ci p’tit macrê, qu’è-st-âs-aguêts,

68 a dèdjà fêt l’ mitan dè 1′ vôye.

 

Houlpê

Çoula n’èst qu’ trop vrêy, djèl sé bin :

mês qu’ârîz-ve fêt vos-min.me è m’ plèce?

Di lon, on rêsone âhèyemint…

72   Atot vos-êrs indifèrints,

i v’s-ènnè pind ot’tant so l’ tièsse.

Nèni, ni pinsez nin qu’ avou tos vos mèhins,

76   l’amor todi vis lêsse è paye.

 

  1. ce petit sorcier, qui est aux aguets. — 71. âhèy’mint, facilement. — 72. atot (arch.), avec; remplacé auj. par avou. — 75. mèhins, incommodités, maux légers. — 82. malgré qu’on en ait, malgré soi.

 

(p.64) Dj’âreû djuré come vos

qui, malâde come dji so,

dji n’in.mereû mây.

80 On-z-a bê fé,

i fât-in.mer,

mâgré qu’on ‘nn’ âye.

 

Les Ypoconte, opéra burless … acte I, se. 2, Liège, S. Bour­guignon, s.d.  [1758], pp. 4-7. — Inventaire, n° 364.

 

19

[Quelle danse préférez-vous ?]

 

La scène est entre Mèsbrudjî (voir extrait précédent) et Habadja, jeune femme qui a résolu de se moquer des hypocondres.

 

Mèsbrudjî

I fât bin qui dj’ cwîre kipagnèye

po prinde on r’méde qui m’ sâverè l’ vèye.

Dji n’ saveû wére tos mès mèhins,

6 dji vin apreume di lès-aprinde.

On m’ troûve dî croufes divins lès rins,

qui m’ passèt po tot-oute dè vinte

èt qui l’ tinglèt à m’ trawer l’ pê.

8 Dji sintéve bin, qwand dji hèmeléve,

ine cwède di batê qui m’ bâréve;

dj’oyéve ossi d’vins mès boyês

li brut d’on boulèt ou d’ine pîre

12 qui m’ ridondéve djusqu’è cièrvê

come si c’èsteût tos côps d’ floyês :

mês quî-èst-ce qu’âreût mây wèzou dîre

qui c’èsteût on djeû d’ bèyes ètîr !

 

Habadia, t. de bouilleur et de briquetier (cfr DL), probablement de création fantaisiste, pour désigner un assemblage rudimentaire; ici appliqué plaisamment à un personnage féminin d’humeur loufoque.

 

1-2. … que je cherche compagnie, c.-à-d. un partenaire. Le remède singulier ordonné à M. est la danse (voy. v. 20). — 4. apreume, seulement maintenant. — 5. dî croufes, dix bosses. — 7. et qui le tendent au point de me trouer la peau. — 8. hèmeler, toussoter. — 9. une corde de bateau qui m’obstruait. — 12. ridondi, retentir. — 13. floyê, fléau (pour battre le blé). — 15. Le jeu de quilles (djeû d’ bèyes) est complet avec 9 quilles. M. renchérit dans la description de ses maux imaginaires (voir l’extrait précédent,

 

(p.65) Habadja

16   Volà çou qui s’ lome ine doleûr !

 

Mèsbrudjî

Djèl creû, mês dè mons, par boneûr,

dji k’noh li r’méde èt l’ maladèye.

 

Habadja

Et qu’èst-ce qui 1′ docteûr vis consèye ?

 

Mèsbrudjî

20   I m’a-t-ôrdoné dè danser…

Mês dj’a roûvî di lî d’mander

si c’èst l’ minwèt ou ine bourèye.

 

Habadja

Po l’acsidint qui vos-avez,

24   ci n’ pout djamây èsse

qu’ine inglwèse.

 

Mèsbrudjî

Kimint ! i m’ vout don fé crèver ?

Dj’âreû p’-tchî fé dès toûrs di fwèce !

Dji lome çoula

28 ine vrêye bagâre :

ot’tant djower âs poûris bâres !

Quéle danse est-ce là?

Qué gos’ bizâre !

32 On n’ fêt nou pas,

on coûrt, on s’ dâre;

 

  1. 19-26). — 20. A partir d’ici, la conversation est, sous forme déguisée, « une satire du traitement par la danse et la musique, cher à Le Drou [Démonstration de l’utilité des eaux minérales de Spa, 1733] et à Limbourg » (M. Florkin, loc. cit., p. 162). — 22. si c’est le menuet ou une bourrée (danse d’origine auvergnate). — 24. inglwèse, anglaise, « sorte de danse de caractère, très vive et exécutée par un homme seul » (Larousse ill.). — 26. Dj’âreû p’-tchî, je préférerais, litt. : j’aurais plus cher. — 29. autant jouer aux barres (tant il faut courir et se démener). — 33. on s’ dâre, on s’élance, ou bien : on se heurte. —

 

(p.66) i son.ne qu’on n’ qwîre qu’à s’ kibouyî.

Et zoup’ ! èt zoup’ !

36          todi potchî!

Et troup’ ! èt troup’ !

fé pèter 1′ pîd !

On n’ danse pus-oûy qu’à s’èstroupî.

40   Qwand dji veû çoula, i m’ son.ne vèy

ine hiède di d’godjèyes, di d’godjîs,

ine tchêve di sots qu’on-z-a d’lahîs,

qui vont â d’vant dè l’ plurizèye.

 

Habadja

44   Dj’ô bin : vos-èstez po 1′ vî tins;

li novèle môde ni v’s-ahâye nin.

Mês, sins v’ mâv’ler, vos polez dîre

qu’i v’ fât dès danses d’ine pus grâve tîre.

48    Qu’î fé ? Mutwè avez-ve rêzon…

Nos-ôtes, nos-èstans po l’ soterèye !

 ! qu’il èst bin pus bê dè vèy

hâspler dès brès’, fé l’ pas d’ susson

52   tot minant l’ passe-pî ou l’ brètagne,

fignoler so « l’aimable vainqueur »,

frîzer li dj’vèye, fé 1′ « jolicœur »

po bin èhiyonder s’ compagne.

56    Qu’on m’ parole dès folèyes d’Espagne !

Volà, volà ine danse d’oneûr.

Qu’ènnè pinsez-ve ? N’è-st-i nin vrêye ?

 

  1. kibouyî, rudoyer, bousculer. — 41. d(i)godjî, -èye, frénétique, qui se livre à un entrain démesuré. — 42. tchêve, cage d’osier servant au transport de la volaille; ici au fig. : une cage de fous qu’on a lâchés. — 43. plurisèye, pleurésie. — 44. J’entends bien, c.-à-d. je vois bien. — 47. … des danses d’un maintien plus grave. — 49. Le sens est : quant à nous, nous préférons le genre gai, un peu fou. — 51. gesticuler des bras, faire le pas de Sissonne : sorte de pas, appelé ainsi du nom de son inventeur et qui * s’exécute en pliant la jambe gauche, ouvrant la droite et croisant celle-ci devant la gauche à la troisième position » (Larousse 01.). — 52. passe-pî, passe-pied, danse gra­cieuse et vive, importée de Bretagne à Paris (xviie siècle) où elle fit fortune; brètagne, ancienne danse française, d’allure noble. — 53. « L’aimable vainqueur » était un air célèbre de l’opéra de Campra : Hésione (1700). — 54. friser la cheville (chorégr.), effleurer d’un mouvement léger la cheville du pied qui repose sur le sol. — 56. … des folies d’Espagne : il s’agit d’une danse espagnole exécutée sur un air à 3 temps; c’est à cause de son mouvement animé qu’elle plaît à Habadja. — 55. èhiyonder (de hiyon, secousse), donner l’élan (pour la danse); compagne, empr. fr. au lieu de kipagnèye. — 59. tot-à-pont, tout à point, à propos. —

 

(p.67) Mèsbrudjî

Awè, èle vât mîs tot-à-pont,

60   po l’ cwér, po l’ âme èt po l’ rêzon

qui totes cès pôvès-atèlêyes,

qui tos cès k’twèrdous cramiyons

où-ce qu’on s’ kimèle onk avâ l’ ôte

64   qui vos loumez « danse à la môde ».

 

Habadja

A v’s-oyî pârler, dji comprind

qui vosse tièsse è-st-on pô k’mèlêye.

Ine doûce musike vis f’reût dè bin,

68 c’è-st-on « spécifique anodin »

po r’freûdi vosse bîle èstchâfêye…

Dj’a fêt v’ni cial tot djustumint

dès tchanterês, tote sôre d’instrumints.

72   Nos loukerans di v’ mète à l’ cadince,

dji m’ va d’ner l’ ton âs musicyins.

Hay ! qu’ on m’ rèsponde ! c’èst mi qui k’mince.

 

Ibtd.,  acte II, se.  6, même édition,  pp. 28-31.

 

61-62. que toutes ces misérables cohues / que toutes ces farandoles enchevêtrées. Sur cramyon, forme primitive de cramignon, cfr supra n° 10, v. 78. — 68. « un spécifique » (xvne-xvm* s.) c.-à-d. un remède spécifique, approprié à telle maladie. — 71. tchanterê, chanteur, choriste.

 

(p.68)

JEAN-JOSEPH HANSON

(1739-179?)

 

Ce Liégeois peu connu a fait une double carrière : dans les arts plastiques et dans la poésie dialectale. Nommé en 1776 aux fonctions de peintre héral­dique de la cité de Liège et de la cathédrale Saint-Lambert, il a surtout œuvré comme paysagiste dans le dessin et la gravure; en même temps, il s’adonnait, en adepte d’un burlesque quelque peu démodé, à la transposition de La Henriade travestie de Fougeret de Monbron et des Lusiades de Camoëns. Ouvrages de longue haleine, restés manuscrits et, le second, ina­chevé. Les extraits qu’on en a publiés récemment (*) retiennent la curiosité plus que l’admiration.

Hanson fait preuve d’une inspiration mieux soutenue dans une chanson dialoguée, probablement inédite, que lui attribuent Ch.-N. Simonon et Fr. Bailleax. Composée pour célébrer l’élection de Velbruck comme prince-évêque de Liège (1772), elle réussit à faire passer l’éloge de circonstance par le truchement d’une petite scène populaire où deux époux se donnent alertement la réplique.

 

20                                                                                                     [Liège]

Pasquèye so l’êr dè l’ « Boterèsse di Montegnêye »

 

« D’où vins-se ? èst-ce li diâle qui [t’] kirôle ?

Volà treûs djoûs qui t’ès èvôye !

Ti t’ mokes bin dès bièsses èt dès djins

4   qwand t’ès-st-ine fèye mètou è trin,

ca ti n’as nole sogne dè manèdje,

tot l’ monde èl sét bin dîre è viyèdje.

Ti f’reûs mîs dè d’morer è t’ mohon,

8  ca Lîdje, c’a stu ti pèrdicion.

 

PASQUILLE SUR L’AIR DE LA « BOTTERESSE DE MONTEGNEE »

  1. k(i)rôler, faire rouler en tous sens, agiter. — 5. sogne, ici au sens premier de : soin, souci. — 6. La synérèse de viyèdje (= vyèdje) permet de respecter la mesure du vers. — 7. Tu ferais mieux de rester dans ta maison. Le vers compte un pied de trop; on pourrait rectifier : t’ f’reûs mîs…

 

(1) Voir Maurice piron, Jean-Joseph Hanson, peintre, graveur et poète liégeois, dans le Bulletin de la Société des bibliophiles liégeois, t. XXI, Liège, 1976.

 

(p.69) — Ho ! tês’-tu, feume, ni d’vise nin tant !

Brês vîvât avou tès-èfants.

Dji creû, si t’eûhes situ è m’ plèce,

12   qui ti t’eûhes moké dè manèdje;

li djôye t’eûhe fêt beûre tot come mi

dè savu 1′ prince qu’on a tchûzi,

ca si l’ârdjint m’eûhe mây mâké,

16    dj’eûhe vindou m’ cou-d’-tchâsses po ‘nnè fé.

 

Ho ! ti n’as mây vèyou téle djôye

qu’i n-y-a d’vins [Lîdje], avâ lès vôyes,

tot l’ monde brêt vîvât tot costé.

20    Ho ! nos-avans nosse binamé,

qui Dièw èl rinde è paradis

âs trèfoncîrs qui l’ont tchûzi.

I nos faléve on prince diner

24 ou nos-eûhîs tos stu bruber.

 

Tot l’ monde brêt, totes lès clokes sonèt.

Lès trompètes, tabeûrs èt hâbwès,

ci n’èst [qu’] vîvât d’vins tot leû son,

28    on n’ s’ôt nin pârler po l’ canon.

Lès taviènes sont si plintes di djins

qu’on n’a nin à beûre po si-ârdjint.

Qwâtes èt hènas, tot sâte è l’êr,

32   dji n’a mây vèyou télé afêre.

 

Qwand on a fêt l’ prince d’Outrèmont,

on vèyéve bin d’ôtes carilions.

C’èsteût come Tchirous èt Grignous,

36 on s’eûhe câzî hagnî è cou,

 

  1. cou-d’-tchâsses, haut-de-chausses.
  2. Dièw, arch. pour Diu. — 22. trèfoncîr, chanoine tréfoncier. — 23-24. Il fallait nous donner un prince / ou nous eussions tous été mendier (c.-à-d. réduits à la misère).

26-28. Les trompettes, les tambours, les hautbois, / ce n’est que « vivat » dans toute leur musique, / on ne s’entend pas parler à cause du canon. — 31. qwâte (arch.), quarte (de vin, de bière), anc. unité de mesure valant un peu plus de 1,25 litre; hèna, petit verre (d’alcool); sâte, saute.

  1. fêt, élu. Allusion à l’élection contestée du prince Charles d’Oultremont (1763), pré­décesseur de Velbruck. — 35. Tchirous et Grignous, Chiroux et Grignoux, factions tradi­tionnellement ennemies de la politique liégeoise. — 36. … mordu dans le derrière. —

 

(p.70) on s’ kibatéve po tot costé

di fwèce qu’on èsteût animé,

li djôye èsteût mèlêye d’arèdje

40 qu’on vèyéve lûre so lès visèdjes.

 

Po ci-cial, i n’ va nin insi,

ca tot l’ monde èst dè min.me pârti,

on s’ divèrtike corne tos frés

44    et si nom [n’est] nin disputé.

Il èst si in.mé dès Lîdjwès

qu’i ‘nnè f’rè tot çou qu’i vwèrè;

i n-y-a nouk qui n’ lî risk’reût s’ vèye

48   â fisik tot come à l’èpèye.

 

— Dji creû qu’ t’ès sô ou bin qu’ t’ès sot,

ca ti n’ m’ as nin co loumé s’ no.

Ti n’ dis nin s’ c’èst-on trèfoncîr

52   ou bin si c’èst-in-ètrindjîr.

Dji vou Fèlbrouck ou dji [n’] vou nouk,

si c’èst-in-ôte, passe vite à l’ouk.

Por lu, dji [n’] rigrète nin l’ manôye

56   qui t’as dispârdou so tes vôyes.

 

– Feume, ti sohêt èst-acompli,

c’èst lu qu’èst prince di nosse payis.

C’èst-in-ome qu’a bin trop d’ mèrite,

60   il èst-inmé di tot [l’] chapite,

dès bordjeûs tot come dè l’ nôblèsse;

lès p’tits, lès grands, tot lî fêt fièsse,

feumes èt èfants qui sont-à l’ouk

64   brèyèt tirtos vîvât Fèlbrouck.

 

  1. k(i)bate, intensif de bate, battre. — 39. arèdje, rage, fureur.
  2. Le vers ne compte que 7 syllabes. On notera divèrtike pour divèrtihe et plus loin ouk (: nouk) pour ouh, bènike pour bènihe. Il s’agit d’un trait faubourien liégeois qui existait encore au xix” siècle dans le quartier populaire d’Outre-Meuse.
  3. qu’il en fera (des Liégeois) tout ce qu’il voudra. — 47. il n’y a personne qui ne risquerait sa vie pour lui (litt* : qui ne lui risquerait…).
  4. … nommé son nom. — 54. … passe vite à la porte, sors d’ici; ouk, cfr supra note du v. 43. — 55. manôye, monnaie, argent. — 56. dispâde, répandre, dissiper.
  5. … qui sont au-dehors (cfr note du v. 43). — 66. dispinsé (t. rural), dépendance d’une habitation. —

 

(p.71) —  S’il èst vrêy qui c’èst lu qu’èst prince,

dihombe-tu vite, va è l’ dispinse

èt hape ine botèye di brand’vin,

68    ca m’ fât d’vèrti avou mès djins.

Va houke bin vite mi soûr Marèye,

mi cuzin Djâke èt totes sès fèyes :

dj’a èvèye dè fé on soper

72   po fé oneûr à ç’ binamé.

—  Tot ‘nn’ alant, djèl dîrè â curé

afin qu’i fasse vite triboler.

C’èst-ine corwêye po nosse mârlî,

76    mès dji creû bin qu’i l’ f’rè vol’tî,

èt si dj’ veû qu’i n’ seûye nin contint,

dji lî vou payî di mi-ârdjint,

ca dji n’ vou, ma fwè ! rin mèskeûre

80   po fé oneûr à ç’ grand sègneûr.

 

Ça, dj’a èvèye d’ fé on feû d’ djôye

cial è nosse coûr ou bin è l’ vôye;

dj’a dès tchèrètes èt dès vîs bwès

84    qui n’ valèt rin po fé ôte tchwè.

[Si n-y-a-t-i co dès-ôtes qu’èl front]

èt qui broûleront tote leû mohon.

Fèlbrouck èst-inmé è payis,

88   n’a nouk qui n’ vwèreût fé [di] s’ mî.

 

—  Matî, fês oûy [tot] çou qu’ ti vous

ca dji [t’] lê mêsse po âdjourdou.

Broûle tès tchèrètes èt tès hèrnas,

92   totes tès wéres èt tès canetias.

 

  1. et attrape une bouteille de brandevin (eau-de-vie de vin).
  2. triboler, carillonner. — 75. mârlî, marguiller. — 79. mèskeûre, ici : lésiner sur la dépense.
  3. Le mauvais état du manuscrit rend la lecture du vers incertaine. — 86. Compte tenu du contexte, il faut comprendre : d’autres, tellement leur joie est grande, seraient égale­ment capables de brûler leur ménage.
  4. Brûle tes charrettes et tes attirails (de charroi). — 92. wére, chevron, pièce de bois. La lecture du mot n’est pas sûre; can’tias, objets divers (fam. ou péjor.). — 93. quant à moi… —

 

(p.72) Tant qu’à mi, divins l’ djôye

qui dj’ so, dji broûlereû cotrê èt sabots,

po Fèlbrouck, i n-y-a rin qu’ dji n’ freû,

96   dji spîyereû mès hièles èt crameûs.

 

Ça, mès-èfants, priyîz l’ bon Dièw

afin qu’i lî done ine longue vèye

« et qu’il le conserve en santé »,

100 ca nos-avans on binamé.

Qui Dièw bènike tôt li chapite

qu’ont avou fêt on prince di mèrite,

qui Dièw li vôye ricompinser :

104 nos t’nans Fèlbrouck, nosse binamé !

 

Manuscrit  xvni*  siècle.  —  Inventaire,  n°   171.

 

  1. cotrê (arch.), jupe, jupon. — 96. je briserais ma vaisselle (litt. : mes écuelles) et mes crameûs, c.-à-d. les terrines où l’on met le lait à crémer.
  2. bènike, pour bènihe, bénisse : cfr note du v. 43. — 102. Le vers compte un pied de trop. Faisons remarquer une fois pour toutes que le caractère oral de nos anciennes pièces, surtout des chansons, explique que la mesure du vers, parfois, n’en est pas à une syllabe près et que l’assonance remplace à l’occasion la rime.

 

 

(p.73) ABBE GRISAR

(mort en 1796)

 

Les renseignements que l’on possède sur l’abbé Nicolas-Joseph Grisar font de lui un professeur de Seconde au Collège Royal de Namur entre 1777 et 1782, puis le curé de la paroisse Saint-Nicolas, de 1785 à 1795. Son passage dans l’enseignement lui avait valu quelques mesures disciplinaires, dues à son caractère et à sa conduite. Il mourra curé d’une petite paroisse rurale.

Est-ce pendant les dix années de son pastoral dans le quartier le plus pauvre de Namur qu’il composa les quelques chansons wallonnes qu’on lui attribue sur la foi de Jérôme Pimpurniaux, alias l’historien Adolphe Borgnet ? Celui-ci le qualifie de Béranger populaire de la Révolution brabançonne : jugement déplacé s’agissant de la plume réactionnaire de l’abbé Grisar. Celle-ci, fertile en allusions satiriques à l’endroit des autorités, vaut cepen­dant mieux, à tout prendre, que le talent par trop fruste du Sergent Benoît (1707-1784), l’auteur des Houzards et son prédécesseur dans la chanson namuroise.

 

21                                                                                                  [Namur]

Tchanson namurwèse

(Air : La jolie meunière)

 

Qwè ? v’là dèdjà nos volontêres ?

 Jèsus’ mâtêr ! Qwand is-èstin.n-t-à l’ pôrcèssion,

4 on- aureûve dit tos p’tits liyons.

 

CHANSON NAMUROISE. — Les volontaires moqués par l’abbé Grisar n’ont rien à voir avec le détachement de volontaires namurois aux uniformes jaunes qui s’illustrèrent sous le nom de Canaris dans l’armée des Patriotes rassemblée par les chefs de la Révolution brabançonne contre les Autrichiens. Les circonstances qui inspirèrent notre chanson, datée de septembre 1790, sont rappelées comme suit par Félix Rousseau : « En été 1790, les affaires militaires allaient mal. Les Autrichiens, concentrés sur la rive droite de la Meuse, menaçaient de franchir le fleuve. On décréta, dans toutes les provinces, une levée en masse de volontaires. Ceux-ci furent passés en revue à Bouvignes par Henri Van der Noot lui-même. Mais, peu exercés, mal commandés, nullement aguerris, ils lâchèrent pied au premier coup de canon. Il fallut les renvoyer dans leurs foyers. Ce furent les volontaires de Namur, ayant fait partie de cette dernière levée, qui exercèrent la verve de l’abbé Grisar » (Propos d’un archiviste sur l’histoire de la littérature dialectale à Namur, Namur, 1964, pp. 37-38).

 

1 Cette exclamation latine, variante parodique de l’invocation Jésus-Marie, ponctue avec ironie chaque couplet. — 3. Jusqu’à une époque encore récente, des détachements en armes formaient la garde d’honneur de certaines processions. —

 

(p.74) Mês qwand c’èst-à 1′ guère,

â Jèsus’ mâtêr !

En lès vèyant, nos volontêres,

â Jèsus’ mâtêr !

en lès vèyant tortos roter,

i chonèt qu’is v’lin.n tot touwer.

Mès qwand c’èst-à l’ guêre,

12          â Jèsus’ mâtêr !

 

Ah vrêymint, lès pôves volontêres,

â Jèsus’ mâtêr !

lès pôvès djins n’ont nin dwarmu,

16    ont pô mougnî et wêre bèvu

po-z-aler à 1′ guère,

â Jèsus’ mâtêr !

 

Mes pôvès djins, lèyîz-là l’ guère !

20          â Jèsus’ mâtêr !

V’là l’ pleuve, qui vos va tot frèchi.

V’s-alez gâter vos bias-abits

èt vos croter d’ têre,

24          â Jèsus’ mâtêr !

 

En vèrité, Monsieû Feyder,

â Jèsus’ mâtêr !

r’toûrnans turtos dins nos maujons !

28   Nos f’rans bin pus à 1′ pôrcèssion

è d’jant nos pâtêrs,

â Jèsus’ mâtêr !

 

Manuscrit (copie) XIXIe siècle. Edition par Tito zanardelu dans Langues et Dialectes, t. 1, Bruxelles, 1891, pp. 52-53. — Inventaire, n° 97.

 

  1. La phrase s’inter­rompt (de même au v. 11) pour sous-entendre malicieusement : c’est une autre affaire ! 10. Il semblait qu’ils voulaient tout massacrer. — 16. ont peu mangé et guère bu.
  2. pleuve, pluie; frèchi, mouiller.
  3. Le colonel Feyder était le chef peu glorieux de cette phalange improvisée.

 

 

(p.75) MARIAN DE SAINT-ANTOINE

(1726-1801)

 

Né et mort à Liège, Lambert Thomas fit sa profession religieuse en 1745 chez les Carmes déchaussés où il prit le nom de Marian de Saint-Antoine. De 1748 à 1781, il fut successivement professeur de philosophie, professeur de théologie et prieur du noviciat établi à Visé. C’est âs Cârmulins de Liège, en Hors-Château, que l’atteignirent les lois républicaines de 1796 qui sup­primaient les ordres religieux. Sécularisé, il exerça les fonctions d’aumônier chez les Ursulines, dont le couvent avait été maintenu comme établissement d’enseignement public.

En 1799, le P. Marian avait publié un pamphlet de 496 vers wallons qui, sous le titre d’Apolodjèye dès priyèsses qu’ont fait l’ sèrmint (Apologie des prêtres assermentés), argumente contre les ecclésiastiques qui exerçaient leur ministère clandestinement pour avoir refusé de prêter le serment républicain prescrit par la loi du 19 fructidor an V (5 septembre 1797). Intervenant avec vigueur dans une polémique qui divisait le clergé de nos provinces, cette œuvre est surtout curieuse par le ralliement qu’elle prêche au pouvoir établi, alors que son auteur, quatre ans plut tôt, s’était signalé comme farouche antirévolutionnaire (il est vrai que, dans l’intervalle, les idées avaient changé, et que Liège était réunie à la France).

C’est dans la seconde moitié de 1795 ou au début de 1796 que fut achevée la longue « pasquèye » où le Père Marian met dans la bouche d’un portefaix, Dj’han Sâpîre le bien nommé, un violent réquisitoire sur les calamités de la Révolution liégeoise. Prenant à partie les patriotes et leurs chefs, cette pièce est traversée d’un bout à l’autre par un souffle d’éloquence vengeresse qui ne s’apaise que pour tracer le sombre tableau des malheurs d’une ville livrée au désordre, à l’arbitraire, à la famine. Peu soucieux de chronologie, le P. Marian expose des faits qui couvrent aussi bien les débuts de la révolution, en août 1789, que les actes de vandalisme qui accompagnèrent la fin de l’indépendance liégeoise.

Des fragments avaient paru à l’époque (*), mais il restait à faire connaître l’ensemble, demeuré inédit, d’un chef-d’œuvre de la satire politique qui repré­sente le dernier éclat de la littérature d’action en wallon.

 

 

(1) Voir à ce sujet notre étude Un poète pamphlétaire liégeois à l’époque de la Révolution : le père Marian de Saint-Antoine dans l’Annuaire d’histoire liégeoise, II, Liège, 1940, pp. 360 et ss.

 

22                                                                                                         [Liège]

Pasquèye di Dj’han Sâpîre, pwèrteû â sètch

 

O ! vos loûrds mi-hés d’ pâtriyotes,

èstîz-ve è l’ fîve ou n’ vèyîz-ve gote,

sint Mèdâd v’s-aveût-i troublés

4    ou l’ diâle vis-aveût-i soflés,

qwand vos hoûtîz cès sî canayes,

qu’ont l’ cwér poûri djusqu’âs tripayes,

qui, po si r’ploumer, s’aritchi,

8    ont vindou èt rwiné l’ payis ?

Qui n’avîz-v’ turtos l’ gueûye colêye,

qwand vos brèyîz à l’ mâle djoûrnêye :

« Vive Tchèstrèt, Bassindje [èt] Fâbrî,

12   Lèvoz, Cologne èt Dj’han l’ Banselî ! »

Vos-ôhîz [bin] mîs fêt dè brêre

qui l’ diâle lès sètchahe èn-infiêr,

qu’avou ses grifes è trau d’ leû cou

16    i fihe moussî dè plonk fondou !

Lès pèlés m’-hés, avou leû paye,

qu’i loumèt d’ Fèhe èt qui l’ diâle âye,

 

PASQUILLE DE JEAN SERPILLERE, PORTEUR AU SAC

  1. L’auteur s’adresse aux « patriotes », nom qui désignait à l’époque et depuis 1789 les révolutionnaires, par opposition aux aristocrates. Mi-hé, euphémisme pour mi-vét, vêt (arch.) = vit, membre viril; oblitérée dans son sens premier, cette expression vulgaire, plusieurs fois reprise dans la pièce, y a valeur d’injure; pas plus que son actuel substitut m(i) coye (couille), elle n’est littéralement traduisible. — 2. fîve, fièvre. — 3. Pourquoi saint Médard ? — 4. ou bien le diable vous avait-il inspirés. — 5. Les six « canailles » sont nommées aux vers 11-12 et il y sera encore fait allusion au v. 100. — 7. Le reproche de chercher à s’enrichir a été plus d’une fois lancé aux chefs de la révolution liégeoise par leurs adversaires; cfr aussi vv. 23-24. — 9. Il faut comprendre : que n’aviez-vous de la chaux coulée dans vos gueules, ce qui sous-entend : la brûlure vous eût empêchés d’acclamer vos futurs chefs. — La « mauvaise journée » est celle du 18 août 1789. Cette date « joue dans la révolution liégeoise à peu près le même rôle que celle du 14 juillet dans la révolution française. Insurrection populaire de part et d’autre, mais, à Liège toutefois, sans la moindre effusion de sang » (P. Harsin, La révolution liégeoise de 1789, Bruxelles, 1954, p. 47). — 11-12. Le baron J.R. de Chestret et J.J. Fabry avaient été, au cours de cette journée, élus par acclamation bourgmestres-régents sur le perron de l’Hôtel de Ville, tandis que le marchand N.J. Levoz et G.J. de Cologne étaient proclamés co-régents. Le munitionnaire Jean Gosuin devenait mambour de la Cité : il est désigné ici par son sobriquet de Dj’han Y bans’fi (Jean le vannier) qui lui venait du métier de ses ancêtres. Quant à J.N. Basseuge, publiciste et polémiste, c’est le principal « penseur » de la révolution à Liège. — 16. (qu’)il fît entrer du plomb fondu. — 17-18. La paix (pâye) de Fexhe (1316), « notre contrat social » comme l’appelait Bassenge, formait à Liège la base de l’ordre public; objet de controverses depuis plusieurs années et reven­diquée par les patriotes, elle ne pouvait qu’inspirer la colère de notre auteur qui lui consacre les vers 17-26. —

 

(p.77) cisse pâye qui, dispôy deûs’ treûs-ans,

20   fêt sètchi lès p’tits et lès grands,

cisse pâye qui n’a ni cou ni tièsse,

qu’is n’ètindèt nin pus qu’ dès bièsses,

cisse pâye qui n’èst bone qu’à Fâbrî,

24 qui s’ vindje et qui s’ rimèt’ so pî,

cisse pâye qui dji lome on tchinis’,

di chagrin m’a fêt v’ni l’ djènisse !

 

I promètît, lès mâ-sêves tchins,

28    qui tot-à-fêt sèreût po rin,

qu’on r’nakereût so tchâpin.nes èt ros’,

qu’on [n’] magnereût pus qu’ dè souke à l’ loce,

qu’on mètreût djus tos lès-impôts,

32    qu’on sèreût qwite di s’ casser 1′ cô,

qui ci n’ sèreût qu’ djôye èt liyèsse,

qui tos lès djoûs sèrît djoûs d’ fièsse;

èt dispôy qu’i nos-ont r’novelés,

36    on-z-èst dî fèyes pus-afamés !

Divant çoula, dj’aveû dè l’ bîre,

dè pan, dè lârd èt dès crompîres;

dji vikéve assez ognèssemint,

40  tot pwèrtant dès sètchs so mès rins;

li dîmègne, dj’aléve à l’ taviène

beûre ine qwâte avou nosse Djihène;

on bon nohèt ni m’ mâkéve nin

44   par ci par là lès-â-matin.

N’èsteût-ce nin là, vos gueûyes di m’ coye !

po viker contint come on roy ?

 

  1. … et qui se remet sur pied, c.-à-d. qui rétablit sa fortune. — 25. tchinis’, ordure, détritus. — 26. djènisse, jaunisse.
  2. mâ-sêve (arch.), malsain, surtout d’un animal. — 29. Le sens est : qu’on se gaverait jusqu’à l’écœurement de grives et de rôti. Tout ce passage (vv. 27-34) développe avec ironie le thème des belles promesses concrétisé dans l’adage : demain, on rasera pour rien. — 30. Manger du « sucre à la louche » est l’image proverbiale de la félicité com­blée. — 35. « renouvelés » : allusion au nouveau régime politique.
  3. Dans ce passage et plus loin encore, le porte-parole de l’auteur s’exprime en tant que portefaix. — 38. crompîres, pommes de terre. — 42. Djihène (arch.), Jeanne. — 43. nohèt (arch.), petit verre d’alcool que l’on offre à l’occasion d’une rencontre. — 45. En franc, populaire, on dirait : vos gueules de mes deux ! — 47. … qu’ils (les révolutionnaires) nous ont rebaptisés (en « citoyens ») —

 

(p.78) Mês, dispôy qu’is nos-ont r’bat’hîs,

48 à pône a-dje dè pan à magnî;

mi feume a vindou totes sès cotes :

ile n’a pus qui deûs’ treûs clicotes;

mi djustâcôr è-st-â lombârd,

52   èt dji préveû qu’on pô pus târd,

i m’ fârè-t-aler so lès vièdjes

briber, fé dès honteûs mèssèdjes

èt ramasser on bokèt d’ pan

56   po noûri m’ feume èt mès-èfants.

 

Çou qu’èst l’ pés d’ tot, c’èst qu’â botike

vos n’ârîz nin crédit po ‘ne figue.

Tot l’ monde djèmih, tot l’ monde si plint;

60   nosse vèye est pés qu’à monumint;

on n’a pus ni plêzîr ni djôye,

on n’ wèse sofler avâ lès vôyes,

on-z-èst pinsîf, trisse et pèneûs,

64    on n’ veût qu’ dès visèdjes pâles èt bleûs.

I fât qu’on fole tos so s’ corèdje,

qu’on rèye divins l’ tins qu’on-z-arèdje,

qu’on-z-aplaudihe à tos leûs fêts;

68 sins çoula, adiè vos cwârês !

On v’ lès spîyerè-t-à vosse narène,

èt s’i v’ fârè co dîre âmèn’.

Cès tchins-là sont si arèdjîs

72 qui, si seûlemint vos lès loukîz

 

  1. clicotes, ici : guenilles. — 51. djustâcôr, justaucorps, blouse d’homme serrant la taille et descendant jusqu’aux genoux; â lombârd, au Mont-de-piété; la réputation d’usurier faite aux Lombards explique que leur nom ait désigné, en certaines régions, les établissements autorisés à prêter de l’argent sur gage (cfr Littré, s. v°, 4°). — 52. et je prévois… — 53. vièdjes, synérèse de viyèdjes, villages. — 54. Ces € honteux messages » sont les formules des « pauvres honteux » obligés de quémander la chanté.
  2. … pour une figue, c.-à-d. pour la moindre chose. — 60. notre existence est pire (= plus triste) qu’au monument (= au cimetière); monumint (arch.), tombeau, sens conservé dans l’expression liégeoise aler vèyî lès monumints, visiter les reposoirs du Christ élevés naguère dans les églises, depuis la messe du Jeudi-Saint jusqu’à l’Office du Vendredi-Saint; ce sens particulier, vu le contexte, n’est pas celui qui convient ici. — 65. Il faut que l’on contienne tous sa colère; foler so s’ corèdje, litt’ : marcher sur son courage. — 66. divins l’ tins qui, dans le temps (= en même temps) que. — 73. La cocarde (cocâde) nationale rouge et jaune était apparue à Liège le 16 août 1789; son port fut obligatoire à partir du 8 novembre 1790. Ceux qui ne l’affichaient pas s’exposaient à des brimades (cfr J. Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège, 1724-1852, H, pp. 211, 267, 270). —

 

(p.79) ou qu’ vos n’ mostrez nin vosse cocâde,

vos-èstez sûr dè l’ bastonâde.

Volà l’ bèle mi-hé d’ lîbèrté

76 qui cès m’-coye-là ont fêt r’viker !

On n’ kinoh pus ni pére ni mére;

on n’a mây vèyou téle misére;

on pind, on strône, on côpe li cô,

80 on d’rôbe, on viole; c’est co [trop] pô :

on-z-atake Dièw, on lî têt l’ guère;

on hape lès dîmes qu’il a so l’ têre;

on frohe lès prêtes à côps d’ baston;

84 on pèye, on sacadje çou qu’il ont.

Mâgré leûs lwès [èt] leûs rubrikes,

on l’zî vout fé pwèrter 1′ fisik;

on trête lès curés come dès tchins;

88 on l’zî fêt d’ner çou qu’is n’ont nin.

Notru-Dame même n’èst nin spârgnèye :

ile n’a pus nol abit d’à lèy,

on met’ â lombârd sès diamants,

92 tot s’ fotant d’ lèy èt di si-èfant.

Volà, vos m’-hés, lès suites affreuses

di vosse « révolution heureuse » !

N’êmereût-on nin mîs dè crèver

96   qui dè vèyî tant d’ pôvrèté?

Li diâle vis done à tos l’ corince !

Qu’avîz-ve mèsâhe d’ataker l’ prince,

 

  1. mi-hé : cfr note du v. 1. On retrouve la même ironie chez un correspondant de J.-B.-Nic. Ghisels, grand-écolâtre de Liège, cité par Daris, ibid., p. 269. — 83. on frotte (lit. : froisse) les prêtres à coups de bâton. — 86. Allusion à l’enrôlement des ecclésiastiques dans l’armée. On peut éclairer tout ce passage sur les vexations faites au clergé par J. Daris, op. cit., II, pp. 345-361 (les traits cités se rapportent à 1789-1790). — 89-92. La Notru-Dame est la statue de la Vierge, dans la paroisse Saint-Séverin, dont les ornements avaient été saisis pour être engagés au Lombard (cfr note du v. 51). — 94. L’expression est historique. Le 19 août 1789, les deux nouveaux bourgmestres, Chestret et Fabry, allèrent annoncer au chapitre cathédral l’abolition du Règlement de 1684 et le prièrent de chanter un Te Deum d’actions de grâces pour « l’heureuse révolution de la veille » (la référence au document original est dans A. Borgnet, Histoire de la Révolution liégeoise de 1789, I, p. 123, n. 3). — 97. corince, violente diarrhée. — 98. Il s’agit de Hoensbroeck, élu en 1784 prince-évêque de Liège. De caractère paisible, mais mal con­seillé, le chef de l’Etat avouait « beaucoup d’hésitation, de passivité et finalement une obstination dans une sorte de force d’inertie » (P. Harsin, op. cit., p. 78). — 100. que tout le corps de vos six mangeurs [de biens publics]; cfr note du v. 5. —

 

(p.80)

qui vât mîs, divins si p’tit deût,

100    qui tot l’ cwér di vos sî magneûs ?

Poqwè l’ miner so l’ Mêzon-d’-vèye

so l’ ponte dès lames di vos-èpèyes ?

Poqwè l’ sètchî fou di s’ palâs ?

104    Qu’aveût-i fêt qu’alahe si mâ?

Va-t-i mîs dispôy qui l’ canaye

va tot costé râyî dès mays

po planter à l’ ouh dès calins

108    qui nos front on djoû crèver d’ fin ?

Nosse mèstî a-t-i pus’ à dîre ?

Vis fêt-on beûre dè l’ mèyeû bîre?

Li pan è-st-i mèyeû martchî ?

112   Avez-v’ dè rosti à magnî?

Nos-èstans portant d’vins ‘ne an.nêye

bin mèyeû qu’ totes lès cisses passêyes,

èt, s’ cès m’-hés-là n’ piyît nin tant,

116   li pan d’vreût-èsse à dîh êdants.

Nosse pôve payis a l’ cou plin d’ dètes;

i n’y-a pus d’ l’ôle è l’ lamponète,

èt, s’i fât ‘ne fèye lès « frais » payî,

120    èl f’ront-i bin sins co hwèrcî?

Lès pèlés m’-hés ènnè sont câse :

so nosse mâ mètront-is ‘ne èplâsse ?

Qui mètrît-is, lès pouyeûs tchins,

124    qwand lès pus grands brèyeûs n’ont rin ?

I n’ s’ont mètou dè l’ confrêrèye

qui po sacadjî vièdjes èt vèyes.

 

101-103. De son palais (palâs) de Seraing, où il avait sa résidence d’été, le prince-évêque avait été contraint de se rendre à l’Hôtel de Ville (Mêzon-d’-vèye), le soir du 18 août, pour y ratifier les décisions prises par les révolutionnaires. La foule devait être houleuse, voire menaçante si l’on interprète bien « la pointe des lames de vos épées » du v. 102, détail corroboré par le Discours d’un curé liégeois (1791) qui évoque l’arrivée du prince « comme un criminel, à travers des milliers d’armes étincelantes » (cfr J. Daris, op. cit., II, p. 98, note). — 106. Dans son acception générale, un may (litt. : mai) est un arbre de mai ou un branchage orné que l’on plante en signe d’honneur. — 109. Notre métier : celui des porteurs-au-sac dont Dj’han Sâpîre fait partie. — 116. … à dix liards; l’ êdant valait le quart d’un sou. — 117. Sur l’endettement du pays et la disette des vivres à Liège, le témoignage du P. Marian, ici et ailleurs, rejoint et complète les historiens A. Borgnet et J. Daris déjà cités. — 118. ôle, huile. — 120. hwèrcî, écorcher (allusion à de nouvelles levées d’impôts). — 122. èplâsse, emplâtre. — 124. — brèyeûs, braillards. — 125. con­frêrèye, ici au sens de coterie politique. — 126. vièdjes, cfr note du v. 53. —

 

(p.81)

Mês, çou qui nos louke di pus près,

128    si jamây is rèûssihèt,

tot l’ monde pwèrè pwèrter dès sètchs:

qu’ârez-ve po noûri vosse manèdje?

Nosse mèstî sèrè-t-â qwiyâ;

132    vos èt mi, nos brôyerans nosse mâ.

Is s’ fotèt bin d’ qwè vos vikésse,

qui v’s-âyîsse pan, boûre ou pot’kése;

porveû qu’ magnèsse so tos leûs dints,

136    qu’is buvèsse bone bîre èt bon vin,

vos-ârîz misére èt famène

qu’i n’ vis dôrît nin po ‘ne rècène.

Ces leûs-warous-là magnèt tot

140    èt s’ hièrtchèt hièles, marmites èt pots,

sins lèyî rin d’vins lès mohones

qui çou qu’ hoyèt foû d’ leûs marones.

Mahomèt èt sès Sarazins

144 adlé zèls sèrît bons crétyins.

Ni vêrè-t-i nin fou d’ l’infiêr

on diâle qu’ lès batrè à côp d’ niêr

èt qu’ po mî assèner sès côps

148    qu’èlzî fasse mète li cou-z-â hôt,

èt qu’i plake dissus ine èplâsse

d’in-onguent pêtri à l’ vîve tchâs’ ?

Mês sèreût-ce assez po Fâbrî,

152   Lèvoz, Cologne èt Dj’han l’ Banselî ?

On sohête qui ces-âmes dan.nêyes

totes lès qwate à ‘ne tchêne atèlêyes

 

  1. « Notre métier sera à quia » puisque — c’est le sens du v. 129 — la profession ne sera plus protégée. L’auteur n’oublie pas qu’il fait parler un membre de la corporation des porteurs, l’un des 32 bons Métiers de la Cité de Liège. Possédant de longue date leurs règlements et privilèges, ceux-ci formaient une organisation professionnelle qui jouait un rôle poli­tique dans la Cité. Les Métiers ne devaient point survivre à la Révolution. — 133. Ils se foutent bien de quoi vous vivez. — 134. pot’kése, fromage en pot, fait de caillebotte épicée (DL, 503). — 135. pourvu qu’ils mangent de (litt1 : sur) toutes leurs dents. — 138. qu’ils ne vous donneraient pas pour [acheter] une carotte. Pour le sens de rècène, on peut hésiter ici entre « racine » et « carotte ». — 139. leû-warou, loup-garou, ici au sens péj. de bête cruelle. — 140. et ils emportent (litt* : traînent derrière eux) écuelles… — 142. que ce qu’ils laissent tomber de leurs culottes, c.-à-d. leurs excréments — 146. niêr, nerf (de bœuf, pour frapper). — 150. … à la chaux vive. — 151-152. Quatre des noms cités aux vv. 11-12. —

 

(p.82)

seyèsse hièrtchêyes so nosse martchî

156    po avu leûs-ohês k’frohîs.

Dji n’ di rin, mês qui 1′ diâle mi bate,

si dji n’ vindéve mès deûs savates,

po heure on nohèt à 1′ santé

160    dè bouria qu’ lès-âreût rouwés !

Alez, tos vos m’-hés d’ patriyotes,

qui 1′ diâle vis d’hite èt qu’i v’ dicrote !

On djoû vêrè qui v’ pârez bin

164   di nos-aveu d’né tant d’ chagrin !

 

Vos-avez distrût 1′ câtèdrâle

avou s’ bê âté, s’ bê docsâl,

sacadjî l’ mausolé Markâ

168    ci bon prince qu’a bâti 1′ palâs;

èt çou qui m’ fêt pâmer d’ tristèsse

èt drèssî tos lès dj’vès d’ nosse tièsse,

kitrâgné 1′ binamé crucefis,

172    qui fêt l’ djôye di tot l’ paradis;

spiyî lès clokes à côp d’ cougnêye

qui rèdjouwihîn’ tote li vèye,

distèrminé l’ pus bê clokî

176    qui mây di s’ vèye on-z-âye loukî,

qu’aveût-ine creûs dès mîs dorêyes

qu’aléve quâsî djusqu’âs nûlêyes,

 

155-156. soient traînées sur notre Marché / pour avoir leurs os

brisés. —- 159. nohèt: cfr note du v. 43. — 160. bouria, bourreau. — 162. que le diable vous conchie et qu’il vous décrotte. — 163. parez pour pây(e)rez, paierez.

  1. Commence ici la diatribe dirigée contre les destructeurs de la cathédrale Saint-Lambert. Elle parut sans titre, en 1798, dans La Vérité à Liège (28 brumaire an VII) du publiciste Henri Delloye (dit « Le troubadour liégeois ») et fut reproduite dans le Choix de 1844 sous le titre Li clokî d’ Saint-Lambiet. La démolition de la cathédrale avait été décrétée par l’« Adminisration centrale provisoire du pays de Liège =>, le 18 février 1793, le lendemain du jour où fut votée la réunion du pays de Liège à la France. Un « Comité des Travaux publics >, composé de trois membres, était chargé de l’entreprise. Ce n’est qu’en juillet 1795 que fut abattu le clocher dont il est question aux vv. 175 et ss. — 166. avec son bel autel, son beau jubé. — 167-168. C’est du règne du prince Markâ, Erard de la Marck (1505-1538) que date le palais des princes-évêques dans la cour de l’actuel Palais de Justice de Liège; le mausolée élevé dans la cathédrale à la mémoire de ce prince était l’un des principaux monuments artistiques de la Renaissance liégeoise. — 169-172. Ces 4 vers, omis dans notre manuscrit, figurent dans l’édition Delloye et le Choix; kitrâgné, traîné dans la boue. — 174. qui réjouissaient… — 175. distèrminer, exterminer, détruire. — 176. que jamais de sa vie on aie regardé.

 

(p.83)

èt, po d’zos, on dobe carilion

180    qui triboléve d’ine téle façon

qui, sins s’ bodjî foû di s’ coulêye,

on-z-oyéve eûres, qwârts d’eûre èt d’mêyes,

çou qu’èsteût ine comôdité

184    dès pus grandes po tote nosse cité.

On djètereût dès lâmes ossi grosses

qui lès pus rôlantès pâtenosses

dè tchapelèt dè vî fré Mitchî,

188   totes lès fèyes qu’on passe so 1′ Martchî !

Vos race di gueûs, Dièw mè l’ pardone !

avîz-ve li diâle è vos marones

ou arèdjîz-ve qwand v’s-abatîz

192   on si bê èt si hôt clokî?

Qui n’avez-ve divins vos tchabotes

dè stron d’arondje ou bin d’ houlote !

ou qui n’ vis-ave tos cassé l’ cô

196    qwand v’s-avez fèrou l’ prumî côp !

Vos neûrs mi-hés ! avez-ve èvèye

di n’ pus fé qu’on vièdje di nosse vèye?

Qui n’avez-ve è cwér li hawê

200 qu’a distrût in-ovrèdje si bê !

 

Manuscrit Moxhon (copie exécutée fin XVIIIe-début XIXe siècle). Edition de quelques passages, avec commentaire, par M. piron dans Annuaire d’histoire liégeoise, II, 1940, pp. 372-378. — Inventaire, n° 126.

 

– 180 triboler, en parlant de cloches : sonner à petits coups répétés. — 181. coulêye, coin du feu. — 185-192. Nous suivons l’édition Delloye – Choix, pour ce passage que notre manuscrit place après le v. 200. — 186-187. que les grains les plus gros (litt’ : patenôtres) / du chapelet du vieux frère Michel. Ce dernier était sans doute un frère du couvent des Carmes. — 188. Le Marché était voisin de l’emplacement de la cathédrale dont une partie des ruines subsistait encore après 1800. — 190. marone (arch.), culotte, pantalon; avu V diâle è s’ marone, être poussé du démon (DL 373). — 193. tchabote, petit creux (dans un arbre, une dent, etc.). Le souhait malveillant d’y trouver de la chiure d’hirondelle ou de hulotte (v. 194) expliquerait peut-être qu’il s’agit des trous creusés par le pic des démolisseurs? — 195. … rompu le cou. — 196. fèrou (arch.), frappé. — 198. vièdje : cfr note du v. 53. — 199. hawê, houe servant à piocher, à défoncer. La suite du poème, que nous laissons tomber, s’étend dans notre manuscrit du v. 201 (Vos toûrmètez prêtes et nonètes) aux w. 267-8 (Priyî Dièw qu’i fasse sins mâker / çoula tot d’ swite exécuter). L’auteur abandonne, plus encore que dans le passage pré­cédent, le point de vue du portefaix pour s’identifier à celui du religieux qui déplore les vexations subies par l’Eglise et appelle sur les coupables le châtiment des hommes et de Dieu. La partie essentielle de cette finale assez médiocre est constituée par l’énu-mération des tableaux et œuvres d’art qui furent enlevées des églises liégeoises pour être dispersées : ces 42 vers peuvent se lire dans le Choix de 1844, pp. 175-176, qui les reproduit d’après l’une des feuilles du « Troubadour liégeois » (Inventaire, n° 134).

(p.84)

ANONYME

[Amphigouri]

 

Le texte assez extraordinaire qu’on va lire a-t-il sa place dans une anthologie d’oeuvres qui ont un statut littéraire ? Il appartient à la tradition orale, ayant été recueilli, vers 1892-93, par le folkloriste liégeois Eugène Monseur, de la bouche d’une vieille personne de 81 ans, Mme Tasset, qui le tenait de sa mère, née à Liège, ce qui nous reporte à tout le moins aux dernières années du XVIIIe siècle.

Monseur y voyait « un mélange de prière populaire et de randonnée » avec, ajouterons-nous, des bribes d’enfantine. Cette composition hybride se rap­proche, par la forme, de ce qu’on a appelé, dans la paralittérature des siècles passés, fatrasie, coq-à-1’âne ou galimatias. Poésie du non-sens, dirions-nous aujourd’hui, en songeant qu’un texte folklorique peut, sans le faire exprès, déboucher sur une manière de surréalisme…

 

23                                                                                                     [Liège]

Solo dè bon Diu

 

Solo dè bon Diu, vinez

so m’ cossin,

vinez m’ dîre quéle eûre qu’il èst,

4 s’il è-st-ine eûre,

s’il est deûs-eûres,

amon Marèye Bèle-fleûr.

Masindje, masindje,

8 ave dès poyes à vinde ?

Kibin lès vous-se vinde ?

Dî boûf, dî vatches,

trinte tchèrêyes di crâs froumadje.

12   Halète, halète, kimint monterè-dje ?

 

SOLEIL DU BON DIEU

  1. cossin, oreiler (litt* : coussin). — 7. masindje, mésange. — 10. boûf, bœuf. — 11. crâs, gras; plus loin à, au, djârdin, jardin, etc. 0). Il semble que ce soit de la fin du XVIIIe siècle ou des débuts du suivant que date à Liège-ville le passage de à long vers un o ouvert : « hâle, échelle, se prononce à peu près comme l’anglais hall » (DL, XXVI). — 12. halète,
  2. C) C’est donc à partir d’ici, puisqu’il faut fixer un terminus a quo, que nous adoptons la graphie à, au lieu de à, pour les textes en parler de Liège.

 

(p.85)

Qui n-a-t-i là?

D’ l’ôr èt dès ducats.

W’è-st-i mètou ?

16  Drî 1′ blok dè Noyé.

W’è-st-i 1′ bloc’ dè Noyé ?

Li feû l’a broûlé.

W’è-st-i l’ feû ?

20   L’êwe l’a distindou.

W’è-st-èle l’êwe ?

Li boûf l’a bu.

W’è-st-i 1′ boûf ?

24              Li mangon l’a touwé.

W’è-st-i 1′ mangon ?

Il-è-st-â coron di s’ pré.

Qui fêt-i là ?

28              I sôye si foûr.

Foûr à m’ vatche;

vatche mi rind lècê.

Lècê å coleû;

32      coleû m’ rind crin.me.

Crin.me à 1′ sèrène;

sèrène mi rind boûre.

Boûre å crâssî;

36        Crâssî m’ rind tchandèle.

Tchandèle å houyeûs;

houyeûs m’ rind hoye.

Hoye å brèsseû;

40       brèsseû m’ rind bîre.

Bîre å payîzan;

payîzan m’ rind grin.

Grin å mounî;

44              mounî m’ rind farène.

Farène å boledjî;

boledjî m’ rind pan.

Pan à m’ mère;

 

petite échelle. — 16. « Derrière le bloc de Noël » : il s’agit probablement du sabot de Noël. — 24. mangon, boucher. — 28. H fauche son foin. — 29. A. Hock fournit ici la variante suivante, à peine moins abrupte : Volà m’ possî-posson [pot] po beûre. / Dj’ pwète à beûre à m’ vatche. — 31. coleû, couloir, passoire pour le lait. — 33. sèrène (arch.), baratte. — 35. crâssî, litt. : marchand de gras, d’où, ordinairement, charcutier. —

 

(p.86)

48 mi mére mi fêt deûs tåtes :

one di neûr, one di mwètchåve.

Li cisse di neûr, dj’èl done å pôve;

pôve mi rind påtêr.

52   Pâtêr å bon Diu,

qui l’ bon Diu m’ vinse qwèri,

po mète è s’ bê paradis,

wice qu’i fêt si bê,

56   èt qu’i n-a dès p’tits-ognês,

èt dès p’titès bèrbisètes,

qui cueillent la violette,

eune à eune, deûs-à deûs,

60   è djârdin d’ note Sègneûr,

qui lét sès-eûres;

Obriyèl,

qui lève sès hièles;

64              Obriham,

qui lève sès hames;

Notru-Dame, qui djowe âs dames

68         avou lès qwate pîds di s’ hame;

sint Pîre, sint Pô,

qui djowît tos deûs å stô.

Il a passé on p’tit valet

72         qui lî a hapé s’ bonèt :

« Rinds-m’ mi bonèt », dist-i.

Volà l’ fåve foû,

make so 1′ soû !

76         Vos magnerez 1′ hågne èt mi l’oû.

 

Bulletin de folklore, II, 1893-1895, pp. 155-158, recueilli par E. monseur. Variantes fragmentaires dans A. hock, Liège au XIX’ siècle, Liège, Vaillant-Carmanne, 1885, pp. 267-268 (correspondant aux vv. 29-56) et dans J. defrecheux, Les enfantines liégeoises, Liège, Vaillant-Caimanne, 1888, p. 83 (corresp. aux vv. 60-70).

  1. one, pour le fém. ine; mwètchåve (arch.), pain mêlé (litt. : moyen) fait moitié de froment et moitié de seigle. — påter, patenotre. — 57. bèrbizète, jeune brebis. — 61. eûres, heures canoniales, parties du bréviaire qu’on récite aux diverses heures. — 62-63. Obriyèl, pour Gâbriyèl’, [l’ange] Gabriel, qui fait sa vaisselle. — 64. Obriham, pour Abraham. — 65 et 68. hame, escabeau, siège de bois sans dossier ni bras. — 70. … qui jouaient ensemble à la balle. — 74-76. Voilà la fable dehors, frappe sur le seuil, vous mangerez la coquille et moi l’œuf; formulette de sens obscur terminant ordinairement les contes de nourrice.

 

(p.87)

ANONYME

La mêtrèsse de Dampicou

 

Ce titre est celui d’une chanson populaire du pays gaumais qui se retrouve, sous d’autres versions, en Lorraine et dans les Vosges. L’histoire qu’elle conte appartient au thème de l’amie infidèle ou de l’amoureux dupé : un pauvre garçon apprend par surprise que la fille qu’il aime va se marier, et il arrive dans son village au moment de la noce. La résignation dont il fait preuve, sans que les brimades l’épargnent, ne laisse pas d’être touchante. Il est vrai qu’elle est partagée par la jeune épousée : « je la regardais, elle me regardait; je soupirais, elle soupirait». Le mariage avait été arrangé par le curé…

Le texte de la version que nous reproduisons a été reconstitué par Jean Haust à partir de trois sources recueillies dans la région de Virton; l’un de ces témoignages permet de faire remonter notre chanson à la fin du xvme siècle, bien que le thème soit certainement plus ancien. On en appréciera le style simple, sans apprêt comme sans bavure; son dépouillement est bien à l’image de la peine des humbles dont on dit parfois qu’elle est muette.

 

24                                                                                       [Sud de Virton]

 

Dj’avou ‘ne mêtrèsse à Dampicou,

dj’ l’alou vwar prèsquè tous lès djous.

Djè n’atou-m’ in grand dèpansou,

pace què dj’ n’avou jamâ wâ d’ sous.

Aveu ène mîtan d’ fourboulâye

6   dj’a-n-avou pou toute ma djournâye.

 

In côp dj’ m’a-n-alou ‘t-au matin;

dj’â rencontrèy èl gros Martin.

I m’ dit coume ça : « Où-ce que t’ t’a vas ?

Prend tès solèys, mèt-lès sous t’ bras,

 

LA FIANCEE DE DAMPICOURT (village proche de Virton, au sud-ouest). On a utilisé pour ce commentaire les notes de J. Haust dans l’édition citée.

  1. Je n’étais pas un grand « dépenseur ». Au lieu du type nin (et variantes), commun eu Wallonie, le gaumais exprime la négation par (n’) mi (= mie), avec réduction de mi à m’ en position enclitique. — 4. wâ, guère. — 5. avec une moitié de fourboulâye, de marmitée de pommes de terre cuites à l’eau.
  2. Un jour (litt. : un coup), je m’en allais tout au matin. — 10. Le vers signifie : Dépêche-toi. Si les souliers sont gros, on les enlève pour courir.

 

(p.88)

ca c’èst ène tchôse bi-n assurâye

12   què ta mêtrèsse va ète mariâye. »

 

Quand dj’â v’nu su l’ Haut-dès-possons,

on-z-oyout d’djà lès viyolons.

Is s’an’ alint è-rè-gnin-gnin,

èt s’ m’ avant dit : « Bondjou, cousin !

Atrez ci-d’da, à la mâjon,

18    on v’ bârè ‘ne boune trantche de djambon. »

 

I m’ant fât assîr on culot

èt s’ m’ant aporté don magot.

Dj’avou 1′ gordjon si dèbrôlèy

què dj’ n’a savou pus avolèy,

si cè n’atout quékes bounes goulâyes

24    què m’aportout la mariyâye.

 

Djè la r’wâtou, èle mè r’wâtout;

djè soupirou, èle soupirout.

Djè m’avou toudjou bin doutèy

què ç’atout d’ la faute don keurèy :

s’i n’ lès avout-m’ vèlu marièy,

30   dj’arou co pu la rèchapèy.

 

I nous-avant moûné dansi,

mâ dj’ n’avou pont d’ sous pou payi,

 

  1. Le Haut-des-Possons est une colline située près de Grandcourt, au sud-est de Virton.

—   15.  è-rè-gnin-gnin, onomatopée imitant le son des violons. — 16.  èt s’ (latin et sic), litt’ :  « et ainsi », de même aux vv. 20,  33, 35 (40, s’ seul). Tour arch. fréquent dans les anciens textes liégeois, qui correspond aujourd’hui à «et»; cette locution copulative comporte parfois une nuance de renchérissement (cfr L. Remacle, Syntaxe, III, p. 27). Le i « ils du v. précédent se rapportait aux violons de la noce  (instruments). Ici, le pronom sujet,  omis  comme souvent en syntaxe parlée,  désigne l’entourage des mariés; ce « ils », que le peuple emploie pour nommer les autres,  apparaît encore au v.  19 et dans les deux dernières strophes. — 17. Entrez ci-dedans,  à la maison, c.-à-d. dans la cuisine. — 18. on vous baillera… (=  donnera).

  1. fât, fait; on culot, au coin de l’âtre. — 20. don, du; magot, préparation faite d’estomac de ruminant (mets peu estimé). — 21-22. J’avais le gosier si détraqué / que je n’en pouvais (litt’ : savais) plus [rien] avaler. — 23. atout, était; goulâye, louchée (litt’ : bouchée).
  2. r’wâfi, regarder. — 28. don keurèy, du curé. — 29. s’il ne les avait pas voulu marier.

—  30. rèchapèy, sauver, ravoir.

  1. Ils nous (= lui et les invités) ont mené danser. — 32. mâ, mais. —

 

(p.89)

èt s’ dj’avou co mès gros solèys

djondus aus pids coume dès colèys;

èt s’ m’arint co v’lu fâre hîpèy,

36  mâ dj’â veû qu’ ç’atout pou s’ mokèy.

 

Is m’ant moûné coûtchi su 1′ fon;

pou don soume, djè n’a-n-avou pont.

Is s’avant v’nu coûtchi d’lé mi,

s’ m’ant dègugni toute la neûtie.

Dj’â bi n-oyi à zô dijâye

42   què ma mêtresse atout mariâye !

 

  1. haust, La Maîtresse de Dampicourt, dans Le Pays gaumais, 6-7, Virton, 1946, pp. 102-104 (avec musique notée).

 

33-34. et j’avais encore mes gros souliers / attachés (litt. : joints) aux pieds comme des colliers [de che­vaux], — 35. fâre hîpèy, faire pousser des hip ! hip !, c.-à-d. des cris de joie.

  1. … sur le foin. — 38 pour du sommeil (litt. : somme), je n’en avais point. — 39. Ils s’ont (= se sont) venus… — 40. et m’ont donné des bourrades toute la nuit. — 41. J’ai bien entendu à leurs paroles (litt* : disée).

 

(p.90)

GILLES RAMOUX

(1750-1826)

 

Né à Liège, mort à Glons, l’abbé Ramoux fut préfet et professeur de rhéto­rique (1773-1784) du Grand Collège établi par le prince-évêque Velbruck en remplacement de celui des Jésuites, dont l’ordre venait d’être dissous. Un des fondateurs de la Société d’Emulation en 1779, il quitta Liège cinq ans plus tard pour prendre possession de la cure de Glons, village de la vallée du Geer où il stimula l’industrie, bientôt renommée, du chapeau de paille, tout en s’attachant à des problèmes sociaux, tels que la santé publique ou l’indigence. Ce « législateur des bords du Geer », à qui est dû le célèbre chant Valeureux Liégeois (1790), n’a laissé que très peu d’œuvres en dialecte : outre un duo composé en 1782 à l’occasion d’un retour de Grétry à Liège, la plus connue est la complainte qui suit. Faisant pièce aux nombreuses chansons contre les femmes, elle illustre le thème ancien de la « mau-mariée », déjà représenté dans la littérature wallonne, notamment par l’un des plus fameux airs du Voyèdje ai Tchôfontinne (1757) :

Qui m’ lét n’a-t-i broûlê qwand df m’èhala d’in-ome ! Pô poleûr m’ènnè d’fé dj’îreû nou-pîs à Rome…

 

25                                                                                                     [Liège]

Complainte d’ine pôve boterèsse

ou Li mâ-mariêye

 

Qui n’ so-dje èco come dj’èsteû

divant d’èsse mariêye !

Dji loukereû d’ mî miner m’ djeû

4          po n’ pus èsse trompêye.

Mi bouname è-st-on pôve sîre

èt dj’a stou, djèl pou bin dîre,

ine pôve aveûglêye. (bis)

 

COMPLAINTE D’UNE PAUVRE HOTTEUSE OU LA MAL MARIEE. — L’édition originale de 1804 ne comporte que les quatre premiers couplets intitulés Complainte d’une pauvre boterèsse. Le cinquième, qui paraît bien être aussi de Ramoux, fut ajouté lors d’une des nombreuses rééditions de la pièce sous le titre Li ma mariêye; on le reproduit d’après l’édition fournie par le Choix de 1844. Ce dernier propose plusieurs variantes rétablissant une métrique correcte, sans en préciser l’origine.

  1. bouname, bonhomme. — 6. et j’ai été… Au lieu de stu, forme de Liège, l’orig. a stou attestée auj. à l’ouest et au sud (cfr ALW, 3, 232).

 

(p.91)

8    I n-y-årè bin vite qwatre ans

qui dj’ soufe, qui dj’èdeûre;

ç’ fourit po 1′ nut’ dè 1′ Sint-Dj’han :

bènèye l’avinteûre !

12    Qwand dji hoûta sès sièrmints,

o ! qui n’ touma-dje so 1′ moumint

å fî fond d’on beûr ! (bis)

 

C’è-st-on drôle cwér måheûlé

16           qui n’a nole goviène;

si vite qu’il èst fou dè lét,

vo-le-là à l’ taviène !,

 so 1′ tins qu’avou mès-èfants,

20   sins boûre, sins froumadje,

sins pan, à plorer, dji d’fène… (bis)

 

Qwand i r’vint d’å cabaret,

‘1 est sô come ine bièsse;

24   il èst todi plin d’ pèkèt

djusqu’å d’zeû dè l’ tièsse

èt s’ print-i ‘ne quowe di ramon

po m’ fé danser l’ rigodon :

28          volà sès carèsses ! (bis)

 

Mi mére mi l’aveût bin dit

qui dj’ sèreû trompêye…

Dji m’ crèyéve è paradis !

2          di m’ vèy ahèssêye !

 

  1. Orig. : qui dj’ lanwihe, que je languis. — 10. ce fut par la nuit de la Saint-Jean. — 11. Orig. : bènèye seûy (soit) l’avinteûre. — 14. au fin fond d’une bure (puits de charbon­nage). Orig. : tot â fî…
  2. måheûlé, grossier, rustre (litt. : mal embouti). — 16. goviène, gouverne (f.). — 18. taviène (arch.), taverne. Orig.: vol-le-là l’ gueûye à… — 21. … je dépéris; la leçon de l’orig. dji m’ difène est plus conforme à l’usage parlé.
  3. quowe di ramon, manche de balai. — 27. rigodon, danse très vive en vogue aux XVIIe –XVIIIe siècles, ici, au fig. Orig. : on rigodon.
  4. de me voir pourvue (de mari).

 

(p.92)

Mågré mes pônes, mes toûrmints,

binamêye ! poqwè n’a-dje nin hoûté vos consèys ? (bis)

 

« Trouverre en tournée chez Francs-Français… » (Henri Delloye), Liège, 1804, an XIII, I, p. 22 et Choix, pp. 93-94. C’est ce dernier texte, versifié correctement, que l’on suit (les variantes, peu importantes, sont indiquées dans les notes).

 

Un sixième et dernier couplet, reproduit déjà dans le Choix de 1844, peut être attribué à Henri Forir, qui, selon Ulysse Capitaine (BSW, 2, p. 396 et ASW, 1, p. 140), l’aurait également ajouté lors d’une réimpression de la pièce et qui en fait état dans une lettre à ce dernier du 1er juillet 1859.

36   Tant qu’in-ome è-st-amoureûs,

vîve l’ètat d’ marièdje !

Mês ‘ne fèye qu’il a tapé s’ feû,

c’èst l’ diâle è manèdje.

40  On n’est nin treûs nut’s

avou qu’i fêt come on leûp-warou :

c’èst tot l’ djoû l’arèdje !

 

  1. … jeté son feu, son ardeur. — 41. leûp-warou, loup-garou. — 42. c’est toute la journée le tapage.

 

 

(p.93)

JACQUES-JOSEPH VELEZ

(1759-1822)

 

« Jurisconsulte et avocat, ex-préposé à l’Etat-Tiers, actuellement directeur des taxes municipales » : l’acte de décès qui qualifie ainsi JJ. Vêlez, né et mort à Liège, aurait pu compléter ces titres par celui des autres fonctions qu’il exerça sous le régime français.

Contemporain des derniers princes-évêques, Vêlez avait étudié au collège des Jésuites-en-Isle, puis s’était lié avec les fortes têtes de la Révolution liégeoise avant de devenir le chantre attitré des vertus maçonniques et de la gloire napoléonienne.

Car ce fonctionnaire fut poète. Un chansonnier plutôt, qui taquinait volontiers la muse civique en la revêtant des livrées du Caveau. Ses chansons françaises, dispersées au gré des feuilles de circonstance, reflètent les conventions du style officiel de l’époque. Un imprévu, pourtant, dans cette carrière opti­miste : la satire wallonne, qu’entre deux changements de régime. Vêlez écrivit contre une occupation prussienne qui lui pesait autant qu’à ses concitoyens. Cette chanson caustique circula d’abord en copies, et peut-être le nom de son auteur ne nous serait-il point parvenu, si sa petite-fille n’avait épousé le notaire Joseph Dejardin qui recueillit le texte en 1844 dans son Choix de chansons et poésies wallonnes publié avec François Bailleux. Ainsi Vêlez devait-il être sauvé de justesse par le biais de l’Anthologie wallonne où il n’ambitionnait certes pas de figurer un jour !

L’air de la chanson — une marche allemande qu’on trouvera notée dans Wallonia (V, 1897, pp. 50-51) — avait donné à celle-ci une popularité que les recommencements de l’histoire allaient se charger de rendre encore actuelle, juste cent ans plus tard.

 

 

26                                                                                                    [Liège]

Lès Prussiens

(Air : Marche prussienne)

 

Save bin çou qu’ c’è-st-on Prussyin ?

C’è-st-on djêrå qwate-panses,

qui peûse d’on djoû å lendemin

4 pus d’ sî lîives è l1′ balance;

 

LES PRUSSIENS

  1. c’est un glouton (djêrå, de djêrî, éprouver un appétit déréglé)  à quatre panses.

 

(p.94)

èt, qwand rin n’ lî cosse,

qui beût tant qu’ ‘l a 1′ tos’;

c’è-st-on magneû d’ pan-payård,

 8         qui n’ våt nin qwate patårs !

 

C’è-st-on pourcê fornoûri

qui n’ sondje qu’à 1′ cabolêye,

qui n’ vis dit djamåy mèrci

12         èt qui grogne è 1′ coulêye.

Si long qu’on djoû seûye, il a 1′ pîpe è 1′ gueûye. Dji n’ sé si 1′ diâle lès-a tchî

16         po nos fé arèdjî !

 

Dj’aveû dè lård å plantchî,

dj’aveû dè 1′ bîre è 1′ cåve;

il ont tot bu, tot magnî,

20         is n’ m’ont lèyî qui 1′ tåve.

S’is vont å voyèdje,

hèrèt è leû sètch.

On n’ sâreût wågnî à fêt

24         po rimpli leûs boyês !

 

Ci sont dès colons bårbèts

å fêt dè 1′ colèbîre,

qu’ènnè vont èt qui riv’nèt

28         come dès tchèts po 1′ lårmîre.

Is r’ssonlèt lès gades,

todi so leûs pates,

 

  1. qui boit jusqu’à ce qu’il tousse. — 7. magneû d’ pan-payård (expr. altérée de magneû d’ pan bayård, mangeur de pain noir de seigle, de pain grossier), écornifleur, propre-à-rien. — 8. patår, « patard », ancien sou de Liège.
  2. fornoûri, nourri avec excès. — 10. cabolêye, chaudronnée: terme réservé à la nourriture du bétail, d’où, ici, le sens péjoratif de « ratatouille ». — 12. coulêye, coin du feu.
  3. å plantchî, suspendu au plafond. — 21. å voyèdje, en voyage. — 22. Le texte porte / herret… (ils fourrent dans leur sac), ce qui donne une syllabe de trop. On peut omettre le pronom de la 3e personne, conformément à une habitude de la langue parlée. — 23. On ne saurait gagner au fur et à mesure.
  4. colon bårbèt, pigeon cravate liégeois, très endurant. — 26. bien au fait du pigeon­nier. — 28. lârmîre, soupirail. — 29. ils ressemblent aux chèvres.

 

(p.95)

li nez å vint po vèyî

32         s’i n’y-a rin à crohî.

 

Is-ont dès cous à soflèt

dizos dès streûts caszakes,

èt s’ont-i dès cossinèts

36         tot pavé leû stoumak.

Ronds come dès timbales

èt plins djusqu’ås spales,

on n’ lès veût måy

s’abahî qui po tchîr ou pihî !

 

Volà vint meûs qu’è 1′ måhon

tot nosse manèdje èdeûre;

djusqu’à nosse sièrvante Djèneton

44         ènnè pwète ine infleûre…

Volà lès drinhèles

qui d’nèt ås båcèles.

I få-st-avu 1′ diåle è cou

48         po s’amûser avou !

 

On n’ sét co qwand ènn’ îront,

is sont pés qu’ dès-èplåsses.

Is sucèt come dès tahons

52         èt n’ont-i djamåy håsse.

 

  1. « Ils ont des culs à soufflet », c.-à-d. des postérieurs énormes. — 34. sous d’étroites casaques. — 35. èt s1, loc. copulative (= et) : cfr supra, passim. Les coussinets désignent au figuré les boursouflures de la poitrine (stoumak) des Prussiens.
  2. Voilà vingt mois que dans la maison; måhon, forme de l’est (Verviers, Spa) au lieu de mohon, auj. mohone, à Liège. Les « vingt mois » permettraient de situer la compo­sition de la pièce à la fin de l’été 1815, si l’on tient compte que, l’arrière-garde française ayant quitté Liège en janvier 1814, l’armée prussienne, précédée d’ailleurs par les Cosaques, y arriva peu après. — 42. èdeûre, endure, souffre. — 43. Djèn(i)ton, Jeanneton. — 44. infleûre, enflure; ici terme plaisant pour désigner la grossesse. — 45-46. Voilà les cadeaux qu’ils font aux filles; drinhèle, ordin’ dringuèle, signifie au propre « pourboire ».

—  47. l’ diåle è cou, le diable au derrière.

  1. Le départ des troupes prussiennes ne devait avoir lieu qu’en janvier 1816. La Gazette éditée par Desoer imprime le 17 janvier une proclamation du commandant de place, le major Bock, pour prendre congé des Liégeois et les remercier de leur hospitalité… Le journaliste a immédiatement fait suivre ce texte d’une chanson adressée aux Prussiens par « un poète champenois » et qui débute comme suit : « Buveurs de la Germanie, / quand nous quitterez-vous enfin ? / Avez-vous conçu l’envie / d’avaler tout notre vin ? >.
  • tahon, taon. — 52. avu håsse, avoir hâte, être pressé. — 56. coveteû, couverture.

 

(p.96)

O ! qui dji m’ rafèye

di n’ måy pus lès r’vèy !

Dji creû qui dj’ broûlere ç’ djoû-là

56         èt coveteûs èt matelas !

 

[1815]

 

On  suit la  1re édition  connue,  qui est celle  du Choix (cité dans la notice), 1844, pp. 13-16.

Charles-Nicolas Smonon

(p.97)

CHARLES-NICOLAS SIMONON

(1774-1847)

 

Ce n’est pas seulement parce qu’il connut quatre régimes politiques différents — tour à tour Liégeois, Français, Hollandais et Belge — que Simonon peut être considéré comme un écrivain de transition. Ce grand bourgeois lettré, érudit et artiste qui vécut et mourut à Liège, dans sa campagne du Val-Benoît, sans avouer d’autre état que celui de rentier, représente en littérature wallonne le passage à une sensibilité nouvelle qui s’est concrétisée dans les strophes de Li côparèye. De ce long poème dédié au souvenir de la cloche la plus célèbre de la cathédrale Saint-Lambert, on peut dire qu’il sonne le glas de l’Ancien Régime, mais, à la différence de Marian de Saint-Antoine, la satire fait place ici à l’élégie. Premiers accents lyriques nés du rappel de la patrie perdue : le sentiment du passé devient ainsi valeur de poésie.

Le thème de la cloche et des ruines, s’il valut à Simonon sa notoriété, n’est cependant pas le seul qui ait inspiré les meilleures pages de son recueil de Poésies en patois de Liège (1845) publié tardivement, sous le couvert d’une « dissertation grammaticale » qui proposait un système personnel d’orthographe wallonne. Des pièces telles que Li spére (1823), Li màrticot (inachevé) ou Conte lès duwèls (1835), dont il ne serait pas difficile d’établir les coordon­nées avec les écrits de Radcliffe, Nodier, Sedaine, Diderot, etc., font voir en l’auteur de Li côparèye un préromantique attardé en plein romantisme.

Malgré sa longueur plus d’une fois critiquée — 36 strophes où l’auteur « se laisse aller à ses souvenirs d’enfance et s’égare en digressions » (J. Haust) —, Li côparèye a été le premier maillon de la chaîne qui a relié le vieux senti­ment principautaire liégeois à la conscience naissante d’un sentiment plus large qui, fondé sur le culte du parler ancestral, allait s’étendre à la Belgique romane tout entière et lui donner son nom de Wallonie. Le mouvement régionaliste wallon est issu en grande partie de l’efflorescence néo-dialectale apparue à Liège peu après le milieu du XIXe siècle et dont Simonon, avec Duvivier, Forir et quelques autres, aura été l’un des précurseurs.

 

27                                                                                                     [Liège]

Li Côparèye

(Extraits suivis)

 

Li son dè 1′ Côparèye                              Vv. 1-12

èst co d’vins mès-orèyes,

quékefèye, djèl pinse oyî :

i m’ sonle èco qu’èle vike

cisse Côparèye antique

6    qui tant d’ djins ont roûvî.

 

(p.98) Èle mi done li sovenance

dès-an.nêyes di mi-èfance;

cist-illûsion m’ plêt bin.

Quî-èst-ce qui n’a nin èvèye

di s’ rèpwèrter quékefèye

12   èn-èrî, d’vins s’ djône tins ?

 

Elle aveût tchûsi s’ sîdje                              31~60

so 1′ pus hôte toûr di Lîdje,

so l’ clokî d’ Sint-Lambièt.

Là, wèzène dès nûlêyes

èt doûcemint èsbranlêye,

18    èle fève ètinde si vwès.

 

Li cloke rèsdondéve fwért

è fåbôr, so lès tiérs,

ås tchamps dès-invirons :

on p’tit vint qu’ sofléve, féve

qui 1′ volant son s’ pwèrtéve

24    à dès viyèdjes bin lon.

 

Estant lès-à-l’-nut’ keûtes

 ad’lé l’ bwès dè l’ Vå-v’neût’,

 

LA « COPAREYE »

Le nom donné pendant des siècles à la cloche de la cathédrale de Liège qui sonnait le couvre-feu est une altération de côpe-orèye, « coupe-oreille » (peut-être sous l’influence de l’étymologie populaire côps parèy, « coups pareils ») : cette cloche « sonnait notam­ment à l’occasion du supplice judiciaire de l’amputation de l’oreille », supplice qui a dû frapper l’imagination du peuple; pour les détails de cette explication, voir J. Herbillon (V.W., t. 30, 1956, p. 276-278) qui précise que le souvenir de la coutume barbare de l’essorillation « était déjà aboli pour la génération de Ch.-N. Simonon ». On ne com­prendrait pas autrement, en effet, que la côparèye ait alors personnifié l’indépendance du Pays de Liège, au point que l’historien romantique Ferdinand Hénaux, passant du poème de Simonon, qu’il louait pour sa nouveauté, à « la cloche fameuse que nous, vrais Liégeois, n’entendrons jamais », écrivait avec mélancolie : « Pour rentrer dans la cité lorsqu’elle commençait à bourdonner, pour vivre vingt-quatre heures sous notre antique nationalité, pour voir son symbole, la mauresque cathédrale, et ses institutions républicaines et religieuses, municipales et judiciaires, nous donnerions tout… » (Etudes historiques et littéraires sur le wallon, Liège, 1843, p. 80, n.).

 

  1. Elle avait choisi son siège. — 16. … voisine des nuages.
  2. rèsdondi, retentir. — 20. fåbôr (arch.), faubourg; lier, versant d’une colline ou chemin plus ou moins escarpé qui la traverse (fréquent dans l’odonymie liégeoise sous la forme officialisée «thier»; en namurois, tiène). — 22-23. un petit vent qui soufflait faisait / que le son volant s’étendait (litt* : se portait). On a ici un spécimen du wallon francisé qui entache plus d’une strophe de Li Côparèye.
  3. l’à-l’-nut’, la soirée; keû (fera, keûte), coi, paisible. — 26. près du bois du Val-Benoît (à la périphérie de Liège, où habitait Simonon). —

 

(p.99)

è meus d’ may, ås bês djoûs,

sovint dji m’arèstéve

èt, påhûle, dji hoûtéve

30   li cloke èt 1′ råskignoû.

 

Qwand dès rutès djalêyes

mi r’boutît è l’ coulêye

d’on bon r’glatihant feû,

à 1′ nut’, li Côparèye

m’èsteût-ine kipagnèye

36    si dji m’ trovéve tot seû.

 

Si, coûkî d’vins mes plomes,

ratindant m’ prumî some,

dj’èsteû à m’ kitaper,

å son dè 1′ Côparèye

arivéve li somèy

42    qui m’ vinéve èwalper.

 

Po ‘n-èfant qu’on hossîve                              67~7S

è s’ banse èt qu’on loukîve

d’èdwèrmi påhûlemint,

nole tchanson ni valéve

li Côparèye qui v’néve

48   l’èdwèrmi tot doûcemint.

 

Mês ‘n-aveût dès corognes

qu’ås p’tits-èfants fît sogne

djusqu’à lès fé trôner,

tot d’hant qui 1′ Côparèye

lèzî côpereût l’s-orèyes

54   s’is n’alît nin nâner…

 

  1. påhûle, paisible, tranquille. — 30. râskignoû, rossignol.

31-33.  Quand de rudes gelées / me repoussaient près de la cheminée / d’un bon feu éclatant.

  1. d’vins mes plomes, sous mon édredon. — 39. s’ kitaper, se débattre, s’agiter.
  2. hossî, bercer. — 44-45 … et qu’on tâchait (litt* : regardait) d’endormir tranquillement.
  3. corogne, auj. charogne, t. d’injure. — 50. fé sogne, faire peur. — 51. jusqu’à les faire trembler. — 53-54. leur couperait les oreilles / s’ils n’allaient point dormir. Il est curieux de retrouver dans cette croyance transmise par le folklore enfantin l’explication originelle du nom de la cloche (cfr supra).

 

(p.100)

A 1′ Côparèye, nos tåyes dihît,

tot fant dès båyes,

bone-nut’ à leûs-amis;

à 1′ Côparèye, l’ûsèdje,

è leûs påhûles manèdjes,

60    èsteût d’aler dwèrmi.

 

On k’nohéve li manîre

dè spårgnî lès loumîres

ôtefèye mî qui d’ nosse tins.

Li métôde èsteût simpe :

on-z-aléve dwèrmi timpe

66    on s’ lèvéve pus matin.

 

Asteûre, lès grands signeûrs

ont candjî totes lès-eûres :

is dwèrmèt l’ å-matin,

is d’djunèt vès doze eûres,

is dînèt qu’ fêt tot neûr,

72   is sopèt l’ lèd’dimin !

 

Novê tins, novèle mode,

tot candje d’on siéke à l’ôte,

 lès-omes tofér candjèt;

mins lès candjemints d’ nosse siéke

ont passé totes lès régues…

78   Rivenans à nosse sudjèt.

 

Tant qu’ Lîdje indépendante

si mostra triyonfante

 

 

 

  1. tåyes, aïeux, ancêtres. — 56. båyes, bâillements.
  2. d’épargner l’éclairage (litt* : les lumières). — 66. on se levait de bonne heure (litt. : plus matin).

70-72. C’est en effet des premières années du XIXe siècle que date, à Paris d’abord, le changement qui place le déjeuner en fin de matinée et le dîner en fin de journée. Le souper devient alors, par suite de ce recul psogressif, un repas pris tard dans la soirée; c’est par ironie que Simonon le reporte au lendemain.

  1. les hommes sans cesse changent.

 

(p.101)

inte ses puissants wèzins,

li Côparèye tote fîre

èlèva djusqu’å cîr

84   lès sons di s’ contintemint.

 

Qwand lès-årmêyes francèses

èployant totes leûs fwèces,

vinît l’an nonante-deûs,

li Côparèye tote trisse,

catchèye è si-édifice,

90   si têha pus d’ treûs meus.

 

Lès Francès ‘stant-èvôye,

dès djins plorîn’ di djôye,

tot l’ètindant r’ssoner.

Divins 1′ vèye Côparèye

is r’vèyît leû Patrèye

96    qu’on l’zî v’néve raminer.

 

S’èle rissona co ‘ne fèye,

ci fout po dîre à 1′ vèye

in-étèrnél adiè !

L’an d’enswite, è djulèt’,

dès victwéres pus complètes

102   raminît lès Francès !

C’è-st-adon qu’ dès vandales                    

ont distrût 1′ Catèdrâle,

 

85 et ss. Allusion à l’entrée à Liège des troupes françaises de Dumouriez en novembre 1792.

91 et ss. Allusion à la brève restauration du pouvoir épiscopal (d’où le réveil de la Côparèye) de mars 1793 à juillet 1794, après la victoire autrichienne de Neerwinden sur les Français, ‘stant = estant. — 92. plorîn’, forme arch. de plorît, pleuraient (aussi chez Marian de Saint-Antoine : cfr v. 174).

  1. … à la vie; on pourrait aussi interpréter vèye par « ville ».

100-102. « L’an d’ensuite » se situe par rapport au retour du prince-évêque en 1793. C’est le 27 juillet 1794 que les Républicains français, vainqueurs des Autrichiens à Fleurus, rentrèrent à Liège. L’incorporation de l’ancienne principauté à la France devenait effective quelques mois plus tard, en même temps que l’annexion des provinces belgiques (1″ octobre 1795) : l’Ancien Régime, regretté par Simonon, avait vécu.

103 et ss. Sur ces événements, voir ci-dessus la fin de la pasquèye du P. Marian de Saint-Antoine.

 

(p.102)

ont distrût tot costé

lès monumints d’ nosse glwére,

lès monumints d’istwére,

108   d’årt èt d’antikité…

 

A l’ fin, tot-à-fêt tome :

ètats, monumints, omes,

à l’ fin, tot deût mori…

L’antike cloke èst fondowe,

li toûr è-st-abatowe

114   èt sès rwènes ont pèri…

 

[1822]

 

« Poésies en patois de Liège », Liège, 1845, pp. 35-47. — Edition préoriginale de 25 strophes (désavouée par l’auteur) dans l’Almanach (…) Mathieu Laensbergh pour 1839.

 

  1. Réminiscence du classique etiam periere ruinae de Lucain.

 

Henri Forir

(p.103)

HENRI FORIR

(1784-1862)

 

Né au faubourg de Coronmeuse à Herstal, décédé à Liège. Fils d’un cor­donnier, ancien élève de l’Ecole centrale du Département de l’Ourthe, Henri Forir devint géomètre au Cadastre avant de faire comme professeur de mathé­matiques une carrière qu’il terminera à l’Athénée de Liège, ex-Collège royal.

Forir fut l’un des pionniers du renouveau dialectal au xixe siècle. Dès les années 1820, il recueillait les matériaux d’un Dictionnaire liégeois – français qui paraîtra, posthume, en 2 volumes (1866 et 1874). Vers 1836, il se rendit d’un coup populaire par ce qui restera comme son chef-d’œuvre : Li k’tapé manèdje, satire de haute verve qui renouait avec les meilleures des anciennes pasquèyes sur le mariage. Jointe à une dizaine de chansons où s’affirme un savoureux épicurisme de fond chrétien, cette pièce formera le recueil des Blouwètes lîdjwèsses (1845), suivi en 1853 d’un Suplumint qui n’a rien perdu en franchise.

Cette sympathique bonhomie lui vaudra d’être porté, en 1856, à la présidence de la naissante Société liégeoise de Littérature wallonne; il renoncera bientôt à cette fonction, après avoir vainement plaidé en faveur d’une orthographe phonétique qui fut jugée rebutante.

Henri Forir publia aussi plusieurs manuels pour l’enseignement des mathé­matiques. Il laisse un certain nombre de poésies et chansons wallonnes inédites.

 

28                                                                                                     [Liège]

Li k’tapé manèdje

 

S’i n-y-a tant dès feumes qui s’ plindèt

qui leûs-omes vont-å cåbarèt

passer leû sise, piède leû djoûrnêye,

4   so 1′ tins qu’èle sont totes disseûlêyes

avou deûs’ treûs hayåves-èfants

qui fèt come dès p’tits diåles rènants,

ma frike ! c’est bin sovint d’ leû fåte :

8    c’èst l’ nawerèye èt l’ crasse qui lès gåte.

Poqwè nin ‘ne gote s’atîtoter

po plêre à l’ome qu’on-z-a sposé?

 

LE MENAGE EN DESORDRE

  1. disseûlêyes, esseulées. — 5. hayåve (litt. : haïssable), désagréable. — 6. diåles rènants, diables remuant sans cesse (fig.). — 7. ma frike !, ma foi ! — 8. nawerèye, paresse. — 9. s’atîtoter, se parer. — 11. … comme une desséchée. — 12. coulêye. coin du feu.

 

(p.104)

Fåt-i d’morer corne ine souwêye,

12   li cou so ‘ne tchèyîre è 1’ coulêye ?

Alez ! si dj’aveû-t-eune insi,

dji l’åreû bin rade èlêdi,

ca ‘ne feume qui n’a ni gos’ ni gråce,

16   dji lome çoula ‘ne fameûse èplåsse

èt dj’ plin 1′ pôve cwér qui s’a marié

avou ‘ne dôrlin.ne qui n’ vout rin fé.

 

Dj’ènnè k’noh onk qu’a pris ‘ne fafoye

20   qui n’ sondje à rin qu’à fé gogoye :

èle magnereût, katribiu ! so 1′ djoû,

doze bèlès wafes èt sî cougnoûs;

pwis ‘1e va-t-amon s’ wèzène Lucèye,

24   qu’è-st-ine sacri pansåde come lèye,

beûre qwate cink tasses di crås cafè

qu’on tchôke èvôye avou 1′ pèkèt.

 

Èle ni fêt rin s’èle ni djèmih,

28 c’èst dî fèyes pés qu’amon Lîbrih.

Alez’ è s’ mohone qwand v’ volez,

c’èst dès tchinis’ po tos costés :

cial, c’è-st-ine vèye pêlète sins quowe,

32   là, c’èst dè l’ saveneûre dispårdowe,

ine hårdêye assiète so 1′ djîvå

èt dès rèsses di boûre tot-avå;

ine lamponète d’ôle rivièrsêye;

36   tåve èt tchèyîres totes dåborêyes

avou cokemår èt tasses dissus

èt l’ mår dè café qu’on-z-a bu;

ine tchåsse, on solé so l’ fignèsse;

 

—  14. èlêdi, prendre en aversion, et, de là, délaisser. — 16. èplåsse, emplâtre. — 18. dôrlin.ne, femme nonchalante et geignarde.

  1. fafoye, minaudière, femme mignarde et futile. — 20. fé gogoye, faire gogaille, bom­bance. — 22. wafe, gaufre; cougnoû, petit gâteau allongé qu’on mange particulièrement à la Noël (DL). — 24. qui est une sacrée goulue comme elle. — 26. qu’on fait passer avec le genièvre.
  2. amon Lîbrih, expr. figée conservant le souvenir d’un ménage réputé pour son désordre.

—  30. tchinis’, déchets, débris. — 32.  … de l’eau de lessive répandue. — 33. hårdêye, ébréchée. —  36.  dåborêye,  barbouillée.  — 40.  du mouillé  dans  toutes  les  pièces.  — 41. hurés, écurés, nettoyés.

 

(p.105)

40   dès frèhis’ divins totes lès plèces;

dès plats, dès cwîs qui n’ sont hurés

qu’ine fèye à Påke ou vès 1′ Noyé.

 

S’èle n’a nin mètou s’ colorète

44   po rèspouner s’ måssî hanète,

tapez vos-oûys d’in-ôte costé,

ca vos n’ sårîz, so mi-åme, dîner.

Dji l’a todi vèyou d’wåkèye;

48   tos l’s-ans, èle si pégnerè treûs fèyes :

è 1′ plèce di croles, sès dj’vès sont plins

di plomes qui v’nèt foû di s’ cossin.

O ! djèl vôreû si vol’tî bate,

52   qwand dj’ lî veû sès lonkès savates,

sès tchåsses trawèyes divins sès pîds

qu’èle mèt’ on meus sins lès r’nawî !

L’ôte djoû, dji m’ cassa quåsî ‘ne djambe,

56   tot m’ trèbouhant conte on pot d’ tchambe,

èt çou qu’èsteût co pus vilin,

c’èst qu’on-z-aveût fêt ‘ne saqwè d’vins.

Oute di çoula, po l’ mwinde tchîtchêye,

60  èle mon.ne l’ arèdje tote li djoûrnêye :

so l’ tins qu’èle gueûye, qu’èle grogne, qu’èle brêt,

èle lêt broûler l’ djote èt l’ lècê.

 

In-ome qu’a-t-ine si-fête djåkelène,

64 come i deût magnî ‘ne pôve couhène,

èt come i mådih li moumint

qu’a fêt l’ folèye di lî d’ner l’ min,

surtout s’i lî vint-è l’ pinsêye

68    qu’èstant marié, c’èst po ‘ne hapêye !

I  m’ sonle qu’a stu si målureûs qu’i va-t-è paradis tot dreût,

ca v’ polez dîre, à l’eûre di s’ mwért,

 

41-42. Orig. :  … qui n’ont nin stu hurés / dispôy li carnaval djusqu’å Noyé (10 syll.).

  1. colorète, collerette, petit collet. — 44. pour cacher sa nuque crasseuse. — 47. d(i)wå-kèye, décoiffée. — 53. ses bas troués… — 54. r(è)nawî, ravauder. — 59. tchîtchêye, vétille.

—  60. elle fait l’enragée le jour durant. — 62. elle laisse brûler le chou et le lait.

  1. djåkelène (litt. : Jacqueline), pécore, idiote. — 68. … c’est pour un bout de temps.

—  74. spani, expié.

 

(p.106)

72   qu’ènnè va fou d’on purgatwére

èt qui 1′ bon Diu l’årè loukî

come onk qu’a spani sès pètchîs.

 

Dès feumes insi sont cåse quékefèye

76   qu’in-ome si tape à 1′ calinerèye;

djèl blåme portant s’i passe si tins

à fé dès hårds è sacramint…

Mins dji dîreû-t-à ‘ne lêde cånôye

80    qui s’ plindreût qui si-ome èl rinôye

èt qu’i qwîre sès-ahèsses ôte påt :

« T’ènn’as co pô, m’ vêt ! brôye ti må ! »

 

Ann. Soc. de Litt. watt., 4, 1868, pp. 48-50. Cette édit. posth., la 6e et la meilleure, reproduit l’édit. orig. (Liège, s. d. [1836 ?], 1 feuillet double lithogr.) dont elle s’écarte, avec raison, aux vv. 41-42, pour adopter en cet endroit le texte figurant dans les « Blouwett Ligeoiss ».

 

 

29 Li paskèye èt l’ vin

(Air : La boulangère a des écus)

 

On savant d’ l’univèrsité,

djoûr èt nut’, i studèye;

mi, dj’a-t-ine manîre dè viker

4          qu’èst bêcôp pus-åhèye :

c’èst tot gastant qui dj’ passe mi tins

avou ‘ne pitite paskèye

èt dè vin,

8     avou ‘ne pitite paskèye.

 

  1. calinerèye, coquinerie, inconduite. — 78. Litt. : « à faire des brèches dans le sacrement [de mariage] », à violer la foi conjugale. — 79. cånôye, lendore, indolente. — 81. et de ce qu’il cherche ses aises ailleurs. — 82. « Tu en as encore [trop] peu, imbécile ! supporte [litt. : broie] ton mal ! ».

 

LA CHANSON (litt. : pasquille) ET LE VIN

  1. c’est en faisant bonne chère que…

 

(p.107)

Qu’on bûveû d’êwe è-st-anoyeûs !

Qu’i deût miner ‘ne trisse vèye !

On hèna d’ vin nos rind djoyeûs,

12          on-z-a 1′ vwès pus d’gadjèye.

Qui fåt-i po touwer 1′ chagrin?

C’è-st-ine pitite paskèye

èt dè vin,

16          c’è-st-ine pitite paskèye.

 

Tant qu’ nos-årans dès plins tonês,

buvans par djoû vint fèyes;

tchantans todi ‘ne saqwè d’ novê

20          po d’vêrti li k’pagnèye.

Qu’a-t-on d’ mèyeû po s’ mète è trin

qu’ine bèle pitite paskèye

èt dè vin,

24          qu’ine bèle pitite paskèye ?

 

Dihez-à ‘ne djon.ne fèye tot tchantant

qui vosse coûr vis catèye;

èle vis rèspondrè tot riyant :

28           « Li meun’, c’èst tot parèy ! »

Lès båcèles ni rèsistèt nin

conte ine pitite pasquèye

èt dè vin,

32          conte ine pitite paskèye.

 

Vos n’ sårîz creûre come ine tchanson

kitchèsse lès maladèyes;

on spéciyål di vin qu’èst bon

36          våt tote in farmacerèye :

on pout r’wèri bêcôp d’ mèhins

 

  1. Qu’un buveur d’eau est déplaisant ! — 11. hèna, petit verre. — 12. on a la voix plus dégagée.
  2. pour divertir la société.
  3. que le cœur vous chatouille. — 28. « Le mien, c’est tout de même ! ».
  4. chasse au loin les maladies. — 35. spéciyål, tonnelet ou flacon spécial. — 37. r(i)wèri, guérir; mèhins, petites incommodités.

 

(p.108)

avou ‘ne pitite paskèye

èt dè vin,

40          avou ‘ne pitite paskèye.

Dji beû, dji tchante sins savu qwand

mès dètes sèront payèyes;

å ci qui m’ dimande sès-êdants,

44       dji présinte ine botèye,

èt 1′ houssî ‘nnè r’va tot contint

avou ‘ne pitite paskèye

èt dè vin,

48          avou ‘ne pitite paskèye !

Qwand 1′ dièrin.ne cloke årè soné

l’eûre dè dièrin somèy,

qué plêsîr di nos dispièrter

52          po djouwi d’in-ôte vèye !

Crèyans qui 1′ bon Diu nos ratind

avou ‘ne pitite paskèye

èt dè vin,

56           avou ‘ne pitite paskèye…

 

« Blouwett lîgeoiss, deûzainm édition, korègeie è ragrandeie », Liège, 1845, pp. 16-17 (Ne figure pas dans la 1″ édition [1845] de ce recueil). En sous-titre : Traduit du français.

  1. êdants, liards, sous. — 45. houssî, huissier. 51. dispièrter, éveiller.

 

(p.109)

CHARLES WEROTTE

(1795-1870)

 

Né et mort à Namur où il fit, au gouvernement provincial, une carrière qu’il termina comme chef de bureau, Charles Wérotte est le principal fondateur de la littérature dialectale namuroise, avec Nicolas Bosret, l’auteur du Bia bouquet.

C’est comme membre du « Cabinet des mintes », cercle de joyeux menteurs qui se réunissait au faubourg de La Plante, que Wérotte prit goût au wallon, qui était la langue de ce facétieux aéropage. Lorsque celui-ci se reconstitua, en 1843, sous le nom de « Moncrabeau » et avec le titre d’« Académie des quarante molons » (l), Wérotte devint l’un des membres les plus actifs de cette société chantante et philanthropique, bientôt célèbre par son orchestre de mir-litophiles. Il la présida de 1858 à sa mort et y fit régner le culte de la chanson wallonne.

Si l’on excepte un long poème où il évoque les jeux traditionnels de son enfance (One sov’nance dès djeûs do vî tins) et un très petit nombre de fables imitées de La Fontaine, la production de Wérotte consiste en chansons; le premier volume qu’il fit paraître en 1844 connut des éditions augmentées en 1850, 1860 et 1867. Son ambition était modeste : transcrire le langage du peuple afin de rendre « ce bon sens enjoué, partage de la vieille gaité namuroise ». Encore que sa langue soit pauvre et son style facile, il y est assez bien parvenu si on en juge à la réputation que lui firent ses concitoyens.

Son penchant à la satire ne va guère au-delà d’une douce ironie, ainsi qu’on le verra ci-après par le monologue d’un neveu-héritier, confit en bienséance et en cupidité.

 

30                                                                                                  [Namur]

Nosse mononke Biètrumé

(Air : Tout le long de la rivière)

 

Li qué maleûr qu’èst sorvinu !

Mononke Biètrumé vint d’ moru.

Po l’ swè, il a spaurgnî one pome…

4          On n’ poleûve nin ièsse pus brâve ome :

 

NOTRE ONCLE BARTHELEMY

  1. Litt. : lequel malheur qui est survenu ! — 3. n avait épargné une pomme pour la soif. — 4. on ne pouvait être…

 

(1) Mo/on désigne en namurois une larve ou un asticot et, au figuré, un toqué, un hurluberlu.

 

(p.110) i nos-a lèyî sès-ècus.

Ses nèveûs sont come dès pièrdus.

 

Refrain

Crinte qu’i n’ ravike, i faut dîre one patêr.

8    Quand on l’ètèrerè, nos-alans bran.mint braîre

Nos-alans tortos bran.mint braîre.

 

Vinoz l’ vôy, il èst là stauré;

ô ! come il èsteûve adoré !

12           Dji so bin trisse, dji vos l’assure…

I faut qui dj’assaye si tchaussure.

Dji crwè qui s’ tchapia m’îrè bin :

one miète sitrwèt, mès ci n’èst rin.

 

16           Lèyîz-me assayî s’ rodje abit

(dji pinse qu’il a stî fêt por mi),

si nwâre culote èt s’ djane cravate.

Dispêtchans-nos, mèchenans bin rade :

20           vos, Djôsèf, qui n’a pus qu’on tch’via,

pirdoz s’ pèruke à queuwe di rat.

Aus-ôtes nèveûs, nos n’ dîrans rin;

li cia qui prind l’ prumî prind bin.

24           Nos-avans li tièsse tote pièrdeuwe !

Pirdoz l’ monte qu’èst vêla pindeuwe !

C’è-st-one saqwè d’ trisse qui l’ chagrin.

Nos-îrans bwâre on p’tit vèrkin.

 

  1. raviker, revivre, ressusciter. — 8. … nous  allons beaucoup pleurer.
  2. Venez le voir, il est là étendu. — 13. assayî, essayer. — 14. tchapia, chapeau. — 15. s(i)trwèt, étroit.
  3. mèchener, glaner. On peut traduire : faisons notre butin bien vite. — 20 … qui n’avez (litt. : a) plus qu’un [seul] cheveu. Joseph est évidemment un autre neveu, complice de celui qui parle. — 21. pirdoz, prenez. Appliquée à une perruque, l’expression « à queue de rat » désigne les cheveux de derrière serrés par un cordon ou mis en tresse de façon à s’amincir comme une queue de rat.
  4. Celui qui prend le premier prend bien (= fait bonne prise). — 27. vèrkin (dimin. de verre), petit verre d’alcool.

 

(p.111)

28           Qué maleûr po lès pôves nèveûs !

Djôsèf, on ètind lès tchanteûs…

Choûte : volà dèdjà 1′ cloke qui sone.

Vite ! qu”on l’èpwate foû dè 1′ môjone,

32           aprètans tortos nos mouchwès :

dji sin v’nu dès lârmes come dès pwès…

 

« Ch’oix di ch’ansons wallonnes et otres poésies pa Charles Wérotte », Namur, 1844, [pp. 101-102].

 

29 tchanteûs,  ici les  chantres du service religieux. —  31.   …  hors de la maison.  — 32. mouchwè, mouchoir de poche. — 33. … comme des pois, c.-à-d. : de grosses larmes.

 

 

(p.112)

CHARLES DUVIVIER

(1799-1863)

 

Né et mort à Liège, Charles Duvivier (à partir de 1841, chevalier du Vivier de Streel), descendant d’une vieille famille hesbignonne, fut, pendant de nom­breuses années, curé de la paroisse Saint-Jean l’Evangéliste. Le ministère pastoral auquel il se dévoua inlassablement ne l’empêcha point de s’occuper de pédagogie, d’enseignement, de littérature (ne rappelons que son poème héroï-comique en 24 chants La Cinêide, 1852), d’archéologie et de lexicologie wallonne (Dictionnaire des rimes wallonnes, inédit, et Dictionnaire wallon-français, inachevé). C’est avant tout par ses poésies dialectales que l’abbé Duvivier mérite de survivre. Son œuvre wallonne (du moins ce qui en a été publié) est cependant des plus minces : avec quelques pièces détachées où l’on remarque les premières adaptations liégeoises de fables de La Fontaine, elle se réduit à deux petites brochures : Quelques chansons wallonnes (Liège, 1842), et Poésies wallonnes, n° 1er [= 2e édit. de l’ouvrage précédent] et 2 (Liège, 1842). Duvivier y aborde, en poète satirique et en moraliste, des sujets variés — Lès brèyàs, Lîdje et lès-ètrindjîrs, Li vin à” payîs, Li cwène de feu : pasquèye so lès-élections, etc. — le plus souvent d’inspiration locale : de là, des allusions dont le sens est perdu pour le lecteur et qui mettent la plupart de ces pièces au rang de curiosa, malgré leur tour aisé et spirituel.

Aujourd’hui encore, Duvivier demeure ce qu’il était pour ses contemporains et qu’il se plaisait lui-même à reconnaître lorsqu’il signait ses productions wallonnes : Li pantalon trawé. Cette pièce est le chef-d’œuvre de la chanson wallonne de l’époque antérieure à Defrecheux. Evocation sans amertume de l’épopée sans panache du vieux soldat de l’Empire devenu le patriote de 1830, blasé des régimes qu’il a connus et servis, c’est, au rythme d’un décasyllabe martial, l’ébauche d’une fresque historique en même temps que la paraphrase en filigrane d’une vérité de tous les âges : Quidquid délirant reges, plectuntur Achivi…

 

31                                                                                                    [Liège]

Li pantalon trawé

(Air : Te souviens-tu, disait un capitaine…)

 

Vis sovenez-ve bin, Lînå, m’ cher camèråde,

dè fameûs tins dè grand Napolèyon,

 

LE PANTALON TROUÉ

  1. Lînå, Léonard; c’est le nom du compagnon d’armes auquel le vieux soldat est censé s’adresser. —

 

(p.113)

qui nos rivenîs tot stoûrdis dè l’ salåde

4    qui lès Cosakes nos d’nît à côps d’ canon ?

N’s-avîs dè monde tos lès pious, totes lès bièsses,

n’s-avîs 1′ narène èt lès deûts èdjalés;

èt nos-avîs d’vins co traze èt traze plèces

8    nosse pantalon, nosse pantalon trawé.

 

Dji m’è sovin, come si c’èsteût asteûre,

qui, tot passant å triviès d’ nosse payîs,

nos n’ avis nin ine dimèye gote à beûre :

12   sins nole astådje, nos-alîs so Paris.

Dj’âreû volou dîre Diè-wåde à Lîsbèt’,

qu’èle ratindahe, qu’èle ni d’véve nin s’ prèsser;

mès po m’ mostrer, dji n’èsteû nin hayète :

16 c’è-st-on måleûr qu’on pantalon trawé…

 

Dj’èsteû portant djà divenou côporâl

èt dj’èspèréve bin vite passer sordjant,

dj’åreû polou min.me diveni djènèrål :

20   dj’ m’aveû batou cint fèyes come on brigand !

Dj’åreû-t-awou tot d’ swite li creûs d’oneûr,

on bê ploumèt èt dès-abits brosdés…

Mês on n’ såreût avu bêcôp d’ boneûr,

24   qwand c’èst qu’on pwète on pantalon trawé.

 

Qwand nos rivenîs, nos-èstîs-t-à l’ Rolande,

Lîsbèt’ s’aveût di m’ ratinde anoyî :

‘lle èsteût mariêye; mi tristrèsse fout bin grande,

28 mês qu’èst-ce qu’on wågne di s’ pinde ou di s’ nèyî ?

Come dji pola, dj’ racomôda mès håres; å djènèrål, dji m’ala présinter;

 

  1. [alors] que nous revenions tout étourdis de la « salade », c’est-à-dire : de la raclée. — 5. … tous les poux, toutes les bêtes [du monde].
  2. å triviès (ord1 : å-d’-triviès), au travers. — 12. astådje, retard, répit. — 13. Diè-wåde, formule arch. de salutation ou de congé; litt’ : « Dieu [vous] garde ». — 15. hayète, mûr (au propre, en parlant de la noisette), ici : à point, convenable. — 16. var. : ci fout m’ måleûr qui m’ … (éd. orig.).
  3. … nous étions à la Hollande (à la suite du traité de Vienne de 1815 qui rattachait au royaume des Pays-Bas nos provinces devenues départements français en 1795). — 27. tristrèsse, f. arch. de tristesse en liég. — 28. mais qu’est-ce qu’on gagne à se pendre ou à se noyer ? — 32. à cause des coutures…

 

(p.114)

mês d’ côporål, dji r’divena simpe sôdård

32   gråce ås costeûres di m’ pantalon trawé !

 

Divenou flankeûr d’vins lès canifich’tônes,

on m’ rimoussa, dj’eûri on pantalon,

dji magna m’ sô, dji divena come on mône,

36   mi qu’aveû stu come on vî dj’vå d’ gosson.

Mês on k’mandéve d’on si drole di lingadje,

lès côps d’ baston ni fît qui dè rôler,

dji m’ anoya, dji souwa come ine catche,

40    èt dji r’grèta m’ pauve pantalon trawé.

 

Dj’èsteû nåhî, awè, ciète, djèl pou dîre !

Mês qu’èst-ce qui c’èst ? dji n’ saveû nou mèstî.

Dj’ n’åreû sawou måy rintrer è 1′ houyîre,

44   dj’in.me li grand êr, dji n’ såreû m’ racrampi.

Mês, tot d’on côp, volà qu’ n-a brôye-manèdje

èt qu’à Brussèle, on-z-ôt 1′ canon groûler !

Dj’ lès planta là, sins l’zî dîre bon voyèdje :

48    dj’ prinda m’ såro èt m’ pantalon trawé !

Dji m’a batou come on bon påtriyote,

dj’a stu blèssî, dj’a må tos mès-ohês,

dji n’ dimande rin èt n’ pou-dje ni l’ hay ni l’ trote,

52   ca 1′ diåle todi tchèye so 1′ pus gros hopê…

 

  1. flankeûr, « flanqueur », (néerl. flanker), soldat d’un flankbataillon; canifich’tônes (d’après néerl. : kan niet verstaan, « peux pas comprendre »), nom plaisant donné aux Hollandais et aux Flamands. — 34. on me rhabilla… — 35. je mangeai à ma faim (litf : «mon soûl»)… — 36. moi qui avais été comme une vieille haridelle (litt4 : cheval de blatier »). — 37. … d’un si drôle de langage (car les commandements se faisaient en néerlandais). — 38. La bastonnade, ignorée des règlements militaires français, était pra­tiquée couramment dans l’armée hollandaise; elle avait été introduite dans les territoires occupés par les Prussiens dès 1814. — 39. … je séchai comme un fruit tapé.

 

  1. si racrampi, se contracter, se recroqueviller. — 45. brôye-manèdje, trouble-ménage. — 46. Toutes les éditions ont rôler, « rouler »; nous avons préféré groûler, « gronder », correction manuscrite apportée par l’auteur sur son exemplaire personnel (collection X. Janne d’Othée). Les vers 45-46 font allusion aux journées de septembre 1830, au Parc de Bruxelles où les volontaires liégeois se distinguèrent dans les combats contre les Hollandais. — 48. Le « sarrau » (såro), long surtout en fine toile bleue, formait, avec le bonnet de police, l’uniforme des volontaires de 1830. Le coûrt såro était le vêtement porté couramment par les hommes du peuple. — 51. « ni l’ hay ni l’ trote, figure tirée d’un cheval auquel on ne peut plus rien faire faire » (note mste de l’auteur [ibid.]. Le sens de l’hémistiche est : et je n’en puis plus de fatigue. — 52. car le diable toujours ch… sur le plus gros tas, autrement dit: «la fortune vient toujours à qui en a déjà: (note id.).

 

(p.115)

Vos-ôtes, mèssieûs, qu’ont-awou totes lès plèces,

vos qu’ so nosse dos, nos-avans fêt monter,

ni roûvîz måy qui vos d’vez vos ritchèsses

56    å vî sâro, å pantalon trawé.

 

[1838]

Quelques chansons wallonnes par l’auteur du Pantalon Trawé », Liège, 1842 (pp. 11-13: 3e éd. du Pantalon trawé). Edition originale : Liège, s. d. [1838], 1 feuillet double.

 

 

(p.116)

JOSEPH LAMAYE

(1805-1884)

 

Né et mort à Liège, Joseph Lamaye, qui fut avocat, conseiller à la Cour d’appel de Liège et président du Conseil provincial, occupa une place en vue dans le parti libéral liégeois. Dès 1838, il mit sa muse wallonne au service de ses idées philosophiques et politiques. Si l’on excepte des compliments de circonstance, deux ou trois parodies d’œuvres wallonnes populaires et, en 1845, quelques fables imitées de La Fontaine où il rivalise non sans bonheur avec son modèle, il a surtout composé des chansons dirigées contre le clergé et le parti conservateur. Malgré leur verve appuyée, ces œuvres satiriques n’ont pas survécu aux circonstances qui les firent éclore.

Dans un genre différent, Lamaye a été plus heureux avec sa chanson sur deux rimes, Li bourgogne, restée célèbre au pays de Liège.

Les œuvres de Lamaye n’ont jamais été réunies en volume. On en trouvera un certain nombre dans l’Annuaire de la Société de Littérature wallonne, XI (1886), à la suite de la notice biographique consacrée à l’auteur par Victor Chauvin.

 

32 [Liège]

Li bourgogne

(Air des Chapons de Béranger)

 

Amis, 1′ sudjèt di m’ tchanson riwèrih

tot 1′ monde dè 1′ sogne;

dji n’ vis d’manderè nin pardon

4 si dj’atrape l’êr à côps d’ pogn :

tot buvant, dji r’prindrè 1′ ton,

dji m’ va tchanter l’ vin d’ Bourgogne :

après lu gn-a pus rin d’ bon,

8 c’èst lu qu’ fêt glèter l’ minton !

 

Lès vîs bordeaux sont co bons,

mins ça n’ fêt nin rodji l’ trogne;

 

 

LE BOURGOGNE

  1. guérit tout le monde de la peur. — 4. … à coups de poing = en blessant l’harmonie. — S. glèter, baver. L’expression fé glèter l’ minton est à prendre au figuré pour désigner les plaisirs de la bouche.

 

(p.117)

çoula v’ rahèye ås poumons

12   èt li stoumak si cafogne;

mins qwand v’ buvez quékes goûrdjons

d’on bon vî croté bourgogne,

 li tcholeûr vis r’mèt’ so l’ ton

16    et fêt glèter vosse minton !

 

Èstez-ve ad’lé vosse zonzon,

avou l’ bordeaux l’amoûr brogne;

si vos volez-t-avu bon

20   i v’ fåt mète on pô foû d’ sogne !

Houmez deûs’ treûs bons hûfions

d’on bon vî hêtî bourgogne :

li séve vis montrè å front

24   èt f’rè glèter vosse minton !

 

Li rhin, comme li djus d’ citron,

è vosse gozî d’meûre à gogne,

èet, qwand i tome djusqu’å fond,

28   vos frusihez, vosse coûr grogne !

Hoûtez-me, i gn-a rin d’ si bon

qu’on bon hèna d’ vî bourgogne :

c’è-st-on bôme po lès poumons,

32   qui nos fêt glèter l’ minton !

 

Dè Champagne vantez l’ flacon

avou s’ long gosî d’ cigogne;

vantez l’ brut di s’ carilion :

36   l’èsprit qui pète mi fêt sogne…

On mon.ne li plêsîr pus Ion

avou nosse bon vî bourgogne :

s’i done on pô d’èsprit d’ mons,

40   i fêt mî glèter l’ minton.

 

  1. raîi, racler, gratter. — 12. si cafogne, se chiffonne, se contracte. — 13. goûrdjon, gorgée.
  2. Etes-vous près de votre dulcinée. — 18. brognî, bouder. — 19. avu bon, avoir du plaisir. — 20. fou d’ sogne, hors d’inquiétude. — 21. Humez deux (ou) trois bons verres. — 22. hêtî, sain.
  3. dans votre gosier reste coincé. — 28. Vous frissonnez… — 30. hèna, (petit) verre. 36. l’esprit qui fuse me fait peur. — 37. On mène le plaisir plus loin.

 

(p.118)

Qwand on v’s-apwète on flacon

avou ‘ne grosse panse èt ‘ne vèye cogne,

qu’on veût on k’magnî bouchon,

44 li djôye fêt r’lûre totes lès trognes !

On s’ dit : « Ci-cial sèrè bon :

c’èst co d’ nosse bon vî bourgogne !

Qu’on-z-aprèstêye sès tchansons :

48 on va fé glèter s’ minton ! »

 

Hoûtez 1′ glouglou dè flacon

qui sût l’ doûs mouvemint dè pogn;

loukîz v’ni lès pièles d’å fond,

52   totes blankes so ‘ne coleûr cascogne !

L’odeur vis-adawe d’å lon :

c’èst dè vî clapant bourgogne !

A 1′ santé dè bon patron,

56    qui fêt glèter nosse minton !

 

[1846]

Annuaire Soc. de Litt. Wall., t. 2, 1864, pp. 131-133, d’après l’original en feuille volante (1846) tiré à quelques exemplaires.

 

33

Li pèsse divins lès bièsses

 

On må qui d’ bin lon fêt frusi,

qui done li pawe å pus hardi,

qui n’ sipågne ni fwèce ni corèdje,

4    qui siève å bon Diu

d’ine grande vèdje

qwand l’ monde divint par trop cålin,

èt qui sème li mwért à deûs mins,

 

  1. qu’on voit un bouchon tout mangé (rongé). — 45. ci-cial, celui-ci.
  2. regardez venir les  perles  du fond.  —  52.  coleûr cascogne,  couleur  châtaigne.  —
  3. L’odeur vous attire de loin. — 54. … du vieux bourgogne fameux.

 

LA PESTE PARMI LES BETES (imitation de La Fontaine, Les animaux malades de la peste, Fables, VII, 1)

  1. frusi, frémir. — 2. pawe, frayeur. — 3. qui n’épargne ni… — 4. vèdje, verge. — 5. cålin, pervers. —

 

(p.119)

li pèsse, pusqu’èl fåt dîre,

8 flahîve so totes lès bièsses come on côp d’aloumîre

èt lès r’vièrséve turtotes… Lès cisses qui n’ morît nin

toumît è 1′ langonèye, lanwihît èt n’ fît pus nou bin.

12   Lès mètchantes come lès bones minît ‘ne pôve vicårèye.

È 1′ plèce di s’ riqwèri, lès-oûhês s’ dicoplît,

lès pus-amoureûs s’ rèspounît;

li leûp, li r’nåd, 1′ mohèt n’ tûsît pus à magnî !

16 Leû sovèrin, l’ liyon, fit rassimbler s’ Consèy

èt dèrit : « Mès-amis, n’s-avans ‘ne lêde maladèye ! »

Vos m’ creûrez s’ vos volez, mês dj’ pinse qui nos pètchîs »

sont cåse qui 1′ paradis vout nos sacrifiyî.

20           » Po 1′ rapåveter, dj’a-t-oyou dîre

» qui, dè vî tins passé, on crèyéve on mårtîr.

» N’è-st-i nin djusse dè fé d’håssî

» li ci qui d’vins nos-ôtes si troûverè 1′ pus måssî ?

24    » Ègzåminans bin nosse consyince,

» kifèssans-nos : qui tot 1′ monde vinsse »

dîre tot 1′ må qu’il a fêt »

sins 1′ conter so s’ pus bê.

28    » Li bon Diu 1′ vout insi :  qui 1′ pus cålin pèrihe

» po qu’ tot 1′ rèsse si r’wèrihe ! »

Por mi, dji va k’mincî : dj’a stronlé, sins minti, »

po fé glèter m’ minton, quékes dozin.nes di bèrbis…

32    » Èles ni m’avît rin fêt, ca dj’ vou qui 1′ boye m’abate ! »

so l’ tins qui dj’ lès k’dåssîve, èles mi lètchît lès pates… »

Dj’a co fêt pés,  ca dj’a magnî

pus d’on bièrdjî !

36    » Dji so prèt’ à mori,

mês d’vant çoula, dji pinse

» qui po fé 1′ dreût dè djeû, po rinde ine bone sintince,

» vos d’vez v’ni toûr à toûr »

divant tot 1′ pårlumint, come mi, d’lahî vosse coûr.

 

  1. frappait sur toutes les bêtes comme un coup d’éclair. — 10. langonèye, agonie. — 14. si rèspouner, se cacher. — 15. mohèt, épervier. — 20. rapåveter, apaiser. — 21. … on créait un martyr. — 22. d(i)håssî, déchausser (ici « déshabiller » au moral). — 27. sans le conter à son avantage. — 29. pour que tout le reste [des animaux] se gué­risse. — 30. stronler, étrangler. — 31. pour me faire baver le menton (= pour faire bonne chère), quelques douzaines de brebis. — 32. boye (arch.), bourreau : qui ïm’abate ! (imprécation). — 33. k(i)dåssî, mâcher. — 37. fé l’ dreût dè dieû, se conformer aux règles du jeu, agir loyalement. — 39. d’lahî vosse coûr, soulager votre conscience. —

 

(p.120)

40                 » On pwèrè apreume vèy

» li ci qu’i fåt qu’i s’ sacrifèye ». —

« Grand prince, lî dit li r’nåd, v’s-avez trop’ di bonté »

dè prinde po dès pètchîs dès-eûves di charité !

44    » Kimint, sîre ! vis r’pinti d’avu crohî dès bièsses

» qu’on magne à totes lès tåves ? Pèrsone nèl vwèreût creûre ! »

Li canaye deût-èsse fîre dèe noûri 1′ hôte nôblèsse. »

Vos ! magnî dès moutons ? vos l’zî fîz bin d’ l’oneûr !

48    » Po çou qu’èst dè bièrdjî, çoula n’ mèrite nole grâce :

» si lès bièsses n’ont nou dreût, c’èst zèls qu’ènnè sont cåse… »

Insi djåsa li r’nåd,

èt l’s-ôtes dè brêre « vivåt ! ».

52   Tot l’ monde bawîve è tére,  on n’ trovéve rin à r’dîre

å moumint qu’ l’ours’ èt l’ tîgue kifèssît leûs mèhins :

totes lès hagnantès gueûyes èstît dès-andjes d’å cîr,

dès binamés p’tits sints !

56          Lès crimes di tos lès tchêye-quarèles

n’èstît qu’ dès p’titès bagatèles…

Qwand ci v’na l’ toûr di l’ågne, i dèrit :  « Dji m’ sovin

(mês gn-a d’ çoula bin dès-an.nêyes),

60    » qui dj’ passéve, à l’ vèsprêye, è l’ prêrèye d’on covint. »

Dji n’aveû co fêt nole eûrêye : » dj’assotihéve di fin èt d’ seû !

» Li foûre, qu’odéve si bon, m’ montéve djusqu’ås-orèyes,

64    » li diåle èt l’apétit m’ fît djêrî tos lès deûs :

» po l’ viér dè coûr, dj’ènnè saya ‘ne picêye… »

Volà m’ pètchî, vos ‘nnè djudjerez ». —

« Harû ! pèlêye cûrèye ! » brèya-t-on d’ tos costés.

68           On leûp, qu’èsteût on pô jésuite,

prétcha qu’i faléve å pus vite mascåsser cisse vèye rosse,

ci tigneûs sins-èsprit qu’èsteût cåse di tot leû displit !

 

  1. on pwèrè (arch.)…, on pourra seulement alors voir. — 44. crohî, croquer. — 45. vwèreût (arch.), voudrait. — 52. tout le monde épiait, la tête baissée… — 53. mèhins, ici : pecca­dilles (iron.). —• 54. toutes les mordantes gueules… — 56. tchêye-quarèles (litt. : « chie-querelles »), fomenteurs de dissensions. — 58. ci, emploi explétif de l’adv. ci. — 61. eûrêye, « heurée », repas. — 64. djêrî, éprouver un appétit déréglé. — 65. pour le ver du cœur (= pour tuer le ver), j’en goûtai une pincée. — 67. pèlêye cûrèye, pelée charogne. — 70. écorcher cette vieille rosse, ce teigneux sans esprit. — 71. displit, tourment, peine.

 

 

(p.121)

72   Haper l’ièbe d’on covint ! Våreût mî d’ moudri s’ père ! …

Nosse pôve bådèt fout bin vite mwért !

Vos serez neûr ou blanc, à l’ coûr on v’ djudje insi :

74  c’èst 1′ gros pèhon qui magne li p’tit.

 

Journal La voix du peuple, 1″ année, Liège, 1845, pp. 189-190. — Reproduit dans Annuaire Soc. de Litt. Wall., t. 11, 1886, pp. 130-132.

 

– 72 moûdri, meurtrir, tuer. — 73. à la cour : la cour du roi… ou le prétoire ? — 74. c’est le gros poisson qui mange le petit.

 

 

(p.122)

CHARLES LETELLIER

(1807-1870)

 

Né à Ath, mort à Bernissart, localité de la frontière française dont il était le curé depuis 1846, l’abbé Letellier, avant d’entrer dans les ordres, a vécu toute sa jeunesse à Mons.

C’est dans le parler de cette ville que, sur les traces de son aîné, Henri Delmotte (1798-1836), auteur des Scènes populaires montoises (1834), Letellier se risquera à publier, en 1842, des Essais de littérature montoise; bientôt épuisé et introuvable, ce petit recueil anonyme eut les honneurs de la contre­façon en France (Valenciennes, 1845) et connut ensuite une 2e édition, aug­mentée, en 1848. Son succès était dû principalement au tableau de mœurs populaires qui en constituait le plat de résistance : El mariâje dè l’ fîe Chôse. Scène dialoguée en trois tableaux où deux commères du peuple vont admirer à l’église le mariage de la fille d’un notable de la ville : la perfection du réalisme l’a fait comparer non sans raison au « mime » des Syracusaines de Théocrite.

L’accueil réservé à sa première œuvre détermina le curé Letellier à publier, à partir de 1846, l’Armonaque dé Mons, qui continua à paraître après sa mort, jusqu’en 1899. Rédigé en dialecte, c’est le premier du genre en Wallonie (il avait eu des devanciers en Lorraine et en Picardie) et il devait faire école, de Tournai à Malmedy.

Letellier a écrit la plupart des textes qui composent YArmonaque. Une grande variété y règne, toujours placée sous le signe d’un humour original, où se mêlent la goguenardise et la naïveté. Mais la faconde de l’auteur le conduit souvent à la prolixité. On le remarque notamment dans ses fables, très libre­ment imitées de La Fontaine : préférant presque toujours la prose aux vers, Letellier en fait des récits qui tiennent le milieu entre le conte populaire et le fabliau. Le mérite lui restera toutefois d’avoir été, dès 1842, le premier fabuliste en littérature wallonne. Là encore, il allait être largement suivi.

 

34                                                                                                          [Mons]

El mariâje dè l’ fîî Chôse

(Extraits suivis)

 

PREMIER  TABLEAU

 

Le commencement de la scène se passe au bas de la rue de Nimy, non loin de la porte de ce nom.

 

LE MARIAGE DE LA FILLE CHOSE. — L’identification est fournie par le titre du manuscrit autographe : « SI Mariage de 1′ Fie Siraut 1’ Bourguémesse à St Nicolas. 1842 » (Mons, Bibl. publique, ms 581).

 

(p.123)

Madelon

Où-ce que tu cours insi, hon, Dèdèfe ?

On dirwat qu’ t’as 1′ feu à t’ eu !

Dèdèfe

J’ m’in va vîr in biau mariâje, fîe.

Madelon

4   Qué mariâje, hon ?

Dèdèfe

El mariâje dè 1′ fîe Chôse à Sinte-Isabèf. J’ sû bin sûre qu’on va j’ter dès yârds à dik-èt-dak. J’ tâch’ré d’in ramasser ène bone pougnîye, mi. Em’n-ome a d’jà dit qu’i s’ foutrwat ène bone chique

8 à leû santé èyèt mi, èj’ f’ré ène bamboche au chicolat avè deûs twas visènes èyèt dès pains blancs d’ madame.

Madelon

Boh ! oui, èle va s’ marier ainsi, ç’ vièrje-martîre-là ? Va, si èle n’a nié trouvé in chaland pus d’ bone eûre, c’ n’est nié faute qu’èle

12   n’a nié dès yârds assez, toudi !

Dèdèfe

Tu n’as jamés si bié dit d’ ta vîe. A propos, èst-ç’ que tu n’ vas nié v’ni avec, hon ?

Madelon

El bon sins 1′ veut, èt’-t-i Camus. Rinte in moumint, j’ va mète

16    ène braye èy’ in lign’ron au eu de m’n infant, et pwis nos d-îrons à deûs. (…)

Dèdèfe

A propos ! savez bé avè quî c’ què 1′ fîe Chôse s’ marîye ?

 

 

Dèdèfe, forme hypocoristique, en picard oriental, de Marie-Joseph (ou de Josève).

  1. … à Sainte-Elisabeth; le nom réel de l’église paroissiale (voir ci-dessus) a été changé intentionnellement par l’auteur. — 6. yârd, liard, pièce de monnaie. Allusion à l’usage de lancer des sous à la volée au sortir de l’église, lors d’un mariage ou d’un baptême. — 7. Mon mari a déjà dit qu’il se flanquerait une bonne cuite…
  2. visène, voisine.
  3. … dit-il Camus (dicton local). — 16. braye, braie, petit caleçon; lign(e)ron, lange d’enfant. —

 

(p.124)

Madelon

Non. Em’n-ome m’a bé dit qu’elle alwat s’ marier, més i n’ m’a

20    nié seu dîre avé quî; èyèt ça, parqué i n’ sét nié lîre èl lète écrisse, i n’ sét foke lîre èl lète moléye.

Dèdèfe

Eh bé, m’ fîe, ç’t-avé un du côté d’Ath; d’Ath èt nié d’Ath, du faubourg dè Braqu’gnies : in monsieû qu’a bram’mint dès-ôbêrts.

24 On dit qu’èlle a fét s’ connaissance in d-alant nanger à Spa, du côté d’ Liège. Quand il l’a yeû vu, il a d’mandé tout d’ swite pou li parler.

Madelon

Tiens ! asteûre, là co du nouviau : trouver in gas in d-alant nanger

28    à Spa ! Va, nous-autes, i n’ nos-a nié foulu couri si lon.

Dèdèfe

J’ cwa bé. Mi, i n’a foke foulu d-aler in côp à 1′ ducasse du Cras-Monciau. Jacot a couru sot tout d’ swite après mi.

 

Madelon

Eyèt mi, quand j’é yeû fét in van’sé avè Polite au Plancher, à

32   1′ ducasse d’Hiyon, i n’ li in n’a pus foulu d’aute què mi. (…)

 

DEUXIEME  TABLEAU

 

Dèdèfe

‘Z-infants ! lès jins qu’il a d’jà ! I n’ d-a nié tant qu’ ça 1′ jour

 

20-21. Le mari de Madelon ne sait lire que (foke — anc. fr. fors que) la lettre moulée, c’est-à-dire imprimée.

22-23. Le marié, étant de la région d’Ath, se voit appliquer le dicton traditionnel dont la teneur complète est : il est d’Ath èt nié d’Ath, il est du faubourg de Brank’gnie, co toudi d’Ath pou ça (Brank’gnie est la forme orale de Brantignies, ancienne dépendance d’Ath conservée dans l’odonymie athoise : rue de Brantignies). Letellier, d’origine athoise, ne manque pas de replacer ici ce sobriquet populaire des Athois. — 23 … qui a beaucoup d’écus. — 24. … en allant nager à Spa; il faut interpréter : en allant prendre les eaux.

  1. la ducasse (fête de la dédicace de l’église paroissiale, d’où : kermesse annuelle) du « Cras Monciau », nom d’un quartier populaire, aujourd’hui disparu à Mons.

 

(p.125)

du grand Pâques à grand’mèsse. Pousse lès jins in p’tit peû, nos tâch’rons d’aler nos mète à l’intrée du chœur pour vîr passer

36   1′ partieuyère ave s’ bèle twalète. (…)

Madelon

Tiens ! le v’ià justèmint qu’èle rinte pô grand portai. Ergarde in peu corne elle èrlwit ! Èle d-a co pus d’ pou deûs cints francs su s’ dos, alez ! Eh ! come èle marche in fronchant s’ cu ! On 40 vwat bé qu’èle n’a jamés été si brave dè s’ vîe, va!… Tâche in peu dè n’ nié pousser ainsi, va, twa, p’tit ropiyeur !

Le gamin

Tiens ! té v’là bé va, twa ! qu’èst-ç’ què tu ferwas, hon ?

Madelon

Ç’ què j’ ferwa ? Aprouvez toudi d’ rinviyer m’n-infant, savez !

44   Vos vwarez ç’ què j’ feré.

Le gamin

Qu’èst-ç’ què je m’ fous dè t’ moricot d’infant, hon, mi ? Tu n’avwas qu’à 1′ lèyer à t’ méson.

Madelon

Avez jamés vu inné afronterîye parèye, tènez ? Aprouvez co d’

48   pousser in côp : j’ vos fous ‘ne marnioufe su vo visâje come in pin d’ deûs sous.

Dèdèfe

N’ dispute nié insi à l’église, va, Madelon; i n’a nié d’avance avè cès-arsouyes-là… Ergarde qué biau capiau qu’elle a su s’ tiète dè

 

4l. ropiyeur, gamin, sorte de Gavroche montois.

  1. … de ton marmot d’enfant.
  2. marnioufe (prononcé souvent margnoufe), momifie, soufflet.
    • Regarde quel beau chapeau qu’elle a sur  sa tête de soie blanche.  Anacoluthe expressive :  la proposition déterminative  est intercalée entre  le nom  et le  complément

de celui-ci. Une liberté du même genre se remarque dans la séquence qui suit : avec des plumes sur son oreille des grands oiseaux qu’on montre à la foire. Ces ruptures de construction imitent la langue parlée.

 

52   soie blanque, avé dès plumes su s’ n-orèye dès grands mouchons qu’on moute à 1′ fwâre. (…)

Madelon

Eh ! ‘là 1′ curé qu’arive avé 1’ grand-clêr. Ergarde in peu come il-ont l’ér binése.

Dèdèfe

56 A t’ mode, hon, c’t-ène bone journée pour eus’, da ! C’èst toudi au mwins in côp d’ quatrè-vint francs pou eus’ deûs, alez.

Madelon

Tout d’ même, cès curés-là ont bé du boneûr pou ça, savez : quand i n’ pleut nié, i goute pou ces gayârds-là. (…)

Un employé du gouvernement

60 De quelle volubilité de langue sont donc pourvues ces personnes du sexe ! C’est un flux et reflux de paroles, de réflexions non inter­rompues, et que nul ne saurait contenir.

Madelon

Qu’èst-ce qui raconte, hon, ç’ti-là ? Est-ce que t’as compris in

64   mot dè c’ qu’il a dit, twa, Dèdèfe ?

Dèdèfe

Non, m’ fîe; je n’ sé nié si c’èst du grèk ou bé du flamind qu’i nos-a là bouté. I m’ semble pourtant què c’t-à nous qu’i d-a.

Madelon

Bé ! j’ cwa bé què c’t-à nous ! Tu n’as nié vu, hon ? Il s’a r’tourné

68   sur mi, i m’ fèswat ‘ne mine come in capuchin à l’agonîe.

Dèdèfe

Eyêt mi, j’é pinsé qu’il alwat m’avaler. I m’ fèswat deûs-yeûs come ène marcote in couche !

 

 

  1. Le grand clerc ou premier clerc d’une église paroissiale, faisant office de chantre ou de sacristain. — 55. binése, content, heureux.
  2. … comme un capucin à l’agonie. Variante de la comparaison populaire attestée en

picard oriental : ch’èst corne in cat à l’agonie, î fèt acore sintir ses gros (… sentir ses griffes); mieux que par un trait burlesque, elle s’expliquerait si on donne à capuchin son sens second en rouchi : sorte d’insecte qui vit dans les tanneries (Hécart) par allusion à la couleur et à la forme du capuchon des capucins; comp. ci-après (69-70) l’expression correspondante où intervient aussi un animal : comme une marcote (belette) qui met bas.

 

(p.127)

Madelon

Je m’ fous bé d’ li pou ça, savez ! J’ su ici pou mès yârds tout

72   d’ même què li.

L’employé

Quel fatras ! quel jargon inintelligible ! Mais, Madame, ne pourriez-vous, pour un instant, mettre un frein à votre loquacité ?

Madelon

Dè qué, fieû ? N’ parlez nié d’ madame, vous ? Si c’t-à mi qu’ vos

76   d-avez, Dieu merci ! Ène bèle madame avé in capotin à traus !

L’employé

Mais, ma chère…

Madelon

Cher ? J’é coûté aussi cher què vous, sans m’ vanter. Polite a chiyé sî francs au curé, sans dîre in mot, quand nos-avons marié

80   à deûs.

L’employé

Mais, mon amie…

Madelon

Vo n-amîe ? Je n’ su nié amis’ avé vous, da mi ! Je n’ vos cône nié ni du cu ni dè l’ tiète. Vo n-amis’ ! E-bé, j’ tè 1′ consèye, va,

84   fieû ! T’as du boneûr què m’n-ome n’èst nié ici : t’arwas dès tapes su t’ gueule. (…)

Dèdèie

Alons ! in v’là assez, t’t-à l’eûre èl finissemint du mariâje arivera èyèt tu sèras co toudi à disputer. T’ès trop vife, da, twa; t’es là

88 qu’ tu fés du monvés sang unitilemint. Fés come mi : invouye-lé s’ laver à l’iau d’ puch, il ara 1′ visâje clér. (…) — Tiens, r’garde ! ‘là l’ curé qui louye èl min dè l’ fîe Chôse avé l’ siène dè s’ gas.

 

  1. marier au sens d’épouser. Ici comme plus loin, Madelon comprend de travers le français trop emprunté du fonctionnaire : d’où le comique du dialogue.
  2. … à l’eau de puits.

 

(p.128)

Madelon

E wê ! Bon… I n’ faut nié si bé l’ louyer, alez, fieû, èle nè peut

92   mau d’ lacher s’ particuyer, elle èst bé trop binése de ll’avwar !

Dèdèje

J’ crwa bié ! Si nos-arions autant d’ louwis d’ôr qu’èlle a ûsé d’ pêres dè solés à couri après, i n’èst nié co sûr què no fortune èn’ s’rwat nié fête.

Madelon

96   Eyèt pourtant, tu m’avoueras què l’ kié n’  vaut nié l’ colèt, n’èst-pas ?

Dèdèfe

T’as bé rêson. Tiens, r’garde, il èst rouche come du sang d’ naviau.

Madelon

Wê, tu dirwas in d’zarteur dè cimentière ! L’ fosseur a peut-été 

100   déjà été bwâre ène canète su s’ compte. (…)

Dèdèfe

Hé ! ‘là l’ mariâje fêt ! ‘là qu’is s’in vont au sacristie s’ mète in n-écrit. D-alon’ abîe à 1′ porte, fîe. Nos nos m’trons d’lé lès caroches pou ramasser bram’mint dès-ôbêrts.

Madelon

104   Atinds-mé, Dèdèfe, n’ cours nié si vite, va ! Il est co temps.

 

1842

« Essais de littérature montoise, nouvelle édition, corrigée et augmentée de quelques faufes »; Mons, 1848, pp. 45-46, 47-48, 50-51, 52, 53-54, 55, 56-57 et 58.

 

  1. Si nous aurions (= avions) autant…
  2. … rouge comme du sang de navet : antiphrase plaisante, confirmée par la réplique suivante.
  3. d’zarteur, déserteur; fosseur, fossoyeur.

101-102. se mettre en écrit, c’est-à-dire signer l’acte de mariage.

  1. Allons vite à la porte [de l’église].
  2. caroches, carosses, ici : voitures des mariés et de leur suite.

 

 

(p.129)

JEAN-BAPTISTE DESCAMPS

(1809-1886)

 

Né et mort à Mons, Jean-Baptiste Descamps fit carrière dans l’enseignement, d’abord comme instituteur, puis comme professeur au collège communal devenu par la suite l’athénée royal de Mons. C’est dans ce dernier établis­sement, où il enseignait les sciences commerciales, qu’il fut admis à la retraite en 1877. Il avait également été attaché à d’autres institutions scolaires où il donna des leçons de calligraphie, de mathématiques, de langues, etc.

Avec Delmotte, Descamps est le père de la littérature montoise. Ses débuts remontent à 1834, tant en français — voir les strophes d’Une matinée de printemps — qu’en patois : El procès d’Bernard Filou, canté, raconté èyèt récrit pau fieû Chose révèle chez le prédécesseur de l’abbé Letellier un observateur-né de la vie populaire et l’instinct du style parlé. Ce monologue entrecoupé de couplets est le premier de son espèce dans nos lettres, et le genre, imité de Béranger et des chansonniers du Caveau, allait fleurir par la suite jusque bien tard, en particulier chez les auteurs liégeois : Dehin, Dumoulin, Gérard, Carpentier, etc.

Descamps cultiva principalement la chanson wallonne, au gré d’une inspi­ration qui ne fut pas très abondante : une trentaine de pièces, publiées la plupart en feuilles séparées et qu’a réunies le volume de ses Œuvres paru peu après sa mort. L’auteur de Que biau p’tit fieû, sa chanson la plus goûtée, excelle à traduire en un langage vif et enjoué les sentiments d’une classe ouvrière qui aime la vie, même quand celle-ci lui fait grise mine :

Fous-mê tes bréy’rîyes su l’hayon et qu’in n-aute que ti lès ramasse ! El chagrin n’est qu’in vieux couyon qui s’saufe quand on lî fêt ‘ne grimace…

 

35                                                                                                    [Mons]

Qué biau p’tit fieû !

(Air : Soldat français)

 

J’é in p’tit fieû, èç’t-in anje, in n-amour,

il est si biau, tiens ! que c’ n’èst rié dè 1′ dîre.

On 11-èrgard’rwat tout 1′ fin long d’in grand jour !

4   As’ vue, d’ plési jé m’ sins brére ou bé rîre.

Wê, mès 1′ pètote èyèt 1′ pus drole du jeû :

il a ‘ne frimousse, c’èst craché 1′ ciène dè s’ pére.

 

 

QUEL BEAU PETIT GARÇON!

  1. On le regarderait tout au long… — 4. brére, pleurer. — 5. Ouais, mais l’affaire et le plus drôle du jeu. Il y a redondance, car pètote, altération de patate, pomme de terre, se dit au figuré, en montois, d’une chose curieuse ou bizarre, d’un événement plaisant. L’insolite ici serait que le fils ressemble à son père…

 

(p.130)

Refrain

Ergarde-m’in peû, Dèdèfe, qué biau p’tit fieû !

8   N’a-t-i nié jou pou cwâre què d’lé 1′ bon Dieu,

au paradis, on ll’-a fét fére ?

 

Il est crolé come in p’tit kié-canârd,

il a deûs-ieûs lwîsants come dès lumerètes,

12   in nez, ène bouche, in p’tit minton d’ finârd

èt dès baloufes à bèlès p’titès fosselètes,

deûs lèfes in keûr co pus rouches què du feû,

ène piau si douce qu’ène princesse in s’rwat fiére.

 

16   In p’tit pourciau, Dèdèfe, n’èst nié pus cras,

il èst tayé, planté come in-n-èrcule !

Quand i m’èrpoûsse avec sès deûs p’tits bras,

il èst si fôrt qu’i m’ sembe vrémint qu’ j’èrcule.

20   A s’ dos, à s’ panse, il èst mâbré tout bleû.

Il a in cu ! in cu pus dur qu’ène piére !

 

Mès ç’ n’èst nié 1′ tout’, il èst bon come du pin,

i n’ grougne jamés, au grand jamés i n’ blèfe.

24   Vos-alez vîr : « Alons, p’tit galopin,

fêtes in risot, bayez ‘ne béche à Dèdèfe ».

Bé ! v’là qu’i brét ! Arsouye, va ! p’tit hableû !

C’èst 1′ promiêre fwas, su m’n-âme, què j’ l’intind brére !

 

 

  1. Dèdèfe : cfr l’ mariâje dè l’ fîe Chôse de Letellier (ci-dessus). — 8. jou : ancienne forme tonique du pronom personnel sujet lre personne, ici employé après le verbe comme particule de renforcement; intraduisible en français moderne; cwâre, croire.
  2. crolé, bouclé  (cheveux);  kié-canârd,  chien-canard,   « à poil  épais  et frisé »,  dressé pour retirer les canards de l’eau, au moment de la chasse  (cfr Littré,  V  canard). 
  3. … brillants comme des feux-follets. — 13. baloufe, joue.
  4. Un cochonnet, D., n’est pas plus gras. — 18. Quand il me repousse… 20. mâbré, marbré.
  5. faites un sourire, donnez une bise (litt* : une baise). — 26, « arsouille » et « hâbleur » n’ont ici rien d’injurieux : c’est le langage de la vivacité familière, usuel en patois. — 27. … la première fois, sur mon âme, que je l’entends pleurer : exagération plaisante, naturelle chez une mère.

 

(p.131)

28    Mès ç’t-au rapôrt, fîe, qu’i n’ vos counwat nié.

Il èst si jeune…  «Nounoû, baye-èm’ ène béche;

J’ sû vo maman ! Et pwis, ça m’ fét tant d’ bié ».

Bé ! le v’là co qu’i s’èrtire, qu’i s’abéche.

32   Foutu grougnârd ! kalmouk ! Si j’avwa seû !

C’èst 1′ promiêre fwas qu’i m’ fét ‘ne parèye afére !

 

El pauve infant veut put-ète roupiyer?

Ç’ què par maleûr, sinte Vièrje ! i s’rwat malade ?

36   Non, il a fin… C’èst s’ grand goût d’ morfiyer.

« Tènez, m’ fieû-fieû, minjez dè l’ marmelade ».

Là qu’i rigole dè ç’ fwas-ci, r’garde-m’in peû !

I m’ baye ène béche … èt dîre què j’ su bé s’ mére !

 

40   Et vwayez bé, Dèdèfe, qué biau p’tit fieû !

N’a-t-i nié jou pou cwâre què d’lé l’ bon Dieu,

au paradis, on ‘ll a fét fére ?

 

1855

‘ Quêe biau p’tit fieu », 2 feuillets avec air noté. S.l.n.d. Reproduit dans Œuvres de J.B. Descamps, Mons, 1886, pp. 131-133.

  1. L’enfant se retire de sa mère, se baisse : c’est pour satisfaire un besoin imprévu; d’où les invectives du vers suivant. — 33. Comp. v. 27.
  2. morfiyer (anc. fr. morfiailler, manger goulûment), mâchonner, mordiller.

 

 

(p.132)

JEAN-JOSEPH DEHIN

(1809-1871)

 

Enfant du quartier Sainte-Marguerite à Liège où il passa sa vie, Jean-Joseph Dehin, fils d’un pauvre chaudronnier, entra en apprentissage à l’âge de neuf ans. D’étape en étape, par son courage et son travail, il abandonna la chau­dronnerie pour la ferronnerie où il se révéla un maître artisan. D’importants travaux lui furent confiés, à lui et à ses fils, notamment à la cathédrale de Liège : on n’a pas oublié qu’il y laissa, sur plusieurs pièces d’orfèvrerie, d’originales « signatures » en wallon, marques de son esprit frondeur.

Cet autodidacte, disciple et, par la suite, ami de Déranger, écrivit sa première chanson à quatorze ans. En 1845, sous le titre de Lès p’tits moumints d’ plêsîr par J.J. Dehin, messe tchôdronî, il publia un recueil qui connut plusieurs éditions en 1847, 1848 et 1852, cependant que d’autres plaquettes voyaient le jour en 1846, 1847 et 1848. L’ensemble de cette production variée où voisinaient chansons politiques, satiriques et bachiques, fables et « crami-gnons », contes facétieux en vers, scènes populaires et poèmes historiques fut réuni, avec de nouvelles pièces, dans le volume Tchâr et panâhe [Gras et maigre] qui acheva de consacrer, en 1850, la notoriété de J.J. Dehin comme poète dialectal.

Ce dernier ne s’arrêta pas en si bon chemin : tout en collaborant, de 1851 à 1856, au célèbre Almanach de Mathieu Laensbergh, tout en multipliant les pièces de circonstance diffusées en feuilles volantes, il entreprit avec François Bailleux (voir ce nom), l’adaptation des quatre premiers livres des Fables de La Fontaine (1851-1852), laissant d’ailleurs à son partenaire la meilleure part en quantité comme en qualité.

La verve et la rondeur de Dehin n’ont d’égales que sa facilité, et c’est surtout par l’esprit gaulois que se recommande la qualité de son style. Dire que chez lui, le wallon dans les mots brave l’honnêteté n’est pas lui faire tort. Parmi les écrivains liégeois qui fondèrent la Société de Littérature wallonne en 1856, il représente, quasi seul aux côtés des intellectuels et des bourgeois, l’écrivain de tempérament, l’homme du peuple au langage cru et dru.

 

36                                                                                                     [Liège]

Li k’fèssion d’à Marèye

 

I fåt qu’ dji v’ conte ine fåvurète                    Vv. 1-22

qu’a-t-arivé cial dièrin.neint

inte on k’fèsseû et ine tchafète

4   divins l’èglise d’ås Cårmulins.

 

LA CONFESSION DE MARIE

  1. fâvurète (t. rare), petite fable. — 3. entre un confesseur et une dévote. — 4. Cârmulin,

Carme; les Rédemptoristes avaient succédé aux Carmes dans le couvent de Hors-Château, mais à l’époque de Dehin, l’église conservait encore son ancienne dénomination. —

 

(p.133)

Dji n’ sé si c’èsteût l’ pére Bernård

ou bin si c’èsteût l’ pére Måvisse,

mês on m’a-t-assûré d’ bone pårt

8    qui c’èsteût on rédemptorisse.

Et vocial corne èle s’î prinda

èt kimint èle lî conta s’ cas :

 « Mon pére, dj’a dit saqwantès boûdes.

12   — Ni m’ catchîz rin, djans, m’ fèye, dji hoûte.

—  Mon pére, dj’a co dit ‘ne lêde raîson…

—  Qwè don?

—  Dj’a dit à m’ soûr : « T’è-st-on tchinis’ ! »

16   — A bin ! vos d’hez dès lêtès d’vises.

I fåt loukî di v’ corèdjî

èt fé l’ mons qu’on pout dès pètchîs.

Asteûre, fåt qu’ dji v’ dimande portant :

20   Est-ce qui vos n’avez nou galant ?

—  Siya, mon pére.

—  Brèyez pus hôt, dji n’ô nin clér… »

 

Interrogée par son confesseur, la jeune fille avoue qu’elle s’est permise certaines privautés avec son amoureux. Le religieux consent à l’absoudre, non sans lui ordonner une pénitence qui comporte un point aussi étrange qu’humiliant :

 

« A bin ! hoûtez. Savez-ve bin qwè ?                  

24   Vos dîrez doze fèyes vosse tchapelèt.

Asteûre, fez ‘n-ake di contricion

èt dji v’ va rinde l’absolucion;

èt, come dimin, c’èst-on djoû d’ fièsse,

28    vos vêrez hoûter l’ prumîre mèsse;

èt po spani pôr vosse pètchî

tchôkîz vosse pogn è bèneûtî

 

5-6. Ces deux pères rédemptoristes (les PP. Bernard Hafkunscheid et Manise dont le nom est altéré ici en Mâvisse) défrayèrent la chronique anticléricale à Liège; c’est sans doute à leurs succès comme confesseurs du beau sexe que fait allusion Ch. Wasseige dans sa chanson Mandemint d’ Cwarème (1842) lorsqu’il écrit : Vos fèyes åront po galants / Père Bernård èt Père Måvisse. — 11. … quelques mensonges. — 12. … allons, ma fille, j’écoute. — 16. tchinis’, ordure, saleté. — 21. siya, adv. qui soutient ou confirme l’affir­mation (à côté de la forme neutre awè, oui). — 22. Parlez (litt. : criez) plus haut, je n’entends (litt. : ouis) pas clair.

  1. et pour bien expier votre péché; pôr (rendu ici par bien) est un « adverbe qui indique l’achèvement de l’action au degré superlatif, toujours avec un accent d’intensité » (DL, 497). — 30. poussez votre poing dans le bénitier. —

 

(p.134) èt si n’ l’alez nin sètchî foû

32   si l’ prumîre mèsse ni seûy tote foû.

Et promètez-me, fwè d’ brave djon.ne fèye,

qui vos n’ f’rez pus dès calinerèyes,

ca, s’ vos r’toumez co d’vins 1′ min.me pont,

36   vos n’årez pus l’absolucion ».

 

Volà qui l’ lèd’dimin, Marèye

coûrt à l’èglîse å pus-abèye,

èt volà qu’èle tchôke, sins båbî,

40   s’ pogn tot-ètîr è bèneûtî.

Et lès djins qu’intrît d’hît inte zèles :

« Vola co ‘ne pauve âme qui s’ troûbèle,

qu’årè co stu dîre à k’fèssion

44   quékès måtoûrnêyès rêsons ! ».

So çoula, v’cial li grosse Nanèsse

qui s’atake à rîre come ine bièsse,

tot d’hant : « Qui fês-se don là, Marèye ?

48   Laves-tu tès mins d’vins l’êwe bènèye ?

—  Têhîz-ve, Nanèsse, c’èst po m’ pètchî !

Dji n’ mi wèsereû måy rissètchî :

c’è-st-ine pènitince qu’on m’a d’né

52   qwand dji m’a stu îr kifèsser.

Alez ! dji m’ènnè sovêrè si lontins,

dji creû, qui dj’ vikerè.

—  Qu’as-se raconté, dis don, djåkelène ?

56   T’as-se kifèssé come lès bèguènes ?

—  Nèni, mês dj’a stu raconter

dès saqwès qui s’avît passé.

I s’ troûve don qui, tot m’ kifèssant,

60   dist-i : « M’ fèye, n’avez-ve nou galant ? ».

Et mi, dji lî a dit qu’ siya.

—  Djåkelène ! çou qu’ t’as co stu dîre là !

 

 

  1. èt si (litt. : et ainsi) = èt; sètchî foû, tirer hors. — 32. avant que la première messe ne soit finie. — 33. … foi d’honnête jeune fille. — 34. calin’rèyes, vilenies. — 35. … dans le même point: ici, dans la même faute.
  2. … au plus vite. — 39. sins båbî (var. bambi), sans balancer, sans hésiter. — 41. … disaient entre eux. — 44. quelques propos malavisés. — 45. Nanèsse, hypocoristique d’Agnès. — 46. qui se prend à rire… — 50. Je n’oserais jamais me retirer (litt. : je ne m’oserais…). — 55. djåkelène (litf : Jacqueline), sotte, étourdie. — 56. T’es-tu confessée comme les nonnettes, c.-à-d. d’une manière scrupuleuse. — 58. des choses qui s’étaient passées. —

 

(p.135)

T’ åreûs d’vou lî dîre tot bonemint :

64    » Dji so trop lêde, on n’ mi vout nin

«, ca s’ t’èlzî raconte tès-amoûrs,

ti n’årès pus nole djôye à coûr.

—  È bin, mi, dji lî a dit tot,

68 lès p’tits pètchîs tot come lès gros;

dji lî a min.me dit tot bonemint

qui dj’aveû t’nou l’ustèye è m’ min…

Dji n’a rin wårdé so m’ consyince,

72   mês dj’a-t-awou ‘ne deûre pènitince,

ca i m’a dit qui po m’ pètchî

dè mète mi pogn è bèneûtî.

—  Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !

76  Et t’as bin wèsou dîre çoula?

Hèy ! volà ‘ne ènocin.ne mi-vét !

Çou qu’èlle a stu là raconter !

Bin va, mi, si dj’aléve måy dîre,

80  çou qu’ dj’a fêt îr èt avant-z-îr,

dji wadjereû po tot çou qu’on vout

qu’i m’î fêt mète li pogn èt l’ cou ! »

 

2 mai 1847.

1 feuillet double, s.l.n.d. Pièce non recueillie dans le volume :  « Châr èt Panâhe »  (1850).

 

  1. car si tu leur (aux confesseurs) racontes… — 70. que j’avais tenu l’outil dans ma main; ustèye désigne ici par euphémisme le membre viril. On comprend pourquoi la pénitence imposée à Marèye était de plonger sa main dans l’eau bénite. — 73-74. Ana­coluthe : la construction de la proposition infinitive introduite par qui est reprise par de (de). — 76. Et tu as bien osé… — 77. Litt’ : une innocente mon-vit, c.-à-d., avec une marque de vulgarité, une niaise, une demeurée; sur mi-vét (arch.) cfr la note 1 du n° 22. — 81. je parierais (litt. : je gagerais) pour tout ce qu’on veut. — 82. qu’il (le confesseur) m’y (dans le bénitier) fait mettre la main et le c.

 

(p.135)

37

Li cok d’awous’ èt l’ frumihe

On cok d’awous’ qu’aveût tchanté

tot long l’osté

 

LÀ CIGALE ET LA FOURMI

 

  1. cok d’awous’, litt. : coq d’août, par allusion à l’été où cet insecte se fait entendre, désigne souvent le criquet ou la sauterelle volante. — 2. tout [au] long [de] l’été. —

 

(p.136)

fout constrint di s’ mète à l’ bribaye

4   qwand 1′ tére fout coviète di nîvaye.

Il ala conter sès mèhins

à 1′ frumihe, tot d’hant : « Dj’a si fin !

Vos m’ divrîz pruster, dji v’s-è prèye,

8   quékes grins d’ wassin po m’ ratcheter 1′ vèye;

èt qwand c’èst qui 1′ bon tins r’vêrè, dji v’ lès rindrè

èt dji v’s-è pårè l’intèrèt,

12  si n’ loukerè-dje nin co à ‘ne tchîtchêye,

ca i fåt qu’ tot bwès s’ tchèrèye ».

Mês 1′ frumihe, qui n’ prusse nin vol’tî,

lî dit, après l’avu wêtî :

16    « V’ n’avez nin l’êr portant, compère,

d’avu, come vos d’hez, dè 1′ misére.

Mês, aprèpîz èt d’hez-me on pô :

qui fîz-ve don, hay ! qwand i fève tchôd ?

20                 — Dji tchantéve.

— Tins ! dj’ m’è sovin, ca dji v’s-oyéve,

awè, vormint ! tot 1′ fènå-meûs.

V’s-èstîz çou qu’on pout dîre djoyeûs…

24   È bin, hoûtez : v’chal lès frudeûres,

dansez… mi, dji bat’rè l’ mèseûre ! ».

 

V’là come lès crohe-patårs sont fêts :

is touwerît l’ piou po tèner l’ pê.

 

« Fâves da Lafontaine (Lîves I et II) mettowes es ligeois », Liège, 1851, p. 5 (I, 1). Paru d’abord dans « On d’meie franc, s’i v’ plait, po les pauv’s ovris », Liège, 1847, pp. 9-10.

 

  1. bribaye, action de mendier. — 4. nîvaye, neige. — 5. … ses déboires. — 8. wassin, seigle; pour me sauver (litt. : racheter) la vie. — 12. et ne regarderai-je pas encore à [rajouter] une broutille. — 13. Le proverbe « il faut que tout bois se charrie » signifie : il faut que tout se débite, suive son cours. Dans notre contexte, il correspondrait assez bien à l’expression pop. : « il faut ce qu’il faut », la cigale voulant montrer qu’elle connaît le train des choses, qu’elle n’est pas à une petite générosité près. — 15. … après l’avoir observé(e). — 18. aprèpîz, approchez. — 22. fènå-meûs, mois de la fenaison, juin. — 24. … voici les froids (litt. : froidures), c.-à-d. l’hiver.
  2. crohe-patår (litt. : croque-patard), grippe-sou. — 27. ils tueraient un pou pour en tanner la peau.

 

(p.137)

38

L’ome inte deûs-adjes èt sès deûs mêtrèsses

 

On vî djônê tot sètch,

coleûr di peûve èt sé,

dit : « Volà m’ tins passé,

4                 fåt tûser å marièdje. »

Il aveût dès-êdants

comptants;

ossi pus d’eune lî voléve plêre.

8   Vèyant çoula nost-ome ni s’ala nin håster,

pawou dè piède si housse, å min.me tins s’ liberté,

ca bin tchûsi n’èst nin ‘ne pitite afêre.

Deûs vèves surtout loukît di l’andoûler.

12   Eune èco rècokès’ èt l’ôte on pô fôcake,

mês qui saveût s’ rafistoler èt catchî qu’èlle aveût fêt s’ dag’.

Cès deûs marôyes-là tot tchinelant,

16              tot qwèrant à lî fé dè l’ fièsse,

èl carèssît atot l’ wåkant,

dji vou dîre ratîtotant s’ tièsse.

Li vèye à tot moumint tchipotéve è s’ toupèt

20   èt lî råyîve po s’ pårt sès saqwants neûrs tchivès

po qui s’ galant fouhe à si-îdèye.

Li djône râyîve tos lès tchènous.

Èle fèrît tant par djaloserèye,

24    qui l’ome eûrit ‘ne tièsse come on cou.

S’aparçûvant dè toûr, i dit : « Halte, mès marôyes !

Vos m’avez bin tondou,

mês v’s-\rez totes lès deûs ‘ne coûte djôye,

 

L’HOMME ENTRE DEUX AGES ET SES DEUX MAITRESSES

  1. Un vieux jeune homme tout sec. — 2. peûve, poivre. — 4. tûser, songer. — 5. êdant, sou, argent. — 8. håster, hâter. — 9. par peur de perdre sa bourse… — 11. Deux veuves, surtout, tâchaient de l’enjôler. — 12. Une encore gaillarde et l’autre un peu blette. — 14. … qu’elle avait fait son temps (litt’ : sa journée). — 15. marôye (de la forme archaïque du prén. Marie), maîtresse; tchin(e)ler, jouer comme les chiens, batifoler. — 17 … tout en le coiffant. — 18. ratîtoter, rajuster, réarranger. — 20. … un bon nombre de ses cheveux noirs. — 22. … tous les [cheveux] blancs. — 27. Le sens est : mais votre joie à toutes deux sera courte. — 28. wågnî, gagner. — 30. ahèsse, commodité; s’agissant d’une femme, nuance légèrement péjorative. —

 

(p.138)

28    ca dj’î a pus’ wågnî qui dji n’î åye pièrdou.

Afêre di marièdje, rin n’ mi prèsse,

dji troûverè todi bin ‘ne ahèsse.

Li cisse qui dji sposereû mi vôreût govièrner,

32  fåreût qui dji m’ lèyahe miner.

Nèni, merci, mågré qui dji seûye d’ine bone påsse,

i n’ mi convêrè måy qui m’ feume pwète li cou-d’-tchåsses. »

 

Ibid. (I,  17), pp. 26-27.

 

 

39

Atote

 

Sint-Pô a-st-on malin tchènône.

Alez ! n’ pout må di s’ forpougnî

èt ‘l èst capâbe dè trover 1’ vône

4   qwand i s’adjirè di v’ singnî.

Awè, djèl kinoh po 1′ djoû d’oûy,

dji sé bin à qwè m’ènnè t’ni !

I m’a tchôkî si pôce è mi-oûy,

8    èt vocial come i s’î a pris :

i n’ m’a d’né qu’ cink cint francs d’ chake brantche,

convenez qu’ c’èst pôr trop bon martchî !

Et dîre qu’i comptéve avu l’ mantche,

12    dè tins qu’ c’èst mi qu’èst l’èmantchî…

 

1864

Texte gravé en minuscule sur la première girandole de cuivre, côté épître, dans le chœur de la cathédrale Saint-Paul, à Liège.

 

  1. … que je sois d’une bonne pâte — 34. cou-d’-tchâsses, haut-de-chausses, pantalon.

 

COUP DE LANGUE. Cette épigramme est dédiée à Monsieur V tchènône Paquot; ce chanoine était coste du chapitre cathédral. Le sous-titre atote, que nous adoptons comme titre principal, désigne l’atout au jeu de cartes; le mot prend, par extension, le sens de réplique piquante.

  1. … [il] n’a garde de payer trop; la trad. franc, ne rend pas la concision énergique du v. si forpougnî composé du préf. for- marquant l’excès et de pougnî, dér. de pogn, poing. — 3. vône (ou von.ne), veine. — 4. … de vous saigner. — 7. … poussé son pouce dans mon oeil (au fig.). — 9. Le chandelier, où est gravé le texte, comporte plusieurs branches. — 10. pôr, cfr supra Li k’fèssion…, v. 20. — 11. … il comptait avoir le manche, sous-entendu : du chandelier. Autrement dit, pour le prix des branches, jugé dérisoire par l’artisan, le chanoine escomptait avoir en même temps le manche = le pied du chandelier. — 12. cependant que c’est moi l’emmanché, c.-à-d. le dupé. L’auteur a joué habilement sur le sens figuré de avu l’ mantche — être dupé, et de son synonyme (esse) èmantchî.

 

(p.139)

F L P

 

Ces initiales recouvrent les noms de deux magistrats, Théophile Fuss (1810-1877) et Adolphe picard (1819-1879) et d’un professeur d’Université, Alphonse le roy (1822-1896), tous trois nés et morts à Liège. En 1842-43, ils écri­virent en collaboration un certain nombre de chansons wallonnes qui parurent dans des livraisons de quelques pages; presque toutes formèrent, en 1843, la plus grande partie de la Novèle colèc’sion d’ pasquèyes lîdjwèses (Liège, F. Oudart, 9 numéros) (*). Dans ces pièces badines, inspirées par la vie du temps et les menus faits locaux, nos trois auteurs ont dépensé un esprit et un entrain intarissables; on leur souhaiterait parfois moins de facilité. Des extraits de Lès feumes di Lîdje composent une intéressante chanson fort en avance sur l’esprit social de l’époque et permettent de sauver, avec quel­ques couplets bien troussés, la mémoire de trois précurseurs du mouvement de 1856.

 

 

40                                                                                                     [Liège]

Lès feumes di Lîdje

(Air du Curé de Pomponné) Extraits suivis

 

Li vèye di Lîdje a stu todi,                          

come dihît nos grands-méres,

po lès priyèsses li paradis,

l’infér po lès coméres.

5    Alez ! nos tåyes kinohît bin

lès manîres di nosse vèye.

I våreût mî, vormint,

d’èsse on tchin qu’à Lîdje

d’èsse ine feumerèye !

 

 

LES FEMMES DE LIEGE

  1. priyèsse, prêtre. — 4. comére, forme namur. du liég. k(i)mére. Un proverbe, traditionnel sous l’Ancien Régime, voulait que Liège fût « l’enfer des femmes, le purgatoire des hommes et le paradis des prêtres » (cfr Délices des Pays-Bas, t. 4, p. 111, note, Liège, Bassompierre, 1769). Un Français, J. B. J. breton rapporte dans son Voyage dans la ci-devant Belgique et sur la rive gauche du Rhin (Paris, 1802) qu’à Liège les femmes « sont employées à des travaux qui, dans d’autres pays, ne sont point regardés comme propres à leur sexe. On les voit tirer des bateaux, porter sur leur dos la houille et toutes sortes de denrées » (t. 2, p. 7). — 5. tàyes, aïeux. — 6. les mœurs de notre ville. — 7. vormint, vraiment (sens exclamatif). — 8-9. (d’)être un chien / que d’être une femme à Liège (feumerèye : femme en général).

C1) Plus tard, de 1859 à 1871, réunis sous l’anagramme d‘Alcide Pryor, le roy et picard diver­tirent les banquets annuels de la Société de Littérature Wallonne par des pots-pourris dialogues qu’ils interprétaient eux-mêmes, l’un tenant le rôle de Baiwir, l’autre, celui de Crahay : Sôlêye et Pansa, Qui vout-èsse à Consèy ?, Baiwir so s’ panse, LI djama dès qwate nâçions, etc.

 

(p.140)

10   Est-ce qui ç’ n’ èst nin à v’ rinde honteûs        Vv. 19-69

qui dè vèy nos trêrèsses hièrtchî ås batês so l’Avreû,

atèlêyes come dès bièsses ? So mi-âme, èst-ce qu’on-z-ad’vinereût bin

15  qu’ c’èst là nos djon.nès fèyes ?

I våreût mî, vormint,

d’èsse on tchin

qu’à Lîdje d’èsse ine feumerèye !

 

È payîs d’ Lîdje, on spågne lès dj’vås,

20          lès feumes, on n’ lès spågne wére…

Sètche, trêrèsse ! va-z-è, ti n’ pous må !

Sètche djusqu’à l’eûre di t’ mwért !

A côps d’ corîhe on t’ batereût bin,

ca i t’ fåt wågnî t’ vèye…

25          I våreût mî, vormint,

d’èsse on tchin

qu’à Lîdje d’èsse ine feum’rèye !

 

Gn-a-t-i de 1′ fouwaye à tripler ?

Hay ! bot’rèsse, vosse truvèle !

30   D’vins vosse bot, so vos reins cassés,

gn-a pus d’ cint lîves di dièle !

Vosse visèdje, mutwèt bê-z-èt fin,

èst neûr come li tch’minêye.

Awè, våt mî, vormint,

35                 d’èsse on tchin

qu’à Lîdje d’èsse ine feumerèye !

 

  1. trêtrèsse, femme de peine qui remorquait autrefois les bateaux. — 12. hièrtchî, traîner; ici, tirer en traînant derrière soi; so l’ Avreû (aussi sor Avreû), sur Avroy (= le quai d’Avroy, à Liège, aujourd’hui transformé en boulevard). — 14. Sur mon âme, est-ce qu’on devinerait bien.
  2. … on ménage les chevaux. — 23. corîhe, fouet. — 24. wâgnî, gagner.
  3. fouwaye, poussière de charbon, menue houille; tripler, fouler aux pieds; ici, t. techn. : naguère, les boterèsses (hotteuses liégeoises) pétrissaient en le piétinant, d’un mouvement rapide et cadencé (tripler), le mélange de fouwaye et de dièle (sorte d’argile blanchâtre; voy. v. 31) dont elles faisaient, au moyen d’une foûme (forme) spéciale, les hotchèts ou briquettes de charbon (DL, fig. 715). — 29. truvèle, escoupe; il s’agit de la large pelle dont les boterèsses se servent pour remplir mutuellement leur hotte.

 

(p.141)

Tot-åtoû d’ Lîdje avez-ve vèyou

lès-ouhènes ou lès beûrs ?

Est-ce l’ome ou l’ feume qu’on-z-a mètou

40   à l’ovrèdje li pus deûr ?

Pôvès crapôdes, qwant’ gn-a-t-i nin

qui sont totes mèsbrudjèyes?…

Awè, våt mî, vormint,

d’esse on tchin

45   qu’à Lîdje d’èsse ine feumerèye !

 

Awè, d’hez qu’ vos-èstez Francès,

Lîdjwès, po l’ galanterèye !

Vos pôvès feumes savèt çou qu’ c’èst

qui totes vos cadjolerèyes.

50   Èle si r’pwèsèt, n’avise-t-i nin,

ine fèye qu’èlessont mariêyes !

… Awè, våt mî, vormint,

d’èsse on tchin qu’à Lîdje d’èsse ine feumerèye !

 

« Novell  Collection  d’  Paskeye  Ligeoiss*,  n°  1. Liège [1843].

 

  1. les usines ou les « bures » (= puits de mine). — 41-42. Pauvres filles, combien n’y en a-t-il pas qui sont toutes meurtries (par le travail) ?…
  2. Oui, dites que vous êtes Français. — 50. Elles se reposent, ne semble-t-il pas ?

 

 

(p.142)

FRANÇOIS BAILLEUX

(1817-1866)

 

Né et mort à Liège, François Bailleux fut avocat, membre du Conseil pro­vincial, secrétaire de l’Union libérale et surtout, à partir du 27 décembre 1856, la véritable cheville ouvrière de la « Société liégeoise de Littérature wallonne » fondée alors. Celle-ci doit à son infatigable secrétaire la rédaction de ses statuts, l’organisation de ses concours, la mise en train de ses publications : Bulletin et Annuaire.

« Jeune type de vieux Liégeois », comme dit Alphonse Le Roy, son biographe, Bailleux mit au service du parler ancestral ses dons de poète et ses qualités d’érudit. A vingt-cinq ans, il publiait ses premières chansons politiques (1842); deux ans plus tard, avec son ami Joseph Dejardin, il mettait à l’honneur les vieilles paskèyes liégeoises en donnant un estimable Choix de chansons et poésies wallonnes (pays de Liège) antérieures à 1830 (Liège, 1844), et, par la suite, il ne cessa de s’intéresser aux anciens textes wallons qu’il recherchait, transcrivait et dont plusieurs ont été édités par ses soins. Dans l’efflorescence néo-dialectale des environs de 1850, la poésie de Bailleux se place à l’un des premiers rangs. De son petit recueil Passe-tins (Liège, 1845) publié sous l’anonymat à 52 exemplaires, se détachent deux pièces qui tran­chent sur la production de l’époque. L’une, à l’abri de son titre bon enfant, Ine vèye fàve da m’ grand-mère, transforme le conte populaire du Filleul de la mort en une manière de conte philosophique où la « condition humaine » s’inscrit, sans développements oratoires, sur un fond d’implacable amertume. L’autre, Marèye, est « une sorte de pastel idyllique où l’élégance se mêle à une familiarité souriante et discrète » (M. Delbouille). Ayant commencé avec Jean-Joseph Dehin la traduction des Fables de La Fontaine (livres I-IV en 1851), Bailleux poursuivit seul l’entreprise (livres V-VI en 1856) jusqu’à la première fable du livre VII (ASW, 3, 1867). S’il ne fut pas le premier à faire parler le Bonhomme en wallon — Letellier, Duvivier, Lamaye, Wérotte, Philippart et Dehin lui-même s’y étaient essayé avant lui —, il fut du moins le plus habile et le plus soutenu dans l’art d’une translation entre toutes difficile. Tout en suivant de près le texte de son modèle, Bailleux transpose plus qu’il ne traduit : de là ces trouvailles d’expression, ces traits vifs et imagés, cette rondeur inégalable qui font de plusieurs de ses adaptations des chefs-d’œuvre d’imitation originale.

 

 

41                                                                                                    [Liège]

Marèye

 

Vinez, Marèye, i lût 1′ bêté;

oyez-v’ lès råskinioûs tchanter

3   avå totes lès prêrèyes ?

 

MARIE

  1. Venez, Marie, la lune brille (litt. : il luit la « beauté »). — 2. råskinioû, rossignol. —

 

(p.143) On ode lès rôses qui sont florèyes;

I fêt påhûle po tos costés;

6                 vinez, Marèye !

 

Vinez, Marèye, è cråmignon;

dji sé dès si bèlès tchansons

9           qu’i n-a nin dès parèyes.

Djans don ! vinez, pusqu’on v’s-è prèye;

hay ! ni fez nin tant dès façons;

12                 vinez, Marèye !

Vinez, Marèye ! mi soûr Eli,

Ida, Dadite èt m’ fré Hinri

15           vont co fé d’ leûs soterèyes :

hoûtez dèdjà quéle vikårèye

is minèt tot-avå 1′ corti !

18                 Vinez, Marèye.

Vinez, Marèye, on bê valèt

vôreût bin v’ gruziner ‘ne saqwè

21           tot bas, cial à l’orèye.

Loukîz !… volà dèdjà qu’èle rèye !

Èle radjustêye si bonikèt :

24                 vocial Marèye !

 

Janvier 1843.

« Passe-timps »  [Liège], 1845, pp. 16-17.

 

 

42

Ine vèye fåve d’à m’ grand-mére

 

Ine fèye, dè tins passé, dè tins dè vî bon Diu, (on tins qu’èst bin rèvôye èt qui n’ rivêrè pus),

 

  1. On respire [le parfum des] roses qui sont en fleurs. — 5. påhûle, tranquille, calme. 7. cramignon, farandole propre au pays liégeois (cfr DL, 178 et fig. 230). — 9. qu’il n’en existe pas de telles (= d’aussi belles).
  2. Eli, Adélaïde. — 14. Dadite, dimin. de Margarite, Marguerite. — 16-17. écoutez déjà quel train (litt* : quelle vie) ils mènent parmi le jardin. — 20. gruziner, fredonner. — 21. cial, auj. chai, ici. — 23. elle rajuste son petit bonnet.

 

UNE VIEILLE FABLE DE MA GRAND-MERE. — Sur cette pièce, cfr A.  Le Roy dans ASW, 3, p. 72. Le thème, emprunté à un conte traditionnel liégeois, se retrouve dans un fabliau médiéval (voir De Dieu et du Pécheur de Gautier Le Leu) et correspond à la première partie du Filleul de la Mort, conte populaire lorrain. 1. dè tins dè vî bon Diu, loc. prov., au bon vieux temps. — 6. … quand cela [le choix d’un parrain] nous arrive. —

 

(p.144)

in-ome s’aveût marié èt, po s’ prumîr èfant,

4   ni voléve po pårin qu’on parfêt-onête ome.

Dj’ô bin qui cist-ome-là ni féve nin come nos fans,

nos-ôtes, po çou qu’èst d’oûy qwand çoula nos-atome.

Mês Dj’han (c’èst l’ nom d’à l’ome) s’aveût fêt ‘ne bone promèsse

8  di prinde onk qui n’åreût èco måy rin fêt d’ må.

Vo-le-là don qu’ fêt savu qui l’ ci qui vôreût-èsse

li pårin dè påpå

poléve hardimint v’ni s’ présinter å batème :

12   qu’i provahe tant seûlemint qu’on poléve fé astème

sor lu po n’avu måy, å grand djamåy, fêt rin

d’indjusse ou d’ måhonteûs, di mètchant ou d’ calin.

 

Avå tos lès payîs, on n’ pårla pus bin vite

16    qui di Dj’han èt d’ l’îdèye qu’il aveût-awou là.

Et tot 1′ monde dè pinser qu’èsse tchûsi po çoula

sèreût on grant-oneûr èt on fameûs mèrite.

Vola don qu’acorèt, po tortos lès costés,

20    djins di tos lès-ètats, di totes lès quålités :

pitits èt gros martchands, avocats èt talieûrs;

enfin, tot çou qu’i gn-a å monde di pus voleûr

voléve lèver l’èfant èt magnî dès-anîses !

24   Mês nosse Djihan, so 1′ côp, mågré totes leûs vantîses,

tot come il avît v’nou, lès rèvoyîve todi.

Li novèle ènnè v’na djusqui d’vins l’ Paradis.

Sint Pîre, sèpant çoula, amon Dj’han tot’ di swite

28    arive èt bouhe à l’ouh. « Qu’èst-ce qu’èst là ? » dist-i Dj’han.

—  « C’èst mi, dist-i sint Pîre, dihombe-tu, ca dji qwite

tot-èsprès l’ Paradis po v’ni lever ti-èfant.

—  Qui èstez-ve qui v’ sonlez si sûr di voste afêre ?

32   — Dji so sint Pîre : dji tin lès clés dè Paradis

èt, qwand dji nèl doûve nin, fåt qu’on våye è l’infêr.

 

  1. påpå, poupon. — 12-13. qu’il prouve seulement qu’on pouvait compter [litt’ : prendre estime] sur lui… — 14. måhonteûs, éhonté; câlin, syn. de méchant.
  2. voulait tenir l’enfant sur les fonts baptismaux (litt’ : lever l’enfant) et être invité au repas de baptême (litt’ : manger des dragées de baptême =  des bonbons à l’anis). —
  3. vantîse, vantardise. — 27. sèpant, sachant. — 30. lèver, cfr v. 23. — 33. d(r)oûve, ouvre.

 

 

(p.145)

  • Oho ! monsieû l’apwèsse, bin ! hoûtez çou qu’ dji v’ di :

alez-r’-z-è tot bèlemint è l’ coulêye di voste êsse,

36   dji r’nôye, mi, po compère, li ci qu’a r’noyî s’ mêsse ».

 

Volà qu’èst bon ! Sint Pîre ènnè r’va tot disfêt

raconter å bon Diu l’afront qu’on lî a fêt.

Li bon Diu, tot måva, djura s’ parole d’oneûr

40   qui Dj’han lî påyereût tchîr d’avu fêt ‘ne sifête keûre.

« C’èst bon, c’èst bon !, dist-i, c’è-st-ine atètche so m’ mantche;

qu’i seûye seûlemint bin sûr di n’ rin piède à l’ discandje ! ».

Çoula dit, v’là 1′ bon Diu qu’arive èt pwis qui bouhe

44   amon Dj’han, tant qu’à l’ fin Djihan lî doûveûre l’ouh.

« Quî èstez-ve ? » dist-i Dj’han. — Ti m’ dimandes quî qui dj’ so?

 

Dji so li ci qu’a fêt li bêtè èt l’ solo,

li tére avou lès steûles, tot çou qu’i gn-a å monde :

48   dji so l’ bon Diu. Parole, èst-ce vrêy çou qu’on raconte

qui t’ n’ as polou trover nou pårin po ti-èfant.

Mi vous-se mi ? — ô !, Signeûr, vos qu’a fêt tant èt tant,

poqwè av’ situ fé dès pôves avou dès ritches ?

52   Dji v’ prindreû-t-à r’iltche-deûts, sins 1′ sièrmint qui m’oblidje …»

 

Li pôve bon Diu, tot paf di cisse rêson d’à Dj’han,

ava, come di li spot, totes sès mitches èn-on pan…

Ènnè va. Adon-pwis, volà qui 1′ Mwért acoûrt

56    ad’lé Dj’han qui pinséve po ç’ côp-là toumer coûrt.

Èle dimande s’èl voléve po lî lèver si-èfant.

« Dji v’ vou bin, vos, dist-i, vos n’ fez grâce à pèrsone :

tot-z-ascûhant lès p’tits, vos fèrez so lès grands.

 

 

  1. apwèsse, apôtre (auj. apôte). — 35. retournez-vous-en tout bellement au coin de votre âtre.
  2. mâva (litt. : mauvais), fâché. — 40. … une telle action. — 41. c’è-st-ine atètche so m’ mantche, litt. : c’est une épingle sur ma manche (= voilà un procédé dont je me souviendrai). — 42. à l’ discandje, au change. — 46. li bêté, la lune (litt. : la beauté). —
  3. Je vous prendrais à « relêche-doigts » :  formule  qui  exprime l’intensité  du  plaisir.
  4. … tout pantois de la réponse (litt. : cette raison) de Jean. — 54. eut, comme dit le proverbe, toutes ses miches en un pain…, c.-à-d. reçut son paquet en une fois, eut à subir en une fois des reproches accumulés. — 56. tourner court, rester interdit, défaillir. — 59. tot-z-ascûhant (ou ac’sûhant), tout en atteignant; fèri, frapper. — 61. … sans jamais accorder de passe-droit, de privilège. — 62. … vous êtes une personne comme il faut.

 

60   Ås palås, ås tchèstês come ås pôvès mohones,

vos-intrez tot costé sins måy fé nou passe-dreût.

Vinez, vos, dji v’ vou bin : vos-èstez ‘ne djint d’adreût».

 

29 décembre 1844.

 

Ibid., pp. 22-24. On a suivi le texte, à peine différent, de la 2e éd. : « Deux fåves da m’ vèye grand’mére par F. B… », Liège, 1852, broch. in-12, pp. 9-11.

 

 

43

Li Cwèrbå èt li R’nåd

 

Compére Cwèrbå, so l’ cohe d’in-åbe rassiou,

tinéve è s’ bètch on crås froumadje.

Compére Rinå, à l’odeûr dè r’modou

4 acoûrt èt l’arin.ne è s’ lingadje :

« Hèy, bondjoû monsigneûr Cwèrbå,

qui vos-èstez don gåy ! qui vo-v’-là bê-z-èt crås !

Vérité d’ mon Diu ! s’ vosse ramadje

8          ni våt nin vosse plome, c’èst damadje,

ca sins çoula v’ sèrîz li cok di tos l’s-oûhês ! ».

Nosse Cwèrbå tot binåhe èt foû d’ lu, fwèce di djôye,

po fé vèy qui s’ tchant èst parfêt,

12   doûveûre si bètch tot lådje. Pan ! v’là 1′ froumadje èvôye !

Li R’nåd l’atrape èt s’ dit : « Mi binamé Monsieû,

sèpez ‘ne-ôte fèye qu’on plakeû

vike dès soterèyes dè prumî sot qu’èl hoûte;

16   li lèçon våt 1′ froumadje : èlle èst bone, s’èlle èst coûte… ».

Li Cwèrbå, d’in-êr tot pèneûs,

djura, mês ‘ne gote trop tård, qui måy on n’ l’î råreût.

 

« Fåves da Lafontaine (lîves I et II) mettowes es ligeois»,  Liège,  1851,  p.  6  (I, 2).

 

LE CORBEAU ET LE RENARD

  1. … installé [litt. : rassis] sur la branche d’un arbre. — 3. r(i)modou (ou r’moudou), « fromage de Herve, de qualité supérieure, fait avec du lait venant d’une seconde traite » (DL, 551). — 4. arinnî, interpeller. — 7. Vérité d’ mon Diu !, formule de serment appuyant une affirmation, empr. du fr. — 8. plome, plume, ici dans le sens de « plumage » par synecdoque. — 9. Pour cok dans le sens de « roi, chef », cfr l’expr. « c’est le coq du village ». — 10. fwèce di, à force de. — 13. èt s’ dit, et dit ainsi. — 14. plakeû, flatteur (du v. plaquî, plaquer).
  2. pèneûs, penaud.

 

(p.147)

44

L’Åmaye, li Gade, li Bèrbis èt 1′ Liyon

 

L’Åmaye, li Gade èt leû soûr li Bèrbis

avou l’ Liyon, li signeûr dè payis,

s’assôciyît, dist-on, inte zèls.

4 Divins lès lès’ dè 1′ Gade on tchivroû fourit pris.

Li Gade ås-ôtes fêt vite dîre li novèle.

Zèls vinous, so sès-ongues après-avu compté,

li Liyon dit : « Po qwate, ça fêt à chake on qwârt. »

8 Si vite dit, si vite fêt; i fêt lu-min.me lès pårts

èt s’ prind por lu l’ prumîre, rapôrt à s’ quålité :

 « Vos lî d’vez, dist-i, dès-égårds,

insi c’èst d’à meune po 1′ rêson

12 qui dji so vosse rwè come Liyon.

Si ‘ne saquî dit 1’ contrêre, dji proûvrrè qu’il a twért.

Li deuzin.me mi vint co èt çoula d’on plin dreût :

ci dreût-là, vos 1′ savez, c’èst 1′ ci qu’ont lès pus fwérts.

16   Dji vou prinde li treûzin.me come pus vayant qu’ vos treûs;

èt si eune di vos-ôtes adûse måy li dièrin.ne,

dji v’s-èl sitåre plate come ine rin.ne. »

 

Ibid., (i, 6), p. 11.

 

45

Lès voleûrs èt l’ågne

 

Å fêt d’in-ågne qui v’nît dè prinde,

deûs francs voleûrs fît ‘ne pârtèye di toupèt :

onk voléve wårder 1′ bièsse èt l’ôte èl voléve vinde.

4    Dismitant qu’i s’ råyît saqwantes pougnêyes di dj’vès,

tot rindant ‘ne boufe à l’ gueûye po on côp d’ pîd è vinte,

passe on treûzin.me voleûr qui s’ såve avou 1′ bådèt…

 

LA GENISSE, LA CHEVRE, LA BREBIS ET LE LION

  1. lès’, lacets, pièges; tchivroû, chevreuil. — 17. … touche jamais la dernière. — 18. je vous l’aplatis comme une grenouille.

 

LES VOLEURS ET L’ANE

  1. A propos d’un âne… — 2. … faisaient une partie de toupet, c.-à-d. s’arrachaient les cheveux. — 4. dismitant qui (pour dismètant), pendant que; saqwant’, un bon nombre de, je ne sais combien de.

 

(p.148)

L’ågne — rèspèctant l’ batème —, c’èst télefèye ine mêtrèsse

8  qui deûs galants volèt-avu.

Qwand is s’ sont bin batous, in-ôte individu

prind l’ båcèle èt l’zî fêt… (dji n’ wèsereû dîre li rèsse !).

 

Ibid.  (I,  13), p. 2l.

 

 

46

Li R’nåd èt l’ Cigogne

 

Compére Rinåd ‘ne fèye invita

si comére li Cigogne à l1′ sope.

Po tot potèdje, gn-aveût on plat.

4   Ci n’èsteût nin sûremint rin d’ trop’,

va n-i-aveût qu’ine gote di brouwèt

so ‘ne plate assiète, sins rin di spès.

Li Cigogne, avou s’ longou bètch,

8    ènn’ atrapa nin on poyèdje

èt mêsse Rinåd, sins lumeciner,

eûrit so l’ côp gobé l’ dîner.

« Dji v’ rårè, s’apinse li Cigogne,

12   èt sins cori, n’åyîz nin sogne ! ».

So l’ côp, sins fé bêcôp d’ rêsons,

èle l’ègadje à dîner à s’ toûr :

— « Dj’îrè, dit li R’nåd, èt d’ bon coûr,

16   ca dji n’ sé nin fé dès façons ».

Vo-le-là qu’acoûrt à l’eûre convenowe.

Li tåve èsteût dèdjà mètowe

èt l’ dîner eût tot djusse à pont.

 

  1. rèspèctant l’ batème, formule corrective signifiant « soit dit en respectant le baptême institué par Dieu » (DL, 69); ici, par l’assimilation de l’âne et de la femme (qui est baptisée), elle n’est pas dépourvue d’ironie. — 10. prend la fille et leur fait… (je n’oserais dire la suite) : atténuation plaisante pour éviter, tout en la suggérant, l’expression trop crue on mêsse coyon (= une maîtresse couille) empruntée d’un jeu de carte populaire, et qui signifie un échec ou une défaite.

 

LE RENARD ET LA CIGOGNE

  1. … à la soupe, c.-à-d. à dîner. — 7. longou, de forme allongée. — 9. lumeciner, lambiner, traîner. — 11. … se dit en soi-même la Cigogne. — 13. Sur-le-champ, sans faire beaucoup d’histoires. — 20-21. … qui avait jeûné pour le moins, / afin d’épargner sa faim, un jour

entier. —

 

(p.149)

20 Li R’nåd, qu’aveût djuné po l’ mons,

po spårgnî s’ fin, on djoû ètîr,

si rafiyîve, odant 1′ foumîre

qu’aboléve foû d’on gros tchôdron.

24 L’êwe lî coréve è l’ boke d’avance,

tot sondjant qu’i hèr’reût è s’ panse

cisse bone tchår, hatchèye po spårgnî

li pon.ne èt l’ tins dè l’ kidåssî.

28 Po-z-atraper nosse galavale,

li Cigogne tûda ç’ moyin-cial :

èle mèta l’ tchår divins on pot

lådje di cou, grêye èt streût dè l’ bûse;

32 si bètch à lèy î passéve tot,

mês l’ôte åreût awou dès rûses

d’atraper  ‘ne seûle bètchèye dè scot.

I fout constrint di s’ sèrer l’ vinte

36 èt d’è raler come ‘l èsteût v’nou,

tot corne s’i s’aveût lèyî prinde

d’ine poye, èt sins wèseûr si plinde,

lès-orèyes basses èt l’ quowe è cou…

40 Quî m’ tripe, djèl ritripe :

c’è-st-on bon principe.

 

Ibid.  (I,  18),  pp. 28-29.

 

47

Li pâwe qui s’ plint å bon Diu

 

Li påwe si plindéve å bon Diu :

« Awè, dji m’ plin, èt si m’ plin-djdju !

Mi vwès, c’èst come ine ouh qui crîne,

4   c’èst co pés qui l’ cisse d’on cok d’îne;

 

 

  1. foumîre, fumet. — 23. aboler, jaillir, s’échapper de. — 25. hèrer, fourrer. — 27. kidåssî, mâcher. — 28. galavale, goinfre, goulu. — 31. large de fond, grêle et étroit de col. — 33. rûse, peine, difficulté. — 34. … une seule bouchée (litt., par ironie : becquée) de sa part (litt. : de l’écot).
  2. Qui me marche dessus, je le lui rends; friper, piétiner, fouler aux pieds. La formule se trouve dans Lès-ipocondes (1758) de S. de Harlez (éd. Bailleux, p. 152).

 

LE PAON QUI SE PLAINT AU BON DIEU

2 Oui, je me plains, et veux-je me plaindre ! L’expr. se trouve dans Li voyèdje di Tchôfontinne (III, 614). — 3. crîner, crisser, grincer. — 4. cok d’îne, coq d’Inde, dindon.

 

(p.150)

è 1′ plèce qu’on pouyeûs råskinioû

qui n’ våt nin 1′ dièrin.ne di mès plomes

a l’ tchant si plêhant èt si doûs

8   qui c’è-st-avou s’ no qu’on sorlome

lès cis qui savèt l’ mî tchanter !

Est-ce li pouvwér ou l’ bone vol’té

qui v’s-a måké po m’ dîner pôr

12   ine vwès come on prumî ténor ?

— Ingrate èt djalote, c’èst bin l’ cas ! »

lî rèspond l’ bon Diu tot måva.

« I t’ convint bin, forsôlêye bièsse,

16   di t’ wèseûr plinde di mès bontés !

Volà bin lès-èfants gåtés !

Dj’a mètou so s’ hatrê, so s’ tièsse,

djusqu’à so s’ quowe pus’ di diamants,

20   d’ôr èt d’årdjint qu’on n’ såreût vèy

amon tos lès-ôrféves d’ine vèye;

i lî fåt co on pus bê tchant !…

Rèspond ! Gn-a-t-i ‘ne seûle bièsse å monde

24   qui dj’ lî âye diné pus’ qui s’ compte ?

Li colon qu’on tape pout voler

pus d’ cint-eûres lon po ‘nnè raler;

li mohèt èst tot plin d’ corèdje;

28   l’aronde sét prédi lès-orèdjes

èt turtos sont contints d’ leû lot

å pus’ qui ti, oûhê djalot !

Ossi, louke à ti qu’ po t’aprinde

32   à voleûr ine ôte fèye ti plinde,

dji n’ fèsse toumer èrî di t’ cou

lès plomes qui t’ès si fîre avou ! »

 

Ibid. (II, 17), pp. 58-59.

 

– 5 råskinioû, rossignol. — 8. que c’est de son nom qu’on surnomme. — 11. … pour me donner du même coup, tant que vous y étiez; sur pôr, cfr le n° 36, note du v. 29. — 13. Les deux adjectifs s’accordent avec påwe qui est du féminin en wallon; … c’est bien le cas [de venir te plaindre] ! — 15. forsôlêye, trop bien nourrie, qui a plus que son content. — 25. Le pigeon qu’on met à l’étape…, c.-à-d. que l’on fait courir. — 27. mohèt, émouchet, petit épervier. — 28. monde, hirondelle. — 30. å pus’ qui (arch.), excepté. — 31. Aussi, prend garde à toi… — 33. je ne fasse tomber bas [litt. : arrière] de ton cul.

 

(p.151)

48

Li ritchå qui s’aveût fêt gåy

avou lès plomes dè 1′ påwe

 

Ine påwe wåyeméve : po s’ fé gåy, on ritchå

prind sès plomes èt lès plake, avou ‘ne gote di vèrdjale,

à s’ quowe èt so sès-éles; adon tot fîr vo-le-cial

4   qui vint ad’lé lès påwes ossi franc qu’on potchå.

I s’ dihéve inte lu-min.me : « On n’ mi såreût rik’nohe,

ca c’èst lès bèlès plomes qui fèt lès bês-oûhês ».

Mês il aveût compté sins ‘ne vèye påwe, ine fène mohe,

8   qui l’ala hôt-èt clér racuser so l’ tchôd fêt.

Ci fourit adon ‘ne comèdèye

dè vèy nosse pôve ritchå batou

tot come on tchin d’vins on djeû d’ bèyes !

12 Il aveût v’nou tot gåy, ènnè rala tot nou,

moké, bètchî, ploumé : c’èsteût pîtié dè l’ vèy;

mês ci n’èst nin co l’ tot, ca ses frés l’ rèvoyît,

qwand s’ såva ad’lé zèls après l’s-avu r’noyîs.

 

16 On troûve co dès ritchås à deûs pîds mês sins plomes

qu’avou l’èsprit dès-ôtes fèt vol’tî lès grands-omes;

mês chut’ ! têhans-nos d’ sogne qu’on n’ nos vinse dîre avou :

« Louke don ! volà l’ crama qu’ lome li tchôdron neûr cou ! ».

 

«  Fåves da Lafontaine (lîves III et IV)… »  (IV, 9), Liège, 1852, p. 109.

 

LE GEAI QUI S’ETAIT FAIT BEAU AVEC LES PLUMES DU PAON

  1. wåy(e)mer, muer. — 2. vèrdjale, glu. — 4. ossi franc qu’on potchå, litt. : aussi effronté qu’un écorcheur, c.-à-d. qu’un bourreau (cfr le franc. * insolent comme un valet de bourreau »). — 8. qui l’alla haut et clair dénoncer en flagrant délit. — 11. tout comme un chien dans un jeu de quilles ! — 13. bètchî, piqué à coups de bec.
  2. … voilà la crémaillère qui appelle le chaudron noir cul ! : spot liégeois qui correspond au prov. franc. « c’est toujours la pelle qui se moque du fourgon », c.-à-d., dans notre contexte, voilà un homme qui attribue à autrui le ridicule dont il est lui-même affligé.

 

(p.152)

ALEXANDRE FOSSION

(1817-1855)

On sait peu de chose de ce poète hesbignon, né à Celles (près de Waremme), mort à Jemeppe-sur-Meuse, qui vint, en 1847, s’établir comme instituteur privé au village de Roloux dont il fut, de 1848 à 1854, le secrétaire com­munal.

Son unique recueil paru en 1853, sous un titre que le français traduirait « Mauvaises langues et sots propos », offre cette particularité de n’accorder presque aucune place à la chanson, à une époque où celle-ci dominait la production dialectale. Parmi les dialogues, satires, anecdotes et bouts rimes qui le composent, se détache un long tableau réaliste de 944 vers : Lès buveûses di café. C’est une scène populaire haute en couleurs où la vie secrète d’un village défile à travers les médisances de trois bonnes femmes réunies pour prendre le café. On peut y voir la préfiguration de ces comédies de mœurs où excellera plus tard le théâtre wallon.

 

49                                                                                                  [Roloux]

 

Lès buveuses di café

(Extrait)

 

Nanèsse, mauvaise langue, décrit aux deux commères qui l’écoutent le ménage négligé d’une de ses voisines.

Vv. 189-248

 

Inte parints èt inte camarådes,

on beût-st-ine tasse, on magne ine tåte,

pwis ine pitite doûce gote là-d’ssus :

dji n’è sohêterè måy di pus.

Por mi, sins m’ fé mèyeûre qu’ine ôte,

dji n’ so nin pwèrtêye po lès vôtes,

po lès boûkètes, lès pins-pièrdous,

totes lès gougouyes èt lès ragoûts

 

LES BUVEUSES DE CAFE. — De Charles Wérotte à l’abbé Michel Renard, le café * qui fait jaser les commères » est un motif qu’a exploité la littérature wallonne du xix° siècle. L’extrait qui suit, centré sur un autre thème connu, celui de la mauvaise ménagère, peut être utilement comparé à la pièce d’Henri Forir, Li k’tapé manèdje, publiée ci-dessus (n° 28).

 

  1. on boit une tasse [de café], on mange une tartine. — 6. vôte, « omelette non levée faite de farine, de lait et d’œufs > (DL 700). — 7. boûkète, crêpe faite de farine de sarrasin parsemée de raisins de Corinthe. — 8. gougouye, friandise (avec nuance péjorative). —

 

(p.153) qu’on fêt (nos n’èstans rin d’ trop’ chal)

divins ‘ne mohone di nosse rouwale.

Où-ce qui cès djins-là l’ vont qwèri,

12 dji n’è se rin, dji m’ pièd’ l’èsprit.

Quand l’ fème n’èst nin so tchamps so vôyes,

qu’èle vint, qu’èle va, qu’èle lime, qu’èle frôye,

rotez’ è s’ mohone, vos l’ troûverez

16   l’ mwètî dè tins à fricoter,

à k’hatchî come tchår èt såcisse

l’oneûr dès cis, l’oneûr dès cisses

qui valèt mî, so leû p’tit deût,

20   qui lèye èt qui l’ tchin.ne di boute-feû,

avou qui èle linwetêye tot-fêr,

ni våront måy so tot leû cwêr.

A ! si èle rimouwereût sès brès

24   come èle rimouwe si lêd cakèt !

I n’åreût nin tant d’ crasse ni d’ tètches

qu’I n-a po tot-avå s’ manèdje.

Tot parèy qui d’vins on poulî,

28  il î flêre, il î fêt måssî.

L’ôte djoû, curieûse, i m’ prind l’ pinsêye

d’î aler fé ine fåsse tournêye.

Surprîse, dè veûy çou qu’ dj’a vèyou !

32   Lèye, neûre èt crotêye disqu’å cou;

si cote prète à heûre djus d’ sès fèsses;

sès dj’vès tot d’håmonés so s’ tièsse,

takenés èsson.ne, rimplis d’ plimions;

36   sès tchåsses ridêyes so sès talons.

Lès-èfants, zèls, onk avou ‘ne råve

grètéve èt bouhîve avå ‘ne tåve;

 

  1. rouwale, ruelle. — 13. La locution so tchamps so vôyes est l’équivalent de « par monts et par vaux ». — 14. … qu’elle lime (au sens fig. de « scier »), qu’elle frotte; le sens du vers paraît être : qu’elle va, qu’elle vient, fait tant et tant. — 15. entrez (litt. : marchez) dans sa maison… — 16. la moitié du temps à « fricoter » (au sens de : intriguer, manigancer qque chose). — 18. … dès cis … dès cisses = des uns … des autres. — 20-21. … et que la chienne de boute-feu / avec qui elle bavarde sans cesse. — 27. poulî, poulailler. — 33. sa jupe prête à tomber bas de ses fesses. — 34. ses cheveux tout en désordre… — 35. takenés èsson.ne = emmêlés dans la crasse; plimion (var. de ploumion), filament (d’étoffe, de laine, etc.). — 36. ses bas glissés (= tombés) sur ses talons. — 37. råve, râble de foyer ou de boulanger (DL, fig. 554). — 40. farfouiller dans le pot-au-feu… —

 

(p.154)

in-ôte aléve avou sès deûts

40    grawî è l’ potêye divant l’ feû;

on treûzin.me èsteût è l’ coulêye,

li cou tot nou divins si-atchêye.

C’èsteût tot l’ min.me qui treûs cossèts,

44   sins dè batème piède li rèspèt !

D’in-ôte costé, chal so ‘ne tchèyîre,

c’èsteût totès miètes di crompîres,

dès glètes di sope, dès crosses di pin;

48   so ine ôte, I n-aveût l’ fièrmint,

on solé èt dès hotchèts d’ cindes;

disqu’å pot-d’-tchambe, èt ç’ n’èst noule minte,

rimpli d’ misére, èst là hågngné

52   so ‘ne cwène è bas dè ménajer.

So lès f nièsses, i n-a dès clicotes :

c’èst on stotchèt, ine vî calote,

on drap d’ hèle, ine fortchète, on cwî,

56    on måssî pégne so l’ mostårdî.

Djo ! tot èst là so s’ cou so s’ tièsse,

qui s’ gåte, qui s’ sipèye, qui s’ trivièsse.

Finålemint, dj’åreû målåhi

60   di v’ conter tot, po ‘nnè fini.

 

« Lê mâl è lînwe ê le boègn’ mèssèch », Liège, 1853, pp. 17-18.

 

  1. coulêye, âtre, coin du feu. — 42. le derrière nu sur sa paillasse. — 43. cossèt, petit cochon. — 47. des bavures de potage, des croûtes de pain. — 48. sur une autre [chaise] …; fièrmint, serpe, courbet (DL, fig. 287). — 49. un soulier et un agglomérat de cendres (sur hotchèt, cfr DL, 329). — 50. … nul mensonge. — 51. misére est ici un euphémisme pour désigner le contenu du vase de nuit; hågngné, étalé. Il y a anacoluthe entre les v. 50-51. — 53. clicotes, chiffons. — 54. stotchèt, chausson. — 55. un drap de vaisselle, une fourchette (le o est d’ordinaire bref), une cuillère. — 56. un sale peigne sur le moutardier. — 58. … qui se brise, qui se renverse. La forme trivièsse pour rivièsse nous est inconnue : trait local ou faute d’impression ? — 59. malahî, malaisé, difficile.

 

 

(p.155)

LOUIS BRIXHE

(1787-1876)

 

L’ordre chronologique fondé sur l’année de naissance que nous adoptons généralement aurait dû faire apparaître plus tôt le nom de Louis Brixhe, né à Spa à la veille de la Révolution et mort à Liège dans un âge avancé. Mais ce n’est qu’après la fondation de la Société de Littérature wallonne qu’il se hasarda à faire œuvre de poète dialectal en publiant un petit conte en vers, qui reste d’ailleurs sa seule production connue.

Ancien élève de Fontainebleau, Brixhe avait fait dans la cavalerie les cam­pagnes de Napoléon en Prusse, en Pologne, en Espagne, au Portugal. Il avait démissionné en 1815 — il était alors capitaine et chevalier de la Légion d’honneur — pour passer aux hussards belges. Le jeune royaume issu des événements de 1830 devait encore faire appel à ses services en le nommant membre de la Commission de la guerre et colonel commandant la gendarmerie. C’est au grade de général major obtenu en 1832 qu’il fut pensionné en 1835.

Le général Brixhe ne figure point au cadastre des auteurs wallons. Pourtant, Lès deûs mofes… Ce raccourci de fabliau, traité dans un décasyllabe plein d’alacrité, offre un joli spécimen d’esprit gaulois qu’il convenait de ne pas laisser se perdre.

 

 

50                                                                                                    [Liège]

Lès deûs mofes

 

Nin lon di s’ mohone, on bon payîsan

èsteût-à l’ tchèrowe èt r’toûrnéve si tchamp.

C’èsteût è nôvimbe, i fève dèdjà freûd

4  èt l’ mantche di si-èrére ècwèdeléve sès deûts.

« I fêt-ine måle bine » dist-i à s’ vårlèt.

« Dj’a roûvî mès mofes, va se lès qwîr, valèt ».

Ci-cial, tot contint, coûrt èvôye so l’ côp :

8  « Mutwè, s’apinse-t-i, frè-dje d’ine pîre deûs côps !… ».

Li dame dè l’ mohone, insi qui l’ sièrvante,

èstît totes deûs djônes, potelêyes èt roselantes.

Li vårlèt, qu’èsteût on bê fwért djônê,

12 po nos deûs kiméres boléve divins s’ pê.

 

 

LES DEUX MOUFFLES

  1. tchèrowe, emprunt du fr. « charrue » dans l’expression èsse (ou aler) à l’ ~. — 4. èrére (ou ère), nom wallon de la charrue; ècwèdeler, engourdir. — 5. vårlèt, valet de ferme. — 6. Litt. : … va et me les cherche; valèt, garçon. — 9. dame au sens de patrone. — 10. roselant, de teint rosé, vermeil. — 12. pour nos deux commères brûlait dans sa peau. —

 

(p.156)

« Dièwåde ! » l’zî di-st-i, « dji vin po ‘ne saqwè

qui l’ mêsse m’a k’mandé : advinerîz-ve bin qwè ? »

Li dame rèsponda : « Çou qu’ vos v’nez fé cial,

16   qui pôreût l’ savu à mons qu’ d’èsse li diåle ?

—  È bin !, dit l’ vårlèt, l’ mêsse m’a-t-avoyî

po qui, totes lès deûs, dji v’ vinse abrèssî.

—  Vos boûrdez, dit l’ dame, èt vos pièrdez l’ tièsse,

20   vos n’ mi f’rez måy creûre qui l’ mêsse seûy si bièsse !

—  Grand lwègne, dit 1′ båcèle, p’ on parèy mèssèdje,

on s’ pout passer d’ vos, èt l’ mêsse s’ènnè tchèdje…

—  Portant, dit l’ vårlèt, mès deûs binamêyes,

24   çou qu’ dji v’s-a v’nou dîre èst çou qu’èst d’ pus vrêy.

Si vos ‘nnè dotez, vinez, moussans foû :

vos creûrez mî l’ mêsse qwand v’ l’årez-t-oyou ».

Tos lès treûs èson.ne, ènnè vont so l’ pwète,

28   èt l’ souwé vårlèt, d’ine vwès clére èt fwète :

« Èdon, mêsse », brêt-i, « qui c’èst totes lès deûs ?

—  Pa ! sûremint, båbô ! » lî rèspond l’ froûleûs

qui n’ pinse qu’à sès mofes èt qui lès ratind.

32    « Oyez-ve » dit l’ vårlèt qui, sins piède nou tins,

hapant lès deûs k’méres, à si-åhe lès tchoufeta

sins qu’ noulu sèpe dîre wice qu’i s’arèsta…

Po çou qu’èst dès mofes, li mêsse lès-eûri,

36 èco min.me ôte tchwè — tot l’ monde l’a compris !

 

 

Bull. Soc. de Litt. watt., t. 3, 2e partie, 1860, pp. 37-38, sans autre signature que l’initiale B. — L’auteur est iden­tifié l’année suivante par U. Capitaine, ibid., t. 4, 2e partie, p. 90.

 

  1. Dièwåde, formule de salutation; litt’ : Dieu [vous] garde; … je viens pour quelque chose. — 18. abrèssî, embrasser. — 21. lwègne, niais; p’ = po, pour. — 25. … venez, sortons dehors. — 26. … quand vous l’aurez entendu. — 27. Tous les trois ensemble, ils vont à la porte. — 28. souwé, rusé (litt’ : séché). — 29. N’est-ce pas, maître, crie-t-il … — 30. båbô, nigaud, imbécile; froûleûs, frileux. — 33. … à son aise les caressa. — 34. sans que nul puisse (litt’ : sache) dire où il s’arrêta. — 36. encore même autre chose (= une pake de cornes).

 

(p.157)

JEAN-FRANÇOIS XHOFFER

(1794-1874)

 

Comme pour L. Brixhe, nous reculons la place du Verviétois Xhoffer dans la chronologie de nos textes wallons. Bien qu’il ait taquiné la muse de bonne heure — en français il est vrai —, c’est à la Société de Littérature wallonne qu’il doit, lui aussi, une vocation plus soutenue d’écrivain dialectal.

Ayant à peine fréquenté l’école, apprenti à l’âge de sept ans dans une fabrique d’outils, Jean-François Xhoffer, à force d’intelligence et de persévérance, par­vint à s’établir dans l’industrie, se fit connaître par des inventions mécaniques, devint l’un des notables de sa ville natale et, pour mieux remédier au manque d’instruction dont il souffrait, multiplia les écrits de tout genre, passant de la technologie et de la philanthropie à la poésie et à la chanson, sans oublier le drame, la comédie et le vaudeville…

L’un des plus anciens poètes dialectaux de Verviers, avec Thomas Angenot (1773-1855) et Jean-Simon Renier (1818-1907) — qui ne le valent pas —, Xhoffer fut aussi l’un des premiers lauréats de la Société de littérature wal­lonne. Parmi les œuvres qu’il soumit à ses jurys, Lu poète walon, dont on ne retint qu’un extrait (les 16 premières strophes de la 3e partie), retrace non sans humour (ni longueurs), les tribulations d’un versificateur de terroir détourné des appels du Parnasse par les servitudes de la vie quotidienne.

 

51                                                                                                [Verviers]

Lu poète walon

(Extraits suivis)

 

Dj’ètind du tos costés qu’on m’ crèye :         Vv. 185-256

Lèyîz-me è paye ! Alez pus lon !

C’èst bin tot l’ même kumint qu’ô scrèye

4   po fé dès paskêyes è walon !

Po criyer « ås bèlès crompîres ! »

èt po miner çou d’rî ‘n-advant

lu danse-à-quawe avå lès pîres,

8   a-t-i mèsåhe d’èsse ô savant?

 

LE POETE WALLON

  1. crompîres, pommes de terre. Le vers fait allusion au cri des marchands ambulants. —
  2. cou drî ‘n-advant, expr. verv. signifiant : à rebours, à contre-pied. — 7. danse-à-quawe (litt. : danse à queue), farandole, syn. verviétois du cramignon liégeois. — 8. est-il besoin d’être un savant ?

 

(p.158)

Dju n’ vou nin, came i s’ènnè troûve,

mu casser l’ tièsse à fé dès vêrs :

dj’êmereû co mî di m’ mète èn-oûve

12   ås fortificacions d’Anvers !

S’i v’ vint quékès bèlès pèsêyes,

so l’ tins qu’ vosse fame èst-ad’lé vos,

ile vus-intrutint d’ fricassêyes,

16    d’ognons, d’ lård, du boûre ou du r’nos.

 

Qwèrez-ve one rime èt qu’ile s’astitche,

on v’ vint claboter quéke saqwè,

si bin qu’å bout du l’émistitche,

20   vos-avez dèdjà roûvî qwè.

Adon, tot v’ kufrotant l’ visèdje,

si v’ tûzez po ragrawî l’ mot,

lu canari k’mêcerè s’ tchawèdje

24  èt l’èfant f’rè hawer l’ marmot.

 

Vus r’tronkinez-ve èn-one ôte plèce

po v’ tirer foû d’ tos lès dusduts,

lu stoûve asteûre èst came one glèce :

28    on vint avou dès hututus.

Ile n’èsprêdrè nin, i boûtenêye;

à tot momint, i fåt tchèvener.

Volà don tote one matinêye

32    å diåle … I fåt aler dîner !

 

 

  1. Allusion aux grands travaux militaires, décidés par la loi de 1859 et exécutés par le général Brialmont, en vue de faire d’Anvers ce qu’un contemporain devait appeler « la première forteresse du monde ». — 13. pêsêyes, pensées (avec la dénasalisation courante en verviétois). Ici et plus loin, on transfère à un « vous » imaginaire les déboires attribués ailleurs au poète désigné à la 3e personne. — 15. elle vous parle d’omelettes. —
  2. … de beurre et de rognons.
  3. s’astitchî, se pousser, se mettre en avant; dans le contexte, il s’agit de la rime que le poète est sur le point de trouver. — 18. claboter, ici v. trans. : babiller, jaboter. — 21. Alors en vous passant la main sur le visage (geste qui veut suggérer la concentration dans la recherche d’une idée, d’un mot: cfr tûser au vers suivant). — 22. … pour rat­traper le mot (qui vient d’échapper). — 23. tchawèdje, en parlant d’un oiseau, piaillerie. — 24. … fera aboyer le chien.
  4. Vous retirez-vous dans une autre pièce. — 26. dusdut, bruit, tapage. — 27. stoûve (litt. : étuve), fourneau de cuisine, poêle. — 28. on apporte des copeaux (pour alimenter le poêle). — 29. i boûtenêye (impers.), la fumée refoule, le bitume se dégage. — 30. … il faut tisonner.

 

(p.159)

Vos pèsez, tot v’ mètant à l’ tåve,

rutére çou quu v’ n’avez nin scrît.

Ayi, dê ! Tot v’nant foû dè 1′ cåve,

36   lu sièrvante tome èt djète on cri.

« Tènez, dit l’ dame, c’èst-èco lèye !

Bon Diè sét çou qu’èst duspårdou !

On vièrè 1′ clatche avå l’alêye,

40    èt c’èst èco ‘t’tant du pièrdou ».

 

Sès goster çou qu’i s’ hère è l’ boke,

su, tot magnant, i louke å lon,

c’èst qu’i qwîrt, po fé one églogue,

44   dès doûcès parales è walon.

Å moumint quu s’ vèrve a pris flame

èt qu’i s’ dit tot bas : « N’s-î èstans ! —

Vor’mint, vos n’ savez », ruprind s’ fame,

48    « quu l’ boûre èst r’monté d’ deûs-êdants ? ».

 

Po fé après nône one sokète,

su  bé påhûle on l’a lèyî,

ô vèrs lî dråvèye è l’ makète :

52   i grogne èt fêt crîner s’ tchèyî.

I n’ sét nin k’mint su mète à djawe,

mågré qu’on n’ lêsse intrer nolu.

« Mês, dist-i, cloyez vosse badjawe ! »

56    … su n’a-t-i djår d’âme åtou d’ lu.

 

Mêsse èt k’mandant è manèdje,

pus rin nu pout èl dusoûrner.

Tot contint, i s’ mèt’ à l’ovrèdje :

60 volà qu’à l’ pwète, on vint soner.

 

 

  1. rutére, retenir. — 37. la dame, c’est ici la maîtresse de maison, épouse du poète. — 38. duspårdou, répandu. — 39. On verra l’éclaboussure (ça et là) dans le vestibule.
  2. Sans goûter ce qu’il se met (litt. : s’enfonce) en bouche. — 42. si, en mangeant, il regarde au loin. — 48. que le beurre a augmenté de deux liards (litt. : aidants; sur cette ancienne monnaie, cfr DL, 243).
  3. Pour faire, après midi, une sieste. — 51. un vers lui trotte dans la tête. — 52. … et fait grincer sa chaise. — 53. su mète à djawe (parfois à djowe), se mettre dans la position voulue pour faire telle chose. — 55-56. «Mais, dit-il, fermez votre caquet!» / … et n’y a-t-il personne autour de lui; djâr d’âme, expr. peu courante, probabl* altérée de tchâr d’âme », « chair d’âme » attestée à Hervé, suivant A. Doutrepont (BD, 10, p. 53).
  4. « seul au  logis »   (note  de  Xhoffer).   —   58.   d(u)soûrner,   troubler,   déranger.   —

 

(p.160)

I s’ dit : « C’est po fé quéke kumande,

mês qu’on ‘nnè vasse tot dreût, dè mons ! ».

I va vèy : on-Ådeneûs lî d’mande :

64    « Nu fåt-i nin dès bês ramons ? ».

 

I-èl sohête å diåle qu’èl possîhe,

i s’ kumagne, i n’ fêt pus rin d’ bon.

Zéphyr èst-èvôye, i vint d’ bîhe,

68   su n’ trouve pus quu totes rîmes an on.

Qu’on vègne adon avou ‘ne mate wite

« po haper l’ pus gros dè l’ poûssî »,

i rastrind sès papîs bin vite,

72   su såve èt su n’ sét wice moussî.

 

Su c’èst qui lî manke one sillabe,                   265-280

qwand i-èst è s’ djéce, i n’ pout dwèrmi,

i-a quéke pårt one saqwè qui clape,

76   tote lu nut’, on l’ètind djèmi.

Avå s’ cossin i s’ kuvôtèye,

i-èst came s’ô fa du spènes è lét;

i fåt quu s’ pôve fame èl guètêye

80   po lî fé r’soveni qu’èst-ad’lé.

 

« Dju creû qu’ vosse mononke su troûblêye »,

dit lu matante atoû s’ nèveû.

« È meûs d’ djun i s’ tchôke è l’ coulêye,

84   tot fant qu’on n’î fêt pus dè feû ».

 

  1. Ådeneûs, Ardennais. — 64. Le commerce ambulant des ramons (balais) et de divers ustensiles en bois se faisait jadis, à Liège et à Verviers, par des marchands ordonnais.
  2. Il le  souhaite   (l’Ardennais)   au  diable   qu’il  le  possède.  —   66.   il  se  morfond.

—  67.  … il vente du nord. — 69. Qu’on vienne alors avec une loque. — 70.  « pour enlever le plus gros de la poussière > : la mise entre guillemets indique le style indirect libre, l’auteur rapportant le prétexte par lequel on s’excuse de  déranger le poète. — 71. il ramasse… — 72. s’enfuit et ne sait où se fourrer.

  1. è s’ djéce, dans son lit.  — 75.   …  quelque  chose  qui  cloche  (litt* :  qui  claque).

—  77. Sur son oreiller, il se démène. — 78. il est comme sur un fagot d’épines… — 79. … le chatouille. — 80. pour lui rappeler qu’il est auprès d’elle.

  1. « Je crois que votre oncle s’embrouille » (ou devient fou). — 82. dit la tante à son neveu. L’emploi de atoû(r), litt. : à tour (à distinguer de â-/åtoûr, autour) est archaïque et se limite à l’aire orientale, de Verviers à l’Ardenne liégeoise (cfr L. Remacle, Syntaxe, 2, pp. 339 ss.). — 83. … il se pousse près de la cheminée. — 84. tot fant qui, alors que, cependant que. —

 

(p.161)

Halcotant s’ tièsse avou mèsâre,

tot d’ô côp p’ô rin i rîrè; one ôte djoû,

tot fant lu mène sâre,

88    came one crokale i s’ènonderè…

 

Bull. Soc. de Litt. watt. t. 4, 1861, pp. 79-83. — Le poème entier, suivi d’épigrammes, en wallon, a paru à Verviers, impr. M.-J. Thoumsin, 1861, 30 pp.

 

  1. Balançant la tête en mesure. — 86. …  p’ô rin, pour un rien. — 87. … la mine sûre. — 88. comme une toupie il s’emballera.

 

 

(p.162)

MICHEL THIRY

(1814-1881)

 

Chef de gare, puis directeur aux chemins de fer de l’Etat à Liège, sa ville natale. Il débuta dans la poésie dialectale avec une plaquette anonyme, Caprices vallons (Liège, 1859), remarquable au moins par une scène popu­laire, Ine afaire à Lîdje, prélude aux tableaux réalistes que Thiry allait bientôt donner dans le même genre. De 1859 à 1869, il est l’un des lauréats les plus brillants de la jeune Société de Littérature wallonne dont les Bulletins et Annuaires publient durant ces dix années, une vingtaine de ses poèmes : tableaux de mœurs dialogues, contes facétieux et chansons (1). Poète lyrique médiocre, Thiry n’est vraiment à l’aise que dans la peinture des travers humains. Là, il déploie un talent supérieur. Ine cope di grandiveûs (1860), On voyèdje à conte-cour (id.), Li mwért di l’octrwè (1861) renferment, à côté de hors-d’œuvre et, parfois, de développements artificiels, d’excellents traits d’observation piquante exprimés dans une langue verte, énergique, gonflée de sève populaire.

Ces caractères, aucune œuvre ne les montre mieux que Ine copène so l’ marièdje (1859), satire dialoguée de 412 vers, chef-d’œuvre de Thiry en même temps qu’un document social sur la vie des faubourgs liégeois au siècle passé. Si, pour l’inspiration, le genre — et la longueur — le poème de Thiry rappelle la satire de Boileau contre les femmes, les qualités qui le distinguent lui appartiennent en propre : « style coloré et plein d’images, dit A. Stappers, invention bien combinée et bien conduite, caractères fran­chement dessinés, traits heureux, verve soutenue » — et, ajouterons-nous, versification élégante, habile à disposer harmonieusement les membres de la période oratoire comme à frapper, d’un tour concis, de ces vers médailles « que l’on retient comme des proverbes » (A. Stappers).

 

 

52                                                                                                     [Liège]

Ine copène so 1′ marièdje

(Extraits suivis)

 

Djèrå (Gérard) fait à Biètmé (Barthélemi), qui est sur le point d’entrer en ménage, un tableau poussé au noir du mariage et des femmes. L’honnête Biètmé a bientôt mis doigt sur la plaie :

Djèrå, si vosse manèdje èst tot toûrné à tchin,

Est-ce fåte à /’ feume tote seûle ? Vos, n’î sèrîz-ve po rin ?

Suit alors la satire de l’ouvrier paresseux, du mari joueur et dépensier.

 

(1) Quelques pièces posthumes (parmi lesquelles un long fragment sur Les Saisons) ont paru dans ASW, t. 9, 1884, pp. 102-127, à la suite de la notice nécrologique rédigée par J. E. demarteau (ib. pp. 67-101).

 

(p.163)

Vv. 229-236

On tape quékefèye à twért so lès pauvès feumerèyes.

Elle ont portant leûs creûs, mins èle li fèt mons vèy !

On l’zî promèt’ dès rôses èt bêcôp d’ vèrts botons :

4 si vite qu’èles sont sposêyes, èles trovèt dès heûpons…

Dj’ènnè k’noh passåvemint — mins nouk ni s’ènnè vante

— qui loukèt tot-å pus’ leûs feumes po dès sièrvantes,

qui sont-à leûs plêsîrs so l’ tins qu’èles sont sins rin

8 èt qu’ vôrît co qu’èles f’rît riv’ni l’êwe so l’ molin !

 

Qu’avez-ve fêt po rateni vosse barke dè fé l’ plonkèt ?     247-260

Rin di çou qu’ lès vièrneûs qui k’nohèt l’ mèstî fèt.

È l’ plèce d’on côp di spale po passer sins-astådje,

12  c’èst vos qu’a låké l’hore po l’fé stoker so l’åtche.

Vos qwitîz trop sovint l’ustèye è voste ovreû

po cori vès l’ canliète avaler ‘ne gote ou deûs.

Vos n’ payîz måy à fêt, ça v’s-aviséve mons deûr !

16 Mins vos r’magnîz l’bokèt : on n’ pout sins fin acreûre;

èt qwand vos réglîz l’ compte, à l’ longue crôye, so l’volèt,

èlle aveût stu fortchowe ou l’ mêsse loukîve luskèt…

Li londi, l’å-matin, di v’ vèyî c’èsteût rare

20 èt, pus vite qu’à vosse toûr, vos pièrdîz l’dièrin qwårt.

Li qwinzin.ne èsteût tène, vos t’nîz l’ mwètèye por vos;

Avou çou qui d’manéve, on n’ féve wêre boûre li pot !

 

 

UNE CAUSERIE SUR LE MARIAGE

  1. heûpon, gratte-cul (fruit de l’églantier). — 5. J’en connais [= des hommes] bon nombre (litt’ : passablement). — 8. « faire revenir l’eau sur le moulin », expression figurée signifiant dans ce contexte : faire prospérer les affaires du ménage.
  2. … pour empêcher  (litt. :  retenir)  votre  barque  de  chavirer;  plonkèt,  plongeon.  —
  3. vièrneû, celui qui tient le vièrna (gouvernail), timonier. — 13. sins-astådje, sans retard; ici : sans encombre. — 12. hore, t. de batellerie : « grosse perche ferrée dont le batelier se sert comme d’un levier pour prendre le large, éviter un obstacle, etc. » (DL,  328). Dans le style imagé du passage, le mauvais pilote (=  Djèrå) se voit reprocher d’avoir laissé aller (lâké, lâché) la hore au point de faire heurter (stoker) la barque sur l’arche du pont. — 13.  ustèye,  outil;  ovreû,  atelier. — 14.  canliète,  comptoir,  ici :  zinc d’un bistrot. — 15. payî à fêt, payer comptant. — 16. Mais vous remangiez le morceau (= vous recommenciez); acreûre,  acheter  à crédit. — 17. à l’ longue crôye (litt. :  à la longue craie, c.-à-d. à longueur de craie), allusion à l’usage pratiqué jadis chez les petits com­merçants sans instruction, de tenir leurs comptes en chiffres romains tracés à la craie sur une  ardoise,  une planche ou,  comme ici, sur un volet.  Cfr à ce sujet les études de M. Ponthir dans EMVW, t. 5, 1949, pp. 241-252 et t. 7, 1955, pp. 202-227. — 18. la craie était fourchue (c.-à-d. marquait deux traits au lieu d’un) ou le patron (du cabaret) louchait (ce qui sous-entend : voyait double); l’idée est que, pour le débiteur, le compte n’était jamais juste. — 20. … le dernier quart (de la journée de travail). — 21. … vous gardiez la moitié pour vous. — 22. boûre li pot, bouillir la marmite.

 

(p.164)

Vos-avez kimincî d’vins dès bonès-an.nêyes,                      285-324

24 lès brès’ èstît r’qwèrous, on wangnîve à pêlêyes;

è l’ plèce de raspågnî, de wårder ‘ne pome po l’ seû,

vos v’s-avez d’né dès-êrs comptant qu’ çoula durereut.

Po lès bates ås pîssons, vos-avez-t-awou l’ fîve.

28    Pindant may, djun, djulèt’, è l’ plèce d’ovrer, qui fîz-ve ?

Vos v’ plantîz d’vant ‘ne gayoûle ou v’s-alîz porminer

tot wice qui v’s-aprindîz qu’ine trèye s’aléve monter !

Vosse ricipièw èst mwért d’avu må passé s’ mowe,

32   vosse distèrwitch batou tchouk’séve tot hèrtchant l’ quowe;

vos v’s-ènn’ avez disfêt; mins, lon di v’ ravizer,

c’èst d’on bwègne so ‘ne aveûle qui vos-avez toumé !

Vos v’s-avez djusqu’ås-oûy tchôkî d’vins l’ colèberèye,

36    i v’s-a-falou dè l’ sôr dès rapides à l’ taperèye !

Comptez çou qu’ vint colons, îviér tot come osté,

å pris qu’on paye lès vèces vis-ont tofér costé;

comptez, treûs côps par djoû, lès coûsses à l’ colèbîre,

40   li tins qui, l’ djêve è l’êr, sins cligneter d’ine påpîre,

on passe divins lès tapes po lès vèyî r’toumer,

li dringuèle å pwèrteû, lès fraîs po vwèyajer,

lès vêres à l’ sôchèté po vèyî quéle novèle,

44   lès wadjeûres qui l’ mayeté r’vêrè d’vant l’ neûre frumèle,

èt vos veûrez qu’on pris (qwand ‘l atome qu’i va bin)

vis r’vint dîs fèyes pus tchîr qui d’ l’atcheter tot bonemint.

Lès djônes di vosse vî bleû, qu’aveût stu si abèye,

48   pés qu’ lès qwate fiérs d’on tchin n’ont rin valou d’ leû vèye;

 

 

  1. pêlêye, contenu d’une poêle; à c=!, en abondance. — 25. raspågnî, épargner, mettre de l’argent de côté. — 27. Pour les concours de [chants de] pinsons, vous vous êtes enfiévré. — 30. trèye, ici dans le sens de « treillage où l’on suspend les cages de pinsons pour l’assaut de chant » (DL, 674). — 31. ricipièw et, au v. suivant, distèrwitch sont des onomatopées désignant les pinsons d’après le chant qui les caractérise. — 32. tchouk’ser (onom.), crier en volant : se dit du pinson vaincu dans un concours de chant (DL, 650). — 33. … loin de vous raviser. — 34. c’est d’un borgne sur un aveugle… (= de Charybe en Scylla). — 35. colèb(e)rèye, élevage des pigeons de concours. — 36. tap(e)rèye, dér. de tape, concours de pigeons voyageurs. — 37. colon, pigeon. — 39. … trois fois par jour, les visites au colombier (pour nourrir les pigeons). — 40. … le visage en l’air, sans clignoter… — 41. … dans les concours, à les (= les pigeons) voir rentrer au colombier (litt. : retomber). — 42. le pourboire au porteur, c.-à-d. à l’aide qui transporte les pigeons pour leur enlogement à la société colombophile avant le voyage. — 44. les paris que le [pigeon] moucheté reviendra avant la femelle noire. — 45-46. La pratique du sport colombophile passait dans le peuple pour être ruineuse. — 47. abèye, rapide. — 48. pires que les quatre fers d’un chien n’ont rien valu pendant leur vie. —

 

(p.165)

vosse florèye a r’çû s’ côp so lès tchamps, ou l’ mohèt

vis l’årè-t-agrawî po ‘nnè fé qu’on bokèt;

tos vos-ôtes ont saveté ou gangnî l’ maladèye.

52   Vos v’s-ènn’ avez d’gosté : c’èsteût-ine bone îdèye;

mins vos-avez r’toumé divins ine aute ourbî,

— avå lès målès vôyes, i v’ faléve co tchèrî…

On k’mincîve à djåzer qui vos filîz ‘ne lêde trace,

56   qwand li diåle vis consia dè t’ni dès coks di race,

dè mète cink francs so l’ tièsse dè rodje conte li p’tit gris,

di v’ fé vûdî lès potches… èt sovint di v’s-impli.

Après, v’s-avez trimelé divins tos lès djeûs d’ bèye,

60   vos wadjîz sîh drî-min — èt vos pièrdîz chake fèye !

Djèrå, sèyîz d’ bon compte : èst-ce vrêy ou n’ l’è-st-i nin ?

c’èst deûr, mins c’è-st-insi : vosse feume ènnè pout rin !

 

Bull. Soc. de Litt. Wall., t. 2, 1859, pp. 336-339.

 

 

53

Ine cope di grandiveûs

(Extraits suivis)

 

Sèrvås (Servais) reproche à son ami Houbêrt (Hubert) acculé à des besoins d’argent, de mener, avec son épouse, un train de vie qui l’oblige à des dépenses excessives pour la condition d’un ménage d’ouvriers.

 

Vv. 203-234

Avîz-v’ bon d’ fé l’ gros hêre, li dîmègne à nole eûre,

qwand vos-alîz-t-è l’ vèye avou vosse bèle frake neûre,

vosse djîlèt à ramadjes lès pus flahårs di tos,

4   vosse tchapê qui r’lûhéve come dè veûle å solo,

 

 

  1. florèye, fém. de flori (litt. : fleuri) désignant un pigeon tacheté de blanc; mohèt, épervier. — 50. agrawî, agrippé; bokèt, ici : bouchée. — 51. saveter (ou fé savate), prendre la fuite. — 53. ourbî, ornière. — 56. lorsque le diable vous conseilla de tenir (= d’élever) des coqs de combat.

—   57.  Allusion  aux  paris  dont les  coqs  étaient l’enjeu  au  moment  de  la  joute.  — 59. trim’ler, jouer à des jeux de hasard, pour de l’argent; djeû d’ bèyes, jeu de  quilles.

  • wadjî, parier; sîh, six; drî-min (t. du jeu de quilles), « nom des six quilles placées à droite ou à gauche de la première » (DL, 238).

 

UN COUPLE DE PRETENTIEUX

  1. Preniez-vous plaisir (litt. : aviez-vous bon) à faire le gros richard, le dimanche, de grand matin (litt. : à nulle heure). — 2. frake, redingote. — 3. … les plus criards de tous (il s’agit des tons du gilet à ramages).

 

(p.166)

deûs-èpingues ètchênêyes creûhelêyes à vosse crawate,

dès botons èlahîs ås mantchètes à rabate,

ine tchêne d’ôr å stoumak, ine pîpe fèrêye d’årdjint,

8   ine chevaliére soflêye å prumî deût d’ vosse min,

on want seûlemint mètou (pace qu’avou li spèheûr

dè l’ bague, l’ôte tot hiyant åreût polou fé creûre

qui l’ trau, po mostrer l’ôr, èsprès aveût stu fêt !) ?

12   Vos n’ tinîz måy vosse cane qui po d’zos s’ bê poumê.

Po v’ vèyî bin ‘nn’ aler, so l’ soû vosse feume vinéve :

c’èsteût là qu’on r’loyîve on flokèt qui s’ disféve…

On pô pus tård, à s’ toûr, madame sôrtéve avou.

16    Po l’intrêye d’ine bone vèye, on-z-åreût bin pris s’ cou !

Divant di s’ènonder, èle tchafetéve on qwårt d’eûre

avou l’ prumîre vwèsène qu’ènn’aveût wére di keûre.

Après qu’èlle aveût fêt cint pas tot-å pus hôt,

20    ayant roûvî ‘ne saqwè, èle ritoûrnéve so l’ côp.

Lès målès linwes dihît qui c’èsteût po s’ fé r’vèy

èt s’ fåt-i bin conveni qu’on-z-åreût l’ min.me îdêye.

Åreût-èle bin polou vis lèyî fé l’ monsieû

24   sins fé madame Grand’s-ås ? Vos lî d’nîz trop bê djeû !

Å lådje ! Sèrez-ve on pô ! Plèce po deûs, gåre qui dj’ passe !

Li ci qu’ n’èst nin contint, çou qui dj’ pièd’ qu’èl ramasse !

Qwand lès mohètes volît, vos l’ vèyîz-t-à 1′ Sint-Dj’han,

28   dè l’ mèsse d’onze eûres èt d’mèy, hossî s’ cou tot sortant.

Elle aveût fêt si-intrêye å côp qu’on toûne li lîve,

qwand, po r’pwèser lès gn’gnos, on moumint on s’ drèssîve,

 

 

— 6. èlahî, attaché; mantchète à rabate, manchette (de chemise) qui se rabat. — 9. un seul gant enfilé…; spèheûr, épaisseur. — 10. … l’autre [gant] en se déchirant… — 14. … qu’on rattachait un noeud (ou un floc) qui se défaisait. — 17. s’ènonder, prendre son élan (ici par dérision); tchafter (onom.), jacasser. — 18. avec la première voisine [venue] qui n’en avait cure. — 24. Il existe à Hermée au nord de Liège, un lieu-dit as grand’s-às et un ruisseau du même nom dans la localité voisine de Haccourt. Y a-t-il un rapport avec la locution peu connue fé madame Grand’s-ås dont le sens, à défaut de l’origine, s’impose néanmoins : faire la dame aux grands airs ? — 25-26. Exclamations ironiques provoquées par les allures de la « grandiveuse » et qui sont malicieusement mises dans sa bouche. — 27. Périphrase pour désigner le solstice d’été. — 28. L’inversion est assez fréquente dans les alexandrins de Thiry; hossî s’ cou, balancer son derrière. — 29. … au moment où l’on tourne le livre, c.-à-d. le missel qui passe du côté de l’épître au côté de l’évangile (anc. liturgie). — 30. Allusion à la lecture de l’Evangile que les fidèles écoutent debout; c’est aussi le moment où les derniers retardataires de la messe dominicale arrivent à l’église et, dans notre contexte, on sous-entend : pour se faire voir de tous, ce que confirment les vers 31-32.

 

(p.167)

sûvant s’ vôye djusqu’å keûr, èt là qwèrant l’ moumint

32   dè fé ine bèle sôrtîse divant qu’ ci n’ fouhe li fin.

 

Houbêrt              251-257

Vèyez-ve on må là-d’vins ? Est-ce on pètchî d’èsse gåy ?

 

Sèrvås

Nèni, po l’ci qu’èl gangne èt surtout l’ ci qui påye

ou qu’a l’ mwèyin dè l’ fé sins qu’on djåse après lu.

36   Mins lèyîz-me pôr aler èt ni m’arèstez pus.

Dji v’ veû co sitrumer vosse bê paraplu d’ sôye.

Il èsteût tot mérseû ç’ djoû-là so totes lès vôyes :

i gn-aveût treûs samin.nes à mons qu’i n’avahe ploû !             267-277

 

40   Tot passant tot près d’ vos, lès djins fît-ine clignète.

Sèreût-ce po s’ pê, d’héve-t-on, ou l’ fåte di s’ baromète ?

Et prinde si foye di djote qwand on lavasse tome bin,

on nèl prind qui por lu, lès-ôtes nèl vèyèt nin.

44   Vos n’ qwèrîz qu’ine saqwè : c’èsteût d’esse ric’nohous.   282-292

Wice sèreût don l’ plêsîr s’on n’èsteût nin vèyou ?

Fé l’ grand por lu tot seû, ci sèreût ‘ne bèle avance !

I våreût bin lès pon.nes à s’ boûsse dè mète ine rance !

48   Ås mèsses di mwérts d’onze eûres, vos måkîz fwért raremint,

vos pinsîz qu’on loukîve lès ritches po vos parints.

Vos n’ rivenîz nin so l’ côp, vos-alîz djusqu’à l’ ête,

vos v’ mètîz dreût d’vant l’ fosse tant qui l’afêre fouhe fête,

52   vosse mène si lèyîve pinde, vos r’grètîz l’ trèpassé,

mins ‘ne fèye lès djins èvôye, vos mås èstît passés;

vos v’s-acoplîz après avou quéke haridèle

èt v’s-alîz d’goter ‘ne låme à dès-ôtès tchapèles.

 

 

  1. gåy, élégant, coquet, bien habillé. — 35. … sans qu’on y trouve à redire (litt. : qu’on parle après lui). — 36. Mais laissez-moi donc poursuivre… — 37. sitrumer, étrenner. — 38. mérseû, solitaire. — 39. … qu’il n’eût tombé de la pluie. — 40. clignète, clin d’oeil. — 42. foye di djote (litt. : feuille de chou), façon plaisante de désigner un parapluie; lavasse, averse. — 47. mète ine rance à s’ boûsse, mettre un crêpe noir à sa bourse (pour signifier qu’elle porte le deuil de l’argent qui n’y est plus). — 48. Les « messes de morts d’onze heures », c’était autrefois les obsèques de 1re classe, réservées aux riches. — 50. ête (arch.), cimetière. — 51. vous vous plantiez devant la tombe jusqu’à ce que tout soit fini. — 54. Au figuré, la « haridelle » désigne ici le compagnon de beuverie avec lequel notre homme « s’accouple ». — 55. et vous alliez verser une larme dans d’autres cabarets. Il y a jeu de mot sur låme = 1° larme; 2° goutte : d’alcool, de vin, etc.

 

(p.168)

56    Tot fant « dji vou dji n’ pou », vos n’èsblawîz qu’ lès sots      321-326

èt lès sûtîs riyît di vosse feume come di vos.

Bêcôp di grandiveûs po fé li gåye mantchète

sètchèt leû blouke à stok èt fèt li mêgue pansète.

60   Vos-ôtes, vos-aloumîz 1′ tchandèle dès deûs costés :

on vèyéve à vos håres qui vos-avîz glèté !

 

Bull. Soc. de Litt. wall, t. 3, 1860, pp. 249-252.

 

  1. L’expression dji vou dji n’ pou (litt. : je veux je ne peux) est un dicton liégeois appliqué à toute personne dont les prétentions dépassent les moyens; èsblawî, éblouir. — 57. Et les gens sensés riaient… — 58. … pour faire belle apparence (litt. : la belle manchette). — 59. se serrent la ceinture…; pansète, petite panse, ventre. — 61. on voyait à vos vêtements que vous aviez fait bonne chère au point d’en avoir bavé.

Auguste Vermer

(p.169)

AUGUSTE VERMER

(1817-1907)

Docteur en médecine, né et mort à Beauraing, Auguste Vermer consacra à la littérature les maigres loisirs que lui laissaient l’exercice de sa profession et l’éducation d’une famille de onze enfants. Vermer est l’auteur de fables, de contes et de chansons tant françaises que wallonnes qui furent rassem­blées sous le titre de Poésies du Docteur Vermer (Tournai, 1181; 2e éd. augmentée, Namur, 1905). En français, il cultiva surtout la fable, où il se fit l’émule de Rouveroy et du baron de Stassart : ses vers ne dépassent pas une honnête médiocrité. On trouve plus de saveur dans ses œuvrettes wal­lonnes : Vermer y révèle un esprit d’ironie point méchant, ami de la gaieté, et une connaissance intime du dialecte natal. Ses fables et contes populaires versifiés ont souvent été accueillis dans les publications de la Société de Littérature wallonne, dont Vermer fut l’un des premiers membres corres­pondants non liégeois.

 

54                                                                                               [Beauraing]

Lès misères do méd’cin

(Air : Contentons-nous d’une simple bouteille)

 

Quand dj’é sorti do 1′ sicole di m’ viladje,

on m’avèt dit : « Wêtoz d’ vos fè médecin :

dins tot 1′ canton vos-auroz di l’ovradje;

4   v’s-îroz à tch’fô, v’ gagn’roz brâmint d’ l’ardjint. »

Dji studia don, pus dj’ala à Baviére

sîre li clinike èt z-aprinde à singni :

mès chérs-amis, qués puwantès miséres !

8   Li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

 

On côp médecin, dji rarive à l’ Faumène,

c’è-st-on payis u-ce qui lès djins sont bons;

mês, po vré dîre, nos-astans près d’ l’Ârdène :

12   brâmint dès pîres èt wére di patacons.

 

LES MISERES DU MEDECIN

1-2. Quand je sortis de l’école de mon village, / on m’avait dit : « Tâchez de vous faire médecin ». — 4-6. « Vous irez à cheval, vous gagnerez beaucoup d’argent ». / J’étudiai donc, puis j’allai à l’hôpital de Bavière [à Liège] / suivre la clinique et apprendre à saigner. — 8. Le diable envole ( = emporte) un tel métier de chien !

  1. Une fois médecin, je rentre en Famenne (c’est la région où est situé Beauraing). — 12. Beaucoup de pierres et guère d’écus. — 13. gripè, gravir; chavéye, chemin creux; tiène (liég. tiér), côte, montée. —

 

(p.170)

I faut qui dj’ gripe lès chavéyes èt lès tiènes

po li rwè d’ Prusse ou sins-èsse fwârt payi.

Fè do l’ médecine u-ce qui lès housses sont tènes,

16   li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

 

Quand gn-a on-ome qu’est mwârt di s’ maladiye,

on dit tot coûrt qui c’èst mi qu’ l’a tuwè;

mês, au contrêre, si djè lî chape li viye,

20   on dit qui s’t-eûre n’avèt nin co sonè.

Quand i strint fwârt, on m’ fét bin dès carèsses,

come tins d’ l’oradje aus sints do paradis;

mês, bin pwartant, on roviye sès promesses;

24   li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

 

Quand, tot d’lani, dji rarive à l’ vèspréye,

qui dj’é sopè èt qui vo-me-là coûtchi,

dji m’ rafiye bin do fè l’ crosse matinéye;

28   mês v’là qu’à l’uch on toke à tot spiyi :

« Monsieû l’ médecin, fôrè v’nu à Fèlène,

gn-a m’ pére qui stran.ne; i faut vos dispêtchi ! »

En chôpiant m’ tièsse, dji di co cint morguènes !

32   Li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

 

Dji m’apontiye èt nos-enfilans l’ vôye

pa lès wachis’, lès basses èt lès cayôs;

i tchét do l’ plouve, i fét spès, dji m’anôye;

36   di tins-in tins, dji sokiye su mi tch’vau;

mês tot d’on côp volà qu’i tchét su s’ tièsse;

dji vole à tére èt dj’ su tot mèsbridji.

Dji m’ ragrabouye èt dji r’monte dissus m’ bièsse :

40   li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

 

 

  1. 1re éd. (1859) : po l’ prince di Lîdje (« Proverbe du pays qui signifie qu’on fait quelque chose par corvée », note de l’auteur). — 15. … où les bourses sont « minces », c.-à-d. peu garnies.

19-20.   …   si je lui  sauve la  vie,  /  on dit  que  son  heure  n’avait pas  encore  sonné.

— 21. Quand la situation est critique… — 23. on roviye, on oublie.

25-28. Quand, tout exténué, je rentre au soir, / que j’ai soupe et que me voilà couché, /

je me réjouis de faire la grasse matinée; / mais voilà qu’à la porte on frappe à tout

casser. — 29. … il faudrait venir à Felenne (à 13 kilomètres de Beauraing). — 30-31. « Il

y a mon père qui étrangle; il faut vous dépêcher !» / En me grattant la tête, je dis

(encore) cent fois mordienne !

33-36.  Je m’apprête  et nous enfilons  la route  / par les  bourbiers,  les  mares et les

cailloux; / il tombe de la pluie, il fait obscur, je m’ennuie; / de temps en temps, je

m’assoupis sur mon cheval. — 37. i tchét, il tombe. — 38. … je suis tout rompu. —

  1. Je me relève péniblement…

 

(p.171)

Nos-arivans à l’ maujon do malâde;

dj’ lî tire l’ oucha qu’il avèt o gosî;

pus djè lî dit : « Dji vôrè, camarâde,

44    djusqu’au matin m’alè on pô coûtchi. »

Vo-me-là stindu bin contint su l’ payasse;

mês pa lès puces dji m’ sin bintôt k’mougni,

dji m’ kitape come on pèchon qui fricasse :

48   li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

On côp do l’ chîje, en rivenant d’on voyadje,

dji m’ dispêtchè d’ rarivè à l’ maujon;

mês, come on fét li fraude à nosse viladje,

52   on douanier dwarmèt drî on bouchon.

Tot-asbleuwi en sortant di s’ somèy,

avu s’ fisik il adâre après mi;

i tire on côp, li bale chîle à m’orèye…

56   Li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

 

On côp mi tch’vau, qui courèt on pô vite,

avèt tchèyu, dj’ m’avè dismètu l’ brès.

Lès bravès djins vinint m’ fè one visite;

60    (ça fét do bin quand on vint v’ consolè) :

 « Cite afére-ci, d’jèt-on, s’rè profitâbe aus-ôtes malâdes

qui v’s-auroz à sogni : ça vos rindrè pus doûs, pus charitâbe !… »

64   Li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

Dj’é d’ tot costè one fameûse concurence :

gn-a dès sôrcis, gn-a co dès charlatans.

Po bin dès maus, on-z-a min.me confiyance,

68    à quéke madame qu’a dès fwârts bons-onguents.

 

 

42-43. je lui tire l’os qu’il avait dans le gosier; / puis je lui dis : « Je voudrais… » — 45. Me voilà étendu… — 46. k’mougni, mangé, mordillé. — 47. je me débats comme un poisson qui frit.

  1. Une fois, le soir, revenant d’un voyage. — 52. … dormait derrière un buisson. — 53-55. Tout ébloui en s’éveillant, / avec son fusil il s’élance vers moi; / il tire, la balle siffle à mon oreille.
  2. tchèyu, tombé; dismètu, démis.

 

(p.172)

Pus, lès curès si mèlèt do l’ médecine :

li cia d’ Focant n’s-a bin fét aradji

èt cor on pô, n’s-aurins criyi famine…

72   Li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

Si, par asârd, dji fé one rinchinchète

èt qui dj’invite quék’onk di mès-amis,

à pwin.ne avans-dje disployi nosse sêrviète

76    qui l’onk oul’ ôte vint po m’ vunu qwèri.

Dji m’ diburtine, dji fé one fwârt lêde trogne;

mês l’afére prèsse, i faut quitè l’ plèji.

Et, d’ssus ç’ tins-là, on va bwâre mi bourgogne.

80   Li diale èvole on parèy tchin d’ mèsti !

 

1855

Bull. Soc. de Litt. wall., t. 2, 1859, 2e partie, pp. 38-41. On reproduit le texte, amélioré, de l’édition de 1881, pp. 42-45.

 

  1. celui de Focant (à 6 kilomètres de Beauraing) nous a bien fait rager. Ce curé fut condamné en 1850 par le tribunal de Dinant, pour exercice illégal de l’art de guérir; on peut voir, dans l’édition de 1881, p. 12, la chanson intitulée Le Charlatan, qu’on a supprimée dans l’édition de 1905.
  2. Si, d’aventure, j’organise une réjouissance. — 77. Je maugrée, je tire une fort laide mine.

 

(p.173)

GUSTAVE MAGNEE

(1817-1894)

 

Né à Liège, décédé à Hervé, Gustave Magnée a passé la plus grande partie de sa vie sur les confins de l’Ardenne, à Theux et à Francorchamps, où il était vérificateur des douanes. Ses œuvres, qui sont peu nombreuses (une poignée de nouvelles en prose et quelques poèmes d’inspiration bucolique ou légendaire) ont paru de 1861 à 1889 dans les publications de la Société de Littérature wallonne. Elles se distinguent par un souci de la forme souvent poussé jusqu’à la recherche et par un goût marqué, surtout dans les récits légendaires, pour les termes rares et archaïques. Outre qu’il est un de nos plus anciens prosateurs — l’un des plus oubliés aussi… —, Magnée garde le mérite d’avoir introduit, dans la poésie wallonne, une note de réalisme champêtre et de fraîcheur rustique.

 

55                                                                                                    [Liège]

Mi mohinète di tchâmoussîre

 

Avou s’ wêde, si coûr èt s’ cot’hê,

mi mohinète di tchâmoussîre,

i n’y-a so 1′ tére nou ritche tchèstê

4    qui seûy pus bê qu’ lèy à m’ manîre.

C’è-st-å pîd d’on tiér, qui 1′ solo tchåfe

d’estant å pus hôt dè cîr

èt d’ wice qu’on ri coûrt èn-on flot,

8    qu’èst m’ mohinète di tchåmoussîre.

 

Lès-oûhês tchantèt tot l’osté

divins lès gngnèsses qui covrèt l’ tiér;

is lès qwitèt po s’apîceter

12   so l’ crèsse di m’ teût qwand c’èst l’iviér.

 

MA MAISONNETTE [couverte] DE MOUSSE. — Terme de l’Ardenne liégeoise, tchâ­moussîre, forme des parlers de Francorchamps, Malmedy, Stavelot (tchåmossîre à La Gleize, tchåmossé à Faymonville), désigne le polytric ou mousse-à-balai dont on revêtait autrefois les pignons en torchis afin de les rendre impénétrables aux intempéries.

 

  1. Avec sa prairie, sa cour et son jardinet. — 5. tiér, colline. — 6. … chauffe en étant (litt. : d’étant) au plus haut du ciel (= au zénith). — 7. et d’où un ruisselet coule en une mare.
  2. dans les genêts… — 11. s’apîceter, se percher. — 13. faw, hêtre. — 14.  cohètes, petites branches d’un arbre.

 

(p.174)

Ca ine sipèsse håye di faw vint,

tot fant crèhe ses cohètes vès 1′ cîr,

mète à l’avrûle dè måva vint

16   mi mohinète di tchåmoussîre.

È m’ wêde wêdèt d’zos lès mèlêyes,

tot rotant djusqu’ås gngnos è foûre,

deûs vatches qui sont neûres èt steûlêyes

20   èt qui m’ dinèt dè pahant boûre;

è m’ cour, doze poyes, dés l’ pont dè djoû,

ad’lé leû cok qui rote si fîr,

aporvûsionèt d’ tot fris’-z-oûs

24   mi mohinète di tchåmoussîre.

 

Mi cot’hê hågne å bwérd dè ri,

wice qui vèrdih tot plin di d’vêres,

di frûtèdjes qu’awous’ faît maw’ri

28    èt qu’on wåde po magnî l’iviér;

à s’ coron, sont d’zos on sawou dès mohes

qui hoûlèt so l’ brouwîre èt qui rimplihèt d’ leû samerou

32   mi mohinète di tchåmoussîre.

 

Là chake fleûr florih è s’ såhon;

on veût toûr à toûr lès matrones,

lès djalofrènes èt lès claweçons,

36    lès meûrèts, lès rôses, lès piyaunes,

lès djamènes èt lès bèles-di-djoû,

mostrer leûs coleûrs à l’ loumîre

èt rispåde leûs-odeûrs âtoû

40   di m’ mohinète di tchåmoussîre.

 

 

— 15. à l’avrûle (Ara. liég.), à l’abri.

  1. mèléye, pommier. — 18. en marchant dans l’herbe (litt. : foin) jusqu’aux genoux. — 19. steûlêye se dit d’une vache marquée d’une étoile au front. — 20. … du beurre nourrissant. — 21. dans ma cour, douze poules…
  2. Mon jardinet s’étale… — 26. où poussent (litt. : verdoient) en masse les produits du sol; d(i)vêre, « toute espèce de récolte sur pied » (DL, 220). — 27. de fruits qu’août fait mûrir. — 29. à son bout (il s’agit du jardin); sawou, sureau. — 30. des abeilles (litt. : mouches, s.-ent. : à miel) qui bourdonnent sur la bruyère. — 31. samerou, bruis­sement.
  3. matrone, julienne. — 35. les œillets et les lilas. — 36. les giroflées, les rosés, les pivoines. — 37. les balsamines et les belles-de-jour. — 41. … de blancs (litt’ : blanchis) murs de torchis. —

 

(p.175)

Rin qu’ dès blankis meûrs di pariou;

po tarasses, dès bodjes di tchårnale;

ine Notru-Dame di bwès d’ tiyou,

44   inte lès deûs fignèsses, è s’ potale;

dès hames, ine tåve, ine houtche à pan;

dès troufes qui broûlèt è l’ fouwîre :

c’èst tot çou qu’on veût tot-z-intrant

48   è m’ mohinète di tchâmoussîre.

 

C’èst là qui dj’ vike ad’lé Marèye,

qui dj’ saweûre è påye li boneûr,

ad’lé Marèye, à l’ boke qui rèy,

52    å front d’ nîvaye, à l’ douce loukeûre,

ås p’titès mins qu’ovrèt todi,

å cwér qui plôye come ine wèsîre :

c’èst lèy qui m’ fêt on paradis,

56   di m’ mohinète di tchåmoussîre !

 

 

Ann. Soc. de Litt. watt., t. 2, 1864, pp. 113-115.

 

  1. pour solives, des troncs de charme. — 43. une Vierge en bois de tilleul. — 44. potale, niche (pour une statuette). — 45. hame, tabouret, petit siège de bois ordinairement à trois pieds; houtche, huche. — 46. troufe, tourbe; fouwîre, cheminée.
  2. que je savoure en paix… — 52. loukeûre, regard. — 54. au corps flexible comme l’osier.

Jacques Bertrand

(p.176)

JACQUES BERTRAND

(1817-1884)

Fabricant de chaises, né et mort à Charleroi. Sa famille était des plus humbles et, à dix ans, il quittait l’école pour entrer en apprentissage. D’un naturel curieux, plein de goût pour la lecture, il améliora par la suite l’instruction rudimentaire de ses jeunes années. Ses œuvres, qui portent la marque de son niveau intellectuel, reflètent de même le libéralisme de l’époque où il vivait; et rien qu’à la façon dont il parle de philanthropie, de progrès social et de bonne chère, on reconnaît en lui le disciple mineur d’un Béranger rallié à la morale — et à la dynastie.

C’est vers 1851 que Bertrand eut l’idée d’animer de ses chansons les fêtes organisées par une société locale de bienfaisance (Les braillards) dont il faisait partie avec son cousin Albert Thibaut (1815-1880), un autre auteur patoisant. Son œuvre de début, Les petites misères de Mme Chouflot, mono­logue comique en patois mêlé de couplets français, fut suivie d’autres pro­ductions tant françaises que wallonnes : parmi ces dernières, La jolie fille du Faubourg ou la quinzaine au Mambourg, L’ ducace du Bo, Sintèz come èm’ keûr bat, Raculotons-nous allaient consacrer largement, au Pays noir, la notoriété de leur auteur. Même après sa mort, son Recueil de chansons populaires, qui avait paru en 1867, connut de nombreuses réimpressions.

Talent spontané, Bertrand trouve souvent, pour peindre les sensations simples et frustes du peuple, le tour alerte, l’expression pleine de franchise et de gaieté. Mais presque aussi souvent, il déroute par l’inégalité de la langue et du style et par un manque de mesure qui l’expose à la platitude senti­mentale et surtout scatologique.

Un demi-siècle après Boiron, l’obscur barde villageois dont le nom apparaît « au bord de la nuit finissante de la chanson anonyme » (A. Carlier), Jacques Bertrand fut, au pays de Charleroi, le premier chansonnier wallon en date et en mérite, et, avec Albert Thibaut, Horace Piérard et Léon Bernus, le fondateur de la littérature dialectale carolorégienne.

 

 

56                                                                                              [Charleroi]

Sintèz come èm’ keûr bat !

 

Su l’ bôrd dè Sambe èt pièrdu dins l’ fuméye,

wèyez Couyèt avè s’ clotchî crawieûs ?

C’èst là qu’ dèmeûre èm’ [ma]tante Dorotéye,

4   veûve dè m’ [mon]onke Adriyin du Crosteû.

 

 

SENTEZ COMME MON  CŒUR  BAT!

  1. Sambe (la Sambre), comme Moûse (la Meuse), ordinair’ sans article (archaïsme). —
  2. voyez-vous Couillet  avec  son   clocher  mal   bâti ?  —  3-4.   L’édition   originale  porte

èm’ tante, de m’n-onke. Fidèle aux règles de la prosodie française, J. Bertrand faisait compter Ve atone dans la mesure des vers wallons. Cfr aussi v. 11. —

 

(p.177)

A s’ neuve méso nos-avons fét ribote,

lundi passè, tout-in pindant l’ crama.

Pou l’ preumî coûp, c’èst là qu’ dj’é vu Lolote :

8    rén qu’ d’î pinser, sintèz come èm’ keûr bat !

 

Gn-avèt drolà lès pus guéys du vilâdje;

en fét d’ couméres, on n’avèt qu’à chwèsi.

On a r’cinè à l’ombre du feuyâdje,

12    dèvant l’ méso, pa d’zous l’ gros cèréjî.

Èm’ bone matante a dè 1′ bière en boutèye :

c’ n’èst nén l’ faro qu’èst jamés si bon qu’ ça !

Dins s’ chike, Lolote èstèt si bén vèrmèye

16    qu’ rén qu’ d’î pinser, sintèz come èm’ keûr bat !

 

I d-alèt mieus, lès panses èstant rimplîyes,

Djan l’ Blanchisseû tinguèle ès’ viyolon èt dit : 

« Z-èfants, nos-avons ci dès fîyes

20    qui n’ dèmandenut qu’à danser l’ rigodon ».

Ah ! qué pléji ! Què Lolote èst contène !

Après l’ quadrîye, on boute ène mazurka !

Djè triyane en prèssant s’ mwin dins 1′ mène…

24    Rén qu’ d’î pinser, sintèz come èm’ keûr bat !

 

V’là l’ swêr vènu, pou danser chakin s’ prèsse.

El violoneû raclèt avec ardeur.

L’ bière èt l’amoûr èm’ fèyént toûrner l’ tiesse.

28   Vint noms di chnik ! djè nadjè dins l’ boneûr…

Més l’ pa Lolote, en wèyant qu’ele m’imbrasse,

d’in coûp d’ chabot m’ fét plondjî dins l’ puria !

L’ coumére ès’ sauve èyèt, mi, djè m’ ramasse…

32    Cièl ! qué coûp d’ pîd ! Sintèz come èm’ keûr bat !

 

 

  1. … tout en pendant la crémaillère. — 11. r’cinè, goûter, prendre le repas de quatre heures. L’édit. orig. porte … à l’ombre du… — 12. cèréjî, cerisier. — 14. Le faro est une bière bruxel­loise, moins piquante que la gueuze. — 15. Dans sa griserie…
  2. Il allait mieux = on se sentait bien. — 18. Jean-le-blanchisseur tend les cordes de son violon. Il s’agit d’un ménétrier de village, originaire de Thiméon, de son vrai nom Jean-Laurent Deval (1816-1884), très renommé à l’époque au pays de Charleroi (note de J. Vandereuse). — 23. Je tremblais… — 29. Mais le père de Lolote… — 30. d’un coup de sabot m’envoie dans la fosse à purin.

 

(p.178)

Djè m’ souvénré du crama dè m’ matante…

Dj’ crwè qu’ dj’é l’ cripèt câssè ou bén dèsmîs;

djè prind dès bains à l’ vapeûr d’eau bouyante,

36    grignant lès dints tous lès coûps què dj’ m’achî.

Més quand j’ dèvré skèter m’ dérène culote en m’empwègnant

avè s’ mame èyèt s’ pa, putôt mori què d’ viker sins Lolote !

40   Rén qu’ d’î pinser, sintèz come èm’ keûr bat !

 

1865

 

Les œuvres wallonnes de Jacques Bertrand, édition critique par J. Vandereuse (Charleroi, 1960, pp. 93-94) qui men­tionne l’édition préoriginale dans le « Journal de Charleroi » du 12 octobre 1865. Notre transcription respecte la version plus francisée, mais plus authentique, du Recueil de chansons populaires de 1876 (pp. 84-85), la seule édition ancienne que nous ayons pu atteindre.

 

  1. crama employé ici par brachylogie au sens de repas donné lorsqu’on pend le crama (la crémaillère). — 34. cripèt, coccyx, bas de la colonne vertébrale. — 35. eau bouyante est un gallicisme pour eûwe boulante qu’adopté l’édition Vandereuse. — 37. skèter, déchirer. — 38. L’édit. orig. porte impwègnant pour le gallicisme empwègnant; la forme orale carolorégienne est apougnant.

 

(p.179)

FELIX CHAUMONT

(1820-1872)

Né à Liège, mort à Herstal, armurier de son état, Félix Chaumont a débuté tard dans la littérature dialectale et a produit peu : une douzaine de chan­sons, entre 1862 et 1872, la plupart parues dans l’Annuaire de la Société de Littérature wallonne.

S’il vint au wallon après avoir écrit quelques poésies en français, ce fut sans doute sous l’influence de Nicolas Defrecheux dont il était l’ami intime. Peut-être est-ce à lui aussi qu’il doit son souci du style soigné et des senti­ments honnêtes ? La pièce que nous reproduisons de lui reste son œuvre la plus connue : c’est un petit tableau de mœurs populaires et l’une des réussites incontestables de la chanson liégeoise au xrxe siècle.

 

57                                                                                                     [Liège]

Li côp d’ pîd qui fêt 1′ bon hotchèt

(Air : Je suis le plus gros vigneron)

 

Sé-dje si v’s-avez k’nohou Bêtri ?

C’èsteût, so mi-âme, ine bèle boterèsse !

Måy deûs pus francs-oûys n’ont r’glati

4   divins l’ombe d’on fris’ norèt d’ tièsse.

Fwète à bouhî on fwért ome djus,

djintèye come on n’ såreût l’èsse pus,

èt pwis 1′ coûr so s’ min…

8  Mins i n’ faléve nin

èl fé måveler,

ca vos v’s-årîz fêt d’zawourer !

Djèl veû todi

12   qwand, so s’ mwèrtî,

 

 

LE COUP DE PIED QUI FAIT LE BON « HOCHET ». — La francisation du liégeois hotchèt (DL, 329, fig. 351-352) est entrée dans le Littré, Suppl’, 189, avec cette définition : « charbon préparé avec le moule nommé hochet ». Les botteresses liégeoises, aujourd’hui disparues, pétrissaient en le piétinant le mélange de houille fine (fouwaye) et de terre glaise (dièle) dont elles formaient des « boulets » au moyen d’un moule en tôle; le com­bustible était souvent livré par les botteresses elles-mêmes qui le transportaient dans leur bot ou hotte.

  1. Sais-je si vous avez connu Béatrix ? — 3. jamais deux yeux plus hardis n’ont brillé. — 4. Les femmes du peuple retenaient leurs cheveux en les couvrant d’un mouchoir plié en diagonale appelé norèt d’ tièsse et noué soit par devant soit par derrière (cfr DL, fig. 444-445). — 9. måveler, mettre en colère. — 10. d(i)zawourer, meurtrir, mettre en pièces. — 12. Le mwèrtî (mortier) désigne ici le mélange que devaient tripeler (piétiner) les botteresses. —

 

(p.180)

li pogn so l’ hantche, toûrnant doûcemint,

tapant ine lawe di tins-in tins,

èle dinéve, tot mostrant s’ molèt,

16    li côp d’ pîd qui fêt l’ bon hotchèt !

 

Bêtri in.méve Tchantchès l’ tchèron,

corne on in.me ås prumîrès brîhes.

Èle saveût qwand i v’néve d’å lon

20    rin qui d’oyî pèter s’ corîhe.

Si galant èsteût-on faro,

po fé rîre qu’aveût co cint spots.

Il aveût 1′ papî

24           di s’ fé vèy vol’tî.

Ossu l’ napê

comptéve sès crapaudes à hopê !

Mins à Bêtri

28           il aveût dit :

« Dji hante lès-ôtes po m’amûser…

c’èst twè tote seûle, djèl pou djurer,

qui dj’in.me èt qui dji marèyerè,

32    twè, qu’a l’ côp d’ pîd qu’ fêt l’ bon hotchèt ! »

On djoû qu’èle tripeléve rowe Grètry,

li mardi dè l’ fôre à Tchênêye,

rotant à cabasse, èle veût v’ni

36    ine cope qu’èsteût à l’ mî flotchetêye.

Èle tronle so sès djambes tot d’on côp !

Si coûr ossu bouhe à grands côps…

« Åreû-dje l’oûy bablou?…

40           L’a-dje bin rik’nohou ?…

 

 

13-16. Esquisse parfaite de l’attitude de la botteresse au travail : mouvement lent des pieds en tournant sur la surface à pétrir, avec un léger retroussis de la jupe qui découvre le mollet, les poings aux hanches et, aux lèvres, la moquerie (lawe) dont les passants faisaient souvent les frais.

  1. Tchantchès, forme   hypocoristique   de   Françwès,   François;   tchèron,   charretier.  
  2. as prumîrès brîhes, aux premières poussées de l’amour. — 20. rien que d’entendre claquer son fouet. — 21. … était un faraud. — 22. spot, dicton, proverbe; ici, propos plaisants. — 23.  Il avait le tour  (litt’ :  le papier).  — 25.  napê,  polisson,  vaurien.  — 26. à hopê, par tas, en grand nombre. — 31. … et que j’épouserai (litt’ : marierai).
  3. tripeler: cfr note du v. 12. — 34. … de la fête (litt.: la foire) à Chênée (banlieue de Liège), jour de grande affluence populaire. — 35. à cabasse, bras dessus bras dessous. — 36. un couple qui était des mieux pomponnés. — 39. bablou, ébloui, éberlué.

 

(p.181)

C’èst bin Tchantchès !

Va, calefurtî, ti mèl pårès !… »

Et, n’î t’nant pus,

44          èle potche dissus :

li tchapê, l’ noû såro pleûtî,

va r’djonde li côrnète è mwèrtî !

Sins compter lès pougnêyes di dj’vès

48    èt lès côps d’ pîd qu’ fèt l’ bon hotchèt !

 

A l’ pus-abèye nos djins s’ såvît !

Zèls èvôye, èle touma påmêye

èt d’ låmes sès-oûys si rimplihît…

52   Lontins èle si sinta d’sseûlêye.

Mins l’ pôve n’a nin l’ tins dè plorer :

i fåt qu’on magne, i fåt ovrer !

Pwis ‘n-ôte grand toûrmint

56          distoûrna s’ chagrin :

si soûr mora,

lèyant deûs-èfants d’vins lès draps !

Et nosse Bêtri

60          so l’ côp s’ dèrit :

« Djèl veû, l’ bon Diu fêt tot po 1′ bin.

Pusqui dj’ so trompêye d’on calin,

cès-èfants là, dj’ lès-ac’lîverè :

64   dj’a 1′ côp d’ pîd qui fêt 1′ bon hotchèt ! »

 

Ann. Soc. de Litt. watt., t. 5,  1869, pp. 141-142.

 

 

— 42. Va, gredin… — 45. … le sarrau plissé tout neuf. — 46. li côrnète, la coiffe (de la fille qui accompagne Tchantchès).

  1. Au plus vite… — 50. Eux partis, elle tomba en pâmoison. — 52. … elle se sentit abandonnée. — 58. … dans les langes (= au berceau). — 63. … je les élèverai.

 

 

(p.182)

TOUSSAINT BRAHY

(1821-1888)

 

Ouvrier typographe, né et mort à Liège, fondateur, avec D.D. Salme et Fr. Dehin, du Caveau Liégeois (1872). Il a composé, à partir de 1863, un assez grand nombre de chansons (surtout de circonstance), de « cramignons » et de monologues qui forment, avec quelques essais dramatiques sans pré­tention, les deux volumes de ses Œuvres wallonnes (lre série en 1883, avec préface d’A. Le Roy; 2e série [posthume], en 1892, avec notice biographique de Jos. Defrecheux). Parmi les productions poétiques de Brahy, on lit encore avec intérêt les stances, tour à tour attendries et plaisantes, de A m’ vî tchapê et un conte en vers, Li sondje d’à Babilône, que couronna, en 1888, la Société de Littérature Wallonne. La chanson, que nous publions ci-après, évocatrice de divertissements d’un autre âge, est restée la plus caractéristique de ce poeta minor.

 

58                                                                                                     [Liège]

Lès dj’vås d’ bwès d’à Beaufils

 

Sov’nance di djonnèsse (Air : C’est amusant d’aller à cheval)

 

So 1′ Plèce dès Dj’vås, v’là dès-annêyes,

on toûrnikèt s’ vèyéve d’å lon :

sès qwate barkètes totes rapècetêyes,

4   lès tièsses dès dj’vâs n’ l’èstît nin mons.

Mins d’aler d’ssus, on trèfèléve !

On n’èsteût co djamåy nåhî !

Toûr à toûr, ritche ou pôve voléve

8   fé raws so lès dj’vås d’à Beaufils.

I m’ sonle co l’ vèy avou s’ bonète,

qwand tot èsteût bin r’pondou bleû,

prinde ine pènêye tot fant ‘ne clignète

12   èt tchôkî l’ bwès d’ tos sès pus reûds.

 

LES CHEVAUX DE BOIS DE BEAUFILS [pron. bôfi], souvenir de jeunesse

  1. plèce dès Dj’vås, place aux Chevaux, à Liège; auj. place de la République Française. — 2. toûrnikèt, petit manège de chevaux de bois. — 3. rapècetêyes, réparées grossière­ment. — 5. trèfèler (ordt -fi-), trépigner de joie impatiente. — 6. nåhî, fatigué. — 8. fé raws, « gagner au jeu de bagues : en tournant sur les divas d’ bwès, les joueurs doivent enlever, avec une baguette de fer, un des anneaux suspendus à leur portée,  près du toûrnikèt »  (DL 531).
  2. pènêye, prise (de tabac); clignète, clin d’œil. — 12. et pousser le manège (litt. : le bois) de toutes ses forces.

 

(p.183)

Tot loukant toumer s’ cavalerèye,

qwantes fèyes ni nos-a-t-i nin dit :

« Èfants, qui n’ polez-ve tote vosse vèye

16   fé raws so lès dj’vås d’à Beaufils ! »

 

È ç’ tins-là, c’èsteût l’ bone vèye môde dè vèy,

suis malice ni fîrté, so 1′ toûrnikèt, valèts, crapôdes

20   tot come dès bossous s’amûser.

Oûy, totes nos djon ;nès damesulètes sogne

dès gåter leûs cous d’ Paris f’rît l’ mowe

tot r’loukant lès barkètes

24   hèrtchèyes par lès dj’vås d’à Beaufils.

 

Kibin ‘nn’ a-t-i nin po l’ djoû d’oûy, à tins passé,

qwand i r’tûzèt, qui r’vèyèt co, divant leûs-oûys,

28   l’åbion dè pauve vî toûrnikèt?

Come leû coûr deût bate di sovenance !

Portant, dji wadjereû qui leûs fis

n’ vôrît pus seûlemint fé lès cwanses

32   d’ fé raws so lès dj’vås d’à Beaufils…

 

Asteûre, li grandeûr monte lès tièsses :

divant d’èsse djon.ne, on vout-èsse vî;

on coûrt lès bals, on rôle lès fièsses,

36   lès treûs qwârts dès djeûs sont roûvîs.

Wice dîreût-on qu’is sont-st-èvôye ?

Nos n’ lès veûrans måy pus riveni…

Nos p’tits-èfants n’åront nin l’ djôye

40   d’ fé raws so lès dj’vås d’à Beaufils…

 

c Li Caveau lîgeois, 1re annèie », Liège, 1873, pp. 45-46.

 

  1. damesulète, petite demoiselle (iron. et péj.)- — 22. [de] crainte d’abîmer leurs der­rières de Paris (allusion aux « tournures » des jeunes filles de l’époque). — 23. fé 1′ mowe, faire la moue (de dédain). — 24. tirées…
  2. Combien n’y en a-t-il pas au jour présent. — 28. l’åbion, la silhouette. — 31. fé lès cwanses, faire semblant.
  3. les trois quarts des jeux [populaires] sont oubliés.

 

 

(p.184)

PIERRE MOUTRIEUX

(1824-1908)

 

Né et mort à Mons, fils d’un sergent de ville, Pierre Moutrieux, après ses humanités au collège communal, occupa quelque temps des emplois de commis et devint, très jeune encore, professeur dans des écoles privées de sa ville natale, notamment à l’Institution Moneuse. Puis il s’établit comme professeur particulier en vue de préparer les candidats aux examens organisés par les administrations publiques, tâche qu’il n’abandonna qu’à l’âge de 78 ans.

Comme J.-B. Descamps, il partagea ses loisirs littéraires entre le français et le montois. A la différence de son aîné, les chansons françaises qu’il écrivit (la plupart parurent au cours de l’année 1855 en livraisons mensuelles) échap­pent en partie aux stéréotypes du romantisme belge : si le prosaïsme les entrave, leur accent est celui d’un esprit indépendant, parfois révolutionnaire — on dirait aujourd’hui progressiste — et l’emphase d’une pièce telle que A mon fils qui n’est pas né ne parvient pas à en dénaturer la portée huma­nitaire.

Mais c’est en dialecte que Moutrieux a le mieux exprimé une personnalité faite d’esprit caustique et de philosophie résignée. Il avait 25 ans lorsqu’il inaugura avec Des contes de kiés (Des balivernes) une série de trois plaquettes montoises qui parurent en 1849, 1850 et 1851. Une nouvelle fournée vit le jour de 1873 à 1876 dans une sorte d’almanach intitulé El canyon d’ Mons et c’est à la gazette dialectale El Ropïeur, fondée à Mons en 1895, qu’il donna la production de ses dernières années.

Chansonnier accompli, Moutrieux fut aussi un prosateur dont la verve ne le céda en rien à celle de l’abbé Letellier (il collabora d’ailleurs à son Armo-naque), comme le prouvent des pages telles que El catéchise de m’ père — un catéchisme tout en proverbes — ou l’éloge du patois dans l’« advèrtance » du Canyon d’ Mons pour 1875. Un choix de ses œuvres fut réuni après sa mort en 1912 par les soins de Gaston Talaupe.

 

 

59                                                                                                 [Mons]

El canson d’ Sint-Antwêne

(Air : Te souviens-tu, disait un capitaine)

 

Tout in m’ couchant, èj’ diswa hier à m’ reine :

« Ej’ t’aime surtout quand tu ronfles dèdins t’ lit.

Eh bé, pourtant, j’aime co mieûs Sint-Antwêne,

4   c’èst-à ç’ temps-là, fîe, qu’on a du plési ! ».

El vèye, chez Brock, èl société s’ rassembe,

on bwat in pot pou èrbéni 1′ drapeau,

on trinque, on rit, on cante tèrtout’ insembe.

8   Wê, Sint-Antwêne èst-in jour qu’est bé biau !

 

Ces grands monsieûs qui blaguent su no jeu d’ croche,

ça n’ rit jamés, ça n’ set que s’imbéter.

Ergardez-lès au fond de leû caroche :

12   i foutent ène gueule à vos fére insauver !

Qu’ je m’ fous, hon, mi, d’été riche corne ène altesse

et d’avwa 1′ cœur aussi gai qu’in cayô !

Contint’mint, fieû, vwayez bé, passe richesse…

 

16   Wê, Sint-Antwêne èst-in jour qu’est bé biau !

Nous-autes, ourviers, rabourant tout 1′ semaine,

nos n’avons guère èl temps d’ nos-amûser.

Ainsi, à m’ mode que pou èrprinde haleine,

20   de temps-in temps, on peut bé s’in r’passer.

 

 

LA CHANSON DE [LA] SAINT-ANTOINE. — La fête de saint Antoine, le 17 janvier, était marquée à Mons par les assauts à l’ croche, ou parties de jeu de crosse, sorte de jeu du mail, qui se pratiquait pendant l’hiver. C’est à la Saint-Antoine que le vainqueur — le roi, — décoré de la médaille du concours, était reconduit en cortège avec musique; un souper général était organisé par la société qui groupait les adeptes de ce sport, autrefois en honneur parmi la classe ouvrière de la région.

 

  1. à ma reine, c.-à-d. à ma femme. — 5. La veille, chez Brock (nom du café où se réunissaient les joueurs). — 6. … pour « rebénir » le drapeau de la société.
  2. Qu’est-ce que je me fous, donc, moi… — 14. cayau, caillou, pierre. — 15. Proverbe français : Contentement passe richesse.
  3. … ouvriers, peinant toute la semaine; rabourer est une variante de rabouter, abattre de la besogne. — 20. s’in r’passer, s’en accorder (du répit ou du plaisir). — 22. La « purge » ici consiste à faire le vide par l’excès de boisson. —

 

(p.86)

Pou roubliyer tous nos jours de carême,

 on s’ fout ‘ne bone purge, ça vos r’iave lès boyaus !

Fés come tu veûs, i faut mori tout à” même…

24   Wê, Sint-Antwêne èst-in jour qu’èst bé biau !

 

Louwis-Filipe, au miyeû de tout s’ clike,

n’étwat nié mieûs, ni pus contint surtout,

que P rwa d’ nous-autes quand il a ène bone chique,

28   fleur à s’ capiau èyèt mèdaye à s’ cou.

A tous moumints, corne si c’étwat ène biète,

su P pauve rwa d’ France, on tire à fiêr à clau :

no rwa du mwins en’ risque qu’ène soule à s’ tiète…

32   Wê, Sint-Antwêne èst-in jour qu’èst bé biau !

 

C’èst tout, z-infants, asteûre qu’on m’ baye à bwâre !

J’é l’ goyé sec, jé n’ sarwa pus canter.

Come diswat m’ pére (què l’ bon Dieu l’ mète in glwâre !),

36    èl trop, èt-i, finit par imbéter.

A vote santé ! Faites què l’ anéye prochaine

èt co lès-autes vos consèrviez vo piau

pou co minjer du pourciau d’ sint-Antwêne,

40    car, mi j’ vos l’ dis, c’èst-in jour qu’èst bé biau !

 

 

Paru dans « Dés cont’ dé guiés, tiens ! pa Titiss’ Ladéroutte, dit Louftogne », Mons, [1849], pp. 14-16 et reproduit dans les Œuvres choisies de P. Moutrieux, Mons, 1912, pp. 277-278.

 

 

  1. La résignation des petits devant la destinée est contenue dans ce vers simple et admirable.
  2. Allusion tout au long de la strophe à la révolution de 1848 qui coûta son trône à Louis-Philippe, dont la royauté est malicieusement mise en parallèle avec celle du vain­queur au jeu de crosse. — 27. … quand il a une bonne cuite (ce qui arrive à la Saint-Antoine, comme l’indique le vers suivant). — 28. capiau, chapeau; à s’ cou : on attendrait en montois à s’ eu. Aussi bien pour la forme que pour le sens, l’auteur sacrifie ici à la rime. — 30. à fier à clô, ici avec le sens de : durement, sans relâche. L’expression française à fer et à clou, attestée entre autres chez Calvin et Mme de Sévigné, se dit de ce qui est solidement fixé. — 31. soûle, boule de bois que l’on chasse avec une crosse ferrée.
  3. … le mette en gloire, c.-à-d. en paradis. — 36. le trop (= l’excès), disait-il… — 39. pour manger encore du porc de Saint-Antoine. Allusion probable à l’un des plats traditionnels du banquet final, en souvenir de la légende de saint Antoine et de son cochon.

186

 

(p.187)

60

Quée chike !

(Air : Te souviens-tu, disait un capitaine)

 

Ej’ d-é èm’ compte, Colas, i faut qu’ j’èrtourne.

Mes 1′ diale m’importe si j’èrcounwa m’ kèmin !

Autour de mi, èrgarde bon ! corne tout tourne :

i-l-a pou cwâre que m’ tiète èst-in moulin.

Wê, qu’èst-ç’ que m’ fème va dire ? Bon… si èle moufe

(j’ sû in bon fieû, mes drôle de paroissien),

èj’ te lî flanque su s’ mouzon ‘ne télé margnoufe

què j’ tè l’invouye cahuler su s’ prussyin !

 

Qu’ c’èst maleureûs qu’ sans fére ène èscôdrîye,

on n’ poura pus avwâr in p’tit plési !

Tiens, fieû Colas, jamés en’ te marîye,

si tu n’ veûs nié tout t’ vîye t’in n-èrpinti.

La librèté (quée chique ! èj’ cwa qu’ j’étoufe)

èst-ène bêle chose… Colas, m’écoutez bien?,

t’t-à l’eure, j’ te flanque su t’ mouzon ‘ne télé margnoufe

tiens, que j’ t’invouye cahuler su t’ prussyin !

 

J’ n’arwa nié d’vû, Colas, bwâre 1′ dernière pinte; jusqu’à ç’tèle-lâle, vré !, i n’ me falwat rie. Mes tu dîrwas que m’ paufe caboche va s’ finde… « Mon Dieu ! Donat, corne vos-ètes èspité ! ». — Pace qu’on n’est nié in grand fèseû d’esbroufe, on n’ poura nié rintrer in peu pus tard ? Qu’in lussier viène, j’ te lî flanque ène margnoufe que j’ te l’invouye cahuler su s’ tan’vard !

 

 

QUELLE CUITE ! — Chanson en forme de monologue où un ivrogne, s’adressant à Colas, le compagnon qui le ramène, tient des propos que lui inspirent, pêle-mêle, les circonstances du moment et l’expérience de la vie.

 

  1. … si elle souffle mot. — 7. mouzon, museau, visage; margnoufe (de marnioufe), mornifle, gifle. — 8. cahuler, hurler, crier fort (ici après être jeté par terre); … sur son derrière, litt. : Prussien, nom de peuple employé par une synecdoque irrespectueuse, mais que la chanson de J.-J. Vêlez, n° 26, aide à comprendre.
  2. èscôdrîye, vacarme, tapage scandaleux.
  3. L’usage oral serait bwâre èl dèrnière…; l’auteur, pour respecter la mesure, contrevient à la règle de prononciation qui exige, entre trois consonnes qui se suivent, la présence d’une voyelle. — 20. Remarque en style direct libre : l’intervenant n’est pas présenté; c’est peut-être Colas. — 21. … un grand faiseur d’embarras. — 23. Qu’un sergent de ville (litt. : huissier) vienne…; le / vient de l’agglutination de l’article.

 

(p.188)

On sét ouvrer, du mwins, si on set bwâre :

quand i vivwat, m’ pauve père, c’étwat s’ rébus…

In bé brave orne, savez, tu peûs m’in cwâre,

28    èj’ brérwa bé quand j’ pinse qu’i n’ buvra pus.

Dire qu’on est là bé portant, pwis bèrdoufe !, on fét F tourniô…

Bon ! me v’ià su m” tamis !

Si j’ tènwa l’ sort, j’ te lî flanque ène margnoufe…

32   Bone nwit, Colas, v’ià ‘ne place pou mi dormi.

 

Œuvres choisies, pp.  336-337.

 

  1. rébus, dicton, propos favori. — 28. je pleurerais bien… — 29. En même temps qu’il prononce tourniô, le personnage fait un tour sur lui-même et se retrouve sur son tamis, c.-à-d. assis par terre.

Nicolas Defrêcheux

(p.189)

NICOLAS DEFRECHEUX

(1825-1874)

 

« Le créateur de l’élégie wallonne » (A. Le Roy) et le plus connu des poètes dialectaux de Wallonie.

Né à Liège, au faubourg Saint-Léonard, mort dans la commune toute proche de Herstal, Nicolas Defrecheux, après avoir commencé des études d’ingénieur des mines, fut successivement employé d’industrie, patron boulanger, secré­taire au rectorat de l’Université de Liège et appariteur près la Faculté de médecine.

Sa complainte, Lèyîz-m’ plorer, découverte par le Journal de Liège qui la reproduisit dans son numéro du 23 juin 1854, lui valut une célébrité soudaine. Popularisée grâce à un air en vogue de Monpou, elle était aussitôt répandue en feuilles volantes : les six tirages à 2.000 exemplaires chacun qu’on en fit à Liège, entre 1854 et 1856, témoignent d’une diffusion extraordinaire pour l’époque.

Ce premier succès fut suivi d’un second, en 1856, avec le « cramignon », L’avez-v’ vèyou passer ? couronné au concours de poésie wallonne qu’une société philanthropique, « Les Vrais Liégeois », avait eu l’idée d’organiser pour célébrer le 25e anniversaire du règne de Léopold Ier. La joute à laquelle Defrecheux avait participé avec de nombreux autres concurrents suscita un intérêt tel que le jury, où se trouvaient notamment Forir, Duvivier et Bailleux, conçut « l’idée de former une société littéraire wallonne » (Journal de Liège du 10 septembre 1856). Le 27 décembre de la même année naissait la « Société liégeoise de littérature wallonne » qui allait donner un essor définitif au mouvement dialectal. Par la renommée de ses deux chefs-d’œuvre, Nicolas Defrecheux en était l’un des artisans.

Sous le titre de Chansons wallonnes, Defrecheux réunit, en 1860, une pro­duction qui ne comprenait encore que 17 pièces; elle s’accroîtra jusqu’en 1873 des quelques chansons et « cramignons », ainsi que des contes, apologues et maximes qu’il rimait depuis 1857 pour YAlmanach Mathieu Laensbergh. Cet ensemble fut réuni une première fois, après la mort du poète, en 1877.

Héritier d’un romantisme mineur, le lyrisme de Nicolas Defrecheux gravite autour de thèmes généraux : l’amour, l’enfance, la famille, la charité, le culte du passé, l’attachement au coin de terre et à la langue du pays. Ces senti­ments honnêtes, Defrecheux sut leur donner un ton juste et vrai, sans emphase comme sans vulgarité. Dépourvu de modèles dans un dialecte jusqu’alors estimé pour sa vigueur réaliste, il réussissait à créer d’emblée une poésie « volontairement épurée de détails trop matériels » (J. Feller). La poésie lyrique wallonne prend chez lui son vrai départ. Une lyrique chantée, pré­ciserons-nous : on sait que lyrisme et chanson ne se dissocièrent en wallon que vers la fin du siècle. Mais Defrecheux n’en constitue pas moins un fait d’influence capital, un tournant décisif dans l’évolution de nos lettres dia­lectales.

(p.190)

Il y aurait quelque injustice à faire de l’auteur de Lèyîz-m’ plorer le père du « lèyîz-m’-plorisme ». Ce n’est pas lui qui ouvrit les écluses de la poésie larmoyante et mièvre dont le flot allait submerger une partie des terres liégeoises avant et après 1900. Sa discrétion, son sens de la mesure (sans parler d’une douce bonhomie) l’en détournaient, comme aussi le faible ren­dement de sa muse poétique. Il avait compris qu’il ne fallait pas solliciter une inspiration qui, avec les années, se fit plus rétive, moins heureuse. L’éclat de ses premiers écrits — les meilleurs — ne l’avait point aveuglé. Et il eut le privilège de ne pas se survivre à lui-même en leur survivant trop longtemps…

 

 

61                                                                                                     [Liège]

Lèyîz-me plorer

(Air : Gastibelza, l’homme à la carabine)

 

Mès camèrådes m’ont v’nou dîre : « C’est nosse fièsse,

vinez danser ! »

Qu’in-ôte s’amûse, mi, dji pleûre li mêtrèsse

4                 qui m’a qwité.

Dji l’in.méve tant ! èlle aveût mès pinsêyes

di nut’ èt d’ djoû…

Lèyîz-me plorer ! tote mi vèye èst gåtêye,

8                 dji l’a pièrdou !

 

Sès p’titès mins avît l’ min.me blankiheûr

qui nos feûs d’ lis

èt sès deûs lèpes èstît pus rôses qui l’ fleûr

12                 di nos rôsîs.

Måy nole fåbite n’a fêt oyî come lèye

dès tchants si doûs.

Lèyîz-me plorer ! tote mi vèye èst gåtêye,

16                 dji l’a pièrdou !

 

 

LAISSEZ-MOI PLEURER

  1. fièsse, ici dans le sens de fête paroissiale, fête de quartier. — 3. mêtrèsse, promise, fiancée; l’acception française actuelle est différente. — 5. Variante de l’éd. originale : … dji lî d’néve mès pinsêyes. — 8. La mélodie prévoit la répétition du vers final de la strophe.

9-10.  … la même blancheur / que nos lys. — 11.  lèpe, lèvre. — 13. fåbite, fauvette.

 

(p.191)

Vos-årîz dit quéke andje vinou so l’ tére

divins l’ moumint

qu’èle pårtihéve totes sès spågnes à l’ misére

20                 dès-ôrfilins;

ou qu’èlle êdîve si vèye mére à l’ vèsprêye

po r’monter l’ soû.

Lèyîz-m’ plorer ! tote mi vèye èst gåtêye,

24                 dji l’a pièrdou !

 

Dji n’ pou roûvî qu’è 1′ sêson des violètes,

èle mi dèrit :

« Louke cès-oûhês apîcetés so l’ cohète…

28                 si fièstèt-is !

Va, qwand on s’in.me, tos lès djoûs d’ine annêye

sont dès bês djoûs. »

Lèyîz-me plorer ! tote mi vèye èst gåtêye,

32                 dji l’a pièrdou !

 

Elle è-st asteûre èco pus hôt qu’ lès steûles,

è paradis.

Poqwè fåt-i qu’èle seûye èvôye tote seûle,

36                 èvôye sins mi?

On a bê m’ dîre : « I fåt bin qu’ tè l’roûvèyes ! »

Est-ce qui djè l’ pou?

Lèyîz-me plorer ! tote mi vèye est gåtêye,

  • dji l’a pièrdou !

 

 

Octobre 1853.

 

Œuvres complètes (édition du Centenaire), Liège, 1925, pp. 27-28. Edition originale : Novel Pasqueys, sans nom d’auteur, Liège, [1854], pp. 1-2.

 

18-19. dans le moment / où elle partageait toutes ses économies…  — 22.  soû, seuil. 27. apîceté, perché; cohète, petite branche d’arbre ou de buisson.

  1. … qu’elle soit partie toute seule. — 37-38. «…  que tu l’oublies »  / Est-ce que je le puis ?

 

(p.192)

62

Tot seû

(Air : En parlant de ma mère, d’E. Arnaud)

 

Come in-oûhê à l’ niyêye

qui n’ kinoh ni l’ fin ni l’ freûd,

divins mès djon.nès-an.nêyes

4              dji vikéve bin awoureûs.

Mi pére èt m’ mére di tote pon.ne

savît si bin m’ garanti !

Tot priyant i d’hît-st-èsson.ne :

8              « Wårdez-nos l’ vèye po nosse fi ! »

 

Mins, so nosse tére, i fåt qu’on moûre !

Dizos mès lèpes si r’freûdihît leûs fronts.

Dispôy adon li prumîre pårt di m’ coûr

12   dwért ad’lé zèls dizos 1′ wazon.

 

Dîh ans pus tård, è m’ mohone,

avou ‘ne feume li djôye rintra.

Come mi mére, èlle èsteût bone :

16  dji l’inméve come èle m’in.ma.

Avou lèye lès djoûs d’ måleûr

m’avisît bin mons pèsants,

èt dji sintéve qui l’ boneûr

20     si dobèle tot s’ pårtihant.

 

Mins, so nosse tére, i fåt qu’on moûre !

Dizos mès lèpes dj’a sintou r’freûdi s’ front.

Dispôy adon, li mèyeû pårt di m’ coûr

24          dwért ad’lé lèye dizos l’ wazon.

Po m’ rinde li fwèce èt l’ corèdje,

i m’ dimoréve in-èfant,

in-èfant qu’aveût l’ visèdje

28              dè l’ sinte feume qui dj’in.méve tant.

 

 

TOUT SEUL

  1. Comme un oiseau au nid.

11-12. Depuis lors la première partie de mon cœur / dort auprès d’eux sous le gazon.

  1. me semblaient bien moins lourds. — 20. se double en se partageant.

 

(p.193)

Dji m’amûséve di sès djôyes, dji prindéve pårt à sès djeûs;

èt, carèssant sès dj’vès d’ sôye,

32              dji m’ ritrovéve awoureûs.

 

Mins, so nosse tére, i fåt qu’on moûre !

Dizos mès lèpes dj’a sintou r’freûdi s’ front.

Dispôy adon, li dièrin,ne pårt di m’ coûr

36           dwért ad’lé lu dizos 1′ wazon.

 

Come in-åbe è plin d’ l’iviér,

qu’èst sins foye, sins fleûr, sins frut,

dj’a d’manou tot seû so 1′ tére,

40              plorant lès cis qui n’ sont pus.

Totes mès djôyes sont ètèrêyes, dji n’ dimande qui dè mori;

mins dj’ veû passer lès-an,nêyes,

44              come si 1′ mwért m’aveût roûvî.

 

Mins, so nosse tére, i fåt qu’on moûre !

Nos-åmes å cîr ci djoû-là s’ ritroûveront.

Tot rawårdant, i n’a nole pårt di m’ coûr

  • qui n’ dwème dèdjà dizos 1′ wazon.

 

Septembre 1856.

 

Ibid., pp. 44-45. Paru d’abord dans le Journal de Liège du 3 décembre 1856.

  1. En attendant…

 

(p,194)

63

L’avez-ve vèyou passer ?

(Air : Ha ! ha ! ha ! l’amour, que vous me tourmentez !)

 

On dîmègne qui dj’ côpéve dès fleûrs divins nosse pré,

dji vèya ‘ne bèle djon.ne fèye ad’lé mi s’arèster.

 

Ha ! ha ! ha ! dihez-me, l’avez-ve vèyou passer ?

 

Dji vèya ‘ne bèle djon.ne fèye ad’lé mi s’arèster.

« Dji m’a pièrdou, di-st-èle, êdîz-me à m’ ritrover. »

 

Ha ! ha ! ha ! dihez-me…

« Dji m’a pièrdou, di-st-èle, êdîz-me à m’ ritrover.

4   — Djusqu’à pus lon, lî di-dje, tot-dreût dji v’ va miner.

 

— Djusqu’à pus lon, lî di-dje, tot-dreût dji v’ va miner. »

Djèl louka tot-à mi-åhe, tot rotant so s’ costé.

 

Djèl louka tot-à mi-åhe, tot rotant so s’ costé.

Elle aveût 1′ pê pus blanke qui l’ margarite dès prés.

 

Elle aveût 1′ pê pus blanke qui 1′ margarite dès prés.

Sès-oûys èstît pus bleûs qui 1′ cîr d’on djoû d’osté.

 

Sès-oûys èstît pus bleûs qui 1′ cîr d’on djoû d’osté.

8   Elle aveût, come lès-andjes, lès dj’vès d’on blond doré.

 

 

L’AVEZ-VOUS VU(E) PASSER ? — C’est le premier « cramignon » de cette antho­logie. Danse serpentine, jadis en vogue au pays liégeois, surtout lors des fêtes de paroisse, le cramignon / crå- (forme épaissie de cramillon, variante : cramion) doit son nom à l’image de la tige dentelée du crama ou crémaillère (DL, p. 177-178). Attestée à Liège au xvie siècle (cfr EMVW, t. 6, p. 67), cette farandole, où danseurs et danseuses se suivent alternativement en se tenant par la main, évolue comme une chaîne zigzaguante, conduite par un « meneur » (II mineû d’ cramignon) qui chante les paroles d’un chant en français ou en dialecte. De la danse, le nom est passé au texte chanté qui l’accom­pagne. Celui-ci, après s’être confiné longtemps dans la chanson populaire et anonyme, s’est émancipé poétiquement vers le milieu du xix” siècle et a donné lieu à un genre littéraire dont la pièce de Defrecheux offre précisément l’un des meilleurs spécimens. Suivant le canevas traditionnel, le 1er vers chanté par le meneur seul est aussitôt repris en chœur; le soliste poursuit avec le 2e vers qu’il enchaîne au vers refrain, et ce dernier est répété par tous. Le 2e vers du premier couplet est alors repris par le soliste pour devenir le 1er du couplet suivant et il est de même répété en chœur. Après le 3e vers, retour du refrain qui sera également répété. Couplets et refrain se déroulent ainsi, les participants se bornant à reprendre les vers du poème au fur et à mesure que les chante le meneur-soliste. Le dernier couplet s’achève par la reprise du vers initial.

 

  1. Variante de l’éd. originale : …  tot près d’ mi s’arèster.
  2. Je me suis perdue… (litt. : je m’ai perdu). — 4. miner, mener, conduire. 5. Je la regardai tout à mon aise, en marchant à son côté.

 

(p.195)

Elle aveût, come lès-andjes, lès dj’vès d’on blond doré.

Elle åreût d’ine påkète tchåssî lès p’tits solés.

 

Elle åreût d’ine påkète tchåssî lès p’tits solés.

Nole ièbe n’èsteût coûkêye wice qu’èlle aveût roté.

 

Nole ièbe n’èsteût coûkêye wice qu’èlle aveût roté.

Dji lî d’na totes mès fleûrs, nos k’mincîs à d’viser.

 

Dji lî d’na totes mès fleûrs, nos k’mincîs à d’viser.

12   Si vwès m’aléve à cour, dj’aveû bon de 1′ bouter.

 

Si vwès m’aléve à cour, dj’aveû bon de 1′ bouter.

Et dji rotéve todi, sins sondjî à 1′ qwiter.

 

Et dji rotéve todi, sins sondjî à 1′ qwiter.

A l’intrêye de grand bwès, djèl vèya s’arèster.

 

A l’intrêye de grand bwès, djèl vèya s’arèster.

« Dji v’ rimèrcih, dist-èle, vos-èstez lon assez.

 

« Dji v’ rimèrcih, dist-èle, vos-èstez lon assez.

16   — Ni poreû-dje nin, lî di-dje, ine ôte fêye vis r’djåser?

 

—  Ni poreû-dje nin, lî di-dje, ine ôte fêye vis r’djåser ?

  • Si vos-î t’nez bêcôp, loukîz di m’ ritrover. »

 

– Si vos-î t’nez bêcôp, loukîz di m’ ritrover. »

Mi, sogne di lî displêre, dji d’va 1′ lèyî ‘nn’ aler.

 

Mi, sogne di lî displêre, dji d’va 1′ lèyî ‘nn’ aler,

sins qui dj’ savahe si nom, ni wice qu’èle pout d’morer.

 

Sins qui dj’ savahe si nom, ni wice qu’èle pout d’morer.

20   Å toûrnant dè pasê, sor mi èle s’a r’toûrné.

 

Å toûrnant dè pasê, sor mi èle s’a r’toûrné,

èt di s’ doûce vwès mi d’ha : « Nos veûrans s’ vos m’ qwîrrez ».

 

 

  1. påkète, première communiante. On notera ici l’inversion,  procédé qu’empruntent à la   versification   française   certains   poètes   wallons   du   XIXe   siècle :   Charles   Duvivier, Michel Thiry,  Michel Renard, etc. La version originale portait : Ine påkète åhèyemint tchåssereût sès p’tits solés.
  2. Nulle herbe n’était couchée où elle avait marché. Image littéraire dont Defrecheux a pu s’inspirer chez des auteurs qui vont de Virgile (Enéide, VII, 808-9) à La Fontaine (Le songe).
  3. pasê, sentier.

 

(p,196)

Et di s’ doûce vwès mi d’ha : « Nos veûrans s’ vos m’ qwîrrez ».

Qwand lès-åbes mèl catchît, dji m’ sinta tot d’sseûlé.

 

Qwand lès-åbes mèl catchît, dji m’ sinta tot d’sseûlé.

C’èst dispôy ci djoû-là qui dj’ sé çou qu’ c’èst d’in.mer.

 

C’èst dispôy ci djoû-là qui dj’ sé çou qu’ c’èst d’in.mer :

24   on dîmègne qui dj’ côpéve dès fleurs divins nosse pré…

 

Ha ! ha ! ha ! ha ! dihez-m’, l’avez-v’ vèyou passer ?

 

19 août 1856.

 

Ibid., pp. 88-90. Edition originale dans la brochure : Concours de poésie wallonne institué par la société : Les vrais Liégeois. Pièces couronnées, Liège, 1856, pp. 17-19.

 

 

64

Tot bossant

 

Divins vosse banse, èfant, nan.nez,

li nut’ afûle li tére. Lès djon.nes-oûhês sont rèspounés

4  dizos l’ éle di leû mére.

 

Clignîz vos-oûys si bleûs, si doûs,

bwèrdés d’ blontès påpîres;

dji vin dè vèy, èstant so 1′ soû,

8 passer l’ome ås poûssîres.

 

Tot v’ avoyant, Dièw m’a bèni;

vos-èstez po m’ boneûr pus rôse

qui 1′ frût’ di nos frévîs

12 èt pus blanc qui leû fleûr.

 

EN BERÇANT

  1. banse, ici : berceau d’enfant; nanner (onom.), faire dodo. — 2. afûler, recouvrir. — 3. rèspouné, caché, blotti.
  2. … l’homme aux [grains de] poussières. Allusion à la croyance enfantine de l’homme au sable qui passe au moment où l’enfant va s’endormir.
  3. frévî, fraisier.

 

(p,197)

Qwand vos sèrez bin èdwermou,

lès-andjes vêront d’å cîr; mins v’ lès-avez dèdjà vèyou :

16  vos lèpes vinèt dè rîre !

 

1857

 

Ibid.,  pp.  60-61.  Edition  originale :  Chansons wallonnes, Liège, 1860, pp. 54-55.

14-16. Glose poétique de l’expression « sourire aux anges » qui se dit de l’enfant en train de sourire pendant son sommeil.

 

Abbé Michel Renard

(p.198)

MICHEL RENARD

(1829-1904)

 

Né à Braine-l’Alleud, mort à Bruxelles. Après avoir reçu la prêtrise en 1852, l’abbé Renard exerça son ministère à Orp-le-Grand et à Genval avant de devenir, en 1860, l’un des desservants de la paroisse Notre-Dame du Sablon à Bruxelles. Ayant refusé la cure qu’on lui offrait (« Je désire mourir céli­bataire » aurait-il répondu au cardinal-archevêque de Malines), il préféra se consacrer aux associations ouvrières de la capitale : son dévouement assumé dans la pauvreté lui valut le respect de tous, au sein d’une opinion publique que divisaient alors profondément les antagonismes sociaux et philosophiques.

S’il tâta du journalisme comme fondateur ou directeur de feuilles telles que la « Gazette de Nivelles » ou « Le Carillon », ce fut dans la littérature dia­lectale que son tempérament d’écrivain et sa bonne humeur trouvèrent à s’exprimer. L’abbé Renard reste en effet l’auteur d’un extraordinaire poème épique, Lès-aventures dè Djan d’ Nivèle, èl fis dè s’ pére, édité sous l’ano­nymat dans sa version la plus simple et la meilleure en 1857, élargi mais édulcoré en 1878, entièrement refondu en 1890 pour être « relié à l’histoire du pays ». Des huit chants primitifs, on passait ainsi à douze, et de la figure du populaire Djan-Djan, jaquemart de Nivelles, à une affabulation, corsée d’emprunts à l’épopée classique (à l’Enéide entre autres), qui intégrait dans l’histoire des ducs de Bourgogne au xve siècle les tribulations légendaires d’un fils de Jean II de Montmorency assimilé au proverbial Jean de Nivelles dont le chien «s’enfuit quand on l’appelle»…

Si, dans sa troisième version, le Djan d’ Nivèle de l’abbé Renard apparaît comme une épopée où se mélangent l’héroï-comique et le burlesque, c’est le merveilleux qui, d’un état à l’autre du poème, lui assure son unité. Un merveilleux plaisant, on s’en doute, comme est plaisant un récit qui, pour relever du mythe, n’en baigne pas moins dans le réalisme le plus wallon.

On pourrait en dire presque autant de L’Argayon, èl djèyant d’ Nivelés (1893), poème en huit chants qui narre l’origine fabuleuse et pantagruélique de l’Ar-gayon, son mariage avec l’Argayone et la naissance de leur fils Lolô, les trois géants de la tradition nivelloise. Mais par son arrière-plan folklorique où l’on fait un sort aux coutumes, croyances et dictons du pays de Nivelles, cette seconde œuvre de l’abbé Renard privilégie l’intention régionaliste au détriment de la verve narrative.

Un troisième poème, Brin.nus’, consacré au village natal de l’auteur, était inachevé à sa mort; les chants 1 et 2 ont paru en 1914.

Les deux dernières œuvres de l’abbé Renard sont écrites dans le parler de Braine-l’Alleud, tandis que Djan d’ Nivèle a été composé, de l’aveu même du poète, dans une koïnê fondée sur les patois du Brabant wallon qu’on parle « depuis Monstreux et Bornival jusqu’à Jandrain et Jandrenouille ».

 

(p.199)

65                                                                   [Dialecte du Brabant wallon]

[Invocation]

 

Apolon, ô grand mésse dès vêrs yèt dès tchansons,      

rawétiz d’in boun-ouy èl pus léd dès Walons !

Em’ mére m’a toudi dit, yèt c’èst là ç’ qui m’ tourminte,

4   que dj’é d’ l’èsprit dins 1′ tièsse èstant què d’ d-é dins 1′ vinte;

yèt maugré ça pourtant, dins m’ walon d’ vu tchanter.

Djè n’ pu qu’ bauyî sins vous. Mésse, i faut m’assister !

A tch’vau su vo carote, â ! flankiz vos lunètes.

8   Ritoûrnez vos chuflots, vos tromboles, vos trompètes.

Chwèsichiz-me, chwèsichiz-me, au fond d’ vo magasin,

yèt plantez dins m’n-orèye in soûrcî d’instrumint.

Par là vos soufèlerez dins m’ misèrâbe caboche

12   èstant d’vêrs qu’in vî jwif foure dès liârds dèdins s’ poche.

Ascoutiz-me audjoûrdu, djè vos prîye, Apolon.

Pou toudi, fuchiz seûr, djè sâré vo garçon.

— Mins d’ sin d’djà què l’ grand mésse èm’ chufèle ès’ ramâdje.

16   Du powême du payis nos coumincherons l’ouvrâdje.

Walons, drouvez l’ orèye assez pou l’ dèskirer !

C’è-st-ène boutike d’infêr què d’ vu vos raconter;

in.ne istwêre, mès-amis, qui vos chènera bé bèle,

20   pace què d’ va vos causer du fameûs Djan d’ Nivèle;

dè no Djan qu’o vwèt cor, aussi fiér qu’in Bayî,

av’ in mârtia dins s’ main, à F coupète dè s’ clokî,

dè Djan, toudi planté come in soûdârd au posse

24 ècor qu’i tchét dè l’ nîve yèt dès grijas su s’ bosse;

 

  1. Regardez d’un bon œil… — 4. … autant que j’en ai dans le ventre. — 6. bauyî, bâiller. — 7. carote, ici au fig. et par plaisanterie : nez (comp. franc, pop. truffe). — 7. chuflot, sifflet. — 10. … un sorcier d’instrument, c.-à-d. un instrument (pour chanter) ayant un pouvoir magique. — 14. Pour toujours, soyez sûr, je serai votre garçon, c.-à-d. votre serviteur. — 17. dèskirer, déchirer. — 18. La « boutique d’enfer » annonce les aventures extraordinaires qui forment le sujet du poème. — 21-22. … aussi fier qu’un Bailli / avec un marteau en main, au sommet de son clocher : allusion au jaquemart de cuivre, sur­nommé Jean, dressé « sur l’une des deux tours qui flanquent la flèche de la collégiale Sainte-Gertrude et qui, au moyen d’un marteau, frappait autrefois les heures sur la cloche placée à l’intérieur de la Tour » (J. Coppens, Dict. aclot, vo Djan d’ Nivèle). — 24. encore qu’il tombe de la neige ou des grêlons sur sa carcasse (litt* : sa bosse). — 25. C’est pour les besoins du grossissement épique que l’auteur fait de Jean de Nivelles « le plus vieux des Wallons »; la tradition locale se contente de voir en lui le plus vieux des Aclots (= des Nivellois). Son histoire où interfèrent des thèmes littéraires et folkloriques a été débrouillée par Oscar Colson dans Le « cycle » de Jean de Nivelle, 2″ éd., Nivelles, 1904; cette étude permet d’éclairer quelques-uns des motifs secondaires du poème de l’abbé Renard.

 

(p.200)

c’è-st-inne istwêre, enfin, du pus vî dès Walons,

digne de toutes nos-oneûrs, digne de toutes nos tchansons.

« Les aventures de Jean d’ Nivelles, el fils de s’ paire. Poème épique », Bruxelles, 1857, pp. 9-10. On reproduit le texte de l’édition critique du P. Jean Guillaume, Namur, Facultés Universitaires (« Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres », fasc. 32), 1963, pp. 17-18.

 

66

[Le repas des géants]

 

Atteindre Nivelles est pour Djan, qui s’est enfui du logis paternel, l’étape finale où il espère vivre heureux parmi les « Aclots » (sobriquet des Nivellois). Mais il est sous le pouvoir de deux sorcières, l’une, Margot, qui le protège, l’autre, Chonchon, qui suscite contre lui obstacles et dangers. Au cours de son voyage, Djan, égaré dans une forêt par un maléfice de Chonchon, finit par rencontrer une troupe de marionnettes — pantins ambu­lants

qui d-alin’ à Nivèle amûser lès masètes

yèt fé rîre lès crapôds in ramassant leûs sous.

Il se joint aux baladins pour les accompagner. Avertie de la chose, Chonchon court prévenir l’Argayon, un ogre géant qui habite avec son épouse près de l’endroit par où doivent passer nos voyageurs.

Après l’entretien de la sorcière et du géant, le passage qui suit — inspiré sans doute de l’épisode où Rabelais conte « comment Gargantua mangea en salade six pèlerins » — décrit le festin meurtrier auquel, bien entendu, notre héros échappera.

 

« Salut, dist-èle, salut, Monsigneûr l’Argayon !           Vv. 595-676

— Bondjoû, di-st-i l’ djèyant, bondjoû, madame Chonchon.

 

  1. Dans le Djan d’ Nivèle, le géant sanguinaire auquel s’adresse Chonchon n’a que le nom (l’Argayon) de commun avec le géant du folklore nivellois qui fait l’objet d’un autre poème de l’abbé Renard cité dans la notice. —

 

(p.201)

Djè d-aleu m’indoûrmi; djè vé d’ crokî mès puces.

4   — Djè vos dèrindje, signeûr; djè vos d’mande mile èscuses.

  • Djè vos l’ di tout rondemint : quand c’èst vous, ça n’ fét ré,

 pusquè vos stez Chonchon yèt que d’ vos vwè volté.

Ainsi, causez-me sins crinte yèt racontiz-me l’afêre

8    qui m’ done èl pléji d’ vîr ène si charmante soûrciêre.

  • Bon djèyant, djè n’ sâreû assez vos r’mèrciyî

du djoli complimint que vos v’nez dè m’ toûrtchî.

Tant qu’à mi, d’ vos-apoûrte asteûre ène boune nouvèle :

12   dès vwèyajeûrs, djè 1′ sé, s’ dirijenèt su Nivèle;

is vont passer t-tèrtous djusse lauvau, dins l’ grand tch’min.

Pou lès prinde, vos n’avez qu’à stinde in coûp vo min.

Tout 1′ carème, vos-avez djuné come ène bèguine;

16    Il èst timps, m’ parèt-i, dè rècrachî vo mine.

Vos-èstez télemint mégue què vos stez tout trawé,

yèt vo visâdje èst pâle come in navia pèlé.

Dins vo culote, èlâs’, i n’a ni lârd ni fèsses,

20    èlle èst vûde come èl boûsse d’in djoûne ome après 1′ fièsse.

Ratrapez vo rondèle; profitez d’ l’ocâsion

què d’ vé vos-anoncî, Monsigneûr l’Argayon !

  • A ! m’ Chonchon, à ! m’ doûs keûr, combé qu’ vos stez inmâbe

d’apoûrter ‘ne boune nouvèle à-n-in poûve misèrâbe !

  • En’ causez nî d-insi, seûlemint dèspétchiz-vous;

atrapez cès gueûs-là pou lès mindjî t-tèrtous.

Monsigneûr, djè vos léye. A r’vwêr; djusqu’à 1′ sèmin.ne.

28    Dj’èspère què d’ vos vîr mégue djè n’âré pus 1′ grande pinne.

Bé dès choûses à Madame, in bètch à vo garçon.

  • Au doûs pléji d’ vos r’vîr; poûrtez-vou bé, Chonchon ».

 

V’là què 1′ djèyant s’èrlève, i n’ fét qu’in.ne adjombléye,

32    il èst d’djà dins 1′ grand tch’min; i s’ trouve dèvant l’arméye

 

  1. d-aleu, imparfait de d-aler qui est la forme régulière de la Wallonie occidentale (voir exemples ci-dessus dans les textes de Charleroi et de Mons); le d provient de la forme pleine (s’)ind-aler, (s’)en aller, en liég. : (s’)ènn’aler; par extension d’emploi, ce d remplit aussi l’office des pronoms en, y et même de consonne de liaison (cfr v. 25). — 6. d’ forme abrégée du pron. djè (dj’ devant voyelle); pour les deux emplois, voy. ci-dessus le v. 4 de l’Invocation. — 16. rècrachî, engraisser de nouveau (ou davantage). — 17. trawé, troué : comme si sa maigreur le rendait transparent! — 18. … comme un navet épluché. — 21. Retrouvez votre embonpoint… — 27. … je vous laisse (gallicisme). — 29. bètch, baiser (litt’ : bec). — 31. adjombléye, enjambée. —• 34. s’ muchî, se cacher. — 37. moncha, monceau, tas. —

 

(p.202)

dè nos poûves vwèyajeûrs, qui poûssenèt dès grands cris,

qui voûrin’ bé s’ muchî dins n-in p’tit trau d’ soris.

I  s’ mètenèt à 1′ plin.ne course; i vont à pièrde alin.ne.

36   A ! dè s’ fé tant suwer i valeut bé lès pin.nes !

L’Argayon lès-atrape, i d-è fét in moncha,

come quand l’ouvrî ramasse toutes lès pautes dè s’ djavia.

Il  ont beau s’ laminter, il ont beau brére èt crîr :

40    c’èst 1′ min.me què s’i tchanterin’; èl grand djèyant n’ fét qu’ rîre,

i lès foure dins n-in satch, i lès kèrtche dèssus s’ dos yèt,

come dès p’tits catchèts, i lès r’poûrte à s’ méso.

 

Walons, vos compèrdez què v’là co ‘ne léde istwêre !

44   Si vos v’lez qu’ djè l’ raconte, ène goute i mè 1′ faut bwêre.

Come djè vos ll’é d’djà dit (mi, djè n’ vu nî m’ vanter),

djusqu’au fond d’ mès marones in ré m’ fét triyèner.

Amis, d’ bwè pou deûs liârds à l’ santé d’ vos couméres,

48    à l’ santé d’ vos-èfants èy’ à l’ santé d’ vos péres !

 

A pin.ne èst-i rintré què l’ goulafe d’Argayon

avale in fèyeû d’ tous, come ène pouye in moulon.

Ça lu chêne o n’ put mieûs. Il apèle ès’ coumére.

52    Ç’tèle-là, pou l’s-assayî, d-è mindje tout d’ sûte ène père:

« Djè n’ d-é nî cor assez, di-st-èle au grand djeyant,

çu qu’ c’èst, come l’apétit nos-arive in mindjant !

— Vos savez, rèspond-i, vos savez, m’ binin.méye,

56   què vo chér ome jamés n’a r’culé pou ‘ne gueûléye;

èt pusquè l’ cièl nos done audjoûrdu d’ qwè machî,

Madame, djè su d’avis qu’i n’ nos faut nî lachî. »

Lès cès qu’o condan.neut s’ tapenèt l’ tièsse à l’ muraye,

60 is s’ roûlenèt iun su l’ ôte come dès moûrts à l’ bataye,

gueûlant come dès dan.nés quand l’ léd brigand d’ démon

leû bore in fiêr tout roudje yu-ce qu’ène pouye a s’ croupion.

 

  1. … tous les épis de sa gerbe. — 39. … pleurer et crier. — 41. catchèt, porcelet. — 43. C’est un procédé de l’épopée burlesque d’interrompre, comme ici (et jusqu’au v. 48), le récit en cours à un moment critique, pour permettre à l’auteur de rani­mer son courage tout en s’adressant au lecteur; ce genre d’intervention, d’un plaisant effet, contribue à fixer le ton du poème. — 46. marone, syn. de culote; pour ces deux mots, Renard emploie indifféremment le singulier ou le pluriel; triyèner, trembler. — 50. avale un faiseur de tours (= un acrobate) comme une poule un ver. — 51. chèner, sembler. — 58. … qu’il ne nous faut pas lâcher (c.-à-d. abandonner, renoncer). — 59. Ceux que l’on condamnait : c.-à-d. les marionnettes humaines, futures victimes de l’ogre. — 62. leur bourre un fer rougi là où une poule a son croupion. — 69. scaper,échapper. —

 

(p.203)

Is prîyenèt 1′ grand djèyant, is prîyenèt s’ grande coumére.

64   A l’s-intinde, in Russe min.me èn’ sâreût s’ passer d’ brére.

Is  leû d’mandenèt la vîye, à mins djwintes, su leûs gnous :

« O, di-st-i l’Argayon, nos vos crokerons t-tèrtous.

Criyiz tant qu’ ça vos plét; mi, djè su come ène brike;

68   vos n’ mè toucherez nî pus qu’in djouwant dè 1′ musike.

Vos vos scaperez, vous-ôtes, quand vos stez dins mès mins ?

Vos d-irîz co putoût què 1′ lune avè vos dints !

Après tout, djè n’ sé nî pouqwè qu’i vos faut plinde

72   quand mi d’ vos fé l’oneûr dè vos mète dèdins m’ vinte. »

V’là 1′ carnâdje couminchî. Lès djèyants, c’èst dès tchats

qui tchéyenèt, dins-n-in mafe, dèssus ‘ne nitéye dè rats;

c’èst dès tchés qui tènenèt dès piètris d’zous leûs pates;

76   c’èst l’s-ouvrîs, au din.nè, dèvant leû plat d’ patates;

c’èst dès r’nauds qui par nût’ intèrenèt dins 1′ poulî;

c’èst dès tîgues afamés qui trouvenèt à mindjî.

Il  ont dès brokes dè leup, dès vrés brokes dè Cèrbêre;

80 is drouvenèt leû grande gueûle, lârdje come ène poûrte cochêre.

In-n-ome intère là-d’dins come in mitchot dins 1′ four;

in s’ sèrant, leûs machwêres buchenèt come in tambour.

V’là qu’is n’ vîyenèt pus ré. « A ! què 1′ fièsse a stî boune ! »,

84   crîye-t-i l’ djèyant, « là-d’ssus, nos d-îrons bwâre ène toune».

 

Ibid., extrait du 4e chant, pp. 38-40; même édition, pp. 34-36.

  1. Vous iriez encore plutôt chercher la lune avec vos dents. — 74. qui tombent, dans un gerbier, sur une nichée de rats. — 75. c’est des chiens qui tiennent des perdrix sous leurs pattes. — 77. c’est des renards qui, la nuit, entrent dans le poulailler. — 79. broke, dent, croc. — 82. buchener, frapper, marteler. — 83-84. La leçon de ces deux vers est empruntée à l’édition de 1890 (8e chant, p. 130) qui nous semble préférable pour clore l’épisode.

 

(p.204)

67                                                                                           [Braine-l’Alleud]

[Fête de la moisson]

 

Le passage qui suit forme, vers le début du poème, un préambule à l’histoire de l’Argayon. Une note de réalisme champêtre, assez exceptionnelle chez l’abbé Renard, précède une digression où l’ami des travailleurs fait entendre sa voix.

 

Vv. 25-64

 

L’awous’, adon, steut fêt. Lès dèrnîs tchârs kèrtchîs

triboulin’ ‘t-avaur-là, pa dès gros tch’vaus satchîs.

Tous lès varlèts fèyin’ clatchî leûs-èscoréyes,

4 qui pètin’, dins lès-êrs, come in tchapelèt d’ fuséyes,

in s’ doublant, s’ èrdoublant, sins djokî, pa l’èsco

racachîs long-z-èt lârdje, èt du tiène èt du bos.

Su l’ tchèréye, o viyeut lès-amûsantès tièsses

8 dès fourtcheûs, dès mècheneûs, dès faukeûs, dès r’coudrèsses,

qui riyin’, qui tchantin’, qui clatchin’ dins leûs mins,

qui dèspârdin’ d-insi l’ plêji ‘t-avau lès tch’mins.

Il avin’ co planté dèssus l’ tchâr, à l’ coupète

12 èt tout jusse au mitan, ène bèle èt grande oupète.

T-autoû d’ lèye, is criyin’, à fé sauteler l’ cayau :

Djô ! Djô ! L’awous’ èst fêt ! L’awous’ èst fêt ! Djô ! Djô !

 

Quand l’ dèspouye èst rintréye èt què l’ grègne èst rimplîye,

16 tout contint l’ cinsî dit : «I n’ faut nî qu’o roublîye

qu’ lès cins qui travayenèt pou nous doner du pin,

ont leû goyî r’ssètchi pou qu’ nos n’ uchons’ nî fin,

qu’is dwèfenèt bwêre in coûp. Nos r’passerons lès tchapèles,

20 èl wit’ du mwès d’ sètimbe, au r’mouyâdje dès fauchèles.

 

 

  1. La moisson (litt. : l’août), alors, était finie. — 2. tribouler, ici, en parlant de chariots : rouler en cahotant; ‘t-avaur-là, dans cet endroit-là, c.-à-d. sur le chemin qui mène à la ferme de la Bouvrée, lieu-dit de Braine-l’Alleud (cité ailleurs). — 3. … claquer leurs fouets. — 5-6. … sans arrêt, par l’écho / en long et en large renvoyés et de la colline et du bois. — 8. mècheneû, glaneur; faukeû, faucheur; r’couderèsse, moissonneuse à qui est confié le soin de mettre en javelles le blé fauché. — 10. qui répandaient ainsi le plaisir. — 12. oupète, touffe de branches ou de rameaux, désigne ici le bouquet de fleurs et de feuillage planté au sommet (à l’ coupète) du dernier char. — 13. … à faire sauter les pierres (litt’ : le caillou). — 14. Djô : exclamation, cri de joie que l’on poussait, en Wallonie occidentale et en Picardie, pour célébrer une victoire ou une réjouissance.
  2. dèspouye, récolte (litt’ : dépouille); grègne, grange: — 18. ont leur gosier à sec pour que nous n’eussions pas faim. — 19. r’passer lès tchapèles, faire la tournée des cabarets; ici, faire une beuverie. — 20. « En Brabant, le 8 septembre, alors que la moisson est terminée, le fermier régale tout son personnel et cette fête s’appelle ermouyache des fauchelles, humectation des faucilles > (note 6 de l’édit, p. 114). —

 

(p.205)

Dè nos-ouvrîs d’awous’ èl fièsse ès’ fêt d-insi.

Nos d’vons d-aler ‘squ’au d’bout, come on-a stî toudi.

C’èst qu’ ç’ n’èst nî tout d’ tchanter : « Dj’ê payî leû djoûrnéye;

24  Après ça, pou leû mésse, is n’ valenèt pus ‘ne pènéye. »

O  sét fé r’poûser ‘ne bièsse, o racrache in n-osti.

L’ouvrî qu’a t’nu s’ bèsogne a dwèt à du plêji.

I va doûrmu, souvint, sins tirer sès culotes,

28 pou s’ trouver su pîd d’vant què l’ diâle n’a mis sès botes.

T-avau l’ têre, à l’ ouvrâdje il èst toudi l’ preumî;

à l’ nût’, pou s’èrpoûser, i rintère èl dèrnî.

À ! si l’ mésse èn’ viyeut dins l’ varlèt qui travaye,

32 qu’in bidon qu’on achète, au pus bas pris qu’o paye,

djè cwè qu’i d-ireut mau, qu’o d’vreut bîtoût souner

lès trépas pou-n-in monde à pont pou s’èsclèfer.

I poureut co fé ‘ne bôye, èt ça sareut l’ dèrnière.

36 C’èst-ce què dj’ vwè dins m’n-idéye, ossi clér què l’ lumière.

In-n-ouvrî, c’èst no frére ! Et come djè n’ su nî sot,

mès travayeûs, pour mi, v’là lès djins dè m’ méso !

Èl wit’, faukeûs, louyeûs, vatchîs, varlèts, r’coudrèsses,

40 èl cinsî vos régale : à s’ famîye i fêt fièsse. »

 

« L’Argayon èl géant d’ Nivelles, pa M.C. Renard, auteur des Aventures de Jean d’ Nivelles », Bruxelles-Liège, 1893, extrait du 1″ chant, pp. 21-22.

 

 

  1. Le vers offre l’inversion des deux hémistiches. — 24. … ils (les ouvriers) ne valent plus une pincée (litt. : une prise de tabac). — 25. … on engraisse un outil. L’idée du passage est : on entretient son matériel; à plus forte raison, le personnel qui travaille dur a droit à une détente. — 28. … avant que le diable n’ait mis ses bottes : expr. figurée signifiant avant le lever du jour. — 34. s’èsclèfer, se déchirer, se détruire. — 35. bôye, bâillement. — 39. Le 8 (septembre) : cfr note du v. 20; louyeû, lieur, celui qui lie les gerbes en javelles.

 

 

Joseph Dufrane (Boskètia)

(p.206)

JOSEPH DUFRANE

(1833-1906)

 

Né à Frameries, mort à Mons après une carrière dans l’industrie qui l’amena à diriger l’un des plus importants charbonnages du bassin de Charleroi.

Joseph Dufrane est considéré comme le fondateur de la littérature dialectale du Borinage. C’est sans doute en se rappelant la tentative isolée de l’Armonac du Borinage in patois borain pou l’année 1849 que Dufrane, installé à Bruxelles et proche de la cinquantaine, eut l’idée de reprendre à son compte cette forme de publication hybride qui mêle, comme en un hochepot, l’anecdote humo­ristique, la fable, la chronique aux allusions facétieuses, la scène populaire dialoguée, etc. De 1880 à 1882, il rédige et publie les trois livraisons de VArmonaque borain qu’il fera reparaître en 1889 et 1890. Entre-temps, de mars 1885 à janvier 1888, un hebdomadaire progressiste libéral, le Tambour-battant, donne à Dufrane l’occasion de prodiguer la verve généreuse, encore que souvent épaisse et facile, de son épicurisme bourgeois et anticlérical. C’est l’époque où il adopte le pseudonyme de Bosquètia (écureuil) qui le rendra célèbre dans le Borinage et, au-delà, dans tous les milieux wallons.

Ayant débuté par quelques adaptations de La Fontaine, Dufrane étendit peu à peu son clavier à tous les genres, depuis le monologue et le sonnet jusqu’au théâtre en vers et en prose pour lequel il écrivit une quinzaine de pièces (la première, El cron sôdâr, remonte à 1890), y compris des traductions du Cocu imaginaire, du Médecin malgré lui et du Misanthrope.

Ses Essais de littérature boraine, imprimés à Frameries en 1886 ne compre­naient qu’une poignée de fables et de chansons, où l’on distingue cependant l’amusante et fine satire de l’esprit de clocher que nous reproduisons ci-après. Malgré le débit intermittent de sa production, il laissait à sa mort la matière de trois forts volumes qui furent publiés en 1908 par les soins de son fils, Louis Dufrane : dans cette œuvre abondante et prolixe, on trouve, comme il se doit, à boire et à manger…

 

 

68                                                                                              [Frameries]

En’ c’ èst nî co Framerîye

(Air : Le Dieu des bonnes gens)

 

On tît toudè pus ou mwins à s’ vilâje,

qu’on fusse de Cwème, de Djumape ou d’ Quar’gnon.

El cî qu’est v’nu au monde au Pasturâje

4 en’ comprind nî qu’on pwèsse vive à Blaton

mes pou trouver dès patriyotes in l’âme

qui n’ se plêtent foke à Tombe de leû clokî,

fût-ce in n-ouvrî, in monsieû, ine madame,

8  faut d-aler à Fram’rîye.

 

Dju racontoû mes vwayâjes in-n-Alemagne,

l’iviér passé à in vré Framizou, dju li disoû

qu’ dj’avoû steu in-n-Espagne,

12 au diâbe in Chine, in-n-Afrique, au Pérou.

« Qués biaus payés ! », diswa-je, « quées bèlès viles !

Pou vîr tout ça, on-n-a pô d’ ses deûs-yîs.

—  En’ m’agnez nî », dist-è, « lèyèz-m’ tranquile,

16 en’ c’est nî co Fram’rîye !

 

– Pusquè vos stez rassotè d’ vo vilâje »,

dis-je au gayard qui m’ dèstrivoût ainsè,

« si vos volez, nos f’rons in p’tèt vwayâje

20 pou vos fé vîr que dju n’é nî mintè.

 

CE N’EST PAS ENCORE FRAMERIES. — Le vers-refrain qui a donné son titre à oette chanson, dont la popularité a dépassé le Borinage, fut inspiré à l’auteur par la réflexion que lui fit un jour une habitante de son village natal, laquelle avait demandé à Dufrane s’il se plaisait bien à Bruxelles où il était allé vivre. Sur sa réponse affirmative, la brave femme s’exclama : « Signeûr ! Mes n’ c’est nî co Fram’riye pou ça, hein ! » (éd. citée, p. 71, note).

  1. On tient toujours plus ou moins à son village. — 2. qu’on soit; Frameries emploie indifféremment les formes seûsse et fusse, à la 3e pers. sing. du verbe être, suivant une tendance généralisée en Hainaut (cfr ALW, 2, cartes 121 et 122). Les localités citées à ce vers et aux deux suivants : Cuesmes, Jemappes, Quaregnon, Pâturages et Blaton appar­tiennent à la région boraine (entre Mons et la frontière française). — 6. qui ne se plaisent qu’à …; sur foke, cfr la note 20-21 du texte n° 34. — 7-8. Dans l’usage actuel, les deux derniers vers de chaque strophe sont repris en chœur; suivant l’édition de 1908, ces couplets ne se chantent plus sur l’air de la chanson de Béranger.
  2. Framizou, parfois Framrizou, habitant de Frameries. — 15. agnîy, mordre; ici dans le sens de ennuyer. —

 

(p.208)

— Què swat’ », dist-è in n-avant l’ êr dè rîre,

« partons tout d’ swite, mès pourtant dju n’ doute nî

qu’après tout djeuy, d’ pouré pus qu’ djamins dîre :

24 èn’ c’èst nî co Fram’rîye ! ».

 

Nos v’là partès, nos passons pa Brussèle,

No visitons tous lès biaus monumints,

nos rincontrons dès monsieûs, dès mam’zèles

28 ab’îyes in swa, in v’loûr èt in satin.

Dju li fês vîr lès galerîyes Saint-Hubert.

Arivant là, i dèt : « Wè, ça m’ plêt bî;

c’èst l’ prumiére ruwe que d’ vwa couvrîe in vêre,

32 mès n’ c’est nî co Fram’rîye ! ».

 

Nos-avons vu l’ pètèt bonome qui piche,

l’Hôtèl-dè-vile èyèt l’ Palais dou rwa,

dès grandes postures qui n’ont ni cotes ni k’miches,

36 dès lêtès gueules èt dès djolès minwas.

Nos-avons bu dou faro, dou lambic,

vint sortes dè bières à fé pèter lès-yîs…

El Framizou criyoût : « Dj’é ine bone chique,

40 mes n’ c’est nî co Fram’rîye ! ».

 

Infin, au nût’, au gardin zorlogique,

dj’é bî pinsè qui s’ d-aloût amuser,

in n-intindant lès Guides fé dè l’ musique,

44 in n-ascoutant lès Brussèlwas canter.

 

  1. … qui me contredisait ainsi. — 23. qu’après tout jeu, (c.-à-d. tout bien compté), je pourrai plus que jamais dire.
  2. habillées en soie… — 29. Les Galeries Saint-Hubert, près de la Grand-place de Bruxelles, étaient alors le premier passage couvert (cfr v. 31).
  3. Le petit bonhomme qui pisse est la statuette du célèbre Manneken-Pis’. — 35. posture au sens belge de statuette employé ici pour désigner certaines statues de la capitale; k(e)miche, chemise. — 37. faro, bière bruxelloise, de même que la gueuze lambic : celle-ci, célèbre entre toutes, est une bière brune piquante et forte. — 39. chique (fam.), ivresse, cuite.
  4. … au jardin zoologique. Par cette expression, impropre ici, l’auteur désigne le Parc de Bruxelles où la musique du régiment des Guides donnait, certains soirs d’été, des concerts en plein air (cfr v. 43). L’invention du jardin où il y a « beaucoup de bêtes « explique la plaisanterie du v. 47. —

 

(p.209)

« Au seur », dist-è, « ça, c’est dès crânes fiètes

èt qu’i n’a nî ine fiane à leû r’prochî; in ç’ gardin-cè,

 i l-a branmint dès biètes,

48  mès n’ c’est nî co Fram’rîye ! ».

 

In wîdant d’ là, pou ach’ver no swarée,

dju li propose in p’tèt tour de boul’vard,

 i fisoût biau, èl temps et à 1′ djèlée,

52    i n’avoût nî ine papiète de brouyârd.

Via qu’ tout d’in comp nos viyons sans luné

tes l’èstwale à queuye pus longue qu’in djoû sans m’gnî.

« Bah ! », dist-è l’ losse, « pou vîr dès bêles comètes,

56                 i faut v’ni à Fram’rîye ! ».

 

Pus tard, i m’ dèt : « Que d’ vouroû yèsse aronde

pou m’in râler sans-atinde èl convwa.

On a biau dire : n’a qu’in Fram’rîye au monde !

60    Pus’ qu’on vwayâje, pus’ qu’on s’in d-apèrçwat.

D’man au matin, tout à F piqueté dou djoû,

à l’èstacyon, dju saré tout prumîy.

Tout quanque dj’é vu à Brussèle, dju m’in fous :

64                 en’ c’est nî co Fram’rîye ! ».

 

A l’ prumiére eûre, come pou d-aler in taye,

il avoût d’djà infuté ses deûs botes.

Nos perdons l’ trin … par maleur, i déraye :

68   v’là m’ compagnon skwaté come ine figote !

 

  1. fiane, la plus petite chose.
  2. widî, sortir (litt* : vider). — 51. et, 3e pers. sing. de l’imparfait de yèsse, être. — 52. papiète, miette. — 55. Bah !, dit-il le gaillard…
  3. aronde, hirondelle. — 58. le « convoi > désignait alors le train. — 59. biau (byô) est ici la forme commune à l’éd. originale (1886) et à l’éd. ne varietur (1908). Cependant, cette dernière (vv. 13, 26, etc.) donne bia, forme de l’ouest-wallon, alors que l’ori­ginale a la forme picarde biau. Frameries se trouvant sur la ligne d’isoglosse qui sépare les traitements -yô/-ya du suff. latin -ellus, nous reprenons partout la leçon originale, conforme d’ailleurs aux données actuelles de l’ALW, 1, v° chapeau et 3, v° beau. — 63. Tout ce que…
  4. d-aler in taye, aller à la taille, c.-à-d. dans la galerie de la mine où l’on abat le charbon (expression boraine). — 67. Nous prenons… — 68. … skwaté, aplati, écrasé; figote, pomme ou poire tapée, fruit desséché. —

 

(p.210) Ine pauvè-z-âme mène èl siène à saint Pierre

et, in passant, li mousse èl Paradis.

« C’est biau », dist-è, « mes n’ vos fêtes nî si fiêre…

72 En’ c’est nî co Fram’rîye ! ».

 

« Œuvres de Joseph Dufrane (Bosquètia) tome 11 Poésies 4° édition (ne varietur) », Frameries, [1908]), pp. 71-73. Edition originale dans Essais de littérature boraine, Fra­meries, 1886, pp. 27-29.

 

  1. Une pauvre âme [du purgatoire] conduit la sienne devant s. P. — 70. … lui montre le paradis.

(p.211) LEON BERNUS

(1834-1881)

 

Issu d’une vieille famille carolorégienne, Léon Bernus quitta Charleroi pour l’étranger après qu’il eut conquis le diplôme de candidat en philosophie et lettres à l’Université libre de Bruxelles. Les cercles d’étudiants auxquels il destinait ses premières adaptations wallonnes de La Fontaine conservèrent un certain temps dans leur répertoire Lès bièsses malades du colora-morbus (Les animaux malades de la peste) qui les avait divertis.

C’est comme représentant des verreries du pays de Charleroi qu’après un séjour en Espagne, Bernus se fixa à Londres où il demeura 18 ans. Après quoi, ayant épousé une riche héritière écossaise, il revint à Bruxelles, ne s’y plut guère et partit pour le Midi; le bon vivant qu’il était y mourut, deux ans plus tard, à Marseille.

L’œuvre dialectale de Bernus tient essentiellement dans la bonne centaine de fables imitées de La Fontaine qu’avec une quinzaine de chansons et de contes versifiés, il rassembla, en 1872, loin du pays natal, en un volume dont la seule prétention était d’offrir un échantillon du parler de Charleroi, ce patois réaliste qui «n’a jamais été écrit», insiste l’auteur comme pour s’excuser…

Le recueil de Bernus ne resta pas sans lendemain, puisque deux éditions en furent publiées après sa mort, en 1900 et en 1923. Ce succès était mérité par la truculence et l’esprit d’invention du traducteur; mais, outre qu’il délaie trop, ainsi que la plupart de ses émules, il abuse de l’allusion et de la couleur locale.

C’est également à Londres que Bernus écrivit, en 1877, L’ malade saint-Thibaut, adaptation du Malade imaginaire, qui dut attendre jusqu’en 1922 — l’année du 3e centenaire de la naissance de Molière — pour voir les feux de la rampe au Coliséum de Charleroi.

 

69                                                                                               [Charleroi]

 

L’ mort èyèt l’ fieû d’ fagots

 

In vî grand-père rotèt pou li r’gâgnî s’ cayute,

kèrtchî avè in fa (c’èstèt in fieû d’ fagots).

Il èstèt tout ployî, fôce qu’il avèt mô s’ dos.

4 A l’ fin i fout là s’ kètche, i s’èstind d’ssus tout d’ chûte.

Avè s’ tièsse dins sès mwins, tout rindu, tout câssè,

i sondjèt, in brèyant, tout ç’ qu’il avèt passè :

 « Qué plêji ç’ qu’il a yeû dèspû qu’il est su têre ?

8   I travaye come in tchin, il est pôve come in viêr…

Souvint i n’a pont d’ pwin… S’il a bin travayî,

pa in ritchârd sins cœur, i n’ set né yèsse payî.

Èyèt pou 1′ pô qu’i gangne, on li fêt prinde patinte.

12    L’ussier è-st-a ses trousses, s’i n’ set né payî s’ rinte…

Il a parti sôdârd, du tins d’ Napoléyon,

èt, sins savwè pouqwè, il a stî s’ bate bin lon…

On ll’ a pourchû lontins pou 1′ mète dins l’ gârd’-civique :

16    il a stî oblidjî de s’ fé keûde ène tunique.

S’ pôve viye feume mô sogniye èstèt morte dérinn’mint,

èt i n’avèt pont d’ liârds pou payî s’n-intèr’mint;

iun d’ sès garçons, sôdârd, a stî mis aus galéres,

20 pace qu’il avèt d’zarté pou v’ni souladjî s’ pére;

èt l’ôte, maleureûs’mint, l’ôte djoû a stî tuwè,

spotchi come ène figote pau gros martia d’ Couyet !

Que mwéyin d’in vûdî dins in parèy dalâdje ? »

24   I criye rade après l’ môrt pou ièsse dèsbarassi;

més quand i ll’ a ieû vu, il a stî bin sêsi.

« Vos m’apèlèz », dist-èle, « qwè v’lez co a vo-n-âdje?

 

LA MORT ET LE BUCHERON ?)

  1. … marchait pour regagner sa cahute; li (lui) est explétif. — 2. Chargé d’un faix (fagot); fieû, faiseur. — 3. « force que » : tellement il avait mal au dos. — 4. A la fin, il jette là sa charge, il s’étend dessus tout de suite. — 6. brêre, pleurer. — 15. On l’a poursuivi. — 16. keûde, coudre. — 22. Ecrasé comme une pomme séchée par le gros marteau (d’une usine) de Couillet (lez Charleroi). — 23. Quel moyen d’en sortir, dans un pareil embarras ? — 25. rade, vite. — 26. Que voulez-vous encore à votre âge ? — 27. pour me recharger de mon (fagot de) bois. —

 

(1) Ces notes reprennent,  à très peu de choses près, celles de J. Haust qui accompagnaient le texte de Bernus reproduit dans La vie wallonne, t. 2, Liège, 1921, pp. 191-192.

 

(p.213) — C’èstèt pou m’ doner ‘ne mwin pou m’èrkértchî dè m’ bos »,

28 dist-i, in ossant come ène fouye,

èt in l’ wétant dins l’ trau d’ sès-ouys.

« Vos n’ târdrèz toudi pus à m satchî 1′ pia du dos. »

 

Si maleureûs qu’on fuche, on vout toudi d-aler,

32    maugré qu’ tèrtous su têre nos n’èstons qu’ dès mârtîrs;

èyèt, come èl provérbe, on-z-a bin rêsô d’ dîre :

Putôt pèter qu’ crèver.

 

« Les faufes da J. Lafontaine in patoès d’ Charleroèt pa Léon Bernus», Charleroi, 1872, pp. 24-25.

 

  1. osser, trembler. Le liégeois hossî signifie bercer, secouer, osciller, vaciller. — 29. wêti (fr. guetter), regarder. — 30. Vous ne tarderez toujours (= en tout cas) plus à me tirer la peau du dos. Notre traducteur commet ici un contresens. Le texte de La Fontaine : « Tu ne tarderas guère » signifie : Cela ne te causera pas grand retard. — 31. qu’on fuche, qu’on soit; d-aler, aller, ici : continuer (à vivre).

 

Edouard Remouchamps

(p.214)

EDOUARD REMOUCHAMPS

(1836-1900)

 

Une anthologie de la littérature wallonne, même si elle exclut les dramaturges, ne saurait refuser une place à Edouard Remouchamps, li ci qu’a fêt r’flori nosse vî linguèdje, suivant le mot si juste d’Henri Simon.

Né à Liège où il dirigea une entreprise familiale de meunerie, mort à Grivegnée dans sa propriété de Belleflamme, Edouard Remouchamps, bourgeois cultivé, libéral et philanthrope, est venu au wallon, en amateur, par les concours de la Société de littérature wallonne. C’est dans les publications de celle-ci qu’on trouvera l’essentiel de son œuvre, au reste peu abondante : quelques chansons et contes rimes, d’inspiration tantôt moralisatrice, tantôt humoristique et, au théâtre, trois comédies en vers : Li savetî [Le savetier] publié en 1859, Lès amours d’à Djèrå en 1878 et Tåti l’ pèriquî [Gautier le perruquier] en 1886.

Le succès de cette dernière pièce, créée à Liège le 10 octobre 1885, fut prodi­gieux. C’était le Molière du Bourgeois gentilhomme dont le wallon retrouvait la veine à travers la peinture d’un type de tous les temps : le richard imagi­naire. Au comique de caractère se joignait l’observation savoureuse d’un milieu populaire liégeois restitué dans un style frappé au coin du meilleur génie de la langue du terroir.

On a tout dit de Tâtî, de sa valeur qui contribua à la renaissance du théâtre dialectal (lequel marquait le pas depuis André Delchef et Joseph Demoulin), de son influence qui donna son premier souffle au mouvement wallon tout entier. Pour plus de détails sur la destinée de ce chef-d’œuvre, on se reportera à la magistrale édition que la Société de Littérature wallonne en a procuré en 1911.

 

70                                                                                                    [Liège]

[L’envie d’être riche]

 

Dans ce monologue d’exposition, Tåtî, occupé à confectionner une perruque, se laisse aller à sa rêverie favorite : parvenir à la richesse afin de vivre en oisif.

 

Ni sèrè-dje jamåy ritche èt, mågré mi èhowe,            Vv. 1-16

divrè-djdju, tote mi vèye, sètchî li diåle po 1′ cowe ?

A ! dj’årè bê bårbî, fé pèriques èt cignons,

dji d’meûr’rè-t-è minme pont, alez, come l’Acincion !

 

  1. èhowe (litt* : issue) ne s’emploie qu’au figuré : énergie, activité déployée pour sortir d’embarras (note de J. Haust dans l’éd. citée). — 2. divrè-djdju : cette forme, plus expres­sive que divrè-dje, * devrai-je », répond au fr. « devrai-je donc »’, « tirer le diable par la queue », vivre dans la gêne (idem). — 3. bårbî, v. trans., raser, faire la barbe; pèrique, cignon, empruntés du fr. perruque, chignon (idem). — 4. La fête de l’Ascension tombe toujours le jeudi, 40e jour après Pâques (idem). —

 

 

(p.215)

5 dji m’tûze quéqu’fèye tôt mwért, dji qwîr, dji m’ casse li tièsse

po trover on mwèyin d’ariver à 1′ ritchèsse.

Por mi, cou qu’est bin sûr, c’èst qui ci n’ sèrè nin

tot-z-ovrant qu’on sâreût s’ sètchî 1′ tièsse foû dès strins.

De tins de vî bon Diu, ça s’ fève mutwèt… Asteûre,

10   i fat, po parvini, bin dès-ôtès piceûres !

Ossu, dj’a mes p’tits plans et, s’ volît rèyûssi,

i n’âreût, d’zos 1′ solo, nin on pus-ureûs qu’ mi.

Dji veû quéqu’fèye dès cis qui sont ritches… èt pice-crosse,

trimer, grèter, spâgnî tant qu’i moussèsse è 1′ fosse.

15    On done sovint dès djèyes à quî n’ lès sét crohî;

mins mi, si dj’ènn’ aveû, alez, lès hågnes rôlerît !

 

« Tåtî l’ perriquî, comédie-vaudeville es treus akes », acte I, se. 1, Bull, Soc. de Litt. watt., XXII, (1886), pp. 381. — On reproduit le texte de la 5″ édition établi et commenté par J. Haust dans la coll. « Nos Dialectes », n° 2, Liège, 1934, p. 13.

 

71

[Une visite intéressée]

 

Un neveu de Tåtî, l’égoutier Nonård, s’empresse de venir congratuler son oncle en apprenant que celui-ci a gagné le lot de 100.000 francs à la loterie de Bruxelles.

 

Tåtî, Nonård

 

Nonârd (tot v’nant prinde Tåtî po l’ min)

Bondjou, savez, mon.nonke ! Proféciyat’, savez !      Vv. 615-648

Dj’a corou tote li vôye po v’ni v’ compluminter.

 

  1. si tûser tot mwért (litt. : se réfléchir tout mort), se tuer à force d’y réfléchir (idem); qwèri (litt’.: quérir), chercher. — 8. en travaillant qu’on pourrait (litt. : saurait) se sortir du pétrin (litt. : se tirer la tête hors de la paille). — 9. Au bon vieux temps (litt. : au temps du vieux bon Dieu), cela se faisait peut-être. — 10. piceûre, moyen d’attraper (de « pincer ») quelque chose, façon de s’y prendre. — 12. il n’y aurait… — 13. pice-crosse (litt. : pince-croûte), avare, grippe-sou. —• 14. … économiser jusqu’à ce qu’ils pénètrent dans la tombe. — 15-16. On donne souvent des noix à qui ne peut (plus) les casser; mais moi, si j’en avais, les coquilles rouleraient (trad. de J. Haust).

 

Nonård, forme hypocoristique de Léonard. •— 5. Je vous les souhaite mieux qu’à moi;

 

(p.216)

Qwand c’èst qui dj’a-st-apris qui v’s-avîz lès cint mèyes,

4 dj’a stu si binåhe, de ! Vos n’ v’è f’rîz nole îdèye !

Dji v’ lès keû mîs qu’à mi !

 

Tåtî (a pårt)

Fåt-assoti d’ boûrder !

(haut)

Tin ! èstez-ve raviké ? Dji v’ pinse mwért, ètèré;

dji v’s-a fêt soner ‘ne transe ! N-a treûs ans d’ peûrs dîmegnes

8   qu’on n’ vis-avasse vèyou !

 

Nonård (à pårt)

L’ vî pindård, qu’il est strègne !

(haut)

Si dj’ n’a nin v’nou, monnonke, boutez, dji n’è pou rin :

tos lès canåls dè l’ Vèye, come vos l’ savez, sont plins.

Po r’wangnî l’ tins pièrdou, nos-ovrans so nos fwèces;

12   nos trîmans nut’ èt djoû, télemint qui çoula prèsse !

 

Tâtî

V’ n’avîz qu’à d’morer là ! A-t-on jamåy vèyou !

 

Nonård

Mon.nonke, dj’in.me tant di v’ vèy !

 

Tåtî

Vos-èstez trop marlou !

Aprindez on p’tit pô qui, mi, dji n’ so nin l’ Vèye,

16 po m’ lèyî, d’ tos vos-ôtes, mète dès pouces è l’orèye

èt m’ fé creûre qui lès poyes pounèt so lès bouhons !

Mins dj’a ôte tchwè à v’ dîre…

 

keûre (latin cupere), v. trans., a le sens de : voir avec plaisir qu’un bonheur arrive à quelqu’un (DL, 347). — 6. raviké, ressuscité. — 7. J’ai fait sonner le glas pour vous ! (trait sarcastique qui continue l’idée précédente). D y a trois ans de purs dimanches, c.-à-d. composés uniquement de dimanches; comp. une hyperbole analogue dans le fr. « il y a des siècles » (note de J. Haust dans l’éd. citée). — 8. strègne, revêche, grincheux. — 10. Tous les égouts de la Ville… Nonård est un peu plus loin qualifié par Tåtî de nètieû d’ canåls, ouvrier occupé à l’entretien des égouts. — 11. Pour regagner le temps perdu, nous prenons (litt* : travaillons) sur nos forces. — 14. trop fin marlou, trop fin matois. — 15. mettre des puces dans l’oreille, c’est conter des fariboles à qqn, pour le circonvenir, lui en faire accroire. — 17. … croire que les poules pondent sur les buissons; l’équivalent fr. est : prendre des vessies pour des lanternes. —

 

(p.217)

Nonård (tot riyant)

Si c’è-st-ine saqwè d’ bon…

 

Tåtî

Dji v’ vou dîre qu’à målvå vos v’nez dire vos fåst’rèyes :

20    dji m’ va marier.

 

Nonård (èwaré)

Marier?… Vos f’rîz cråne bièstrèye;

prinde ine feume ! à voste adje !… Vos badinez, èdon ?

Pa ! c’è-st-ine foye di route, çoula, po Robièmont !

 

Tåtî

Qu’èst-ce qui ça fêt si dj’ moûr ? Alez, sèyîz tranquile :

24   po ramasser çou qu’ dj’a, dj’årè ‘ne pitite famile.

 

Nonård

N’ fez nin çoula !

 

Tåtî

Dji v’s-ô, avou vos gros sabots !

Qwand on oûveûre po 1′ Vèye, on d’vint trop fin matchot.

Ralez d’vins vos canåls djouwer ås rèspounètes !

28   Alez, Nonård, dj’in.me mîs vos talons qu’ vos bètchètes !

 

Nonård

Vos-avez twért, monnonke, di m’årgouwer insi !

Divins tot l’ parintèdje, nin onk ni v’s-in.me come mi.

V’s-èstez målêdûle oûy, dji r’vinrè-t-ine ôte fèye,

èt vos m’ riçûrez mîs… Å r’vèy, mon.nonke !

 

Tåtî

Å r’vèy.

 

  1. à målvå, mal à propos. —
  2. … une feuille de route pour Robermont, c.-à-d. pour l’un des deux cimetières de Liège. — 24. … j’aurai une petite famille; il faut comprendre : je ne manquerai pas d’héritiers pour se partager ma fortune. — 26. matchot désigne propr* le traquet, oiseau extrêmement habile à dépister ceux qui cherchent son nid; au fig., on fin matchot : un fin merle (note de J. Haust, ibid.). — 27. Retournez dans vos égouts jouer à cache-cache. — 28. … j’aime mieux vos talons que vos bouts, c.-à-d. vous voir partir plutôt qu’arriver. — 29. årgouwer, apostropher, gourmander. — 31. målêdûle, mal disposé. —

 

(p.218)

Nonård (tot ratoûrnant)

Mon.nonke ! comne vo-v’-là ritche, loukîz de n’ nin m’ roûvî.

 

Tåtî

Si dji trouve ine cahote, dji v’s-êvôyerè l’ papî !

 

 

Ibid., acte II, se. 5, pp. 430-432. — Même édition, pp. 57-59.

 

  1. cahote, cornet de papier pour y mettre du bonbon, du tabac, etc., et aussi, comme ici, rouleau d’argent (enveloppé de papier). Ce dicton signifie : « Vous n’aurez rien » (note de J. Haust, ibid.).

(p.219)

DIEUDONNE SALME

(1836-1911)

 

Né à Glain, à la limite de Liège, c’est dans cette ville que Salme exerça le métier d’armurier avant d’occuper, sur le tard, un emploi d’expédition­naire aux Hospices civils.

Ses premières œuvres, diffusées en feuilles volantes, remontent à 1858-1859 : chansons et monologues entrecoupés de couplets qui exploitent une veine tour à tour sentimentale, comique ou gauloise. Réfractaire aux règles et conven­tions d’une production dialectale patronnée par la Société de Littérature wallonne (dont à l’occasion il sera le lauréat), Salme est, en 1872, l’un des fondateurs — et le premier président — du « Caveau liégeois ». Avec ce cercle, qui recrute ses adhérents parmi les écrivains de condition modeste, se vulgarise le type de l’« auteur wallon » que les sociétés littéraires et les gazettes patoisantes, nées peu après, vont répandre à des centaines d’exem­plaires.

L’œuvre de Salme est abondante, disparate et fort inégale, surtout par la qualité du style, souvent relâché, et de la langue, qui mêle à de robustes archaïsmes des gallicismes et des créations douteuses. Au théâtre, on lui doit de nombreuses comédies-vaudevilles, dont aucune n’est restée au répertoire. Sa poésie aborde des genres divers, ainsi que le montre son principal recueil, Tonîres èt blouwèts (Coquelicots et bluets) en 1878. C’est comme prosateur que Salme a le mieux réussi. Il est l’auteur du premier roman en wallon, Li houlot (Le cadet) en 1888, suivi de Pitchète (Petiote) en 1890. En dépit de sa technique maladroite et de son esprit moralisateur à substrat pater­naliste, Li houlot reste le document haut en couleur qui évoque la vie grouillante du quartier le plus excentrique de Liège avant sa modernisation.

 

72                                                                                                    [Liège]

 

Lès marionètes èmon Con’tî

 

Tot qwitant Rôlêwe èt passant po li P’tite Bètch, nos arivans-t-à l’ Pwète Grum’zèl. Là, so 1′ soû d’ine pitite mohone, in-ome è peûr

 

LES MARIONNETTES CHEZ CONTI. — Dans le chapitre VI du Houlo, Salme raconte comment a pris naissance, au quartier d’Outre-Meuse, le théâtre liégeois des marionnettes. Son implantation rapide dans ce milieu populaire et le succès qu’il rencontra parmi les amateurs de folklore firent oublier ses origines que certains imaginèrent beaucoup plus lointaines que le milieu du xix” siècle où les situait le témoignage de Salme. La valeur de celui-ci ressort de l’examen auquel l’a soumis M. piron, L’origine italienne du théâtre liégeois des marionnettes dans les Mélanges Elisée Legros (E.M.V.W., XII, pp. 327 ss.).

 

1-2. La porte Grumsel, aujourd’hui disparue, a laissé son nom à une rue perpendiculaire à

la rue Petite-Bêche (bètch = bec), voisine elle-même de la rue Rouleau; è peur lès brès’, en manches de chemise. — 3. on k’bouyî tabeûr, un tambour bosselé.

 

(p.220)

lès brès’ bat’ li rôl’mint so on k’bouyî tabeûr : c’est èmon Con’tî,

4    ås marionètes.

Divant di nos-î aler fé ‘ne pinte di bon song’, dihans d’abord kimint cist-amûs’mint de 1′ crapôt’rèye a k’mincî à Lîdje. Li père da Djîles, qui tôt Djus-d’là-Moûse kinoh, fa li k’nohance de houle Talbot,

8 on Françès qu’aveût pris s’ djîse dispôy lontins à Lîdje. I toumît d’acwérd èssonle po èmantchî on tèyâte di marionètes; mins, corne divins tote handèle i s’ trouve à 1′ vole dès cis qu’ont l’avizance d’ènnè fé ot’tant, on vèya câsî è minme moumint, Marchand, è

12 li P’tite Bètch, et Paily, so F pièce d’Otêye, droviér ine baraque parèye.

So li k’minc’mint, c’èsteût è 1′ pièce wice qu’on t’néve manèdje qu’on djowéve. Quéques horons à qwate pîds fêts fou d’ dès bwès

16 d’ fahènes qu’on r’mètéve onk so l’ôte à long de djoû po s’è d’haler, èstît lès bancs dès prumîres, qu’on payîve deûs çans’ et d’mèy. Drî cès-cial, i gn-aveût ‘ne pîce po s’aspoyî d’ssus : là, on d’manéve tôt dreût et on n’ dinéve qu’ine çans’. Adon, so 1′ fasse grignî,

20 qu’on nouméve li câvâ, on î aiéve po ‘ne çans’ et d’mèy; c’est là qu’on fève li pus d’ disdut, tôt parèy qu’à partére à Tèyâte, sâf qu’âd’dizeûr de brêre et de tchawer, lès forsôlés de câvâ si trouvant d’zeû lès-ôtes, hinît so cès-cial, po lès crèveûres de mâva plantchî,

24 tôt cou qui n’ lèzî dûhéve pus. I-gn-aveût co ‘ne pièce qu’on payîve corne lès prumîres : c’èsteût so F lét, wice qui dès carpes, dès vrèy diâles rènants, fît dès coupèrous et co traze los’trèyes — mins lès pouces à leû tour lèzî fît payî coula tôt lès k’magnant.

 

  1. crapôt’rèye (dér. de crapô, petit garçon), marmaille. Djîles [Con’ti] est en réalité Gilles Henné (1826-1896) qui, selon toute vraisemblance, a continué, vers 1860, le théâtre de marionnettes auquel le figuriste italien Alexandre Conti (Castelvecchio, en Toscane, 1830 -Liège, 1903) avait donné son nom peu après son arrivée à Liège en 1854. — 7. houle, boiteux. — 9-10. … mais, comme dans toute entreprise, il se trouve sur-le-champ des gens qui s’avisent d’en faire autant. — 12. droviér, ouvrir.

15-17. Quelques planches épaisses, montées sur quatre pieds tirés de fagots [et] qu’on remisait l’une sur l’autre pendant le jour pour s’en débarrasser, formaient (litt* : étaient) les sièges des « premières », qu’on payait deux sous et demi. — 18. … une rampe (litt1 : perche) servant d’accoudoir. — 19. fasse grignî, faux grenier; câvâ, « caisson intérieur (dans cer­taines maisons) sous lequel passe l’escalier de cave, dont l’entrée est à l’extérieur » (DL, 140, fig. 184-186). — 21. disdut, bruit, chahut. — 22. forsôlé (litt’ : soûlé à l’excès) ici au sens de: tapageur, forcené. •— 23-24. … jetaient sur ceux-ci, à travers les fentes du plancher usé, tout ce qui ne leur convenait plus (= dont ils voulaient se débarrasser). — 25-26. … où des garnements, remuants comme de vrais diables, faisaient des culbutes et toutes sortes de (litt* : et encore treize) niches. —• 27. pouce, puce.

 

(p.221)

28 Marèye-Bâre Con’tî, à F gueûye di l’ouh, avou s’ botique di peûres et d’ pomes, di tièsse prèssêye et d’ poumon qu’èle vindéve à ‘ne çans’ li trintche, lèvéve lès-intrêyes. Lès marionètes, è ç’ tins-là, n’èstît qu’ dès bokèts d’ bwès ma

32 d’grohis et afûlés d’ clicotes; on vèyéve djusqu’âs cwèrdales qui lès fît roter. Pô tôt louminêre, i n’aveût qu’ dès tchandèles di sèw, à deûs po on patârd, plantêyes divins dès p’tits tchand’lés di stin; mins corne lès p’tits capons djètît après — cou qui fève quéque

36 fèye djurer Charlèmagne corne on pwèrteû-âs-sètch —, on meta è leû pièce dès lamponètes di fier-blanc à 1′ crasse Ole avou dès plats lignoûs qui fournît corne dès tch’minêyes. Mins, corne dji l’a dit torade, Con’tî aveût deûs rivais, et po wârder ses candes, i

40 fourut bin fwèrci d’î fé dès candj’mints qu’ont tourné à si-avantèdje, pusqu’il î fève plin à make chaque fèye.

On-z-î djoweve Li D’zerteûr, Geneviève di Brêbant, Le traité Non Djwin (Don Juan), Ourson-z-èt Valentin, Lès qwate Fis Rêmond

44 (Aymon) à cavaye so li dj’vâ Bayârd qu’aveût ‘ne sicrène ossi longue et dès pâtes ossi coûtes qu’ine robète. Qu’on n’ s’èwâre nin d’oyî dès fâtes di francès corne « la vivre lumière », « les grands z-héros », etc. On ‘nn’î dit co dès-ôtes, et

48 li spot a bin rêzon tôt d’hant qu’ine once di boneûr vât mî qu’ine lîve di syince, ça, avou lès bwègnes mèssèdjes à fé dwèrmi tôt dreût qu’i d’bitéve, i s’ ramassa on bê patârd. A 1′ mwért di s’ père, Djîle riprinda 1′ hâbiêr, et dji deûs dire qu’i

52   d’va fé dès messes tours di fwèce po parvini à pont qu’il èst-arivé.

 

28-30. Marie-Barbe Conti, à l’entrée (litt. : à la gueule de l’huis), avec sa boutique (= son éventaire) de poires et de pommes, de fromage de cochon et de [viande de] poumon qu’elle vendait à deux centimes la tranche, percevait les entrées. Il s’agit de l’épouse du joueur Gilles Henné, née Marie-Barbe Crespin (M. Piron, loc. cit. p. 339).

31-33. … des morceaux de bois mal dégrossis et affublés de loques; on voyait jusqu’aux cordons qui les faisaient marcher; sèw, suif. — 34. « patârd », ancien sou liégeois; … dans de petits chandeliers d’étain. — 35. capon, garnement, rossard. — 36. Charlè­magne est le héros principal du répertoire qui, à Liège, est tiré, pour une grande part, des anciens romans de chevalerie; pwèrteû-âs-sètch, portefaix. — 37-38. (lamperons) à l’huile grasse avec des mèches plates qui fumaient comme des cheminées. •— 39. cande, chaland, client. •— 41. plin à make, ici : salle comble.

  1. sicrène, échine. — 45. robète, lapin.
  2. spot, proverbe. — 48-50. … car, avec les sornettes (litt* : les borgnes messages) à dormir debout qu’il débitait, [Conti] se fit un joli magot.
  3. A la mort de son père, Gilles reprit l’exploitation… La réalité est un peu différente puisque Gilles Henné, dit Djile Con’tî, ne succéda pas à son père mais reprit le premier théâtre, passablement rudimentaire, d’Alexandre Conti parti se fixer, dès avant 1861, dans un autre quartier, sur la rive gauche de la Meuse; Salme recueille sans doute ici une tradition locale sur la « disparition » de Conti I. —

 

(p.221) Ë 1′ plèce dès-ècurêyès lamponètes, i meta on gros kinkèt à dobe bètch, avou deûs rabat-djoû qui ridèt so ‘ne tîdje di fier. Qwand i deût fé clér so 1’ sinne, i lîve li ci di d’vant et fêt d’hinde li ci di drî,

56 adon 1′ public est d’vins li spèheûr; po 1′ contrâve, i r’monte li ci di drî et lêt r’toumer li ci di d’vant.

Lès marionètes, zèles, sont dès vrêyes mécaniques, rimouwant brès’ et djambes, hossant leû tièsse; lès visèdjes ravizèt ‘ne saqwè et lès

60   mousseûres sont-à Fadvinant.

Divant et après chakeune dès grantès pièces, i done ine riyot’rèye. C’est Pourichinél, qu’a ‘ne croufe è 1′ hanète et l’ôte è bas de vinte, qui vint qwand i fêt mit’ priyî 1′ bondjoû à li k’pagnèye, tôt wèstant

64 s’ tchapê qu’i fait rispiter corne on stô d’on pîd et d’ine main so l’ôte, pwis qu’i r’hène so s’ tièsse ossi adrèt’mint qu’on djoweû d’ tours. C’est Cacafougna, qui fêt div’ni lès-èfants blanc-mwérts-vèssous d’ sogne tot-z-adârant — li lêd stindou ! — fou d’on trô

68 fêt è l’ teûle et tôt tchawant corne on tchèt qu’on foie so s’ pâte. C’est l’ Bon Buveû, qu’arive tôt fant dès-ès’, qui tûtèle à ‘ne botèye plinte djusqu’à l’gueûye et qu’on veut d’cwèli à mèzeûre qu’i lîve li coude, qu’atrape li hikète tél’mint ça lî sonle bon, pwis dès

72 hôss’mints d’ cour, et qui spritche avâ tot l’ monde cou qu’il a pris d’ trop’… adon, pus lèdjîr de cwér, mins co todi F tièsse pèzante, i s’ winne èvôye tôt fant dès madames corne on dragon qu’a pièrdou s’ cowe.

 

 

53-54. Au lieu des petites lampes encrassées, il plaça un gros quinquet à double bec, avec deux abat-jour qui glissent sur une tige de fer. — 59. hossî, balancer, faire mouvoir; les visages ressemblent quelque chose (= les figures [des pantins] ont une expression) et les habits sont à l’avenant (= sont appropriés).

  1. riyot’rèye, plaisanterie, ici au sens de petite pièce comique. — 62. C’est Polichinelle qui a une bosse dans le cou et l’autre au bas du ventre. — 63-65. … en ôtant son chapeau qu’il fait rebondir comme une balle à jouer (stô) d’un pied et d’une main sur l’autre. — 65. il rejette sur sa tête…; Cacafougna, nom d’un petit diablotin à ressort que l’on faisait sortir d’une boîte (DL, fig. 161). — 66-67. bîanc-mwérts-vèssous d’ sogne, tout blêmes de peur (expression intraduisible littéralement par suite de la redondance de blanc-mwért di sogne et de vèssou, transi de frayeur); adorer, bondir, s’élancer; stindou, litt* : étendu, par allusion au déploiement de Cacafougna; lêd stindou, grand vilain escogriffe; tchawer, pousser des cris aigus. — 69. fé dès es’, faire des s, tituber; tût’ler, boire au goulot, lamper. — 70. d(i)cwèli, décliner, diminuer. — 71. hikète, hoquet. — 72. spritchî, jaillir (en parlant d’un liquide), ici: rendre gorge. — 74-75. … il s’éclipse en se balançant en zigzag (litt* : en faisant des « madames ») comme un cerf-volant amputé de sa queue.

 

(p.223)

76 Mins si tchîf-d’oûve fourut 1′ Passion : i n’aveût rin mèskèyou po 1′ riprésinter sorlon Pévandjîle.

Atincyon ! Ça va k’mincî. Li grand Tône, on plankèt d’à Djîle, vint s’ mète so 1′ costé de tèyâte avou ‘ne longue wèzîre qui siève

80   pus vite po fèri onk ou l’ôte qu’à-z-ac’sègnî lès tâvlês. Tône, èspliquant : « Coopération des Jouifs ». R’ran, plan, plan, plan, plan, ine ârmêye di cûrassiers à pîd et ‘ne hiède di djins qui n’ont noie fiyate as paroles de Nazaréyin arivèt

84 à flouhe di tos costés, tant qui 1′ tèyâte ridohe. Adon, on messe qu’on ric’noh à s’ mante bwèrdé d’ moumouche, prind 1′ parole : « Soldats, et vous peupe du vrai Diu d’Esraël, je vous fais savoir qu’un vilain posteur (vil imposteur) qu’est né dans une étape et

88 qui fait des soi-disants mirakes en chassant les démons hors des corps des ceusses qui n’en ont point, se dit le fils du Très-Haut et, dé plus, le roi des Jouifs; souffrirez-vous qu’un forgeur de men­songes qui prétend que les biens des riches appartiennent z’aux

92 pauvres, vienne z’urper les droits de César, notre seigneur et maître ? »

Totes lès marionètes fèt on mouv’mint di gauche à dreûte po dire : nèni.

96    « Donc, i faut qu’il meure ! »

Totes lès marionètes, sètchèyes po 1′ tièsse, ritoumèt treûs qwate fèyes d’ine pèce so leûs pîds po dire : awè.

 

  1. La Passion, jouée d’après la bible des écoles, a été avec la Naissance (ou Nativité de Jésus), l’une des deux pièces religieuses du répertoire des marionnettes liégoises; mèskeûre, refuser ou accorder chichement. Le sens ici est : il ne s’était pas montré regardant pour la (la Passion) représenter selon l’évangile (c.-à-d. le plus fidèlement possible).
  2. Le grand Toine, un compagnon de Gilles : c’est vraisemblablement son frère cadet, Antoine Henné (Heyne), tisserand domicilié en Petite-Bêche (M. Piron, loc. cit., p. 339); il assiste le joueur en annonçant les scènes et fait la police de la salle avec sa longue wèzire ou baguette d’osier. — 80. fèri (arch.), frapper; tàv’lês, tableaux, ici : les différentes scènes de la pièce.
  3. … au point que le [plateau du] théâtre regorge de monde; on messe, un notable (il s’agit d’un Pharisien ou d’un Prince des prêtres) dont le manteau est bordé de moumouche, (= de fourrure).
  4. A partir d’ici, et conformément à l’usage, le joueur fait discourir ses personnages en français, un français macaronique dont Salme s’est plu à noter les bizarreries; le wallon n’intervient qu’en dehors de la représentation.
  5. sètchèyes po l’ tièsse : il s’agit du fil d’archal fixé au sommet du crâne de la marionnette pour la manœuvrer en surplomb.

 

(p.224)

« Seublement, i faudrait se saisir adroitement de cet homme et cela 100 z’avant les fêtes de la Pâque, de crante qu’i n’ se faisse un grand

tumule dans le peupe. »

Minme djeû po-z-aprover.

Rrrran ! li tabeûr bâte li rôl’mint, peûpe et sôdârds si tapèt à lâdje 104 po fé pièce à on rossé pindârd qui va dlé 1′ ci qu’a parlé, tôt d’hant :

« Que voulez-vous me donner et je vous 1′ livrera ?

—  Trente deniers », dèrit 1′ messe.

« Tapez-la », rèspond Djudas, ça c’èsteût lu.

108 Rrrran, plan plan, plan plan, plan plan, sôdârds et bordjeûs difilèt et 1′ teûle tome.

Tône : « Jésus avec ses discipes. »

Jézus, avou ‘ne vwès plinte di lê-m’è-pâye, dit à sès-apôtes :

112    «En vérité, en vérité, je vous le dis, le fils de l’Homme sera trahi par un de ses proches, il sera livré, lié z’et garotté, au prince des prêtes et l’heure de sacrifice sonnera bientôt. » Lès-apôtes si k’tapant co pés qui 1′ diâle divins on bèneûtî :

116    «Serait-ce moi, Seigneur, serait-ce moi, Seigneur?

—  Je vous dis, en vérité, que l’un de vous me trahira. »

I rèpètèt co traze fèyes li minme mèssèdje et 1′ teûle tome.

Tône : « La Sainte Cène. »

120 Ine grande tâve di couhène; Jézus à mitan et sîh apôtes à chaque costé, is-ont turtos 1′ tièsse so 1′ tâve et on pins’reût qu’i fèt leû prandjîre si Tône n’aveût dit qu’i d’hèt 1′ bénédicité; i s’ rilèvèt et Jézus dit, todi so 1′ minme ton :

124 « J’ai z’ardemment désiré de manger cette pâque avesque vous, car ma fin approche et je sera bientôt z’assis à la droite de Dieu, mon père, dans le plus haut des cieux; mais à seule fin que ce qui est écrit se complisse, l’un de vous autes me trahira et c’est

128    celui-là qui mettra t’avec moi la main z’au plat. »

 

  1. tabeûr, tambour; … peuple et soldats entrouvrent leurs rangs (litt1 : se jettent au large).
  2. bèneûtî, bénitier.

121-122. fé s’ prandjîre, faire sa sieste.

 

(p.225)

Qwèqu’in-ome prév’nou ‘nnè vâsse deûs, èsteût-ce po haper n’ mohe trop’ afrontêye? Eco ‘nn’èstit qui Djudas î hèra ses deûts… à minme moumint, on tourchon d’ pome arive d’à 1′ pîce corne ine

132 baie fou d’on fizik, l’atrape à stoumac’ et 1′ bouhe lès qwate fotenes è l’êr, de minme qui sint Tournas qui n’ pout creûre à ‘ne si-fête calin’rèye; adon, Djudas s’ ridrèsse et corne lès-apôtes kinohèt tos les djârgons, i dit è plat wallon :

136    « Si gn-a co onk qui hène, dji lî fê bouler s’ g… djêve as qwate costés. »

Li Cinne finihe divins on disdut d’infér, ça F grand Tône a r’pris F parti d’à Djudas tôt flahant so deûs-ou treûs avou s’ wèzîre.

140   On s’ tint ‘ne gote pus pàhule.

Tône : « Jésus dans le Jardin des Olives. »

Jézus arive londjin’mint avou sint Pire, sint Djâke et sint Dj’han

et l’zî dit :

144    « Restez t’ici et veillez pendant que j’ira prier, car celui qui doit

me trahir n’est pas loin de céans. »

Sint Pire, qui rèspond por lu et po Fs-ôtes :

« Maîte, comptez sur nous.

148   — Mes chers discipes, je sera cette nuit un sujet de scan’dale

pour vous. »

Sint Pire, tôt pété :

« Quand vous seriez un sujet de scan’dale pour tous les autes,

152 vous ne F serez pas pour moi.

— En vérité, en vérité, je vous le dis, avant que le coq chante

vous m’aurez renié trois fois. »

Sint Pire ni motihe pus, mes on veut bin qu’i n’est nin contint.

156 Li mit’ tome avou F rabat-djoû, Jézus vout aler priyî, mes Djudas

vint pâte à pâte avou dès sôdârds, i s’aprèpèye di s’ messe qu’i

 

129-130. … était-ce pour attraper une mouche trop hardie? Toujours est-il que Judas y fourra ses doigts (dans le plat). — 131. d’à V pîce, de la perche (qui sert d’accoudoir); … et le flanque les quatre fers en l’air.

  1. djêve est un synon. moins grossier que gueûye, gueule. 150. pète, abattu, abasourdi.
  2. pâte à pâte, à pas de loup. — 158. bâhî à picète, litt* : embrasser « à pincette »; le sens est : embrasser avec effusion; c’èsteût l’ wastat’ (déformation du néerl. wat is dat ?), c’était le signal convenu; kihèrer, bousculer.

 

(p.226)

bâhe  à picète comne on fâs tchin qu’il est, c’èsteût 1′ wastat’, on-z-apogne Jézus; sint Pire vout mète inte-deûs, mes on 1′ kihére

160    et so coula li teûle tome.

Tône : « Jésus devant Caïphe. »

Caïphe dimande qwè et corne à Je/us, qui n’ rèspond nin, màgré

qu’on lî tape totes lès houwêyes.

164    On cûrassier dit à sint Pire qui djowe à 1′ rispounète drî l’s-ôtes :

<( Vous étiez t’avec cet homme, vous ! »

Sint Pire bètch’tant :

« Je… je n’ai pas l’honneur de F connaite. »

168    On bordjeûs qu’a oyou leû d’vise dit:

« I m’ sembe pourtant que f vous a vu dans sa compagnie ! »

Sint Pire foumant d’ colère :

« Ça n’est pas vrai ! »

172   Et so 1′ tins qui Caïphe arinne todi Jézus à 1′ vûde, on treûzinme

dit sins halkiner :

« Je vous a vu, moi. »

Sint Pire tôt fou d’ lu :

176    « Vous en avez contre-m… »

 

Cok cokêcoûk !

Adon vèyant qui s’ messe lî aveût dit vrêye, ènnè va F tièsse

bahowe tôt tchoûlant et tôt s’ dinant dès côps d’ pogn à stoumac’,

180    et Caïphe dit as sôdârds tôt mostrant Jézus :

« Qu’on le mène à Pilate. »

Tône : « Jésus devant Ponce-Pilate, sa flaguellation. » Pilate, assiou d’vins ‘ne tchèyîre di pope, dimande à Jézus :

 

 

  1. houwêye, huée, cri d’injure.
  2. La marionnette qui figure ici un  soldat romain porte l’uniforme d’un  cuirassier; l’anachronisme est normal dans ce genre de spectacle; djouwer à l’ rispounète, jouer à cache-cache, ici : se dissimuler.
  3. bètch’tant, bégayant.
  4. … que Caïphe interpelle toujours Jésus en vain (litt* : à vide). — 173. sins halkiner, sans hésiter.
  5. Pilate, assis dans une chaise de poupée.

 

(p.27)

184 « Êtes-vous le roi des Jouifs ?

—  Vous le dites.

—  Êtes-vous le fils de Dieu ?

—  Vous l’avez dit. »

188    Totes lès marionètes :

« I blasphème, i mérite la mort. »

Adon Pilâte si lîve et pwète à s’ cou li tchèyîre qu’est trop streûte

po s’ fèssârd, cou qui fêt rîre quéques carpes qui 1′ grand Tône 192   mète à F rêzon avou s’ wèzîre.

Pilâte :  « Soldats romains et vous, Jouifs, je dois vous dire que

je n’ vois rien de criminel dans cet homme. »

Lès sôdârds : « II dit qu’il est roi et c’est César qu’est roi. » 196   Li peûpe : « II dit qu’il est le fils de Dieu, c’est un vilain posteur;

à la mort ! »

Tos èssonle, onk sins l’ôte, corne on feu d’ p’ioton di nos bleus :

« Al… alam… à la mort ! »

200   Pilâte : « Je puis, t’a l’occasion des fêtes de Pâques, faire grâce à un assazin, j’envoie donc celui-ci z’en liberté. » Tos d’ine pèce : « Non, non; dilîvrez Barabas et crucifiez Jésus. » Pilâte si fêt apwerter d’ Fêwe divins on p’tit plat d’ bârbî et s’ lève

204   lès mins.

Adon, tos cès-assotis kitrâgnèt Jézus, flahèt d’ssus, lî rètchèt è vizèdje, on lî mète ine corone di spènes et on l’èhètche.

Tône : « Cinq minutes d’entrake pour le sangement de décor. » 208    Li crapôt’rèye profite di ç’ moumint po s’è d’ner à 1′ tchicaye : « Marèye-Bâre, des pomes po ‘ne çans’ ! Marèye-Bâre, ine trintche di rote-tot-seû ! Marèye-Bâre ci, Marèye-Bâre là… » Èle ni set wice diner tièsse; on p’tit câlin, qui sèrè sûr pindou

 

  1. … et emporte à son derrière la chaise trop étroite pour son fessier.
  2. … un sans l’autre (c.-à-d. d’une voix discordante), comme un feu de peloton de nos jeunes recrues.

205-206. Alors, tous ces enragés tirent Jésus en tous sens, le frappent à grands coups, lui crachent au visage, on lui met une couronne d’épines et on l’emmène.

  1. … pour s’en donner aux friandises.

209-210. … une tranche de «marche-tout-seul» (= ?).

 

(p.228)

212    à Sint-Djîle qwand il are l’adje, lî a pôr fêt passer ‘ne bouhe po de P manôye… Si èle saveût qui c’est ! Si èle li t’néve, èle s’assît d’ssus po P sofoquer. Enfin ces cinq’ minutes passèt à brêre, à s’ digueûyî et à s’ kidjèter.

216   Tône, brèyant : «Est-ce tôt? Vout-on s’ têre?»

Vèyant qu’on è-st-on pô pâhûle :

« Le passage de Jésus portant sa croix. »

Li tabeûr djowe corne à l’ètér’mint d’on pompier, rrran, plan, plan 220    plan plan, rrran plan plan, rrran plan plan.

Tône : « Chapeau bas ! »

Loukant d’zeûr et d’zos, ârgouwant : « Chapeau bas ! »

On gamin brêt : « Dj’a mètou m’ calote, mi. »

224    Tône : « Disfê-P. » (Tchôkant s’ tièsse â-d’-divins de tèyâte) : « Ni

fez nin todi v’ni P bon Diu, Djîle, i-gn-a co à P pîce et so P câvâ

dès cis de P race di Dôdô qu’ont leû canote so leû tièsse. »

Rrran, plan, plan plan plan, rrran plan plan.

228    Tône :  « Alez-v’ bodjî vosse canote, halbôssâ, ou dji v’ tripèle

l’amer fou d’ vosse… »

Rrran, plan, plan plan plan. On veut ponde li bètchète de P creûs.

Tône : « Fez r’toûrner P bon Diu, Djîle, i-gn-a onk là-hôt qu’i fat

232    qu’ dji tape à l’ouh… » Pitch ! patch!

Corne on ‘nnè finih’reût mây, on s’ tint keû et Jézus passe pwèrtant

s’ creûs, sûvou di sinte Mad’linne, ine fanfine di ç’ tins-là qui s’a

fêt tchafète po  ratch’ter ses pètchîs,  d’ine ribambèle  di vèyès

236    djônès fèyes, corne lès cisses qui d’hèt P tchap’lèt drî P bardakin,

qui s’ difinèt à tchoûler et d’ quéques sôdârds qui n’ont d’ keûre.

 

211-212. … qui sera sûrement pendu à Saint-Gilles : cfr texte n° 8, v. 37. — 212-213. … lui a de plus fait passer une vieille pièce pour de la monnaie (cfr DL 101, v° bouhe 2).

  1. Regardant par-dessus et par-dessous, d’une voix rude.
  2. … de la race de Dodon (le meurtrier présumé de saint Lambert, fondateur de Liège), c.-à-d. d’une engeance maudite; canote, var. de calote, casquette.
  3. halbôssâ, vaurien. — 228-229. tripler l’amer fou de V panse, piétiner le ventre jusqu’à en faire sortir la vésicule du fiel.

234-235. … une grisette de ce temps-là qui s’est faite bigote pour racheter ses péchés. —

  1. derrière le baldaquin (allusion aux processions de la Fête-Dieu), qui s’épuisent  à pleurer. — 237. n’avu d’ keûre, n’avoir cure.

Jézus dit as fèm’rèyes : « Ne plurez pas, files de Jérusalem ! »

 

(p.229)

240   Pwis djâzant à on sav’tî qui racoumonde dès san’dâles dizos s’ teûtê : « Frère, donne-moi z’à boire, car j’ai soif.

—  Passe ton chemin, je n’ suis pas ton frère et je n’ai pas d’aboire 244   pour toi.

—  Puisque tu es t’aussi méchant, tu marcheras plus de mille ans. » Et à minme moumint Sav’û-qui-rène sètche si pîd fou de strî, tape si manique so F vilwè qu’i qwite et rote sins mây si r’haper, tant

248   qu’on 1′ ritroûve à tos lès-ôtes tâv’lês, trotant todi. Li teûle tome po s’ rilèver so 1′ côp.

Tône : « Jésus tombre pour la première fois. Sainte Véronique. » Jézus s’ hètche, nâhî corne on pôve, arivé è mitan de F sinne, i

252 tome; on nome Simon, qui r’vint d’avu stu foyî, vint l’êdî, Jézus s’ ridrèsse; adon sinte Vérone prind s’ norèt d’ porche, rihoûbe H souweûr qui bagne si visèdje et fêt vèy, tôt s’ ristournant vè F public, si on est oûy parvinou à fé de F photographèye so papî,

256   qu’on n’ deût nin trop’ si vanter, pusqui on ‘nnè fève dèdja di ç’ tins-là so de F sitofe et coula sins-antêr-majique. Jézus tome co ‘ne deûzinme et ‘ne treûzinme fèye, mes corne c’est todi de F minme manîre, nos pass’rans oute.

260   Tône : « Le Calvaire, crucifiement de N. S. J.-C. »

« Chapeau bas ! Ine fèye po totes qu’on n’ mèl fesse pus dire ou

on van’rè po F pê de F rièsse à l’ouh. »

Li teûle si lîve; li tèyâte riprésinte on hôt croupèt d’ djène tére,

264   à prumî plan, à Fhintche min, on cavayîr, avou on rodje mante

  1. teûtê, auvent, échoppe (ici, de savetier).

246-247. « Savetier-qui-erre » (c.-à-d. le Juif errant) retire son pied de la bride [de son sabot], jette sa manique sur l’établi de cordonnier qu’il quitte et marche sans jamais reprendre haleine.

  1. foyî, bêcher. — 253-254. … prend son mouchoir de poche, essuie la sueur qui baigne son visage. La suite est une plaisanterie de l’auteur sur la légende de sainte Véronique. •— 257. sans lanterne magique (allusion à la forme des anciens appareils photographiques).

261-262.  …  ou on valsera par la peau du dos à la porte;  rièsse (ou riyèsse)   —   arête.

  1. croupèt, monticule. — 264. à main gauche, un cavalier… — 266. gâr-civique, « garde-civique *, milice bourgeoise belge, disparue avec la guerre de 1914; hinkèplink, en désordre.

 

(p.230)

èt on grand ploumèt so s’ tièsse, louke difiler, corne li valureûs jènèrâl di nosse gâr-civique, ses sôdàrds qui rotèt hinkèplink. Rrran, plan plan, plan plan, plan plan…

268 Li tabeûr candje di bat’rèye : rrran, plan, plan plan plan, rrran plan plan, rrran plan plan. Jézus arive, todi po 1′ dreûte, drènant d’zos P crake qu’on lî fêt pwèrter et mâquant à tôt côp de tourner tél’mint qu’i s’ trèbouhe. Rôl’mint d’ tabeûr; tôt P monde fêt ‘ne

272   pwèzêye.

Li grand messe sitind s’ brès’, on d’hèdje li creûs djus dès spales d’à Jézus, lès sôdàrds râyèt lès hâres fou di s’ cwér, avou P main d’à Djîle qu’on veut pôr trop fwért, et lès tapèt à P hapâde; li

276 flouhe qui vint di tos costés èspêtche de vèy li restant.

Novê rôl’mint. Tôt d’on côp, so P croupèt qu’è-st-è fond, on sètche treûs creûs à P tankène et on veut Jézus inte lès deûs lâr’neûs; li ci qu’è-st-à s’ dreûte dimeûre pâhûle et a Pêr di s’ ripinti, niés

280 Pote Bôdârd si k’heût corne onk qu’è-st-assiou so dès-ourtèyes. Adon Jézus djâze :

« Mon père, pardonnez-leur, car ils ne safent pas ce qu’ils font ! » I lêt tourner s’ tièsse so s’ dreûte sipale; pwis tôt P rilèvant : « J’ai

284    soif…»

Adon on piyote prûssyin lî stitche, so ‘n-âlon, ine éponge trimpêye

è l’amer di boûf.

A cisse pufkène, i toûne si tièsse di Pote costé tôt d’hant :

288    « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi est-ce que vous m’abandonnez ? » I lêt tourner s’ tièsse so si stoumac’ tôt djèmihant. In-ôte casquî, qui pièrdéve pacyince, lî donc on côp d’ lance dizos P tète. Djîle vout taper on cri corne Jézus a fêt po rinde l’âme,

292   mes sûr’mint qu’il avale si tchique, i s’ècrouke et tosse come on

 

 

269-270. … ployant sous le fardeau. — 271-272. je ‘ne pwèzêye, faire une pause. 274. lès hâres, les vêtements. — 275. à l’hapâde, à la volée.

  1. à V tankène, au moyen d’une sorte de palan (appareil de levage); lâr’neû, larron. — 280. Bôdârd, nom d’un ancien chef de brigands (DL); ourtèye, ortie. 285. Alors un fantassin  prussien  (comp.  note  164);  âlon,  échalas,  longue  perche.  — 285-286. … trempée dans l’amer (= fiel) de bœuf.
  2. pufkène, odeur infecte.
  3. casquî, casqué (il s’agit ici d’une autre marionnette figurant un soldat).
    • … mais sûrement qu’il avale sa chique de tabac, il s’engoue et tousse comme

un vieux renard. —

 

(p.231)

vî r’nâ; mes ossi rûzé qu’ ci-cial, i fêt passer coula à bleu tôt nos-èsblawihant avou dès-aloumîres, qu’i fêt tôt broûlant de 1′ pous-sîre di pîd-d’-leûp et tôt bouhant so ‘ne vèye platène di for 296 po cont’fé lès côps d’ tonîre… Crac, crac, crac, boum ! roudou-doudoudoum; Li teûle tome là-d’ssus et Djîle tosse todi.

Tône : « Rèsurection de Note Sauveur. » 300   Li tèyâte riprésinte li drî de croupèt d’torade qu’est, di ç’ costé-cial,

fwért è klimpe; à pîd, ine espèce di trape à rats siève di sârcô;

qwate sôdârds; deûs d’inte zèls djowèt as dis, so ‘ne plate pire,

lès-êdants qu’is-ont r’sètchîs tôt vindant li djâgô sins costeûre 304   d’à Jézus; lès deûs-ôtes, qu’ont sûr’mint dèdjà 1′ pogn djus, fêt

faction.

Tot-à-n-on côp, lès-ouh’lèts de 1′ trape si tapèt à lâdje, sitârant

ces deûs-cial corne des rinnes et sprâtchant lès deûs-ôtes corne dès 308   foyons.

Adon Jézus monte à Cîr tôt t’nant de 1′ dreûte min ine creûs qui r’sonle à 1′ crosse qui lès gamins fêt riv’ni d’ssus lès gros-verts et lès gorês-mohons; Djîle broûle li restant di s’ poussîre di pîd-

312 d’-leûp, tant qui 1′ sinne est feû-z-èt blâmes, et 1′ grand Tône cake dès mins tôt priyant li k’pagnèye d’ènnè fé ot’tant. Li teûle tome. « Ceci c’est pour avoir l’honneur de r’merci le public; s’il est content z’et santisfait, qu’il veulle bien z’en faire part à ses amis

316   et conances. »

Dji profite de 1′ leçon d’à Djîle po fé 1′ minme ric’mandâcion à mes léheûs !

« Li houlo. Roman historique wallon, scènes de la vie, us et coutumes et transformations du Quartier d’Outre-Meuse », Liège, 1888, pp. 51-65.

 

293-296. … en nous éblouissant avec des éclairs qu’il fait en brûlant de la poudre de lycopode; … platine (= plaque) de four pour imiter les coups de tonnerre.

  1. è klimpe, de biais, de guingois; sârco, tombeau. — 302-304. … jouent aux dés, sur une pierre plate, l’argent (litt* : les aidants) qu’ils ont retiré de la vente de la tunique sans couture de J.; avoir li pogn djus (litt* : le poing bas), c’est être fauché, n’avoir plus d’argent.
  2. ouh’lèt, petite porte. — 307. rinne, raine, grenouille. — 308. foyon, taupe.

309-311. … une croix qui ressemble au bâton recourbé sur lequel les gamins font revenir les pierrots et les moineaux. — 312. … jusqu’à ce que la scène soit feu et flammes.

 

 

(p.232)

VICTOR CARPENTIER

(1851-1922)

Ouvrier typographe, puis imprimeur, né à Liège, mort à Bressoux. Auteur dramatique fécond, Carpentier aborda tous les genres du théâtre dans une quinzaine de pièces qui vont du tableau naturaliste au grand drame en passant par la comédie d’observation et le vaudeville de type classique. Le bagage de Carpentier comprend en outre un lot important de chansons disséminées dans les journaux patoisants et les recueils des sociétés littéraires liégeoises, ainsi qu’un volume de contes en prose : les Valions (1901), d’un réalisme sans prétention artistique, nous offrent, sous forme de souvenirs et de « choses vues », des tableaux de la vie liégeoise dans l’ancien quartier du Tchajôr, où naquit l’auteur.

Homme du peuple, écrivain de tempérament et autodidacte, Victor Carpentier possède les qualités et les défauts de sa condition, qui est celle de beaucoup d’auteurs liégeois à partir de la seconde moitié du siècle passé. Sa langue, lorsqu’elle trouve la veine de l’usage parlé, réussit à donner un relief franc et solide à sa prose et à des poésies chantées telles que Qwand on d’vint vî, Dolince d’on pôve hanteû, Tchantchès. Cette dernière pièce campe dans son esprit franchement gouailleur et indépendant le héros populaire des marion­nettes liégeoises en passe de devenir le symbole du type wallon.

 

73                                                                                                     [Liège]

Tchantchès

 

On tape foû qui dj’ so di-d’-la-Moûse,

èt, ma frike ! dji n’ sé d’ là qui dj’ so.

Fåt-i creûre qui dj’a v’nou foû d’ Moûse

4  come lès warmayes, å dîre dès spots ?

Dji n’a nou parintèdje so l’ tére;

si lon qu’ dji r’monte, dji n’ rîtroûve rin.

Li tére walone, volà m’ seûle mére,

8    tos lès Walons sont mès parints !

 

TCHANTCHÈS, forme hypocoristique de Françwès, François. Sur ce personnage du théâtre liégeois des marionnettes figurant l’homme du peuple, cfr M. piron, Histoire d’un type populaire. Tchantchès et son évolution dans la tradition liégeoise (Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1950, spéc* pp. 51-53).

  1. On répand le bruit que je suis d’Outre-Meuse; di-d’-la-Moûse, forme primitive du nom actuel du quartier de djus-d’-la(-Moûse). — 2. ma frike !, ma foi ! — 4. warmayes, éphémères (insectes); spot, proverbe, dicton. — 6. si loin que je remonte [dans mon passé]. Refrain, måle lawe, mauvaise langue, brocardeur.

 

 

(p.233)

Refrain

Et c’èst mi qu’est Tchantchès,

li pus peûr dès Lîdjwès qu’i-n-åye è l’ Walonerèye;

12  måle lawe èt grand blagueûr,

mins todi d’ bone oumeûr,

dji tchante, dji potche, dji rèy !

 

Tot Lîdje mi k’noh d’ås marionètes,

16   là qui dj’ fê rîre lès grands, lès p’tits;

tote ine sîse, dji sofèle ås vètes :

ramasse qui vout tot çou qu’ dji di !

I n’a sûr nouk di stok à m’ djonde;

20    dj’a rézoû lès qwate fis Rêmon;

dji k’noh tos lès lingadjes dè monde,

mins dj’èlzès djåse tos è walon…

 

Vråve djoû, djama, fièsse ou dîmègne,

24    on n’ mi veût qu’avou m’ bleû såro;

èt si m’ djêve mi fêt parète bwègne,

c’èst cåse di m’ nasse come on sabot.

Djoûrmåy so pîds, so tchamps, so vôyes,

28    dji vike d’amoûr èt d’ l’ êr dè tins,

ni mås, ni pon.nes, rin n’ mi rascôye,

à mi-åhe, dji prind l’ tins come i vint.

 

Dj’a so m’ cabus pus d’ine campagne

32   conte lès payins, lès Sarazins :

dji chèv l’empèreûr Charlèmagne,

lès Rwès-Mådjes èt Traite-ènon-Djwin.

 

 

  1. toute une soirée [durant], je «souffle aux vertes» (= propos épicés; comp. l’expr. franc, en raconter de vertes). — 19. Il n’y a certes personne de taille à me « joindre » (= dépasser, dominer). — 20. j’ai réduit les quatre fils Aymon (allusion au répertoire des marionnettes liégeoises).
  2. Vråve djoû, mis pour ovràve…, jour ouvrable: cette aphérèse n’est pas une licence

d’auteur; djama, fête double. — 26.  nasse (fam.), nez. — 29. rin n’ mi rascôye, rien ne

m’atteint (rascoyî signifie « récolter,  recueillir » : il y a eu, dans la pensée de l’auteur,

contamination avec rascûre / rac’sûre,  attraper, atteindre).

  1. Cabus, caboche. — 34. Traîte-ènon-Djwin, Traître Don-Juan, déformation enfantine ou de joueur de marionnettes. —

 

(p.234)

N-a dès mèye ans qui dj’ so so l’ tére

36 èt dj’ so todi fwért èt hêtî,

tot fant qu’ dj’a d’vou fé totes lès guéres

èt qwant’ côps l’ toûr dè monde à pîd !

 

On dit qu’ Tatène, c’èst mi k’pagnèye :

40 c’èst m’ crapôde pus vite, volà tot !

Mousse qui vout è l’ grande confrêrèye,

li marièdje n’èst fêt qu’ po lès sots !

C’èst dès-ôtes qui mi qu’on ètchin.ne,

44   dj’i vou-t-èsse lîbe, heûre mi plat-cou;

rin n’ våt l’ marièdje di pôrçulinne :

on s’ qwite, on s’ riplake qwand on vout…

 

Dji passe po l’ påcolèt d’ nosse race,

48    l’ome-ås-hiyètes, li mèssèdjî;

rivûwe, blague, rîrèye, Tchantchès passe…

Ni sintez-ve nin qui dj’ so ‘ne saquî ?

Dj’a d’né m’ no po fé dès gazètes,

52   dès-årmonaks èt dès tchansons,

èt pus d’onk si chève di m’ clapète

po disfinde li dreût dès Walons.

 

  1. Il y a des milliers d’années… — 37. cependant que j’ai dû faire… — 38. qwant’ côps, combien de fois.
  2. Tatène, dimin. de Cat’rène, Catherine; k(i)pagnèye, compagne, dans le sens d’« épouse légitime » (opp. à crapaude, « bonne amie, maîtresse » au v. suivant). — 41. Entre qui veut dans… — 44. plat-cou, petit verre à genièvre, sans pied (DL, fig. 515). — 45. … le mariage de porcelaine (= l’union libre). On sait que la porcelaine est fragile ! — 46. on s’ riplake, on se recolle.
  3. Je passe pour le fétiche (ou le porte-bonheur) de notre race. Sur Påcolèt, nom d’un génie ou lutin bienfaisant, cfr Wallonia, 6, pp. 5-19. — 48. l’homme-aux-sonnettes, le messager; allusions obscures, la seconde surtout. L’ome-ås-hiyètes peut se comprendre au figuré : celui qui avertit (du danger, etc.). C’était l’un des pseudonymes de Théo Bovy dans le journal Li Clabot où il défendait la cause wallonne. — 49. rivûwe, revue théâtrale. Vers 1900, on commença à faire intervenir Tchantchès, considéré comme symbole de l’âme liégeoise, dans les revues jouées au Pavillon de Flore, etc.; rîrèye, risée; ici, désigne plutôt un intermède, une scène amusante. — 51. Allusion à l’hebdomadaire satirique Chanchet (1899-1902). — 52. ârmonac’, almanach. Allusion à l’« Armanak d’à Chanchet > (1905-1910) publié par Jean Bury. — 53-54. et plus d’un se sert de mon bagou / pour défendre… (Chanchet ou Tchanchet, pseudonyme de plusieurs publicistes wallons).

 

(p.235)

Walons, si v’ volez fé ‘ne bèle keûre,

56 ni lèyîz nin roûvî Tchantchès :

fôrdjîz ‘ne fontin.ne avou m’ posteûre

èt s’ hågnez-le so l’ pièce Sint-Lambièt.

Tot s’ win.nant avå nos vinåves,

60  L’ ètrindjîr vinrè dire bondjoû

à vosse Tchantchès… qui n’èst qu’ine fåve,

mins qu’on-z-in.me come s’eûhe vèyou 1′ djoû !

 

[1913-1914?]

Journal Noss’ Pèron, Liège, 2″ année, n° 36, 1er sept. 1921. Nous reproduisons le texte d’après le Bull. Soc. de Litt. Wall., t. 57, 1923, pp. 161-163.

 

53 ine bèle keûre, une belle action, un beau geste. — 57. posteûre, statue. Un « monu­ment Tchantchès » a été inauguré, le 27 septembre 1936, au quartier d’Outre-Meuse, à Liège; la marionnette Tchantchès figure aussi sur l’un des bas-reliefs de la Fontaine de la Tradition, face au Perron liégeois. — 58. et érigez-la sur la place Saint-Lambert. — 59. si win.ner, s’insinuer en serpentant; d’où, ici, flâner; vinåve, « vinable », quartier d’une ville. — 61. à votre Tch. qui n’est qu’un mythe (litt* : une fable). — 62. … comme s’il eût vu le jour.

 

 

(p.236)

EMILE GERARD

(1851-1916)

Né et mort à Liège où il fut employé à l’Hôtel de ville. Sa production dia­lectale est fort abondante : tous les genres sont représentés. Signe particulier : forte tendance à combattre l’alcoolisme et ses fléaux. Cette inspiration mora­lisatrice, Gérard l’avait acquise en conduisant sa muse au cabaret : ce qui lui valut d’appréciables lauriers poétiques et lui coûta son emploi de fonction­naire communal. Quelque dix ans après sa mort, la ville de Liège n’en débaptisa pas moins une rue de son quartier natal de Sainte-Marguerite pour rappeler l’auteur du Discoûrs so l’ tombe d’on cåbaretî…

Ses Œuvres wallonnes, en 4 volumes publiés respectivement en 1890, 1894, 1901 et 1904, rassemblent, en dehors de son théâtre, la multitude des chansons, contes, satires, sonnets, monologues, tableaux de mœurs liégeoises et autres « poésie(s) médaillée(s) » éparpillées dans les journaux et les recueils des sociétés wallonnes auxquels Gérard apportait la collaboration de son talent agréable et facile.

 

74                                                                                                    [Liège]

Li djône fèye

 

C’èsteût ‘ne fèye

ine djône fèye

qui qwèréve à s’ marier : on fleur di fîr bokèt !

4  Ci n’est nin lès galants qu’ måkèt;

mins, lèy, i lî faléve onk come on ‘nnè pèhe wêre :

bê, djône, sûti, qu’avasse li toûr dè plêre,

èt, po l’ boukèt,

8 qu’apwèrtasse, come on dit, l’ pakèt.

C’è-st-ine simince fwért råre. Mins l’amoûr, qu’èst miyope,

amina dès galants, ènn’ amina qui d’ trop’,

èt nosse mamesèle fa l’ mowe so tos lès bons partis.

12 Ci-cial aveût ‘ne trop longue narène,

ci-là dès gngnos cagneûs, in-ôte dès djambes trop fènes,

ou c’èsteût trop grand ou trop p’tit.

« Mi, prinde dès s’-fêts spawetas ? », dihéve nosse målåhèye,

 

 

LA JEUNE FIILE. — D’après La Fontaine, Fables, VII, 5.

  1. … fleur de fier morceau; fleûr ici masc. par syllepse. — 6. sûti, intelligent, malin. — 8. le paquet, c.-à-d. le sac (d’argent). — 15. spaweta, épouvantail. — 18. has1, as (jeu de cartes), ici : quels vilains personnages !; mohon, moineau. —

 

(p.237)

16 « dj’in.mereû mî dè d’morer djône fèye

ou d’èsse bèguène divins ‘ne prîhon !

Sinte-Catrène ! qués lêds bas’ ! i fèt sogne ås mohons !

I n’åreût pus qui l’ dièrin d’ zèls å monde

20   qui dji f’reû co ‘ne creûs d’ssus : qu’i s’alèsse tos fé r’ponde ! ».

Après lès ritches galants, vinît dès bons bordjeûs,

dès-ovrîs, onêtes, corèdjeûs,

èt c’èsta co ‘ne fèye li min.me djeû :

24                 nouk ni conv’néve. « Mi, qu’est si bèle,

dj’îreû sposer ‘n-ovrî?», d’héve-t-èle.

« In-ovrî qu’a deûs neûrès mins ?

Pa ! dj’ sèreû div’nowe sote, sûremint !

28                 Abèye ! volà qu’i r’vint d’ l’ovrèdje,

à l’ nut’, avou s’ såro pèlé,

èt qu’ vint plakî s’ måssî visèdje

conte li meun’ qu’èst si rôse ? dji rodjih d’è pårler ! »

32   Èle fa tant èt si bin qu’èlle èsta-st-èlêdèye

èt qu’ nou djône ome ni louka pus l’ djône fèye.

Et l’adje vinéve avou çoula ! Adiè, lès tchifes totès roselantes !

36          Bèle, tot-asteûre vos raviserez m’ matante.

On pleû s’ mosteûre, on dint ‘nn’ ala;

li tins, qui måy n’abandenêye li bataye,

ava vite rihapé s’ fène taye…

40                 Adiè, galants ! adiè, lès danses !

L’amour por lèye a soné ‘ne transe,

èt nosse håtin.ne, qu’aveût r’ bouté

tant d’ bês marièdjes, trop tård vola hanter.

44  Pèlakes, houlés, må-twèrtchîs come halcrosses,

c’èsteût Piron-parèy : tot l’ monde èsteût à s’ gos’ !

Elle èsta tote binåhe, ni trovant rin d’ mèyeû, dè marier on croufieûs.

 

« Œuvres wallonnes » [1″ série], Liège, 1890, pp. 188-189.

 

  1. faire une croix sur quelqu’un ou sur quelque chose, c’est y renoncer; r(i)ponde, repeindre. — 29. … avec son sarrau usé. — 32. èlêdèye, abandonnée, délaissée (litt* : enlaidie). — 44. houle, boiteux, halcrosse, décrépit, maladif. — 45. C’était Piron-pareil : locution liég. signifiant : cela revenait au même. — 47. d’épouser un bossu. — Dans le recueil, la fable s’achève par une morale de deux vers : Pus d’eune di s’ fåte dimeûre vèye pène [vieille plume] //’ èt n’èst qu’ine grosse bouhale tot s’ pinsant fwért malène.

 

 

(p.238)

75

Ine pårtèye di plêsîr

 

Monologue (Extraits suivis)

 

Kibin n’avans-gne nin bu d’ toûrnêyes ?              Vv. 1-24

Ma fwè, dj’ m’è sovêrè lontins !

On a tût’lé tote li djoûrnêye

4   djusqu’à d’vès treûs-eûres å matin.

Oûy, dji so come ine vrêye clicote,

dji n’ pou magnî, rin aduser.

Diu ! qué må d’ coûr… Dji n’ veû pus gote…

(Tot fant dès mowes èt prèt’ à vômi)

8   A ! come dji m’a bin amûsé !

 

Kimint qu’ dj’a r’trové l’ pwète di m’ tchambe,

ci n’èst nin mi qui v’s-èl dîrè,

ca dji n’ tinéve pus so mes djambes,

12  tot qwitant l’ dièrin cabaret.

Djusqu’å fond dès grés di m’ montêye,

so cou, so tièsse, dj’a barlôzé.

(Sintant s’ narène èt djèmihani)

Elle è-st-à treûs qwårts sipatêye…

16   A ! come dji m’a bin amûsé !

 

C’è-st-avou ‘ne bande di camèrådes,

dès vrêys ian’ qui dj’ m’a-st-astårdjî;

mins inte lès vêres èt lès hahelådes,

20   ine carèle a v’nou tot candjî.

Po fini, survina ‘ne bataye,

èt mi qu’ po l’ påy aveût djåsé,

(/ mosteûre si neûr oûy)

li prumîr, on m’a d’né ‘ne messe daye !

24   A ! come dji m’a bin amûsé !

 

 

UNE PARTIE DE PLAISIR. — Dans chaque strophe sont indiqués entre parenthèses les gestes ou mimiques de l’acteur en scène.

  1. clicote, loque, chiffon. — 6. aduzer, toucher, prendre (ici, de la nourriture). — mowe,

grimace. 13. Jusqu’au bas des marches de mon escalier. — 14. …  j’ai culbuté.

  1. des vrais gaillards que je me suis attardé. — 19. hahelåde, éclat de rire. — 23. … une

raclée d’importance.

 

(p.239) Wice a-dje lèyî m’ tchapê ? Mistére !                    3340

Divins l’ trikebale qu’on a-st-avu,

il a rôlé bin sûr à l’ tére

28  èt tot l’ monde årè triplé d’ssus.

Et m’ paletot don ? C’èst lu qu’èst gåy…

Tot k’hiyî, qu’ va-t-i raviser ?

(Hossant s’ tièsse)

Dji n’ sé si djèl mèt’rè co måy.

32 A ! come dji m’a bin amûsé !

 

(/ droûve si porte-manôye)                               49-5f>

Sèt’ cens’ èt d’mèy ! volà tot l’ rèsse,

fré di Diu ! dès qwinze francs qu’ dj’aveû !

Rin qu’ çoula foû d’ treûs blankès pèces,

32 quéle arèdje si m’ feume èl saveût !

Si dj’ trovéve po catchî l’ afêre

quéke ficèle… Lèyîz-me don tûser…

(I mèt on deût so s’ front èt tûse)

S’èle brêt, mi, po m’ pårt, dji m’ va têre.

40 A ! come dji m’a bin amûsé !

 

Asteûre, po l’ovrèdje, c’èst bèrnike :                     6S-f’n

dj’a l’ cwér malåde come on blanc deût;

mètez-me près d’on mwért qui ravike

44 èt dj’ sèrè co l’pus lêd dès deûs.

Oûy, nèni, dji n’ vå nin ‘ne cûte pome,

èt tant beûre, après tot d’viser,

dji troûve qui c’èst bin bièsse po l’ ome !

(Avou colère èt hiketant’)

48    Est-ce çoula qu’on nome s’amûser ?

 

« Œuvres wallonnes, troisième série », Liège, 1901, pp. 171-173. Paru d’abord dans Bull. Soc. de Litt. wall., t. 35, 1894, pp. 181-184.

 

  1. trikebale, tohu-bohu, mêlée. — 28. et tout le monde l’aura piétiné.
  2. … hors de trois pièces blanches (= pièces de 5 francs). — 38. … laissez-moi donc réfléchir.
  3. … comme un doigt blanc (= un panaris). — 43. … auprès d’un mort qui reprend vie (image burlesque). 47 bis. hiketer, hoqueter.

 

 

(p.240) 76    Åtoû dè 1′ grand-mére

 

« Pitits mètchants, ni d’meûrerez-ve måy

ine munute, rin qu’ine seûle, è påy ?

Vos n’ fez qu’ dè cori, dè potcheter,

4 si bin qu’ dji n’ pou ‘ne gote m’èssometer.

Vos v’nez co d’ cafougnî m’ gåmète,

qui torade, si frisse, dji vin d’ mète…

Et dîre qui tot m’ boneûr, vo-le-là :

8  cès-èfants là !

 

Si vos n’èstîz nin si hayåves,

po v’s-amûser dji v’ contereû ‘ne fåve,

li fåve dè grand leûp qu’ magne l’ognê,

12  qu’èsteût si blanc, si doûs, si bê !

mins volà qu’ vos m’ sètchîz po l’ cote,

èt dj’ pièd’ mès ponts qwand dji tricote…

Bon Diu ! çou qu’ is m’ dinèt d’ tracas,

16          cès-èfants là !

 

Pace qui v’ vèyez qui dj’ so trop bone,

vos ristoûrnez tote mi mohone.

Bon! volà m’ bleû våse rivièrsé…

20   èco bin qu’i n’èst nin cassé !

Qwand vosse grand-pére fa mi k’nohance,

i mèl dina… C’è-st-ine sovenance.

S’is savît qu’ c’èst m’ trésôr, çoula,

24          cès-èfants là !

Sint Nicolèy, come chake an.nêye,

à l’ samin.ne deût v’ni fé s’ toûrnêye.

 

 

AUTOUR DE LA GRAND-MERE

  1. mètchant a ici un sens fort atténué, proche de: espiègle, câlin. — 4. … que je ne puis un peu sommeiller. — 5. cafougnî, froisser, chiffonner; gåmète, béguin, coiffe portée jadis par les vieilles femmes (DL, fig. 310).
  2. hayåve, ennuyeux, difficile (litt1 : haïssable). — 14. … mes points (mailles de tricot).
  3. Saint Nicolas, dont la fête est célébrée le 6 décembre, est en Belgique l’équivalent du Père Noël; les enfants, s’ils sont sages (cfr v. 28 : binamé, gentil), reçoivent ce jour-là jouets et friandises.

 

(p.241) Qu’i vinse ! èt mi, dj’ lî va noumer

28   tot quî n’a nin stu binamé.

Dji lî dîrè min.me kibin d’ fèyes

qui m’ boule di lin.ne a stu catchèye…

C’è-st-insi qui todi dj’ lès-a,

32          cès-èfants-là!

 

Mins vo-r’-cial ine bande inte mès brès’,

èt djusqu’å tot dièrin m’ carèsse…

Mès sîh amours ! so mès deûs gngnos,

36   dji n’ såreû portant v’ mète turtos !

Qwand dji v’ louke rîre, djônès tièsses blondes,

i m’ son.ne qui dji n’ so pus so l’ monde…

Is m’ drovèt l’ paradis dèdjà,

40           cès-èfants-là ! »

 

Insi pårléve li bone grand-mére,

tote bahowe, ossi vèye qui tére.

Sès-oûys divenît frèh tot sintant

44   dès p’titès mins d’vins sès dj’vès blancs.

Mutwè sondjîve-t-èle qui bin vite

sonereût l’eûre wice qu’i fåt qu’on s’ qwite…

Et, r’ssouwant ‘ne låme, èle rabrèssa

48           cès-èfants-là !

 

« Œuvres wallonnes, troisième série », Liège, 1901, pp. 7-8.

 

  1. toute courbée, aussi vieille que [la] terre. — 47. Et, essuyant une larme, elle embrassa.

 

 

(p.242)

CHARLES GOTHIER

(1851-1920)

Fils d’un maître d’école devenu libraire, cadet d’une famille de neuf enfants, Charles Gothier, né et mort à Liège, entra en apprentissage chez un imprimeur sans avoir pu achever ses classes primaires. Engagé à la Gazette de Liège comme typographe, il s’établit par la suite imprimeur au quartier Saint-Léonard.

Grand liseur, conférencier de la « Société Franklin », taquinant la muse en français et en wallon, il a laissé, avec quelques pièces de théâtre, deux plaquettes de « badinages » d’un tour aisé, parfois spirituel : Loisirs d’un Liégeois (1897) et, en collaboration avec Victor Collette, On tchètê d’ croies bilokes [Un panier de juteuses reines-claudes] (1905).

 

77                                                                                                     [Liège]

Li p’tite pasquêye

(Air : Le portrait de ma tante)

 

Ine sise d’iviér qui nos gastîs,

tot tapant tot bonemint ‘ne copène,

dji sintéve li djôye nos brognî,

4   omes èt feumes fît turtos ‘ne seûre mène,

qwand tot d’on côp, ‘ne djône fèye intra

qui nos dèrit d’ine vwès nozêye :

« Si v’ volez rîre, è bin, vo-m’-là,

8   dji so li p’tite paskêye ! »

 

 

LA CHANSONNETTE. — La forme courante à Liège est paskêye (avec e bref) et non pasquêye. Sur le terme lui-même, dont les nuances peuvent varier suivant le contexte, cfr la note au bas de la notice du n° 8.

 

  1. sîse, veillée, soirée; gaster, faire bombance, banqueter. — 2. taper ‘ne copène, deviser, bavarder entre amis. — 3. brognî, bouder. — 6. … d’une voix fraîche. La syntaxe wallonne exigerait d’ine nozêye vwès, mais la rime…

 

(p.243)

Elle aveût lès-oûys dispièrtés

èt qui blawetît come deûs tchandèles,

on p’tit bonikèt so l’ costé :

12   Djans ! come ine andje, elle èsteût bèle !

Dji lî vèyéve si p’tit molèt

dizos ‘ne cote frisse come ine rosêye…

Vigreûse come on fåssé valèt,

16  volà li p’tite paskêye !

 

Èle nos dèrit : « D’on hèna d’ vin,

on m’ batisa qwand dj’èsteû djône.

Dj’a tofér èlêdi l’årdjint,

20    li nawerèye n’aqwîrt qui dès pônes :

l’ovrèdje, lu, nos rind l’ coûr djoyeûs.

Pingnî deûr, volà m’ dèstinêye !

Ossu, crèyez-me, c’è-st-è l’ovreû

24           qu’on-z-ôt li p’tite paskêye ».

 

Di nosse tåve, èle fa vite li toûr,

èt, dizos sès doûcès carèsses,

dji sintéve rishandi tot m’ coûr

28 èt m’ song’ boléve come è m’ djônèsse.

Dji v’ dîre l’ vrêy come à k’fèchon :

mågré qui m’ tièsse divint pèlêye,

à m’ vwèzène dji fa racatchon,

32          cåse di li p’tite paskêye !

 

Èle nos fève haheler po dès rins,

èt dj’ lî dèri : « Mi djône kimére,

dji vôreû bin k’noke vosse pårin,

36   ci deût-èsse on djoyeûs compére !

 

 

  1. bonikèt, petit bonnet (de femme ou d’enfant). — 15. Vigoureuse comme un garçon manqué.
  2. hèna, petit verre. — 19. J’ai toujours délaissé l’argent. — 20. nawerèye, paresse. — 22. Travailler dur…; pingnî a, dans ce sens, une valeur expressive proche de l’argot fr. bosser. — 23. ovreû (litt. : ouvroir), atelier.
  3. ri(s)handi, réchauffer. — 28. et mon sang bouillonnait… (la forme de l’infin. est boûre). — 29. … le vrai comme à confesse. — 31. fé racatchon, faire des chatouilles (fam).
  4. haheler, rire aux éclats. — 38. èstoumaké, stupéfié. — 39. le banquet wallon, c.-à-d. celui qui, chaque année en décembre, réunissait autrefois les membres de la Société de Littérature wallonne et leurs invités; les chansonniers ne manquaient pas d’y produire leurs œuvres qui étaient alors publiées le plus souvent dans l’Annuaire de la Société. C’est le cas de notre pièce, chantée par son auteur au 25* banquet, le 12 décembre 1891.

 

(p.244)

— Kimint, vos nèl kinohez don ? »,

rèsponda-t-èle èstoumakêye.

« Mi pårin, c’èst l’ Bankèt walon :

40           il a lèvé l’ paskêye ! ».

 

Ann. Soc. de Litt. wall, t. 13, 1892, pp. 152-153. Reproduit, avec de légères variantes, dans le recueil de Ch. G., Loisirs d’un Liégeois, Liège, 1897, pp. 7-8.

 

  1. lèver, lever, au sens de tenir sur les fonts baptismaux, d’où : être parrain.

 

 

(p.245)

HENRY RAVELINE

(1852-1938)

 

Pseudonyme en littérature du docteur Valentin Van Hassel, né et mort à Pâturages. Pionnier de la chirurgie et de la médecine industrielles, il se dépensa, soixante années durant, au service de la population, souvent déshé­ritée, du pays minier qu’était le Borinage. Comme pour mieux s’identifier à lui, il emprunta au parler de ses bouilleurs le nom du pic de havage, la raveline, pour signer quantité de faufes et quelques canchons auxquelles s’ajoutent une trentaine de pièces de théâtre (dont certaines n’ont paru qu’en version française).

L’œuvre du conteur borain que fut avant tout Henry Raveline comprend des recueils en français et en patois. Ces derniers rassemblent des textes imprimés d’abord dans des gazettes de Mons et du Borinage : Pou dire à l’èscriène [Pour dire à la veillée] (1908), Volez co dès-istwâres ? In v’ià! (1913), Coud, c’est l’ Diâpe ! (1914), El eu de l’ mante [Le fond du panier] (1935). Leur supériorité sur les œuvres françaises de l’auteur leur vient de la richesse d’un dialecte à la fois naïf et enjoué, capable de conférer aux êtres et aux choses un relief inattendu. Mais l’esprit local lui-même est dépassé : bien que souvent puisés dans la tradition, ces nouveaux « contes drolatiques » débouchent dans une espèce de fantastique partagé entre le réalisme et le merveilleux. Et la fiction, lorsqu’elle renonce au récit, à l’histoire contée pour le plaisir, devient tout naturellement prose poétique, comme le montre le recueil (inédit dans son ensemble) de Canchons pou lès brèyoûs [Chansons pour ceux qui pleurent] dont nous reproduisons trois extraits, le dernier avec traduction.

Il est regrettable que l’œuvre d’Henry Raveline, théâtre compris, ne soit pas davantage connue, ne fût-ce que par une bonne édition de pages choisies.

 

78                                                                                              [Pâturages]

Lentégn dou Dâné

^

l carbenier Lentégn dou Dâné et toudi in-guénse. I r’nètiot ‘ne pente d’in avalon, i r’iapot P jenéve corne en trô in tous lès cabarets. Eyèt quand tous lès bourdons djuguelôt’ in s’ tiète, il inralot in

 

VALENTIN DU DAMNÉ (sobriquet). — Dans les mots à finale -in, certains parlers borains font entendre un n mouillé, noté ici par -gn (voy. ci-après fégn, fin, gardégn, jardin, malégn, etc.)

 

  1. carbenier, ouvrier mineur (litt1 : charbonnier); et, était, guénse, accès d’ivresse, ribote (il a fait ‘ne guénse au fnévé}’, in-guénse, ivre (senti d’ordinaire comme un seul mot). —
  2. avalon, gorgée. — 3. djuguelôt’, folâtraient. — 4. djéndjiner,  marcher de guingois, tituber; bourbeter, rêler, barboter, bougonner. —

 

(p.246)

4 djéndjinant, in bourbetant, in rêlant, in djurant; i f’zot 1′ vîe d’infêr à s’ fème, i 1′ batot corne in skiflot d’ saule, i flônot su sès-èfants corne su dès garbes d’avêne — i d-awot autant que d’vins ‘ne couvée d’ glènes — èyèt i finichot toudi pa s’ coukier su lès cayôs,

8    d’ié 1′ fier de feu, pou s’indormi.

Quand il et à s’ naturel, il et aussi bon qu’en rond’légn de deûs yards; mes quand il awot fait deûs-twâs capèles, i n’ se counichot pus, i d-alot au mau t’t-aussi aizîl’nùnt que 1′ plêve keûrt au rî.

12    On dit toudi : quand 1′ diâpe en’ set gné d-aler à ‘ne sadju, il inwîe dou j’néve.

En djoû qu’il awot rompu tout au cabaret, qu’i s’awot batu et qu’il awot fait les quate cints côps, i-l-a eûgn de ses amis’ qui 11 a dit :

16    « Si tou continues, Lentégn, ed’ t’aré bié rade à spales. »

El rébus’ n’awot gné ‘ne mile fait trâner Lentégn. I s’in foutot corne d’en vièy clô. Il awot bu corne ed’vant. Tous lès lampéyes et’ bones pour li. Il awot toudi s’ cwêr cru. I n’awot foke peu

20    d’awô swo en djoû. Coula, c’est ‘ne maladîye qu’ les biètes à visâje d’ome ont co souvint.

G’né lonmint après, Lentégn et dèskindu à fosse ave Gusse, ès’n-ome de coupe; i tapot in veine ave s’ rav’line, sans ravêtier

24    à s’ djeû.

« Wêh ! Lentégn, dist-i Faute, vête à ti ! Mets dou bos à courone, ou bié nous d-alons awô en maleûr!… »

 

  1. … comme un sifflet de saule: pour fabriquer un sifflet avec du bois vert, on frappe d’abord l’écorce longuement, à coups répétés. — 6. … comme sur des gerbes d’avoine. — 7. glène, poule.

9-10. … un « rondelin » de deux liards (pièce de monnaie). — 10. capèle, chapelle, au sens de cabaret. — 11. il allait au mal…; sur le d, cfr la note 3 du n° 66; aiâl’mint,

aisément.

12-13. quand le diable ne parvient (litt* : ne sait) pas aller quelque part, il envoie du genièvre, c.-à-d. il utilise le moyen de l’ivresse.

  1. … je t’aurai bientôt aux épaules, sous-entendu: pour porter ton cercueil.
  2. Le propos n’avait pas le moins du monde (litt* : une miette) fait trembler L. — 19. … toujours l’estomac aigre (d’où le besoin d’une petite goutte…). — 20-21. Il avait seulement peur d’avoir un jour soif; sur foke,  cfr la note 20-21  du n° 34.

22-23 … était descendu dans la mine avec Auguste, son «homme de couple», c.-à-d. son compagnon de travail (cfr P. ruelle, Le vocabulaire professionnel du houilleur borain, Bruxelles, 1953, pp. 58-59). — 23-24. il frappait dans la veine avec son pic, sans regarder à son jeu (= sans faire attention).

  1. Mets du bois pour maintenir le plafond; le t. de mine courone est expliqué par P. Ruelle, op. cit., pp. 59 et 137-139.

 

(p.247)

I  v’not d’ dire coula qu’en crokiâje es’ fait; ène grosse cwérèle

28   kêt; èle èskwate Gusse tout parèy qu’ène figote.

Dou côp, Lentégn s’a sauvé in criyant lès mourtes. Quand on a ôyu dèbarassé Gusse, il et mort. Lentégn tranot, sclakiot dès dints; il et pus vert qu’ène sûrièle; il et là corne si on li awot compé

32 1′ rachène de s’ cwêr; i n’ sawot pus s’ rapapier. Il a folu qu’on U’èrmontisse au djoû, qu’on 1′ mênisse bwâre ène goûte. D’eune i d-a bu deûs; i d-a avalé quate…, sî, chèt’… Ene eûre après, il et plagn corne ène andouye; i n’ pinsot pus à s’n-ome de coupe,

36 qu’il awot twé… Il awot dou michant in li. I volot disputer, s’ bâte… Mes, il a ôyu biau prêcher, i n’a nourui qui li a rèspondu. Au fégn, il a pris ses arnas, pou inraler à s’ maison, in disant : « Bah ! si on d’vot s’ fé dou mau pou tous l’s-autes, on arot

40 ‘ne tiète corne ène tourpîe… Gusse est twé!… C’est co eûgn hors dès vôes ! »

II  a sclakyé l’uch, il est parti.

Corne il ét-au cwégn dou cimintiêre, il a ‘ne petite nwâre fème

44    qu’a passé d’ié li, in 1′ riftant, èyèt qui li a dit : « Lentégn, tou

vas morî ! Dèspêche-té !… Tou vas morî !

— Hein !   a-t-i dit Lentégn,  qu’awot 1′  licote et  qui d-alot in

fourfèyant.  « Ed’ vô morî? Qui ç’ qui dit coula?».

48    II a ôyu biau s’èrtourner, ravêtier… I n’awot pus nourui.

« Qu’est ç’ que c’est d’ coula pou ène avèrtance ? », a-t-i pinsé,

in continuant à arpinter 1′ pavé, in f’zant dès fourlaches.

Il a dèskindu 1′ piesinte tout dequ’au rî. Doûlà, il a vu deûs fèmes,

52   ave leû visâje muché pas d’zous leû nwâr mouscwo à comètes;

èles rimplichôt’ leûs sayaus…

« Pouqué, a-t-i dit Lentégn, v’nez pindant 1′ nuit’ que d’ l’iau

 

  1. crokiâje, « affaissement brusque du toit sur une étendue considérable d’une taille * (ibid.,   p.   62);   cwérèle,   var.   de   cwêrlasse   (ibid.,   p.   66),   psammite,   grès   houiller.   —
  2. èskwater, écraser; figote, fruit séché.
  3. «crier les  meurtres»,  c.-à-d.  hurler  de  terreur  ou  de  souffrance.  •—•  31.  sûrièle, oseille. — 31-32 … coupé la racine de son cœur. — 38. ses arnas, ses outils, son matériel. 44. rifter, frôler. — 46. licote, hoquet. — 47. fourfèyer, chercher à l’aveuglette.
  4. fourlache, excentricité; ici, allusion à la démarche ou aux propos bizarres de L. 52. … caché sous leur noir fichu (litt* : mouchoir) à coins.
  5. que (inf. comme fé), quérir, chercher. — 55. … comme un «taquet», pièce de fer mobile qui rentre et sort à chaque manœuvre de la cage, dans un puits de charbonnage (P. Ruelle, op. cit., p. 181).

 

(p.248)

au rî?… Vous-avez co fait d-aler vou langue corne en taquet,

56   t’t-au long dou djoû !

—  Nous stons v’nues que d’ l’iau, a-t-èle dit l’eune, pou r’nètier F maison Lentégn dou Dâné, qui va morî, èyèt qu’on va ramener…

— Que disez ? a-t-i dit Lentégn. C’è-st-a foutâje de djins qu’ vous

60   racontez dès parèyes  foufèrnayes ?  Lentégn  en’  pwèt co mau

d’ morî !

—  Lentégn est condâné !, a-t-èle dit l’aute fème.

—  Taiche-tè,  vièye  sorcière !   On  t’ascout’ra  quand F  co  dou

64   clokier s’invol’ra… Si t’es dès-omes, de t’ mambourn’ro ène mîlète

pour F mau qu’ tou vès m’ bayer !… »

Adon, Lentégn est d-alé, tout in cantant, tout in chuflant, pus

franc qu’en bosteûs.

68    I f’zot tout nwâr nuit’. I n’awot foke deûs-twâs stwales pièrdues

in les nuées.

Ène mîlète pus  avant,  corne i montot, in rastenant s’ poûssi,

F voleté qui mène au Coron, v’ià qu’i buske ed’vins én-ome qui

72   courot.

« Wêh ! l’orne, ayu d-alez si rade à ç’ n-eûre-ci ? », a-t-i d’mandé

F carbenier.

—  « En’ m’astardjez gné ! Ed’ su F menusier dou R’nâ; ed’ keûr

76   prinde mesure pou F cèrkeuil Lentégn dou Dâné, qu’on va ramener

mort…

—  Mile Dieûs ! Tou t’ fous d’ mi, corne èls-autes ! Tégn ! Via pou t’aprinde !… »

80   Èyèt il a tapé tous ses pus fô, ave s’ pwégn frumé, corne pou assoumer F menuisier. Mes ç’ti-cile et d’djà bié Ion… On intindot ses chabots su lès pavés dou grand k’mégn. « Qu’èst-ç’ qu’i leû prind, à tous ces mau avizés-là, ed’ dire que

84   d’  vô morî,  que d’  su mort…  D’ai ‘ne pwatrène in-n-achi…

 

 

59-60. C’est pour vous foutre des gens que vous contez de semblables sornettes ?

  1. Si tu étais des hommes, je te secouerais un brin… 67. bosteûs, boiteux.

70-71.  …  comme il montait,  en retenant son souffle, le petit chemin qui  conduit au Coron (lieu-dit), voilà qu’il heurte un homme…

  1. achi, acier.

 

(p.249)

El prumier qu’ asprwêve co d’ moufter ara s’n-af aire cuite !… » Lentégn, co tout inhufté, sintot s’ sang boulî. I tèrsolichot. I d-alot tout bèl’mint in ouvrant sès-yés, pou vî s’il arot co ‘ne

88   djint qu’ ôz’rot li in dire ène si michante…

Tout-in montant, il awot sakié ses chabots, i s’in d-alot in n-aguignant, in n-ascoutant… Tout à ces côps, i s’a arête.

« Ah ! I m’ chane à vî que v’ià lauvau en gayard qui m’atind,

92    conte èl pignon, èyèt qui pinse venî m’ fé peu corne èls-autes… Atind !… atind ! »

Adon, pus subtil qu’en cat, Lentégn a sauté, a coureû, a bayé en côp d’ tiète in 1′ panche de l’orne… èyèt… èyèt… sans en

96   souspîr, tout parèy à ‘ne choque de bos, i s’a r’vèrni su l’aire de vôe, assoumé.

Cou qu’il awot pris pou én-ome, c’ét en gros potiau d’ l’êse d’en gardégn…

100   Lentégn dou Dâné et mort…

El lind’magn, à 1′ piqueté dou djoû, ène fème qui passot, 11-a vu stièrni à têre.

« Lentégn a co fait ‘ne fatale guénse, hier ! » a-t-èle dit.

104   Elle a oyu biau l’arlocher. C’ét tout’ !

Lentégn dou Dâné et parti bié Ion, bié Ion, pou en pèyis ayu ç’ qu’on rinte pa én-uch de sî pies, qu’on r’frume tout d’ suite ave d’ l’argîe…

 

« Pou dire à l’eschrienne », Dour, 1908, pp.  131-135.

 

  1. … qui essaie encore de dire un mot…
  2. inhufté, excité par la boisson; tèrsolt, tressaillir. — 87. bèl’mint, doucement. 89-90. aguigner, guetter.
  3. i m’ chane à vî, il me semble (litt* : il me semble à voir).

96-97. … semblable à un morceau de bois, il est tombé à la renverse sur le sol (litt* : sur l’aire de voie).

  1. êse, barrière.
  2. … une fameuse ribote.
  3. arlocher, agiter, secouer; c’ét tout’, c’était fini.

105-107.  …  un pays où on rentre par une porte de six pieds  qu’on referme  aussitôt avec de l’argile.

 

(p.250)

79      L’Amoûr

 

En djoû, èl pus vièy dès bons Diès fzot cuire es’ fricot tout-à-s’n-aise. Pindant qu’èl marmite boulot, i s’a mis à s’ fèrniète et il est d’venu tout donte, ‘t-in r’pinsant. I v’not d’ vî su F têre lès 4 garçons et lès fies, qu’il avot pièstri ave de F fine argîe, es’ fé dès michants-yeûs, es’ bayer dès côps d’ pwéngn, s’ingueuler, es’ carougner… I n’ d-awot djamins eûgn de yeûs’ qui cachot à fé ‘ne caresse ou biè à bayer ‘ne baise à ‘ne-n-aute.

8 « Ça n’ pout gnié durer ! » dèst-i F pus vièy dès bons Diès. « I vont mon tèrtout’ sans lèyer d’êfants; i n’ara plus foke dès-ours’, dès leûs, dès cats-coraus, dès queues-d’-sorite èyèt dès poûs su têre. I m’ faut vêtier à mète orde à coula. »

12 II a mindjé ‘ne bone platée d’ès’ fricot; il a bu ‘ne bone jate de café; il a aleumé s’ pipe èyèt s’a mis à buzier, à rabouler dès plans èyèt co dès plans in s’ tiète. Au féngn, il a co raleumé s’ pipe qu’il avoit lèyé stinde ‘t-in s’èrpinsant, èyèt il est d-alé que

16   en nwé caudron. Il a mis d’ Fiau d’vins, ène pougnie d’ se, et il a atindu qu’ coula fourboulisse à skèmes, su F potière. Quand Fiau s’a mis à canter, il a rwé ène brachie d’ biau salô d’ Djulèf, saquantes goûtes de blanke rosée d’ Mai, ène èclér de

20 l’orâche d’A-oûf, èyèt il a toukié èyèt touyé ave ‘ne grande louche in n-ôr. Quand tout a ôyu sté bié à dalâche, il a fait passer su F boubou én-n-air de musique, eû-gn que lès stwales cant’tè in s’ pourmenant — ène musique que lès-ornes n’intinftè gnié —; il

24 a spardu dou flair, dou bon flair de damas et d’ayèt; inféngn ène canchon dou vint d’esté, dou vint qui fait tant d’ bié quand i passe su nous tiètes, au nuit’…

 

L’AMOUR

  1. … le plus vieux des bons Dieux faisait cuire son fricot… — 3. … tout penaud, en songeant. — 6. es’ carougner, se quereller.
  2. … des loups, des chats sauvages, des chauves-souris et des poux…
  3. buzier, réfléchir. — 15-16. … et il est allé chercher un chaudron neuf. — 17 … que le tout bouille [jusqu’]à l’écume, sur la « potière » (= instrument qui supporte la marmite sur le feu).
  4. brachie, brassée; salô, soleil. — 20. toukier, plonger, tremper; touyer, mélanger. •— 21. à dalâche, en train, en action. — 22. su V boubou, sur ce qui bouillait. — 24. … du bon parfum de julienne et de narcisse des prés.

 

(p.251)

Tout-in touyant, il a co stikié aute chose in 1′ caudron : lès rouchès

28   couleurs de 1′ piqueté dou djoû, èyèt co après, saquants bat’mints d’ cwêr de nos pus biaus camps d’ blé… Il a touyé lonmint, toudi touyé… El louche d-alot sans s’èrpoûser. C’est seûl’mint adon qu’il a versé bèl’mint, tout bèl’mint, èl vali-

32 chance d’en bac de tindrèsse èyèt co éne onche de sot’rie. Corne i brêyot d’ binêsté d’awo fait ‘ne parèye èrcète, il a lèyé kèyî d’vins tout coula deûs trwas larmes de bon grand-pé… Pou fini, il a s’mé pa d’zeûr, ‘t-in gratant s’n-orèye, ène grosse pénchie

36   d’ lostrie.

En quart d’eûre après, gnié pus’, gnié mwins’, i wîdjot dou caudron en biau p’tit êfant qui riyot, qui f’zot dès guignètes et qu’inwayot dès baises in tous lès sins.

40 En’ c’ét gnié en pénchon gnié ‘ne alowète, èyèt pourtant il awot dès blancs p’nas, èyèt i s’involot d’en cwéngn à Faute… En’ c’ét gnié ‘ne rosé gnié ‘ne magrite, èyèt pourtant il imbaumot pa dès bonès sinteûrs… En’ c’ét gnié dou vint, èyèt pourtant on s’ sintot

44   caressé come pa én-n-air doux et caud.

C’ét en djambot, en biau p’tit djambot, ave ‘ne tiète d’or toute crolée, en djambot à rouchès machèles, pu maléngn qu’ène archèle et pu losse que 1′ Diâpe. Èç’ djambot-là, c’ét l’Amour.

48 T-aussi rate, franc come en tigneûs, il a moustré 1′ debout d’ès’ nez au pus vièy dès bons Diès — qu’ét s’ pé pourtant… Il a passé pa 1′ fèrniète èyèt s’a involé dou costé de 1′ têre dou monde. Su 1′ côp, èl grand-pé dès bons Diès in-d-a sté ayuri et d’zolé…

52 Mes, in boutant s’ tiète à 1′ fèrniète, i n’a pus intindu lès dèsputes dès garçons et dès fies : i n’a pus foke intindu dès baises èsclakier in tous lès cwéngn, et dès souspirs…

 

31-33. … il a versé doucement, tout doucement le contenu d’une auge de tendresse et en plus une once de folie. Comme il pleurait de joie… — 34. kèyî, tomber. — 35-36. … une grosse pincée de malice.

37-38. v/îdjot, sortait.

  1. pénchon, pinson. — 41. p(è)na, aile.
  2. djambot, bambin. — 46. machèle, joue; malégn, ici : subtil; archèle, branche d’osier. — 47. losse, malicieux.
  3. … franc come un teigneux (loc. popul.). — 53. il n’a plus entendu que des baisers résonner…

56… pour faire sa sieste.

 

(p.252) « Alons ! èl djeû va bié… I d-ira co mwé pus tard ! Dj’ai rûssi ! »

56   s’a-t-i dit, in d-alant s’èstinde su s’ payasse pou fé s’ niquèt. H awot gangné s’ djournée…

 

La Vie wallonne, t. 21, 1947, pp. 289-291 (avec trad. de M. piron).

 

 

80

El canchon d’ l’alowète

 

Pou fé bié passer nou temps, èd’ vous dirai ‘ne petite can­chon : èd’ vous cant’rai èl ceune de l’alowète qui s’indôrt in 1′ trânèle.

4 L’alowète, qu’est fô rêleûse, en’ sawot djamins s’ taire. Tout-in s’ coukyant, èle cantot pou sawo si èle s’intindot co li-minme. Es’ grêle canchon wîdjot d’ès’ goyé ‘t-aussi bèl’mint qu’en souspir. Mes si bèl’mint qu’èle ne s’intindot gnié ‘ne mile.

8 I passe pa-d’vins 1′ piésinte en carbenier d’ vent-ans qui d-alot tout-in chuflant, ave ses magn in ses pochètes èyèt, pa-d’zous s’ bras, es’ malète.

L’alowète èrlièfe es’ petite tiète  avèrlue :   « Dèspêche-tè »  qu’èle

12   dèt in s’èskeûzant.  « Douze eûres vont bié rade soner èyèt tou keurs co lès camps !

— O ! de n’ pwè mau de d-aler in m’ lit’ ! Èd m’in vô r’binder in m’ taye, èrbinder pou awo dès yards pou bié fé 1′ ducasse… »

 

 

LA CHANSON DE L’ALOUETTE

  1. trânèle, trèfle.
  2. … qui est fort bavarde.
  3. … sortait de son gosier aussi doucement…

9-10. tout en sifflant, avec ses mains en poche et, sous son bras, sa « malette », c.-à-d. le « petit sac en toile dans lequel les bouilleurs enveloppent leurs tartines » (P. Ruelle, op. cit., p. 131).

  1. avèrlu, espiègle, éveillé. — 12. in s’èskeûzant, en se secouant; douze eûres, ici : minuit.
  2. èrbinder, effectuer une èrbinde, c.-à-d. une prestation supplémentaire; taye, « taille », partie de la mine où l’on abat le charbon.

 

(p.253)

16   Après saquantes r’bindes faites, èl carbenier, qui f’zot rangu’ner ène bone pougnie d’ pièches chonq francs, est d-alé à 1′ ducasse pou vî lès fiyes. Pa yu d-alot tourner s’ car ? Èles li chanôt’ bêles tèrtoutes. Pèrdrot-i

20   ‘ne rousse ou bié ‘ne nwarète ? Sarot-i Charlotte, Cat’rène ou bié Zabèle?…

Inféngn, èl rousse Zabèle a oyu tous lès chances. Èl carbenier s’a marié avec… L’alowète, qui l’a rade soyu, a dit qu’ c’ét ‘ne

24   misère de pus !

 

Ibid., pp. 291-292.

 

81

El galant d’zolé

 

Èdvins m’ courti, 1′ salô a tout fait florî : lès magrites et lès caudrons;

èyèt m’ cwêr a flori ètou corne én-n-ayèt, in viyant dès biaus nwars-yés.

Il a flori corne én-n-ayèt, in rincontrant ène fiye. Èd’ li ai dit qu’elle

et bêle corne ène èstwale; èle n’a gnié voulu m’ascouter.

A l’èrvenue dou temps, lès-alowètes vont canter, lès-âs vont florî, lès

piquetés et lès damas, èyèt lès cwêrs dès garçons êtou.

Les bêles fleurs saront binaises d’été cwayies; lès cwêrs de mès-amis’

cant’ront èyèt saront eureûs ètou èd’lé leûs métrèsses.

 

16-17. … qui faisait tinter une bonne poignée de pièces de cinq francs…

  1. Par où allait-il tourner son char (= fixer son choix). Elles lui semblaient toutes belles. — 23. … qui l’a vite su…

 

Traduction L’AMOUREUX DÉSOLÉ

Dans mon courtil, le soleil a tout fait fleurir : les marguerites et les renoncules; et mon cœur a fleuri aussi comme un narcisse des prés en voyant de beaux yeux noirs. Il a fleuri comme un narcisse des prés en rencontrant une jeune fille. Je lui ai dit qu’elle était belle comme une étoile; elle n’a pas voulu m’écouter.

Au retour du printemps, les alouettes vont chanter, les haies vont fleurir, les œillets-mignardise et les juliennes-des-dames et les cœurs des garçons aussi. Les belles fleurs seront contentes d’être cueillies; les cœurs de mes amis chanteront et seront heureux également auprès de leurs maîtresses.

 

(p.254)

Mi, èd’ mont’rai su en tèris, pou brêre tout féngn seû, in ravêtyant l’ maison de 1′ bêle fiye qui n’ me vêt gnié.

D’aro bié voulu d-aler d’zous s’ fermeté pou li canter ène douche

canchon : mes quand d’ su arivé, c’ét lès penchons qui cantôt’ à m’

plache.

On a bié s’ pé, on a bié s’ me : on a tout quant qu’i faut pou vîfe…

Mes on est chagréngn quand on n’est gnié ascoute de F ceune qui vous

charme.

Quand on n’ pwèt gnié canter pou l’amour d’ène bêle fiye, qu’est-ce

qu’on fait su ç’ têre-ci ayu-ç’ qu’i n’ devrot foke awo plache pou lès

garçons qu’on wot vol’tié ?

Viyez bié ! Quand on est p’tit, on n’ devrot djamins rire, pace qu’i fait

bié dur au monde… On n’ devrot gnié trouver bon èl lait d’ès’ mamére,

quand i fait si monvais vîfe, pus tard…

 

Ibid., pp. 292-293.

 

Moi, je monterai sur un terris, pour pleurer tout (fin) seul, en contemplant la maison

de la belle fille qui ne me veut pas.

J’aurais bien voulu aller sous sa fenêtre pour lui chanter une douce chanson :  mais,

lorsque je suis arrivé, c’étaient les pinsons qui chantaient à ma place.

On a bien son père, on a bien sa mère : on a tout ce qu’il faut pour vivre… Mais on

est chagrin quand on n’est pas agréé de celle qui vous touche le cœur.

Quand on ne peut chanter pour l’amour d’une belle fille,  que fait-on sur cette terre

où il ne devrait avoir place que pour les garçons qui sont aimés ?

Vous voyez bien ! Quand on est petit, on ne devrait jamais rire, parce que le monde

est bien dur…  On ne devrait jamais trouver bon le lait de sa mère, quand il fait si

mauvais vivre plus tard.

 

Passeû d' êwe (passeur d'eau) (Joseph Vrindts)

(p.255)

JOSEPH VRINDTS

(1855-1940)

 

Enfant du peuple, élevé dans le quartier de Djus-d’là, à Liège, où s’écoulera toute sa vie, Joseph Vrindts exerça, entre autres métiers, celui de cordonnier jusqu’à ce qu’un emploi d’aide-bibliothécaire communal, en 1907, le mette à l’abri du besoin, en lui permettant de poursuivre sa carrière de littérateur wallon.

Celle-ci avait débuté tôt : première chanson imprimée en 1873 et, l’année suivante, admission au Caveau liégeois. Collaborateur, dès l’origine, des jour­naux patoisants Li Spirou (1888) et Li Mèstré (1894), co-fondateur en 1894 de l’« Armanack des Qwate Mathy » dont il assumera seul la rédaction de 1906 à 1910, chansonnier dans l’équipe du premier Cabaret wallon ouvert à Liège (1895-1900), Vrindts déploya une activité soutenue. Il fit jouer une quinzaine de pièces (l’une d’elles, Li sièrmint d’à Grètry, 1908, est restée long­temps au répertoire) et publia, outre un roman wallon, Li pope [La poupée] d’Anvers (1896), sept recueils poétiques dont certains mêlent la prose aux vers : Bouquèt-tot-fêt (1893), Pâhûles rîmes (1897) — que préfaça Maurice Wilmotte —, Lingadje èt ac’sègnance dès fleûrs (1898), Vî Lîdje I (1901), Vîs-êrs èt novês rèspleûs (1907), Vî Lîdje II (1911), Racontûles èt råtchås [Anecdotes et petits riens] (1921). S’y ajoute un volume de chroniques et d’esquisses, Tot tûsant [En songeant] (1924). Toute cette production, assez impressionnante, allait valoir à son auteur le titre de « prince des poètes wallons». Un prince dont le royaume serait le « lèyîz-m’ plorisme » 0). • • Car la poésie de Vrindts, dans sa veine la plus caractéristique, est vouée au culte languissant du passé qui, chez lui, s’accorde ingénuement à l’amour des humbles et des petits bonheurs simples de la vie. Il est dommage que la sensibilité naïve et spontanée qui a fait croire à son génie glisse vers un sentimentalisme stéréotypé et que la voix chevrotante qui lui prête son contour, et parfois son charme, devienne si souvent la voix défaillante d’une diction mal assurée.

 

82                                                                                                    [Liège]

Li passeû d’êwe

(Mélodie de Pierre Van Damme)

 

Dj’han-Piére èsteût r’qwèrou di totes lès djon.nès fèyes,

mins l’ crolé passeû d’êwe riyéve di leûs-amoûrs

3    èt djamåy nole di zèles n’aveût fêt toketer s’ coûr.

 

LE PASSEUR (d’eau)

  1. … n’avait fait battre son cœur.

 

(1) Cfr supra, p.  190.

 

(p.256)

Dè l’ wåmîre å tchèstè, ci n’èsteût qu’ine complinte :

on djåséve dè djon.ne ome, tél qui ç’ fouhe on sègneûr,

6   èt pus d’ine grande madame ènn’åreût fêt s’ monkeûr.

 

Mågré totes lès promèsses, li vîreûs passeû d’êwe

riboutéve li marièdje et lès sètch di skèlins,

9    i n’åreût nin d’né ‘ne cens’ po diveni tchèsturlin.

 

Li passeu d’êwe in.méve ôte tchwè qu’ine tchèsturlin.ne :

si rapècetêye nèçale èt sès vîs navurons

12 lî d’nît dès-ôtès djôyes qui l’ pus bèle dès mayons.

 

A l’êreûr, on l’ vèyéve tot-avå nosse bèle Moûse;

si prôpe vantrin d’ grîse teûle èt si p’tit coûrt såro

15   lî d’nît l’air d’on randahe qu’åreût mêstri lès flots.

 

Nosse clére êwe, po Dj’han-Piére, ridohîve di carèsses;

si vwès, doûce èt nozêye, gruzinéve tot dè lon

18  dès saqwès qu’on tchantéve è nosse payîs walon !

 

— Lès prétins plins d’ sinteûr passèt come dès nûlêyes,

lès tchansons divenèt vîles, on candje d’êr mågré lu,

21 lès rèspleûs qu’on-z-in.méve si roûvièt sins l’ savu…

 

Li nèçale d’à Dj’han-Piére è-st-èvôye dji n’ sé wice !

Dè crolé passeû d’êwe, asteûre, li fåve èst foû.

24 Avou sès vîles candes, i s’ ripwèse ås Tchåtroûs…

 

« Vîs airs èt novês rèspleûs », Liège, 1907, pp. 18-19.

 

  1. wåmire (néol. d’auteur), chaumière. — 6. monkeûr, bonne amie; ici (emploi impropre), amant.
  2. vîreûs, entêté, obstiné. — 8. ribouter, repousser; skèlin, escalin (anc. monnaie); lès sètchs di ~, les sacs de gros sous. — 9. tchèsturlin (néol. d’auteur), châtelain.
  3. sa nacelle (= barque) réparée [grossièrement] et ses vieux avirons. — 12. mayon (= Marion), jeune fille, bonne amie.
  4. A l’aube (la forme authentique est ås-êreûres ou ås-êrs dè djoû). — 14. vantrin, tablier. — 15. on randahe, un gaillard impétueux, un casse-cou.
  5. ridohî, regorger, déborder. — 17. grusiner, fredonner.
  6. … la fable (= l’histoire) est finie (litt. : dehors). — 24. cande, chaland, client; ås Tchåtroûs, aux Chartreux dont le couvent à Liège se trouvait près du cimetière de Robermont; d’où, ici : au cimetière.

 

 

(p.257)

83

Adiè ås vîlès mohones d’å Pont-d’ Bavîre

(Extrait)

 

Mès pôvès d’meûres ! i n’a nin tant              Vv1748

qu’on v’ vèyéve co murer d’ine pèce

è corant qui, d’zos vos fignèsses,

4   passéve si vôye tot glawezinant !

À ! qwand dji m’ rapinse nos rivadjes

èt lès meûrs d’êwe tchèrdjîs d’ mossê,

rimplis d’ craboyes èt d’ nids d’oûhês

  • qui mahît leûs nosés ramadjes

à l’ pèneûse tchanson de molin,

mi coûr si crîve èt, d’vant mès-oûys,

dès-îmådjes qui, djusqu’å rés’ d’oûy,

12 nan.nît dizos l’ poussîre dè Tins,

si dispièrtèt eune après l’ôte.

Dji m’ riveû avou mès sabots

è l’ êwe d’è Såci djusqu’ås gn’gnos,

16 pitit cårpê, mins fèl apôte

qui pèhîve come on marcatchou.

W’è-st-èle èvôye mi vèdje d’ine cens’,

mi coûte lignoûle, èt l’ douce crèyance

20    qui l’ pèheû, sins fé dès-an’tchous,

 

 

ADIEU AUX VIEILLES MAISONS DU PONT-DE-BAVIERE. — Proche de l’hôpital du même nom, le pont de Bavière, appelé aussi pont Saint-Nicolas, fut démoli, avec les maisons voisines, à la fin de 1875, au moment des transformations d’Outre-Meuse. Il recouvrait une branche du bief de Saucy, l’un des bras d’eau qui sillonnaient le quartier et qui furent alors remblayés.

 

1-3. Mes pauvres demeures ! il n’y a pas si longtemps / qu’on vous voyait encore [vous] mirer ensemble / dans le courant… — 4. glaweziner, gazouiller. — 6. et les « murs d’eau » couverts de mousse. — 7. craboyes, trous, aspérités. — 11. … jusqu’aujourd’hui; å rés’ di = au niveau de. — 12. nan.ner (t. enf.), dormir, sommeiller. — 15. dans le bief (litt. : l’eau) de Saucy : voy. ci-dessus. — 16. petit gamin, mais fameux luron. — 17. marcatchou, pêcheur passionné (sobriquet d’un chevalier de la gaule resté légendaire à Liège; DL, fig. 399). — 18-19. vèdje (verge) et lignoûle (petite ligne) désignent la canne à pêche. — 19-22. Ancienne croyance populaire selon laquelle, pour être certain de prendre (haper) du poisson, le pêcheur doit faire trois fois le signe de croix avec la queue de son premier poisson; sins fé d’an’tchous, sans faire d’embarras; genre d’hémistiche-cheville dont la versification de Vrindts est souvent encombrée. — 23. … hors saison, c.-à-d. hors de propos. —

 

(p.258)

po haper deût s’ sègnî treûs fèyes

avou l’ quowe di s’ prumî pèhon ?

Mins, tot çoula, c’èst foû såhon,

24 èt l’ progrès n’a qu’ine seule èvèye :

c’èst dè r’planter lès saqwès d’ vî.

Et vos-ôtes, mès pôves måhîres,

qui m’ rapinsèt li Pont-d’-Bavîre

28 èt nosse Poncé qu’è-st-oûy roûvî,

må pô, v’s-årez fini vosse dag’

èt, lôye-minôye, on v’ roûvîrè !

On roûvèye vite asteûre… Adiè !

32   C’est po tot l’ monde qu’i toûne dè make.

 

‘Vî Lîdje*, t. 2, Liège, 1911, pp. 109-110.

 

  1. r(i)planter, au sens d’enterrer (pour faire disparaître). — 26. måhîre, paroi, d’où, par ext, habitation. — 28. et notre Ponçay (l.-d. survivant aujourd’hui dans un nom de rue du quartier). — 29. (ordt. à må) pô, avant peu; fini s’ dag’, finir sa tâche, faire son temps. — 30. et, peu à peu, on vous oubliera. — 32. C’est pour tout le monde qu’il tourne (du) trèfle : expr. fig. (inédite ?) tirée du jeu de cartes pour signifier que la malchance ou le mauvais sort n’épargne personne.

Henri Simon

(p.259)

HENRI SIMON

(1856-1939)

 

Le plus parfait des poètes wallons. Son unique recueil qu’il consentit à laisser publier par Jean Haust à l’âge de 58 ans décantait l’expérience d’un artiste que l’amour des lettres avait progressivement détourné d’une vocation de peintre.

Né à Liège d’un milieu bourgeois, atteint dès sa plus tendre enfance d’une gibbosité qui l’éloignera de la vie active, orphelin à quinze ans, Henri Simon vécut dans la famille de son tuteur une existence partagée entre la campagne de Lincé-Sprimont et des séjours de plus en plus espacés dans sa ville natale, où il devait finir ses jours. Elève de l’Académie des Beaux-Arts de Liège, après une année de lettres à l’université, Simon séjourna un an à Rome (1883-1884) où son aîné, le peintre liégeois Adrien de Witte, l’aiguilla vers un réalisme qu’il allait mettre en pratique dans la littérature dialectale, après qu’il en eut découvert les ressources au lendemain de Tâtî l’ pèriquî (1885),

A part quelques chansons et les premières esquisses en forme de rondeaux, son œuvre consistera d’abord en comédies d’un ou deux actes; certaines, comme Li bleû-bîhe [Le pigeon biset] (1886) et Li neûre poye [La poule noire] (1893), sont devenues des classiques du théâtre wallon. C’est au tour­nant du siècle que se précise, dans une orientation plus exclusivement poétique, le « Natura duce » qui l’avait inspiré jusqu’alors.

Deux œuvres maîtresses dominent sa production. Les 75 alexandrins de Li mwért di l’åbe font, de la description d’un chêne séculaire qu’on abat, un drame humain. Li Pan dè bon Diu, ce sont les Géorgiques wallonnes; c’est, en 24 courts épisodes, la geste du grain de blé devenu le pain quotidien. Pour ces deux chefs-d’œuvre, le vers s’est libéré de la rime dont l’absence est compensée par un renforcement du rythme intérieur qui distribue les groupes, les coupes et les accents avec un sens accompli de l’harmonie.

La vision contemplatrice de Simon, plus sensible à la ligne qu’à la couleur, est une vision dynamique en ce sens que, d’un geste, d’une action, d’une scène, c’est surtout le mouvement qui l’anime que le poète perçoit : de là, le mouvement du style qui confère à la plupart de ses pages une plénitude faite de l’équilibre entre le choix des détails et la synthèse de l’ensemble, comblée de surcroît par la richesse d’une langue précise et souple.

Ce dernier trait, confirmé par la virtuosité du traducteur de Molière et d’Horace (son Djan’nèsse, partiellement édité, transpose vers par vers le Tartuffe) consacrait Henri Simon comme l’artiste du verbe capable de hausser le dialecte à la dignité d’une langue. C’est ce titre qu’en 1923, l’Académie royale de langue et de littérature françaises (créée à Bruxelles trois ans plus tôt) voulut reconnaître en lui attribuant, dans sa section de philologie, un siège qui est réservé depuis lors à un écrivain dialectal.

Le classicisme d’Henri Simon, qui plaçait la littérature wallonne à son apogée, en déplaçait aussi le centre d’intérêt vers des valeurs plus exigeantes, à la fois esthétiques et humaines. Son exemple a été fécond.

 

(p.260)

84                                                                                                          [Liège]

Li p’tit rôsî

 

È corti d’ nosse mohone i crèhéve on rôsî, i crèhéve on rosi tôt plin d’ lê-m’-è-pâye, i crèhéve on rôsî rimpli d’ tos mèhins

4                 et qu’on n’acontéve nin.

I k’hiyîve si pôve vèye inte deûs rôyes di pâquîs, inte deûs rôyes di pâquîs qui n’ florihèt mây, inte deûs rôyes di pâquîs, ces fleurs di sârcô…

8                 Qui n’ moréve-t-i so 1′ côp !

On djoû, via ‘ne bêle djonne fèye arèstêye è cot’hê, arèstèye è cot’hê rimpli d’ fleurs florèyes, arèstêye è cot’hê d’vant 1′ pôve mèsbrudjî,

12                 qu’on n’aveût mây loukî.

Elle èsteût pôr si frisse, sès-oûy èstît si bês, sès-oûy èstît si bês, — por lu quéle mèrvèye ! — sès-oûy èstît si bês qu’on mirâke si fa :

16                 li rôsî floriha.

I n’ floriha qu’ine rosé ossi blanke qu’on feû-d’-li, ossi blanke qu’on feû-d’-li, v’s-ârîz dit ‘ne nîvaye, ossi blanke qu’on feû-d’-li qui s’ droûve tôt doûç’mint

20    à l’êreur d’à matin.

 

LE PETIT ROSIER. — Ce poème d’amour, unique dans l’œuvre d’Henri Simon, a été composé sur le canevas d’une vieille chanson populaire française que le poète avait entendue de son père et dont il se rappelait seulement la première strophe : « O qu’avez-vous don, belle, si fort que vous pleurez, / si fort que vous pleurez sur le bord de l’île, / si fort que vous pleurez sur le bord de l’eau, / mais auprès du vaisseau ? ». Pour plus de détails, cfr Les Dialectes belgo-romans, t. 1 (1937), pp. 214 ss. et t. 2 (1938), pp. 33 ss.

 

  1. Dans le courtil de notre maison, il croissait un rosier. — 2. lê-m’-è-pâye (litt* : laisse-moi en paix), seul’ dans l’expression (esse) plin d’c^>, (être) maussade, chagrin, accablé d’ennuis. — 3. mèhins, infirmités. — 4. aconter, faire attention à (une personne).
  2. k(i)hiyî, déchirer, déchiqueter, mettre en lambeaux; le vers pourrait se traduire : il usait sa pauvre vie entre deux lignes de buis. — 7. sârcô, tombeau.
  3. cot’hê, comme corti, désigne un jardinet. — 11. mèsbrudjî, infirme, éclopé.
  4. Sur pôr, que l’on rendrait ici approximativement par : vraiment, cfr le n° 36, note 29.
  5. feû-d’-li, lys. — 18. nîvaye, neige.

 

(p.261)

Li crapôde plinte di djôye de 1′ vèy si djonne flori, de 1′ vèy si djonne flori, — lès feumes sont canayes, — de 1′ vèy si djonne flori, sor lu s’abaha :

24    li p’tit rosé l’ècinsa.

L’odeur èsteût si douce qui 1′ bâcèle èl côpa, qui 1′ bâcèle èl côpa po s’ fé ‘ne gâgâye, qui 1′ bâcèle èl côpa po 1’ mète à flokèt

28    di s’ bê noû côrsulèt.

Mins, 1′ porminâde finèye, li rosé aveût flouwi. Li rosé aveût flouwi so lès bêles câyes. Li rosé aveût flouwi… Sins minme on louka,

32    djus d’ lèy èle li tapa.

Li corti, c’est nosse tére; mi, c’est li p’tit rôsî; mi, c’est li p’tit rôsî qui n’ florih pus mây; mi, c’est li p’tit rôsî; mi cour, c’est s’ blanke fleur; 36                  l’amour, c’èsteût si-odeur.

 

Novembre 1897

 

« Li pan de bon Diu, poèmes wallons », Liège, 1914, pp. 3-4.

 

(p.261)

[TRIPTYQUE]

85

I

A ‘ne vèye mohoue

Brave vèye mohone de bon vî tins, avou t’ sèyeûte dihâmonêye et t’ panse qui boute dizeû 1′ pavêye,

4    dji n’ se vrêy’mint cou qui t’ soutint !

 

  1. djonne a ici le sens adverbial de : nouvellement. — 22. … sont cruelles. — 23. … vers

lui s’abaissa. — 24. encenser, au sens de : dégager son parfum.

  1. gâgâye, colifichet, parure.
  2. … était fanée sur les beaux atours. — 31. louka (var. de loukeûre), regard.

 

A UNE VIEILLE MAISON

  1. sèyeûte, encorbellement, étage en saillie (DL, 590 et fig. 610); dihâmoné, délabré.

 

Dj’a todi-mây sogne à matin di t’ trover pètêye à 1′ valêye, brave vèye mohone de bon vî tins, 8    avou t’ sèyeûte dihâmonêye.

Hoûte chai : mi vous-s’ rinde bin contint ? Dimeûre co là bin dès-annêyes, dimeûres-i po bouter m’ pwèsêye et loukî passer mi-ètér’mint,

13    brave vèye mohone de bon vî tins !

 

1885

Ibid., p. 36.

 

(p.262

86

II

Rigrète

Pôve vèye mohone de bon vî tins, mâdit 1′ ci qui t’ tape à 1′ valêye ! T’âreûs d’vou, tôt t’ vèyant man’cêye, ti lèyî waguer so ses rins !

È li p’tite rowe ti fèves si bin ! t’èsteûs co bone po tant d’annêyes ! Pôve vèye mohone de bon vî tins, mâdit P ci qui t’ tape à P valêye !

 

  1. todi-mây, renforcement de todi, toujours. — 6. peter à V valêye, dégringoler (de haut en bas).

 

  1. … pour écouter [sonner] mon glas.

REGRETS

  1. taper à V valêye, jeter bas, démolir. — 3. man’cêye, menacée. — 4. waguer, tomber comme une masse.
  2. … tu «faisais» si bien, au sens de: convenir, plaire.

 

(p.263)

Ti n’ sârès vèyî mi-ètér’mint; ti n’ôrès nin soner m’ pwèsêye. C’est mi qu’a hoûté t’ langonêye et qu’ t’a vèyou mètowe as strins,

13    pôve vèye mohone de bon vî tins !

 

1917

 

Ibid., 2e éd., (coll.  « Nos Dialectes »),  Liège, 1935,  p. 45.

87

 

III

Sov’nance

 

È 1′ vèye mohone de bon vî tins, i d’manéve ine si bêle djonne fèye ! On n’ si poléve ripahe de 1′ vèy;

4   c’est vrêye qu’adon c’esteût 1′ prétins.

Oûy, c’est l’iviér : on s’ rissovint… Ine saqwè v’ sussène à l’orèye : « È 1′ vèye mohone de bon vî tins,

8    i d’manéve ine si bêle djonne fèye ! »

On clègne sès-oûy, on louke â-d’vins, on r’veut 1′ mohone et si-ouhèl’rèye, et, so F sou, 1′ crapode qui soreye, corne on l’a vèyou si sovint

13    è 1′ vèye mohone de bon vî tins…

 

1917

Ibid., pp. 45-46.

 

  1. langonêye, agonie. — 12. être ou mettre as strins, expr. fig. signifiant : être ou mettre sur la paille (striri), suivant l’usage ancien d’ensevelir les morts sur la paillasse du lit.

 

SOUVENIR

  1. ripahe, repaître; le sens est : on ne pouvait se lasser de la voir.
  2. Quelque chose vous chuchote à l’oreille.
  3. ouhèl’rèye, « huisserie », boiserie encadrant une porte.

 

(p.264)

88

Li priyeû

 

« On v’ fêt priyî à l’ètér’mint d’à Tch’han Djôsèf Matî Pènêye, à F porotche, po d’min, noûv et d’mêye… »

4   L’orne. Tin! vo-P-là mwért?

Li feume. Nèl savîz-v’ nin ?

L’orne. I hosse è mantche dispôy lontins. Li jeume. Cou qu’ c’est d’ nos-ôtes !

L’orne. Awè, c’est vrêye ! — « On v’ fêt priyî à l’ètér’mint

8    d’à Tch’han Djôsèf Matî Pènêye… »

L’orne. D’vant di m’ marier, n’s-èstîs wèsins. Li feume. Alez-v’ co ‘ne fèye piède vosse djoûrnêye ? L’orne. On s’ kinoh dispôy tant d’annêyes ! Li feume. Fez fé vosse bâbe, aie, fat bin ! 13    — « On v’ fêt priyî à rètér’mint… »

 

10 août 1886

Ibid., éd. orig. (1914), p. 44.

 

(p.264)

89

L’alôre

Dizeû P vête campagne qui fruzih à P douce êreûr di l’â-matin, Palôre s’ènêrêye fou dès grains 4   vès P bê clér solo qui r’glatih.

 

LE « PRIEUR ». — II s’agit du priyeû d’ètér’mint, * sorte de crieur public qui parcourt les rues pour annoncer le jour et l’heure d’un enterrement » (DL, 510). Usage aujour­d’hui disparu à Liège.

  1. de Jean, Joseph, Mathieu Pènêye : ce dernier nom d’homme est fantaisiste et n’existe

que dans des dictons (cfr DL, 469). — 3. à la paroisse, pour demain, à neuf [heures]

et demie.

  1. Il branle dans le manche depuis longtemps.
  2. Faites faire votre barbe… Autrefois, l’usage était de ne se raser que le dimanche

et en certaines circonstances; la plupart des hommes recouraient à l’office du barbier.

 

L’ALOUETTE

  1. fruà, frissonner, frémir. — 3. s’ènêrî, prendre son essor, s’envoler. — 4. r(i)glati, briller.

264

 

(p.265)

On Tôt peter s’ tchant qui r’dondih è cîr, corne on clabot d’ârdjint, dizeû P vête campagne qui fruzih

8    à P douce êreûr di l’â-matin.

Mins, d’on plin côp, P rèspleû finih… L’alôre a plonkî… Èle rid’hind d’ié s’ frumèle, qui keûve è wassin, et pus rin de monde ni motih

13    dizeû P vête campagne qui fruzih.

 

1892

Ibid., p. 54.

 

(p.265)

90

Li mwért di l’âbe

 

Là, so P crèstê, qui boute à mitan dès deûs vas fî parèy à li scrène d’ine vîle adjèyante bièsse, l’âbe a crèhou, fwért et vigreûs, dreût corne in-î.

4   Ses cohes, corne ot’tant d’ brès’, ont l’air d’agridjî P cîr, dismètant qu’ ses rècènes, parèyes à dès mains d’ fier, hêyèt lès deûrès rotches po djonde li cour de P tére.

Dispôy kibin d’annêyes sèreût-i bin là-d’zeûr ?

8    Pèrsone nèl poreût dire, ça, si Ion qu’on s’ rapinse, lès tâyes ènn’ont djâsé corne d’ine vîle kinohance qui leûs pères ont vèyou qu’i n’èstît qu’ dès-èfants. Lès-iviérs l’ont strindou, lès-ostés l’ont broûlé,

12   et P timpèsse et P tonîre l’ont djondou co traze fèyes,

 

  1. … qui retentit. — 6. cîr, ciel; clabot, grelot.
  2. rèspleû, refrain (ici, le chant de l’oiseau). — 11. auprès de sa femelle, qui couve dans le seigle. — 12. moti, dire mot, parler.

 

LA MORT DE L’ARBRE

  1. crèstê, crête, sommet; bouter, faire saillie, ressortir; va, val, vallée. — 2. scrène, échine; adjèyant(e), géant(e). — 4. Ses branches, comme autant de bras, ont l’air d’agripper le ciel. — 5. dismètant qui…, cependant que… — 6. hêyî (var. de hayî), écarter.
  2. tâyes, ancêtres.  —  12.   …   l’ont atteint  (litt* :  joint)  encore   « treize  fois »,  c.-à-d.

 

(p.266)

sins mây lî fé ‘ne ac’seûre. Fait-a-fait’ qu’i crèhéve, lès-autes-âbes s’ont r’sètchî corne po lî fé de 1′ pièce, et, d’zos ses bazès cohes, i n’ crèh qui dès boulions

16    qu’elle avisèt voleur warandi d’ leû fouyèdje. Lès-oûhês 1′ riqwèrèt, li monsâ fait s’ niyêye divins ‘ne fotche conte si bôr et, qwand 1′ Bête tchèrèye pâhûl’mint d’vins lès steûles è 1′ douce tièneûr de 1′ mit’,

20   c’est sor lu qu’ po tchanter 1′ râskignoû s’apîç’têye.

C’est qu’ l’âbe est pôr si bê ! Qwand c’est qu’on 1′ veut, l’ivier, mostrer so 1′ blanke nîvaye l’èfèhèdje di ses cohes, i v’ rapinse li tchèrpinte d’on palâs qui s’èlîve,

24   et, qwand l’osté lî rind li spèheûr di ses foyes,

on creût, tôt moussant d’zos, qu’on-z-inteûre à l’église ènêrant d’zeû nosse tièsse ses hardèyès vôsseûres. Ossu, n’a-t-i pèrsone, et coula d’ lâdje et d’ long,

28    qui nèl kinoh, qui nèl réclame, qui n’ vis l’ac’sègne,

pus hôt qu’ lès pus hôts tiers, si dressant corne ine tour dizeû lès bwès, dizeû lès tchamps, dizeû 1′ payis. C’est lu li rwè dès tchinnes : li tére ènn’èst tote fîre !

32   Et l’âbe si lêt viker, pâhûl’mint, sûr di s’ fwèce, sins mây pinser qu’on djoû vinrè qui n’a pus v’nou.

Il a compté sins s’ messe, l’orne, qui, tôt passant d’ié, a vèyou d’on côp d’oûy cou qu’i valéve di çans’. 36   C’est fini de vî tchinne ! Tot-z-oyant hil’ter l’or, l’orne a roûvî s’ bête, qui ses tâyes ont k’nohou; il a roûvî s’ vîyèsse, qui s’ père a respecté.

Et vola qu’à pîd d’ l’âbe lès bwèh’lîs s’arèstèt, 40   tchèrdjîs d’aw’hiantès hèpes et d’ pesantes cougnèyes.

 

 

maintes fois. — 13. ac’seûre, atteinte, blessure; … au fur et à mesure qu’il croissait. — 15. et sous ses branches inférieures, il ne grandit que des buissons. — 16. qu’elles (= les branches) semblent vouloir protéger… — 17. monsâ, ramier. — 18. dans une fourche contre son tronc et, quand la lune s’avance (litt* : charrie). — 20. râskignoû, rossignol; s’apîç’ter, se percher, se poser. — 21. pôr : cfr supra, Li p’tit rosi, v. 13. — 22. èfèhèdje, enchevêtrement; ici: l’entrelacs de ses branches. — 24. … l’épaisseur de son feuillage. — 26. élançant au-dessus de notre tête ses voûtes audacieuses. — 28. réclamer, au sens de : vanter. — 29. tiér, « thier », tertre, colline.

  1. … En entendant sonner l’or (c.-à-d. le profit).
  2. bwèh’tt, bûcheron. — 40. chargés de haches effilées… — 41. r(i)cèper, couper, tailler.

 

(p.267)

Rade, il ont gripé d’ssus po lî r’cèper ses cohes,

et lès hèpes ataquèt. Li crèstê si pâhûle

si rimplih d’on grand brut. On-z-ôt crohî lès bwès

44   qui s’ frohèt tôt tournant so lès bouhons spatés. Lès-oûhês, tôt fou d’ zèls, aband’nèt leû niyêye, s’èvolèt tôt pîlant, dismètant qu’eune à eune lès ramayes s’abatèt djus de bôr covrou d’ plâyes,

48    qui dresse fîr’mint so 1′ cîr si cwér tôt mèsbrudjî.

Il fat qu’on l’âye à 1′ tére ! C’è-st-â tour dès cougnèyes : èle l’ataquèt po 1′ pîd. Li bwès, deûr corne de fier, tint bon conte lès-ac’seûres dès hagnantès-ustèyes.

52   Li brès’ dès-ornes falih; mins, so 1′ tins qu’onk si r’hape, in-ôte riprind Povrèdje. Et, pidjote à midjote, vola corne ine grande plâye fête à l’âbe, qui djèmih et fruzih à chaque côp dès bleus tèyants d’acîr.

56   I n’ tint pus qu’ d’on costé. Rade, on-z-a nokî ‘ne cwède conte on strouk dimanou d’eune di ses hôtes cohes, et lès-omes sètchèt d’ssus. L’âbe clintche et, tôt vèrdjant, si r’drèsse et stâre à 1′ tére tos lès cis qu’ l’ont moudri.

60   Lès bwèh’lîs s’èstièstèt : li cwède est co r’tinkêye

et, là qui 1′ tchinne riplôye, on côp d’ hèpe bin mètou lî vint racrèhe si plâye tôt lî r’hapant de 1′ fwèce. On dièrin côp d’ gorê, lès-omes è seront messes !

64   Ossu, vola qu’è 1′ keûhisté de 1′ matinêye,

on-z-ôt wîgnî ‘ne saqwè, londjinn’mint, corne ine plainte. Li tchinne s’abat’ d’ine pèce, li crèstê rèsdondih et 1′ tére tronle, dismètant qu’on groûlèdje di tonîre,

68    si stârant d’zeû lès bwès, va mori d’vins lès vas. Et, so P campagne, li labureû, pris corne d’ine hisse, arèstêye ses deûs dj’vâs po loukî vès lès tiers…

 

—  43. crohî, craquer. — 44. qui se froissent en tombant sur les buissons écrasés. — 45. tôt fou d’ zèls, éperdus (litt* : tout hors d’eux). — 46. piler, piailler. — 47. ramayes, ramilles,  petites branches;  bôr, tronc. — 48.  mèsbrudjî,  mutilés. —  51.  ustèye (fém.), outil. — 52. /a/i, défaillir, faillir. — 53. pidjote à midjote, petit à petit. — 55. … des bleus taillants d’acier. — 56. nokî, nouer, -é. — 57. contre un moignon resté d’une…

—  58. … L’arbre penche et, en ployant. — 60. s’étièster, s’entêter, s’acharner; la corde est encore tendue. — 61. et, tandis que le chêne ploie de nouveau…; hèpe, hache. — 62. vient étendre sa plaie en lui reprenant de la force. —• 63. côp d’ gorê,  coup de collier (ici, au fig.). — 64. keûhisté, quiétude. — 65. wignî, grincer, gémir. — 67. et la terre tremble, cependant qu’un grondement de tonnerre. — 69. hisse, effroi.

267

 

È 1′ pièce di l’adjèyant, c’est corne on trô so 1′ cîr…

72   L’orne a compris, rataque si rôye, et, mâgré lu, ritape à tôt côp bon sès-oûy, là, vès 1′ crèstê : c’est qu’i r’sint d’vintrinn’mint li r’grèt qu’on-z-a de piède inse saqwè qui v’s-at’néve, •— qu’on n’ riveûrè mây pus.

1909

 

Jbid., pp. 101-104. Paru d’abord (avec trad.) dans Bulletin du Dict. gên. de la langue wall., t. 6, Liège, 1911, pp. 7-11.

 

(p.268)

LI PAN DE BON DIU

(Extraits suivis)

 

I 91                                              Li tchèrwèdje                                      Vv. 1-50

 

Lès-awouts sont finis, lès d’vêres ont stu rintrés, et, pidjote à midjote, li pôve tére est tote nowe. So lès hâyes corne è bwès, totes lès foyes sont djènèyes

4   et gotèt djus dès cohes, eune à eune, — corne lès lames

de 1′ bêle sâhon qui s’ sint d’cwèli. Dès lonkès hièdes d’oûhês passèt tôt s’èhâstant po r’gangnî 1′ tchôd payis et, là, drî lès nûlêyes

8    qui corèt totès basses dizos 1′ vint qui lès tchèsse, c’è-st-à hipe s’on-z-ad’vène li solo, tôt pèneûs di n’ nos poleûr pus rèhandi.

  1. rôye, sillon (litt* : raie). — 74. d(i)vintrinn’mint, intérieurement. — 75. quelque chose qui vous tenait de près, qu’on ne reverra jamais plus.

 

LE PAIN DU BON DIEU I. LE LABOUR

  1. awout, août, moisson; lès d’vêres, les récoltes (ne se dit que d’une récolte sur pied). — 4. gotèt, tombent (litt1 : gouttent); cohe, branche. — 5. d(i)cwèli, décliner, dépérir. — 6. hiède, troupeau; ici, file (d’oiseaux). — 7. nûlêye, nuée, nuage. — 9. à hipe, à peine, de justesse; pèneûs, triste. — 10. rèhandi, réchauffer.

 

(p.269)

Mins s’ tôt nos qwite, moûrt ou s’èdwèm,

12          l’orne est là qui n’ pied’ nin corèdje.

Li tére lî d’meûre. Âs-êres de djoû, plin d’èhowe i s’ met’ à l’ovrèdje. È 1′ grande siteûle, là, so 1′ pindêye,

16          èl vèyez-v’ avou ses deûs dj’vâs ?

I vint d’èdjibler si-atèlèdje. Li M, qu’est tèyant corne ine fâs, d’on plin côp mousse è cour de 1′ tére,

20          qui, bin pâhule dispôy in-an,

ni s’ sov’néve câzî pus d’ l’èrére…

Vola ‘ne rôye tapêye è mitan :

on dîreût ‘ne plâye fête à 1’ djouhîre…

24          Mins ç’ n’est qu’ l’amwèce : sins mây lâker,

l’èrére vint rinde si côp d’acîr à 1′ tére qui djèmih tôt s’ drovant.

I fat portant qu’ lès djvâs soflèsse :

28          l’orne arèstêye ses deûs bayârds

et, dismètant qu’i toûne li tièsse

po loukî l’ovrèdje abatou,

vola qu’ d’à fî fond de 1′ brouheûr

32          tote grîse, qui rafûle li campagne,

aspite ine nûlêye di cwèrbâs;

et, corne si ‘ne saquî l’zî dèrisse

qui, por zèls, l’eûrêye est là prête,

36          vo-lès-la plonkîs, tôt brèyant,

à mitan de tchèrwé qui fome;

et, so lès roukes corne è l’arôye,

c’è-st-on disdut, c’è-st-on sam’rou

40          di neûrès-éles et d’ vigreûs bètch

 

  1. plein d’entrain… — 15. siteûle, êteule; so l’ pindêye, sur la pente (du terrain). — 17. Il vient d’équiper son attelage. — 18. Le soc, qui est tranchant comme une faux. — 21. èrére, charrue. — 22. … un sillon tracé au milieu. — 23. djouhîre, jachère. — 24. amwèce, amorce; ici: début, commencement; lâker, lâcher, cesser. — 26. … qui gémit en s’ouvrant.
  2. boyard, cheval (de couleur baie). — 31. brouheûr, brume, brouillard. — 32. rafûler, envelopper, recouvrir. — 33. surgit une nuée de corbeaux. — 35. eûrêye, repas. — 36. les voilà plongés, en coassant. — 37. tchèrwé, terre labourée. — 38. et sur les mottes de terre comme dans le sillon. — 39. disdut, tapage; sam’rou, bruissement prolongé (d’essaim,

 

(p.270)

ramèh’nant tôt 1′ mâva bisteû qui l’èrére vint d’abouter fou.

Ossu, qwand l’orne veut leû-z-èhowe, 44          i s’ sint tôt honteûs de n’ rin fé,

ça, d’on côp, dispièrtant ses dj’vâs,

vola qu’i rataque à tchèrwer.

Et, si longue qui 1′ djoûrnêye sèrè, 48          tôt corne l’arègne qui tèh si teûle,

l’èrére va tant tourner dès côps

qu’i n’ dimeûr’rè rin de 1′ siteûle.

Ibid., pp. 107-109.

 

II

92                                                 Li sèmèdje                                       Vv. 51-75

 

Li djouhîre est tchèrwêye. L’èrére si pout r’pwèser. Ossu, l’orne èl lêt là po prinde ine ôte ustèye. C’est d’abord l’îpe, qui dresse vès 1′ cîr ses betchous dints, 4   prête a-z-agridjî 1′ tére. L’orne l’a dèdjà r’toûrné; lès dj’vâs sont-st-atèlés, li prumîre plène tapêye;

et, d’zos l’ustèye qui fait dès hopes

tôt k’tèyant lès rôyes de tchèrwé, 8          lès cwâres et lès roukes si fondèt,

li tére si brîhe, si strûle et haie.

Mins, corne i d’meûre co dès groubiotes

qui l’îpe roûvèye, li pesante wèle

 

d’ailes, etc.). — 40-42. d’ailes noires et de becs alertes / récoltant toute la vermine / que la charrue vient de faire sortir. 48. … l’araignée qui tisse sa toile.

 

  1. LES SEMAILLES
  2. … la herse, qui dresse au ciel ses dents pointues. — 4. agridjî, agripper, saisir avec force. — 5. plène, « trace longitudinale que laisse la herse promenée sur un champ » (DL, 488). — 6. hope, bond. — 7. en coupant les sillons du labour. — 8. cwâre, « motte de terre détachée par le labour » (DL, 189); rouke, même sens. — 9. la terre se brise, s’émiette et sèche. — 10. groubiote, petit grumeau (ici: de terre). — 11. wèle, fém.,

 

(p.271)

12          passe tôt wîgnant so 1′ tére tote hole

et v’s-èl sipate tôt corne on dègn.

L’orne tchâsse li blanc sèmeû, vis-èl rimplih à make

et, d’on djèsse todi 1′ minme, d’on grand djèsse qui v’s-a l’êr

16   de voleur acoyî tôt cou qu’il a d’vant lu,

— d’on djèsse qui nos rapinse li ci qu’ fèt lès priyèsses tôt tapant 1′ bèneûte êwe è 1′ grande pâhûlisté qui djômih è l’église, — i sème, è 1′ keûhisté

20   de 1′ campagne qui fruzih à 1′ prumîre blanke râlêye. Lès hos d’or, tôt gruz’lant fou de 1′ main qui lès hène, s’abatèt tôt spitant so 1′ tére, qui lès rawâde et trèfèle de ravu lès-èfants qu’èle pwèrta…

24   On côp d’îpe lès rafûle, on côp d’îpe lès-ètére : i n’ont pus qu’a djèrmi.

Ibid., pp.  110-111.

 

VII

93                                                      Awout                                         Vv. 169-192

 

Li tcholeûr èssop’têye li tére. Rin ni s’ rimowe, i n’ court nou vint. On n’ôt nou brut : c’est tot-à hipe 6   si 1′ tenant de 1′ cwaye, catchèye è grin, vis fêt pinser qu’ine saqwè vike.

rouleau (t. d’agric.). — 12-13. passe en geignant sur la terre toute molle / et vous l’aplatit comme l’aire d’une grange.

  1. L’homme endosse (litt* : chausse) le blanc semoir, vous le remplit jusqu’au bord. — 16. de vouloir accueillir… — 17. … qui nous rappelle celui que font les prêtres. — 19. djômi, sommeiller, couver. — 20. râlêye, gelée blanche. — 21. ho, grain (de blé); … en grésillant de la main qui les lance. — 22. spiter, jaillir, bondir. — 23. tréfiler,

tressaillir.

  1. djèrmi, germer.

 

VII. AOUT

  1. èssop’ter, assoupir. — 4.  cwaye,  caille. — 8. frudft, fructifier.  —  10. fènèsse, tige

 

(p.272)

C’est 1′ tins d’awout, là qui F solo

done à 1′ tére si dièrin côp d’ min,

8    po fé frudjî cou qu’èle pwèrta

et payî l’orne di totes ses ponnes.

Lès fènèsses, nawêre dreûtes et fîres,

falihèt de sut’ni lès potes

12   totès riglêyes di pesants hos;

et, bin doûç’mint, 1′ campagne djènih,

tél’mint qu’ vola corne on drap d’or

tôt r’glatihant stindou sor lèy.

16   Ossu 1′ cinsî, sins pu wêster,

brêt : « C’est l’awout ! » Rade on s’aglidje :

lès fâs pindowes divins lès heures

sont d’mantchèyes èrî d’ leûs fâmins,

20   et vola qui, d’vins totes lès cinses,

lès cours s’implihèt d’on brut d’ fôdje

qui s’ met’ à hil’ter djoyeûs’mint.

C’est lès tèyants dès fâs qu’on r’drèsse

24    à côps d’ marte so lès bat’mints.

 

Ibid., pp.  119-120.

 

VIII

 94                                                 Li soyèdje                                    Vv. 193-226

 

Et vola lès soyeûs qui s’ pârtihèt 1′ campagne, îr èco si pâhûle, oûy plinte d’on monde di djins s’aglidjant chaque à 1′ mis po 1′ dispouyî d’ ses d’vêres.

4   Adon, è plin solo blâmant d’ tos ses pus reûds, l’ovrèdje kimince, deûr et sins r’pwès.

 

(de graminée). — 11-12. défaillent de soutenir les épis / tout chargés de pesants grains. — 13. djèni, jaunir. — 16. … le fermier, sans plus tarder. — 17. … Vite on se démène (ou: on s’évertue pour se préparer). — 18. fâs, faux; heure, grange. — 19. sont déta­chées de leurs manches. — 21. les cours s’emplissent d’un bruit de forge. — 23. tèyant, n., tranchant (ici : de la faux). — 24. bat’mint, enclumeau de faucheur (DL, fig. 67 et 68).

 

VIII. LA FAUCHAISON

  1. Et voilà les faucheurs qui se partagent… — 2. hier encore si tranquille… — 3. s’éver­tuant à qui mieux mieux pour la dépouiller de ses récoltes. — 4. … brûlant de toutes ses forces.

272

 

Corne dès balancîs tofér èn-alèdje, lès aw’hiantès fâs moussèt d’vins lès grins.

8           Li r’iûhant de fier passe corne l’aloumîre.

Ine saqwè djèmih et, d’zos lès tèyants, lès pesantes potes, prises corne d’on toûbion, s’abatèt so 1′ tére qui lès-a pwèrté;

12           et, drî lès soyeûs, lès bâtes si stârèt

à lonkès hièrtchèyes, qui les racôy’rèsses d’on vigreûs côp d’ séye mètet-st-à djavês.

Ossu, so quéquès-eûres, on n’ rik’noh pus 1′ payis.

16    Li campagne, ataquêye di traze et traze costés, si droûve divant lès fâs; et dès lonkès-alêyes, si loukant totès vêtes so 1′ coleûr d’or dès grins, mostrèt l’ovrèdje qu’est fêt. « Qu’on-z-ataque à loyî ! »

20   brêt 1′ messe. Et lès djavês div’nèt d’on côp dès djâbes, et lès djâbes dès tèssês, qui s’ drèssèt so lès steûles à lonkès riguilites. Vos dîrîz-st-ine ârmêye abrotchant fou de 1′ tére; mins c’est l’ârmêye de 1′ paye.

24   Èle nos-apwète li vèye : l’orne s’ènnè va tchèvi.

 

Ibid., pp. 121-122.

 

XXIV

95                                                     A l’ tâve                                         Vv. 652-fin

 

Li nut’ est v’nowe; on vint d’èsprinde li lampe è 1′ pièce là wice qu’on s’ tint et, so 1′ vile tâve di tchinne, on-z-a drèssî tôt po 1′ soper.

 

  1. Comme des balanciers toujours en mouvement. — 7. aw’hiant, affilé, acéré. — 8. Le luisant du fer passe comme l’éclair. — 10. pote (fém.), épi; toûbion, tourbillon. — 12. … les andains s’étalent. — 13-14. en longues traînées que les moissonneuses / d’un bon coup de faucille mettent en javelles.
  2. se regardant toutes vertes… — 19. loyî, lier. — 20. djâbe, gerbe. — 21. tèssè, dizeau, assemblage de gerbes; s(i)teûle, éteule. — 22. riguilite, rangée, file. — 23. abrotchî, surgir, s’élancer. — 24. si tchèvi, se nourrir.

 

XXTV. A (LA) TABLE

  1. èsprinde, allumer. — 2. dans la pièce (là) où l’on se tient (= où l’on vit). — 4. èmé,

273

 

(p.274)

4   Èmé lès tasses à fleurs, li bê pan tôt doré

hâgne ses blankès bâyeûres, qui mètèt l’êwe à 1′ boke

as p’tits-èfants qui djêrèt d’ssus. Ossu, c’è-st-in-ovrèdje di lès voleur mêstri !

8    Qwantes fèyes li mère deût-èle man’cî lès p’titès mains qui s’ sititchèt po l’agrawî !

Mins, tôt d’on côp, vola qu’on-z-ôt

so 1′ cour on grand brut d’atèlêye,

12          qu’èlzî vint fé candjî d’îdèye,

ça vo-lès-là turtos so 1′ sou :

C’est 1′ père ! — Rade, i fat qu’on s’aglidje !

Li feume prind 1′ pan, fêt ‘ne creûs so 1’ crosse

16           avou 1′ coûté, corne po 1′ béni;

et, dismètant qu’èle côpe as pèces,

l’orne rinteûre avou ses carpes,

qui s’ kihèrèt po l’aprèpî.

20          II a trîmé co pés qu’ ses dj’vâs;

il est nanti, rené d’ovrèdje;

ènnè pout pus, i hawe di faim,

et c’est d’in-oûy di contint’mint

24          qu’i veut qu’on-z-a t’nou l’eûrêye prête.

Tôt 1′ minme, vola qu’on-z-è-st-à 1′ tâve !

Et, là qui 1′ pôve cinsî fêt s’ tâte,

i m’ sonle qu’i deût tûzer bin Ion,

28          tôt s’ rapinsant cou qu’èle lî cosse

et d’ ponnes et d’ rabrouhes et d’ histous !

Poqwè don fât-i qu’i seûye dit :

« C’è-st-à 1′ souweûr di t’ front qu’i t’ fârè gangnî t’ crosse » ?

32          Mins, tapant lès-oûy so s’ niyêye

d’èfants ros’lants, fwérts et hêtîs,

i roûvêye ses neûrès-îdèyes;

 

parmi. — 5. étale ses baisures qui mettent l’eau à la bouche. — 6. djêri, avoir des envies, convoiter. — 7. mêstri, maîtriser. — 8. man’cî, menacer. — 9. qui se tendent pour le saisir.

  1. atèlêye, attelage. — 13. sou, seuil. — 14. … Vite, il faut qu’on s’apprête ! — 15. crosse, croûte. — 18. carpe, enfant au sens de : gamin remuant. — 19. qui se bousculent pour l’approcher. — 21. nanti, fourbu; rené, éreinté, épuisé. — 22. … il aboie de faim (expr. hyperbolique). — 29. de peines, de contrariétés, de déboires. — 36. sins mom’rèye, sans façon, sans apprêt. — 39. si sègrâ, faire le signe de croix.

 

(p.275)

èt, d’vant d’ataquer de magnî,

36          d’on djèsse tôt simpe et sins mom’rèye,

d’on djèsse qui vint d’ ses tâyes, qui s’ mère lî ac’sègna et qu’ tôt F monde répète âtoû d’ lu,

i s’ sègne, corne po r’mèrci 1′ bon Diu.

 

Ibid., pp. 153-154.

 

96

A Bèbèt’

 

C’est disfindou d’ sèpi qwand 1′ grand messe di nosse vèye nos r’houk’rè d’ chai, Bèbèf. Ni qwîr nin, n’ va nin vèy lès tap’rèsses di cwârdjeûs. Vât bin mis d’èdurer

4   cou qui deût-advini. Qui 1′ bon Diu vôye nos d’ner quéquès-annêyes di pus’ à viker so cisse tére, ou qui ç’ seûye li dièrinne qui nos-âyanse l’èspwér d’èco poleûr vèyî passer l’êwe dizos 1′ pont,

8   hoûte-mu bin : seûye malène, home pâhûl’mint f bouyon, et, corne on n’est so 1′ monde qui po ‘ne pitite hapêye, le tes longs rafiyas po lès catwaze et d’mêye… Li tins, là qu’on djâse chai, court èvôye souwêy’mint.

12   Profite bin de djoû d’oûy sins compter trop’ so d’min !

 

1927

Ibid., 2′ éd. (1935), p. 105.

 

A BABETTE. — Adaptation d’Horace, Odes, livre I, 11 : Ad Leuconoen (8 grands asclépiades)

 

  1. Bèbèf, forme hypocoristique wall. de Elisabeth. — 3. les jeteuses de cartes (= les cartomanciennes); [il] vaut bien mieux subir. — 8. malène, intelligente, avisée; écume tranquillement ton bouillon, au sens fig. de : vaque en paix à tes occupations. — 9. hapêye, laps de temps. — 10. rafiya, plaisir qu’on espère avoir; laisser quelque chose « pour les quatorze et demi », c’est n’y plus songer, l’abandonner. La longueur de cet alexandrin, qui semble modelée sur la longueur des espérances fallacieuses, contraste avec la brièveté d’Horace: spem longam reseces. — 11. souwêy’mint, sournoisement. — 12. Le premier hémistiche transpose le carpe diem.

(p.276)

THEODORE CHAPELIER

(1857-1905)

 

Conducteur-mécanicien, né et mort à Verviers. Frappé par une infortune qui le priva de son emploi, Chapelier mit fin à ses jours dans un accès de neu­rasthénie.

Comme poète, il a produit une quarantaine de pièces lyriques qui ont paru la plupart dans les annuaires du Caveau verviétois, de 1878 à 1893, date à laquelle il cessa de fréquenter ce groupe. Sa chanson la plus goûtée du public, Po passer l’ håhê (1892), est une idylle qui ne manque pas d’ingé­niosité dans sa grâce naïve.

Théodore Chapelier est surtout un élégiaque que sa discrétion apparente à Defrecheux.

 

97                                                                                                 [Verviers]

Tot seû

 

Savez-ve bin poqwè, qwand dju va d’vins l’ plaine,

bin sovint, dju pleûre, assiou là, tot seû ?

C’èst qu’ dju lé deûs nos so l’ pèlote dè tchêne

4    quu v’s-avez gravé qwand v’-èstîz à deûs.

 

Savez-ve bin poqwè, qwand dj’ètind so ls brantche

l’oûhê rosiner su djoyeûse tchanson,

vos m’ vèyez si trisse ? C’èst qu’avou s’ vwès d’andje,

8   ile rindéve djalous favète èt pinson.

 

Savez-ve bin poqwè, qwand lu steûle blawetêye,

dju sin one grosse låme so m’ visèdje cori ?

C’èst qu’ vos deûs djônes coûrs su d’hît leûs pinsêyes,

12    qwand lûhéve å cîr lu steûle dè bièrdjî.

 

 

TOUT SEUL

  1. … je lis deux noms sur l’écorce du chêne. 6. rosiner, gazouiller. 14. aspiter, jaillir.

 

(p.277)

Savez-ve bin poqwè dju sin d’zos m’ påpîre

one låme aspiter qwand l’ prétins racoûrt ?

C’èst qu’ dju v’ veû tot seû, so lu p’tit banc d’ pîre,

16   wice quu, l’an passé, vos v’ djåsîz d’amoûr…

 

Juillet 1883

 

Annuaire du Caveau  Verviétois,  6e année,  Verviers, 1884, p. 296 C).

 

 

98

Po passer l’ håhê

(Musique de Désiré Herman)

 

On bê dîmin d’ may, lu djintêye Nanète,

tot ruvenant d’ grand-mèsse, passa po l’ grand pré.

Qwand ile veûne duvant l’ håhê d’à Colète,

4 ile trova s’ wèsin riyant d’ l’ôte costé.

« C’èst sèré », dist-i,  « çu n’èst nin passèdje;

mês si vos volez, dju v’ tirerè l’ lokèt.

So vos bèlès tchifes, lèyîz-me prinde on bètch,

8 nos-èstans tos seûs, nouk ni nos veûrè !

 

» Po passer l’ håhê, binamêye Nanète,

i fåt qu’ vos payîhe lu dreût dè pasê :

i fåt qu’ vos m’ båhîhe deûs fèyes à picète,

12 po passer l’ håhê ». (bis)

 

 

POUR FRANCHIR LA BARRIERE. — håhê, dér. de håhê (DL, 303 et fig. 321), barrière à claire-voie.

 

  1. dîmin (verv.), dimanche; … la gentille Annette. — 4. elle trouva son voisin (Colette) … — 5. « C’est fermé », dit-il, « il n’y a point passage » : allusion aux servitudes de passage sur la propriété d’autrui; elles pouvaient entraîner la perception d’un droit, suivant les conditions. C’est sur ce motif que roule notre chanson. — 6. lokèt, cadenas (ici pour la fermeture de la barrière). — 7. tchife, joue; bètch, baiser (litt. : bec).
  2. … que vous me payiez le droit du sentier (= d’emprunter le sentier qui traverse le pré). — 11. il faut que vous m’embrassiez deux fois à pincette (c.-à-d. en «prenant dou­cement les deux joues avec le bout des doigts », Littré, V pincette).

 

(1) Une version altérée a paru dans l’Anthologie des poètes wallons verviétois par J. Feller et J. Wisimus (Verviers, 1928, p. 236); on lira (p. 230) l’explication qu’a donnée de ces changements malencontreux le premier des deux auteurs.

 

(p.278)

Lu djône fèye duveûne rodje corne one crèssaude

(su wèsin Colète èsteût bê valèt).

« Vos d’mandez », dist-èle, « pus’ à mi qu’ås-ôtes :

16   çu n’èst nin ç’ pris-là qu’ mès wèsènes payèt.

— C’èst qu’ lès fleûrs », dist-i, « du m’ wêde sont florêyes :

iles sèront djaloses du vèy vosse bêté,

èt dj’ wadjereû po d’min qu’iles sèront fanêyes

20    à cåse du lès låmes qu’ille åront djèté !

 

» Po passer l’ håhê, binamêye Nanète,

i fåt qu’ vos payîhe lu dreût dè pazê :

i fåt qu’ vos m’ båhîhe deûs fèyes à picète,

24  po passer l’ håhê ». (bis)

 

Lu djône ame pårléve d’one si doûce manîre,

duvins sès bleûs-oûys, i-aveût tant d’amoûr

quu l’ roselante Nanète su lèyant adîre

28    abrèssa l’ capon deûs fèyes du bon coûr !

A ci moumint-là, duvins lès cohètes,

tos lès p’tits-oûhês tchantît djoyeûsemint,

èt Nanète vèya rîre lès magriyètes,

32    qwand Colète lî d’ha, tot l’ sèrant doûcemint :

 

« Ruvenez tos lès djoûs, binamêye Nanète,

nos sûrans èssonle lu froté pazê;

èt nos nos båherans deûs fèyes à picète,

36  po passer l’ håhê ». (bis)

 

Dj’a-st-ètindou dîre dès djins dè viyèdje

quu l’ djoû quu l’ djône cope ala-st-à l’ åté,

tote lu ribambèle qu’èsteût å marièdje

40    duvant l’ blanc håhê duvît s’arèster.

È fond dè neûr bwès, l’ råskignoû tchantéve,

lès fleûrs su drovît d’zos l’ båhe dè prétins;

èt c’èsteût Nanète, ci djoû-là, qui d’héve :

44  « On n’ va nin pus lon sins m’ duner l’ påyemint !

 

  1. … devint rouge comme une pivoine (crèssaude = pâquerette double, à fleur pleine). — 17. wêde, prairie. — 19. et je parierais que pour demain…
  2. roselant, vermeil, de couleur rosé; … se laissant fléchir. — 28. capon, ici dans un sens de familiarité affectueuse. — 29. cohète, branchette, rameau. — 31. magrite, mar­guerite.
  3. nous suivrons ensemble le sentier battu.

 

(p.279) » Po passer 1′ håhê », d’héve lu bèle Nanète,

« i fåt qu’ tot l’ monde påye lu dreût dè pazê :

i fåt qu’ vos m’ båhîhe deûs fèyes à picète,

48  po passer l’ håhê ». (bis)

 

Annuaire du Caveau verviétois, 1890-1892, pp. 197-198. On reproduit le texte d’après l’Anthologie des poètes wallons verviétois de J. Feller et J. Wisimus, Verviers, 1928, pp. 241-242.

 

 

(p.280)

LOUIS WESPHAL

(1857-1939)

 

Né à Grivegnée, mort à Liège. Au sortir de l’enfance, devenu orphelin, il quitta l’école pour l’usine. Par la suite, il entra à la Société nationale des chemins de fer comme magasinier.

Louis Wesphal fut un collaborateur assidu des petits journaux wallons de Liège et participa activement à la vie des sociétés littéraires dialectales, en particulier du Royal Caveau Liégeois.

Sa première plaquette, Lès succès de l’ sinne (1893), qu’il publia en colla­boration avec Charles Bartholomez, contenait déjà l’un des morceaux (Si dj’èsteû borguimêsse) qui allait faire sa réputation de monologuiste-chansonnier. L’ Armanak dès qwate Maû (Almanach des quatre Mathieu) qu’il créa, en 1895, avec J. Vrindts, Ch. Bartholomez et J. Médard, et le Cabaret wallon (1895-1900) d’Alphonse Tilkin, dont il fut l’un des anima­teurs, imposèrent Wesphal dans ce genre de comique qui consiste à jouer avec un sérieux apparent le jeu loufoque des contre-vérités ou des archi-évidences. Ce tour inattendu de fantaisie, qui s’inscrit dans la tradition du burlesque et du non-sens, il faut malheureusement le chercher dans le fatras de ses trois recueils de chansons : So H scanfâr (1899) [Sur l’estrade], Li plêzîr de tchanteû (1907), Lès plêhants ramadjes (1922) [Les plaisants ver­biages]. Leur forme souvent relâchée, qui rend inégales les meilleures pages, se ressent trop de l’improvisation.

 

99                                                                                     [Grivegnée-Liège]

On vî neûr tchin

(Air : Rakjajak)

 

C’èsteût-st-on vî neûr tchin qu’aveût 1′ tièsse tote pèlêye,

avou sès-oûys å lådje à costé d’ sès-orèyes,

 

Houp tata pèrtine èt pèrtêne ! houp tata pèrtêne !

 

Avou sès-oûys å lådje à costé d’ sès-orèyes,

on grand gros boûzé cwér ossi spès qu’ine èk’nèye,

 

UN VIEUX CHIEN NOIR.  —  La forme de  cette  chanson bouffonne  est celle du « cramignon »  liégeois : voy. la note du n° 63.

 

  1. avec ses yeux ouverts (litt. : au large).
  2. boûzé, boursouflé;  èk’nèye,  pince  de  foyer;   d’où,  au  fig.  personne  d’une  extrême maigreur.  La comparaison ossi spès qui (aussi épais  que)  introduit  une  contradiction burlesque.

 

(p.281)

Houp tata pèrtine…

 

On grand gros boûzé cwér ossi spès qu’ine èknèye,

4  ine rodje narène tote freûde come dè l’ glèce èdjalêye,

 

Ine rodje narène tote freûde come dè l’ glèce èdjalêye,

ine grande linwe qui pindéve tot-avå lès pavêyes,

 

Ine grande linwe qui pindéve tot-avå lès pavêyes.

I hawéve come ine bièsse avou s’ gueûye alårdjèye.

 

I hawéve come ine bièsse avou s’ gueûye alârdjèye.

I rotéve à qwate pates qwand i fève ine toûrnêye.

 

I rotéve à qwate pates qwand i fève ine toûrnêye

8    èt lèvéve eune di drî qwand i fève ine trawêye.

 

I lèvéve eune di drî qwand i fève ine trawêye

èt s’ dwèrméve-t-i lu-min.me qwand il aveût somèy

 

Et s’ dwèrméve-t-i lu-min.me qwand il aveût somèy.

C’èsteût-st-on vî neûr tchin qu’ aveût l’ tièsse tote pèlêye…

 

« Li plaisir de chanteu ». Recueil de chansons et monologues, Liège,  1907, pp. 45-46.

 

100    Manîre dè pwèrter l’ doû

(Extraits suivis)

 

Mès djins, hoûtez ! Si dj’ droûve mi répèrtwére,    Vv. 1-4

ni pinsez nin qu’ c’èst po fé li d’mèy-doûs.

C’èst tot bonemint po v’ raconter mi-istwére

4 èt v’ fé savu k’mint qu’on pout pwèrter l’ doû.

 

  1. une grande langue qui pendait par tous les chemins (pavêye, chemin pavé, trottoir). 8. fé ‘ne trawêye, plaist. : uriner (litt. : faire une trouée).

 

FAÇON DE PORTER LE DEUIL

  1. d(i)mèy-doûs, idiot, toqué.

 

(p.282)

Dj’a pwèrté l’ doû dji n’ sé pus k’bin d’an.nêyes :     13-20

c’èst v’ dîre qui l’ sôrt m’a tofér èsprové.

Mins v’là deûs-ans, qwand dji pièrda Donêye,

8    vos n’ sårîz creûre kimint qui dj’ m’a trové.

 

A dater d’ là, vrêymint, dj’ n’ava pus d’ keûre,

dji n’aveûs pus ni djôye ni rafiya;

dj’a minme situ tot prèt’ à fé ‘ne lêde keûre…

12 Mins dji fa ‘ne fwèce èt m’ corèdje riprinda.

 

Po bin prover qui dj’êméve mi k’pagnèye,       29-fin

dji fa neûrci mes mustatches èt mès dj’vès;

èt, par azård, si dj’aveû ‘ne neûre îdèye,

16   bin, dji m’ dihéve : « C’èst d’ot’tant pus d’ rèspèt ».

 

Qwand 1′ solo lût, tot-à pône djèl supwète,

dji rote è l’ ombe, manîre d’èsse ric’nohant;

èt dj’ pou bin dire, dispôy qui m’ feume èst mwète,

20    qui nosse boledjî n’ m’a mètou qu’ dè neûr pan.

 

C’èst co bin mî : dji n’ vou pus dè l’ makêye,

c’èst lès frombåhes èt l’ sirôpe qui dj’ême bin.

Asteûre, come souke, dji n’ vou pus qu’ dè l’ duzêye.

24   A-dje deûs neûrs-oûys ? çoula n’ mi displêt nin.

 

Sèyîz bin sûr, s’i n’a nin dè l’ neûre tripe,

vos n’ mi veûrez djamåy amon l’ cråssî.

Et sèpant bin qu’ fåt qui l’ vèye si dissipe,

28    po pwèrter l’ doû, dj’ ac’lîve on djône måvi.

 

  1. Donêye, Dieudonnée.
  2. … je n’eus plus cure [de rien]. — 10. rafiya, plaisir dont on se réjouit à l’avance. — 11. … à commettre une vilaine action (litt1 : cure).
  3. … ma compagne (cfr v. 7).
  4. ric’nohant, reconnaissant. — 20. dè neûr pan, du pain bis.
  5. makêye, caillebotte, fromage blanc et mou. — 22. frombåhe, myrtille; sirôpe, fr. rég. « sirop », sorte de mélasse, de couleur sombre, faite d’un jus concentré de pommes ou de poires et qu’on étend sur le pain. — 23. dusêye ou djusêye, jus de réglisse. — 24. neûr oûy, œil poché.

25-26. … s’il n’a pas de boudin noir, / vous ne me verrez jamais chez le charcutier. — 28. … j’élève un jeune merle.

 

(p.283)

Si dj’ va quéke pårt wice qu’on fêt ‘ne bone eûrêye

èt qu’on m’ toûrmète åfîs’ qui dj’ magne avou,

rimarkez bin, s’i-n-a dè l’ neûre dorêye,

32 po-z-acsèpter qui dji n’ f’rè nol an’tchou.

 

Divins ‘ne taviène, qwand c’èst qu’ dji m’ troûve à l’ tåve,

dji n’ beû qu’ dès stout’ ou bin dè neûr cafè,

èt dj’ va sovint fé mès-eûrêyes è l’ cåve,

36   ou dj’ passe dès sîses sins-èsprinde mi quinkèt.

 

Insi dj’ a ‘ne kêsse plinte di neûrès cravates,

dj’ a ‘ne masse di rances èt dès pêres di neûrs wants,

èt dj’ so binåhe qwand dj’ veû dès neûrès gades

40  ou bin dès nêgues å visèdje rilûhant.

 

Dj’ a-st-on neûr tchin, dj’ a même dès neûrès bièsses

à quî dj’ n’ a wåde dè mèskeûre l’ amagnî,

èt lès cwèrbås, qwand l’ volèt d’zeû m’ tièsse,

44 po l’s-admirer, dji d’meurereû sins magnî.

 

Dji m’ di quékefèye : « Qui n’ pou-dje diveni priyèsse,

houyeû, hovåte, croke-môrt ou feû d’ tchôdron ! ».

Et si là d’vins, dji n’ pou trover nole plèce,

48 dji f’rè m’ possibe po fé l’ martchand d’ goudron.

 

Po fini s’ dag’, onk broûle èt l’ôte sofoke.

Mins mi, dj’ sohête — dji v’s-èl di sins façons —

qwand dji moûr’rè, qui ç’ seûy dès neûrès pokes,

52 po pwèrter l’ doû disqu’à l’ Résurècsion !

 

 

D’après le texte imprimé en feuillet double par la maison Jos. Halleux, Liège, s.d. On redresse quelques anomalies de cette édition peu soignée.

 

  1. … où l’on fait un bon repas. — 31. neûre dorêye, tarte « noire », c.-à-d. recouverte de côrin ou marmelade de fruits sèches. — 32. … que je ne ferai pas de façons.
  2. Sise, soirée; èsprinde, allumer (une lampe).
  3. rance, crêpe de deuil. — 39. Les neûrès gades (chèvres noires), menées par des bergers pyrénéens, offraient un spectacle de la rue aux Liégeois d’avant 1914 (cfr EMVW, V, pp. 309-310).
  4. dès neûrès bièsses, des cafards. — 42. … je n’ai garde de refuser (ou: mesurer) le manger.
  5. … que ne puis-je devenir prêtre. — 46. hovåte, ramoneur; feu d’ tchôdron, chau­dronnier. 49. fini s’ dag’, ici : mourir. — 51. … que ce soit de la variole noire.

 

 

(p.284)

LOUIS LOISEAU

(1858-1923)

 

Né à Moignelée, fils d’un ingénieur d’origine française, Louis Loiseau passa sa jeunesse à Namur. Vers 1881, les nécessités du commerce le fixèrent dans l’agglomération bruxelloise où il devait finir ses jours, après une carrière d’écrivain wallon resté fidèle au terroir namurois.

Il s’en faut de beaucoup qu’à l’activité déployée par Louis Loiseau dans les feuilles dialectales et les cercles d’auteurs réponde une œuvre littéraire digne de ce nom. Au théâtre, on lui doit cinq comédies, entre 1891 et 1895, et, en poésie, trois recueils. Le plus important, Echos de terroir (1897), reprend, en les augmentant, les premières Fôves et tchansons walones (1892); une poésie plus soutenue s’affirmera dans les posthumes Fleurs di Moûse (1942).

Partagé entre le lyrisme et la description, Loiseau incline, surtout dans ses chansons d’amour, vers un sentimentalisme de convention que rend plus artificiel encore le souci qu’il avait de franciser son wallon pour mieux raffiner son style…

 

 

101                                                                                                 [Namur]

One sovenance di djônèsse

 

Ele si mostreûve avenante èt sins grande aparence;

fris’ èt cokèt d’vant lèye, drî l’ griyadje, on posti.

Maujone di m’ vî grand-pére, dj’a bin waurdé t’ sovenance :

4   c’èst vêla qu’on t’ vèyeûve tot-au d’bout do batî.

Dès rèles vîs d’ pus d’on sièke gripant l’ long d’ tès murayes

catchin.n tès viyès pîres d’zos leû coûtche di vèrdeû

èt, fidéles djusqu’à l’ mwârt, is-è stopin.n’ lès crayes,

8 disfindant l’ batimint conte li bîje èt l’ frèdeû.

 

C’èst là qu’ riv’nant d’è scole, nos nos boutin.n à tauve.

On mougneûve à ç’ tins-là su dès-assiètes di stin.

Tanawète, è riyant, nos racontin.n ine fauve;

12   Moman d’jeûve è brûlant : « C’è-st-à pwin.ne s’ on s’ ètind ! ».

 

 

UN SOUVENIR DE JEUNESSE

  1. Elle, c.-à-d. la maison que le poète interpelle au v. 3. — 2. posti, porche, avant-cour sous toit. — 4. batî, place publique ou terrain entouré de maisons.  — 5.  Du lierre (litt. : des); ailleurs en namurois rèle = glycine. — 7. craye, crevasse. 9. … nous nous mettions à table. — 10. stin, étain. — 11. De temps en temps, en riant, nous contions une histoire. — 12. brûtî, barbotter, gronder. — 13. vîjerîyes, vieilleries. —

 

(p.285)

Combin d’ vîjeriyes è l’ tchambe ? Tot rapèlèt l’ mémwêre

dès-ans passés : crassèt, bondiè d’ keûve, blancs ridias,

rabatau di tch’minéye, potajer, vîye armwêre,

16   fènièsse à guiliotine avou dès p’tits cwêrias…

 

Po-z-aler dins l’ coujène, on sûvèt ‘ne longue aléye.

Pa lès swèréyes d’îvièr, au culot d’on bon feu,

po fé passer lès-eûres, on choûteûve à l’ chîjeléye

20 lès vîs contes do payis tot bèvant nosse cafeu.

Qwand lès noûf eûres sonin.n à nosse ôrlodje antike,

nos bauyin.n è catchète, peû di nos-astaurdjî.

Grand-pére qui nos wêteûve au truviès d’ sès bèrikes,

24 dijeûve : « Mès p’tits-èfants, v’là l’eûre d’aler coutchî ».

 

Adon, criyant bonswêr, à dadaye nos ‘nn’ alin.n,

courant à pîds tot d’chaus pa t’t-avau lès tîlias;

su l’ grande èt laudje montéye, è djouwant nos courin.n,

28 po moussî dins nosse lét n’ fiant nin grand rafiya;

è clignant nos p’tits-oûys, nos dijin.n one priyêre,

c’èsteûve au pus sovint : bonswêr, pitit Jésus.

Ê v’nant nos-ascouviè, nos rabrèssèt nosse mère…

32   Po fé cas d’ sès boneûrs, faut qu’on lès-eûy pièrdu !

 

Di tot ça rin n’ dimeûre… Dji m’ sovin co quékefîye

dès-anéyes qui sont iute èt qu’ont vèyu m’ prétins.

Gn-a d’s-anoyeûs passadjes où-ce qui l’ âme si rafîye

36 di r’pwèrter sès pinséyes aus bias djoûs do djon.ne tins.

 

 

  1. crassèt, ancienne lampe à huile montée sur pied; bondiè d’ keûve, crucifix en cuivre; ridia, rideau. — 15. rabatau di tch’minéye, « rideau à carreaux que l’on adapte à la tablette de la cheminée dans certaines maisons villageoises » (pirsoul, 391); potajer, ancienne cui­sinière à brique, faisant partie de la construction (note du BSW). — 16. cwêria, carreau, vitre.
  2. aléye, ici : corridor. — 18. culot, « un des deux côtés de la cheminée où l’on se met ordinairement pour se chauffer » (pirsoul, 143). — 19. chîj’léye, ensemble des chîj’leûs, des gens réunis pour la veillée. — 22. bauyî, bailler; (s’)astaurdjî, (s’)attarder.
  3. à dadaye, au trot, en vitesse. — 26. courant, pieds nus, sur le carrelage; tîlia, carreau rouge, en terre cuite. — 27. montéye, escalier. — 28. … sans grand empressement. — 31. En venant nous border, notre mère nous embrassait.
  4. … qui sont passés (litt. : outre). — 38. bunaujeté, contentement.

 

(p.286)

Pa ces chérès-imaudjes, au keûr gn-a co dè l’ djôye.

Ë rapinsant l’ djônèsse, on r’ssint dè l’ bunaujeté,

anoyeûs pa momints d’awè lèyi su l’ vôye

40 tot nosse boneûr d’èfant… qu’on sondje à dispièrter.

 

 

« Echos de terroir », Malines, 1897, pp. 146-147. Paru d’abord dans le Bull. Soc. de Litt. wall., t. 36, 1895, pp. 465-466 (menues variantes).

 

 

102

Li djeû d’ guîyes

 

Gn-a l’ planteû qu’èst là, d’lé lès guîyes

mèteuwes è place dissus l’ câré.

Is sont-st-à quate à l’ tape à fîye;

4 c’ è-st-au grand Bèbêrt à djouwer.

 

Au pas ! Bèbêrt aligne èt crîye :

« Catchîz l’ dame ! ». Et sins trop s’ prèsser,

li planteû l’ rèscule, alignîye,

8 èt Bèbêrt qu’èst prèt’ à taper

 

s’ènonde èt tape à plin.ne voléye

li bole qui roule èt cotournéye

lès guîyes, è passant foû do djeû…

 

12 « Bèrwète ! gn-a nu risse qu’ i bukéye »,

li dit Chanchès. « Faî v’nu l’ tournéye,

t’ès co pus rodje qu’on boûria d’ feu ! »

 

1913

« Fleurs di Moûse », Dînant, 1942, p. 43.

 

LE JEU DE QUILLES. — Pour le pays de Namur, voir une description de ce diver­tissement populaire dans pirsoul, 253.

 

  1. planteû, celui qui dresse les quilles. — 3. être à tape (litt. : à étape), se trouver à

la place fixée pour gagner le but, au point de départ d’une course, etc.; à fîye, parfois.

Le sens du vers est : il se trouve qu’ils sont quatre prêts à jouer.

  1. pas [do djeû], « l’endroit d’où l’on doit commencer » (pirsoul, 351); alignî ici : viser.

— 6.  « Cachez la dame »,  c.-à-d.  la quille,  placée un peu de guingois  au  centre  du

carré. — 7. alignî, aligner, mettre dans la même rangée.

  1. s’élance et jette à pleine volée, c.-à-d. en lançant la boule le plus loin possible, de

façon à gagner l’enjeu. — 10. cotoûrner, contourner.

  1. Faire bèrwète (litt’ : brouette), faire coup nul, échouer; bukè, buter. — 13. Chanchès,

hypocoristique de Françwès; la « tournée » de consommations, enjeu de la partie que doit

payer le perdant. — 14. … plus rouge qu’une boule de feu.

 

 

(p.287)

MARTIN LEJEUNE

(1859-1902)

 

Docteur en médecine, né et mort à Dison (Verviers). D’une brève carrière accomplie dans un dévouement professionnel total, le parcours littéraire aura été plus bref encore, puisque Martin Lejeune n’a publié ses premiers poèmes, dans l’Annuaire du Caveau verviétois, qu’à la fin de 1896. La même année, il prend part aux concours de la Société de Littérature wallonne où il sera, pendant six ans, « le plus fécond des concurrents et le plus fréquemment couronné » (J. Feller).

L’œuvre de Lejeune, presque entièrement composée de poèmes descriptifs et lyriques, n’a été réunie qu’en 1925, dans un volumineux recueil établi par celui qui fut son conseiller avant de se faire un collaborateur plus ou moins discret. C’est sans doute Jules Feller, excellent professeur de rhéto­rique, qui inculqua à son disciple l’art des développements dans l’abondance et la facilité du style. On s’étonne à peine que cette poésie bien faite, et si méritoire, ne dégage plus aujourd’hui qu’une respectueuse indifférence.

 

103                                                                                               [Verviers]

Lu Mwêrt

 

Coûrs moudris, qwèrant d’vins vos sondjes

l’ åbion d’on-amoûr sins nole fin,

poqwè mådi lu vèye qui v’ rondje ?

4   Lu Mwêrt vinrè r’pahi vosse fin !

A-t-i rin qui sépare mons qu’ lèy

dès cis qu’on a vrêmint êmé ?

Tos lès djoûs, nu vèyans-ne nin l’ Vèye

6   ås qwate cwènes dè monde nos k’ssèmer ?

Lu basse djaloserèye, lès quèrèles,

l’èvèye, lès caprices èt l’årdjint,

tot fant du nosse coûr one èstèle,

12  nos dustoûrnèt bin pus d’ nos djins;

 

LA MORT

  1. Cœurs meurtris… — 2. åbion, ombre. — 4. r(u)pahi, repaître, rassasier. — 5-6. … ne voyons-nous pas la Vie / aux quatre coins du monde nous disperser? —  11.  èstèle (èstale à Liège), éclat de bois; ici, au sens de : morceau informe, débris. —

 

(p.288)

lès meûrs qu’is drèssèt-st-inte nos-ôtes

sont bin pus hôts èt bin pus freûds !

Lu Mwêrt, lèy, nos sôye come dès pautes,

16   mins nos r’lôye è l’ même djåbe tot-dreût.

Èle ramasse, è l’ même fricassêye,

lès ritches, lès pôves, lès grands, lès p’tits;

bårîres èt poûcètes sont cassêyes;

20    à si-åhe, lu vèrtu pout r’glati;

chake åme su fond d’vins totes lès-åmes;

èt, d’one cwène à l’ôte cwène dè cîr,

èle rassôle, èle fond totes lès låmes

24   duvins l’ même grand crizou d’acîr !

L’amour n’a pus dè l’ djaloserèye

one fèye qu’a passé d’zos s’ tèyant :

on ‘nnè pout êmer cint ou mèye

28    sins rin r’prinde å pus-ahayant !

Kumint wårderîs-ne nos rafiyances ?

Voci, l’ må broketêye tot costé.

Après l’ mwêrt, totes nos d’mèsfiyances

32   moûrront è brès’ dè l’ charité !

« Vinez, di-st-èle, vos, qui nawêre

mu r’crindéve : mi, dju n’ vou qu’ vosse bin;

rupwèsez-ve, lu vèye è-st-one guère;

36   mi, dju so l’ Påye — èt dju v’ ratind ! »

 

 

Œuvres lyriques du poète wallon Martin Lejeune, publiées par Jules Feller, Liège, 1925, pp. 286-287.

 

  1. les murs qu’ils (c.-à-d. la jalousie, l’argent, etc. énumérés aux v. 7-8). — 15-16. … nous fauche comme des épis / mais nous réunit (litt1 : relie) dans la même gerbe aussitôt. — 17. « fricassée », ici au sens d’hécatombe. — 19. barrières et menottes sont brisées. — 20. r(u)glati, briller. — 22-23. et d’un coin à l’autre du ciel / elle rassemble… — 24. dans le même grand creuset d’acier. — 26. une fois qu'[il, c.-à-d. l’amour] a passé sous son tranchant (allusion à la faux, attribut de la Mort). — 27-28. on en (des êtres humains) peut aimer cent ou mille / sans rien reprendre au plus attrayant (= au plus aimé). — 29. Comment garderions-nous nos joies? — 30. Ici le mal surgit… — 31. d(u)mèsfiyance, méfiance. — 36. moi, je suis la Paix…

 

 

(p.289)

ADOLPHE WATTIEZ

(1862-1943)

 

Avec Adolphe Le Ray (1810-1885), Adolphe Delmée (1820-1891) et Adolphe Frayez (voir ci-après), c’est l’un des quatre Adolphe de la littérature dialectale tournaisienne. A défaut d’être son fondateur, il fut du moins le premier à l’illustrer par le souci de qualité qu’il apporta à ses productions poétiques. Il en réunit une partie dans deux plaquettes : Roses et cardéons (1911) et Pou dire intèr deûs plats (1913), ce dernier recueil composé de fables et de « pasquilles » ou petits contes en vers.

Adolphe Wattiez resta toujours fixé à Tournai où il avait commencé à rimer à partir de 1891, année qui vit également ses débuts au théâtre, comme acteur et comme auteur. De son père, « le dernier cordier qui tressa les cordes à la main dans le Tournaisis » (C. Roty), il avait repris le métier dont il fit une prospère entreprise commerciale, en même temps qu’il s’en inspirait pour signer ses œuvres du pseudonyme : « le Cordier des Etoupières ». Collaborateur de diverses publications locales (Etrennes toumaisiennes, Les Cheonq Clotiers, etc.), Wattiez fut surtout le créateur, en 1908, et le premier animateur du célèbre « Cabaret wallon », émanation de la « Ligue wallonne du Tournaisis » organisée un an plus tôt. On lui doit aussi des enquêtes lexicales sur le parler de sa ville.

 

 

104                                                                                                    [Tournai]

L’intièr’mint

 

(D’après L’oraison funèbre de Jules Jouy)

In jour qu’i géleot à pière finde,

tout in montant 1′ rue d’ Sint-Martin,

deûs-èomes ayant l’ér de s’intinde

4    d’vizeot’ dèrière in n-intièr’mint.

 

L’ENTERREMENT. — Dans les textes picards de Tournai (outre Wattiez, voir ci-après George, Frayez, Libbrecht), les graphies eo, èo, éô, èon, èon(e) pour les diphtongues, yèo, yèon(e) pour les triphtongues représentent des notations approximatives, une trans­cription phonétique étant exclue ici (pour ces sons difficiles, cfr ALW, I, 60). Le é rend la voyelle atone qui n’est pas caduque (à distinguer du e qui note l’e muet). — Dans les formes telles que i-èst (il est), i-aveot (il avait), etc., le trait d’union indique qu’il y a synérèse, le i ayant ici valeur de semi-consonne.

 

(p.290)

« Pauve fieû, i n’a tout d’ même po d’ sanche :

morir à peine à trinte deûs-ans !

—  Quand 1′ temps i-èst v’nu, n’a po d’avanche !

8    Lès brafes gins n’ vit’tê po lontemps…

 

— Queu sézis’mint quand j’é r’chu s’ lète !

Est-ç’ que vous-alez ‘qu’à Mulète ?

—  Est-ç’ que trinte deûs-ans, ch’èst bin s’n-âche ?

12   A m’ mode, mi, fieû, que vous s’ trompez.

S’i n’ d-a po puk, ch’èst bin damâche,

mes j’ pinse que vous li in côpez.

—  Pourtant, j’é toudi laissé dire

16    que s’ fème aveot quinze ans d’ mwins

qu’ li et qu’i s’ tégneot pou s’ rajèonîr

(j’ vous 1′ deone pou 1′ prix qu’on me 1-1’a dit…).

Es’ fème d’abord, ch’èst ène sèrpète…

20   Est-ç’ que vous-alez ‘qu’à Mulète ?

 

—  Ch’èst cha ! i s’ sèrveot dé 1′ tinture ?

—  On direct qu’ vous ne 1′ savez po !

Ch’èst s’ pauve fème avec es’ n-at’lure

24    qu’i fèot plinde. — Sacré nèom dé zo !

—  Bah ! môdieû, èle l’obliy’ra vite.

A s’ nez, à s’ barbe, èle fréquenteot

avec in m’nusier d’ Sinte-Magrite.

28    On dit même qu’i in profiteot !

 

  1. … pas de chance. — 7. Quand le temps il est venu… : cette sorte d’agglutination au verbe de la 3″ pers. du pron. sujet (ici il) est un trait de syntaxe populaire; peu fréquent en wallon, il est courant en picard (cfr remacle, Syntaxe, I, 215). — 8. … ne vivent pas longtemps.
  2. sa lettre, c.-à-d. le faire-part de son décès. — 10. … jusqu’à Mulette : nom de l’un des deux cimetières de Tournai.
  3. « que vous se trompez » pour « que vous vous trompez » : dans l’ouest du Hainaut comme en d’autres points de la zone picarde, se, pronom réfléchi régime, se substitue, au pluriel, à celui des lpe et 2e personnes (cfr ALW, II, 121). — 13. S’il n’en a pas plus, c’est bien dommage. — 14. … que vous lui en (= des années) retranchez.
  4. … une serpette, c.-à-d. une méchante langue.
  5. at’lure, façon d’être, accoutrement (peut-être allusion au fait qu’elle est « en position », cfr v. 32). — 26. « fréquenter » ici dans le sens d’avoir une liaison. — 27. avec un menuisier de Sainte-Marguerite (quartier de Tournai).

 

(p.291)

Wê, tout cha s’ passeot à s’ barète…

Est-ç’ que vous-alez ‘qu’à Mulète ?

 

L’ pire, ch’èst que s’ fème elle est acore,

32    d’après ç’ qu’on dit, in pozisièon…

Mi, f ses d’ beone part (pus d’in l’ignore)

que s’n-èome li laisse bin dés grayeons :

on parlé de cheonk mile francs d’ rintes.

36   — D’u ç’ que ch’èst qu’i l’s-a bin.gagnés?

—  Dis puteot : qu’i l’s-a été prinde.

I d-a tant qui s’ laiss’tê saigner !

 

Ele n’ira jamés à 1′ malète…

40    Est-ç’ que vous-alez ‘qu’à Mulète?

 

Au vilache, i-aveot ‘ne vièle matante

(ch’a d’veot été à Montreul-au-Beos),

ène grosse cinsiêre, su lés nonante,

44    qui f’zeot tout s’n-ouvrache à chabeots.

Elle aveot, comptant doupe à doupe,

ramassé d’ qwa faire in catyèo.

In jour qu’elle éplucheot la soupe,

48    on ll’a tuée d’in keop d’ coutyèo…

 

—  On n’a su jamés sur qui 1′ mète ?

—  Est-ç’ que vous-alez ‘qu’à Mulète ?

 

Infin, vous vèyez, tout s’ démuche…

52   De s’ désoler, on areot tort

et à brêre corne in sèyèo d’ puch,

nous n’ fréons po rèssuciter 1′ mort.

Et pwis, tout compte fét, ch-‘teot in n-èome

 

 

  1. à s’ barète, à son bonnet, c.-à-d. sous ses yeux.
  2. … en position, c.-à-d. enceinte. — 34. … bien des picaillons. — 35. cheonk, cinq.
  3. aler à l’ malète, mendier.
  4. qui faisait tout son travail en sabots (c.-à-d. comme une pauvresse, quoique riche). — 46. … de quoi bâtir un château.
  5. Le sens est : on n’a jamais su à qui endosser le crime.
  6. … tout se découvre. — 53. et à pleurer comme un seau de puits. — 56. … sur la poitrine (litt. : sur la casaque). — 57. èstocache, coup violent.

 

(p.292)

56    à vous coler su l’ casakin

in n-èstocache qui vous asseome…

— Brr ! Ç’ qu’i pike, èç’ sacré sale vint !

Est-ç’ que vous-alez ‘qu’à Mulète ?

60   Rintreons bware ène pinte à 1′ guinguète »…

 

Février 1908.

 

Etrennes   tournaisiennes  pour  l’année  1909,   Tournai, Delcourt-Vasseur, pp. 55-57, sans nom d’auteur.

 

 

105       45me cabaret waleon

 

Au sinm’di vint’ du meos d’ mars’,

su vo p’tit calindéryer,

afin dé n’ po l’obliyer,

4   fêtes ène creos, paç’quê c’ s’reot ‘ne farce

 

d’ laisser passer l’ocazièon

— rassannés tous’ in famile,

versés dès quate cwins de 1′ vile —

8    d’acouter nos créyatièons.

 

Fêtes in nœud au pan d’ vo k’misse,

si vous n’avez d’armêna :

on s’ rapèke à qwa ç’ qu’on a

12   du momint qu’ cha rind service…

 

Journal Le Courrier de l’Escaut, Tournai, 17 mars 1920.

45e CABARET WALLON

 

  1. faites une croix…
  2. rassemblés… — 7. venus des…

9-10. Faites un nœud au pan de votre chemise, / si vous n’avez pas d’almanach (au sens de: calendrier, agenda). — 11. on se raccroche…

 

(p.293)

106

Lès Trwas Rwas

(Ballade de Noël)

 

J’é mis m’ chabeot dins 1′ kêminnée :

— I-a trwas ans que j’ n’é pus ryin u ! —

malgré que j’ sin bin que ç’ n-innée,

4   1′ coquile rèst’ra, vous savez d’u !….

Lés Trwas Rwas, i seont akeurus.

On seone lés clokes, ch’èst jour dé fiète.

I-a dés glaches à tous lès fèrniètes

8    pour adorer l’infant Jésus.

 

L’ mamère elle est toute ortournée,

elle a sés-yeus tout-abatus

in r’wétyant l’étufe condanée

12   et 1′ marabout ingèlé d’ssus.

Lés Trwas Rwas, i seont akeurus.

Ch’èst 1′ momint d’î mète ène mayète

et d’ rétinte ène petite sèrviète

16   pour adorer l’infant Jésus.

 

Dins 1′ bèrche [qu’est] toute dèstèrminée,

v’ià m’ frère, èç’ petit couche-tout-nu,

qui bèrle après s’ tète (queule journée !),

20    manière de dire : Èst-ç’ qu’i n’d-a pus ?

Lés Trwas Rwas, i seont akeurus,

et grâce à cha, j’ sus mis à F diète,

ch’èst pourqwa ç’ que j’ bèrle à tue-tiète

24    pour adorer l’infant Jésus.

 

 

LES TROIS ROIS

  1. J’ai mis mon sabot dans la cheminée. — 4. coquile, « coquille », nom tournaisien du gâteau de Noël. — 5. Il s’agit des Rois Mages, fêtés dans le cycle de Noël, le 6 janvier (Epiphanie). — II y a des glaçons (litt* : glaces) à toutes les fenêtres.
  2. La mère elle est… (comp. L’intièr’mlnt, v. 7); ortournée, retournée, bouleversée. —
  3. en regardant  le   poêle   condamné   (c.-à-d.   sans  feu).  —   12.   marabout,   cafetière. — 14. mayète, petit fagot.
  4. Dans le berceau (litt* : berce) qui est tout disloqué. — 19. bèrler, crier, pleurer en criant.

 

(p.294)

ENVOI

Mes, lès Trwas Rwas seont akeurus,

alèons ! Jujule, abile ! Hinriète;

ch’èst F même tableau in sis’ qu’in set’…

28    Disèons ‘ne prière au P’tit Jésus,

qu’ène aute feos i n’ nous obliche pus !

 

Noël 1917.

 

La Vie wallonne, t. 2,  1922, pp. 232-233.

 

24 abile !, vite ! — 27. c’est la même chose en six qu’en sept.

 

 

(p.295)

GEORGES WILLAME

(1863-1917)

 

Né et mort à Nivelles. A partir de 1897, il vécut surtout à Bruxelles où il devint directeur général au ministère de l’Intérieur.

Son amour du passé et l’attachement à sa ville natale inspirèrent à Willame d’estimables travaux d’histoire et d’archéologie (Causeries nivelloises, 1910, Essai de bibliographie nivelloise, 1911, Laurent Delvaux, 1914) et, parmi divers récits en français, deux romans, Le puison (1908) et Monsieur Romain (1913) qui l’apparentent à l’école régionaliste belge. Mais c’est le walloniste qui est le plus intéressant chez lui. Fondateur, en 1888, du journal nivellois L’Aclot, co-fondateur, avec Oscar Colson et Joseph Defrecheux, de l’impor­tante revue Wallonia (1893-1914), il illustra, autrement encore que par des notes et enquêtes, le folklore de son terroir en mettant à la scène la légende de sainte Renelde dans El rouse [la rosé] de sinte Ernèle (1890) : à partir d’un conte populaire noté à Nivelles sur le thème, largement attesté, de « l’os qui chante », c’est la première tentative réussie de théâtre poétique en wallon.

La réputation littéraire de Willame repose aujourd’hui sur la vingtaine de sonnets qu’il rima de loin en loin, entre 1895 et 1916, et qu’il ne prit pas la peine de recueillir. Réunis une première fois en 1930 dans une brochure confidentielle, ils sont aujourd’hui accessibles, avec leur traduction, dans une édition exemplaire du P. Jean Guillaume, tout à fait digne du soin que Willame lui-même apportait à la composition de ces menus chefs-d’œuvre. Plus que la technique impeccable, ce qu’on admire en eux, c’est la sensibilité, toute d’émotion contenue ou de fine ironie, qui parcourt la ligne mélodique du vers. « Art mystérieux, fait de profondeur légère, et qui n’use de l’anecdote que pour mieux toucher au vif le cœur de l’homme » (J. Guillaume).

 

 

107                                                                                               [Nivelles]

El vî

 

Asteûre, c’est s’ garçon qu’a r’pris 1′ cinse,

èyèt li, tout raclipoté

dins s’ fonteuy, i pinse, i rapinse,

4   i sondje à 1′ tiène qu’il a monté.

 

LE VIEUX

  1. garçon a ici le sens de fils. — 2. raclipoté, replié, rapetissé. — 4. tiène, côte, chemin escarpé.

 

(p.296)

Què 1′ vârlèt voye taper lès s’minces

ou bîn qu’ seûche lès longs djoûs d’ l’èsté,

toudi pus djône, pus sètch, pus mince,

8    i d’meure là mièrseû d’ssus 1′ costé.

 

Lès-eûres, lès djoûs, lès-ans, ça passe !

il a vu s’ mon-pére à l’ min.me place,

quand li-min.me a dèv’nu cinsî;

 

12   èyèt li, l’ vayant, li, l’ foûrt ome,

li, l’ mésse, i ratind s’ dèrnî some…

Ëyèt ‘ne lame tchét doûcemint d’ sès-îs.

 

5 avril 1896.

 

« Georges willame, Sonnets. Edition critique (…) par J. Guillaume », Liège, Soc. de Langue et de Littérature wall. (Collection Littéraire wallonne, 3), 1960, p. 15. Paru d’abord dans 1′ Almanach paroissial. Eglise Saint-Nicolas, t. 7, Nivelles, 1909.

 

 

108   Rinconte

 

In bossu ravise in chalé,

tout rakinkyî, tout mèzalé,

qui s’aspoye dèssus sès deûs croches

4   yèt s’in va pourmèner sès-ochs.

 

El chalé ravise èl bossu,

in crèkion à djambes dè fèstu,

pitieûs, avè ‘ne grosse câréye tièsse

8   intrè deûs spales come dès-èrèsses.

 

5-6. Que le valet aille jeter les semences / ou bien que [ce] soit les longs jours d’été (= qu’on soit aux longs…). — 7. djône, jaune. — 8. mièrseû, tout seul.

  1. tchét, tombe.

 

RENCONTRE

1-2. Un bossu regarde un boiteux, / tout recroquevillé, tout perclus. — 3. croche, béquille. — 4. och, os.

  1. crèkion, criket,  grillon;  ici  au sens  fig.  de  gringalet ou  d’avorton;  aux jambes  en (litt. : de) fétu (de paille). — 7. pitieûs, piteux. — 8. entre deux épaules comme des arêtes.

 

(p.297)

Quand is sont plus lon d’ssus l’ tchèmin,

is s’ èrtoûrnont co tout doûcemint,

iun d’ssus l’ bosse, l’ ôte su lès crochètes.

 

12   Èy o dîrout qu’ is r’mèrciyont

l’ bon Dieu — qu’ ça dwèt jin.ner ‘ne miyète —

dè co l’s-avwè fét come is sont.

 

1er septembre 1897.

 

Ibid.,  p.  19.  Paru  d’abord dans Le  Courrier de Nivelles du 13 juin 1909.

 

 

109   Mècheneûse

 

El voye èst blanche dè poussiêre

qui sint tout l’ poûre dè cayau

qui s’inlève come dè l’ fumiêre

4   pa d’zous lès pîds dès gros tch’vaus.

 

Ène mècheneûse vînt d’à l’ coupète

èyèt s’amousse t-à-n-in coup.

Ène djârbe qu’in rèstia tînt dwète

8    muche toute ès’ tièsse èyèt s’ coû.

 

Èle lèye su l’ costé l’ piè-sinte,

èy èle couminche à dèskinde

avè l’ ér come indoûrmi;

 

  1. crochète, dim. de croche (v. 3). 13. … que ça doit gêner un brin.

 

GLANEUSE

2-3. … la poudre de caillou / qui s’élève comme de la fumée. Le quatrain évoque le passage du char de la moisson sur le chemin de la ferme.

5-8. Une glaneuse vient de la hauteur (qui domine le champ) / et se montre soudain. / Une gerbe qu’un râteau tient dressée (litt. : droite) / lui cache toute sa tête et son cou.

  1. Elle laisse le sentier sur le côté.

 

(p.298)

12   èy à ç’ qu’èle passe dèlé mi,

djè vwè qu’èle n’èst djoûne ni bèle.

« Salut ! » di-dje. — « Bondjoû ! » di-st-èle.

 

31 août 1899.

 

Ibid., p. 23.  Paru d’abord dans Le Courrier de Nivelles du 25 juillet 1909.

(p.298)

110

Djan d’ Nivèle

 

Dèspû què d’ su capâbe à raviser l’s-èstwèles,

djè vwè toudi stampé su s’ clokî Djan d’ Nivèle,

yèt t-alintoûr dè mi dj’intindou d’djà, gadelot,

4   fé riséye d’ssus riséye du pus vî dès-Aclots.

 

In dimanche qu’i r’lûjout, d’ pa d’zous, come l’alumwêre,

d’ l’é sté vîr dè d’tout près. — Dj’âré toudi mémwêre

dès grossès lâmes qu’astin’ prèssés à spiter d’ mès-îs,

8    d’lé s’ grand coûrps tout trawé, rapiècheté, nwêr, — si vî !

 

Dj’é come sintu sès-ans qui v’nin’ kèrtchî m’ carcasse,

yèt v’là qu’ tout ç’ qu’il a vu dè d’ssus s’ tourète m’èrpasse,

èfant sondjaud d’ène vile pus fwède qu’in moûrt su s’ lit :

 

 

  1. et tandis qu’elle… — 13. « Le wallon demanderait plutôt ni djoûne ni bèle » (note de J. Guillaume, p. 59).

 

JEAN DE NIVELLES. — C’est le nom donné au jaquemart de cuivre dressé sur l’une des tourelles de la collégiale Sainte-Gertrude à Nivelles (cfr note 21-22 du n° 65).

  1. raviser, regarder. — 2. stampé, dressé. — gadelot, bambin. — 4. Le plus vieux des « Aclots »  (sobriquet des habitants de Nivelles) est l’objet de moqueries (riséyes) qui sont de vieille tradition, dans le peuple, à l’endroit des jaquemarts.

5-6. Un dimanche qu’il brillait, d’en dessous, comme l’éclair, / je l’ai été voir de tout près… — 7. … prêtes à jaillir de mes yeux. — 8. Dans ses Causeries nivelloises (1910), Willame le décrit « énorme et misérable, plaqué de taches noires » (cité par J. Guillaume, p. 60).

  1. … qui venaient charger ma carcasse, c.-à-d. s’appesantir sur mon corps. — 10. tourète, tourelle. — 11. enfant songeur d’une ville plus froide qu’un mort sur sa couche.

 

(p.299)

12   fleûrs flanîyes, mouchons voye, vîyès mésos djondûwes;

tous